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Origine : http://multitudes.samizdat.net/La-lutte-contre-le-racisme.html
L’examen critique de l’antiracisme par les antiracistes
eux-mêmes, au plus fort de la vague consensuelle autour de
la " lutte contre le racisme ", est un événement
politique et philosophique dont on ne saurait sous-estimer l’importance.
Cet événement marque une rupture décisive de
la transmission des évidences idéologiques de base
mises en place aux lendemains de la Libération. Que la tâche
désormais s’impose de repenser les fondements et de
redéfinir les objectifs de ce qu’on nomme l’antiracisme,
c’est là un des indices de ce que nous vivons la fin
de l’après-guerre. Nous avons en effet vécu
d’un héritage moral et intellectuel qui semble s’être
épuisé. Les insistants et pathétiques appels
à " plus de mémoire " au moment même
où le travail historiographique refroidit la mémoire
vive en l’objectivant, les demandes pressantes de " restauration
des tabous " à l’époque de la détabouisation
générale et " décontractée "
(aspect de l’existence post-moderne), tels sont les symptômes
du désarroi des héritiers dépossédés
que nous sommes. Et de la confusion des valeurs et des normes :
les antiracistes, qui prétendent porter le flambeau du Progrès
et incarner le combat contre les préjugés, semblent
n’avoir plus d’autre horizon qu’une restauration
de la Mémoire, c’est-à-dire d’un mixte
de culpabilité et d’interdits ritualisés formant
le socle de la " barrière de la Shoah ". Mais le
problème vient précisément de ce que la barrière
vacille, sur des fondations qui s’effritent. Et l’on
ne fait pas revenir le passé par décrets. La réaction
indignée contre " l’oubli " reste une réaction.
L’indignation pieuse et la nostalgie d’anciens militants
des beaux jours de l’antiracisme ne fournissent pas une méthode
d’action. L’ère du vide est aussi l’époque
de l’impuissance velléitaire. Triste époque.
Du moins au regard de ceux qui placent le salut dans la commémoration
continuée de l’expérience totalitaire ou dans
l’éternel retour de mémoire et d’affectivité
à Auschwitz. Mais le courage n’est-il pas d’affronter
l’effondrement des certitudes confortables qui inquiète
notre aujourd’hui, plutôt que de s’abandonner
aux vertueuses indignations devant l’agonie d’une époque
de mémoire ? Penser notre temps, si déplaisant soit-il,
voilà la tâche. Nous nous trouvons devant un terrain
vague de représentations, de valeurs corrompues, de normes
indistinctes. Le premier impératif est de tenter une clarification,
devant tant d’idéaux détournés, d’exigences
discréditées, de principes instrumentalisés.
Ni rire ni se lamenter, mais s’efforcer de décrire
précisément les processus en cours, et, si possible,
de clarifier les raisons de nos inquiétudes et de nos confusions.
1. LE RACISME OU LE MAL ABSOLU. SUR L’ÉVIDENCE
PREMIÈRE DE L’ANTIRACISME CONTEMPORAIN.
" L’affaire paraissait entendue : le racisme était
un enfant, un fils naturel non reconnu de la science des Lumières.
Dans ces conditions, le péché capital de l’Occident
devenait le revers de sa puissance et de sa gloire suprême..."
(Léon POLIAKOV, 1981.)
Parmi les figures idéologiques contemporaines du Mal absolu,
le racisme tient sans aucun doute la place la plus haute. L’échelle
des anti-valeurs où le racisme occupe le plus haut degré
s’est mise en place pendant la Seconde Guerre mondiale, dans
le cadre de la guerre contre l’Allemagne national-socialiste.
L’axiologie politique structurée par l’opposition
manichéenne du Bien antiraciste et du Mal raciste s’est
routinisée après le Procès de Nuremberg et
les textes princeps de l’humanitarisme diffusés par
l’Unesco. La représentation " scientifique "
du racisme comme théorie fausse, invérifiable ou infalsifiable
(au sens poppérien) est ente en syncrétisme avec la
vision politique du racisme comme mythe de combat attribué
en propre à l’ennemi absolu (Hitler le personnifiant).
La propagande des Alliés a retourné contre l’État
raciste allemand les motifs catastrophistes de sa propagande, les
images de sa vision crépusculaire du monde : face au mythe
raciste, un contre-mythe s’est progressivement élaboré,
désignant le racisme comme une somme d’erreurs et d’illusions,
un système de représentations et de valeurs "
irrationnelles " incarnant la suprême menace (de destruction
totale et de mort) et la plus radicale déshumanisation de
la puissance humaine. Le biologiste anthropologue Ashley Montagu
fait paraître en 1942, la charte de cette nouvelle mythologisation
antiraciste du racisme : Man’s Most Dangerous Myth : The Fallacy
of Race [1], " le plus dangereux mythe de l’homme l’illusion
de la race ". La surestimation de la puissance négative
du racisme s’installe ainsi dans le champ idéologique,
au centre d’un discours de propagande lié à
une guerre totale, avant de se retraduire, l’ennemi une fois
vaincu, en croyance fondamentale de la religion sécularisée
garantissant le consensus démocratique dans les sociétés
libérales-pluralistes, et en instrument de dénonciation
de celles-ci dans le discours de propagande communiste (selon l’amalgame
" anti-fasciste " : droite = extrême, droite = fascisme
= racisme). Mythe répulsif suprême, le racisme fait
désormais l’objet de la condamnation morale la plus
consensuelle, il joue le rôle du péché plus
que parfait dans le système minimal des valeurs considérées
planétairement comme démocratiques. Reçu par
Lewis Mumford comme " une classique dénonciation des
éléments irrationnels du racisme ", salué
par Veston LaBarre pour ce qu’il préviendrait l’humanité
du " danger catastrophique du racisme ", le livre de combat
de Montagu sera indéfiniment réécrit dans les
années 1950-1980, sans que soit jamais interrogée
la modification radicale du contexte sociopolitique, comme si la
défaite de l’Allemagne nazie n’avait rien changé
: l’absence d’un ennemi réel incarné par
une superpuissance étatique sera palliée et masquée
par l’invention continuée du retour de la menace, au
moyen de ce qui est devenu, dès la fin des années
quarante, une opération idéologique ritualisée,
la dénonciation d’une " résurgence "
du nazisme. Désormais, un adversaire ne peut être absolutisé
et démonisé qu’en étant assimilé
au " nazisme ", représentation idéologique
polémique de l’extermination totale, comme intention
ou comme réalisation. La " nazification " de l’adversaire
est devenue l’acte minimal de la délégitimation
maximale. Il serait incorrect d’affirmer que le discours antifasciste/antiraciste
tourne, depuis 1945, à vide. Car, en se dégradant
en une rhétorique constituée de formules figées
autant que creuses, il s’est intégré dans de
nouvelles configurations idéologiques, où il a acquis
et rempli de nouvelles fonctions. L’antiracisme démonisant
a été réinstrumentalisé dans les démocraties
occidentales, d’abord dans le cadre de l’offensive idéologique
conduite par les partis communistes pendant la " guerre froide
", ensuite en tant que mode d’autolégitimation
du système démocratique-pluraliste par le rappel indéfini
d’un néo-mythe d’origine (la renaissance des
démocraties, assimilées au règne de la Liberté,
dans et par leur victoire sur la " bête immonde "),
enfin comme substitut d’un projet politique distinctif par
la gauche non communiste ralliée de fait au libéralisme
économique. Anne anti-droite, illusion fondatrice et légitimatoire,
éthique minimale idéologisée pour suppléer
une identité politique vacillante, l’antiracisme apparaît
comme un instrument polémique pluri-fonctionnel. Dans la
préface de la cinquième édition de son livre
(1974), Montagu réaffirmait avec la naïveté touchante
du scientifique engagé : " ce livre se propose de mettre
à nu le mythe le plus dangereux de notre époque, le
mythe de la " race ", " la redoutable doctrine de
la Race " comme Emerson l’avait déjà appelé
il y a plus d’un siècle, en montrant les erreurs dont
il est composé " [2]. Etiemble, dans une étude
publiée par la revue Évidences en mai 1957, "
Le péché vraiment capital " [3], justifiait le
choix d’un tel titre en commençant par un bref rappel
de trois des sources principales de l’univers idéologique
moderne, ces trois co-traditions interférentes définissant
l’espace sociopolitique où les effets du racisme ont
pu se produire :
" dans le monde que nous héritons, celui que nous ont
composé l’Église catholique, les coloniaux et
les nazis, le racisme est devenu le péché capital,
le péché vraiment mortel " [4].
Il s’agit de définir, en termes de traditions ou d’héritages,
les conditions à la fois cognitives et axiologiques d’apparition
du racisme dans le monde moderne. Partir du nazisme, d’un
antisémitisme expressément racial et du fait du génocide,
risque de conduire l’historien aux classiques illusions téléologiques
: l’histoire de l’Occident étant supposée
devoir aboutir à l’extermination de masse au nom de
la race, la tentation est grande de reconstruire cette histoire
comme l’ensemble des facteurs ayant préparé
ou produit le génocide nazi des Juifs. Si le racisme est
" le péché capital ", c’est toute
l’histoire de l’Occident qui doit être incriminée
et condamnée. La mauvaise conscience et la haine de soi menacent...
Mais le modèle explicatif esquissé par Etiemble est
construit sur les manifestations racistoïdes à la fois
les plus visibles, les plus explicites et les plus contemporaines.
