|
Origine : échange mail avec l'auteur Je dédie
ce travail à mon vieil et irremplaçable ami, aujourd’hui
disparu, Jacky Toublet, qui m’a embringué dans cette
affaire.
J’AI TROUVE au Forum social libertaire un document intitulé
« La CFDT et le syndicalisme révolutionnaire (1968-2000)
», sans nom d’auteur, en quatre petites brochures publiées
par le Courant syndicaliste révolutionnaire 1 .
Ce document, qui m’a replongé dans l'ambiance du début
des années 70, à l’époque où j’avais
25 ans, est tout à fait intéressant. Il y est souvent
fait mention de l’Alliance syndicaliste ; or il se trouve
que j’ai participé, avec quelques copains, aux tout
débuts de ce groupe, qui est souvent mentionné dans
le texte. J'ai vécu et été témoin de
la plupart des événements qui sont évoqués,
et d’autres, qui ne le sont pas. Cependant, je ferai, sur
la brochure, un commentaire un peu critique. L'optique de l'auteur
sur le syndicalisme révolutionnaire est un peu dogmatique.
1. L’auteur parle du syndicalisme révolutionnaire
dans l’abstrait, d’un syndicalisme révolutionnaire
un peu idyllique, mais à chaque fois qu’il parle
d’une activité concrète qualifiée par
lui de « syndicaliste révolutionnaire », il
parle, sans peut-être le savoir, de l’Alliance syndicaliste
(Alliance syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste,
de son vrai nom). L’Alliance était en réalité
une organisation anarcho-syndicaliste dont l’origine était
fortement ancrée dans le mouvement libertaire.
2. Son discours apologétique sur un syndicalisme révolutionnaire
mythique cache mal un regret évident concernant les racines
libertaires de l’Alliance syndicaliste, dont les échecs
ou les carences, parfois réelles mais souvent supposées,
sont explicitement ou implicitement attribués à
ces racines libertaires, alors même que sans ces racines
libertaires il n’y aurait pas eu d’Alliance syndicaliste
et donc pratiquement rien à dire sur l’activité
« SR » dans la CFDT.
Un autre commentaire : les militants qui ont fait vivre l’Alliance
étaient certes jeunes. Mais par « jeune » je
n’entends pas 17-20 ans mais 25-30. Ce n’est pas pareil.
Ils n’étaient pas dépourvus d’expérience
syndicale : beaucoup avaient un mandat syndical. Mais les anciens
n’étaient pas absents non plus. Avec nous se trouvaient
d’anciens de la CGT-SR, de vieux militants de la CGT et des
militants de la CNT espagnole. Certes, ils étaient minoritaires
– l’Alliance n’était pas un club d’anciens
combattants – mais ils étaient, croyez-moi, très
présents, et leur expérience nous a été
très précieuse. Julien Toublet, ancien de la CGT-SR,
Georges Yvernel qui avait été militant des Cercles
syndicalistes lutte de classe, à la CGT puis à la
CNT, André Devriendt, de la CGT, et d’autres. Je voudrais
faire une mention toute particulière à Antonio Barranco,
ancien responsable cheminot de la CNT espagnole, qui a été
avec nous en permanence.
Je ferai également une mention spéciale à
Gaston Leval, pour d’autres raisons, sur lesquelles je reviendrai.
Il reste que ces quatre brochures, qui forment un tout, sont très
intéressantes, et j’encourage tous ceux que cette période
intéresse à les lire.
L’introduction à cette brochure fait « le constat
que cette histoire collective, ce bilan militant n’ont pas
été réalisés par les syndicalistes qui
se reconnaissent dans ce courant. Cela tient à notre isolement
mais aussi à l’éparpillement des sources et
des archives ».
C’est vrai que les militants de l’Alliance n’ont
pas rédigé l’histoire, ni fait le bilan écrit
de leur expérience. Cela ne tient cependant pas du tout à
leur isolement ni à l’éparpillement des archives.
Ces dernières se trouvent réunies chez un petit nombre
de camarades. Quant à mettre l’absence de bilan écrit
sur le compte de l’isolement des camarades, ce n’est
pas exact. Nombre de militants de l’Alliance après
la dissolution de celle-ci continuent de se voir ; la plupart des
militants de l’Alliance, après sa dissolution vers
1980, ont continué une activité syndicale et politique.
La quasi-totalité des militants parisiens de l’Alliance,
qu’ils aient été à la CFDT ou à
la CGT, se sont retrouvés au groupe Pierre-Besnard de la
Fédération anarchiste. C’est plutôt la
continuation de l’activité militante qui explique l’absence
de bilan : le manque de temps. Cette brochure n’en a que plus
de valeur : son auteur a fait un travail rigoureux dans lequel sont
absentes les considérations subjectives qui n’auraient
pas manqué de figurer dans un texte fait par un ou plusieurs
militants de l’ex-Alliance.
Je ne parlerai donc ici que de l'Alliance syndicaliste, sur laquelle
l'auteur semble assez bien documenté. Serge Aumenier, fréquemment
cité, était un copain de l'Alliance, ainsi que Jacky
Toublet, beaucoup moins cité. Jacky faisait partie des fondateurs
de l'Alliance. Vladimir Charof était également un
des fondateurs de l'Alliance et militant de l'UD de Gironde. Hugues
Lenoir et Hélène Hernandez, cités également,
sont des copains qui étaient à la CNT et qu'on a retrouvés
dans le groupe Pierre-Besnard de la FA, après la dissolution
de l’Alliance. On pourrait citer également Alain Pécunia,
très lié au mouvement libertaire espagnol, et qui
a joué un rôle décisif dans la constitution
du Comité Espagne libre.
Si, dans le nom complet de l’Alliance figurait le terme «
syndicaliste révolutionnaire », la référence
à ce courant restait très formelle sauf si on l’entend
dans son acception espagnole. Les militants de l'Alliance se considéraient
en fait beaucoup plus comme des anarcho-syndicalistes que comme
des syndicalistes révolutionnaires. Très rapidement,
la réflexion collective nous a poussés à remettre
en cause la référence à la Charte d’Amiens
et à nous réclamer de la Charte de Lyon de la CGT-syndicaliste
révolutionnaire (CGT-SR) qui, malgré son nom, était
anarcho-syndicaliste.
L'Alliance syndicaliste s'est constituée au lendemain des
grèves de mai 68 lorsque nombre de syndicalistes libertaires
ont fait le constat de l'échec du mouvement libertaire à
s'organiser efficacement lors de ces grèves. L'initiative
vient donc du mouvement libertaire lui-même, et plus particulièrement
de la partie syndicaliste du mouvement. Au début, tous ne
se définissaient d'ailleurs pas comme anarcho-syndicalistes,
certains étaient tout simplement des anarchistes qui avaient
une activité syndicale. Au début, dans les réunions
de constitution du groupe, il y avait d'ailleurs des militants de
la FA, notamment parmi les plus anciens et les plus en vue (des
militants « historiques », dirait-on), de Paris et de
Bordeaux, et qui étaient pour l'essentiel à FO. Au
risque de surprendre, Maurice Joyeux et Suzie Chevet ont donné
leur « bénédiction » aux débuts
de l'Alliance, mais ces deux camarades ne s’en sont pas occupés
une fois qu'elle a été « lancée ».
Certains militants ont vite fait de comprendre l'enjeu d'une telle
initiative et nous avons dû réagir vigoureusement pour
ne pas devenir, par l'intermédiaire d'Alexandre Hébert,
une sorte d'antenne FO de la pseudo-tendance anarcho-syndicaliste
de l'OCI 2 . La tentative a heureusement échoué.
1.
L'auteur de la brochure note à juste titre que l'Alliance
syndicaliste s'était livrée à un travail de
réflexion et d'élaboration théoriques. Une
partie des militants parisiens de l'Alliance était passée
par le Centre de sociologie libertaire de Gaston Leval. C'est d'ailleurs
là que j'ai rencontré Jacky Toublet, qui m'a embringué
dans l'aventure, et je dois dire que je ne l’ai jamais regretté.
La préoccupation de Leval était d'assurer aux militants
libertaires une solide formation théorique. Il insistait
particulièrement sur la nécessité d’acquérir
un savoir en économie. Il était également désespéré
de l’ignorance des anarchistes devant l’histoire du
mouvement ouvrier. Le salon du boulevard Edgar-Quinet était
tapissé de livres, qui débordaient sur les meubles
et s’entassaient par terre. Gaston avait rempli pendant quarante
ans des fiches qu’il rangeait dans des boîtes.
Nous avons tous gardé un souvenir ému et reconnaissant
des réunions chez lui, autour de la table du salon, où
nous faisions entre autres choses des exposés (si, si...).
Les blancs-becs que nous étions pensions tout savoir. Nous
pensions en particulier qu’une affirmation péremptoire
pouvait tenir lieu d’argument. Avec Gaston, la moindre approximation
ou affirmation non fondée solidement était vouée
aux foudres du maître. Notre ego en prenait un sacré
coup. La choucroute de Marguerite, sa compagne – une Alsacienne
–, venait parfois calmer nos blessures d'amour-propre.
Nous avons fini par rompre avec Leval, parce qu'il pensait que
nous n’étions pas assez formés ; nous étions,
quant à nous, pressés d’agir. Nous sommes partis.
Il faut bien que les enfants contestent un jour leur père.
Mais on peut dire que les copains qui sont passés par sa
bienveillante mais ferme tutelle se sont trouvés par la suite
particulièrement bien armés.
Gaston disait fréquemment qu'« on ne fait pas de bons
militants avec des ignorants ». On a retenu la leçon.
Combien de fois n’avons-nous pas vu par la suite des militants
anarchistes incapables, par ignorance, de répliquer à
une attaque ?
C'est donc incontestablement l'héritage libertaire de Gaston
Leval qui est passé à l'Alliance, pour ce qui concerne
la préoccupation de notre organisation à développer
une réflexion théorique. Je ne ferai pas l'injure
au lecteur de lui rappeler qui est Gaston Leval 3 , je dirai simplement
que ses liens avec l'anarcho-syndicalisme espagnol ne sont pas à
démontrer.
2.
Concernant la référence au syndicalisme révolutionnaire,
nous faisions une différence entre le sens français
et le sens espagnol du terme, et nous adhérions à
l'acception espagnole.
Les militants de la CNT espagnole se définissaient comme
syndicalistes révolutionnaires. Le communisme libertaire
était l'objectif, le syndicalisme révolutionnaire
était le moyen. Ils avaient été influencés
par les positions de la CGT-SR et connaissaient bien les textes
de Pierre Besnard 4 .
Dans le sens français du terme, le syndicalisme révolutionnaire
était un courant proche, mais qui pêchait par le fait
qu'il se fondait sur la « neutralité » syndicale,
sur l'« indépendance » syndicale, tandis que
l'anarcho-syndicalisme était, à nos yeux, une doctrine
d'affirmation syndicale contre les partis politiques.
La charte d’Amiens a été le texte de référence
lors de la constitution de l’Alliance ; cela est très
clair lorsqu’on lit le « Manifeste de l’Alliance
syndicaliste », qui était notre document de base, au
début. C’était l’époque où
nous pensions pouvoir regrouper l’ensemble des militants syndicalistes
libertaires ou de sensibilité libertaire et où notre
projet se limitait à vouloir créer une coordination
de ces militants au-delà de leur appartenance syndicale.
Confrontés à la réalité, nous avons
peu à peu commencé à en faire une analyse critique
et elle a fini par cesser d’être une référence
particulière. En 1906, la charte d’Amiens est un texte
de compromis de différentes tendances unies contre le guesdisme,
un texte dans lequel chacun peut s’y retrouver, mais la notion
de neutralité syndicale qui s’en dégage peut
être interprétée comme une affirmation de non-intervention
sur le terrain politique.
L'idée de neutralité syndicale exprimait alors le
désir de maintenir une unité organique malgré
la pluralité des courants politiques. Mais inévitable¬ment,
la logique des faits devait conduire à des prises de position
plus tran¬chées de la part du syndicalisme révolutionnaire,
car la re¬cherche à tout prix d'un consensus conduisait
à une édul¬coration des principes du mouve¬ment.
Il n'y a par exemple rien, dans la charte d'Amiens, sur la lutte
contre l'Etat ni sur les illusions du parlementarisme.
La charte d'Amiens était donc pour nous un texte de compromis,
en aucun cas un manifeste syndicaliste révolutionnaire ou
anarcho-syndicaliste. Les adversaires de ces courants ont d'ailleurs
parfaitement compris l'enjeu de ce texte, en l'interprétant
comme une défaite de l'anarcho-syndicalisme dans la CGT.
Edouard Vaillant (socialiste, député à partir
de 1893) dira à juste titre que le congrès d'Amiens
fut une victoire sur les anarchistes ; Victor Renard, lui, dira
plus trivialement que « les anar¬chistes qui prédominent
à la CGT ont consenti à se mettre une muselière
».
Nous étions donc plutôt partisans de la charte de
Lyon (1926). Notre syndicalisme révolutionnaire était
celui de la CGT-SR, qui affirmait la nécessité pour
le syndicalisme non seulement de se développer hors des partis
politiques, mais contre eux. Cette attitude est en quelque sorte
l'écho des 21 conditions d'admission à l'In¬ternationale
communiste, qui préconisaient notamment la constitution de
fractions communis¬tes dans les syndicats afin d'en prendre
la direction. La charte de Lyon de la CGT-SR affirme que le syndicalisme
est « le seul mouvement de classe des travailleurs »
: « L'opposition fondamentale des buts poursuivis par les
partis et les groupements qui ne re¬connaissent pas au syndicalisme
son rôle essentiel, force également la CGT-SR à
cesser d'observer à leur égard la neutralité
syndicale, jusqu'ici tradition¬nelle ». C’était
la position des camarades espagnols.
Il est faux de dire qu’il n’y avait pas d’«
anciens » à l’Alliance. Ceux qui étaient
avec nous étaient précisément des anciens de
la CGT-SR et, pour ce qui est des Espagnols, des militants de la
CNT liés à Frente Libertario. L’Alliance était
très liée à ces deux expériences historiques.
3.
L’auteur de la brochure présente comme un handicap
le fait que l'Alliance n'ait pas abandonné sa référence
à l'anarcho-syndicalisme. Pour nous, l'anarcho-syndicalisme
était une référence historique incontournable
au mouvement ouvrier du début du siècle. Nous estimions
ne pas avoir à rougir de nous réclamer de l'héritage
de Fernand Pelloutier et d'Emile Pouget.
Ceux d'entre nous qui étaient à la CGT 5 savaient
parfaitement que la référence à l'anarcho-syndicalisme
avait un réel impact : malgré les désaccords,
personne ne contestait la légitimité historique de
ce courant, ce qui n'était pas le cas des trotskistes, assimilés
à des intellectuels petits-bourgeois. Par ailleurs, les déclarations
d'Edmond Maire, parfaitement opportunistes, cela va de soi, sur
la proximité de la CFDT avec l'anarcho-syndicalisme, étaient
de toute évidence une tentative d'inscrire cette confédération
dans la légitimité historique du mouvement ouvrier.
La référence à l'anarcho-syndicalisme n'était
pas pour nous un handicap, au contraire.
Ce qui ne nous empêchait pas d'être extrêmement
critiques sur l'incapacité de nos anciens à s'organiser
pour faire front à la bolchevisation de la CGT – critique
qui valait également pour les syndicalistes révolutionnaires.
Après la révolution russe, nos anciens se sont trouvés
face à une pratique qu’ils ne connaissaient pas, les
fractions 6 . Les communistes s’organisaient en dehors du
mouvement syndical pour déterminer les positions qu’ils
développeraient dans les structures syndicales ; ils arrivaient
ainsi dans les réunions en s’étant préparés
: quelques militants organisés parvenaient à prendre
le contrôle de l’organisation. Les anarcho-syndicalistes
et les syndicalistes révolutionnaires n’ont pas su
faire face à cette pratique inédite, ni trouver de
contre-mesures.
C'est en référence à cet échec de nos
anciens que nous avons eu l'idée de créer des «
contre-fractions » pour faire face aux trotskistes. Ça
s'est révélé très efficace. Lorsque
nous pensions qu’à l’occasion d’une assemblée
générale nous risquions d’avoir à faire
face à une offensive d’un quelconque groupe gauchiste,
nous organisions une réunion préparatoire des libertaires
pour préparer la contre-offensive, mettre au point des contre-motions
etc. L'une des raisons de cette efficacité résidait
dans le fait que les trotskistes ne pensaient pas que les «
anars » étaient capables de ça...
