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Foot et racisme
Point de vue
mardi 4 juillet 2006, par Patrick Mignon (entretien avec Olivier Van Doren)

Origine : http://www.dossiersdunet.com/article783.html


Le racisme semble envahir les stades professionnels et amateurs. Nouveau mal du football au XXIème siècle ou prise de conscience d’un mal qui ronge le monde du football depuis des années ? Pour connaître qui sont les supporters et comment un supporter franchit la ligne morale qui le pousse vers le racisme, nous avons interrogé Patrick Mignon, sociologue à l’INSEP (Institut National du Sport et de l’Education Physique, NDLR), afin de mieux comprendre ce fléau dans le football.
Entretien avec Patrick Mignon, sociologue (17/06/2005)

De façon générale, y a t il une typologie du supporter ?

Si on prend le cas du foot professionnel, vous avez l’habitué, qui connaît le foot, qui s’assoit et qui regarde. Ensuite vous avez des gens qui sont un peu plus engagés, qu’on peut appeler supporters, qui sont des gens qui ont une certaine fibre vis-à-vis de leur club ; parce que c’est le club de leur ville, de leurs parents, etc.... Après, vous avez les ultras, qui sont plus jeunes, plus organisés, qui ont une volonté d’être beaucoup plus actifs dans la préparation, l’organisation et l’animation du match et qui vont éventuellement défendre des positions un peu particulières concernant le monde du football et son organisation. Et vous aurez des groupes type « hooligan » pour qui l’intérêt du foot est l’affrontement avec d’autres hooligans. Dans ces supporters-là, vous aurez une gamme politique assez large par rapport au racisme. Globalement, les hooligans ne sont pas tous racistes. Chez les ultras vous allez avoir des gens qui vont aller de l’extrême-gauche à l’extrême-droite. Par contre, les sympathisants d’extrême-droite n’auront pas forcément de comportement d’agression vis-à-vis de joueurs africains ou arabes. Ils sont racistes sous conditions. Si un joueur d’origine étrangère joue bien, il n’y a pas de raison de l’insulter. Et ce racisme n’est pas la même chose que ceux qui considèrent que : « Les noirs et les arabes n’ont rien à faire ici ». Le racisme va croiser la typologie du "supporterisme".
« ...plutôt qu’une typologie, on va avoir une gamme d’usage des caractéristiques raciales parmi les supporters. »

Alors existe-t-il une typologie du supporter raciste ?

Ce qu’on peut dire, c’est que sous le terme de racisme on a toute une gamme de comportements ou d’expressions qui ne sont pas de la même nature. D’un coté, vous avez des racistes très idéologues, racistes au vrai sens du terme. A l’autre bout, vous allez trouver des personnes qui, du fait que nous sommes dans le domaine du sport collectif dans lequel il y a un principe d’opposition entre les deux camps, vont utiliser des caractéristiques raciales des individus, selon qu’ils appartiennent à telle ou telle équipe, dans le but de dénonciation des tares de l’adversaire. Dans le domaine du "supporterisme", domaine dans lequel fonctionne le « eux et nous », ceux qui sont avec nous sont bons, ceux qui sont en face sont mauvais. Et si en face les mauvais ont des caractéristiques raciales particulières, on va les faire ressortir. Par contre, ceux qui sont chez nous on n’y touche pas. Par contre, le vrai raciste ne rentrera pas dans cette question-là, il dira : « Chez nous, c’est pas normal que des noirs jouent... » Donc, plutôt qu’une typologie, on va avoir une gamme d’usage des caractéristiques raciales parmi les supporters.

S’agit-il avant tout des attaques contre l’adversaire, ou bien y a-t-il véritablement un extrêmisme raciste présent dans les stades ?

L’extrémisme existe depuis longtemps dans le football, et dans certains clubs plus que dans d’autres. Donc là vous avez une petite routine du racisme idéologique, donc d’un noyau militant qui va concerner beaucoup plus le football professionnel. Ils vont surfer sur le système d’opposition entre deux camps en les utilisant et les amplifiant.

L’idée d’une défense d’une appartenance locale ou régionale ?

Oui, et l’on va transformer, ce qui est la dégradation de l’adversaire, jeu traditionnel du "supporterisme", en une revendication, une appartenance identitaire.

Qu’est ce qui peut pousser Mr ou Mme « Toutlemonde », sans antécédent raciste, à franchir la ligne morale du racisme parce qu’il ou elle est dans un stade ?

