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Origine : http://www.grouchos.org/tyranniesportive.htm
LA TYRANNIE SPORTIVE. THEORIE CRITIQUE D'UN OPIUM DU PEUPLE
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Note de lecture sur le dernier essai de Jean-Marie Brohm (mars 2006)
Dans ce nouvel essai [3], Jean-Marie Brohm réitère
sa thèse fondamentale qu’il ne cesse de démontrer
depuis 40 ans : le sport est un opium du peuple. Sa démonstration
dialectique se loge tout contre celle des apologistes du sport :
intellectuels, sociologues, journalistes, syndicalistes qui tendent
tous, à des titres divers, à nier cette thèse.
Ce qui permet de comprendre fondamentalement ce qu'est le sport,
c'est avant tout sa condition de possibilité : le mode de
production capitaliste dans sa phase globalisée. Et non pas
le sport lui-même. C'est en ce sens que la thèse de
Brohm est dialectique et ouvre à la complexité.
La sociologie critique du sport
Et c’est une entreprise salvatrice que ce livre, tellement
notre époque est devenue rétive à toute pensée
critique : déconstruire les « allant-de-soi »
qui font du sport une fête, un plaisir, un effort libérateur
ou un gage de santé est une activité critique précieuse.
L’idéologie sportive s’apparente à une
foi religieuse spécifique. Cet essai reste attaché
au réel et à sa dynamique plutôt que d'envisager
des plans pour les « marmites de l'avenir » sportif.
La réfutation du dogme selon lequel, malgré tout le
mal qui gangrène le sport, le bien fini toujours par triompher,
est mise en valeur tout au long de l'exposé. Le bien, ce
serait toujours et malgré tout la victoire sur le mal, c'est-à-dire
la paix des peuples, un idéal sacré porteur de valeurs
dans un monde éclaté, un référent incontournable
de l’humanité, une source de joie qui compense les
misères quotidiennes.
Le contenu du texte est double : contrairement à beaucoup
de sociologues du sport, Jean-Marie Brohm expose ses implications
politiques et ne se cache pas derrière une posture «
scientifique » ; posture qui reste bien trop souvent aveugle
aux fonctions politiques du sport-spectacle de masse. Faire oeuvre
scientifique, c’est aussi remettre en cause ce qui est convenu
et ouvrir à la conscience des pans de réalités
restés dans l’ombre. Révéler ses propres
implications de chercheur est un gage de scientificité contrairement
à ce que pensent les positivistes scientistes. Deuxièmement,
en tant qu’universitaire, il développe des notions
permettant la compréhension (et l’intervention !) de
l’institution sportive.
Le sport c’est l’opium du peuple !
C’est ce deuxième point qui pourra plus particulièrement
intéresser les militants souhaitant ne pas laisser cet aspect
du capitalisme dans le silence et le désert. Selon Jean-Marie
Brohm, le sport est en rapport avec le développement récent
du capital. Il repère deux tendances au sein de la marchandisation
du monde par le sport : le développement du « mode
de production sportif » (le sport en tant qu’entreprise
capitaliste spécifique) et « la spectacularisation
universelle » du sport (colonisation de la vie quotidienne)
qui a des effets politiques funestes pour l’émancipation
de la communauté humaine (« Gemeinwesen » disait
Marx).
Fort de sa démonstration, il n’est pas avar de définitions
sur le sport. Bien sûr, elles ne correspondent en rien à
celles convenues où le sport est réduit à un
exercice physique bénéfique, ou encore à un
lieu de socialité particulier qui compense les violences
de la société, voire (pire) à un « outil
d’émancipation populaire » ou même «
féministe ». « (…) le sport, dit Jean-Marie
Brohm — et cette thèse est la clef de toutes les divergences
qui séparent radicalement la Théorie critique du sport
de toutes les variantes de la sociologie positiviste — n’est
pas un innocent ensemble de “pratiques physiques”, un
anodin système de “jeux”, un “espace de
distinctions” ou une éducation du corps mais une agence
intégrée et intégriste du capitalisme mondialisé.