Il est significatif que la pratique de la « contre-fraction
» a été mise en œuvre pour la première
fois, et avec succès, dans un syndicat de la CGT.
« Une des choses les plus originales que nous avons inventées,
c’est la pratique de la contre-fraction. Qu’est-ce
qu’une contre-fraction ? Dans une organisation syndicale
où des fractions politiques tentent de monopoliser les
postes de direction, c’est proposer aux adhérents
de constituer une structure plus ou moins clandestine d’opposition
avec comme objectif de rétablir la démocratie et
le pluralisme syndicaux ; dans cette contre-fraction, les anarcho-syndicalistes
sont le noyau et ils s’emploient sans cesse à développer
la surface de la contre-fraction, en faisant appel à tous
ceux qui veulent que le syndicat appartienne aux syndiqués
et non au PCF ou à la LCR ou encore à la social-démocratie
chrétienne. Il ne s’agit nullement d’une fraction
anarchiste ; elle n’a pas de programme anarchiste, mais
une plate-forme de rétablissement de la démocratie,
des élections pour les postes de responsabilité,
des assemblées générales pour gérer
les luttes et discuter des accords 7 . » (Jacky Toublet,
interview de Franck Poupeau, archives J. Toublet.)
Dans tout ça, le modèle sur lequel nous nous appuyions
était celui de l’Alliance bakouninienne – autre
référence à l'anarchisme : une organisation
qui impulse des actions et des idées mais qui ne se substitue
pas aux travailleurs. Je ne pense pas que l’emploi du mot
« Alliance » dans le nom de notre organisation ait été
fortuit.
4.
Si nous nous définissions comme anarcho-syndicalistes, la
plupart d'entre nous, en tout cas à Paris, ne se définissaient
pas du tout comme des anarchistes. Nous avions à l’époque
la même défiance envers les organisations anarchistes
qu'envers les partis. Opposés à la séparation
entre organisation de classe et organisation politique, nous estimions
que l'organisation anarchiste participait de cette même division
du travail. La lecture de Solidarité ouvrière révèle
des articles très critiques sur Malatesta et Kropotkine 8
.
D'ailleurs, nos relations avec la FA étaient devenues très
mauvaises. Certains de ses militants s’efforçaient
à donner de nous une image apocalyptique de dangereux bolcheviks
manipulateurs qui n'avaient qu'une envie, prendre le contrôle
de la FA. L'anti-alliancisme de la FA frisait la paranoïa la
plus délirante. Un militant de cette organisation eut un
jour l'imprudence de laisser bien en vue sur le siège avant
de sa voiture, garée dans le XVIIIe arrondissement, le magnétophone
contenant les bandes magnétiques d'un congrès de la
FA. Bien entendu, le magnétophone fut volé. Dans le
bulletin intérieur de la FA, la main sournoise de l'Alliance
fut désignée comme responsable de ce forfait.
L’Alliance avait également auprès de la FA
la réputation d’être « marxiste »,
ou crypto-marxiste. Cela tenait au fait que nous avions développé
une réflexion critique à la fois sur le marxisme et
sur l’anarchisme et que nous reconnaissions qu’il y
avait tout de même certaines convergences dont il fallait
bien parler : entre Proudhon et Marx sur l’analyse économique,
entre Marx et Bakounine sur les dérives droitières
de certains successeurs de Proudhon, etc. Ceux qui ont lu le Système
des contradictions économiques de Proudhon et le Capital
de Marx ont pu quand même constater qu’il y avait certaines
convergences de vues. Mais évidemment, il fallait au moins
avoir lu ces deux ouvrages…
Un jour se tint dans une des petites salles de la Mutualité,
à Paris, une réunion avec le grand personnage charismatique
de la FA. Un de nos camarades se fit virer de la réunion
par un lancer de chaise dudit personnage charismatique – c’est
qu’il était vigoureux, le vieux – parce qu’il
avait parlé de « plus-value ». Evidemment, c’était
du marxisme…
Nous avons longtemps traîné cette réputation
à la FA. Quelques années après mon adhésion
à la Fédération anarchiste, j’ai participé
à une réunion de travail pour mettre au point une
structure de formation des militants. Chacun devait exposer les
thèmes qu’il souhaitait traiter. En fin de compte on
m’a dit que je devais travailler avec X. J’ai alors
fait remarquer que ce brave camarade X était un de ceux qui
m’accusaient hystériquement d’être un marxiste.
On m’a répondu : « Justement », ce qui
était une façon de coller à mes basques un
commissaire politique. Je me suis levé et je suis parti,
et la FA n’a toujours pas, à ma connaissance, de structure
de formation des militants.
C'est vrai qu'il y avait chez nous une discipline interne, mais
c'était une discipline toute bête, basique, dirais-je,
consistant à appliquer les décisions prises, à
tenir ses engagements et à arriver à l'heure, enfin
ce genre de choses. A l'époque, c'était du bolchevisme
pour la FA. En fait, je pense que ce qui a contribué à
l'image, effrayante pour les militants de la FA de l'époque,
d'une Alliance cohérente et soudée, c'est la capacité
de ses militants à tenir tête à tout le monde,
marxistes ou non, dans les débats publics. Il est vrai que
nous étions effrayés par l'absence de formation des
militants libertaires de l'époque. Les plus jeunes militants
de la FA d'aujourd'hui ne savent pas que Gaston Leval n'était
pas en odeur de sainteté à la Fédération
anarchiste et qu'il a été l'objet d'une mise au rancart
assez dégueulasse. C'est qu'il avait la mauvaise habitude
d'être assez critique sur certains aspects et certaines personnalités
charismatiques du mouvement anarchiste de l’époque.
Par ailleurs, son bakouninisme affiché était mal perçu.
Pour une raison que j'ignore, Bakounine sentait quelque peu le
soufre à la FA. On a une illustration plus récente
de ce constat dans le fait que les camarades qui ont sorti pendant
des années une revue, Itinéraires, consacrée
aux principaux militants et penseurs du mouvement libertaire, ont
consacré un numéro à tout le monde, du plus
connu au plus inconnu... sauf à Bakounine.
Donc, l'Alliance avait peu de relations avec la FA, sinon des relations
personnelles avec certains militants. D'autant que le recrutement,
par le canal syndical, de militants ayant une réelle expérience
de terrain, mais qui n'avaient rien à voir avec le mouvement
anarchiste, ne favorisait de toute façon pas un rapprochement
« organique », même s'il avait été
possible. On n'a pas eu besoin de prendre nos distances avec l'anarchisme.
Cette distance, c'est l'anarchisme qui l'a créée.
L'anarcho-syndicalisme était pour nous une doctrine et une
pratique qui pouvaient et devaient se passer de l'anarchisme. C'est
dire que nous étions à 100 lieues de la « synthèse
» de Sébastien Faure ; nous pensions également
que 100 lieues séparaient Malatesta de Bakounine : nos sympathies
allaient évidemment au second, qualifié par Gaston
Leval de fondateur de l'anarcho-syndicalisme.
La quasi-absence de relations entre l'Alliance et la Fédération
anarchiste était due surtout à la peur de la FA vis-à-vis
d'une organisation qui était perçue comme quelque
chose de mystérieux et d'inquiétant, une sorte de
société secrète élitiste passant son
temps à fomenter des complots. Nous souhaitions que les militants
syndicalistes de la FA nous rejoignent pour coordonner leur activité
avec la nôtre, et d'ailleurs certains copains l'ont fait.
C'est ceux-là qui feront le pont entre l'Alliance syndicaliste
et la FA lorsque la première se dissoudra et que certains
de ses militants, dont moi-même, rejoindront la seconde...
5.
L'UTCL. Les relations avec l'UTCL étaient d'une tout autre
nature. La position de principe de l'Alliance était de coordonner
l'activité des militants libertaires dans le mouvement ouvrier.
Cela s'appliquait donc aussi à l'UTCL. Il y a eu quelques
tentatives de rapprochement, qui ont échoué. Je me
souviens d'une conférence nationale entre nos deux organisations,
qui s’est tenue dans le 19e arrondissement. Les militants
de l'UTCL nous apparaissaient un peu comme des martiens, dogmatiques
et rigides, avec un langage totalement stéréotypé
imité du trotskisme. On avait du mal à les considérer
comme des libertaires. Ils étaient tellement identiques à
la Ligue communiste qu'il aurait été plus simple de
proposer de travailler avec la Ligue.
Paraphrasant Trotsky qui accusait les ouvriéristes d'avoir
« le nez dans le trou du cul de la classe ouvrière
», nous disons que l'UTCL avait le nez dans le trou du cul
de la Ligue.
Plus encore que l'Alliance, l'UTCL était la bête noire
de la FA, sans doute parce qu'elle en était indirectement
issue (c'était la scission d'une scission de la FA...). Bien
entendu, nous ne partagions pas les terreurs de la FA sur l'UTCL,
mais en retour nos tentatives de définir des actions communes
avec cette dernière nous rendaient encore plus suspects aux
yeux de la FA. Nous pensions que l'UTCL était le symptôme
de l'échec de la FA à proposer une alternative en
termes d'organisation, à une époque de luttes des
classes intenses, et que l'UTCL, elle-même incapable de proposer
une alternative, en était arrivée à purement
et simplement imiter les léninistes 9 .
6.
La question de la CNT(f). Il existait à l'époque
une CNT, en France, avec laquelle nous avions pris contact, selon
le principe que l'Alliance, ne remettant pas en cause les appartenances
des uns et des autres, se contentait de coordonner les luttes des
militants libertaires.
Je me souviens d'une rencontre avec une sorte de petit coq arrogant
qui nous a sommés d'adhérer à la CNT ou de
cesser de l'importuner, l'Alliance n'ayant pas de raison d'être
parce que tous les libertaires devaient passer à la CNT,
un point c'est tout.
Sur le principe, nous n'étions pas opposés à
l'idée que les libertaires devaient envisager peut-être
un jour de quitter les centrales « réformistes »,
mais nous estimions que ce jour-là n'était pas encore
arrivé. Passer à titre individuel à la CNT
ne présentait aucun intérêt ; il s'agissait
d'y passer avec armes et bagages, c'est-à-dire avec les structures
syndicales, ou en tout cas avec une quantité substantielle
de militants.
Au début des années 70, à tort ou à
raison, nous estimions qu'il y avait encore du travail à
faire dans le mouvement syndical traditionnel ; beaucoup de nos
camarades étaient militants ou occupaient des fonctions électives
dans les structures de base et les structures intermédiaires.
Nous pensions que de l'eau coulerait encore un peu sous les ponts
avant que ces militants soient en mesure d'emmener avec eux des
sections syndicales et des syndicats à la CNT 10 . Notre
prévision a d’ailleurs fini par se réaliser,
plus tard, mais la CNT n’y était pour rien et elle
est passée complètement à côté
du phénomène. Je fais évidemment référence
à la constitution de syndicats de SUD, au sein desquels se
trouvent d’ailleurs beaucoup de libertaires.
Nous pensions également que, en attendant, la CNT pourrait
se développer dans les secteurs pas ou peu organisés,
et qu'une collaboration pourrait être envisagée. Notre
jeune coq, qui était d'ailleurs étudiant, a écarté
ce genre de compromission d'un revers de main.
Je m'empresse de dire que la CNT d'aujourd'hui, en tout cas celle
de la rue des Vignoles, qui est la seule que je connaisse personnellement,
n'a rien à voir avec celle que nous avons connue à
l'époque.
7.
Nous avons assez rapidement fait le constat que le projet initial,
fort modeste, d'ailleurs, de l'Alliance n'était pas réalisable
: coordonner l'activité des militants syndicalistes libertaires,
indépendamment de leur appartenance organisationnelle. Le
succès de ce projet n'a été que très
marginal : quelques militants par-ci, par-là nous rejoignaient.
Par la force des choses, nous avons été amenés
à nous développer, moins en tentant de rallier les
militants libertaires déjà organisés qu'en
nous développant dans les entreprises, tâche qui, cependant,
n'a été rendue possible que parce que nous avions
une implantation qui était loin d'être ridicule (en
comparaison aux groupes trotskistes, par exemple).
Autrement dit, nous nous sommes pratiquement « extraits »
du mouvement libertaire organisé. On dira alors que l'auteur
de la brochure a raison de dire qu'on aurait dû cesser toute
référence à l'« anarchisme ». Je
ne pense pas, car c'est sur le socle libertaire de l'anarcho-syndicalisme
que l'Alliance a pu se créer et se développer.
Progressivement, les militants qui venaient à nous n’avaient
strictement rien à voir avec le mouvement libertaire, c’était
des militants issus du mouvement syndical. C’est largement
grâce à eux que l’Alliance a pu exister pendant
dix ans ; sans eux, nous aurions représenté une vague
et éphémère tentative de plus de regroupement
libertaire, qui aurait fini par disparaître au bout de quelques
mois ou qui se serait maintenu sous la forme d’un cercle de
nostalgiques vieillissants ressassant toujours les mêmes regrets.
L'Alliance s'est de fait transformée en organisation politique
dont l'objectif était de se développer dans la classe
ouvrière et d'y diffuser les thèses anarcho-syndicalistes.
Par exemple, les contacts très étroits que nous avions
établis avec les camarades d'Usinor Dunkerque n'avaient rien
à voir avec le réseau des militants libertaires. C'était
le résultat de notre implantation syndicale dans la métallurgie,
à travers laquelle nous sommes entrés en contact avec
les militants de l'usine de la Grande Synthe. Nous avions également
établi des relations avec les dockers CGT de Saint-Nazaire.
Aucun d’entre eux n’a adhéré à
l’Alliance, mais des relations se sont établies, qui
durent encore, à titre personnel. Ces camarades étaient
en relation avec le mouvement des paysans travailleurs avec lequel
nous avons pris contact.
A propos d’Uninor :
« Lorsque nous prenons contact avec la section CFDT de
cette grande usine, au tournant des années quatre-vingts,
plus de dix mille personnes travaillaient dans l’entreprise
et la section représentait environ trente pour cent des
voix aux élections professionnelles et plusieurs centaines
de cartes.
« C’est à la suite d’articles parus
dans Libération que nous y allons ; nous rencontrons là-bas
quelques-uns des sidérurgistes qui animent la section et
qui ont des problèmes avec l’appareil de la CFDT.
Dès les premiers moments, Serge et moi, nous avons été
très touchés par ces rencontres. Alors que, souvent,
lors des prises de contact, nous faisons la connaissance de personnes
de la mouvance gauchiste, par exemple dans la Santé ou
l’Enseignement, pour l’essentiel les camarades que
nous rencontrons à Dunkerque sont de purs produits de la
classe ouvrière du Nord, aussi durs à la peine que
solidaires dans l’épreuve. Ils se méfiaient
de nous, d’ailleurs. Ça a duré quelque temps.
« En effet, très vite, nous avons compris, l’expérience
aidant depuis la du bureau de l’UD de la Gironde, ce qui
allait se passer. Pour des raisons que nous n’avions pas
perçues tout de suite, ces camarades gênaient, et
on pouvait deviner, dans le récit qu’ils nous faisaient
des ennuis qu’ils commençaient à avoir avec
le syndicat local, l’UD du Nord ou la Fédération
des métaux, qu’on allait leur faire un sort. Sinon
à tous mais à un certain nombre d’entre eux,
sûrement les plus actifs… Ils ne nous crurent pas,
tout d’abord, lorsque nous comparâmes leur situation
à celles de Bordeaux ou de Lyon-Gare, ou d’autres
— ce n’était pas des militants oppositionnels
mais des syndicalistes actifs, sans état d’âme
concernant l’orientation et la direction de la CFDT ; l’essentiel
de leurs activités consistait à combattre leur patron…
Plus tard, ils nous confièrent qu’ils n’avaient
pas compris réellement ce que signifiait la campagne qu’avait
lancée Edmond Maire en dénonçant les “
coucous ”, en phase très active alors. Les “
coucous ”, c’étaient, insinuait Maire, les
militants d’extrême gauche qui déposaient leurs
œufs dans les nids de la CFDT — plus tard, ceux qui
formeront Sud ou le CRC, ce seront les “ moutons noirs ”.
Les camarades d’Usinor ne croyaient pas que les coucous,
c’étaient ceux, tous ceux qui, pour une raison ou
une autre, déplaisaient aux démocrates chrétiens
de la direction confédérale. A Usinor-Dunkerque,
les camarades avaient un “ coucou ”, un sur dix mille,
prénommé Frank, venu plus ou moins de la mouvance
“ mao-spontex ”, et, disaient-ils en riant, ils l’avaient
bien en main !
