"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Débat avec René Berthier sur la révolution russe et ses 40 ans de militantisme
Vendredi 7 Décembre 2007 à B17 à Nantes
Compte rendu et sa réponse

Des leçons à tirer après comparaison entre la Russie et l’Espagne, puis de son expérience militante en France.

Le mot pouvoir a deux sens :
* le pouvoir hiérarchique sur des personnes, le pouvoir sur, celui-ci est à rejeter.
* le pouvoir comme capacité de faire, le pouvoir de, la puissance que nous devons développer.

La révolution, il n’y croit plus ou du moins elle semble difficile à envisager. Pourquoi ?

* Le capitalisme dans nos pays s’est montré plus intelligent qu’en Russie ou en Espagne. Dans ces deux pays, le capitalisme était brutal et un peu bête, il a provoqué des réactions violentes. Le capitalisme de nos pays est souple et récupère. Il lâche des miettes pour sauver l’essentiel, il intègre au système, c’est le cas pour les responsables syndicaux ou politiques et pour les intellectuels. Les classes moyennes participent au système. L’impérialisme permet de fonctionner ainsi.

* Les moyens du système sont bien plus importants que les nôtres : matériels, police, armée, surveillance, médias, relais dans la société, etc.

* Il y a bien des sortes de cycles avec montée des luttes et des périodes de régressions, du fascisme.

Pour développer notre puissance :

* Formation et transmission, former des militants-es solides, c’est à notre échelle de temps, à chaque génération.

* Réfléchir et expérimenter ce qu’on veut mettre en œuvre :
C’est la grosse différence entre la Russie et l’Espagne. Les espagnols savaient ce qu’ils voulaient faire et l’on fait immédiatement : collectiviser les terres et reprendre la production dans les usines, ce qui a permis de nourrir les villes et de fournir du matériel aux campagnes.
Les bolchéviks ont gagné politiquement, mais ne savaient quoi faire après. Le résultat : une catastrophe sociale et politique. Les bolcheviks ont fait plusieurs coups de force : Palais d’hiver, Cronstadt, ….. C’est pour cela que René Berthier parle du Thermidor russe.

Donc, à l’échelle de notre générations et des suivantes, avec une temporalité longue, il faut penser à l’utopie réaliste, à changer la vie dans le quotidien, montrer le possible pour savoir ce qu’on a à faire avec l’autogestion, le système est en crise.

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Dans le débat après son exposé :

Mener le combat de classe dans les syndicats, une nécessité.
Il y a d’autres combats : logement, précarité, apartheid social, immigration, sécuritaire, femmes, écologie, etc.
Convergence ? L’interclassisme une difficulté ?
Ce débat est esquissé, mais pas développé.

Participer aux mouvements. Mise en œuvre de nos idées. Autogestion, lieux de vie, etc.
Espaces et structures pour exister et être présents, les anars comme aiguillon moral et politique ?
Espaces et structures ? Est-ce contradictoire ? Est-ce complémentaire ?
Encore une fois, une discussion à peine entre ouverte.

Le besoin de s’organiser politiquement, le fédéralisme pour René Berthier. Les anars ont toujours une tendance à la division et ont des difficultés à organiser des groupes stables qui durent. La question du fonctionnement est toujours en discussion.

Continuité et pérennité politique, visibilité ? Est-ce que les libertaires sont capables de faire autre chose que du gauchisme activiste ?
Ce débat est évoqué, il n’a pas été plus loin.

Il y a forcément de l’autorité pour fonctionner et être efficace, on crée des institutions.

René Berthier se réfère à l’exemple de Gaston Leval, qui avait créé un centre de sociologie libertaire. Un homme intelligent et cultivé, selon lui, qui faisait de l’ombre aux dirigeants anars et qui était rejeté par les anars organisés.
René Berthier insiste sur la formation y compris marxiste, ce qui ne veut pas dire devenir ou être marxiste en politique, c’est un outil d’analyse critique. La théorie, c’est important pour lui.

Vérifier par nos pratiques notre politique.
Période de mouvement et périodes de non mouvement. Agir sur les conditions de possibilités. Importance des instances symboliques pour le système, pour le pouvoir et pour nous aussi.

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Après coup, ce qui me semble manquer au débat général :

Il s’agissait du déploiement d’une pensée moderne, de militants libertaires, plus très jeunes pour la plupart, qui discutaient de l’état de la lutte des classes et des orgas politiques. J’ai l’impression que les clivages et la bonne conscience de soi bloquent toujours l’avancée des débats.

1 / La prise en compte de la postmodernité est absente.
Les modèles de la modernité sont en échec. Le système a prolétarisé les consommateurs/trices pour se perpétuer durablement. La domination mentale est puissante, cet aspect du système ne doit pas être négligé, à mon avis.
Nous sommes dans une nouvelle période. Le système prend toute la vie. L’existentiel est en jeu. Le système capte le désir pour réaliser la plus value. Les médias créent le monde. La surveillance est devenue autonome, etc…

2 / L’incapacité à mettre en discussion le lien entre les idées et les actes.
L’implication réelle et l’existentiel n’est pas interrogée pour nous-mêmes.
Par exemple, on se plaint d’être seulement une dizaine. Mais aucun des chefs libertaires présents ne constate que les personnes de son réseau sont absentes et se questionne sur ce point. Rien pour voir si on est pour quelque chose dans cette situation et ce qu’on pourrait faire pour y remédier.