C’est un peu compliqué de dire « Mr ou Mme Toutlemonde ». Ils ont la relation à la différence raciale qui constitue ce que l’on appelle le fonds ordinaire de préjugés fondés sur la race. Est-ce que ces personnes-là représentent l’ensemble du stade, comme en Italie, ou bien les personnes que l’on considère comme racistes en France sont-elles délimitées à certaines aires du stade. Par contre, il y a un autre aspect qu’il faut prendre en compte et qui concerne le football amateur. Là, on a d’autres types de phénomènes, notamment le risque d’une forme de communautarisation. Ce n’est pas le même type de racisme. Dans ces cas là, c’est un racisme différentialiste, pas un racisme hiérarchique. Ce n’est pas : « Nous les blancs on est supérieurs », mais « Nous on est tellement différents que l’on ne vous accepte pas, vous qui êtes différents ». Prenons l’exemple d’un club de banlieue se déplaçant en province. Cela renvoie aussi d’ailleurs, en plus du phénomène d’opposition stricte entre deux équipes, donc entre deux groupes de supporters, dans le cas le plus faible à un sentiment de méfiance envers des personnes qui apparaissent comme des envahisseurs potentiels ou marqués de caractéristiques négatives de par leurs origines en termes de délinquance etc. jusqu’à l’expression d’un racisme qui est « Nous on ne veut pas de ça ici. Protégeons nous contre l’arrivée des hordes de barbares ». Là aussi est le fond de toutes les questions d’aujourd’hui sur le racisme, me semble-t-il. Même s’il y a toujours des préjugés qui traînent, préjugés qui au bout du compte ne vont pas bien loin, la représentation intégratrice de la société française, où finalement tant bien que mal tout s’arrange à partir du moment où les gens sont passés par l’école, le travail..., laisse aujourd’hui la place à une situation dans laquelle on peut avoir une polarisation et une revendication de plus en plus identitaire.

La montée du communautarisme dans le football est donc un problème pour vous ?

Oui, il y a un risque qui se traduit au niveau du sport mais aussi dans d’autres domaines. C’est le risque du repli sur soi à travers la revendication d’identités culturelles très spécifiques et qui supposent de ne pas se mélanger, d’affirmer son originalité, voire sa supériorité sur les autres.
« La question n’est pas tant la création d’un club communautaire, mais son ouverture ou non ».

Et que dire des clubs communautaires tels que le Maccabi de Paris qui s’ouvrent à d’autres confessions ? Est-ce un avenir plus souriant ?

Je ne pense pas qu’un club qui se créé maintenant et qui est lié à une religion ou une nationalité, soit en soi un problème. Cela le devient quand les conditions d’entrée sont strictes et ne s’adressent qu’aux personnes répondant aux critères. Un club peut avoir une origine communautaire et devenir « ordinaire ». Et on a des exemples : le Maccabi, le Lusitanos, le club de Valence d’origine arménienne et qui ont perdu leur coté communautaire même si éventuellement, dans le conseil d’administration on peut trouver des personnes qui représentent le passé communautaire du dit club. La question n’est pas tant la création d’un club communautaire, mais son ouverture ou non.

On dit que le football est le reflet de la société et que ses maux sont ceux de la société. Peut-on s’attendre à ce que le malaise des banlieues touche le football avec un comportement raciste ?

Pas raciste, à moins que dans les quartiers il y ait une présence plus forte d’un groupe culturel. Mais en général, ces équipes sont plutôt mixtes. On n’est pas dans des relations racistes mais plutôt de type « tribales ». Les vieux règlements de comptes vont refaire surface avec le foot. Et on pourra très bien utiliser des caractéristiques raciales de l’équipe d’en face comme détonateur. Ce qui va dominer, c’est l’identité de quartier.

Et cette image de la France « Black, Blanc, Beur » qui a gagné la Coupe du Monde, symbole d’une intégration réussie, est-elle complètement révolue ?

Je pense déjà que c’était une grosse illusion. Je fais partie des gens qui n’ont pas défendu l’idée que l’équipe de France de 1998 marquait la réussite pleine et entière de l’intégration. Pourquoi ? En France, le football est un sport qui assure la promotion sociale d’individus qui ont moins de mobilité sociale par ailleurs. Vous avez une surreprésentation dans le monde du football de populations qui par ailleurs sont plutôt moins bien représentées dans le monde du travail ou dans le monde scolaire. Par contre, un élément très positif est qu’à un certain niveau, vous pouvez créer de la cohésion avec des gens différents. Mais vous ne pouvez pas utiliser le foot en disant : « Puisque le foot a réussi ça, c’est que la société entière a réussi ça ». Ce qui est faux. Il faut bien voir que dans le football, et dans le sport en général, ce sont les gens qui ont du mal à s’intégrer par les voies normales qui vont voir dans le sport un élément de promotion individuelle ou collective.
« En ce moment on se focalise sur le rapport aux africains, aux arabes, aux juifs etc, mais il faut penser aux matchs France-Allemagne en football ou France-Angleterre en rugby ! »

On parle souvent des phénomènes de groupe et de déresponsabilisation de par le nombre. Est-ce que les personnes qui vont tenir des propos racistes le font parce qu’elles sont en groupe dans un stade ou de toute façon, les tiennent-elles à l’intérieur comme a l’extérieur d’un stade ?

