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Subject: Racisme et culpabilité , par Martine Giguère
Date: 17 Août 2003
Racisme et culpabilité, par Martine Giguère
J'ai certainement déjà éprouvé le besoin
de parler à une lesbienne noire des sentiments de honte que j'ai
eu en entendant les propos racistes de ma tante une telle. Je ne l'ai
pas fait parce que j'étais confuse, incertaine ; dans le doute,
j'optais pour le silence. En y regardant de plus près aujourd'hui
je vois que ce besoin, c'est d'affirmer que j'identifie le racisme et
j'insinue ainsi que je ne suis pas raciste. Mais en réalité,
comment aurais-je moi, échappé au conditionnement ? Il
est devenu plus crucial et plus intéressant pour moi de reconnaître
mon racisme.
Les sentiments de culpabilité et de honte m'ont maintenue dans
le silence et l'hésitation ; je me suis approchée de la
problématique du racisme parce que je me sens démunie
et désorientée. Je ne sais pas toujours où aller
pour trouver de l'éducation et sortir de l'ignorance.
Dans la vie lesbienne francophone montréalaise, il n'y a pas
beaucoup de points de repères qui ouvrent vers une communication
efficace des questions raciales.
Lorsque j'ai travaillé au Festival « East Coast Lesbian
Festival », j'ai participé à l'atelier de Carole
Moore et Peggy Mc Guire intitulé « Désapprendre
le racisme » et j'ai trouvé des points d'appui pour faire
mes premiers pas et sortir de la confusion.
Lorsque le projet du Premier Festival de Célébrations
Lesbiennes s'est amorcé, la question de l'ouverture aux lesbiennes
de couleur a été soulevé par des filles de Concordia.
J'étais, à cette époque bien intentionnée
mais aucunement préparée à poser des gestes adéquats
pour entrer dans cette problématique.
J'avais entendu l'expression faire du « outreach », du recrutement
pour aller chercher des lesbiennes de couleur mais je n'en avais pas
une notion très claire. Ce que j'ai compris depuis, c'est que
faire du « outreach », ça ne veut pas dire aller
voir les lesbiennes de couleur pour leur dire qu'elles sont les bienvenues
dans l'organisation du Festival. Ce n'est pas non plus avoir quelques
lesbiennes de couleur « symboliques » qui défendent
notre image d'une certaine ouverture. Elles n'ont pas à se joindre
à une organisation qui va les orienter vers ce que nous voulons
et ce qu'elles peuvent faire. C'est d'avantage leur dire que notre organisation
est disponible pour leur donner du support dans ce qu'« elles
» veulent faire, les soutenir pour réaliser leurs propres
visions, leur expression comme lesbiennes. C'est une nuance importante
qui fait basculer la balance, qui affecte sérieusement les attitudes.
Comment pourrais-je moi, avec tous mes privilèges de blanche
francophone à Montréal, comprendre l'oppression qu'elles
vivent et les stratégies qu'elles ont développées.
Il est important de réaliser que pour faire le travail de désapprendre
le racisme il faut accepter de soulever des peurs, admettre des erreurs
et surtout développer l'écoute. Nous avons à entendre
la colère, saisir la justesse de l'indignation, savoir la recevoir
et comprendre ce qu'il faut de courage pour la dire ; nous avons à
créer un climat de confiance spécialement en étant
vigilante dans notre langage.
Il m'apparaît bien évident aujourd'hui que pour comprendre
le racisme il faut que je prenne le risque de dénoncer les comportements
racistes dont je suis témoin et que j'y sois attentive. Ignorer
les gestes, les paroles et les « jokes » racistes est un
conditionnement social profond qui se joue au niveau inconscient, le
silence est une forme dynamique de l'oppression.
Si je ne réagis pas immédiatement parce que je n'ai pas
la réplique facile, je peux revenir dans un deuxième temps,
mettre en évidence les commentaires racistes, les attitudes méprisantes.
Si je dis que je suis Québéquoise pure laine, ça
veut dire que les autres sont du « Phentex » ? Au retour
du « East Coast Lesbian Festival », j'ai collaboré
avec Rose Luftfy qui a mis au point un atelier pour « désapprendre
notre racisme ».
Elle a fait un immense travail pour adapter et communiquer les bases
qui lui ont été transmises par Carole Moore et Peggy Mc
Guire. Cet atelier a été bénéfique pour
moi parce qu'il m'a donné du pouvoir, celui de croire que oui,
j'ai la capacité de changer efficacement mes attitudes, de sortir
de la confusion et de neutraliser la culpabilité qui me paralyse.
Nous ne pouvons pas célébrer notre diversité à
moins de savoir et de commencer à comprendre nos différences,
non comme des spectatrices curieuses mais comme des amies et des alliées.
Notre pouvoir est justement dans cette différence.
On ne naît pas raciste, c'est un comportement appris dans la famille,
les institutions, chez les autres. Chacune peut faire les choix de désapprendre
les attitudes et préjugés racistes.
*** Carole Moore est commissaire aux minorités sexuelles pour
la ville de Philadelphie, elle est également membre associé
de WILPF, (Women's international League for Peace and Freedom, WILPF.
1213 Race street, Philadelphia, PA. 19107, USA)
*** Peggy Mc Guire dirige un programme d'éducation des adultes
à Philadelphie.
revue « Treize », dossier racisme, hiver 1992