« Ils ne prirent aucune précaution, bien que nous
le leur suggérions, pour se protéger contre l’orage
qui arrivait. Par exemple, ils ne cherchèrent nullement
à se constituer en syndicat d’entreprise, pour avoir
un statut de personne morale ; ils restèrent en section
syndicale. Aussi, lorsque les exclusions arrivèrent, dans
la commission exécutive du Syndicat métallurgique
de Dunkerque, ils furent minoritaires — les bureaucraties
savent organiser les majorités !
« Un certain nombre, les militants, furent jetés
de la CFDT comme des malpropres ; Frank fut en outre licencié…
« Qu’allaient-ils faire, les sidérurgistes
combatifs d’Usinor-Dunkerque, pour continuer le bon combat
? La CGT ? Depuis dix ans, ils polémiquaient avec ses militants…
« Le groupe de militants expulsés nous chargèrent
d’explorer toutes les solutions possibles. A cet effet,
je rencontrai même, à la Bourse, mon camarade Pepito
Rosel, vieil anarchosyndicaliste espagnol qui s’était
réfugié à FO dans les années cinquante,
pour examiner un recours à Force ouvrière. (Après
ça, ne me dites pas que je suis sectaire !) Peine perdue.
Dans la région du Nord, nous informèrent les copains
d’Usinor, FO-Métaux 11 c’était le RPR
! Ils refusèrent et se lancèrent, avec comme seul
appui un petit groupe d’anarchosyndicalistes, dans la constitution
d’un syndicat autonome, fièrement nommé Syndicat
de lutte des travailleurs d’Usinor-Dunkerque (SLT).
« On ne peut s’étendre sur les innombrables
difficultés qu’ils durent affronter, simplement d’abord
pour se faire connaître des travailleurs, puis pour être
reconnus comme représentatifs dans l’entreprise…
En tout cas, ils y arrivèrent, à la représentativité
; beaucoup aussi quittèrent l’entreprise, lassés
de tout cela.
« Nous les avons aidés comme nous le pouvions, par
les contacts ou l’aide matérielle ; je me souviens
que nous leur avons offert une machine SAM à imprimer les
tracts. Car, après l’exclusion, ils n’avaient
plus rien, ni local, ni papier, ni machines, ni trésorerie…
L’école des correcteurs recueillit, quelques mois,
Frank, dans un stage où il s’ennuya copieusement.
« Quelques mots encore. D’abord pour souligner combien
nous étions démunis, avant l’apparition de
Sud ou la renaissance de la CNT. Nous n’avions rien en magasin
à proposer aux camarades qui se faisaient jeter.
« Et pour envoyer mon meilleur souvenir à Pierre
Suray, qui fut militant et trésorier du SLT, si jamais
un jour il lit ses lignes.
« Ah ! J’oubliais : la raison réelle de la
décapitation de la section CFDT d’Usinor-Dunkerque,
c’était évidemment la préparation de
la modernisation de l’outil sidérurgique français,
Dunkerque et Fos, qui allait s’accompagner de divers regroupements,
de fusion et de nombreuses pertes d’emplois. La section,
dans son état premier, aurait pu créer de vraies
difficultés à l’actionnaire principal, à
savoir l’Etat français. Un nettoyage préalable
s’imposait et la direction de la CFDT s’en fit la
complice.» (Jacky Toublet, interview de Franck Poupeau,
archives J. Toublet.)
En fait, l’Alliance, c’était d’une part
un certain nombre de militants solides, un noyau dur, mais c’était
aussi de nombreux contacts avec des militants et des groupes avec
lesquels nous avions des affinités mais qui n’envisageaient
pas du tout d’adhérer. Tout cela fonctionnait plutôt
bien parce que nous étions plus intéressés
par ce qui pouvait nous rapprocher que par ce qui nous séparait.
C’était une sorte de toile d’araignée
de relations informelles. Avec le temps, quelque chose aurait
pu en sortir, mais nous étions trop peu nombreux. On ne
pouvait pas être partout à la fois, tout le temps.
Ce qui nous mettait en pétard était que le mouvement
libertaire ne manquait pourtant pas de militants.
8.
Le Comité Espagne libre mentionné page 76 est une
création de l'Alliance et des militants de Frente Libertario
de Paris. Frente Libertario n’était pas à proprement
parler un « dissident de la CNT espagnole » ; c’était
un courant organisé en Espagne et en France qui soutenait
les militants de l’intérieur.
Nous avions constitué ce comité pour soutenir les
militants libertaires espagnols emprisonnés. Le plus marrant
de l'histoire, que beaucoup de camarades ignorent, est que nous
nous étions débrouillés pour mettre Eugène
Descamps 12 dans le comité d'honneur de l'association...
Concernant l’Espagne, la position de l’Alliance était
simple : il fallait que le mouvement anarcho-syndicaliste espagnol
détermine lui-même ses instances et sa stratégie
librement. Tant que cela n’était pas possible, l’Alliance
soutenait les militants de l’intérieur en lutte. Un
certain nombre de militants de la CNT espagnole en France estimaient
représenter la légitimité et la continuité
de l’organisation malgré quarante ans d’exil.
En Espagne même, la lutte avait pourtant continué et
l’organisation se reconstituait. Il y avait un conflit féroce
pour la légitimité de la succession historique de
la CNT. La CNT française soutenait les positions des militants
en exil. En affirmant que c’est le mouvement en lutte à
l’intérieur qui devait définir ses positions,
l’Alliance prenait implicitement position contre l’exil,
et par conséquent contre la CNT française…
De fait, nous avions des relations tout à fait privilégiées
avec Frente Libertario, que nous soutenions et dont certains militants
étaient à l’Alliance. Ces camarades étaient
opposés aux revendications de l’exil à l’hégémonie
sur le mouvement libertaire espagnol et soutenaient activement les
militants de l’intérieur. Nous avons donc également
participé à certaines actions de soutien aux camarades
d’Espagne. Jacky Toublet et moi-même avons eu l’occasion
de nous rendre dans ce pays sous Franco, de rencontrer à
Barcelone et à Madrid des militants de la CNT de l’intérieur.
Nous avons notamment contribué à leur faire parvenir
du matériel d’imprimerie.
Ces conflits d’hégémonie se manifestent encore
aujourd’hui par la coupure entre la CNT espagnole et la CGT
qui en est issue.
Nous avons également soutenu la CGT portugaise. Le fasciste
Salazar avait pris le pouvoir en 1926. La CGT, organisation sœur
de la CNT espagnole, avait été alors écrasée.
Elle s’est reconstituée après la chute du régime.
Là encore, Jacky et moi sommes allés rencontrer les
camarades dans ce pays.
Dire que l’Alliance « participera également
à différentes rencontres organisées par le
syndicat “alternatif » suédois, Sveriges Arbetares
Centralorganisation (SAC) » est une formulation erronée.
Nous étions très proches de la SAC.
La SAC n’était pas un « syndicat alternatif
», elle se réclamait explicitement de l’anarcho-syndicalisme
et avait 25 000 adhérents. Elle soutenait activement la CNT
de l’intérieur et avait des liens étroits avec
Frente libertario. C’est à ce titre que nous avions
établi des relations permanentes et très proches avec
elle. Aucun militant de la SAC se rendant à Paris ne manquait
de nous rendre visite. Certains camarades de l’Alliance, comme
Thierry Porré, qui avait vécu en Suède et parlait
la langue, avaient des liens d’amitié avec des membres
de la direction de la SAC. La SAC, Frente Libertario et l’Alliance
étaient naturellement liés par le soutien à
la CNT en Espagne.
9.
La brochure évoque un certain nombre de structures de la
CFDT qui développaient les thèmes syndicalistes révolutionnaires
et participaient de la tendance « SR » de la CFDT. L’auteur
de cette brochure occulte deux faits : la tendance « SR »
de la CFDT était en fait constituée d’anarcho-syndicalistes
; tous les exemples qu’il donne de présence «
SR » dans la CFDT révèlent en fait la présence
de l’Alliance syndicaliste.
La section syndicale de la SEP, près de Bordeaux, était
très implantée et animée par des copains de
l'Alliance. L'union départementale de la Gironde, dissoute
par la direction confédérale, était également
animée par des camarades de l'Alliance.
Interview de Jacky Toublet par Franck Poupeau :
« Dans la région de Bordeaux, un groupe de copains
qui travaillaient à la Société européenne
de propulsion (SEP) décidèrent de quitter FO, ce
qui n’améliora guère les relations avec ceux
qui s’y appelaient anarchosyndicalistes, et de s’affilier
à la CFDT. De proche en proche, ces copains réussirent
une implantation dans les Métaux et d’autres secteurs,
comme l’Enseignement. Puis quelques-uns d’entre eux
obtinrent des responsabilités à l’UD-CFDT
de la Gironde et dans son bureau.
« Il est évident que, un fois membres du bureau
de l’UD de Gironde, les camarades ont commencé un
travail de sensibilisation sur divers thèmes du syndicalisme
révolutionnaire, les revendications, évidemment,
mais aussi sur le contenu de l’autogestion — mot d’ordre
officiel de la CFDT depuis son congrès de 1970 —
et de l’indépendance, alors qu’on commençait
à y parler d’ “ autonomie engagée ”
avec le Parti socialiste ; la majorité de la direction
de la centrale commençait alors son inflexion pour essayer
d’amener l’énorme masse de nouveaux adhérents,
presque un demi-million peut-être, plus ou moins influencés
par les idées de 68, vers la version syndicale de la démocratie
chrétienne, qui était, comme on a pu le constater
plus tard, son idéologie réelle, en tout cas de
ceux qui, autour d’Edmond Maire et de la direction de la
Chimie, allaient conduire le tournant droitier. Les deux démarches
ne pouvaient que se heurter… En plus, à plusieurs
reprises, les copains avaient diffusé des tracts antimilitaristes
dans les gares lors des départs des appelés du contingent.
Bon, en tout cas, vers 1976, à un moment que je ne saurais
vous précisez plus, la direction de la centrale a dissous
le bureau de l’UD, et renvoyé les militants dans
leur syndicat d’origine. Dans le même temps, le copain
délégué syndical de la SEP, Vladimir Charov,
fut licencié, avec l’accord du ministère du
Travail. Evidemment, nous avons fait le maximum de bruit autour
de l’affaire. Peine perdue : la direction se moquait de
tout ce qu’on pouvait dire, avec encore plus de mépris
que les “ stals ” — et les autres courants d’extrême
gauche, comme souvent durant ces années-là, voyaient
l’exclusion de quelqu’un d’une chapelle voisine
comme la disparition d’une concurrence. Ainsi les “
cathos ” ont pu appliquer sans trop de difficultés
la bonne vieille technique du salamis à presque toute leur
opposition. » (Archives J. Toublet.)
Il y avait de nombreuses sections syndicales à Paris ou
en banlieue dans lesquelles les militants de l'Alliance jouaient
un rôle important, dans les grands magasins, dans les assurances,
dans les banques, notamment à la BNP, dans le secteur de
l’alimentation.
J'ai moi-même été secrétaire adjoint
du syndicat des intérimaires, adhérent à la
fédération du commerce, où nous avions des
camarades. C'était, je crois, le seul syndicat qui publiait
un mensuel en vente militante dans la rue, à une époque
où le travail intérimaire explosait.
L'union locale du 8-9e, particulièrement active, était
animée par des militants de l'Alliance. Je peux dire très
précisément comment s'est passée l'affaire
de l'affiche qui a déclenché la dissolution de l’union
locale. A l'époque, je n'étais plus à la CFDT,
j'étais à la CGT. J'étais passé voir
les copains de l'union locale, qui étaient en train de préparer
une affiche contre le rapprochement de la CFDT et du PS, et ils
voulaient y mettre une illustration. C'est moi qui ai fait le dessin
sur le stencil, représentant un patron sur le dos d'un ouvrier,
avec la légende « comme ton patron, adhère au
PS » 12 . Rétrospectivement, ce n’était
bien sûr pas très malin, voire même un tantinet
irresponsable. Mais il faut comprendre le contexte : les copains
en avaient marre du matraquage pro-PS de la direction confédérale,
et par ailleurs ils savaient bien que leur liberté d’action
était comptée. Ils étaient dans la ligne de
mire.
Evidemment, le dessin n'a pas plu...
« Dans la région parisienne, l’Alliance avait
quelques militants dans les services à Paris, qui créèrent
une union locale CFDT dans les 8e et 9e arrondissements, laquelle
fut assez rapidement dissoute par la confédération,
vers 1976 : il y avait des licenciements d’employés
à Montholon — le siège de la CFDT d’alors¬
— auxquels l’union locale voulait s’opposer.
En outre, l’Union locale avait placardé dans tout
l’arrondissement une affiche avec le texte suivant : “
Contre le chômage, fais comme ton patron, adhère
au PS ”.
« Quelques camarades de l’Alliance militaient aussi
à l’UL-CFDT du 10e ; pendant le conflit du “
Parisien libéré ”, de 1975 à 1977,
ils donnèrent divers coups de main aux copains du Livre.
« Dans les Hauts-de-Seine, dans les années qui suivirent
immédiatement 68, l’Alliance et l’ORA, qui
fonctionnaient ensemble dans ce secteur, obtinrent une bonne implantation,
en particulier dans le secteur interprofessionnel, à partir
des services, des enseignants et des métaux. Je me souviens
qu’un camarade se déclarant libertaire, Gérard
Mulet, qui fut secrétaire de l’Union départementale
(UD), à Boulogne, se réjouissait que chacune des
UL du département possédait un équipement
technique et un collectif militant qui lui permettaient de soutenir
activement les mouvements locaux. En outre, nous avions réussi
à faire embaucher à l’UD, comme permanent
technique, un vieux camarade espagnol, Antonio Barranco, qui se
chargeait, entre deux tirages de tracts sur la machine offset
du sous-sol, de la formation syndicaliste improvisée des
militants qui venaient chercher du matériel…
« Dans le Val-de-Marne, le secrétaire de l’UD,
Jacques Blaise, était sympathisant de l’Alliance
; il fut de tous les combats de l’Alliance et les militants
de l’Alliance lui apportèrent tout le soutien possible
dans les luttes du département ; je me souviens, en particulier,
de la reprise de la production, durant une grève, d’une
usine de fabrication de biscuits…
« Un des militants fondateurs de l’Alliance, Serge
Aumeunier, ingénieur à l’Aérospatiale,
fut longtemps trésorier ou trésorier adjoint de
l’Union parisienne des syndicats des métaux (UPSM)
de la CFDT. Serge et quelques-uns de ses copains, après
qu’ils eurent été décentralisés
aux Mureaux, firent un gros travail dans l’UD des Yvelines
et les UL de la vallée de la Seine. (N’oubliez pas
qu’à l’époque, à Simca-Poissy,
régnait un syndicat maison plus ou moins fasciste, la CFT.)
Le secrétaire et l’employée du Syndicat du
bâtiment local, Robert Simonet et Amy Braun, étaient
adhérents de l’Alliance.
« Dans la Santé et le Social, l’Alliance avait
beaucoup de contacts et quelques militants, Elisabeth Claude,
par exemple ; la plupart de ces derniers sont aujourd’hui
à Sud-CRC-Santé-Social.
« Enfin, à partir des quelques correcteurs adhérents
de l’Alliance, René Berthier, Alain Pécunia,
Thierry Porré, Pascal Nürnberg et moi-même,
nous eûmes quelques rares contacts dans le Livre, CGT ou
CFDT. » (Jacky Toublet, interview de Franck Poupeau, archives
J. Toublet.)
La section PTT Lyon gare, mentionnée également, était
animée par des militants de l'Alliance 14 .
« Une autre exclusion a été très significative
de cette situation. Dans le courant de l’année 1978,
une grande manifestation fut organisée contre le surgénérateur
de Creys-Maleville ; une section de la CFDT de Lyon de la poste,
à Lyon-Gare, c’est-à-dire les postiers qui
travaillent dans les trains, a été exclue parce
qu’elle y avait participé. Beaucoup de membres de
l’opposition, et toute l’Alliance syndicaliste, se
sont mobilisés pour s’y opposer, sans résultat.
Malgré les appels, les prises de position de nombreuses
structures, est apparue à cette occasion la confirmation
que la CFDT expulserait de ses rangs tous les militants de l’extrême
gauche qui s’exprimeraient dans la confédération.
Se fit sentir, dès cette époque, l’absence
d’un recours syndical, la possibilité de s’organiser
syndicalement après l’exclusion — par exemple,
les copains de Lyon-Gare constituèrent un syndicat autonome,
le Syndicat autogestionnaire des travailleurs (SAT). Puis, après
quelques années, une partie du syndicat adhéra à
la CNT. Qui, à l’époque, était minuscule.
