Des leçons à tirer après comparaison entre
la Russie et l’Espagne, puis de son expérience militante
en France.
Le mot pouvoir a deux sens :
* le pouvoir hiérarchique sur des personnes, le pouvoir sur,
celui-ci est à rejeter.
* le pouvoir comme capacité de faire, le pouvoir de, la puissance
que nous devons développer.
La révolution, il n’y croit plus ou du moins elle
semble difficile à envisager. Pourquoi ?
* Le capitalisme dans nos pays s’est montré plus intelligent
qu’en Russie ou en Espagne. Dans ces deux pays, le capitalisme
était brutal et un peu bête, il a provoqué des
réactions violentes. Le capitalisme de nos pays est souple
et récupère. Il lâche des miettes pour sauver
l’essentiel, il intègre au système, c’est
le cas pour les responsables syndicaux ou politiques et pour les
intellectuels. Les classes moyennes participent au système.
L’impérialisme permet de fonctionner ainsi.
* Les moyens du système sont bien plus importants que les
nôtres : matériels, police, armée, surveillance,
médias, relais dans la société, etc.
* Il y a bien des sortes de cycles avec montée des luttes
et des périodes de régressions, du fascisme.
Pour développer notre puissance :
* Formation et transmission, former des militants-es solides, c’est
à notre échelle de temps, à chaque génération.
* Réfléchir et expérimenter ce qu’on
veut mettre en œuvre :
C’est la grosse différence entre la Russie et l’Espagne.
Les espagnols savaient ce qu’ils voulaient faire et l’on
fait immédiatement : collectiviser les terres et reprendre
la production dans les usines, ce qui a permis de nourrir les villes
et de fournir du matériel aux campagnes.
Les bolchéviks ont gagné politiquement, mais ne savaient
quoi faire après. Le résultat : une catastrophe sociale
et politique. Les bolcheviks ont fait plusieurs coups de force :
Palais d’hiver, Cronstadt, ….. C’est pour cela
que René Berthier parle du Thermidor russe.
Donc, à l’échelle de notre générations
et des suivantes, avec une temporalité longue, il faut penser
à l’utopie réaliste, à changer la vie
dans le quotidien, montrer le possible pour savoir ce qu’on
a à faire avec l’autogestion, le système est
en crise.
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Dans le débat après son exposé :
Mener le combat de classe dans les syndicats, une nécessité.
Il y a d’autres combats : logement, précarité,
apartheid social, immigration, sécuritaire, femmes, écologie,
etc.
Convergence ? L’interclassisme une difficulté ?
Ce débat est esquissé, mais pas développé.
Participer aux mouvements. Mise en œuvre de nos idées.
Autogestion, lieux de vie, etc.
Espaces et structures pour exister et être présents,
les anars comme aiguillon moral et politique ?
Espaces et structures ? Est-ce contradictoire ? Est-ce complémentaire
?
Encore une fois, une discussion à peine entre ouverte.
Le besoin de s’organiser politiquement, le fédéralisme
pour René Berthier. Les anars ont toujours une tendance à
la division et ont des difficultés à organiser des
groupes stables qui durent. La question du fonctionnement est toujours
en discussion.
Continuité et pérennité politique, visibilité
? Est-ce que les libertaires sont capables de faire autre chose
que du gauchisme activiste ?
Ce débat est évoqué, il n’a pas été
plus loin.
Il y a forcément de l’autorité pour fonctionner
et être efficace, on crée des institutions.
René Berthier se réfère à l’exemple
de Gaston Leval, qui avait créé un centre de sociologie
libertaire. Un homme intelligent et cultivé, selon lui, qui
faisait de l’ombre aux dirigeants anars et qui était
rejeté par les anars organisés.
René Berthier insiste sur la formation y compris marxiste,
ce qui ne veut pas dire devenir ou être marxiste en politique,
c’est un outil d’analyse critique. La théorie,
c’est important pour lui.
Vérifier par nos pratiques notre politique.
Période de mouvement et périodes de non mouvement.
Agir sur les conditions de possibilités. Importance des instances
symboliques pour le système, pour le pouvoir et pour nous
aussi.
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Après coup, ce qui me semble manquer au débat général
:
Il s’agissait du déploiement d’une pensée
moderne, de militants libertaires, plus très jeunes pour
la plupart, qui discutaient de l’état de la lutte des
classes et des orgas politiques. J’ai l’impression que
les clivages et la bonne conscience de soi bloquent toujours l’avancée
des débats.
1 / La prise en compte de la postmodernité est absente.
Les modèles de la modernité sont en échec.
Le système a prolétarisé les consommateurs/trices
pour se perpétuer durablement. La domination mentale est
puissante, cet aspect du système ne doit pas être négligé,
à mon avis.
Nous sommes dans une nouvelle période. Le système
prend toute la vie. L’existentiel est en jeu. Le système
capte le désir pour réaliser la plus value. Les médias
créent le monde. La surveillance est devenue autonome, etc…
2 / L’incapacité à mettre en discussion le
lien entre les idées et les actes.
L’implication réelle et l’existentiel n’est
pas interrogée pour nous-mêmes.
Par exemple, on se plaint d’être seulement une dizaine.
Mais aucun des chefs libertaires présents ne constate que
les personnes de son réseau sont absentes et se questionne
sur ce point. Rien pour voir si on est pour quelque chose dans cette
situation et ce qu’on pourrait faire pour y remédier.
René Berthier insiste à plusieurs reprises sur la
formation et la transmission, sur la nécessité pour
les anars, les libertaires d’avoir des militants/es formés/ées
et expérimentés/ées. C’est indispensable
pour pouvoir agir dans les mouvements. C’était ce genre
de faiblesse, qui existait en Russie, moins en Espagne.
