"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
L’Éducation libertaire
René LOURAU

Origine : échanges de mail avec Bernard Elman

“ Nous pouvons penser les effets du terrorisme d’État à partir de ce qui ne peut ni se penser, ni se dire. ”
Elena DE LA ALDEA, Conséquences et séquelles du terrorisme d’État, Buenos Aires, 1996.

Le terrorisme d’État n’a pas la force de nous contraindre à parler des théories et des pratiques anarchistes sur le terrain de l’éducation comme d’une matière exotique - les danses sacrées en Inde ou les rites alimentaires des Dogons - ou comme d’un fantasme étranger à la connaissance scientifique. Grâce à un minimum de rappel historique indispensable à une périodisation correcte, il sera aussi question ici de l’actualité et des actualisations de l’idéologie libertaire (qualificatif moins étroit qu’anarchiste) dans le projet de formation “ intégrale ” de l’être humain.

Panorama des expériences

Dernier quart du XIXe siècle : à l’orphelinat de Cempuis, dans l’Oise, au nord de Paris, les autorités permettent à un inspecteur primaire très lié au mouvement anarchiste, Paul Robin, d’expérimenter de nouvelles formes d’éducation et de pédagogie. Formes libertaires, ne serait-ce que parce qu’il institue la mixité ! Éducation intégrale (physique, intellectuelle, esthétique...), travail alternant avec les fêtes... Mollement soutenu par la presse de gauche, violemment attaqué par les journaux de droite et d’extrême droite (“ la porcherie de Cempuis ”, clame le polémiste Édouard Drumond dans sa Libre parole), Robin est finalement désavoué par les autorités.

L’expérience, commencée vers 1880, se termine en 1894, année où démarre une autre affaire, l’Affaire autour du capitaine Dreyfus. Même si elle n’est pas aussi médiatisée que celle d’une quinzaine d’années postérieure, celle de Francisco Ferrer en Espagne, elle fournit en quelque sorte le modèle d’innombrables affaires liées à la déviance ou à l’innovation pédagogiques. Elle inspirera la plupart des futures tentatives libertaires, en France et à l’étranger. Dès 1897, un groupe d’anarchistes, autour de Jean Grave, crée le groupe “ École libertaire ” et fonde une Ligue d’enseignement libertaire, qui, faute de moyens, fera long feu : l’école prévue laissera place à des cours du soir pour adultes et à des promenades instructives le samedi et le dimanche 1.

Dans la même période, de l’autre côté de l’Atlantique, le mouvement de la pédagogie nouvelle, non indexé directement à la pensée libertaire, connaît une réalisation bientôt fameuse à Chicago, avec l’École-laboratoire du couple Dewey. Est-ce parce que John Dewey est déjà connu comme chercheur en psychologie que son expérience est mieux acceptée ?

Le parallélisme entre des tentatives libertaires, surtout privées, d’une part, et d’autre part des recherches, elles aussi souvent privées, se réclamant du mouvement plus général et moins politisé de l’éducation nouvelle, est une constante depuis les origines du mouvement d’abord politique connu sous le nom d’anarchisme, et dont les pères fondateurs sont principalement Joseph Proudhon, puis les Russes Michel Bakounine et Pierre Kropotkine. Déjà, autour des années 1860, à Iasnaïa Poliana (Russie), l’école que Léon Tolstoï fonde sur ses terres seigneuriales est un bel exemple de la réalisation des idées les plus libertaires - à la fois anti-autoritaires et antidogmatiques en matière de savoir scientifique (opposées, elles, au positivisme).