Si l’antijudaïsme chrétien, l’antinégrisme
pseudo-biblique (la " malédiction de Cham ") et
l’ethnocentrisme européen sous-tendant l’impérialisme
colonial moderne définissent bien deux grands héritages
idéologico-politiques, le racisme comme phénomène
proprement moderne tient sa force d’évidence et sa
puissance d’enthousiasme militant de la rencontre, voire de
la fusion, de trois mouvements soit d’ordre cognitif soit
d’ordre politique : l’apparition des valeurs individualistes
et égalitaires illégitimant toute conception de la
société comme totalité organique hiérarchisée
(intégrant les différences perçues comme des
traits liés au statut), le surgissement des idéaux
nationalistes dont la logique comporte à la fois la destruction
des structures impériales au nom du " principe des nationalités
" et la tendance à réaliser l’homogénéité
culturelle à l’intérieur (donc à rejeter
les porteurs de caractères culturels hétérogènes,
ce qui conduit à suspecter l’étranger marqué
par son apparence physique), la constitution d’un univers
de nouvelles évidences d’ordre scientifique dans lequel
s’établira cette contrefaçon de la religion
qu’est le scientisme, postulant que la science moderne, métrologique
et mathématisée, est capable de résoudre définitivement
tous les problèmes se posant à l’homme. Il faut
donc tenir compte, outre les références bibliques
plus ou moins sollicitées et l’axiome colonialiste
de la supériorité de l’Occident ou de la race
blanche, des effets de composition engendrés par les interférences
de l’individualisme égalitaire, du nationalisme romantique
ou missionnaire et du scientisme comme pseudo-religion de la mesure,
de la classification des types et de leur hiérarchisation,
dès lors qu’il s’applique à l’anthropologie.
La réaction antichrétienne du XVIIIe siècle,
élargie en passion irréligieuse, est l’un des
effets idéologiques engendrés par le croisement de
l’individualisme (primat de l’individu-valeur sur les
valeurs incarnées par la collectivité), du nationalisme
et du scientisme naissants. Le combat anti-chrétien des Lumières
se reformulera notamment comme réaction païenne (retour
aux valeurs pré-chrétiennes), illustrée par
le national-romantisme en Allemagne puis se retournera en pessimisme
anti-moderne et contre-révolutionnaire à travers les
tendances politico-culturelles ordonnées à l’idée
" völkisch ". En France, les Lumières comporteront
un antijudaïsme spécifique, dans lequel les stéréotypes
antijuifs d’origine chrétienne seront réintégrés
dans une vision naturaliste des races humaines et de leur inégalité,
voire de leur différence radicale, allant jusqu’à
les donner pour des espèces séparées. Dans
la France révolutionnaire s’opérera le transfert
des modèles individualistes à la collectivité
nationale, personnifiée par les deux figures du peuple menacé
par ses ennemis et de la nation en danger, armée unie face
à l’étranger barbaresque. Effet pervers de l’universalisme
des Lumières l’idée d’une mission universelle
de la nation porteuse des valeurs universelles se réalise
historiquement comme guerre missionnaire en vue de "libérer"
les peuples asservis. Mais le réinvestissement de l’idée
religieuse du " peuple élu " dans le nouveau corps
politique nommé nation, communauté individualisée
incarnant des valeurs et des normes, ce réinvestissement
est commun à la France révolutionnaire et à
l’Allemagne romantique et idéaliste : l’auto-attribution
d’une mission universelle d’éducation ou de rééducation
de l’humanité - régénérer, civiliser,
moderniser, démocratiser, etc. - accompagne la naissance
du nationalisme. Les idées religieuses d’élection
communautaire, de mission universelle et de salut / libération
sont idéologisées en étant transférées
dans le champ politique moderne dominé par le mythe révolutionnaire
et la passion nationale, couple idéologique producteur des
plus hautes valeurs dans la modernité. C’est dans ce
nouveau ciel des représentations peuplé de sublimités
créées par la mythologie nationaliste révolutionnaire
que s’installent les évidences absolues du matérialisme
" scientifique " dogmatique. Or, le scientisme, forme
idéologique moderne de la gnose (connaissance réservée
et libératrice), a pour implication de détruire tout
lien social ou toute communauté fondée sur une transcendance,
d’illégitimer tout rassemblement dérivant d’une
référence métempirique, et partant de placer
les individus libres et égaux en droit, déterminés
et inégaux en fait (c’est-à-dire mesurés
de façon comparative), dans une situation de rivalité
mimétique, prisonniers d’un face à face dont
la règle est la confrontation conflictuelle, la concurrence
indéfinie. Égaux en droit d’entrer dans la compétition,
les individus sont en outre réduits à leurs phénotypes
par l’anthropologie opérant par construction de types
et par classification : les types ou races identifiés comme
des variétés de l’espèce humaine, définis
par des caractères somatiques (visibles, mesurables, classables,
communs, héréditaires), sont respectivement dotés
d’aptitudes intellectuelles, sociopolitiques et affectives
soit inégales soit différant en nature, supposées
corrélatives de la présence ou de l’absence
de tels ou tels traits somatiques. Le matérialisme scientiste,
dont la force symbolique vient d’une efficacité pratico-technique
immédiate, achève le processus de destruction des
identités collectives fondées sur des références
transcendantes, radicalise donc l’individualisation de l’homme
moderne liée à l’apparition du capitalisme comme
système économique et système de valeurs anti-holistes,
et conduit à refonder les différences hiérarchiques
sur des critères strictement quantitatifs, érigeant
en absolu les données observables et mesurables sur lesquelles
s’établiront les taxinomies raciale [5]. Que conclure
d’une telle analyse sinon que le racisme, loin de se réduire
à une pratique d’extermination raciale choquante pour
l’esprit moderne, est un phénomène dont la plupart
des caractéristiques sont spécifiquement modernes
; lutter contre le racisme au moyen des seules armes fournies par
les évidences scientifiques et politiques modernes peut dès
lors paraître éminemment paradoxal. Paradoxe tragi-comique
: les théories racistes, une fois réfutées,
renaissent de leurs cendres, arborant de nouvelles raisons. C’est
qu’elles se situent dans le mouvement même de la modernité
scientifique et politique.
La définition antiraciste du racisme comme faute suprême
ou " péché vraiment capital " est une définition
polémique supposant un amalgame central : le racisme est
identifié à une cruauté exterminatrice ou à
une haine génocidaire dérivant de la réduction
des victimes à des porteurs d’une souillure, laquelle
vient de leurs origines. Or, le lien de dérivation n’est
nullement nécessaire entre la réduction de l’individu
à ses appartenances d’origine et l’extermination
systématique d’un groupe humain en vertu des caractéristiques
communes (fictives ou non) aux individus qui le composent, de l’attitude
cognitive consistant à classer en types fixes les individus
selon leurs respectives origines présumées et la pratique
d’une extermination de masse (réelle ou rêvée),
il n’y a pas de conclusion logique. Outre cet amalgame, que
reflètent les articles des dictionnaires, l’argumentation
d’Etiemble met enjeu un imaginaire contemporain où
le racisme est illustré par excellence par le génocide
nazi des Juifs, et réinterprète celui-ci dans les
catégories chrétiennes tournant autour de l’idée
de péché, aujourd’hui reçue à
travers la rhétorique psychanalytique de la culpabilité.
Mais l’axiome dont dérive toute l’argumentation
antiraciste est que le racisme tue, qu’il est une théorie
et une pratique du meurtre organisé, et qu’il tue plus
et plus cruellement, avec plus d’inhumanité, que les
autres idéologies ou systèmes de préjugés,
ses concurrents. Plus scandaleux que le crime " classiste ",
plus abject que les tueries nationalistes ou patriotiques, le crime
raciste est le crime par excellence, où se manifeste l’élément
diabolique de l’homme. Voilà l’évidence
antiraciste première, si claire et distincte qu’elle
n’a nul besoin d’être énoncée :
elle est la présupposition absolue du système entier
des certitudes antiracistes contemporaines. Réduction du
racisme au meurtre organisé d’un groupe humain, réduction
de ce meurtre au modèle du génocide nazi des Juifs,
réduction corrélative du racisme à l’antisémitisme
racial du national-socialisme, érection du crime raciste
en crime des crimes : voilà l’enchaînement des
réductions polémiques, issues d’un figement
et d’un passage à la limite du discours antifasciste
devenu conception du monde lors du procès de Nuremberg, qui
forme le socle de la vulgate antiraciste contemporaine.
Dans son étude de 1957, Etiemble donnait une version littéraire
de ce nouvel imaginaire idéologique en voie d’ossification,
en suggérant une continuité entre christianisme et
racisme à travers l’hypothèse que le péché
d’appartenance ethnique ne serait qu’un avatar du péché
originel, n’en serait que la restriction à tel ou tel
groupe humain porteur d’une tache indélébile,
et que nulle grâce divine ne pourrait effacer. Laissons parler
Etiemble : " l’esprit de classe lui-même commet
moins de meurtres sans doute, en tout cas moins d’abjections
que le préjugé de race. Non seulement celui-ci bafoue
la vérité, non seulement il pratique sans vergogne
une cruauté qui lui commande sa couardise ; mais, alors même
que le tyran juge les hommes selon leur complaisance, leur fidélité,
ou leurs " services ", le raciste invente un péché
aussi originel que celui des chrétiens, mais original en
ceci que rien, ni la beauté alliée à la vertu,
ni la science unie à la sainteté, ne sauraient en
effacer la souillure " [6]. Vingt ans plus tard, à l’occasion
de la réédition de son livre [7], Etiemble reprend
l’idée que " le racisme est une faute morale "
[8] pour instituer l’antiracisme juridico-éthique,
dont le sens n’est nullement problématisé, en
attribut de " toute civilisation ", c’est-à-dire
en indice et mesure de degré de civilisation de toute société
:
" J’estime que toute civilisation qui se respecte est
indigne du nom de civilisation si elle ne met pas le racisme hors-la-loi
" [9]. C’est là une forme désormais dominante
de l’ethnocentrisme occidental, liée à la double
retraduction démocraticolâtrique et humanitariste de
la supériorité politique et morale de la civilisation
occidentale. La conception unilinéaire du Progrès
fusionne, dans ce nouvel occidentalocentrisme, avec l’érection
des valeurs modernes, individualistes et égalitaires, en
valeurs suprêmes. L’antiracisme non critiqué
étant établi sur le site du Bien absolu, le racisme
ne peut qu’être soumis à une dévalorisation
absolue, identifié à une manifestation du Mal radical.
