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Origine :
http://www.nouvelobs.com/articles/p2069/a245267.html
L’homme qui répare les excisions
Nouvel Observateur
Semaine du jeudi 1 juillet 2004 - n°2069 - Notre époque
«Techniquement, ce n’est pas très compliqué...»
L’homme qui répare les excisions
Depuis huit ans, le docteur Pierre Foldes opère bénévolement
des femmes au sexe mutilé. Une forme de renaissance pour
ces patientes, même si la reconquête du corps peut être
longue
Elle espérait surtout qu’il ne le remarquerait pas.
Un peu inquiète, elle s’est déshabillée,
tentant de se protéger de la lumière qui filtrait
par la fenêtre, dissimulant l’endroit de sa honte. Mais
il a vu. Et il le lui a tout de suite reproché : «Ah,
tu es coupée...» Déçu. Soudain plus froid.
«Coupée», elle l’avait été
à 6 ans, lors d’une cérémonie qu’enjolivent
encore ses souvenirs d’enfant. «J’étais
en blanc, j’ai eu des cadeaux, tout le monde a été
très gentil. Sur le coup, je n’ai pas eu très
mal.» Personne n’avait vraiment dit à Fatou,
ravissante jeune femme aujourd’hui âgée de 29
ans, en quoi consistait l’opération. Elle a compris
dix ans plus tard, après son arrivée en France, loin
de Kayes, cette région du Mali où 95% des petites
filles sont, comme elle, soumises à cette pratique.
A 16 ans, elle a son premier rapport sexuel et ne ressent absolument
rien. Un peu étonnée, elle consulte un gynécologue.
Qui lui dit : «Mais c’est normal: vous avez été
excisée.» «Personne ne m’avait jamais parlé
de sexualité, se souvient-elle. Même mes règles
me sont tombées dessus sans que j’en aie été
prévenue. Alors le clitoris…» Son amie Marie,
elle, l’a découvert en classe. Lors d’un cours
d’éducation sexuelle, le professeur dessine l’appareil
génital féminin. Marie se lève : «Mais
moi, madame, j’ai pas ça.» Au ridicule s’ajoutent
vite la gêne, puis l’explication.
Autour d’elles, c’est le silence. Avec leurs amies,
elles n’en parlent pas. Avec leurs mères, encore moins.
Fatou cherche, va jusqu’à regarder des films pornos
pour voir le fameux organe qui lui manque. Elle grandit avec le
sentiment d’être amputée. Ses amies lui racontent
les garçons, comparent leurs premiers orgasmes. Elle n’a
rien à avouer. «J’ai eu quatre petits amis, c’est
tout. Je n’ai pas confiance en moi.» Marie, adolescente,
multiplie les aventures, apprend à simuler, tombe enceinte,
un accouchement rendu difficile par sa mutilation. «Un jour,
à la télé, raconte Fatou, j’ai entendu
parler du docteur Foldes. J’ai foncé. »
Pierre Foldes.
Un corps de baroudeur, une voix douce, des mains robustes, ces mains
qui ont peut-être réussi le miracle. Depuis vingt-cinq
ans, ce chirurgien urologue de 51 ans, installé à
Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) et père de cinq enfants,
parcourt l’Asie et l’Afrique pour Médecins du
Monde. Au Burkina, il découvre les ravages de l’excision:
problèmes d’accouchement, cicatrices douloureuses,
rapports sexuels pénibles... Une patiente lui demande: «Mais
pourquoi est-ce qu’on ne peut pas nous réparer?»
«J’ai cherché dans des livres, raconte-t-il,
et je n’ai rien trouvé. Ce silence m’intrigue
encore aujourd’hui. Alors que le moindre problème touchant
la verge est résolu, personne n’a jamais essayé
de réparer les ravages de l’excision. Techniquement,
pourtant, la réponse n’est pas très compliquée.»
Mêlant son savoir chirurgical à sa connaissance de
la verge «le clitoris en est très proche» , Foldes
élabore une réparation. La patiente du Burkina sera
la première. Pour quel résultat? Un comité
d’évaluation, placé sous la direction de Marc
Ganem, président de la Société française
de Sexologie clinique, est en train d’être mis en place.
«Personne ne pensait que le clitoris pouvait être récupérable.
L’intuition de Foldes est géniale», dit-il. Les
gynécologues parisiens, encore sceptiques, continuent pourtant
d’expliquer aux femmes excisées qu’on ne peut
rien faire.
