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Origine : http://www.dossiersdunet.com/article783.html
Le racisme semble envahir les stades professionnels et amateurs.
Nouveau mal du football au XXIème siècle ou prise
de conscience d’un mal qui ronge le monde du football depuis
des années ? Pour connaître qui sont les supporters
et comment un supporter franchit la ligne morale qui le pousse vers
le racisme, nous avons interrogé Patrick Mignon, sociologue
à l’INSEP (Institut National du Sport et de l’Education
Physique, NDLR), afin de mieux comprendre ce fléau dans le
football.
Entretien avec Patrick Mignon, sociologue (17/06/2005)
De façon générale, y a t il une typologie
du supporter ?
Si on prend le cas du foot professionnel, vous avez l’habitué,
qui connaît le foot, qui s’assoit et qui regarde. Ensuite
vous avez des gens qui sont un peu plus engagés, qu’on
peut appeler supporters, qui sont des gens qui ont une certaine
fibre vis-à-vis de leur club ; parce que c’est le club
de leur ville, de leurs parents, etc.... Après, vous avez
les ultras, qui sont plus jeunes, plus organisés, qui ont
une volonté d’être beaucoup plus actifs dans
la préparation, l’organisation et l’animation
du match et qui vont éventuellement défendre des positions
un peu particulières concernant le monde du football et son
organisation. Et vous aurez des groupes type « hooligan »
pour qui l’intérêt du foot est l’affrontement
avec d’autres hooligans. Dans ces supporters-là, vous
aurez une gamme politique assez large par rapport au racisme. Globalement,
les hooligans ne sont pas tous racistes. Chez les ultras vous allez
avoir des gens qui vont aller de l’extrême-gauche à
l’extrême-droite. Par contre, les sympathisants d’extrême-droite
n’auront pas forcément de comportement d’agression
vis-à-vis de joueurs africains ou arabes. Ils sont racistes
sous conditions. Si un joueur d’origine étrangère
joue bien, il n’y a pas de raison de l’insulter. Et
ce racisme n’est pas la même chose que ceux qui considèrent
que : « Les noirs et les arabes n’ont rien à
faire ici ». Le racisme va croiser la typologie du "supporterisme".
« ...plutôt qu’une typologie, on va avoir une
gamme d’usage des caractéristiques raciales parmi les
supporters. »
Alors existe-t-il une typologie du supporter raciste ?
Ce qu’on peut dire, c’est que sous le terme de racisme
on a toute une gamme de comportements ou d’expressions qui
ne sont pas de la même nature. D’un coté, vous
avez des racistes très idéologues, racistes au vrai
sens du terme. A l’autre bout, vous allez trouver des personnes
qui, du fait que nous sommes dans le domaine du sport collectif
dans lequel il y a un principe d’opposition entre les deux
camps, vont utiliser des caractéristiques raciales des individus,
selon qu’ils appartiennent à telle ou telle équipe,
dans le but de dénonciation des tares de l’adversaire.
Dans le domaine du "supporterisme", domaine dans lequel
fonctionne le « eux et nous », ceux qui sont avec nous
sont bons, ceux qui sont en face sont mauvais. Et si en face les
mauvais ont des caractéristiques raciales particulières,
on va les faire ressortir. Par contre, ceux qui sont chez nous on
n’y touche pas. Par contre, le vrai raciste ne rentrera pas
dans cette question-là, il dira : « Chez nous, c’est
pas normal que des noirs jouent... » Donc, plutôt qu’une
typologie, on va avoir une gamme d’usage des caractéristiques
raciales parmi les supporters.
S’agit-il avant tout des attaques contre l’adversaire,
ou bien y a-t-il véritablement un extrêmisme raciste
présent dans les stades ?
L’extrémisme existe depuis longtemps dans le football,
et dans certains clubs plus que dans d’autres. Donc là
vous avez une petite routine du racisme idéologique, donc
d’un noyau militant qui va concerner beaucoup plus le football
professionnel. Ils vont surfer sur le système d’opposition
entre deux camps en les utilisant et les amplifiant.
L’idée d’une défense d’une appartenance
locale ou régionale ?
Oui, et l’on va transformer, ce qui est la dégradation
de l’adversaire, jeu traditionnel du "supporterisme",
en une revendication, une appartenance identitaire.
Qu’est ce qui peut pousser Mr ou Mme « Toutlemonde
», sans antécédent raciste, à franchir
la ligne morale du racisme parce qu’il ou elle est dans un
stade ?