Mais la démonologie moderne se reformule ordinairement dans
la rhétorique de la santé et de la maladie, le suppôt
du Mal se transformant en porteur de virus.
" La haine raciale est une espèce de virus " [10],
affirme très classiquement Etiemble, retournant contre la
passion raciste l’une des métaphores polémiques
principales de sa variante antisémite à l’époque
pasteurienne. L’ennemi politique est désormais pathologisé,
traité par des métaphores virales ou bactériologiques
: bacille, virus, microbe, bactérie, tels sont les nouveaux
noms de la vermine, invisible à l’œil nu, qui
transmet le Mal. L’univers idéologique se modèle
sur un univers épidémiologique où il n’y
a plus d’ennemis redoutables à combattre, mais seulement
des germes pathogènes à anéantir : la négation
de la figure éminemment politique de l’ennemi, auquel
est substitué un type porteur et transmetteur de maladies
mortelles, conduit à imposer pour but exclusif de la lutte
l’extermination radicale de la population déshumanisée
par sa pathologisation intégrale. Cet acte polémique
réalise l’illégitimation maximale de l’adversaire,
nié en tant qu’être humain, à la fois
animalisé, pathologisé et diabolisé. La classique
barbarisation de l’ennemi ne faisait que rejeter celui-ci
aux frontières de l’humain véritable. La bio-démonologie
neutralise toute assignation d’un attribut humain à
l’ennemi. La quasi ou la para-humanité du Barbare fait
place à la sub-humanité du bacille ou du porteur de
bacilles. Il n’y a pas de relation humaine avec les habitants
de ce monde anti-humain. Bien avant les formulations officielles,
par un Hitler, un Himmler ou un Goebbels, de la phobie antijuive
sur le registre du danger bactériologique, le nationaliste
allemand Paul de Lagarde, dont la xénophobie antijuive ne
se réclamait pas d’une théorie des races, avait
émis une proposition devenue célèbre, visant
les Juifs :
" on ne parlemente pas avec des trichines et des bacilles,
on ne les éduque pas, on les anéantit aussi rapidement
et aussi radicalement que possible " [11].
Cette formule résume parfaitement le désir d’épuration,
voire la pulsion d’épouillage [12], au principe d’une
phobie visant une catégorie d’humains déshumanisés,
traités comme une concentration de vermine ou une somme de
germes pathogènes dont il faudrait se débarrasser
par tous les moyens. Tel est le type idéal de l’argumentation
moderne qui bestialise et pathologise l’ennemi, celui-ci étant
par là nié comme tel en même temps que la nature
politique de la relation conflictuelle se trouve déniée.
Il faut insister, après Jacob Katz, sur ce que l’intention
raciste ou l’imaginaire racistoïde, ordonné à
une finalité exterminatrice, peuvent apparaître sans
supposer une théorie des races : le racisme d’extermination
ne surgit pas nécessairement d’une théorie raciale,
et, lorsqu’il s’en légitime, c’est dans
la mesure où les passions nationalistes, xéno-phobiques,
dont il résume le programme final (purifier une bonne fois
pour toutes le corps national), ne fournissent pas d’elles-mêmes
les éléments d’une mise en acceptabilité
scientifique. Bref, la théorie " scientifique "
des races est idéologiquement corrélée soit
avec une métaphysique de la décadence irréversible
par métissage (Gobineau), soit avec un projet de refonte
biologique de l’humanité par des pratiques sélectionnistes
(l’eugénique raciale de G. Vacher de Lapouge). Le programme
d’une extermination violente, recourant à des méthodes
militaro-industrielles (chambres à gaz homicides), n’apparaît
que dans le cadre du nationalisme et de sa déshumanisation
phobique de " l’ennemi du peuple ". L’intention,
puis l’exécution, du génocide des Juifs d’Europe
en Allemagne dérivent d’une xénophobie nationaliste
exacerbée par divers facteurs historiques, la théorie
raciale venant ou non au secours du rêve nationaliste d’une
communauté une, pure, homogène, indivise, sans corps
étrangers pathogènes. Il est vrai que l’aboutissement
génocidaire de l’antisémitisme nationaliste
allemand est un événement historique idéal-typique.
Mais l’analyse et la démonstration pourraient se refaire
sur le génocide des Arméniens de Turquie, l’énergie
exterminatrice provenant des passions nationalistes, sans référence
à une théorie des races légitimatoire. Si donc
la théorie des races opère une racisation des problèmes
sociaux, le nationalisme xénophobe fournit seul à
la fois l’énergie passionnelle et les idéaux
justificateurs d’une extermination des populations considérées
comme irréductiblement étrangères, inassimilables
et nuisibles. Cependant, comme le montre l’exemple de Lagarde,
la réponse nationaliste à la hantise d’une invasion
parasitaire et destructrice du corps national par un groupe étranger,
en termes d’expulsion ou d’annihilation, est susceptible
d’être réintégrée dans le programme
d’action d’une conception raciste explicite. Le racisme
d’extermination se définit comme la logique du national-racisme.
Dans une étude éclairante, Jacob Katz, esquissant
un inventaire des " lectures défectueuses de l’antisémitisme
", remarquait : " L’exemple de Paul de Lagarde démontre
que l’antisémitisme, même dans sa version la
plus radicale - c’est-à-dire la négation même
de l’existence juive - peut se développer sans le soutien
du racisme [en tant que théorie des races explicite ; note
de P.-A.T.]. (...). Aussi immodéré et radical dans
son antisémitisme qu’il fût, Lagarde n’a
jamais utilisé le mot " race " et aucune de ses
variations. Néanmoins, les nazis le regardaient comme l’un
de leurs précurseurs idéologiques " [13]. Ce
bref rappel historique est exemplaire en ce qu’il nous permet
de jeter un doute sur une thèse courante dans l’argumentation
antiraciste contemporaine, à savoir que le noyau du racisme,
et la raison majeure de son caractère aussi redoutable que
détestable, serait la biologisation des questions de société,
et une biologisation explicite référant à une
théorie raciale. Notre hypothèse est que la tentation
biologisante, phénomène caractéristique de
la pensée moderne, peut (et a pu) jouer un rôle en
tant que mode de légitimation, parmi d’autres, des
pulsions et des intentions collectives, dans le cadre de l’État-nation,
d’expulsion, de discrimination, de ségrégation
et d’extermination de populations considérées
comme essentiellement menaçantes et nuisibles. Nous avons
montré ailleurs l’efficacité légitimatoire
et la puissance exhortative de l’argumentation culturaliste,
parfois expressément anti-biologique, récusant l’idée
de race zoologique appliquée à la variété
humaine, et allant jusqu’à dénoncer le racisme,
celui-ci étant réduit à la naïve conception
antiraciste d’une théorie explicite des races telle
qu’on la trouve dans la vieille anthropologie physique [14].
Dans l’affaire du racisme comme pratique politique et mobilisation
sociale, non seulement la biologie est innocente, mais la biologisation
des catégories sociologiques, accusée principale de
l’antiracisme savant, est soit hors de cause soit de peu d’importance
(en tant qu’habillage conjoncturel ou phénomène
contingent d’emprunt lexical légitimatoire).
Ce qui nous paraît plus significatif, et plus inquiétant,
c’est l’intégration d’attitudes et d’arguments
hétérophobiques, visant " les racistes ",
dans le comportement des antiracistes militants : "on ne discute
pas avec les racistes, on les assomme " ; ou, version adoucie
: " on ne doit pas chercher à dialoguer avec les racistes,
ni même à les comprendre (intérêts, contexte
sociologique, etc.), car ce serait faire leur jeu, on doit seulement
les combattre, voire les anéantir, les mettre hors d’état
de nuire ". Telle est la logique de la pathologisation déshumanisante
de l’ennemi : les avatars de la métaphore polémique
de " virus ", appliquée d’abord aux Juifs
par les nationaux-racistes puis aux " racistes " par les
antiracistes illuminés et sectaires, en fournit une illustration
frappante. Les images, métaphores et symboles polémiques
traversent les frontières idéologiques, de telle sorte
que, n’étant pas des propriétés discursives
de traditions ou de camps définis, circulant dans tout le
ciel des idéologies antagonistes, leur appropriation constitue
l’enjeu principal de leur mode d’emploi. Une polémologie
discursive et historique a précisément pour objet
de construire les logiques de ces circulations, d’élaborer
les modèles des transformations, des renversements et des
rétorsions que celles-ci impliquent.