De 1900 à 1914, dans un domaine rural de Rambouillet (région parisienne), un militant anarchiste, Sébastien Faure, anime l’école de la Ruche. Il s’agit ici aussi d’orphelins ou d’enfants abandonnés. Bien que sous le contrôle tatillon de l’académie de Versailles, ce qui donne lieu à un succulent échange de correspondance administrative, Faure maintient le caractère privé, indépendant, de son expérience d’éducation intégrale (travaux des champs, travaux artisanaux, formation intellectuelle). L’accent mis sur la pratique la plus matérielle et la plus utile, sur l’enfant ou l’adolescent comme producteurs et non comme éventuels futurs producteurs, est peut-être trop oublié dans les formes actuelles d’innovation en éducation. Le théoricien-praticien anarchiste, que l’on verra bien plus tard, en 1936, pendant la guerre d’Espagne, en visite au poste de commandement de Durruti, voyage inlassablement pour, avec le produit de ses conférences et de ses brochures, alimenter la caisse que l’autoproduction agricole et artisanale ne suffit pas à remplir. La déclaration de guerre, en 1914, en tarissant cette source de revenus, l’oblige à fermer la Ruche.

À la même époque, en 1907, Maria Montessori ouvre à Rome la Maison des Petits. Ses idées en matière d’éducation de la prime enfance vont connaître un grand succès. Son inspiration est ostensiblement religieuse, d’un catholicisme qui ne cache pas ses tendances mystiques. Outre bien des imitations de par le monde, l’expérience de la Maison des Petits connaîtra une véritable institutionnalisation à mesure que se développeront en Europe et en Amérique les crèches et autres jardins d’enfants. La même année, cette fois à Bruxelles, Ovide Decroly ouvre l’école de l’Ermitage : ici encore, l’expérience princeps inspirera beaucoup les courants de l’éducation nouvelle.

Du côté libertaire, dans cette même période du début du XXe siècle, le mouvement s’amplifie. Francisco Ferrer, militant politique catalan espagnol, qui a connu en exil le mouvement anarchiste français et les échos de l’expérience de Robin, ouvre en 1901 à Barcelone l’école moderne. Les idées de Robin, on le voit, ont franchi le cercle étroit des groupuscules “ anars ” français ; elles ont inspiré non seulement l’expérience de Faure à Rambouillet, mais celles du suisse Adolphe Ferrière, promoteur de “ l’école active ”, formule promise à un bel avenir. Ferrer, appuyé également sur les réseaux de la Libre Pensée (souvent les anarchistes révèlent, particulièrement à cette époque, une appartenance à la franc maçonnerie) et doué d’un beau sens de l’organisation, ne se contente pas d’une tentative locale. Dès 1908, il existe une dizaine d’Écoles modernes à Barcelone et environ cent cinquante dans l’ensemble de la Catalogne. Sans oublier des implantations à Madrid, en Andalousie, au Portugal, au Brésil, en Suisse, aux Pays-Bas... Sans glisser vers l’institutionnalisation totale (pas d’organisme de coordination, sinon une revue très vite internationale), le mouvement change de forme en se constituant comme réseau. Cette structure réticulaire, éminemment proudhonienne et bakouninienne, possède moins de visibilité qu’une organisation centralisée. Son efficacité n’en est que mieux assurée, ne serait-ce qu’en permettant de combattre les effets - Ô combien vicieux !- du cercle et du centre. L’un de ces effets est la politique volontariste de généralisation recherchée, acceptée ou imposée ; cette astuce “ vertueuse ” aboutit régulièrement à la négation du projet initial. L’effort pour mettre en échec la tentative de l’École moderne prendra une autre voie, plus directe et violente. Dans l’Espagne monarchique et très catholique, Ferrer, dont le passé politique ne fait que rendre encore plus suspect aux yeux de l’opinion réactionnaire le travail éducatif, est l’objet d’emprisonnement et de poursuites. La dernière, en 1909, le conduit à la condamnation à mort. Un peu plus de vingt ans avant Janus Korczak, il s’inscrit ainsi dans le martyrologe, ouvert en Occident par Socrate, des pédagogues révolutionnaires.