C’est un peu compliqué de dire « Mr ou Mme Toutlemonde
». Ils ont la relation à la différence raciale
qui constitue ce que l’on appelle le fonds ordinaire de préjugés
fondés sur la race. Est-ce que ces personnes-là représentent
l’ensemble du stade, comme en Italie, ou bien les personnes
que l’on considère comme racistes en France sont-elles
délimitées à certaines aires du stade. Par
contre, il y a un autre aspect qu’il faut prendre en compte
et qui concerne le football amateur. Là, on a d’autres
types de phénomènes, notamment le risque d’une
forme de communautarisation. Ce n’est pas le même type
de racisme. Dans ces cas là, c’est un racisme
différentialiste, pas un racisme hiérarchique. Ce
n’est pas : « Nous les blancs on est supérieurs
», mais « Nous on est tellement différents que
l’on ne vous accepte pas, vous qui êtes différents
». Prenons l’exemple d’un club de banlieue
se déplaçant en province. Cela renvoie aussi d’ailleurs,
en plus du phénomène d’opposition stricte entre
deux équipes, donc entre deux groupes de supporters, dans
le cas le plus faible à un sentiment de méfiance envers
des personnes qui apparaissent comme des envahisseurs potentiels
ou marqués de caractéristiques négatives de
par leurs origines en termes de délinquance etc. jusqu’à
l’expression d’un racisme qui est « Nous on ne
veut pas de ça ici. Protégeons nous contre l’arrivée
des hordes de barbares ». Là aussi est le fond de toutes
les questions d’aujourd’hui sur le racisme, me semble-t-il.
Même s’il y a toujours des préjugés qui
traînent, préjugés qui au bout du compte ne
vont pas bien loin, la représentation intégratrice
de la société française, où finalement
tant bien que mal tout s’arrange à partir du moment
où les gens sont passés par l’école,
le travail..., laisse aujourd’hui la place à une situation
dans laquelle on peut avoir une polarisation et une revendication
de plus en plus identitaire.
La montée du communautarisme dans le football est donc un
problème pour vous ?
Oui, il y a un risque qui se traduit au niveau du sport mais aussi
dans d’autres domaines. C’est le risque du repli sur
soi à travers la revendication d’identités culturelles
très spécifiques et qui supposent de ne pas se mélanger,
d’affirmer son originalité, voire sa supériorité
sur les autres.
« La question n’est pas tant la création d’un
club communautaire, mais son ouverture ou non ».
Et que dire des clubs communautaires tels que le Maccabi de Paris
qui s’ouvrent à d’autres confessions ? Est-ce
un avenir plus souriant ?
Je ne pense pas qu’un club qui se créé maintenant
et qui est lié à une religion ou une nationalité,
soit en soi un problème. Cela le devient quand les conditions
d’entrée sont strictes et ne s’adressent qu’aux
personnes répondant aux critères. Un club peut avoir
une origine communautaire et devenir « ordinaire ».
Et on a des exemples : le Maccabi, le Lusitanos, le club de Valence
d’origine arménienne et qui ont perdu leur coté
communautaire même si éventuellement, dans le conseil
d’administration on peut trouver des personnes qui représentent
le passé communautaire du dit club. La question n’est
pas tant la création d’un club communautaire, mais
son ouverture ou non.
On dit que le football est le reflet de la société
et que ses maux sont ceux de la société. Peut-on s’attendre
à ce que le malaise des banlieues touche le football avec
un comportement raciste ?
Pas raciste, à moins que dans les quartiers il y ait une
présence plus forte d’un groupe culturel. Mais en général,
ces équipes sont plutôt mixtes. On n’est pas
dans des relations racistes mais plutôt de type « tribales
». Les vieux règlements de comptes vont refaire surface
avec le foot. Et on pourra très bien utiliser des caractéristiques
raciales de l’équipe d’en face comme détonateur.
Ce qui va dominer, c’est l’identité de quartier.
Et cette image de la France « Black, Blanc, Beur »
qui a gagné la Coupe du Monde, symbole d’une intégration
réussie, est-elle complètement révolue ?
Je pense déjà que c’était une grosse
illusion. Je fais partie des gens qui n’ont pas défendu
l’idée que l’équipe de France de 1998
marquait la réussite pleine et entière de l’intégration.
Pourquoi ? En France, le football est un sport qui assure la promotion
sociale d’individus qui ont moins de mobilité sociale
par ailleurs. Vous avez une surreprésentation dans le monde
du football de populations qui par ailleurs sont plutôt moins
bien représentées dans le monde du travail ou dans
le monde scolaire. Par contre, un élément très
positif est qu’à un certain niveau, vous pouvez créer
de la cohésion avec des gens différents. Mais vous
ne pouvez pas utiliser le foot en disant : « Puisque le foot
a réussi ça, c’est que la société
entière a réussi ça ». Ce qui est faux.
Il faut bien voir que dans le football, et dans le sport en général,
ce sont les gens qui ont du mal à s’intégrer
par les voies normales qui vont voir dans le sport un élément
de promotion individuelle ou collective.