Chez Etiemble, à l’instar de nombreux essayistes contemporains,
à la fois savants et engagés, l’interprétation
hypermorale du racisme comme objet de condamnation maximale et de
l’antiracisme comme critère de " civilisation
" s’articule avec l’énoncé d’une
hypothèse d’un tout autre ordre, qui, répondant
à la question de l’origine du racisme, peut soit impliquer
une position pessimiste (le Mal absolu est dans l’homme, et
il n’y a rien à faire ni à espérer),
soit exprimer un sens du tragique (le conflit est dans l’homme,
et il est insurmontable, mais il faut néanmoins agir) : ce
qui est stigmatisé sous le nom de " racisme ",
inséparablement tendance, attitude et conduite, semble-t-il,
serait un invariant anthropologique. Etiemble attribue en effet
à un trait universel et permanent de la nature humaine la
récurrence du racisme, dont la découverte risque de
désespérer les optimistes hâtifs : " il
semble qu’il y ait dans l’espèce humaine quelque
chose qui fait que la plupart des peuples, à un certain moment
de leur histoire, sont racistes " [15]. L’analyse du
phénomène raciste est dès lors déshistorisée,
et revient fatalement une pseudo-évidence aujourd’hui
fort répandue, liée à une variante naturaliste
de la " théorie des survivances " [16] : la nature
humaine est ainsi faite que " le racisme ", l’un
de ses caractères fixes, ne cesse de revenir, n’en
finit pas de resurgir après des périodes de latence.
Bref, le racisme, parce qu’il est ce qui hante l’homme,
doit être pour celui-ci une hantise : toujours menacé
par son fond raciste, l’homme doit ne jamais cesser de lutter
contre lui-même. Il suffit de suivre le fil de l’évidence
psychanalytique pour retrouver le modèle de la " régression
" : le racisme manifesterait ce retour du passé immémorial
dans le présent, ou cette remontée des processus primaires
à l’occasion de " crises ", ou encore cette
résurgence de tel ou tel archétype, de tel ou tel
phantasme (de viol, de destruction par découpage ou évirement
du corps propre, de décomposition ou de pourrissement, etc.),
engendrant phobies, peurs paniques et délires paranoïaques.
Ainsi, en reprenant sans la problématiser la notion polémique
de " racisme ", en prenant cet objet idéologique
indistinct comme un bloc (" le racisme " et son singulier
trompeur), en ne procédant pas aux distinctions conceptuelles
minimales entre : 1) racisme-théorie (idéologie)/racisme-pratique
(comportement)/ racisme-attitude (préjugé), 2) racisme
d’exploitation (esclavagisme, colonialisme)/racisme d’extermination
(nazisme), 3) racisme biologique (matérialisme zoologique)/racisme
culturaliste (spiritualisme psycho-historique), 4) racisme inégalitaire
(pseudo-universaliste, en général évolutionniste)/racisme
différentialiste (communautariste et pluraliste absolu),
en n’interrogeant pas les interactions du nationalisme et
des diverses formes de racisme, l’analyse antiraciste ordinaire,
dont certaines propositions d’Etiemble nous ont permis de
construire le type idéal, opère une naturalisation
de ce qu’elle pose comme un attribut absolument négatif
de la nature humaine : " le racisme ". En inscrivant expressément
la disposition raciste dans la nature animale, barbare, primitive,
pathologique ou criminelle de l’homme, on ne fait que poursuivre
la polémique avec les mêmes moyens, et, en recourant
à la mythologie des instincts, des pulsions ou des dispositions
originelles, on élève un obstacle supplémentaire
devant une approche critique et multidimensionnelle du racisme-problème.
L’obscurantisme est la conclusion logique du traitement polémique
du problème, qu’il suppose déjà résolu,
la grande affaire n’étant que de combattre par le discours.
Le Mal absolu est donc naturalisé par le discours antiraciste.
Dès lors, c’est l’éternelle présence
du racisme en tant qu’invariant de l’humaine nature,
c’est l’éternel retour du mauvais penchant raciste
qui joue le rôle du péché originel dans la pseudo-théologie
antiraciste. Celle-ci tient la figure idéologique de son
Mal radical. Une remarque d’Annie Kriegel illustre la même
démarche de retournement contre " le racisme "
de l’idée du péché originel qu’il
aurait lui-même reprise et détournée dans un
sens particulariste : " L’idée qu’un peuple
pouvait se trouver bien de circonscrire le fondement de son identité
dans la communauté d’origine ethnique a fait le fantastique
succès des retours aux sources, épiques ou mystiques.
Mais rien ne peut faire que cette démarche ne soit aussi
grosse de la plus effrayante déviance qui menace un groupe
humain : le racisme en tant que la différence ethnique est
retenue comme signe pluriel d’un péché originel
sans espoir de rédemption. Il n’y a guère de
doute que les fastueuses divagations des romantiques allemands sur
la fécondité humaine des primitives forêts germaniques
aient favorisé l’épanouissement ultérieur
d’un mal affreux auquel ceux-ci n’avaient pas pris garde
" [17]. Autant que celui d’Etiemble, ce texte vaut par
son caractère exemplaire, représentant quelconque,
stéréotypes idéologiques compris, d’une
moyenne des discours antiracistes produits depuis une quarantaine
d’années. Outre la courante caractérisation
de style manichéen du racisme en tant que Mal absolu - évidence
première retraduite dans une langue normative mi moralisante
mi sociologique (" la plus effrayante déviance ")
- et les habituels clichés de propagande française
sur le " romantisme allemand ", on rencontre dans ce texte
une opération de rétorsion d’argument, qui,
vraisemblablement non consciente d’être telle, peut
être ainsi reformulée : de même que la différence
ethnique d’un groupe étranger est pour les classiques
théories raciales le signe d’une faute originelle irrémissible,
d’une tache indélébile (par exemple attribuée
au croisement inter-racial), substitut du péché originel
établissant une barrière infranchissable par les "
inférieurs ", de même le racisme, ce " mal
affreux ", est pour les désormais classiques doctrines
antiracistes le signe d’un " péché originel
sans espoir de rédemption ". Ajoutons que la centration
de l’imaginaire raciste sur la tache comme souillure ineffaçable
et frontière infranchissable ne provient évidemment
pas d’un mythique " romantisme allemand " plus ou
moins barbarisé (quand il n’est pas " nazifié
"), mais de l’héritage idéologique de l’esclavagisme
moderne. En fournissent une remarquable théorisation d’époque
les propos tenus par le ministre de la Marine du roi Louis XV, le
13 octobre 1766 " Tous les nègres ont été
transportés aux colonies comme esclaves ; l’esclavage
a imprimé une tache indélébile sur leur postérité
; et par conséquent ceux qui en descendent ne peuvent jamais
entrer dans la classe des Blancs " [18].
L’idée d’une corruption absolue, irréversible,
d’une souillure définitive, ainsi retournée
par le discours antiraciste contre l’adversaire auquel elle
a été empruntée, apparaît comme un thème
polémique commun au racisme et à l’antiracisme.
Ce lieu partagé par les argumentations en situation de rivalité
mimétique provient d’une idéologisation de l’idée
théologique de péché originel qui, chassée
par la grande porte de la modernité prométhéenne,
revient par les fenêtres qu’ouvrent les flux idéologiques.
L’idée même du Mal radical est donc susceptible
de subir une corruption idéologique. C’est ce que montre
le singulier phénomène de spécularisation réciproque
du racisme et de l’antiracisme : pour l’une et l’autre
de ces configurations idéologiques antagonistes, la souillure
irrémédiable est ce qui caractérise essentiellement
l’ennemi, indiqué et méconnu par sa démonisation
même.
II. ASPECTS DE L’ARGUMENTATION : RACISMES, ANTIRACISMES,
ANTI-ANTIRACISMES.
1. Le cercle vicieux : antiracisme l’anti-antiracisme.
Partons d’un argument critique visant l’antiracisme
qui, procédant par dénonciation édifiante et
condamnation hyper-morale, caractérise la pratique verbale
des leaders politiques, des " autorités morales "
et des stars médiatiques dans les années 80 : "
L’antiracisme déclaré ne fait qu’envenimer
une plaie qu’il convient, au contraire, de fermer " (Alfred
Sauvy, " La grande migration ", Le Monde, 7 janvier 1984).
Il faut préciser le motif d’une telle critique, due
à un observateur de bonne foi : le discours antiraciste est
tenu par des énonciateurs parlant au nom de l’élite
morale et intellectuelle de la nation, et dénonçant
d’une telle position souveraine les " franchouillards
" ou les " petits Blancs " à la française
qui, " salauds ", " débiles " ou ignorants,
formeraient le troupeau des xénophobes lepénistes,
étiquetés " racistes ". La critique s’adresse
ainsi à un antiracisme distingué, à une position
de discours de l’élite, s’autorisant elle-même,
installée confortablement sous le soleil des bonnes pensées
et des beaux sentiments, à parler au nom de la démocratie,
du libéralisme, du Progrès ou de la Vertu. L’antiraciste
apparaît dès lors comme la figure contemporaine de
la " belle âme ". Mais qui, loin de se contenter
d’une existence contemplative ou esthétique, monopoliserait
l’éthique de conviction dans le champ politique y engendrant
des effets ni voulus ni prévus. Il convient donc de poser
à une telle pratique de l’antiracisme une question
préalable : la dénonciation indignée du "
racisme " peut-elle contribuer avec efficacité à
la lutte contre les phénomènes sociaux appelés
" racisme " ou "xénophobie " ? A-t-elle,
par exemple, réussi à limiter, freiner ou atténuer
l’extension des attitudes et des conduites expressément
anti-immigrés dans la France des années 80 ? Le doute
sur l’efficacité réelle de l’antiracisme,
c’est-à-dire sur sa capacité de réaliser
son objectif déclaré, est désormais une attitude
socialement si bien partagée qu’il faut en considérer
les raisons, sans craindre un éventuel effet de démobilisation
provisoire. Un philosophe juif allait plus loin dans la critique,
et croyait en 1986 pouvoir esquisser l’analyse suivante :
" On assiste toujours (...) au même scénario.
Un certain humanisme de gauche exacerbé et outrancier en
vient, par ses attitudes tranchées, à irriter et à
frustrer la dignité de la conscience populaire et nationaliste.
