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Date : 16 Octobre 2003
Objet : [zpajol] Des émigrés économiques ? Plutôt
des réfugiés (paru dans Courrier International)
Des émigrés économiques ?
Plutôt des réfugiés
« Al Hayat" (extraits), Londres
Pour le journal panarabe Al Hayat, les gouvernements européens
n’ont pas compris que l’immigration avait changé de
nature. Une autre approche est nécessaire.
C’est avec sérieux, selon toute vraisemblance, que le
ministre des Réformes italien et leader de la Ligue du Nord,
Umberto Bossi, a demandé un recours à la marine nationale
pour arrêter le flux des immigrés clandestins vers l’
Italie et l’Europe, incitant même le gouvernement à
utiliser contre eux l’ artillerie ! Les propos inqualifiables
de Bossi survenaient en même temps les premières nouvelles
des noyés du canal de Sicile. Des malheureux venus de toutes
les régions du Sud, de l’Afrique noire, à travers
l’immense désert du Sahara, du Moyen-Orient et des pays
du Maghreb, se rassemblaient d’abord dans les ports libyens pour
tenter ensuite la périlleuse aventure : atteindre l’eldorado
européen ou bien mourir avant d’y parvenir.
La proposition de Bossi a soulevé un tollé général.
Pourtant, elle a exprimé un peu de ce qui se passe dans la tête
et les tripes de la société italienne. Mieux ! En raison
même de son extrémisme et donc de l’ impossibilité
de l’appliquer, cette proposition a eu le mérite de traduire
le sentiment d’impuissance de tous [les Européens] face
au phénomène de l’ immigration clandestine. Car
le flux humain est énorme et les mesures qui sont prises pour
tenter de s’y opposer ou du moins d’en réduire le
volume sont sans effet, et tout le monde le sait. Les gouvernements
européens ne cessent de durcir les lois sur l’immigration,
mais cette dureté retombe en premier lieu sur les immigrés
en situation régulière, rendant plus difficile leur intégration.
Ils doivent persuader leurs citoyens, c’est-à-dire leur
électorat, qu’ils continuent de les protéger face
aux assauts des affamés. Des assaillants qui représenteraient
une menace, imaginaire ou réelle, pour l’identité
nationale ou pour l’harmonie raciale et sociale, et risqueraient
de faire une “concurrence déloyale” aux nationaux,
en occupant des emplois à faibles revenus.
Les candidats à l’immigration clandestine savent tout
cela mais ne sont pas pour autant découragés de tenter
l’aventure, car pour eux “l’enfer en Occident”
est un paradis comparé à ce qu’ils endurent dans
leurs pays d’ origine. Celui qui est prêt à risquer
sa vie ne se soucie guère des déceptions et tracasseries
auxquelles il pourrait être confronté en Europe, qu’elles
proviennent des lois ou des traitements qu’il aurait à
subir. L’ idée même de sanction est vidée
de son sens pour l’immigré clandestin, car les circonstances
qu’il traverse font voler en éclats sa perception de la
punition. C’est une leçon dont nous sommes redevables à
l’humoriste tunisien défunt Saleh al-Khamissi, qui avait
mis en scène deux Bédouins qui, inconsciemment, commettent
un délit en ville. Jetés en prison, ils “jouissent”
alors d’un bonheur dont ils ont toujours rêvé : habiter
une maison en dur, avoir l’eau courante, l’électricité,
de la nourriture à satiété et éprouver un
sentiment de sécurité. Au point qu’ils en viennent
à croire qu’il s’agit d’un geste d’hospitalité
en reconnaissance d’un bienfait qu’ils auraient accompli.
L’immigré clandestin parcourt le Sahara africain pour
se rendre dans l’un des ports libyens. Il s’abandonne ensuite
aux marchands de la mort, qui, pour une somme abusive, lui promettent
une traversée vers l’autre rive de la Méditerranée
sur un rafiot rafistolé. Il sait que le pire qui puisse lui arriver,
s’il sort vivant de cette périlleuse aventure, c’est
d’être parqué dans un de ces “centres d’accueil”,
dans l’attente que l’on décide de son sort. Il ne
pourra pas être reconduit à la frontière puisqu’il
a pris soin de détruire ses papiers d’identité pour
qu’on ne connaisse pas son pays d’ origine. Et, bien qu’il
ne soit pas traité comme un invité de marque dans les
“centres d’accueil”, il a de toute façon droit
humainement à une certaine dignité, jusqu’à
ce qu’une solution se dessine...
Celui qui a enduré cela renoncera-t-il à s’expatrier
vers le Nord ? Allons donc ! Les restrictions européennes sont
totalement inefficaces et les autorités de ces pays le savent
mieux que quiconque. Les Italiens estiment à 1,5 million le nombre
de ceux qui, sur la rive sud de la Méditerranée, cherchent
à émigrer en Europe. Ils savent que la plupart d’entre
eux pourront atteindre les rives du Vieux Continent, d’une manière
ou d’une autre. Or, si l’Europe ne réussit pas à
enrayer le phénomène de l’ immigration clandestine,
c’est parce que, semble-t-il, elle ne parvient pas à l’évaluer
correctement. En fait, cette immigration a surtout changé de
nature, et, bien que les pays d’Europe de l’Ouest continuent
de l’envisager comme une immigration d’individus poussés
par des motifs essentiellement économiques, elle est devenue
une expatriation collective, c’est-à-dire, de fait, une
situation de demande de refuge. Ceux qui endurent les périls
d’une traversée de la mer vers le Nord ne sont plus uniquement
des jeunes gens à la recherche d’une vie meilleure, comme
cela fut le cas dans le passé ; on trouve de plus en plus de
vieillards, d’enfants et de femmes enceintes. Ce ne sont plus
de simples immigrés mais de véritables réfugiés,
comme ceux que les famines et les guerres transvasent d’un pays
à un autre, limitrophe, partout dans le tiers-monde. La proportion
de ceux qui arrivent des pays du Maghreb est stable ou même en
recul, alors que les personnes originaires de Palestine, d’Irak,
d’Egypte, de Somalie et d’autres régions d’Afrique
où sévissent les famines, les tensions et les guerres
sont en nombre croissant.
Pourtant, l’Europe, continue de traiter ce phénomène
en édictant des lois concernant les individus ou en instaurant
une coopération bilatérale avec tel ou tel pays d’origine
ou d’embarquement, alors que le problème est mondial et
revêt une dimension géostratégique évidente.
Ce qui nécessite un autre type d’approche : un sommet mondial
pour une intervention des Nations unies et du Haut-Commissariat pour
les réfugiés afin de mettre en oeuvre une politique de
paix et de développement dans ces pays terrassés par la
misère et les guerres, qui obligent leurs fils à l’exil.
L’Europe est-elle assez mûre pour adopter une telle approche
?
Saleh Bachir
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