« En ce moment on se focalise sur le rapport aux africains,
aux arabes, aux juifs etc, mais il faut penser aux matchs France-Allemagne
en football ou France-Angleterre en rugby ! »
On parle souvent des phénomènes de groupe et de déresponsabilisation
de par le nombre. Est-ce que les personnes qui vont tenir des propos
racistes le font parce qu’elles sont en groupe dans un stade
ou de toute façon, les tiennent-elles à l’intérieur
comme a l’extérieur d’un stade ?
Si vous voulez faire partie d’un groupe, ou si vous faites
partie d’un groupe, donc, sans être pour autant déresponsabilisé
ou en perte d’identité, vous allez accepter les règles
du groupe. Donc, si dans ce groupe, il y a des provocations de toutes
sortes, vous allez les endosser. Mais pas nécessairement.
Il existe des supporters rattachés à des groupes qui
sont très réticents face à certains comportements
du groupe. Ils y vont parce qu’ils aiment bien le coté
appartenance au groupe, mais ils n’ont pas envie de faire
tout ce que fait le groupe. Le répertoire qui peut exister
dans n’importe quel pays concernant l’adversaire que
l’on a en face de soi est très très vaste. En
ce moment on se focalise sur le rapport aux africains, aux arabes,
aux juifs etc., mais il faut penser aux matchs France-Allemagne
en football ou France-Angleterre en rugby ! C’est la défense
des intérêts personnels représentés par
une équipe qui va primer ? Oui. Dans un monde fait de gens
très différents, il y a tout un répertoire
de mots permettant l’attribution de caractéristiques
aux gens qui sont différents. Alors quand on parle de racisme
on pense au rapport entre les occidentaux et les non occidentaux,
mais il faut penser au rapport entre les occidentaux eux-mêmes
: « Le perfide Anglais... ! ».
Y a-t-il une recrudescence des propos racistes dans le football,
ou est-ce qu’on en parle plus ?
C’est très difficile à dire. On ne sait pas.
Ce qu’on peut dire, c’est qu’aujourd’hui
le contexte est favorable à l’augmentation de ce genre
de propos. Parce que vous avez la question des banlieues, le repli
communautaire, tous les éléments de ce genre... Est-ce
qu’il y a plus de racistes dans les stades qu’il y a
20 ans ? Au Parc des Princes en 1985 c’était pas mal
(sic). Et puis, de fait, il y a toujours un effet. Si quelqu’un
s’intéresse à une question, on va porter le
regard sur cette question et découvrir plein de choses. Puis
si d’un seul coup on s’arrête, on va oublier.
Donc c’est un peu compliqué, mais c’est intéressant
d’avoir des observations régulières comme peuvent
le faire des organismes comme la Licra* parce qu’ils peuvent
assurer une observation continue et pas seulement à un moment
donné.
Peut-on définir une spécificité française
du supporter raciste ?
Je pense qu’il n’y a pas de particularité française.
Chaque pays traite de manière différente la question
de la différence. En France, on est sur le modèle
de l’intégration, c’est une manière de
traiter la différence qui n’est pas celle adoptée
par le modèle anglo-saxon. C’est un modèle basé
sur la différence culturelle entre les différentes
communautés. Ce qui veut dire que le racisme qu’il
y a en France sera différent du racisme qu’il y a en
Allemagne ou en Angleterre. Si vous prenez le cas de l’Italie,
c’est un pays où pendant longtemps le racisme était
interne. C’était le nord contre le sud. Alors comme
maintenant il y a une vague d’immigration africaine et nord-africaine,
le racisme va trouver là de nouvelles cibles. C’était
un pays d’émigration qui est devenu un pays d’immigration.
Comme l’Espagne.
On a l’impression qu’en Angleterre le racisme a été
radié des stades. Pourquoi n’arrive-t-on pas à
faire la même chose en France ?
En Angleterre, vous prenez la Premier League et effectivement tout
y est calme. Mais il faut prendre les autres divisions. Il faut
prendre les supporters anglais en déplacement. Et puis il
faut prendre la chronique ordinaire des villes anglaises pour voir
les rapports entre les communautés. En Premier League, vous
avez des dispositifs législatifs et économiques particuliers
que la France n’a pas. Elle en a adopté partiellement
du côté législatif mais pas du côté
économique, parce que le football en France est moins populaire
qu’en Angleterre. Vous ne pouvez pas augmenter le prix des
billets en France sans perdre des spectateurs. En Angleterre, c’est
possible. Quand on parle de l’Angleterre, je le répète,
il faut prendre la Premier League, les autres championnats, les
déplacements pour pouvoir avoir une image qui soit comparable.
Parce que sinon, on aurait un pays hyper-moral, l’Angleterre,
et un autre complètement immoral, qui serait la France. La
comparaison ne serait pas juste.
La Premier League anglaise est donc l’arbre qui cache la
forêt ?
Oui, tout-à-fait. La Premier League a été extrêmement
pacifiée, civilisée, parce qu’ils ont de gros
moyens économiques et une politique d’image. C’est
moins le cas en-dessous.
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