Cela provoque aussitôt une réaction violente de rejet
de tout humanisme, qui mène finalement au fascisme [19] "
[20]. Léon Askenazi met au compte des seules pratiques "
occidentales " [21] ce type de cercle vicieux et d’effet
pervers : l’engendrement d’un racisme réactionnel,
d’un anti-antiracisme, par l’antiracisme immodéré.
Cette structure interactionnelle est d’une importance qu’on
ne saurait surestimer : la plupart des difficultés rencontrées
par le militantisme antiraciste en dérivent, soit qu’il
échoue, soit qu’il nourrisse de " bonnes raisons
" son adversaire, soit qu’il fasse naître des réactions
" racistes " de second degré (anti-antiracisme).
Un tel processus vicieusement circulaire suppose l’idéologisation
de l’antiracisme au cours du XXe siècle, à l’occasion
de l’institution occidentale d’un double système
de propagande : anti-colonialiste et anti-fasciste (anti-nazisme,
anti-totalitarisme). L’antiracisme idéologique tend
à succéder au double rejet éthique et scientifique
du racisme doctrinal, et par suite à monopoliser la lutte
contre le racisme. Jean Baechler a fort bien décrit la "
perversion idéologique " de l’antiracisme : "
l’antiracisme, né du racisme et de la décolonisation,
succombe à la perversion idéologique. Non content
d’affirmer l’unité de l’espèce et
l’humanité de chacun de ses représentants, il
étiquette comme raciste toute attitude ou proposition qui
met l’accent sur les différences entre les hommes et
qui range les différences " [22]. Cette première
interprétation antiraciste du " racisme " illustre
le paradigme de l’individuo-universalisme abstrait, pseudo-éthique
parce qu’hypermoral, érigeant en idéal exclusif
l’unité du genre pensé en termes d’homogénéité
universelle et d’égalité inter-individuelle
absolue. Mais l’on peut discerner une seconde interprétation
antiraciste du " racisme ", relevant de l’individuo-universalisme
abstrait pseudo-politique : l’antiracisme " catalogue
comme raciste toute position qui considère que l’étranger
dans la cité peut poser des ;problèmes, moraux, économiques
ou politiques " [23]. Dans le premier cas, la censure exercée
par l’antiracisme n’autorise qu’un éloge
indéterminé de la différence inter-individuelle.
Dans le second cas, le filtre de la censure ne laisse passer que
les bonnes intentions et les convictions utopistes : l’antiracisme
pseudo-politique a pour fonction réelle d’interdire
la position et le traitement politique du problème des étrangers
dans un État-nation. Des effets pervers s’ensuivent
: " En empêchant que soient clairement définis
et ouvertement débattus les problèmes posés
par l’étranger, il [l’antiracisme] ne les supprime
pas, il les pousse dans la clandestinité, dont ils ont toutes
les chances de sortir un jour ou l’autre, sous la bannière
du racisme " [24]. Mais l’antiracisme en général
se fonde sur un postulat qui exerce avec régularité
ses effets terroristes : tout ce qui n’est pas avec nous (les
antiracistes) est contre nous (c’est-à-dire raciste).
Ce postulat du combat idéologique déborde bien sûr
le champ du racisme et de l’antiracisme : il caractérise
un mode d’argumentation " totalitaire " fort bien
partagé par les grandes idéologies au XXe siècle.
L’évidence antiraciste première consiste donc
à identifier les non-antiracistes comme des représentants
du " racisme " : " en définissant comme raciste
tout ce qui n’est pas antiraciste, l’antiracisme ne
laisse aucune autre possibilité " [25]. Dès lors,
l’anti-racisme s’offre à la fois comme l’expression
d’une fierté nationale indignée ou d’une
identité collective offensée, et comme la voie unique,
aussi nouvelle qu’inespérée, d’un re-départ
du nationalisme exclusiviste et xénophobe, réchauffé
par le motif d’une légitime défense de l’identité
nationale en danger. Histoire répétitive des conflits
idéologico-politiques : l’AGRIF répliquant au
MRAP et à la LICRA, c’est le retour de la Ligue de
la Patrie française répondant à la Ligue des
Droits de l’Homme [26]. Que le nationalisme clos et xénophobe
identifie le Juif (en 18961900) ou l’Arabe leu 1983-1986)
comme figure porteuse de menace ne marque pas une différence
fonctionnelle notable dans les deux cas, la xénophobie ciblée
(anti-juive ou anti-immigration d’origine maghrébine)
vise des types collectifs caractérisés à la
fois par une proximité culturelle réelle (une intégration
en cours), une extraénité mythologisée (l’inquiétante
étrangeté de groupes supposés inassimilables
et menaçant l’identité propre du peuple français)
et une particulière aptitude à faire l’objet
de projections de mémoires historico-culturelles lourdement
chargées d’affects (le Juif meurtrier du Dieu-Homme
; l’Arabe, ennemi héréditaire de l’Occident
chrétien, celui de Poitiers, des Croisades, du " terrorisme
international " ou de l’intégrisme islamique)
[27]. Dans les deux cas, c’est la " conquête de
la France " qui est dénoncée : sur le modèle
de la " conquête jacobine " (H. Taine) de la nation
française, se profilait la menace d’une " conquête
juive " (E. Drumont) dans l’imaginaire social de la fin
du XIXe siècle, et surgit aujourd’hui celle
d’une conquête-invasion " tiers-mondiste "
de l’Europe (Club de l’Horloge, Front national).
2. Le dilemme fondamental et l’antinomie centrale
de l’antiracisme.
Cornelius Castoriadis a fort bien posé le problème
théorique de la lutte contre le racisme, à partir
des exigences contradictoires de la pensée contemporaine.
oscillant entre universalisme et relativisme culturel, progressisme
et pluralisme culturel radical. Il convient tout d’abord de
dénoncer " la schizophrénie euphorique des boys-scouts
intellectuels des dernières décennies, qui prônent
à la fois les droits de l’homme et la différence
radicale des cultures comme interdisant tout jugement de valeur
sur des cultures autres " [28]. C’est l’aporie
fondamentale de la position hyper-tolérantielle greffée
sur le relativisme culturel absolu, qui débouche sur le non-jugement,
donc sur l’impassibilité et l’inaction devant
tout phénomène humain " autre ", sur l’égal
respect envers toutes les pratiques socioculturelles : " Comment
peut-on alors juger (et éventuellement s’opposer à)
la culture nazie, ou stalinienne, [aux] régimes de Pinochet,
de Menghistu, de Khomeiny ? Ne sont-ce pas là des "
structures " historiques différentes, incomparables,
et également intéressantes ? " [29]. Il y a certes
un usage facile de l’invocation universaliste des droits de
l’homme : c’est de postuler que, nécessairement,
voire fatalement, " le rouleau-compresseur du " progrès
" amènera tous les peuples à la même culture
" [30]. Dès lors, l’action en faveur des droits
de l’homme se situe confortablement dans le mouvement sensé
ou rationnel de l’histoire. On ne ferait par elle qu’accélérer
le bon sens de l’histoire, qui, avec ou sans nos efforts militants,
accoucherait d’une unité humaine finale, après
quelques " accidents malheureux " [31]. Mais, remarque
avec lucidité Castoriadis : " c’est le contraire
qui s’est, surtout, passé. Les " autres "
ont assimilé tant bien que mal, la plupart du temps, certains
instruments de la culture occidentale, une partie de ce qui relève
de l’ensembliste-identitaire qu’elle a créé
- mais nullement les significations imaginaires de la liberté,
de l’égalité, de la loi, de l’interrogation
infinie. La victoire planétaire de l’Occident est victoire
des mitraillettes, des jeeps et de la télévision -
non pas du habeas corpus, de la souveraineté populaire, de
la responsabilité du citoyen " [32]. Voilà le
tableau décevant qu’il faut brosser, avant de noter
un second point, de haute importance : le problème théorique
ou philosophique incarné par l’antinomie de l’universalisme
et du relativisme culturel, ce problème : se dévoile
également comme l’ " un des problèmes politiques
pratiques majeurs de notre époque, porté au paroxysme
par l’apparente antinomie au sein de notre propre culture
" [33].
Cette antinomie vécue et discutée au sein même
des sociétés occidentales modernes peut ainsi se formuler
:
" Nous prétendons à la fois que nous sommes
une culture parmi d’autres, et que cette culture est unique
en tant qu’elle reconnaît l’altérité
des autres (ce qui ne s’était jamais fait auparavant,
et ce que les autres cultures ne lui rendent : pas), et en tant
qu’elle a posé des significations imaginairessociales,
et des règles qui en découlent, quiont valeur universelle
: pour prendre l’exemple le plus facile, les droits de l’homme
" [34]. Les situations concrètes de double bind sont
désormais courantes, les dilemmes spéculatifs de l’universel
et du particulier passent au social ordinaire :
"Un jour (...), à Paris, vous découvrez que
votre employé de maison [sic] (ouvrier, collaborateur, confrère)
que vous estimez beaucoup se prépare à la cérémonie
d’excision infibulation de sa fillette. Si vous ne dites rien,
vous lésez les droits de l’homme (le habeas corpus
de cette fillette). Si vous essayez de changer les idées
du père, vous le déculturez, vous transgressez le
principe de l’incomparabilité des cultures " [35].
Que faire ? Nous nous trouvons devant deux types symétriques
possibles de corruption idéologique :
1) agir en postulant que toutes les valeurs de la civilisation occidentale
doivent être incarnées par les comportements de tous
les représentants du genre humain (corruption de l’exigence
d’universalité) ;
2) ne pas agir, ne pas même juger, en croyant suivre la nonne
relativiste de l’égal respect pour toutes les formes
et les pratiques culturelles (corruption du " droit à
la différence ", du respect des identités culturelles).