Le sport apparaît alors sous son vrai visage : un appareil
d’hégémonie multiforme dont la fonction essentielle
est de distiller l’idéologie dominante comme le foie
secrète la bile »[4]. Plus loin, on trouve la définition
suivante : « le sport est non seulement une politique de diversion
sociale, de canalisation émotionnelle des masses, mais plus
fondamentalement encore une coercition anthropologique majeure qui
renforce et légitime l’idéologie productiviste
et le principe de rendement de la société capitaliste.
Le sport est ainsi une injonction autoritaire au dépassement
de soi et des autres, la mise en œuvre institutionnelle de
cette contrainte sans cesse énoncée au surpassement
»[5]. Ces définitions justifient pleinement le titre
de l’ouvrage : « la tyrannie sportive » est en
quelques sorte un despotisme sans tyrans, une servitude volontaire
qui génère de vastes troupeaux par-delà le
monde sans oppression voyante.
Le sous-titre, « Théorie critique d’un opium
du peuple » laisse supposer que le sport de compétition
n’est pas le seul opium. Cependant, la démonstration
montre qu’il est parmi les plus virulents parce que le capitalisme
globalisé se nourrit de l'idéologie sportive. Doit-on
pour autant suivre Jean-Marie lorsqu’il dit : « c’est
pourquoi la critique du sport est la condition préliminaire
de toute critique sociale » ? [6] Nous laissons le lecteur
se faire son propre jugement en engageant éventuellement
le débat.
Le sujet de la critique du sport
En tout cas, loin de cet universitaire, l’idée de
considérer le peuple comme un troupeau. Tout son essai engage
au contraire ce dernier à retrouver sa dignité et
sa conscience : en ce sens « le peuple » n’est
pas la foule ou la meute qui se pavane devant les jeux du cirque.
« La Théorie critique du sport envisage à cet
égard une lutte combinée : d’une part la destruction
de la logique aliénante du sport de compétition et
de ses avatars par la contestation globale du capitalisme, d’autre
part l’abolition des catégories du capital et du fétichisme
de la marchandise par la mise en question systématique de
l’institution sportive » [7]. Cette critique radicale
peut trouver une perspective pratique mais elle est loin d’être
évidente : ce n'est pas l'objet du livre. Mais même
sur le plan théorique, Jean-Marie Brohm n’est pas tendre
avec les théoriciens (souvent des universitaires comme lui,
formés par lui) qui tentent de faire œuvre critique
sur le sujet : « (…) les débris sectaires issus
de Théorie critique ou influencés par elle et qui
se sont lovés dans les niches carriéristes ou les
revues pseudo-critiques ont mené un combat à la vie
à la mort contre les fondateurs qui eux ont continué
le mouvement… ». Qui peut pratiquer la critique selon
lui ? On le devine lorsqu’il parle de l’histoire de
la Théorie critique du sport et en particulier dans les années
1960-1970 où, dit-il, elle était évidente à
gauche et à l’extrême gauche ou chez les enseignants
d’Éducation Physique.
Ce sont les luttes à venir (à réactualiser
?) elles-mêmes qui peuvent s’emparer de la Théorie
critique du sport et la développer dialectiquement. Les travaux
pratiques de la théorie restent à inventer !
Harpo
[1] A propos d'un livre de Jean-Marie BROHM, La Tyrannie sportive.
Théorie critique d'un opium du peuple, Paris, collection
« Prétentaine. Essais en sciences humaines-réflexions
philosophiques », Beauchesne éditeur, 2006 .
[2] Ibidem, p. 176.
[3] Son précédent, « La machinerie sportive
» avait fait l'objet d'un compte-rendu dans les Sifflet enrouré
n° 5 et n° 6.
[4] Ibidem, p. 27.
[5] Ibidem, p. 220
[6] Ibidem, p. 127.
[7] Ibidem, p. 89.
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