3 / La dimension écologique est absente du débat,
sans doute parce que c’est interclassiste, et / ou à
cause d’une vision ancienne de la situation réelle
du système.
4 / L’impossibilité de prendre en compte la complexité
et les multiplicités des situations du présent, ou
alors on se plaint et on admet notre impuissance.
C’est le cas pour le devenir consumériste général,
y compris chez nous.
Absence de questionnement sur l’image et la représentation
et de fait sur le spectaculaire marchand, qui accompagne nos activités.
Absence de réflexion sur la subjectivité, sur le lien
individuel / collectif.
Pas de discussion sur les conditions de possibilités pour
que la politique libertaire ou anar existe et se développe.
Quand René Berthier partage son expérience et pose
la question de la transmission, en général on répond
avec son existentiel en utilisant des phrases générales
et politiques. C’est vrai, le discours de façade est
politique, parfois politicien. Mais rien n’est tenté
pour voir les désirs à l’œuvre. Ceci me
semble nécessaire, si on veut sortir de l’impuissance
et de la tristesse, si on admet que la plainte n’amène
jamais rien de positif, et que nos postures sont problématiques.
René Berthier parle d’inventer quelque chose de nouveau,
qui concerne notre façon de faire de la politique. Il situe
sa recherche dans une temporalité longue de plusieurs générations.
Il met en discussion ses doutes, ses conclusions sur les révolutions
russes et espagnoles et sur son expérience militante. Ceci
questionne nos pratiques, nos idées, notre cadre mental.
Cette expression est importante pour lui, il l’a employé
plusieurs fois. Evidemment, il dit qu’il n’a pas de
solutions, qu’il ne sait pas comment résoudre ces difficultés,
mais il affirme haut et fort qu’il faut y réfléchir.
Je pense qu’il faut prendre au sérieux les interrogations
de René Berthier. Je le remercie pour ces apports et ces
ouvertures. C’est une mise en débat de points fondamentaux.
Philippe Coutant Nantes le 9 Décembre 2007
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Salut Philippe,
Je voudrais faire quelques commentaires.
Lorsqu’on s’exprime oralement on a parfois du mal à
éviter certaines ambiguïtés ou approximations,
et on est mal compris.
Par exemple, lorsque tu dis :
« La révolution, il n’y croit plus ou du moins
elle semble difficile à envisager. »
Ce n’est pas que je ne crois pas à la révolution.
La révolution n’est pas une chose à laquelle
on croit, c’est quelque chose qui arrive ou qui n’arrive
pas, tout simplement, et dont la survenue dépend d’une
multiplicité de déterminations. C’est donc quelque
chose de parfaitement aléatoire.
La question n’est donc pas de croire à la révolution,
comme d’autres attendent le jugement dernier, la question
est de savoir
1. Ce qu’on sera en mesure de faire si un jour elle survient,
et de quelles forces nous disposerons.
2. Quel est le degré de préparation de la «
population laborieuse » (le terme est volontairement vague)
face aux tâches de construction d’une société
nouvelle.
Il n’est pas nécessaire d’être devin pour
dire qu’aujourd’hui nous ne disposerons d’aucune
force, et que la « population laborieuse » n’est
absolument pas préparée ni disposée à
rebâtir quoi que ce soit.
Deuxième point :
J’ai voulu expliquer que dans une phase aujourd’hui
dépassée du développement capitaliste en Europe,
le patronat et l’Etat étaient dans des dispositions
telles qu’ils ne lâchaient rien au prolétariat,
ce qui justifiait une activité radicale dans les rangs du
prolétariat, parce que c’était la seule façon
de faire plier les patrons.
Ensuite, l’Etat et les patrons ont compris que c’était
beaucoup plus efficace de lâcher un peu de lest sans lâcher
l’essentiel, pour payer la paix sociale.
Le réformisme ne se fonde pas seulement sur les méchants
bureaucrates syndicaux et politiques qui trahissent la cause révolutionnaire
pour un plat de lentilles, il se fonde sur le fait qu’à
un certain moment il est devenu possible de négocier.
Troisième point :
Dans l’état actuel où se trouve le mouvement
libertaire, si c’est bien de ça qu’on parle,
reconstituer une force opérationnelle nécessite une
planification sur au moins deux générations. Il faut
donc mener une réelle réflexion sur cette question,
qui puisse inclure la formation politique, économique des
militants.
Il est donc impératif d’abandonner, au moins pour
une part, l’hyper-activité des militants qui se dispersent
dans des activités au jour le jour, au coup par coup, sans
perspective ni plan d’ensemble et à long terme.
Quatrième point :
On sent bien qu’on est dans une période de reflux.
En soi, ce n’est pas tragique, c’est déjà
arrivé. Beaucoup de militants sont désemparés,
pas seulement dans le mouvement libertaire.
C’est la même chose dans les chapelles trotskistes
: Lutte ouvrière, qui n’est qu’une chapelle populiste,
en est arrivé à envisagé des alliances électorales
avec le PS ; la Ligue communiste, qui n’a jamais cessé
d’être ce qu’elle est, une organisation menchevique,
veut se placer sur l’échiquier électoral. Les
lambertistes font de la social-démocratie de gauche.
Je pense que le mouvement libertaire pourrait en profiter pour
se positionner sur un terrain où il est en général
bon, mais dont il a oublié qu’il était bon ;
c’est, contre ceux qui se posent en « contre-Etat »,
de se poser en « contre-société ».
Voilà quelques réflexions sur tes réflexions.
Amicalement
René Berthier
12 Décembre 2007
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