Mais les copains éprouvèrent le besoin d’être
confédérés, de travailler avec des camarades
d’autres secteurs industriels. Dans un syndicat autonome,
sur un secteur, une ou plusieurs entreprises, on s’essouffle
très vite si on n’est pas un corporatiste forcené…
« On voit combien l’échec de la construction
de la CNT dans l’immédiat après-guerre a pu
avoir des conséquences néfastes ; si les anarchosyndicalistes,
au lieu de se disputer au sujet d’abstractions diverses,
avaient eu la conscience révolutionnaire de constituer
une organisation syndicale minimale, et suffisamment connue, même
de quelques milliers de membres, ils auraient pu offrir ce recours
à tous les syndicalistes combatifs qui se sont fait expulser
des grandes confédérations après 1968. »
(Jacky Toublet, interview de Franck Poupeau, archives J. Toublet.)
En banlieue parisienne, l'union départementale des Hauts-de-Seine
et celle du Val-de-Marne étaient animées par des militants
de l’Alliance.
Je ne veux en aucun cas dire que tous les exemples de pratique
libertaire ou anarcho-syndicaliste qui pouvaient exister à
l’époque dans la CFDT relevaient de l’Alliance
; je veux seulement dire que l’Alliance avait un journal,
des archives, des militants connus, grâce à quoi l’auteur
de la brochure que j’ai mentionnée a pu recenser un
certain nombre de pratiques, mais que d’autres exemples lui
ont peut-être échappé parce qu’il n’y
avait pas de traces.
D’autres structures étaient animés par des
militants libertaires, sans aucun lien avec l’Alliance. Un
jour, en tant que secrétaire du syndicat des intérimaires,
j’étais allé rencontrer des responsables de
l’UL de Vitry parce qu’il y avait des intérimaires
dans les grosses boîtes du coin (Rhône Poulenc, je crois)
et nous voulions faire une réunion de sensibilisation (les
intérimaires étaient à l’époque
très mal perçus par les salariés des entreprises
et très peu pris en compte par les syndicats). L’UL
de Vitry était une union locale très active ; nous
nous mîmes d’accord pour organiser une réunion,
et ses animateurs me remirent une plaquette, « Pour une stratégie
syndicale révolutionnaire ». C’étaient
des syndicalistes libertaires 15 .
Je pense qu’il devait exister à l’époque
dans la CFDT pas mal de structures qui, indépendamment de
l’Alliance, avaient développé des positions
proches des nôtres. Ceux de nos camarades qui participaient
aux congrès rencontraient constamment des militants qui,
n’ayant en général aucun lien avec le mouvement
libertaire, développaient des positions proches. Cette fermentation,
en s’étendant, devenait dangereuse pour la direction
confédérale et c’est cela, je pense, qui a conduit
celle-ci à prendre des mesures de recentrage. Les militants
de la Ligue communiste, trop contents de se débarrasser des
libertaires, ont à l’époque bien aidé
la direction confédérale 16 .
En fait, je constate en lisant la brochure que toutes les entreprises
ou toutes les instances syndicales où il est fait état
d’une « activité SR », sont des entreprises
ou structures dans lesquelles les militants de l'Alliance avaient
une influence prépondérante, mais qu’il y avait
des activités « SR » dans d’autres entreprises,
dont la brochure ne parle pas. Il y avait par exemple chez Renault
à Billancourt un noyau extrêmement actif de militants
dont l’un des animateurs était un certain Jean-Pierre
Graziani. Nous sommes restés en contact un moment puis nous
nous sommes perdus de vue. Le problème, lorsque des groupes
de ce type existaient et lorsqu’ils étaient actifs,
c’est qu’ils concentraient souvent leur activité
au niveau de leur entreprise ou de l’union locale et il était
extrêmement difficile de les convaincre de la nécessité
de s’organiser, en tant que libertaires, à un niveau
plus large.
10.
Basisme et assembléisme.
Les militants de l’Alliance étaient soit des militants
libertaires ayant une solide expérience syndicale, soit des
militants issus du mouvement syndical qui se sont ralliés
à nos positions.
Si nous estimions que le pouvoir de décision devait être
décentralisé, qu’il fallait promouvoir la rotation
des mandats, la liberté de débats etc., nous n’avions
pas d’affinités avec les militants qui prônaient
les assemblées générales permanentes et le
« pouvoir à la base » perpétuel. Nous
savions bien que des milliers de travailleurs organisés ne
pouvaient pas débattre en permanence de ce qu’il fallait
faire.
Si le système assembléiste est efficace en période
de lutte, ce ne saurait être une forme permanente d’organisation
des travailleurs. Cela n’a d’ailleurs jamais été
une position du syndicalisme révolutionnaire, dans le sens
où l’auteur de la brochure entend le terme. Les structures
permanentes du prolétariat ne peuvent se limiter à
un basisme permanent. Sections syndicales, syndicats, unions locales
et départementales ont un fonctionnement quotidien et c’est
par ces structures que se fait l’éducation des travailleurs
à la lutte. Elles constituent également un enjeu de
taille pour toutes les apprentis dirigeants de la classe ouvrière.
Dans cette perspective, le « basisme » permanent était
une des méthodes les plus efficaces pour contrôler
les travailleurs. Par expérience, nous savions qu’il
n’y a rien de plus manipulable qu’une assemblée
générale et qu’un petit groupe de militants
aguerris peut facilement prendre le contrôle d’un groupement
beaucoup plus grand.
C’est pourquoi l’Alliance s’efforçait
de montrer aux travailleurs toutes les méthodes par lesquelles
les avant-gardes autoproclamées tentaient d’accéder
à la direction de leurs organisations de classe. C’était
un des points principaux que nous nous efforcions de développer
dans les réunions de formation.
L’organisation de classe des travailleurs est une organisation
permanente, qui a une fonction de regroupement et de réflexion,
qui fonctionne tous les jours, qui a un mode de fonctionnement bien
défini. Le problème n’est pas dans le principe
même de l’existence de cette organisation, il est dans
les modalités de fonctionnement : y a-t-il ou non contrôle
des mandats, rotation des mandats, etc.
11.
Nous avions en plusieurs occasions mené des réflexions
sur les perspectives de notre activité et sur celles du mouvement
libertaire en général. Nous savions que l’Alliance
était une forme qui n’était pas destinée
à se perpétuer indéfiniment. D’autres
expériences étaient en train de se dérouler
parallèlement à la nôtre.
Il y avait la CNT, dont le bilan n’était alors pas
très positif à nos yeux. Nous pensions que les militants
de cette organisation, s’ils abandonnaient leur dogmatisme,
pouvaient avoir un « créneau ». Ils pouvaient
se développer dans des secteurs peu touchés par la
syndicalisation traditionnelle et créer ainsi une base pour
un développement ultérieur. Nous pensions également
que l’aggravation de la crise du syndicalisme pouvait conduire
un jour des militants à sortir des structures traditionnelles
pour créer autre chose. Cette autre chose aurait pu être
la CNT si elle avait pu entre-temps créer des structures
d’accueil et abandonner ses positions rigides.
L’analyse que nous faisions était juste mais les choses
ne se sont pas passées comme nous l’aurions voulu.
La crise du syndicalisme a effectivement poussé des militants
et des structures entières à quitter les organisations
traditionnelles, mais faute de structure d’accueil crédible
ils ont constitué autre chose : les syndicats SUD. Même
les libertaires qui ont quitté la CFDT ou, plus marginalement,
la CGT, ont évité la CNT.
Dans les années soixante-dix se déroulait également
une autre expérience intéressante, celle des comités
de toutes sortes. Des militants ouvriers quittaient les instances
syndicales et créaient dans leurs entreprises, leurs quartiers,
des comités de base. Ce mouvement prenait une réelle
ampleur. L’Alliance avait établi des contacts avec
certains d’entre eux, comme à Roanne. Les militants
de ces comités voulaient créer un mouvement en dehors
de tous les partis politiques. Notre position était de conserver
le contact avec eux, sans cacher nos propres vues, mais nous ne
cherchions pas à les « recruter ». Nous pensions
que par leur expérience pratique ils finiraient par arriver
à quelque chose de proche de l’anarcho-syndicalisme,
s’ils avaient eu l’idée de se fédérer.
En résumé, il y avait, en théorie, trois options
:
• L’Alliance qui coordonnait l’activité
dans le mouvement syndical ;
• La CNT qui aurait pu constituer une alternative au mouvement
syndical traditionnel ;
• Les comités de base qui développaient des
groupes autonomes.
Ces trois options ne s’excluaient pas l’une l’autre
; elles correspondaient à des tactiques répondant
à des besoins diversifiés dans des contextes différents.
Avec une certaine naïveté, sans doute, nous pensions
à l’époque qu’avec un minimum d’imagination,
elles auraient pu aboutir à une forme d’unification.
Cependant, J. Toublet montre comment certains militants ont abandonné
la pratique des « collectifs » parce qu’ils pensaient
qu’elle conduisait à une impasse.
« A l’occasion de deux grèves importantes,
celle des postes et celle des banques, vers 1974, les copains
les plus lucides — ceux dont je parlais il y a un instant
— finirent par constater que les collectifs ouvriers ne
servaient à presque rien dans les grèves ; ceux
qui décidaient, c'étaient les syndicats. Les grèves
étaient commencées par les syndicats, gérées
par les syndicats, terminées par les syndicats. Il y avait,
sans doute, toujours moyen de faire un petit peu quelque chose
dans les entreprises et les centres de tri, mais rien de déterminant…
Un débat dans l’ORA s’est donc amorcé
pour changer de position, c’est-à-dire pour commencer
à investir des militants dans le mouvement syndical, indépendamment
des collectifs ouvriers ; la plupart de ces derniers disparaissaient
d’ailleurs assez vite... Ces débats — et des
questions théoriques : certains parlaient de synthèse
entre le marxisme-léninisme et l’anarchisme ou d’un
nouveau concept dit “ dictature antiautoritaire du prolétariat
” — ont déclenché une scission 17 :
d'un côté une organisation nommée 18 Organisation
communiste libertaire (OCL), très affaiblie aujourd’hui,
et une autre qui s’est appelée l’UTCL 19 (Union
des travailleurs communistes libertaires) sur la nouvelle orientation.
Les futurs Alternative libertaire (Spadoni, Renard, Cellier) ont
alors fait la “ tournée des popotes ” pour
tenter des rapprochements.
« Des incompréhensions de nombreux anarchosyndicalistes
sur l’évolution des ces copains, et peut-être
des questions de génération, ont fait que l’Alliance
et l’UTCL n’ont pas fusionné — et on
peut peut-être, aujourd’hui, le regretter 20 …
« Depuis ces années-là, nous avons réussi
néanmoins à faire des choses ensemble. En soutien
à la lutte antifranquiste, par exemple, lorsque Puig-Antich
a été garrotté ou que deux militants basques,
Garmendia et Otaegui, ont été assassinés.
»
12.
L'auteur de la brochure fait plusieurs erreurs d'appréciation
dans le tome 3, p. 91, à propos de la coordination nationale
anarcho-syndicaliste.
Il n'a jamais été question d'y prévoir des
représentations de structures syndicales CFDT, FO ou CGT,
etc. en tant que telles. L'absence de « syndicats issus de
la CFDT » à cette conférence n'était
donc absolument pas dû au « caractère anarchiste
trop marqué de la CNAS » puisque, de toute façon,
les structures de la CFDT qui avaient une activité «
SR » étaient animées par les militants de l'Alliance.
La conférence de Sotteville n'avait pas cet objectif, tout
simplement parce que cela serait revenu à désigner
ces structures à la répression. L'auteur de la brochure
aimerait se convaincre que si le courant « SR » n'avait
pas été pollué par les anarchistes, les choses
auraient mieux tourné. Il n'en est rien. Si les anarcho-syndicalistes
regroupés dans l'Alliance n'avaient pas été
là, l'auteur de la brochure n'aurait pas eu grand chose à
dire sur les « SR » de la CFDT.
On n'aurait jamais parlé de l'UD de la Gironde, de l'UL
du IXe, de Lyon-Gare, des UD du 92 et du 94, de la BNP et que sais-je.
Car les seules instances de la CFDT que mentionne l'auteur de la
brochure sont celles où il y avait des militants de l'Alliance,
ou des instances dans lesquelles les militants de l'Alliance étaient
proches.
Il est également faux de dire que les « SR refusent
toujours de se structurer comme tendance au sein des confédérations
». C'était précisément le rôle
de l'Alliance. Il y a cependant un contresens sur notre opposition
aux tendances. S'organiser pour diffuser nos positions, faire de
la propagande, pour regrouper les militants, etc., oui. C'est ce
que nous faisions. Nous étions catégoriquement opposés
à ce que la structure de l'organisation syndicale soit fondée
sur la représentation des tendances, car c'était introduire
dans le mouvement syndical les pratiques parlementaires (25 % de
voix pour la tendance A, 32 % de voix pour la tendance B, etc.).
Ce n'est pas du tout la même chose. Il y a, dans Solidarité
ouvrière un article très explicite là-dessus,
à propos des tendances dans la FEN.
Quand l'auteur de la brochure dit que « très peu de
SR de la CFDT rejoindront la CNAS », de qui veut-il parler
? Cette affirmation n’a pas de sens. Nous n'avions pas l'impression,
alors, qu'en dehors de nous il y eût beaucoup de « SR
». Dans la pratique, quand l'auteur de la brochure parle du
syndicalisme révolutionnaire en général, il
évoque un courant aux contours flous sans qu'on sache ce
qu'il y a dedans, mais où ce serait quand même mieux
s'il n'y avait pas trop d'anarchistes. Quand il parle du courant
SR dans la CFDT en donnant des exemples concrets, il désigne
à chaque fois l'Alliance.
Il est tout à fait exact de dire que l'Alliance apparaissait
« autant comme une organisation spécifique, politique,
que comme une structure syndicale ». Nous étions (un
peu par la force des choses et indépendamment de notre volonté,
en fait) devenus une sorte d'organisation politique, un peu spéciale,
cependant, qui développait dans le mouvement syndical l'idée
que les travailleurs devaient prendre les choses en main, qu'il
fallait développer l'activité interprofessionnelle
contre les partis politiques et que tous les problèmes de
la société devaient être pris en charge par
l'organisation de classe, ce qui n'est pas tout à fait la
même perspective que celle de la Ligue ou de LO.
Si certains militants de structures dissoutes ou expulsées
de la CFDT ne nous ont pas rejoints, ce n'est pas parce que nous
étions des libertaires, c'est parce qu'ils avaient eux-mêmes
d'autres projets. Rappelons que les libertaires ne sont pas les
seuls à avoir été exclus. Beaucoup de militants
exclus de la CFDT, parmi lesquels nombre de libertaires, sont aujourd'hui
à SUD. La question : pourquoi ces derniers ne sont-ils pas
à la CNT trouve sa réponse dans le comportement de
celle-ci à l'époque.
Quant au « courant anarcho-syndicaliste de FO mené
par Alexandre Hébert », nous avions coupé tout
contact avec eux, pour plusieurs raisons : parce qu'il nous était
apparu avec évidence que ce « courant anarcho-syndicaliste
» était manipulé par les lambertistes (nous
soupçonnions Hébert de faire partie du bureau politique
de l'OCI), et que les militants de FO nous semblaient prendre un
peu trop parti en faveur de leur direction confédérale
21 . Les camarades de FO reprochaient aux copains de l’Alliance
de militer dans la CFDT. Ils étaient absolument obsédés
par le fait que la direction de cette confédération
était aux mains de cléricaux. L’anticléricalisme
des copains de FO finissait par devenir agaçant, non pas
parce qu’il n’était pas justifié, mais
parce qu’il était obsessionnel. Les camarades de la
CFDT ne niaient pas plus que la direction de la confédération
à laquelle ils avaient adhéré était
influencée par la doctrine sociale de l’Eglise que
les camarades de FO niaient que leur organisation avait touché
des subsides de la CIA. Mais au niveau où ils militaient,
ça n’avait pas grande importance. Dans les sections
syndicales, les unions locales, les syndicats, les copains étaient
parfaitement armés pour faire face à la moindre intrusion
de cléricalisme, et l’encyclique Quadragesimo anno
du pape Pie IX n’avait pas cours. L’Alliance n’avait
pas l’intention de prendre la direction de la CFDT.
13.
Sur la question de l'interprofessionnel, ou ce que nous appelions
la « structure horizontale ».
Le développement du travail dans les structures horizontales
– unions locales et unions départementales –
a constitué une expérience extraordinaire car cela
nous a confirmés que nos positions étaient les bonnes.