Si vous voulez faire partie d’un groupe, ou si vous faites partie d’un groupe, donc, sans être pour autant déresponsabilisé ou en perte d’identité, vous allez accepter les règles du groupe. Donc, si dans ce groupe, il y a des provocations de toutes sortes, vous allez les endosser. Mais pas nécessairement. Il existe des supporters rattachés à des groupes qui sont très réticents face à certains comportements du groupe. Ils y vont parce qu’ils aiment bien le coté appartenance au groupe, mais ils n’ont pas envie de faire tout ce que fait le groupe. Le répertoire qui peut exister dans n’importe quel pays concernant l’adversaire que l’on a en face de soi est très très vaste. En ce moment on se focalise sur le rapport aux africains, aux arabes, aux juifs etc., mais il faut penser aux matchs France-Allemagne en football ou France-Angleterre en rugby ! C’est la défense des intérêts personnels représentés par une équipe qui va primer ? Oui. Dans un monde fait de gens très différents, il y a tout un répertoire de mots permettant l’attribution de caractéristiques aux gens qui sont différents. Alors quand on parle de racisme on pense au rapport entre les occidentaux et les non occidentaux, mais il faut penser au rapport entre les occidentaux eux-mêmes : « Le perfide Anglais... ! ».

Y a-t-il une recrudescence des propos racistes dans le football, ou est-ce qu’on en parle plus ?

C’est très difficile à dire. On ne sait pas. Ce qu’on peut dire, c’est qu’aujourd’hui le contexte est favorable à l’augmentation de ce genre de propos. Parce que vous avez la question des banlieues, le repli communautaire, tous les éléments de ce genre... Est-ce qu’il y a plus de racistes dans les stades qu’il y a 20 ans ? Au Parc des Princes en 1985 c’était pas mal (sic). Et puis, de fait, il y a toujours un effet. Si quelqu’un s’intéresse à une question, on va porter le regard sur cette question et découvrir plein de choses. Puis si d’un seul coup on s’arrête, on va oublier. Donc c’est un peu compliqué, mais c’est intéressant d’avoir des observations régulières comme peuvent le faire des organismes comme la Licra* parce qu’ils peuvent assurer une observation continue et pas seulement à un moment donné.

Peut-on définir une spécificité française du supporter raciste ?

Je pense qu’il n’y a pas de particularité française. Chaque pays traite de manière différente la question de la différence. En France, on est sur le modèle de l’intégration, c’est une manière de traiter la différence qui n’est pas celle adoptée par le modèle anglo-saxon. C’est un modèle basé sur la différence culturelle entre les différentes communautés. Ce qui veut dire que le racisme qu’il y a en France sera différent du racisme qu’il y a en Allemagne ou en Angleterre. Si vous prenez le cas de l’Italie, c’est un pays où pendant longtemps le racisme était interne. C’était le nord contre le sud. Alors comme maintenant il y a une vague d’immigration africaine et nord-africaine, le racisme va trouver là de nouvelles cibles. C’était un pays d’émigration qui est devenu un pays d’immigration. Comme l’Espagne.

On a l’impression qu’en Angleterre le racisme a été radié des stades. Pourquoi n’arrive-t-on pas à faire la même chose en France ?

En Angleterre, vous prenez la Premier League et effectivement tout y est calme. Mais il faut prendre les autres divisions. Il faut prendre les supporters anglais en déplacement. Et puis il faut prendre la chronique ordinaire des villes anglaises pour voir les rapports entre les communautés. En Premier League, vous avez des dispositifs législatifs et économiques particuliers que la France n’a pas. Elle en a adopté partiellement du côté législatif mais pas du côté économique, parce que le football en France est moins populaire qu’en Angleterre. Vous ne pouvez pas augmenter le prix des billets en France sans perdre des spectateurs. En Angleterre, c’est possible. Quand on parle de l’Angleterre, je le répète, il faut prendre la Premier League, les autres championnats, les déplacements pour pouvoir avoir une image qui soit comparable. Parce que sinon, on aurait un pays hyper-moral, l’Angleterre, et un autre complètement immoral, qui serait la France. La comparaison ne serait pas juste.

La Premier League anglaise est donc l’arbre qui cache la forêt ?

Oui, tout-à-fait. La Premier League a été extrêmement pacifiée, civilisée, parce qu’ils ont de gros moyens économiques et une politique d’image. C’est moins le cas en-dessous.