Tout imposer ou tout accepter, voire tout respecter.
Mais le dilemme peut être contourné, voire surmonté.
Nous ne sommes pas voués au balancement sceptique entre les
contraires ou les contradictoires. La solution de l’antinomie
consiste à poser que certaines valeurs, apparues dans l’aire
occidentale, doivent être défendues en tant qu’universalisables.
Bref, les difficultés théoriques et pratiques de la
lutte contre le racisme ne sont pas insurmontables, mais elles doivent
être reconnues pour être surmontées, et non pas
être prises en tant qu’alibi du quiétisme, du
scepticisme désabusé, du désengagement cynique.
Si le combat contre le racisme se heurte à des obstacles
dont on peut identifier les formes principales, " il ne doit
pas servir de prétexte pour démissionner devant la,
défense de valeurs qui ont été créées
" chez nous ", que nous pensons être valables pour
tous, qui n’ont rien à faire avec la race ou la couleur
de la peau et auxquelles nous voulons, oui, raisonnablement convertir
toute l’humanité " [36].
La position et la défense des valeurs et des normes universalisables
nous permettent de surmonter le dilemme de l’universalisme
abstrait et du particularisme ethnocentrique, qui se traduit politiquement
par celui de l’impérialisme uniformisateur " xénophage
" et du nationalisme différentialiste xénophobe.
Les droits de l’homme, en tant que droits individuels de tous
les hommes, ne sauraient dès lors être réduits
à une simple invention idéologique de l’ "
Occident conquérant ", et rejetés en tant que
composante du modèle occidental d’organisation culturelle
valable pour le seul Occident, ou en tant que survivance du discours
colonial [37]. Les droits de l’homme une fois réduits
à un fait culturel particulier, situable et datable, propre
à l’Occident rationaliste et conquérant, bref
aux Lumières dénoncées comme une perversion
caractéristique de l’esprit occidental moderne (liée
par exemple à l’entreprise coloniale), il s’ensuit
un ensemble de remises en question qui, notamment et significativement,
font se rejoindre réactionnaires catholiques et intégristes
" révolutionnaires " se réclamant de l’Islam.
Il y a plus grave : la vision historiciste des valeurs " culturelles
", mue par les meilleures intentions " antiracistes ",
conduit des esprits modérés aux mêmes conclusions
sans nuance, les entraîne à dénoncer les séparations
entre le public et le privé, l’État et le religieux,
le social et le sacré. Et ce, pour la principale raison que
ces principes d’organisation garantissant les libertés
individuelles sont nés en Occident, et comme tels rejetés
ou suspectés au même titre que l’impérialisme
colonial. Il en va ainsi de l’affirmation que la laïcité,
à la fois parce qu’elle dérive des Lumières
et qu’elle fut construite en France sous la Troisième
République " ( !), est " aujourd’hui intellectuellement
dépassée " [38]. L’indigence des arguments
idéologiques d’appoint ne doit pas nous dissimuler
la force d’évidence du rejet global des créations
intellectuelles-spirituelles de l’Occident, du seul fait qu’elles
sont d’origine occidentale. Il s’agit là d’une
attitude raciste d’autant plus efficace qu’elle n’est
pas perçue comme telle : instrument de dénonciation,
elle n’est jamais dénoncée elle-même.
Parce qu’ils sont universalisables, les droits de : l’homme,
donc l’exigence d’égalité et l’impératif
du respect des libertés individuelles (c’est-à-dire
d’autrui), ne constituent pas une simple expression socio-historique
d’un ensemble culturel spécifique. Il en va de même
pour le principe de laïcité, qui présuppose l’idée
des droits de l’homme. Loin de n’être qu’une
manifestation de tel esprit collectif à un moment donné,
ces derniers sont le fruit d’une création irréductible
à la somme des déterminations contextuelles relatives
à l’époque et au lieu où ils sont apparus.
Le relativisme culturel radical est à la fois auto-contradictoire
(comme toute forme de scepticisme dogmatique) et faux, en tant qu’il
prétend s’ériger en théorie des phénomènes
intellectuels : " Tout relativisme est toujours - s’il
ne se borne pas à bégayer et à grommeler -
un absolutisme. Il prétend pouvoir épuiser ce dont
il parle par l’énumération des relations où
celui-ci serait pris, il doit affirmer que l’ensemble de ces
relations est déterminé et assignable. Mais le problème
est constitué précisément par ce fait, que
(...) les relations existent et qu’elles n’épuisent
pas leur objet " [39]. Le meilleur exemple d’une création
intellectuelle-spirituelle irréductible à ses conditions
d’émergence est peut-être fourni par la philosophie,
qui a certes une origine et une histoire occidentales mais excède
en même temps toute histoire, comme si, à peine née,
elle se détachait de sa naissance pour vivre d’une
existence autonome. C’est-à-dire universelle. Le propre
de l’homme comme être pensant et créant n’est
pas d’exercer sa faculté d’appartenance, mais
de se libérer par sa faculté de désappartenance.
Le grec Platon ne fait pas que penser grec : " Platon appartient
à la Grèce d’une manière interminable
- et il nous fait penser, il nous appartient (ou nous lui appartenons,
peu importe)" [40].
Ce qui a été pensé ou créé "chez
nous" n’a nulle vocation à ne valoir que "
pour nous " : tel est le contenu formel de l’exigence
d’universalité.
3. Assimilation et amalgame
Parmi les procédés argumentatifs les plus couramment
utilisés dans le discours polémique l’on rencontre
l’assimilation, qui peut aller jusqu’à l’amalgame,
entre des phénomènes dont on met en évidence
les similitudes ou les connexions (par exemple de type causal),
réelles ou fictives. Ce type d’argument peut se définir
par son moyen : " faire apparaître une communauté
de nature " [41] entre des faits, des démarches, des
institutions, des procédures, des attitudes ou des comportements.
Et par son objectif : " étendre des jugements positifs
ou négatifs dont bénéficient certains [objets]
à ceux qui leur sont assimilés " [42]. Ce transfert
d’évaluations en vertu d’une communauté
de nature ou d’essence posée ou présupposée
est l’opération principale du discours épidictique,
réalisant des blâmes ou des éloges, instituant
des illégitimités ou des honorabilités, provoquant
des exclusions ou des promotions [43].
Mais ce qui nous intéresse ici, c’est le transfert
d’évaluations négatives dans le discours polémique.
Les exemples contemporains sont multiples : on disqualifie, jusqu’à
la condamnation absolue, des pratiques telles que l’euthanasie
ou l’avortement, et plus généralement les pratiques
eugéniques, pour ce qu’elles reviendraient à
des formes de meurtre [44], lequel constitue la base de réduction
usuelle des phénomènes sociaux qu’il s’agit
d’illégitimer le plus radicalement possible. Il en
va de même, d’une façon paradigmatique, avec
la notion de racisme. Si le terme est doté d’une connotation
aussi fortement péjorative, si son énonciation ("
raciste ! ") disqualifie absolument. l’individu ou le
groupe ainsi qualifié, c’est que son usage présuppose
une évidence définitionnelle indubitable, à
savoir que racisme = violence meurtrière. Voilà l’essence
attribuée au racisme, meurtre, appel au meurtre ou justification
du meurtre, telle qu’elle repose dans le stock des représentations-valeurs
idéologiques disponibles - précisons : depuis la fin
de la Seconde Guerre mondiale. Cette évidence première
n’a nul besoin d’être énoncée pour
fonctionner. Thématisée ou non, elle conditionne l’usage
polémique ordinaire du terme racisme (raciste) dont la condition
d’emploi " heureux " est la conviction que l’on
sait de quoi l’on parle quand on le prononce pour dénommer
ou qualifier.
Sur la base de cette évidence première s’est
produit un élargissement considérable du champ d’application
de la catégorie : on appellera racisme toute attitude, toute
conduite ou toute pratique supposées incarner ou impliquer
de la violence, du mépris, de la haine, des discriminations,
persécutions, etc., entre des individus comme entre des groupes.
Bref, le terme acquiert une plasticité proportionnelle à
son degré d’indétermination. Pierre Oléron
remarque, à propos du terme de racisme, " son usage
dans un but polémique pour condamner les mesures qui établissent
des discriminations entre les personnes, surtout lorsqu’elles
mettent en cause, par exemple, des émigrés ".
Lorsque les rapprochements impliqués par l’assimilation
ne sont pas fondés sur des similitudes ou des connexions
objectives, lorsqu’ils sont de type associatif et strictement
motivés par la recherche d’un effet sur l’auditoire,
alors l’on se trouve devant des amalgames. L’amalgame
est un procédé polémique de présentation
: il " présente comme lié, participant d’une
même nature, ce qui peut ne comporter qu’une ressemblance
ou des liens superficiels ou accidentels " [45]. L’amalgame
exploite " le caractère répulsif de certains
personnages, événements, de certaines doctrines ou
entreprise " [46], en le réinvestissant dans d’autres
représentations de phénomènes. Pour que l’amalgame
fonctionne dans le champ idéologique, il doit être
reçu comme un bloc, et son effet perçu comme une représentation
figée, située en-deçà du discutable
et de l’analysable.