Après la Première Guerre mondiale, dans le climat prérévolutionnaire de l’Allemagne postimpériale, on assiste dans le land de Hambourg à une assez vaste expérience de pédagogie libertaire ayant pour siège plusieurs écoles primaires publiques. Les enseignants, avec l’appui, au début, des parents d’élèves, mettent en place un dispositif de critique radicale de l’institué : suppression des programmes, des horaires, de la division en matières d’enseignement, de la répartition en classes de niveau. L’École dite de Hambourg, étiquetée comme prônant la pédagogie du “ maître-camarade ”, invente la pédagogie des petits groupes et celle des centres d’intérêt (la transmission du savoir s’effectue à partir d’un événement, d’un objet ou d’un problème dont on dégage les potentialités pluridisciplinaires). L’autogestion de l’emploi du temps et des exercices est imposée moins par une idéologie des maîtres que par le processus collectif de mise en question de l’institué. L’expérience, assez longue (1919-1930) connaîtra une institutionnalisation parallèle à l’involution des idées démocratiques de la république de Weimar. Le caractère radicalement libertaire du projet et des réalisations au cours des premières années ne fait pas de doute, même si les enseignants hambourgeois (parfois qualifiés d’adolescents attardés et immatures) ne mettaient pas en avant une allégeance à une organisation anarchiste officielle. On ne peut qu’être d’accord avec l’appréciation suivante, référée à l’expérience de Hambourg, mais que l’on peut appliquer à bien d’autres expériences : “ c’est moins une affiliation formelle, que l’esprit profond, authentiquement libertaire de l’expérience, qui compte 2 ”.

Entre les deux guerres mondiales se développent d’autres expériences peu ou prou marquées d’inspiration libertaire et par des idées de “ l'éducation nouvelle ”: Janus Korczak, en Pologne, crée et anime deux orphelinats, l’un pour les enfants juifs, l’autre pour les enfants catholiques. Médecin et éducateur - et non pédagogue, car les pupilles vont à l’école à l’extérieur des orphelinats - Korczak invente avec son équipe et avec les enfants une sorte d’autogestion dont le nom du dispositif - le “ tribunal des enfants ”-peut induire en erreur. En réalité, cela a moins à voir avec les modes de rééducation participative des jeunes vagabonds par le Soviétique Makarenko, fonctionnaire de la police politique, qu’avec les méthodes beaucoup plus empathiques de Fernand Deligny et ses “ vagabonds efficaces ”, dans le Nord de la France, autour des années quarante. La longue expérience de Korczak sera interrompue, pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le ghetto de Varsovie (pour ce qui est de l’orphelinat juif), avec la déportation par les autorités allemandes au camp de Treblinka des deux cents pupilles et de l’équipe - y compris Korczak : il n’y aura pas de survivant. Cependant, la méthode Korczak est appliquée aujourd’hui en Pologne, en Israël, dans les écoles juives en Argentine, etc. et commence à être prise en compte au-delà du travail de la mémoire juive. C’est en particulier le cas de la doctrine des droits de l’enfant, officialisée par l’ONU, l’UNICEF et dont le théoricien le plus affirmé est Janus Korczak 3.

C’est aussi la période où Célestin Freinet, exclu de l’enseignement public, crée en Provence une École moderne (cf. Ferrer) et met en place, sur le modèle du pédagogue catalan, un réseau qui, lui, va tendre à l’organisation très (trop) centralisée, bien que géographiquement périphérique. Coopérative scolaire (expérimentée par Sébastien Faure), imprimerie à l’école, correspondance et échanges entre écoles, etc. Les idées de Freinet, comme celles de Ferrer ou de Korczak, vont connaître une grande diffusion à travers de multiples publications, y compris à l’étranger. Bien que proche du parti communiste, du moins à ses débuts, la pédagogie Freinet révèle ses implications libertaires, au point de subir, dans les années cinquante, une condamnation en règle dans La Nouvelle Critique, revue théorique du PCF. Par ailleurs des crises internes, dans les années soixante, secouent l’École moderne de Freinet, en rapport avec les contradictions ville/campagne : l’essence rurale du projet originel s’accommode mal des conditions d’enseignement dans la grande ville et dans ses banlieues. La dissidence de la région parisienne (Raymond Fonvieille, Fernand Oury, etc.) précédera et accompagnera la naissance d’autres courants, plus actuels, de rénovation pédagogique : les influences libertaires, à travers l’autogestion, convergent avec l’héritage de Freinet ou avec celui de l’éducation nouvelle dont les cautions les plus prestigieuses sont les psychologues rivaux Henri Wallon et Jean Piaget.