Nous défendions l’idée que le syndicat, ou
toute structure du même type, organisant les travailleurs
sur la base de leur rôle dans le processus de production (dans
les structures d’entreprises) devaient également les
organiser dans des structures géographiques, sur le lieu
d’habitation.
Ces structures géographiques existaient, mais leur rôle
était selon nous artificiellement réduit. Elles devaient
non seulement coordonner l’activité revendicative des
entreprises se trouvant dans la localité, mais également
prendre en charge toutes les questions qui concernent la vie des
travailleurs. Les structures horizontales se voyaient donc chargées
d’une véritable activité politique : on n’avait
plus besoin des partis. Tout cela n’était en rien d’original,
puisque c’est précisément ce qui définit
l’anarcho-syndicalisme, mais les camarades avaient l’occasion
d’expérimenter la chose sur le terrain.
Les UL se développaient, elles devenaient un réel
pôle d'organisation des travailleurs sur une base géographique.
Les militants qui étaient formellement membres de l’Alliance
étaient peu nombreux par rapport à ceux que les pratiques
qu’ils proposaient attiraient. Nous ne cherchions d’ailleurs
pas à « recruter » à tout prix. Les militants
qui finissaient par acquérir une certaine expérience
finissaient naturellement par adhérer.
On coupait l'herbe sous les pieds de tous les groupes gauchistes
qui se concurrençaient pour le titre de direction de rechange
de la classe ouvrière. C'était pour eux inacceptable.
La liquidation de cette expérience, qui n'a pas eu le temps
de se développer suffisamment pour résister aux attaques,
a été extrêmement brutale, et elle s'est faite
avec la complicité active de ces groupes gauchistes et en
particulier de la Ligue communiste. Il reste que l’expérience
a été menée pendant plusieurs années
à une échelle qui n’était pas négligeable,
et que ça marchait. Les travailleurs étaient attirés
par ce type d’activité et les structures qui la pratiquait
se développaient. Cela donne la mesure du gâchis politique
provoqué d’une part par la gauche et l’extrême
gauche parlementaires, mais aussi par la carence d’une partie
du mouvement anarchiste qui restait repliée sur elle-même.
Lorsque des militants de l'Alliance sont arrivés au syndicat
des intérimaires, on en était au début de cette
forme de travail en France. Les intérimaires n'avaient pas
de droits, étaient mal perçus par les travailleurs
en fixe dans les entreprises. Nous avons développé
une habitude de travail systématique avec les unions locales
: on contactait les UL, on rencontrait les responsables, on leur
expliquait la situation et on proposait de faire des réunions-débats
avec les élus et les militants de la CFDT. On proposait également
que les UL nous mettent en contact avec les sections syndicales
des boîtes où il y avait beaucoup d'intérimaires.
Ce système fonctionnait très bien. Cela nous permettait
en outre de rencontrer plein de militants et de discuter. Le simple
travail syndical « basique » nous a permis de faire
en même temps un travail de propagande syndicaliste révolutionnaire
et de rencontrer des militants qui faisaient déjà
ce travail dans leur coin, et que nous ne connaissions pas. Je dois
cependant préciser que les militants de l’Alliance
étaient minoritaires : ce travail se faisait naturellement,
sans parti-pris idéologique ou politique. Personne ne se
disait : « Ah, mais, c’est qu’on fait de l’anarcho-syndicalisme,
là ! »
14.
Le passage de certains militants de l'Alliance à la Fédération
anarchiste.
Lorsque l’Alliance s’est dissoute, un certain nombre
de militants parisiens, dont moi-même mais un peu plus tard,
décidèrent d'adhérer à la FA. L'auteur
de la brochure expose parfaitement les raisons qui ont motivé
cette dissolution. A travers Julien Toublet (le père de Jacky)
et quelques autres vieux militants comme Georges Yvernel, nous avions
une filiation avec l'ancienne CGT-SR. Beaucoup de ces vieux militants
étaient également liés à la Révolution
prolétarienne, dont l'Alliance a utilisé les locaux
quelque temps, rue Jean-Robert.
La RP était devenue une sorte de réunion d'anciens
combattants, très sympathique par ailleurs, mais nous ne
voulions pas nous transformer en cénacle ressassant le passé.
Je crois que le groupe Pierre-Besnard, constitué d'anciens
de l'Alliance et d'anciens de la CNT, s'est créé en
1980 ou 81.
J’ai moi-même adhéré au groupe Besnard,
mais plus tardivement, en 1984. La fin de l’Alliance m’avait
beaucoup marqué et je suis resté en retrait pendant
un bon moment. J’étais un ce ceux qui avaient démarré
cette expérience, dont on peut sans doute difficilement mesurer
à quel point elle a été extraordinaire. L’ironie
de l’histoire veut que j’ai fini par céder à
l’insistance d’un camarade de l’Alliance, Thierry
Porré, qui avait adhéré au groupe Besnard,
mais qui n’avait jamais coupé les liens avec la Fédération
anarchiste…
* * * * * * * * *
J’ai dit que lors de la constitution de l’Alliance
notre texte de référence était la Charte d’Amiens,
nous en sommes progressivement venus à la remettre en cause
et à nous référer au une autre charte, celle
de Lyon. Je voudrais développer ce point.
La relégation de la charte d’Amiens au magasin des
antiquités fut le résultat d’un constat tout
simple : il n’y avait en 1906 qu’une seule organisation
syndicale et prévalait alors de mythe de l’unité
du mouvement ouvrier. La classe ouvrière devait être
une face au patronat. C’était quelque chose qui ne
pouvait même pas être discuté.
En 1970, il y avait multiplicité de confédérations
: la CGT contrôlée par les communistes, la CFDT contrôlée
par les cléricaux, FO contrôlée par Dieu sait
quoi (on me pardonnera j’espère cette audace de langage),
etc.
L’unité du mouvement ouvrier n’avait plus de
sens. Et brandir la charte d’Amiens sous le nez des directions
de toutes ces confédérations en réclamant l’indépendance
syndicale n’avait plus de sens.
Il fallait trouver autre chose. Le mouvement ouvrier était
colonisé par des partis qui l’utilisaient comme masse
de manœuvre dans leurs stratégies politiques. Leur demander
l’application des principes d’Amiens revenait à
demander à un crocodile de devenir végétarien.
Mais, objectera-t-on, il ne s’agissait pas de demander, il
s’agissait d’exiger, et de militer pour amener les travailleurs
à ce point de vue.
C’est là qu’intervient le second constat que
nous avions fait.
Le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme,
dans l’acception française du terme, avaient fait faillite
au moment de la révolution russe. Celle-ci avait introduit
dans le mouvement ouvrier en France des pratiques nouvelles auxquelles
nos camarades n’avaient pas su s’adapter et qu’ils
n’avaient pas su contrer. En somme, ils n’ont pas su
opposer une alternative viable 22 . Il n’était plus
possible de revenir en arrière. S’obstiner à
se référer à la charte d’Amiens revenait
à soupirer après un ordre plus ou moins idyllique
mais complètement dépassé.
Avant-garde et minorité agissante
Dans la tradition du syndicalisme franais, le culte
de l’unité jouait un rôle considérable,
bien que des tendances fort différentes pouvaient se heurter
lors des congrès. Au-delà des options multiples qui
pouvaient se manifester, l’opposition principale se trouvait
entre ceux qui enten¬daient faire participer la classe ou¬vrière
à l’action parle¬mentaire et ceux qui s’y
opposaient. La charte d’Amiens, en 1906, est un texte de compromis
de différentes tendan¬ces unies contre le guesdisme,
dans lequel chacun peut s’y retrouver, mais la notion de neutralité
syndicale qui s’en dégage peut être interprétée
comme une affirmation de non-intervention sur le terrain politique,
ce qui convient aux partisans de l’action parlementaire, alors
que pour les syndicalistes révolutionnaires et les anarcho-syndicalistes
cela signifiait que le syndicalisme, sans exclure l’action
politique (la politique ne se limitant pas aux élections…),
ne s’engageait pas en faveur de l’action parlementaire.
Pour Pouget, la CGT est « neutre du point de vue politi¬que
», mais cette neutralité affirmée « n’implique
point l’abdication ou l’indifférence en face
des problèmes d’or¬dre général, d’ordre
social (…) La Confédération n’abdique
devant aucun problème social non plus que politique (en donnant
à ce mot son sens large). » (La CGT.)
L’idée de neutralité syndicale exprimait alors
le désir de maintenir une unité organique malgré
la pluralité des courants politiques. Mais inévitable¬ment,
la logique des faits devait conduire à des prises de position
plus tran¬chées de la part du syndicalisme révolutionnaire,
car la re¬cherche à tout prix d’un consensus conduisait
à une édul¬coration des principes du mouve¬ment.
Il n’y a par exemple rien, dans la charte d’Amiens,
sur la lutte contre l’Etat ni sur les illusions du parlementarisme.
La charte d’Amiens doit donc être considérée
pour ce qu’elle est, un texte de compromis, un moindre mal,
en aucun cas un manifeste syndicaliste révolutionnaire ou
anarcho-syndicaliste. Les adversaires de ces courants ont d’ailleurs
parfaitement compris l’enjeu de ce texte, en l’interprétant
comme une défaite de l’anarcho-syndicalisme dans la
CGT. Edouard Vaillant (socialiste, député à
partir de 1893) dira à juste titre que le congrès
d’Amiens fut une victoire sur les anarchistes ; Victor Renard,
lui, dira plus trivialement que « les anar¬chistes qui
prédominent à la CGT ont consenti à se mettre
une muselière ».
Dans une organisation ayant plusieurs centaines de milliers d’adhérents,
et dans laquelle se heurtaient en permanence un courant favorable
à l’action parlementaire et un courant opposé,
sur quoi pouvait se fonder l’« unité »
? Dans le meilleur des cas, en fonction des fluctuations de la démocratie
syndicale, la direction de l’organisation pouvait avoir mandat
de développer l’une des stratégies ou l’autre.
Ça n’avait pas de sens.
Il était difficile d’empêcher les partisans
de la stratégie électorale et ceux qui cherchaient
avant tout l’entente avec les pouvoirs publics et le patronat
de développer leurs thèses et leurs pratiques. Pour
conserver une cohérence pratique et théorique, la
scission était inévitable.
Pierre Besnard dit explicitement que l’abandon de fait de
la lutte des classes dans la CGT a littéralement crée
une tendance qui ne pouvait plus grouper les « travailleurs
conscients de la lutte à mener pour la disparition du patronat
et du sala¬riat. Une partie d’entre eux était exclue
idéologiquement, morale¬ment ». C’est là,
dit-il, la cause de la scission de 1921 qui donna naissance à
la CGTU. Cette dernière ne devait pas se montrer différente
: le rôle révolutionnaire du syndicalisme, son indépendance,
son autonomie fonc¬tionnelle et sa capacité d’action
devaient être niés par le Parti communiste qui voulaient
en faire une courroie de transmission. Dès lors, une seconde
scission, « déjà en germe lors de la première,
se produisit ». Ce sera la constitution, en 1926, de la CGT
– syndicaliste révolu¬tionnaire (CGT-SR).
Réapparaît ainsi la même problématique
que celle qui avait divisé l’AIT : l’opposition
entre ceux qui préconi¬saient la stratégie de
conquête du pouvoir politique et ceux qui voulaient la conquête
du pouvoir social. La révolution russe allait modifier largement
les don¬nées du problème. De nombreux syndicalistes
révolution¬naires allaient la soutenir, mais ce soutien
ne peut s’expli¬quer que par le contexte. Le caractère
particulier pris par la révolution à ses débuts,
ainsi que l’éloignement, firent que beaucoup de militants
étaient convaincus que les bol¬cheviks étaient
des bakouniniens 23 . Une certaine con¬fusion régna quelque
temps, puisque peu après l’arresta¬tion de Monatte,
le 3 mai 1920, pour complot contre la sû¬reté de
l’Etat, la police arrêta des dirigeants d’une
« Fédération des soviets » et d’un
« Parti commu¬niste », tous deux de tendance…
anarchiste ! Nombre de bolcheviks eux-mêmes, après
que Lénine eût imposé aux bolcheviks les thèses
d’avril, qui allaient totalement à l’encontre
des positions traditionnelles du parti, crurent que leur chef était
devenu bakouninien. Ainsi, Goldberg, un vieil ami de Lénine,
s’écria-t-il : « La place laissée vacante
par le grand anarchiste Ba¬kounine est de nouveau occupée.
Ce que nous venons d’entendre constitue la négation
formelle de la doctrine social-démocrate et de toute la théorie
du marxisme scientifique. C’est l’apologie la plus évidente
qu’on puisse faire de l’anarchisme 24 . » De fait,
les bolcheviks n’ont pu prendre le pouvoir que parce qu’ils
avaient abandonné leurs mots d’ordre habituels et adopté
le mot d’ordre émi¬nemment anarchiste de «
Tout le pouvoir aux Soviets ! »
Des syndicalistes révolutionnaires et des anar¬cho-syndicalistes
contribueront à la forma¬tion du parti com¬muniste
en France. Certains d’entre eux le quitteront assez rapidement
25 . Monatte, Rosmer et Delagarde seront exclus en décembre
1924. Il faut garder à l’esprit un fait qui a été
peu souligné : pour beaucoup, la révolution russe
était le prélude à l’extension de la
révolution en Europe. Dans cette perspective, soutenir la
révolution russe, quel qu’en fût le caractère,
était vital. « La révolution cessera bientôt
d’être russe pour devenir européenne »,
écrit Mo¬natte à Trotsky le 13 mars 1920. Tom
Mann, un syndica¬liste révolutionnaire britannique (et
fondateur en 1921 du parti communiste britannique), dira les choses
clairement : « Bolchevisme, spartakisme, syndicalisme révolution¬naire,
tout cela signifie la même chose sous des noms dif¬férents.
» Nombre de militants syndicalistes révolutionnai¬res
ne virent pas de différence entre les soviets et les Bourses
du travail, qui de fait remplissaient le même of¬fice
: rassembler les travailleurs, et par extension la popu¬lation
laborieuse d’une localité sur des basses interprofes¬sionnelles.
Il y avait, outre l’anti-parlementarisme 26 , nombre de similitudes
entre les positions du syndicalisme révolution¬naire
et celles des bolche¬viks, qui expliquent l’adhésion
de certains militants au communisme. Ces similitudes seront surtout
soulignées par les bolcheviks eux-mêmes, sou¬cieux
d’attirer à eux les militants ouvriers les plus actifs.
Charbit, Hasfeld, Martinet, Monatte, Monmousseau, Rosmer, Sémard
et d’autres en firent partie. Dire, avec Brupbacher, que le
syndicalisme révolution¬naire accom¬plit son suicide
est exagéré. Si ces militants ont manqué de
discernement, c’est là une chose qu’on peut difficile¬ment
leur reprocher. Il reste que ce manque de discerne¬ment n’était
pas une fatalité : Gaston Leval, se rend à Moscou
en 1921 comme délégué adjoint de la CNT espa¬gnole
pour prendre part au congrès constitutif de l’Inter¬nationale
des syndicats rouges. Ce qu’il voit en Russie – il est
vrai qu’il ne s’est pas contenté de suivre les
parcours fléchés officiels – le persuade que
la révolution se dévoie vers une dicta¬ture de
parti 27 . Le rapport qu’il fera au congrès de Saragosse
en 1922 persuadera la CNT de ne pas adhérer à l’Internatio¬nale
syndicale rouge, ce qui évi¬tera à celle-ci le
processus de « bolchevisation » subi par d’autres
centrales syndicales européennes. En 1922 se constituera,
en concurrence de l’Internatio¬nale syndicale rouge, l’AIT
seconde manière.
On peut dire que c’est l’accélération
de l’histoire qui a imposé aux différents courants
présents dans le mouve¬ment ouvrier de se démarquer
clairement. Si on peut re¬gretter que l’anarcho-syndicalisme
et le syndicalisme révo¬lutionnaire n’aient pas
conservé leur position dominante en France, sur le plan international
la situation était très encourageante : l’AIT
(seconde manière) avait des sections dans 24 pays et regroupait
plusieurs millions de travailleurs 28 .
Le rapprochement entre le concept de minorité agis¬sante
et celui d’avant-garde a été largement fait
par les lé¬ninistes soucieux de rapprocher les deux mouvements.
Rappelons quelques idées développées par Pouget
sur la question des minorités agissantes.