L’amalgame, pour obtenir un effet maximal, tend à
recourir à des bases de réduction hyperboliquement
répulsives : il tend à trouver ses notions assimilatrices
et contaminatrices dans le stock des comportements ou des pratiques
faisant l’objet d’une phobie ou d’une condamnation
consensuelle. L’amalgame réalise ainsi une assimilation
extrémisante, laquelle se traduit par l’absolutisation
soit de la violence, soit du crime, soit du génocide. Or,
la notion idéologique de racisme comportant ces trois éléments,
on ne s’étonnera pas de ce qu’elle soit mise
en oeuvre pour catégoriser telle ou telle manière
d’être, de faire ou de penser (voire de parler), qu’il
s’agit d’illégitimer inconditionnellement. Pierre
Oléron décrit ainsi ce mécanisme argumentatif
: " un des ressorts de cette procédure est d’assimiler
les faits ou les conduites prises comme cibles aux extrêmes
qui par leur intensité, doivent provoquer la réaction
de l’auditoire. C’est bien ce que l’on attend
des références au meurtre, au racisme, à la
violence (...). Démarche analogue, celle qui, en quelque
sorte, signale qu’une attitude ou un comportement ouvre la
porte aux excès ou les prépare " [47]. En effet,
si l’on présuppose que le racisme est violence meurtrière
(évidence première), les arguments antiracistes peuvent
se présenter sous deux formes :
- le racisme (ce que j’appelle ainsi) décrit et nomme,
ou caractérise, le phénomène social que je
blâme : toute manifestation de violence meurtrière
peut être dès lors qualifiée en tant que raciste
(la violence revient à du racisme) ;
- le phénomène social que je blâme conduit
au racisme ; or, le racisme conduit d la violence meurtrière.
Dans les textes antiracistes ordinaires, l’amalgame polémique
entre " racisme " et massacres de masse (ou extermination)
fonctionne comme une évidence-pivôt. Ainsi, pour bien
marquer la différence entre " racisme " et "
antiracisme ", face aux critiques qualifiées d’
" anti-antiracistes ", Tzvetan Todorov remarque, l’évidence
étant si grande qu’elle est énoncée entre
parenthèses :
"(il [Julien Freund] oublie que les victimes du racisme se
comptent littéralement par millions, alors que celles de
l’antiracisme ne sont pour l’instant que métaphoriques)"
[48].
La fausse clarté de l’évidence apparaît
dès qu’on l’interroge quelque peu : - pourquoi
mettre au seul compte du " racisme ", par exemple, les
massacres perpétrés par le national-socialisme ? Les
victimes africaines des marchands d’esclaves seraient-elles,
sans plus, des victimes du " racisme " esclavagiste ?
Et, d’une façon générale, l’extermination
d’un peuple par un autre peuple, un génocide donc,
se réduit-elle au passage à l’acte d’une
idéologie raciste (dont le noyau serait l’affirmation
de l’infériorité biologique du peuple-victime)
? N’y-a-t-il pas là réductions et simplifications
abusives ?
- pourquoi, inversement, mais selon le même tour de pensée,
ne pas mettre au compte de l’antiracisme universaliste occidental,
d’une part, les massacres commis par les armées de
l’impérialisme colonial, porteuses d’une mission
civilisatrice, celle de la libération forcée des peuples
de leurs traditions surannées (pour les colonisateurs progressistes)
et de leur barbarie tribale ; d’autre part, si le communisme
est intrinsèquement antiraciste, pourquoi les massacres staliniens
des populations rétives face à la grandiose construction
du " socialisme dans un seul pays ", l’extermination
des couches sociales supposées inaptes à accompagner
la marche du Progrès ? À qui ou à quoi attribuer
les victimes " de race noire " dues à l’ANC
en Afrique du Sud ? Au racisme " blanc " ou à l’antiracisme
" noir " ?
La procédure argumentative peut être illustrée
de façon frappante par deux types d’amalgames ordinaires
dans le discours politique de l’extrême-gauche occidentale.
Tout d’abord, le slogan gauchiste : " CRS-SS ",
dont l’axiome est l’identification triple de la police
au nazisme, du nazisme à la SS, et de celle-ci à la
violence meurtrière (spécifiable comme : " gratuite
", " sadique ", etc.). Ensuite, la formation des
énoncés antisionistes à partir de l’évidence
première " sionisme = racisme ". Sur la base de
cet axiome idéologique, toute attitude et toute conduite
d’un individu ou d’un groupe qualifiés de "
sionistes ", de façon vérifiable ou non (par
exemple : " tout Juif est un sioniste, avéré
ou potentiel "), est immédiatement qualifiable de "
raciste ", et par là illégitimée absolument.
D’où les retournements contre les " sionistes
" des énoncés de la tradition antiraciste antinazie
(indice lexical le plus clair : le mot-valise " nazionisme
") [49]. Le gain polémique de l’amalgame nazifiant
est conditionné par la réception passive de l’axiome
" sionisme = racisme ". Or, la légitimité
antiraciste de cette proposition est instituée depuis la
condamnation du " sionisme " prononcée à
l’ONU en 1975. Dès lors, les comportements des soldats
israéliens, réduits à des composantes animées
de " l’entité sioniste ", de même que
les actes de guerre accomplis par Israël, vont pouvoir être
systématiquement assimilés à des comportements
ou à des actes typiquement " fascistes racistes "
ou, plus synthétiquement, " nazis ". Avec la prime
de condamnabilité constituée par l’argument
du " génocide " : lorsque l’armée
israélienne intervient et cause des pertes à l’ennemi,
si celui-ci est palestinien (ou se dit tel), alors il s’agit
de la " poursuite " d’un plan de génocide
ourdi dès l’apparition du projet sioniste (et dont
le premier acte aurait été " le massacre de Deir-Yassin
"), ou du " début " d’un génocide.
Car, du fait que l’équation " sionisme = racisme
" représente une présupposition absolue, située
hors du champ de la discussion critique, et qu’elle se décrypte
selon les équivalences " sionistes = racisme = nazisme
= génocide ", les attitudes et les comportements de
tout Israélien (sioniste patent) ou de tout Juif (sioniste
latent), face aux " droits légitimes du peuple palestinien
" vont pouvoir être caractérisés en tant
que " racistes ", et stigmatisés comme " fascistes
" ou " nazis ", comme si la conviction première
s’illustrait par l’effet d’une prédiction
auto-réalisatrice. La conviction absolue aveugle en éclairant,
elle substitue la représentation phobique toute faite de
l’ennemi à la perception partielle et à la connaissance
laborieuse de l’adversaire. Mais il est vrai que l’absolutisation
de l’ennemi fonctionne également du côté
des " sionistes " démonisés : la rivalité
mimétique s’installant, l’impératif d’élimination
de l’ennemi s’impose dans les deux camps, et disqualifie
définitivement comme " irréaliste " toute
tentative de trouver une solution politique à travers négociations
et recherche d’accords. De même que l’intolérance
provoque l’intolérance, la démonisation engendre
la démonisation...
[1] M.F. Ashley Montagu, Man’s Most Dangerous Myth : The
Fallacy of Race (1942), 5ème éd. revue et augmentée,
Londres-Oxford-New York, Oxford University Press, 1974.
[2] Montagu, op. cit., 1974, préface de la 5ème éd.,
p. X.
[3] Étude reprise dans un recueil d’articles : Etiemble,
Le péché vraiment capital, Paris, Gallimard, 1957.
[4] Etiemble, op. cit., 1957, p. 16.
[5] Parmi les nombreux travaux fondés sur l’hypothèse
de l’interaction historique du scientisme naturaliste (selon
ses deux principales variantes matérialiste et positiviste)
et du racisme biologique : M.F. Ashley Montagu (ed..), The Concept
of Race, New York, The Free Press, 1964 ; Léon Poliakov,
Le Mythe aryen. Essai sur les sources du racisme et des nationalismes,
Paris, Calmann-Lévy, 1971 ; George W. Stocking, Jr., Race,
Culture, and Evolution. Essays in the History of Anthropology (1968),
2ème ed., Chicago and London, The University of Chicago Press,
1982 ; Louis Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective
anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Esprit/Le
Seuil, 1983, en partie p. 132-164 ; Stephen Jay Gould, La mal-mesure
de l’homme. L’intelligence sous la toise des savants
(1981), tr. fr. J. Chabert, Paris, Ramsay, 1983 ; Gérard
Lemaine, Benjamin Matalon, Hommes supérieurs, hommes inférieurs
? La controverse sur l’hérédité de l’intelligence,
Paris, A. Colin, 1985 ; Michael Banton, Racial Theories, Cambridge
University Press, 1987.
[6] Etiemble, op. cit., 1957, pp. 21-22.
[7] Etiemble, Racismes, Paris, Ed. Arlea, 1986.
[8] Etiemble, " Variations sur le racisme " (entretien),
Information Juive, 38ème année, nouvelle série,
n° 55, mai 1986, p. 16.
[9] Ibid.
[10] Ibid. Sur la " théorie virale " en tant que
conception populaire dominante du " racisme ", perçu
et redouté en tant que " maladie contagieuse "
Gustave Le Bon en 1895), cf. Michael R. Marrus, "The Theory
and Practice of Antisemitism ", Commentary, 74/2, août
1982, p.p 38-42 ; tr. fr. MA. Jolivet, " Théorie et
pratique de l’antisémitisme ", Sens, 1, janvier
1985, [pp. 17-25], p. 17.
[11] Paul de Lagarde, Mitteilungen, Göttingen Dieterich, 2ème
éd., 1887, p. 338 (cité par Jean Favrat, La pensée
de Paul de Lagarde (1827-1891), Paris, H. Champion, 1979, p. 468
; voir également Fritz Stem, Politique et désespoir.
Les ressentiments contre la modernité dans l’Allemagne
préhitlérienne [1961], tr. fr. C. Malamoud, Paris,
A. Colin, 1990, p. 86).
[12] Pour une application à l’analyse de l’antisémitisme,
cf. Imre Hermann, L’instinct filial (1943), tr. fr. G. Kassaï,
Paris, Denoël, 1972, p. 177-184 ; id., Psychologie de l’antisémitisme
(1945), suivi de La préférence pour les marges en
marges en tant que processus primaire (1923), tr. fr. G. Gachnochi-Tattay,
Paris, Éditions de l’Éclat, 1986, p. 66 et suiv.