René Berthier insiste à plusieurs reprises sur la formation et la transmission, sur la nécessité pour les anars, les libertaires d’avoir des militants/es formés/ées et expérimentés/ées. C’est indispensable pour pouvoir agir dans les mouvements. C’était ce genre de faiblesse, qui existait en Russie, moins en Espagne.

3 / La dimension écologique est absente du débat, sans doute parce que c’est interclassiste, et / ou à cause d’une vision ancienne de la situation réelle du système.

4 / L’impossibilité de prendre en compte la complexité et les multiplicités des situations du présent, ou alors on se plaint et on admet notre impuissance.
C’est le cas pour le devenir consumériste général, y compris chez nous.
Absence de questionnement sur l’image et la représentation et de fait sur le spectaculaire marchand, qui accompagne nos activités.
Absence de réflexion sur la subjectivité, sur le lien individuel / collectif.
Pas de discussion sur les conditions de possibilités pour que la politique libertaire ou anar existe et se développe.

Quand René Berthier partage son expérience et pose la question de la transmission, en général on répond avec son existentiel en utilisant des phrases générales et politiques. C’est vrai, le discours de façade est politique, parfois politicien. Mais rien n’est tenté pour voir les désirs à l’œuvre. Ceci me semble nécessaire, si on veut sortir de l’impuissance et de la tristesse, si on admet que la plainte n’amène jamais rien de positif, et que nos postures sont problématiques.

René Berthier parle d’inventer quelque chose de nouveau, qui concerne notre façon de faire de la politique. Il situe sa recherche dans une temporalité longue de plusieurs générations. Il met en discussion ses doutes, ses conclusions sur les révolutions russes et espagnoles et sur son expérience militante. Ceci questionne nos pratiques, nos idées, notre cadre mental. Cette expression est importante pour lui, il l’a employé plusieurs fois. Evidemment, il dit qu’il n’a pas de solutions, qu’il ne sait pas comment résoudre ces difficultés, mais il affirme haut et fort qu’il faut y réfléchir.
Je pense qu’il faut prendre au sérieux les interrogations de René Berthier. Je le remercie pour ces apports et ces ouvertures. C’est une mise en débat de points fondamentaux.

Philippe Coutant Nantes le 9 Décembre 2007

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Salut Philippe,

Je voudrais faire quelques commentaires.

Lorsqu’on s’exprime oralement on a parfois du mal à éviter certaines ambiguïtés ou approximations, et on est mal compris.

Par exemple, lorsque tu dis :

« La révolution, il n’y croit plus ou du moins elle semble difficile à envisager. »

Ce n’est pas que je ne crois pas à la révolution. La révolution n’est pas une chose à laquelle on croit, c’est quelque chose qui arrive ou qui n’arrive pas, tout simplement, et dont la survenue dépend d’une multiplicité de déterminations. C’est donc quelque chose de parfaitement aléatoire.

La question n’est donc pas de croire à la révolution, comme d’autres attendent le jugement dernier, la question est de savoir

1. Ce qu’on sera en mesure de faire si un jour elle survient, et de quelles forces nous disposerons.

2. Quel est le degré de préparation de la « population laborieuse » (le terme est volontairement vague) face aux tâches de construction d’une société nouvelle.

Il n’est pas nécessaire d’être devin pour dire qu’aujourd’hui nous ne disposerons d’aucune force, et que la « population laborieuse » n’est absolument pas préparée ni disposée à rebâtir quoi que ce soit.

Deuxième point :

J’ai voulu expliquer que dans une phase aujourd’hui dépassée du développement capitaliste en Europe, le patronat et l’Etat étaient dans des dispositions telles qu’ils ne lâchaient rien au prolétariat, ce qui justifiait une activité radicale dans les rangs du prolétariat, parce que c’était la seule façon de faire plier les patrons.

Ensuite, l’Etat et les patrons ont compris que c’était beaucoup plus efficace de lâcher un peu de lest sans lâcher l’essentiel, pour payer la paix sociale.

Le réformisme ne se fonde pas seulement sur les méchants bureaucrates syndicaux et politiques qui trahissent la cause révolutionnaire pour un plat de lentilles, il se fonde sur le fait qu’à un certain moment il est devenu possible de négocier.

Troisième point :

Dans l’état actuel où se trouve le mouvement libertaire, si c’est bien de ça qu’on parle, reconstituer une force opérationnelle nécessite une planification sur au moins deux générations. Il faut donc mener une réelle réflexion sur cette question, qui puisse inclure la formation politique, économique des militants.

Il est donc impératif d’abandonner, au moins pour une part, l’hyper-activité des militants qui se dispersent dans des activités au jour le jour, au coup par coup, sans perspective ni plan d’ensemble et à long terme.

Quatrième point :

On sent bien qu’on est dans une période de reflux. En soi, ce n’est pas tragique, c’est déjà arrivé. Beaucoup de militants sont désemparés, pas seulement dans le mouvement libertaire.

C’est la même chose dans les chapelles trotskistes : Lutte ouvrière, qui n’est qu’une chapelle populiste, en est arrivé à envisagé des alliances électorales avec le PS ; la Ligue communiste, qui n’a jamais cessé d’être ce qu’elle est, une organisation menchevique, veut se placer sur l’échiquier électoral. Les lambertistes font de la social-démocratie de gauche.

Je pense que le mouvement libertaire pourrait en profiter pour se positionner sur un terrain où il est en général bon, mais dont il a oublié qu’il était bon ; c’est, contre ceux qui se posent en « contre-Etat », de se poser en « contre-société ».

Voilà quelques réflexions sur tes réflexions.

Amicalement

René Berthier
12 Décembre 2007