Pour contrebalancer la force de la classe possé¬dante
il faut une autre force : « cette force, il appartient aux
travailleurs conscients de la matérialiser ; (…) cette
nécessaire besogne de cohésion révolutionnaire
se réalise au sein de l’organisation syndicale : là,
se constitue et se développe une minorité grandissante
qui vise à acquérir assez de puissance pour contrebalancer
d’abord et annihi¬ler ensuite les forces d’exploitation
et d’oppression. » (Pouget, L’Action directe)
Ceux qui restent en dehors de l’organisation syndicale, qui
refusent de lutter sont des « zéros humains »,
des « êtres inertes dont les forces latentes n’entrent
en branle que sous le choc que leur imposent les énergiques
et les audacieux ». (Les Bases du syndicalisme.) On constate
une absence totale de complaisance à l’égard
des tra¬vailleurs non-organisés : « Les majorités
sont moutonniè¬res et inconscientes. Elles acceptent
les faits établis et su¬bissent les pires avanies. S’il
leur arrive d’avoir quelques instants de lucidité,
c’est sous l’impulsion des minorités révolutionnaires
et encore il n’est pas rare qu’après avoir fait
un pas en avant, elles laissent passivement renaître le vieux
régime et les institutions renversées. » (Grève
géné¬rale réformiste et grève générale
révolutionnaire.)
« Tout le problème révolutionnaire consiste
en ceci : constituer une minorité assez forte pour culbuter
la mi¬norité dirigeante » (…) « Qui
donc fait la propagande, qui donc dresse les programmes de revendications
? Des minorités ! Rien que des minorités ! »
(Père peinard, 12/01/1890)
Mais ces minorités devront être les plus nom¬breuses
possible, « car si nous sommes convaincus que la révolu¬tion
sera l’œuvre d’une minorité, encore sommes-nous
désireux que cette minorité soit la plus nombreuse
possi¬ble, afin que soient plus grandes les chances de succès.
»
Il est clair que, aux yeux des syndicalistes révo¬lution¬naires,
des différences de niveau de conscience existent dans la
classe ouvrière. Les militants ne s’attendent pas à
ce que tous adhèrent à l’idée de révolution
prolétarienne, mais ils pensent que la minorité agissante
peut créer, lors¬que le moment est venu, un phénomène
d’entraînement et amener la grande masse du prolétariat
à bouger. Ba¬kounine pensait que « dans les moments
de grande crises politiques ou économiques (…), dix,
vingt ou trente hom¬mes bien entendus et bien organisés
entre eux, et qui sa¬vent où ils vont et ce qu’ils
veulent, en entraîneront faci¬lement cent, deux cents,
trois cents ou même davantage ». Mais, précise-t-il,
« pour que la dixième partie du prolé¬tariat
(…) puisse entraîner les neuf autres dixièmes
», il faut que chaque membre soit organisé, conscient
du but à atteindre, qu’il connaisse les principes de
l’Internationale et les moyens de les réaliser. Il
n’est pas question, là, de spontanéité…
« Ce n’est qu’à cette condition que dans
les temps de paix et de calme il pourra remplir efficacement la
mission de propagandiste (…), et dans les temps de lutte celle
d’un chef révolution¬naire. » (« Protestation
de l’Al¬liance ».) Le rôle de la minorité
agissante avait parfaitement été défini par
Bakounine.
L’existence d’une minorité active, capable de
catalyser l’action des masses, dépendait cependant,
dans la CGT du début du siècle, d’un certain
nombre de conditions institu¬tionnelles à propos desquelles
réformistes et révolution¬naires s’opposèrent.
Il s’agit du problème très concret et significatif
de la représentation proportionnelle. Les anar¬cho-syndicalistes
sont favorables à l’égalité des voix
par syndicat, quel que soit leur nombre. L’application du
principe de la représentation proportionnelle, qui établit
l’hégémonie de quelques gros syndicats, condamne
en fait la minorité révolutionnaire. « L’approbation
de la repré¬sentation proportionnelle eût impliqué
la négation de toute l’œuvre syndicale qui est
la résultante de l’action révolu¬tionnaire
des minorités. Or, si l’on admet que la majorité
fasse foi, à quel point s’arrêtera-t-on ? Sur
cette pente sa¬vonneuse on risque d’être entraîné
loin. Ne se peut-il que, sous prétexte de proportionnalité,
une majorité d’incon¬scients dénie le droit
de grève à une minorité de militants conscients
? Et en vertu de quel critérium s’opposera-t-on à
cette masse seule si, soi-même, on a énervé
29 l’action efficace des minorités en les étouffant
sous la proportion¬nali¬té ? » (Déclaration
de Pouget au congrès de Montpel¬lier, septembre 1902.)
Le principe démocratique n’est ainsi pas du tout re¬vendiqué.
Là encore, il s’agit de l’introduction, dans
les pratiques syndicales, d’un élément original
de droit. Le principe démo¬cratique implique que chaque
individu re¬présente une voix, et que la majorité
des voix emporte la décision, c’est-à-dire que
50,5 % peuvent avoir raison sur 49,5 %. Le rejet de ce principe
démocratique vient pour une part du mouvement anarchiste,
pour lequel les déci¬sions doivent être prises
avec un consensus le plus large possible. Mais il y a autre chose.
Il s’agit d’une conception différente de la légitimité.
L’unité de base n’est pas l’indi¬vidu
mais l’individu organisé. Son organisation est le syndicat.
C’est celui-ci qui est l’unité de base. A l’intérieur
du syndicat, un adhérent en vaut un autre. C’est une
logi¬que difficile à comprendre car elle tranche singulièrement
avec nos conditionnements à la démocratie formelle.
L’idée démocratique est donc étrangère
au syndica¬lisme. D’ailleurs, seule une minorité
de travailleurs est syndiquée, aussi « le non-vouloir
de la majorité incon¬sciente et non syndiquée
paralyse¬rait toute action ». La minorité doit
donc « agir sans tenir compte de la masse réfractaire
». D’ailleurs, fait remarquer Pouget, la majorité
est mal venue de récriminer, puisque « l’ensemble
des tra¬vailleurs, intéressés à l’action,
quoique n’y participant en rien, est appelé à
bénéficier des résultats acquis »…
Aussi, n’est-il « pas tenu compte de la masse qui refuse
de vou¬loir et seuls les conscients sont appelés à
décider et à agir » (Le Mouvement socialiste,
janvier 1907).
« Au creuset de la lutte économique se réalise
la fusion des éléments politiques et il s’obtient
une unité vivante qui érige le syndicalisme en puissance
de co¬ordination révolutionnaire. » (Le Mouvement
socia¬liste, janvier 1907.)
On comprend dès lors que les léninistes aient tenté
de rallier à leur cause les syndicalistes révolutionnaires,
bien que pour les premiers l’avant-garde était constituée
de ré¬volutionnaires profes¬sionnels, la plupart
du temps non ouvriers, alors que pour les seconds la minorité
agissante baignait dans la classe ouvrière dont elle faisait
partie.
Trotsky ne s’y est pas trompé. Il avait compris que
le contrôle du mouvement syndical était une étape
décisive pour avoir une influence sur le mouvement ouvrier.
Si le syndicalisme révolution¬naire avait raison de lutter
pour l’autonomie syndicale face au gouvernement bourgeois
et aux socialistes parlementaires, il ne « fétichisait
pas l’au¬tonomie des organisations de masse. Au contraire,
il comprenait et préconisait le rôle dirigeant de la
minorité révolutionnaire dans les organisations de
masse, qui réflé¬chissent en leur sein toute la
classe ouvrière, avec toutes ses contradictions, son caractère
arriéré, et ses faibles¬ses. » En somme,
l’autonomie n’a plus lieu d’être mainte¬nant
qu’il y a un vrai parti révolution¬naire. Et Trotski
ajoute :
« La théorie de la minorité active était,
par essence, une théorie incomplète du parti prolétarien.
Dans toute sa pratique, le syndicalisme révolution¬naire
était un embryon de parti révolutionnaire ; de même,
dans sa lutte contre l’opportunisme, le syndicalisme révolutionnaire
fut une remarquable esquisse du communisme révolutionnaire.
« Les faiblesses de l’anarchosyndicalisme, même
dans sa période classique, étaient l’absence
d’un fondement théorique correct, et comme résultat,
une incompréhen¬sion de la nature de l’Etat et
de son rôle dans la lutte de classe. Faiblesse aussi, cette
conception incomplète, in¬suffisam¬ment développée,
et par conséquent fausse, de la minorité révolution¬naire,
c’est-à-dire du parti. D’où les fautes
de tactique, comme la fétichisation de la grève
gé¬nérale, l’ignorance de la relation
nécessaire entre le soulè¬vement et la prise
du pouvoir. « Après la guerre, le syndicalisme français
trouva dans le communisme à la fois sa réfutation,
son dépassement et son achèvement ; tenter de faire
revivre aujourd’hui le syndicalisme révolutionnaire
serait tourner le dos à l’his¬toire. Pour le
mouvement ouvrier, une elle tentative ne pourrait avoir qu’un
sens réactionnaire. »
L’idée que les syndicats se suffisent à eux-mêmes
si¬gnifie « la dissolution de l’avant-garde révolution¬naire
dans la masse arriérée que sont les syndicats »
30 . La position que développe Trotsky dans un texte de 1929
reflète parfaitement le point du vue du bolchevisme dès
la révolution russe, bien que se surajoute alors l’in¬fluence
stalinienne dans le mouvement ouvrier. A ce titre, Trotsky est bien
l’héritier de Lénine.
Les critiques formulées contre le syndicalisme révolu¬tionnaire
avaient déjà suscité des réactions,
mais pas dans le sens souhaité par Trotsky. Après
l’assassinat de syndi¬calistes par des communistes, à
la Maison des syndicats à Paris, le 11 janvier 1924, des
anarcho-syndicalistes et des syndicalistes révolutionnaires
s’engagèrent dans la forma¬tion d’une nouvelle
centrale syndicale, la CGT-SR. Les unions départementales
de la Somme, de la Gironde, de l’Yonne, du Rhône, la
fédération du bâtiment, se groupè¬rent
dans une Union fédérative des syndicats autonomes
de France, puis se confédérèrent les 1er et
2 novembre 1926 à Lyon.
La nouvelle organisation conteste l’idée de neutralité
syndicale telle qu’elle est affirmée dans la charte
d’Amiens, notamment le paragraphe où « le congrès
af¬firme l’entière liberté pour le syndiqué
de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles
formes de lutte correspondant à sa conception philosophique
ou politique, se bornant à lui demander en réciprocité
de ne pas intro¬duire dan» le syndicat les opinions qu’il
professe au de¬hors. »
La CGT-SR désormais, affirme la nécessité
pour le syndicalisme non seulement de se développer hors
des partis politiques, mais contre eux. Cette attitude est en quelque
sorte l’écho des 21 conditions d’admission à
l’In¬ternationale communiste, qui préconisaient
la constitution de fractions communis¬tes dans les syndicats
afin d’en prendre la direction. La charte de Lyon de la CGT-SR
affirme que le syndicalisme est « le seul mouvement de classe
des travailleurs » : « L’opposition fondamentale
des buts poursuivis par les partis et les groupements qui ne re¬connaissent
pas au syndicalisme son rôle essentiel, force également
la CGT-SR à cesser d’observer à leur égard
la neutralité syndicale, jusqu’ici tradition¬nelle
».
Les documents de constitution de la CGT-SR offrent une véritable
réflexion sur le contexte de l’époque, no¬tamment
sur la crise mondiale qui se prépare, sur la mon¬tée
du fascisme, et formulent un véritable programme politique.
Une tactique révolutionnaire est esquissée con¬cernant
les rapports avec les autres forces révolu¬tionnaires,
à la fois dans l’action revendicative quotidienne et
en cas de révolution. Un programme revendicatif est proposé,
qui s’inscrit à la fois dans le cadre de revendications
quoti¬diennes tout en présentant un caractère
de préparation à la transformation sociale. On retrouvera,
curieusement, les principaux thèmes, réadaptés
évidemment, de ce pro¬gramme revendicatif dans…
le programme de transition de Trotsky, dix ans plus tard !
Sur cette période, A. Schapiro écrivit en 1937 :
« La grande guerre balaya la charte du neutralisme syndical.
Et la scission au sein de la Première Internationale entre
Marx et Bakounine eut un écho – à la distance
de presque un demi-siècle – dans la scission historiquement
inévita¬ble au sein du mouvement ouvrier interna¬tional
d’après-guerre. Contre la politique de l’asservisse¬ment
du mouve¬ment ouvrier aux exi¬gences de partis politiques
dénommés “ouvriers », un nouveau mouvement,
basé sur l’action di¬recte des masses en dehors
et contre tous les partis politi¬ques, surgissait des cendres
encore fu¬mantes de la guerre 1917-1918. L’anarchosyndicalisme
réalisait la seule conjonction de forces et d’éléments
capables de garantir à la classe ouvrière et paysanne
sa complète indépendance et son droit inéluctable
à l’initiative révolutionnaire dans toutes
les manifestations d’une lutte sans merci contre le capitalisme
et contre l’Etat, et d’une réédification,
sur les ruines des régimes déchus, d’une vie
sociale libertaire. »
La constitution de la CGT-SR n’aboutit évidemment
pas à une percée spectaculaire dans la lutte des classes
de l’époque. Ce fut une petite organisation constituée
trop tardivement alors que le mythe de la révolution russe
commençait à se constituer. On ne peut guère
reprocher à quelques militants lucides de ne pas avoir réussi
à persuader les masses à nager contre le courant.
Il faut aussi garder à l’esprit que nous entrons à
cette époque dans la période de montée du fascisme
: en 1926 il est au pouvoir en Italie et au Portugal, il le sera
quelques années plus tard en Allemagne. Dans ces trois pays
existaient des mouvements anarcho-syndicalistes importants qui seront
balayés, avec le reste du mouvement ouvrier.
Quelques leçons du passé
Les thèmes anarcho-syndicalistes et syndicalistes révo¬lutionnaires
ont la vie dure. Dès 1921, Trotsky doit pré¬venir
qu’il faut « condamner sévèrement la conduite
de certains communistes qui non seulement ne luttent pas dans les
syndicats pour l’influence du Parti, mais s’oppo¬sent
à une action dans ce sens au nom d’une fausse inter¬prétation
de l’autonomie syndicale ». A la même époque,
confrontés aux graves problèmes de la réorganisation
économique auxquels ils n’avaient pas du tout songé,
les dirigeants bolcheviks se voient proposer par Chliapnikov et
Kollontaï, qui avaient constitué une tendance, l’Opposi¬tion
ouvrière, de confier la gestion de l’économie
à un congrès des producteurs de Russie, groupés
en syndicats de production qui éliraient un organisme central
dirigeant l’ensemble de l’économie nationale
de la République. Cette idée sera condamnée
comme « déviation anarchiste et syndicaliste ».
L’Opposition ouvrière sera muselée, en 1921,
au Xe congrès du parti, et Trotsky dira d’elle : «
Ils ont mis en avant des mots d’ordre dangereux… ils
ont placé le droit des ouvriers à élire leurs
représentants au-dessus du parti. Comme si le parti n’avait
pas le droit d’affirmer sa dictature, même si cette
dictature était en conflit avec les humeurs changeantes de
la démocratie ouvrière… »
Dans les années trente, la direction du Parti commu¬niste
français sera constamment obligée de réprimander
les militants d’usine qui n’appliquent pas strictement
la discipline de parti et qui entendent s’autonomiser par
rap¬port à lui. En plein Programme commun de la gauche,
Edmond Maire déclare : « Il y a eu deux grands courants
socialistes, celui qui est jacobin, centralisateur, autoritaire,
s’est établi dans les pays de l’Est. L’autre,
le socialisme li¬bertaire anarcho-syndicaliste, autogestionnaire,
c’est celui que nous représentons. » (Le Monde,
19 octobre 1972.)
Ainsi l’anarcho-syndicalisme sert de repoussoir quand on
veut resserrer le contrôle sur l’organisa¬tion,
mais il sert de référence lorsqu’on veut réaffirmer
une continuité avec le mouvement ouvrier français.
Il va sans dire qu’Edmond Maire ne pensait pas un mot de ce
qu’il disait. En effet, à l’époque où
il faisait cette déclaration, commençait un processus
de « nettoyage » dans les instances syndicales dans
lesquelles les anarcho-syndicalistes avaient réussi à
développer avec succès leurs vues auprès des
syndiqués. Les années qui ont suivi 1968 ont vu un
extra¬ordinaire développement du mouvement syndical en
France, dû en grande partie à l’extension des
structures interprofession¬nelles. Ce phénomène
a permis un élargissement considé¬rable du champ
d’intervention de l’organisation syndicale, puisque
dans les unions locales et départementales pou¬vaient
être pris en charge des problèmes qui débordaient
largement de l’entreprise. Cela a permis aussi une coordi¬nation
décentralisée de l’action, un accroisse¬ment
des dé¬bats dans les instances de base et les structures
intermé¬diaires. Ce processus était clairement
perçu par les appa¬reils syndicaux, mais aussi par les
partis de gauche et d’extrême gauche, comme un danger.