[13] Jacob Katz, " Misreading of Anti-semitism ", Commentary,
76/1, juillet 1983, pp. 39-44 ; tr. fr. Yves Chevalier, " Lectures
défectueuses de l’antisémitisme ", Sens,
5/6, 1984, [p. 203-214], pp. 209-210.
[14] Cf. P.-A. Taguieff, " Le néo-racisme différentialiste.
Sur l’ambiguïté d’une évidence commune
et ses effets pervers : l’éloge de la différence
", Langage et Société, 34, décembre 1985,
pp. 69-98 ; id., La Force du préjugé. Essai sur le
racisme et ses doubles, Paris, La Découverte, 1988, p. 11
et suiv. (2éme éd., coll. " Tel ", Paris,
Gallimard, 1990, ibid.).
[15] Etiemble, art. cit., 1986, p. 16.
[16] Cf. par exemple : Albert O. Hirschman, L’économie
comme science morale et politique, Paris, Gallimard, Le Seuil, 1984,
p. 27 et suiv. (présentation critique de la variante historiciste).
[17] Annie Kriegel, " Régionalisme, nationalisme, État
et démocratie ", in Cercles Universitaires, Les intellectuels
et la démocratie, Paris, PUF, 1980, pp. 160-161 (je souligne).
[18] Cité par Michel Leiris, Race et société.
Contacts de civilisations en Martinique et en Guadeloupe, Paris,
Unesco, 1955, p. 22 ; cf. les remarques d’Annie Kriegel dans
Les Juifs et le monde moderne, Paris, Le Seuil, 1977, p. 50 et suiv.
[19] Le mot polémique " fascisme " est suffisamment
indéterminé en un tel emploi pour signifier tout autant
" racisme " " nazisme ", " barbarie ",
etc. Il fonctionne comme un opérateur de stigmatisation maximale.
[20] Léon Askenazi (" Manitou "), " Entretien
avec Rivon Krygier ", Regards, n° 161, 8-21 mai 1986, p.
26.
[21] " Il faudrait avoir le courage d’établir
un diagnostic qui dénoncerait le vice profond dans les mécanismes
de fonctionnement de la société occidentale "
(ibid.), déclare L. Askenazi à propos du " phénomène
Kahane ", " produit de consommation importé des
Etats-Unis " : " c’est la reproduction de l’attitude
des Blancs racistes à l’égard des Noirs "
(ibid.). Propos illustrant la tendance violemment anti-occidentale
de certains doctrinaires du retour à l’" identité
hébraïque ", portant au compte de l’Occident
tous les vices et les maux dont souffre à leurs yeux la société
israélienne (et plus largement " le peuple juif ").
[22] J. Baechler, " L’étranger dans la cité
", Commentaire, n° 33, printemps 1986, p. 79.
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[25] J. Baechler, art. cit., p. 79.
[26] Le " Centre régional de coordination des comités
d’action politique et sociale ", dont les statuts furent
déposés par Romain Marie (Bernard Antony) à
Castres le 26 novembre 1974, s’est déplacé à
Paris et, après avoir modifié ses statuts, s’est
rebaptisé " Alliance générale contre le
racisme et pour le respect de l’identité française
et chrétienne " (AGRIF, 30 octobre 1984). Le premier
objectif de l’AGRIF, présidée par R. Marie,
est de faire abroger la loi " antiraciste " du ler juillet
1972 (" Loi Pleven "), qu’on peut considérer
à la fois comme l’enfant commun des grandes associations
antiracistes (MRAP,LICA-LICRA, Ligue des Droits de l’Homme)
et leur instrument juridique principal. Son second objectif, tactique
et provisoire, consiste à combattre le " racisme anti-français
" en se fondant sur ladite loi du ler juillet 1972. Sur l’AGRIF,
cf. Lectures françaises, n° 341, septembre 1985, pp.
25-26 (présentation favorable).
[27] La question de la territorialité politique constitue
le critère fondamental de la différenciation : les
juifs, avant la création de l’État d’Israël
(1947), ne pouvaient compter sur un État-nation d’accueil
qui fût le leur, alors que les diverses catégories
nationales de travailleurs immigrés (précisons : relevant
de l’immigration " économique ") peuvent
toujours, en cas de xénophobie meurtrière, "
retourner au pays ". Sur la question territoriale et l’idée
sioniste, cf. l’étude très synthétique
de Pierre Bimbaum, " Les théories sionistes et la notion
d’un État juif ", Cahiers Bernard Lazare, n°114,
janvier-mars 1966, pp. 45-53 (comprenant une orientation bibliographique
fort utile). Mais la population constituée par les "
jeunes de l’immigration maghrébine ", pour la
plupart de nationalité française, fait alors exception,
leur auto-représentation collective ne coïncidant avec
aucun modèle d’identité prescrite : d’où
les identifications oscillatoires, entre la citoyenneté française
(égalité des droits) volontaire et la réassomption
d’une appartenance d’origine, laquelle révèle
à l’expérience (retour exploratoire au pays)
son caractère d’utopie compensatrice.
[28] C. Castoriadis, " Notations sur le racisme ", Connexions,
48, 1987, p. 117.
[29] Ibid. Cet examen des conséquences indésirables
du relativisme culturel radical rejoint notre critique des positions
du différentialisme ethno-culturel dont la G.R.E.C.E. a été
le laboratoire doctrinal, et qui, dans les années 80, sont
devenues le noyau dur du néo-racisme " soit " du
Club de l’Horloge, puis du Front national : cf. P.-A. Taguieff,
" Le néo-racisme différentialiste ", Langage
et Société, 34, décembre 1985, pp. 69-98 ;
id., La Force du préjugé, op. cit., p. 326 et suiv.
Mais il faut aussitôt préciser que, trop souvent aujourd’hui,
la récusation de la sacralisation relativiste des différences
colllectives de fait n’est qu’un moyen élégant
de restaurer un universalisme abstrait dont les effets néo-racistes
ne font pas moins de ravages (occidentalolâtrie, conception
développementaliste du Progrès démocratique,
etc.). Pour une position du problème, voir par exemple :
Serge Latouche, " La Nouvelle Droite, le M.A.U.S.S. et la question
du Tiers-Monde ", Bulletin du MA.U.S.S., 20 décembre
1986, pp. 11-29.
[30] Castoriadis, art. cit., p. 117 ; pour une critique radicale
de la doctrine occidentalocentrique du " développement",
cf. S. Latouche, L’occidentalisation du monde, Paris, La Découverte,
1989.
[31] Castoriadis, art. cit., p. 118.
[32] Ibid. Sur la " logique ensembliste ou identitaire "
dont la mathématique " incarne (...) l’aboutissement
extrême ", cf. Castoriadis, Les carrefours du labyrinthe,
Paris, Le Seuil, 1978, p. 203 et suiv. ; id., Domaines de l’homme
[Les carrefours du labyrinthe, II], Paris, Le Seuil, 1986, pp. 107-108
; sur l’interrogation infinie : ibid., p. 241 et suiv.
[33] Castoriadis, art. cit., 1987, p. 118.
[34] Ibid.
[35] Ibid.
[36] Ibid.
[37] Voir, parmi d’autres, les diatribes de Mohamed Arkoun,
" La conception occidentale des droits de l’homme renforce
le malentendu avec l’islam " (entretien), Le Monde, 15
mars 1989, p. 2.
[38] M. Arkoun, Ibid. Pour une position du problème dénuée
: du pathos de la dénonciation : Raimundo Panikkar, "La
notion des droits de l’homme est-elle un concept occidental
? ", Diogène, 120, octobre-décembre 1.982, pp.
87-115.
[39] Castoriadis, op. cit., 1978, p. 19.
[40] Ibid.
[41] Pierre Oléron, L’argumentation, Paris, PUF, 1983,
p. 102.
[42] Ibid. Chaïm Perelman aborde notamment la question des
assimilations et des amalgames à propos de la réception
des métaphores (définies comme des " analogies
condensées ") de la forme "A est C ", qui
peuvent être interprétées, aussi facilement
qu’abusivement, comme des identifications (cf. L’empire
rhétorique. Rhétorique et argumentation, Paris, Vrin,
1977, p. 133).
[43] Sur le genre épidictique, cf. Chaïm Perelman et
Lucie Olbrechts-Tyteca, Traité de l’argumentation.
La Nouvelle Rhétorique, Paris, PUF, 1958, t. 1, pp. 62-68.
Perelman insiste sur ce que " l’argumentation du discours
épidictique se propose d’accroître l’intensité
de l’adhésion à certaines valeurs " (p.
67).
[44] P. Oléron, op. cit., p. 102.
[45] P. Oléron, op. cit., pp. 102-103.
[46] P. Oléron, op. cit., p. 104.
[47] Ibid.
[48] Ibid., p. 105. Dans la perspective de la Nouvelle Rhétorique,
les " extrêmes " peuvent s’interpréter
comme des incarnations de l’ " antimodèle "
; or, à suivre Perelman, " il suffit d’attribuer
une conduite à l’antimodèle pour que l’on
cherche à s’en distinguer " (L’empire rhétorique,
1977, p. 125).
[49] T. Todorov, " Correspondances ", Lettre Internationale,
15, hiver 1987, p. 79. Le texte de Julien Freund que vise T. Todorov
est le suivant : " Les garde-fous et le mirador ", in
Racismes, antiracismes (sous la direction d’André Béiin
et de Julien Freund), Paris, Librairie des Méridiens/Klincksieck,
1986, pp. 11-36.
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