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Ce texte est extrait de « Rhizome », titre de l’introduction
du livre de Gilles Deleuze et Félix Guattari Mille Plateaux,
Capitalisme et schizophrénie 2, paru aux Éditions
de Minuit en 1980.
Il figure pages 30 et 31.
http://lerhizome.blogspot.com/2007/01/rhizome-en-3d.html
Résumons les caractères principaux d’un rhizome
: à la différence des arbres ou de leurs racines,
le rhizome connecte un point quelconque avec un autre point quelconque,
et chacun de ses traits ne renvoie pas nécessairement à
des traits de même nature, il met en jeu des régimes
de signes très différents et même des états
de non-signes.
Le rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple.
Il n’est pas l’Un qui devient deux, ni même qui
deviendrait directement trois, quatre ou cinq, etc.
Il n’est pas un multiple qui dérive de l’Un,
ni auquel l’Un s’ajouterait (n + 1).
Il n’est pas fait d’unités, mais de dimensions,
ou plutôt de directions mouvantes.
Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu,
par lequel il pousse et déborde.
Il constitue des multiplicités linéaires à
n dimensions, sans sujet ni objet, étalables sur un plan
de consistance, et dont l’Un est toujours soustrait (n - 1).
Une telle multiplicité ne varie pas ses dimensions sans
changer de nature en elle-même et se métamorphoser.
À l’opposé d’une structure qui se définit
par un ensemble de points et de positions, de rapports binaires
entre ces points et de relations biunivoques entre ces positions,
le rhizome n’est fait que de lignes : lignes de segmentarité,
de stratification, comme dimensions, mais aussi ligne de fuite ou
de déterritorialisation comme dimension maximale d’après
laquelle, en la suivant, la multiplicité se métamorphose
en changeant de nature.
On ne confondra pas de telles lignes, ou linéaments, avec
les lignées de type arborescent, qui sont seulement des liaisons
localisables entre points et positions.
À l’opposé de l’arbre, le rhizome n’est
pas objet de reproduction : ni reproduction externe comme l’arbre-image,
ni reproduction interne comme la structure-arbre.
Le rhizome est une antigénéalogie.
C’est une mémoire courte, ou une antimémoire.
Le rhizome procède par variation, expansion, conquête,
capture, piqûre.
À l’opposé du graphisme, du dessin ou de la
photo, le rhizome se rapporte à une carte qui doit être
produite, construite, toujours démontable, connectable, renversable,
modifiable, à entrées et sorties multiples, avec ses
lignes de fuite.
Ce sont les calques qu’il faut reporter sur les cartes et
non l’inverse.
Contre les systèmes centrés (même polycentrés),
à communication hiérarchique et liaisons préétablies,
le rhizome est un système acentré, non hiérarchique
et non signifiant, sans Général, sans mémoire
organisatrice ou automate central, uniquement défini par
une circulation d’états.
Ce qui est en question dans le rhizome, c’est un rapport
avec la sexualité, mais aussi avec l’animal, avec le
végétal, avec le monde, avec la politique, avec le
livre, avec les choses de la nature et de l’artifice, tout
différent du rapport arborescent : toutes sortes de «
devenirs ».
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