En effet, le dévelop¬pement du débat politique
et du travail d’organisation (car nous recrutions…)
dans des structures de classe qui n’étaient pas cantonnées
à l’entreprise et qui développaient des thèmes
de réflexion débordant de loin les simples re¬vendications
économiques, constituait une remise en cause du rôle
des avant-gardes autoproclamées. Aussi, l’une des tâches
que se sont fixé les directions syndicales par la suite,
avec la complicité des trotskistes, a été de
laminer ce mouvement par la dissolu¬tion de sections syndicales,
de syndicats, d’unions locales et départementales,
par l’exclusion de militants.
Le débat reste ouvert sur la question du mode d’inter¬vention
des anarcho-syndicalistes aujourd’hui. Cinquante ans après
la création de la CGT-SR, les circonstances im¬posent
que le mouvement ait une apparition propre, au grand jour, comme
alternative au syndicalisme réformiste, intégré
à l’Etat, dominé par des partis politiques.
L’expérience historique de la social-démocratie
et du léninisme a disqualifié ces deux mouvements
dans leurs tentatives de proposer une alternative au capitalisme.
Existe-t-il, aujourd’hui, une possibilité pour l’anarcho-syndicalisme
de se développer ? La première remarque qu’on
puisse faire est : cela dépend des anarcho-syndica¬listes
eux-mêmes. Il est certain que la réapparition signifi¬cative
de ce mouvement sur le terrain de la lutte des clas¬ses ne pourra
pas se faire en reprenant mécaniquement les problèmes
tels qu’ils se posaient il y a cinquante ans, ni en copiant
les méthodes et les formes organisa¬tionnelles d’alors.
Surtout, il faut se garder de toute attitude apolo¬gétique
visant à justifier tout sous prétexte de présenter
une image idyllique du mouvement.
Le syndicalisme révolutionnaire, qui a dominé dans
le mouvement ouvrier français entre 1895 et 1914, est appa¬ru
comme une réaction à la montée du marxisme
réfor¬miste dans sa version guesdiste, mais aussi comme
une réaction à l’anarchisme, dominé alors
par les partisans de la « reprise individuelle » dont
Gaston Leval disait qu’ils s’attaquaient plus volontiers
aux petites vieilles dans les chambres de bonne qu’aux gros
détenteurs de capitaux, mieux protégés.
Il n’existe pas à proprement parler de doctrine du
syn¬dicalisme révolutionnaire, avant son explicitation
par la CGT-SR. La théorie, pour les militants, reste accessoire.
Le théoricien le plus connu du syndica¬lisme révolution¬naire,
Georges Sorel, fut parfaite¬ment méconnu des mili¬tants.
D’ailleurs, il théorisait le syndicalisme révolution¬naire
au nom du marxisme : de son point de vue, le syndi¬calisme révolutionnaire
était une révision du socialisme officiel et un retour
au vrai marxisme. « Il n’y a pas, dit-il, de meilleure
preuve à donner pour démontrer le génie de
Marx, que la remarquable concordance qui se trouve exister entre
les vues et la doctrine que le syndicalisme révolutionnaire
construit aujour¬d’hui, lentement, avec peine, en se tenant
toujours sur le terrain de la pratique des grèves. »
Après la « Lettre aux anarchistes » de Fer¬nand
Pellou¬tier, beaucoup de militants suivront l’appel, mais
cela constitua un ensemble disparate. Certains évoluèrent
vers le « syndicalisme pur », d’autres demeureront
des anar¬chistes agissant dans les syndicats. La plupart des
mili¬tants syndicalistes révolutionnaires étaient
des syndiqués anarchistes, des syndiqués socialistes.
Le terme même de syndicalisme révolutionnaire recouvre
des réalités diffé¬rentes. Il y a des syndicalismes
révolutionnai¬res, mais pas vraiment une doctrine, en
dehors de la notion d’indépen¬dance syndicale.
Mais la notion d’indépendance syndicale a un aspect
défensif, elle implique en outre que les protagonistes «
jouent le jeu ». Lorsqu’un parti structuré et
discipliné décide de ne pas jouer le jeu, l’indépendance
disparaît in¬évitablement. C’est ainsi que
le parti communiste a pu « pénétrer dans la
CGT comme une pointe d’acier dans une motte de beurre »
selon les termes mêmes d’un de ses dirigeants. La notion
d’indépen¬dance, lorsqu’elle n’est
pas appuyée sur une doctrine indépendante, sur une
organisa¬tion cohérente qui se substituent aux doctrines
et organi¬sations extérieures, n’est qu’un
vœu pieux. Les syndicalis¬tes révolutionnaires et
les anarcho-syndicalistes français seront incapables de faire
face à la pénétration des frac¬tions bolcheviks
dans les syndicats.
Autant que de la Grande Guerre et de l’attrait pour la révolution
russe, c’est de son incapacité doctrinale et or¬ganique
que le syndi¬calisme révolutionnaire français
mourra.
En disant, cela, ne donnons-nous pas raison aux criti¬ques
léniniennes du syndica¬lisme révolution¬naire
? Dans une large mesure, oui. Trotsky avait parfaitement raison
de dire que la théorie de la minorité agissante était
une théorie « incomplète » et que le syndicalisme
révolution¬naire était quelque chose d’«
embryonnaire ». Pourtant la solution ne résidait pas
dans l’alignement sur les positions léniniennes mais
dans l’affirmation mieux exprimée de l’identité
du syndicalisme révolutionnaire, qui aurait dû assumer
jusqu’au bout sa fonction de minorité révolution¬naire
en s’organisant en tant que telle dans la CGT pour combattre
la pénétration extérieure. Pour contrer la
frac¬tion communiste dans la CGT, il aurait fallu constituer
une contre-fraction syndicaliste révolutionnaire. La ri¬poste
aux agissements d’une fraction est le dévoilement de
ses projets, mais cela n’est malheureusement possible que
par la constitution d’une contre-fraction.
Malheureusement, de telles pratiques étaient culturel¬lement
inconcevables pour nos camarades d’alors.
Si les syndicalistes révolutionnaires, dans l’an¬cienne
CGT, s’étaient organisés en tant que tels au
lieu d’être éparpillés, la confédération
n’aurait pas été « bolchevisée
» et ses meilleurs militants n’auraient pas fondé
le parti communiste. Lorsque le syndicalisme révo¬lutionnaire
se constitue définiti¬vement avec la CGT-SR, le terme
« syndicalisme révolutionnaire » n’a plus
le même contenu que vingt ans plus tôt. Il s’agit
en fait d’anarcho-syndicalisme, bien que Pierre Besnard se
soit toujours déclaré syndicaliste révolutionnaire.
On a abandonné le mythe de l’unité de la classe
ouvrière dans une seule or¬ganisation. Implicitement,
on a assimilé l’idée (que per¬sonne n’ose
formuler) que plus l’organisation est grande moins son mode
d’action et son programme sont radicaux. Le mouvement se résigne
à être une minorité révolutionnaire organisée
dont la fonction n’est plus de regrouper l’ensemble
de la classe ouvrière, mais d’impulser des actions
susceptibles d’entraîner les masses (l’objectif
étant tout de même d’être le plus nombreux
possible), et d’élaborer un programme de réorganisation
de la société. En ce sens, le syndicalisme révolutionnaire
français re¬joint dans une large mesure les pratiques
léniniennes, à cette différence près
– notable tout de même… – que son champ
d’intervention, le syndicalisme, se situe sur le ter¬rain
de classe, et non sur le terrain inter-classiste et parti¬daire.
La CGT-SR marque la naissance véritable de l’anar¬cho-syndicalisme
en tant que doctrine indépendante et affirmative d’elle-même.
La création de la CGT-SR était en France une réponse
adéquate, mais tardive, à une situation que les militants
n’avaient pas pu prévoir, c’est-à-dire
l’irruption, sur le terrain de la lutte sociale et politique,
au sein du mouve¬ment ouvrier et de ses organisations, de méthodes
inconnues et effi¬caces d’infiltration, de noyautage et
de prise de contrôle. Le fait que ces méthodes aient
pu être mises en œuvre aussi efficacement conduit évidemment
à poser la question : les dirigeants syndicalistes révolution¬naires
étaient-ils à la hauteur, et n’aurait-on pas
eu là, d’une certaine façon, la manifestation
d’une crise de la di¬rection du mouvement ouvrier ? C’est
oublier l’impact ex¬traordinaire de la révolution
russe derrière laquelle se re¬tranchaient les partisans
de la bolchevisation du mouve¬ment syndical, impact sans lequel
ces méthodes auraient été inefficaces. La bolchevisation
du mouvement syndical n’a été possible qu’avec
la collaboration active, du moins au début, des militants
syndicalistes révolutionnaires comme Monatte, qui ont joué
le rôle de véritable cheval de Troie dans le mouvement
ouvrier.
L’anarcho-syndicalisme n’est pas un mouvement sans
doctrine. Il constitue dans une large mesure un retour aux principes
bakouniniens. Force importante entre les deux guerres, sa disparition
de la scène internationale n’est pas tant due à
son incapacité à s’adapter à l’évolution
de la société capitaliste qu’à son extermination
physique par le fascisme et le stalinisme.
* * * * * * * * *
En conclusion, doit-on dresser un bilan d'échec de l'Alliance
? Bien sûr que non. La dissolution de notre groupe a été
un coup dur sur le moment, parce que c'était la fin d'un
rêve, c’était un projet qui s'évanouissait.
Dix ans d'hyperactivité, de combats, de fraternité,
de convivialité et, il faut le dire, de franche rigolade,
parce qu'on s'est aussi bien marrés. Le bilan d'un groupe
comme le nôtre ne se fait pas seulement sur ses résultats
politiques mais aussi sur la façon dont il vivait son militantisme
31 .
Peut-être est-ce dû à sa courte vie, mais l'Alliance
n'a jamais été déchirée par des conflits
internes 32 . Des engueulades, c'est normal, mais ça n'allait
pas loin. Il reste, entre les anciens de l'Alliance qui se croisent,
même avec ceux qui ont décroché de l'action,
quelque chose d'indéfinissable. Nous avons tous la nostalgie
de cette époque, mais personne n'est resté sur le
bord du chemin à se morfondre.
Le passage d'une partie des militants parisiens de l'Alliance à
la Fédération anarchiste a été une autre
histoire... Pendant longtemps, certains militants de la FA ont projeté
sur le groupe Besnard les mêmes fantasmes qu’ils projetaient
dur l’Alliance. On reprochait aux militants du groupe Besnard
d’ « investir des postes » à la FA. Le
groupe recrutait et s’agrandissait régulièrement
: c’était louche ; lorsqu’il atteignait une certaine
taille il se constituait un autre groupe. On reprochait donc au
groupe de se développer . Heureusement, la FA a changé…
et les militants de l’Alliance ont vieilli.
Je pense que l'Alliance a eu une influence durable, peu spectaculaire,
mais en profondeur dans le mouvement libertaire. Elle a fourni une
génération de militants, et ça, c'est jamais
perdu. Elle a permis d'organiser pendant dix ans des militants qui
se seraient dispersés sans elle, et qui auraient sans doute
abandonné par manque de perspectives. Elle a contribué
à maintenir le flambeau du syndicalisme révolutionnaire
à une époque de transition 33 où les militants
de l'après-guerre commençaient à disparaître
et où il n'y avait pas encore une relève. Enfin, elle
a introduit sur le plan théorique de nouvelles approches,
brisé des tabous, cassé la vision diabolique que les
anarchistes avaient du marxisme et montré la nécessité
d'une réelle cohérence dans l'élaboration théorique.
Ce n'est pas si mal...
Avec la recomposition actuelle du paysage syndical, je pense que
la reconstitution de quelque chose ressemblant à l'Alliance
syndicaliste, permettant de coordonner les courants SR et AS dans
le mouvement syndical, y compris dans les « nouvelles »
organisations syndicales comme SUD, serait une excellente chose,
mais il est évident cependant qu’on ne pourrait pas
reprendre les choses exactement au point où on les a laissées
en 1980.
En effet, un certain nombre de données nouvelles sont apparues
qui modifient radicalement le contexte. Il est peut-être significatif
que la fin de l’Alliance correspond grosso modo avec la fin
des trente glorieuses et l’apparition du néolibéralisme
et de la « mondialisation ». Peut-être la disparition
de l’Alliance est-elle liée à son incapacité
à s’adapter à ce nouveau contexte. Pendant la
période où nous y militions, il y avait encore massivement
dans le mouvement ouvrier une conscience claire de la séparation
des classes. C’était là un point qui était
évident et qui n’était pas remis en cause.
Aujourd’hui, cette conscience de classe s’est considérablement
effritée et il est parfois difficile d’en faire prendre
conscience aux jeunes générations. Je me souviens
avoir distribué des tracts de la CGT lors d’une des
multiples attaques du gouvernement contre la sécurité
sociale. L’attitude des passants était significative
: beaucoup de personnes considéraient avec un certain dégoût
un tract venant de la CGT. C’était pourtant des salariés
qui étaient les premiers concernés par ces attaques
contre la Sécu. L’imprégnation des idées
néolibérales chez de nombreux salariés est
le résultat d’une propagande patronale et gouvernementale
extrêmement efficace.
– Donc le premier point qu’il me paraît important
de souligner est que la lutte sur le terrain idéologique
me paraît aujourd’hui plus que nécessaire.
– Le second point est qu’il faut préparer
les militants et les travailleurs aux différentes techniques
de manipulation des groupes afin qu’ils soient capables
de contrer les tentatives de prise de contrôle de leurs
structures par de prétendue « avant-gardes »
;
– Le troisième point est que le travail de coordination
ne pourrait plus se limiter aux organisations syndicales mais
devrait s’étendre à toutes les instances du
« mouvement social » qui se sont constituées
en dehors du syndicalisme et des partis politiques.
– Le dernier point est la nécessité d’étendre
des relations au plan international, pour des raisons évidentes
liées à la mondialisation, avec toutes les organisations
proches par leurs objectifs et leurs pratiques 34 .
La modernité fournit des atouts considérables au
mou¬vement s’il se montre capable d’en tirer parti.
Le fossé existant autrefois entre les couches cultivées
de la popula¬tion et les masses prolétarisées,
du moins dans les pays industriels, s’est considérablement
réduit, ôtant toute jus¬tification aux prétentions
des intellectuels petits-bourgeois à se poser en direction
autoproclamée du mouvement ouvrier. Les militants syndicalistes
d’aujourd’hui se mon¬trent tout autant capables
de réflexion et de conceptuali¬sation que les avocats,
journalistes, médecins qui étaient il y a un siècle
candidats à la direction du mouvement ou¬vrier. Ce constat
en lui-même introduit une exi¬gence : la composition sociologique
de la classe révolution¬naire s’est modifiée.
Si le poids du prolétariat traditionnel n’a pas changé
en nature – quoi qu’on dise, une grève d’éboueurs,
de cheminots, d’ouvriers d’usine a plus d’incidence
sur notre vie quotidienne qu’une grève de coiffeurs,
d’huis¬siers de justice ou d’antiquaires –
il a changé sur le plan démographi¬que. Le problème,
posé par Pierre Besnard en 1926, de l’intégration
de couches non ouvrières au sens strict, l’employé,
le fonctionnaire, le contremaître, le technicien, le professeur,
le savant, l’écrivain, l’artiste, qui vivent
exclusivement du produit de leur travail reste donc plus que jamais
d’actualité.
Cela implique, là encore, l’exigence d’une ré¬flexion
nouvelle sur la notion de travail productif, qui ne peut plus se
limiter aux critères élaborés par les penseurs
so¬cialistes du siècle dernier, et sur la fonction du
travail dans la société d’aujourd’hui.
Notes
1 CSR, BP 3, 31240 Saint-Jean. E-mail : syndicaliste@wanadoo.fr
2 Les lambertistes ont toujours courtisé les anarcho-syndicalistes
qui leur donnaient une légitimité historique et une
filiation virtuelle avec le mouvement ouvrier français. Lorsque
s’est constitué le Parti des travailleurs, celui-ci,
pour ne pas donner l’impression d’être un bloc
monolithique était constitué en théorie (très
théoriquement, je dirais même), de trois tendances,
dont une tendance « anarcho-syndicaliste ». Pour ne
pas être malpoli, je ne dirai pas ce que je pense de ceux
qui ont apporté leur caution à cette organisation
trotskiste.