Fatou a été opérée le 10 mars, Marie,
le 12. La première clame la date comme elle fêterait
une renaissance. «J’avais raconté que j’avais
quelque chose aux ovaires. Je ne voulais pas que les gens soient
au courant. Mais aujourd’hui j’ai le sentiment d’être
entière. Quand je me regarde nue, mon sexe n’est plus
le même. Je l’ai même montré à toutes
mes copines.» Elle rit. Elle vit sans petit ami, a eu une
seule expérience sexuelle depuis l’opération.
«Je me sentais plus à l’aise. Avant, je tremblais,
j’étais rigide.» Le plaisir, celui dont lui parlaient
ses copines, ne l’a pas encore envahie. «Ce n’est
pas grave. Je ne suis pas pressée.» Marie, elle, n’a
pas essayé. «C’est comme si j’étais
à nouveau vierge. Je veux me garder pour une vraie histoire.»
Aissa, 22 ans, opérée il y a neuf mois, a repris une
vraie vie sexuelle. «Ça n’a rien à voir
avec avant. Maintenant, je vibre, je tremble en dedans. Des fois,
je me pince tellement c’est bon.» Elle en parle émerveillée,
avec des yeux vifs, gourmands. «Il ne faut pourtant pas croire
que tout se remet en place de façon purement mécanique,
prévient le docteur Foldes.
Les femmes excisées le sont aussi dans leur tête, après
une agression familiale souvent vécue aussi douloureusement
qu’un viol. La reconquête peut être longue, sans
forcément aboutir.» Près de 200 femmes sont
passées entre ses mains depuis huit ans. «Je ne suis
qu’un révélateur, précise-t-il. L’événement,
c’est qu’elles viennent.» Et de plus en plus nombreuses,
tant le bouche-à-oreille fonctionne, tant les «réparées»
se mettent soudain à parler. «Au début, personne
ne veut le croire. Moi non plus, je ne le voulais pas, continue
Marie. On nous a tellement répété que c’était
fini pour nous.» La génération des trentenaires
n’hésite guère. Les quadragénaires sont
plus rares. Au début, elles venaient pour combattre les douleurs
parfois très gênantes que leur causaient les cicatrices.
Puis se sont fait jour des revendications purement sexuelles. Mais
la demande la plus profonde est identitaire: redevenir une
vraie femme. «J’ai ouvert un tonneau de souffrance»,
dit le docteur.
Les opérations sont pratiquées à partir de
l’adolescence, pour des raisons à la fois physiologiques
et psychologiques, et sous anesthésie générale.
«Car avec une anesthésie locale, on prenait le risque
de faire revivre l’excision à la patiente», explique
Pierre Foldes. Depuis son retour de l’hôpital, Fatou
a parlé de sa «métamorphose». A sa mère,
qui n’a pas très bien pris la chose. A ses amies, qu’elle
pousse à la même démarche. Elle en a convaincu
deux, pas la troisième, qui lui a dit: «Je me suis
fait une raison. Il faut oublier ça.» Les maris commencent
eux aussi à venir jusqu’au bureau de Foldes. Comme
Amadolou, dont l’épouse va bientôt être
hospitalisée. «Il a envie tous les jours, et je ne
lui suffis plus, raconte-t-elle. Je ne réagis pas assez.»
Amadolou acquiesce. Oui, il voudrait que sa femme partage ses désirs.
«Je me sens souvent seul. Elle n’a pas envie et, du
coup, elle ne fait rien.» Il avoue avoir eu des maîtresses
pour pallier le manque d’enthousiasme de sa femme. Foldes
est débordé.
L’activité, qu’il exerce bénévolement,
lui prend maintenant un tiers de son temps, et les demandes continuent
d’affluer. Malgré les menaces qu’il reçoit
régulièrement, il est décidé à
porter le combat à un niveau supérieur. La Sécurité
sociale vient d’accepter le remboursement de l’opération.
Foldes a fait des démonstrations aux Etats-Unis, commence
à former des gens. Et il voyage en Afrique, rencontrant dans
plusieurs pays des membres de gouvernements africains. «Pour
parler et agir», conclut-il, persuadé que «le
silence aussi fait de nous des exciseurs».
Comment fait-on?
Le clitoris se prolonge sur plus de 10 centimètres le long
de l’os pubien, et les exciseuses n’en sectionnent que
le gland. L’idée de Pierre Foldes est de mettre au
jour cette partie enfouie, de libérer les ligaments qui la
retiennent au pubis et de la remettre à sa place pour former
une nouvelle protubérance dont les nerfs seront de nouveau
sensibles. Un gland clitoridien est ainsi reconstitué, puis
réimplanté. Il suffisait d’y penser.
Hubert Prolongeau
Foldes Pierre
Clinique Louis XIV
4 place Louis XIV
78100 St Germain en Laye
01 39 10 26 26
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