1968, dans le domaine éducatif plus que dans d’autres domaines, révèle l’existence, chez les enfants, les adolescents et les jeunes adultes, d’une profonde aspiration vers un bouleversement de l’éducation. Le climat libertaire des revendications, des expériences d’écoles parallèles et d’éducation différente dans les communautés de vie ou de travail et de vie, a frappé tous les acteurs et témoins. Le mouvement, en France comme en Allemagne ou aux USA, etc., est d’une grande ampleur. En général “ inorganisé ”, il ne vise que rarement ou provisoirement à la forme “ réseau ”. Il accompagne le mouvement de libéralisation des mœurs, le combat des minorités sexuelles, des écologistes ; la mise en question de l’institution familiale est presque aussi forte que la mise en question de l’institution scolaire, de l’institution asilaire et de l’entreprise industrielle, commerciale ou de service comme institution du travail salarié. Révolution “ culturelle ” qui n’épargne pas certaines formes figées du modernisme en art (la mode de Brecht et le prestige du Théâtre national populaire de Jean Vilar subissent un net recul).

Les transformations idéologiques et parfois pratiques en matière d’éducation s’appuient alors sur quelques grandes références : l'expérience et les ouvrages du psychanalyste libertaire Neill en Grande Bretagne, les livres au vitriol du Yougoslave Ivan Illich. L’école de Summerhill avec Neill et le centre de recherches de Cuernavaca (Mexique) avec lllich deviennent des lieux de pèlerinage. Les ouvrages des deux “ gurus ” se vendent comme des petits pains. La traduction française de Libres enfants de Summerhill compense pendant quelques années les pertes financières dues au pillage systématique dont est l’objet la fameuse librairie de l’éditeur François Maspero ! Les ouvrages de l’Américain Paul Goodman, du Brésilien Paulo Freire, contribuent à la grande offensive contre l’institution. L’on a affaire à un puissant courant de critique et d’innovation éducatives, auquel n’échappent que très peu de pays du monde occidental. Ce courant est parfois mêlé à celui du mouvement Freinet (alors en perte de vitesse) et à ceux de la pédagogie institutionnelle, de la pédagogie non-directive (inspirée de Carl Rogers), de la pédagogie-thérapie néo-reichienne et de bien d’autres projets d’éducation corporelle, d’expression totale, etc. Des doctrines syncrétiques, orientalistes, mystiques, font fureur. Une idéologie “ californienne ” prépare l’avènement de ce qui sera le New Age. Si le climat général est souvent - pas toujours - coloré d’idées libertaires, ces dernières sont surtout visibles dans les tendances et expériences qui se réfèrent de près ou de loin à l’autogestion.

On ne trouve pas - et pour cause - ce concept dans les théories des grands fondateurs de l’anarchisme. Le mot est récent. Self-government au sens proudhonien du terme, ou démocratie directe, l’ont longtemps remplacé. Il est significatif que l’idée autogestionnaire se soit exprimée, depuis les origines lointaines de la pensée libertaire (Étienne de La Boétie, Rousseau, Sade, etc.), négativement, par la critique radicale de la délégation de pouvoir, critique étroitement liée à celle de la société homogène ou homogénéisante, centraliste, monocratique, tout entière tenue par la religion unitaire : sous cet angle, le sous-titre du texte de La Boétie, De la servitude volontaire, est tout un programme : ou le Contr’Un. Ce qu’il y a de positif, de gestionnaire, dans autogestion, n’a pas fini de biaiser la compréhension de la genèse sociale et théorique de ce concept.