3 Pierre Piler dit Gaston Leval , 1895-1978. Il est réfractaire
lors de la Première guerre mondiale et se réfugie
en Espagne. En 1921 il se rend en Russie comme délégué
de la CNT lors du congrès constitutif de l’Internationale
syndicale rouge. Son rapport négatif contribue à ce
que le CNT n’adhère pas à cette organisation.
En 1924 il part s’installer en Argentine. Il participe à
la révolution espagnole, dont il observe attentivement l’œuvre
économique. Il fuit l'Espagne en 1938, arrêté
pour insoumission, condamné il s'évade de Clairvaux
en août 1940. A la libération il vit à Bruxelles,
revient en France et collabore à la revue contre-courant.
Il rejette le qualificatif d’« anarchiste » trop
ambigu à son avis. Il fonde le groupe Socialiste libertaire
et crée les Cahiers du socialisme libertaire et le Centre
de sociologie libertaire. Il écrivit entre autres : L'Espagne
libertaire. – l'Etat dans l'histoire, – Bakounine, fondateur
du syndicalisme révolutionnaire. A la fin de sa vie il adhéra
au Syndicat CGT des correcteurs.
4 Pierre Besnard, né en 1886, cheminot au chemin de fer
de l'Etat depuis 1909, nommé facteur en chef de la gare d'Autueil
en décembre 1919, fut révoqué pour faits de
grève en mai 1920 lors de la Grande grève, hélas
sans résultat, des chemins de fer. En 1921, il devient secrétaire
général du comité central des Comités
syndicalistes révolutionnaires, créés en 1919
au sein de la C.G.T. et regroupant anarcho-syndicalistes, syndicalistes
révolutionnaires et communistes. Après le congrès
de Saint-Etienne de la C.G.T.-U. nouvellement créée,
où sa motion est repoussée par 848 voix contre 399.
Il fonde, fin 1922, pour sauver le syndicalisme de la mainmise communiste,
le Comité de défense syndicaliste. Ce qui n'empêche
pas les anarchistes et les anarcho-syndicalistes d'être à
nouveau battus au congrès de Bourges en 1923, sur la question
de l'affiliation à l'A.I.T. Il participa à la fondation
de la CGT-SR en 1926.
5 Si l’activité de l’Alliance a été
en grande partie liée à la CFDT, nous avions aussi
des camarades à la CGT, à Paris et en province. Il
ne faut pas l’oublier. Dans les années 70, ce n’était
pas toujours très facile…
6 S’ils avaient un peu étudié Bakounine, ils
auraient su ce que c’était.
7 « Elisabeth, en lisant une épreuve de l’interview,
ajouta Toublet, insista sur le fait que la contre-fraction pouvait
permettre de ne pas tomber dans le fonctionnement majorité/minorité
systématique. C’est-à-dire d’être
critique aussi vis-à-vis de la minorité ; elle concluait
que dans le secteur de la Santé, au nom du principe de l’unité
de la minorité, les libertaires avaient trop suivi la LCR.
»
8 C’est moi – je l’avoue – qui ai écrit
ces articles. Sur Malatesta, je n’ai pas changé. Sur
Kropotkine, disons que j’ai mis un peu d’eau dans mon
vin. Puisqu’on en est aux révélations, c’est
également moi qui ai écrit l’interminable série
d’articles sur l’anarcho-syndicalisme, sauf celui sur
les tendances à la FEN qui est de Pierre Michalak.
9 L’obsession permanente de Jacky Toublet était de
constituer l’unité du mouvement libertaire, un mouvement
ancré dans les luttes sociales. Peu de temps avant de mourir,
Jacky avait adhéré à Alternative libertaire,
qui est, à la suite de mutations dont je ne saurais raconter
le détail, la continuatrice de l’UTCL.
10 Nous avions en mémoire une chose que beaucoup de camarades
ignorent. Après la guerre, les organisations syndicales «
qui n'avaient pas collaboré » ont été
invitées à se faire connaître pour récupérer
les locaux qu'elles possédaient dans les bourses du Travail.
La CGT-SR avait disparu, mais la toute nouvelle CNT(f) se déclarait
comme son successeur. Les camarades ont refusé de faire la
démarche parce qu'ils « ne voulaient rien devoir à
l'Etat ». A cette énorme stupidité, les camarades
de la jeune CNT(f) en ont ajouté une autre. Pendant les quelques
années qui ont suivi la Libération, des syndicats
entiers quittaient la CGT parce qu'ils en avaient marre des staliniens.
Nombre d'entre eux sont venus frapper à la porte de la CNT.
Les camarades qui les ont reçus leur ont demandé s'ils
étaient anarchistes. Les gars répondaient évidemment
que non, et ils allaient voir ailleurs. C'est ainsi que FO a pu
récupérer les syndicats qui ont quitté la CGT.
Le jeune gars de la CNT(f) que nous avions rencontré dans
le début des années 70 nous paraissait fait dans le
même moule que ses prédécesseurs de l'après-guerre.
Je précise que le « zèle anarchiste »
de ces camarades était tout à fait contraire aux pratiques
de la CNT espagnole qui organisait, heureusement, une grande masse
de travailleurs qui n'étaient pas anarchistes.
11 Si les copains d’Usinor avaient été aussi
machiavéliques et malhonnêtes que le prétendaient
leurs adversaires de la direction confédérale, peut-être
auraient-ils adhéré à Force ouvrière,
simplement pour sauter l’obstacle. Gagner du temps pour voir
venir. Sans doute étaient-ils trop sincèrement syndicalistes
pour se livrer à de telles manœuvres. A la différence
de beaucoup de “ politiques ”, qui ne se gênent
pas, eux. Ainsi qu’avait pu le constater, au commencement
des années soixante-dix, un camarade qui était délégué
syndical CFDT aux Compteurs de Montrouge, devenus plus tard Schlumberger.
Un jour, il était entré par erreur dans le local de
la section FO, notoirement connue pour être tenue par les
gens de Lutte ouvrière et quasi inactive. Quelle ne fut pas
sa stupéfaction de voir la pièce, du sol au plafond,
entièrement emplie d’extincteurs… Ce n’est
que quelques semaines après qu’il comprit la raison
de ce qui lui était apparu d’abord comme une incongruité
: Lutte ouvrière n’avait pas, alors, de local —
la “ clandé ”, toujours. Néanmoins, il
fallait bien que nos camarades trotskistes stockent les extincteurs
nécessaires à leur célèbre fête
annuelle. Donc, ils utilisaient les locaux syndicaux qu’ils
contrôlaient à cet effet ! On en déduit qu’ils
ne devaient pas chercher à faire trop d’adhérents
hors de LO ! » (Note de J.T.)
12 Secrétaire général de la CFDT avant Edmond
Maire.
13 Je peux l’avouer maintenant, il y a prescription.
14 A vrai dire je ne me souviens pas s’ils étaient
formellement de l’Alliance, en tout cas ça ne faisait
pas de différence pour nous.
15 Je ne me souviens plus de la date de la réunion, mais
c’était après le 35e congrès de la CFDT.
16 La politique de la Ligue consistait à occuper un maximum
de postes de permanents, la plupart du temps indépendamment
de leur implantation réelle en militants. Cette stratégie
était logique pour des gens qui se percevaient comme une
direction de rechange de la classe ouvrière. Ça n’a
pas empêché qu’ils fassent partie de charrettes,
plus tard.
17 Toublet croyait devoir ajouter, à la relecture de son
interview : « Il y eut peut-être d’autres causes
à la scission, moins théoriques. Ainsi l’un
des protagonistes de cet éclatement, dont le nom importe
d’autant moins qu’il devait être faux, s’est
trouvé être celui qui a apporté impasse Guéménée,
le local de la Ligue communiste, à laquelle il avait adhéré
après l’implosion de l’ORA, l’objet qui
servit de prétexte formel à l’interdiction de
cette organisation. Quelque temps après également,
avec deux ou trois copains, nous étions allés musarder
à la fête de Lutte ouvrière. Quelle ne fut pas
notre surprise d’y voir une ancienne militante de l’ORA,
qui avait été responsable des relations internationales,
en train de faire cuire des frites… Et avec tant d’attention
qu’elle ne vit point les signes que nous lui fîmes !
Nous en avons conclu que le ministère de l’Intérieur
et LO, et peut-être d’autres, s’étaient
occupés de l’ORA, cette organisation dont le développement
ne leur seyait guère. »
18 Organisation communiste libertaire, un des deux groupes issus
de la scission de l’ORA, d’orientation « mouvementiste
». (Note de J.T.)
19 Union des travailleurs communistes libertaires, un des deux
groupes issus de la scission de l’ORA qui par regroupement
avec d’autres constitua Alternative libertaire.
20 Sur ce dernier point, Jacky a la mémoire un peu sélective.
A l’époque où se déroulaient des discussions
entre l’Alliance et l’UTCL, il était le premier
à être complètement effaré par l’attitude
et le discours de l’UTCL, dogmatique, sévère,
cassant et prétentieux. Et surtout par leur alignement invraisemblable
sur les positions de la Ligue communiste. A la fin de la fameuse
conférence tenue par les deux groupes dans le 19e arrondissement,
des militantes de l’UTCL sont allées voir des copines
de l’Alliance pour se réjouir que cette dernière
ait refusé d’envisager une fusion, parce que les gars
de l’UTCL étaient persuadés de nous «
bouffer tout crus »… (Textuellement. Je n’ai appris
cette dernière précision que par une confidence tardive,
en février 2006).
21 Le Parti des travailleurs, d’inspiration lambertiste,
ne voulait pas donner l’impression d’être un bloc
monolithique. Aussi était-il constitué en théorie
(très théoriquement, je dirais même), de trois
tendances, dont une tendance « anarcho-syndicaliste ».
Nos lambertistes tenaient beaucoup à l’existence de
ce courant, le plus fictif de leur parti, car cela leur donnait
une légitimité historique et une filiation virtuelle
avec le mouvement ouvrier français.
22 Evoquant le conflit entre syndicalistes révolutionnaires
et communistes au sein de la CGT-U, Pierre Besnard écrit
: « Malgré les efforts inouïs des syndicalistes,
dont l'homogénéité ne fut pas la vertu dominante,
les communistes triomphèrent définitivement. (...)
Si les groupements syndicalistes révolutionnaires avaient
été plus actifs, s'ils avaient su où ils allaient,
il peut se faire, que l'écrasement eût été
moins brutal et qu'une réaction devînt possible. Ce
ne fut pas le cas.
23 Ce fait m'a été révélé par
des militants qui ont vécu cette période, notamment
Gaston Leval.
24 David Shub, Lénine, Idées-Gallimard, p. 173.
25 Il y avait quelque chose de profondément pathétique
dans les débats entre vieux militants syndicalistes révolutionnaires
qui avaient, dans leur jeunesse, rejoint éphémèrement
le parti communiste. Une sorte de hiérarchie s'était
formée entre ceux qui l'avaient quitté (ou en avaient
été exclus) le plus tôt (c'est-à-dire
ceux qui avaient « compris » le plus vite...) et ceux
qui avaient tardé à partir ou qui en avaient été
exclus, comme Monatte, Rosmer, Delagarde, en décembre 1924.
D'âpres débats les divisaient sur la date la plus appropriée
de départ.)
26 Lénine se plaignait que la lutte antiparlementaire avait
été abandonnée aux anarchistes.
7 Il rencontre Rosmer, Victor Serge, Marcel Body, Voline (qu'il
fait libérer de prison dans des circonstances rocambolesques)
Alexandre Schapiro, Emma Goldmann, Alexandre Berckmann, mais aussi,
du côté bolchevik, Chliapnikoff, Alexandra Kollontaï,
Lénine, Trotsky, Boukharine.
28 La constitution de l’AIT seconde manière est décidée
lors d’une conférence tenue à Berlin en juin
1922. Une dizaine de délégations étaient présentes
dont la CNT (Espagne) ; la FORA (Argentine) ; la CGT (Portugal)
; l'USI (Italie) ; la SAC (Suède); la FAUD (Allemagne) ;
Le Comité de défense du syndicalisme qui deviendra
la CGT-U puis, CGT-SR (France),
le Mexique, le Chili, la Tchécoslovaquie, la Norvège.
29 « Enerver » signifiait alors littéralement
« ôter les nerfs », c’est-à-dire
rendre apathique.
30 Léon Trotsky, « Communisme et syndicalisme »,
1929, in : Léon Trotsky, Classe ouvrière, parti et
syndicat, classique Rouge n° 4, 1970.
31 Un jour, un couple de militants de Longwy nous contacte et
nous propose de venir à intervalles réguliers pour
leur expliquer ce qu'est l'Alliance. Pendant plusieurs mois, nous
avons fait le voyage, un copain et moi, avec ma vieille R4. On arrivait
le samedi en fin de matinée, on prenait l'apéro, on
discutait le coup ; le soir on passait à table et on repartait
le lendemain après-midi. Très rapidement le voyage
« politique » s'est transformé en visite chez
des amis de province. Un jour, le gars nous dit : « Ecoutez,
il faut qu'on vous dise, en même temps qu'on vous a contactés
on a contacté aussi Lutte ouvrière et ils venaient
en alternance avec vous. Bon, on a fait notre choix, c'est vous
qu'on choisit. » J'ai alors demandé : « Pourquoi,
nous ? » Il me répondit très sérieusement
: « Les gars de LO sont pas des marrants et ils ne tiennent
pas la chopine. » C'est comme ça qu'on a eu un groupe
de l'Alliance à Longwy, car les copains n'étaient
pas seuls et on a ensuite rencontré leur groupe.
32 Si on excepte le seul cas vraiment sérieux lorsque Alexandre
Hébert a tenté de mettre la main sur l’Alliance,
mais l’affaire a été assez rapidement réglée.
33 Le caractère de transition de cette génération
de militants se manifeste notamment par la nature des relations
que nous entretenions avec les vieux militants ouvriers qui nous
avaient soutenus. La transmission de la mémoire révolutionnaire
se faisait beaucoup par la parole – pendant les réunions,
mais aussi au bistrot. Les anciens nous ont ainsi appris des tas
de choses qui ne figureront jamais dans aucun livre d’histoire,
d’autant que la CGT-SR détruisait périodiquement
ses archives pour des raisons de sécurité. C’est
chez Gaston Leval que nous avons rencontré Julian Gorkin.
Lorsque Gaston Leval racontait ses rencontres avec Lénine,
Trotsky, Boukharine, ces personnages devenaient réels, ce
n’étaient plus des personnages historiques. Alexandra
Kollontai lui raconta en 1921 qu’elle avait peur de la direction
du parti. Trotsky, de passage à Paris, craignait un mauvais
coup de la part des sbires de Staline. Il demanda à la CGT-SR
d’assurer sa sécurité. Les camarades lui répondirent
qu’après le coup de Cronstadt il ne fallait tout de
même pas exagérer. Marcel Body raconta que lorsque
les bolcheviks eurent tenu trois mois au pouvoir, la direction du
parti fêta l’événement ; Lénine
aurait déclaré : « Quoi qu’il arrive maintenant,
on a tenu aussi longtemps que la Commune de Paris. » Bien
entendu, à l’époque, nous ne pensions pas à
noter tout cela et beaucoup de ce qui nous était raconté
est perdu à jamais.
34 L’Alliance ne négligeait pas du tout la question
des relations internationales. Rompant avec le tiers-mondisme des
groupes gauchistes, nous pensions qu’il était essentiel
que notre mouvement se développe dans les centres de l’impérialisme
: Etats-Unis et Grande-Bretagne. Lorsque, après la dissolution
de l’Alliance, le groupe Pierre-Besnard organisa deux tournées
de mineurs britanniques à travers toute la France (Usinor-Dunkerque,
UD CFDT-93, Paris CGT correcteurs, Radio libertaire, Lyon, Bordeaux,
Angoulême, etc.) ce fut en fait un héritage de l’Alliance
syndicaliste. On se souvient que les mineurs d’Outre-Manche
ont fait une grève qui a duré presque un an, entre
1984 et 1985. Il fut impossible d’obtenir de la FA qu’elle
« chapeaute » en tant que telle cette initiative parce
que « les mineurs anglais ne sont pas anarchistes »,
et parce qu’ils « ne luttaient pas contre l’Etat
» (Dixit la camarade chargée à l’époque
des « relations internationales » de la FA). Les deux
tournées se firent donc sous l’égide du groupe
Pierre-Besnard – l’autonomie des groupes a du bon. Bien
entendu, les copains mineurs ne surent rien de ces détails.
Ils rentrèrent chez eux en disant : « Les anars français,
chapeau ! »
|
|