Sur la base de sa riche expérience clinique, Reich conclut, dans
La Fonction de l'orgasme (1942), que " la santé psychique
dépend de la puissance orgastique, c'est-à-dire de la
capacité de se donner lors de l'acmé de l'excitation sexuelle
". La jouissance sexuelle est décrite en termes strictement
physiologiques et physiques : tension mécanique X charge bioélectrique
X décharge bioélectrique X relaxation mécanique.
Mais " notre civilisation moralisante et antisexuelle " empêche
la régulation naturelle de l'énergie vitale ; au lieu
du bonheur, c'est l'angoisse. L'inhibition de l'énergie orgastique
produit des effets de " stase " et la formation de résistances
psychosomatiques groupées sous le nom de " cuirasse caractérielle
", qui représente l'expression actuelle et structurée
des vicissitudes libidinales du sujet. L'Analyse caractérielle
est le développement, désormais classique, de toutes les
implications de cette thèse ; une typologie analyse les caractères
compulsif, hystérique, masochiste, génital, tandis que
des études de cas détaillées illustrent les innovations
techniques qui visent principalement à éliminer les résistances
et à libérer l'énergie sexuelle bloquée
ou déplacée.
Marxisme et psychanalyse : " La Révolution sexuelle "
Contre Freud et une certaine orthodoxie psychanalytique, qui recourent
à l'hypothèse de la pulsion de mort, Reich soutient que
la misère sexuelle est liée fondamentalement à l'aliénation
économique et sociale. Nourrie d'une réflexion systématique
sur les écrits de Marx et d'Engels et d'une analyse de situations
historiques précises, La Révolution sexuelle (1936) dénonce
la famille comme " fabrique d'idéologies autoritaires et
de structures mentales conservatrices".
Le bonheur sexuel suppose la destruction de l'ordre social patriarcal
; mais la lutte contre le système capitaliste de l'État
bourgeois, menée selon une stratégie marxiste-léniniste,
exige aussi que l'homme secoue ses conditionnements inconscients, brise
les " ancrages " affectifs-idéologiques inscrits en lui
par une éducation répressive.
La Psychologie de masse du fascisme décrit les ressorts et facettes
de cette " peste émotionnelle " qui constitue le
terrain d'élection de tous les autoritarismes. Synthèse
de la psychologie freudienne et de la sociologie et de la politique
marxistes, le " freudo-marxisme " de Reich, fondé sur
la sexualité définie comme force révolutionnaire,
exige l'inscription de la révolution sexuelle dans toute pratique
révolutionnaire. Adversaire des bureaucraties, libérales
ou staliniennes, Reich défend, sous le nom de " démocratie
du travail ", une sorte de communisme libertaire où l'accent
est mis sur le rejet de toute hiérarchie, la réduction
drastique du pouvoir de l'État, l'autogestion au sein de cellules
de production autonomes.
Perspectives de l'orgonomie
Omniprésente dans l'univers sous des formes spécifiques
recouvrant une identité structurale et fonctionnelle, l'énergie
d'orgone est le pivot de la vaste construction à la fois thérapeutique
(orgonthérapie), politique, scientifique et philosophique (L'Ether,
Dieu et le diable ) appelée orgonomie, dont l'anthologie intitulée
Selected Writings : an Introduction to Orgonomy (New York, 1960) offre
un exposé cohérent. S'il n'est que trop facile d'en souligner
le caractère interprétatif, voire, selon certains, délirant
ou paranoïaque, il nous semble autrement plus fécond de
concevoir l'orgonomie reichienne comme un programme moderne de recherches
pluri- et interdisciplinaires visant à surmonter les cloisonnements
réducteurs des disciplines scientifiques ; une perspective fortement
unificatrice rassemble et met en connection des phénomènes
aussi divers que les mouvements du protoplasme, l'évolution des
cellules cancéreuses, les modes d'action du système neuro-végétatif,
le développement du fascisme, les radiations atomiques, les dérives
galactiques, etc.
Mais l'effort le plus précieux, et souvent méconnu, de
Reich réside peut-être dans son questionnement incessant
des motivations, mécanismes et finalités du savoir, dans
un esprit très proche des tentatives critiques d'un Bergson ou
d'un Nietzsche ; il réintroduit dans le processus cognitif les
données sensorielles, formes, couleurs, impressions, et les intuitions
existentielles, vécu, manières d'être et de sentir,
expressions ; renversant l'image glorieuse que l'homme se donne de lui-même
comme homo sapiens , être pensant, il voit dans l'avènement
de la conscience, le retour de l'homme sur soi, un phénomène
traumatique, un saisissement originel, où s'enracine le processus
de rigidité caractérielle.
À défaut de développer les nombreuses objections
que ne manque pas de soulever une entreprise aussi vaste et qui a fait
l'objet de plus d'accusations que de critiques, on peut regrouper ces
dernières sous une même arête directrice : Reich
a tendance à faire fi des relais nécessaires, à
négliger tout un patient travail de mise en relations et d'articulations
intermédiaires ; il ne voit pas que la pulsion de mort peut être
un puissant outil d'élaboration théorique, comme en témoigne
toute la deuxième topique freudienne ou l'uvre de Mélanie
Klein ; sa vision politique ne tient guère compte de la complexité
et de l'évolution des rapports de force entre classes sociales
et organisations politiques; surtout, sa construction orgonomique, centrée
sur le concept d'orgone, mal dégagé d'intuitions vitalistes,
semble reposer sur des fondations précaires, et seul l'avenir,
en permettant une investigation approfondie et objective des travaux
de Reich, pourra restituer à son entreprise ses justes dimensions.
Le lien d'origine http://home.nordnet.fr/~elemarchand/commentl.htm
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