Avant même que 1968 ne réactive l’intérêt pour l’autogestion comme mode alternatif de régulation des rapports sociaux, dans l’entreprise et dans d’autres lieux de la pratique sociale, le courant lapassadien de pédagogie institutionnelle avait expérimenté et théorisé la pédagogie autogestionnaire 4. Il n’était pas indispensable d’être affilié à la Fédération anarchiste ou au PSU de Michel Rocard pour se référer au projet révolutionnaire qui, pour les membres de ce courant (dont j’étais), regardait davantage du côté de Kronstadt, de l’Ukraine mahknovienne, des collectivisations espagnoles de 1936-1938, de l’occupation des biens vacants par les fellahs algériens en 1962, plutôt que du côté de l’autogestion bureaucratique de la Yougoslavie titiste. Dans nos classes en autogestion, le micro-socialisme était plus que microscopique et le graphe de notre réseau aurait tenu au revers d’un timbre poste ! Il faut attendre 1981 et l’arrivée des socialistes au pouvoir (bien qu’ils aient immédiatement gommé du Programme commun l’idée d’autogestion) pour voir apparaître des expériences au niveau d’établissements, par exemple au Lycée expérimental de Saint-Nazaire ou au lycée autogéré de Paris (LAP). Bien que la culture libertaire soit peut-être plus évidente chez Gabriel Cohn-Bendit (Saint-Nazaire) que chez les promoteurs et animateurs du LAP (Jean Lévi, puis Bernard Elman), on peut une fois de plus valider l’axiome cité plus haut, à savoir que l’affiliation à une organisation anarchiste compte moins que ce qui se fait réellement en matière d’éducation 5.

Alors que le cynisme néo-libéral, bizarrement qualifié de pragmatisme, reprend les habits usagés du terrorisme d’État et qu’il arrive à l’autogestion de figurer dans le grenier des utopies des années soixante et soixante-dix 6, des signes donnent à penser que l’impasse des fausses solutions miracles à la crise de l’adolescence et des banlieues difficiles est une impasse en trompe-l’œil. Le terrorisme d’État, gonflé du terrorisme du dogme économique néo-libéral, veut nous empêcher de penser autrement que dans la défaite, la déroute du désir révolutionnaire. L’individualisme serait une fatalité, comme la sécheresse, et comme elle son seul recours serait dans la quête éperdue de subventions... étatiques. L’idée autogestionnaire, dans sa diversité, dans son hétérogénéité que Joseph Proudhon aurait appréciée en connaisseur, n’a pas cessé de vivifier l’éducation libertaire 7 bien au-delà des petits groupes d’appartenance ou de référence à une organisation anarchiste. Dans la situation politique actuelle, qui n’a rien de désespéré, les contradictions sont activées par le projet toujours jeune de faire table rase des vieilleries modernes ou postmodernes en éducation. Ces contradictions, mieux lisibles dans le cadre de référence du mouvement libertaire, sont celles de notre société en devenir.

Penser le projet libertaire

Une ébauche de périodisation de ce devenir est peut-être sensible à travers le panorama rapide et très lacunaire qui vient d’être dessiné. Les implications du mouvement pour une éducation libertaire dans le devenir sociopolitique commencent sans doute à apparaître. Dans ce devenir qui nous analyse, les idées, les concepts sont pris dans la fuite des repères, dans l’entropie sémantique, dans l’indexicalité de tout outil langagier (la mode de certains mots, par exemple “ gérer ” ou “ déficit ”, manifeste le poids tragique de l’économisme et de son badigeon le psychologisme). D’où l’extrême difficulté d’utiliser comme instruments d’analyse des mots, des termes qui ne sont en effet que les bornes, les poteaux indicateurs, les termes arbitraires et abstraits d’un mouvement, d’une temporalité. Comment éviter de substantialiser des mots comme anarchie, socialisme, révolution politique, révolution pédagogique, autogestion ? Le terrorisme d’État ne nous empêche pas seulement de penser ou de dire. Il peut nous empêcher, nous les intellectuels, de lire. De lire ce qui pourtant est écrit noir sur blanc dans la tradition libertaire en éducation. C’est le traitement étatiste de texte (TET). Le site de notre TET n’est pas dans notre ordinateur mais dans notre tête. C’est lui qui par exemple a si longtemps effacé de notre mémoire La Boétie (Montaigne ou Rabelais étant très rapidement et très confusément archivés) ou continue d’évacuer du disque dur de l’histoire de France l’extraordinaire critique radicale, sauvage et jubilatoire, que l’un des “ irréguliers ” ou “ libertins érudits ” du XVIIe siècle, Savinien Cyrano, dit de Bergerac, exerce sur les allant-de-soi en matière de rapports adulte-enfant 8.

La périodisation apparue à travers quelques rappels historiques semble indiquer une anticipation du mouvement libertaire, au plan des idées et aussi des réalisations, par rapport au mouvement moins marginal de l’éducation nouvelle. À cela au moins deux éléments d’explication : d’une part la gauche dynamique des enseignants ne pouvait pas surgir avant que ne s’institutionnalise, en France et dans quelques autres pays, un système général d’instruction publique ; d’autre part, la fin du XIXe et le début du XXe siècle coïncident avec l’autonomisation de la psychologie de l’enfant comme discipline scientifique originellement impliquée dans l’institution scolaire en plein développement. Les deux institutionnalisations, celle de l’école obligatoire et celle de la psychologie de l’enfant, sont tellement concomitantes qu’on a pu dire, non sans humour objectif, que la psychologie scientifique de l’enfant était en réalité celle de l’enfant scolarisé ou scolarisable. Cette remarque est capitale pour la compréhension des chemins divergents empruntés par les expériences libertaires, lesquelles étaient ou sont fortement indexées au projet de supprimer l’école telle que nous la connaissons.

La sociologie de la connaissance et l’analyse institutionnelle du devenir scientifique (ici, de l’épistémologie) permettent en effet de voir à quel point la légitimation d’une science est en relation non pas causale mais transductive, par propagation de signaux de proche en proche 9, avec la légitimation d’une nouvelle forme sociale - en l’occurrence, ici, l’école obligatoire. À une échelle plus vaste, il y a liaison transductive, de proche en proche ou à distance, entre les limites de notre pensée et l’effet sur nous du terrorisme d’État - ce que j’ai nommé ailleurs l’État-inconscient. À une échelle plus réduite, songeons aux effets générés, sur la carrière scolaire, professionnelle et existentielle des enfants puis des adultes, par les grandes trouvailles de la psychologie de l’enfant à ses débuts - différence entre âge réel et âge mental avec Binet, quotient intellectuel que W. Stern déduit du concept de Binet, le Q. I. étant le produit de la différence entre âge mental et âge réel. Pensons aussi au conditionnement scolaire qu’entraînent les théories différentes mais finalement convergentes quant aux conséquences institutionnelles (les niveaux, les conditions de passage d’un niveau à l’autre ou réquisits, les redoublements, rattrapages, l’idée de la “ barrière ” des examens et concours, dont Goblot avait si bien montré l’implication dans l’idée de “ niveau ”, etc.), des étapes ou phases du développement de l’enfant, respectivement chez Wallon et chez Piaget. Tout l’imaginaire enseignant, parental - sans parler de l’imaginaire de l’enfant réduit au statut d’élève - est stigmatisé par les idées dominantes en matière de développement intellectuel. Un troisième-mais non ultime-exemple est celui de la disjonction (nettement mise en question par Wallon) entre développement intellectuel et développement affectif. La psychologie dite cognitive approfondit encore les dégâts provoqués par la psychologie des Binet, Stern, Piaget, etc., en châtrant l’enfant de son affectivité, de ses émotions, de ses sentiments, dont on sait par ailleurs le rôle - de même que celui des conditions matérielles, sociales - dans les apprentissages. La science, elle, ne veut pas savoir. Certes, elle sait, mais s’attribue le droit de délimiter son champ - par exemple le cognitif - en mettant provisoirement entre parenthèses le réel dans son intégralité indissociable.

L’éducation “ intégrale ” des libertaires ne s’appuie pas sur des références aussi scientifiques, bien qu’une partie du courant, fidèle en cela à Proudhon, soit marquée par le positivisme scientifique et la religion scientiste (les ultra-rationalistes Robin et Ferrer en sont de bons exemples). Cependant, lorsque Sébastien Faure tente de mettre sur pied à Rambouillet la “ coopérative intégrale ”, il n’est pas interdit de voir dans son projet une visée de “ recherche-action ”, à savoir la volonté d’utiliser et de dépasser une forme sociale (et socialiste) déjà là, la coopérative, pour en faire un instrument cognitif de socialisation. De son côté, Freinet mise beaucoup sur la coopérative comme dispositif pédagogique. Le dépassement du conseil de coopérative des techniques Freinet (aux attributions limitées) par l’extension des prérogatives de ce conseil à l’ensemble de la gestion des apprentissages, comme on le voit avec des dissidents comme Raymond Fonvieille dans une classe de Gennevilliers, dans la proche banlieue parisienne 10 et avec la pédagogie institutionnelle à tendance psychosociologique, lapassadienne, s’oriente logiquement vers l’autogestion. Comment ! Des enfants (pardon : des élèves) qui autogèrent la classe ! Le concept à première vue quelque peu métaphysique d’intégralité prend alors un sens très concret, révélant des fondements anthropologiques implicites ou explicites : la psychologie de l’enfant du mouvement libertaire n’est pas celle de Binet ou de Piaget. Elle est plus proche de celle de Charles Fourier.

Tous ceux qui n’ont pas lu Fourier le rejettent dans l’aimable fantaisie, le délire d’un fou non dangereux. À la rigueur, les esthètes peuvent, à la suite d’André Breton, lui faire une place dans le rayon des utopies géniales et poétiques. Ceux, rares, qui le lisent, restent pantois devant sa puissance d’analyse de l’institué - la critique la plus radicale du capitalisme reconnue par Marx et le fameux “ Écart absolu ” pointé par le surréalisme finissant - et devant son imagination hors du commun, que même Proudhon appréciait. La seule faute impardonnable, c’est qu’il ne respecte rien, et surtout pas la nouvelle religion scientifique. Son anthropologie, pour aussi fantaisiste qu’elle soit (celle de Salvador Dali l’est tout autant et n’est pas moins percutante), est très en avance sur son temps. Plus spécialement, pour ce qui nous intéresse, en ce qui concerne la séparation imaginaire entre l’enfant et l’adulte. Ce n’est aucunement l’enfant-roi de certaines théories humanistes, mais l’enfant être de désir qui se continue dans l’adulte, sans respecter les “ étapes ” et autres “ phases ” que les psychologues découperont en rondelles. Anticipant sur certaines théories biologiques et psychologiques de notre siècle, Fourier ouvre la voie à une théorie éducative et à une pédagogie des passions. Toute organisation sociale établit des barrières, des contraintes, contre le débordement des passions dites mauvaises - en réalité contre les passions de la masse du peuple, non contre celles d’une catégorie privilégiée qu’une transcendance imaginaire a désignée pour commander aux autres. Le “ fais ce que voudras ” de Rabelais est tout aussi aristocratique que celui de Sade. Pour Fourier, la société doit faire preuve d’imagination afin que les passions de tous puissent se satisfaire sans reproduire à leur tour de la contrainte et de la tyrannie. Priorité aux dispositifs d’apprentissage, lesquels ne sont jamais séparés des dispositifs de travail (on en a perçu un écho à l’école de La Ruche, avec Sébastien Faure). Le travail est lui-même organisé en fonction des passions, comme la “ papillonne ”, dont on s’est beaucoup moqué, alors que de modernes pédagogues et ergologues en redécouvrent les vertus de turn over. L’être humain - et c’est là une forme du “ grand écart ” anthropologique mis en valeur par les surréalistes - n’est pas fait pour faire tous les jours et à tout moment de la journée la même chose jusqu’à l’âge de la retraite ou jusqu’à ce que mort s’en suive. L’emploi du temps, ainsi que des esprits aussi différents que Georges Bataille, Henri Lefebvre ou Cornélius Castoriadis l’ont noté, est l’instance où, quelle que soit l’idéologie, se manifestent le plus obscènement les modes de domination. Comme pour tout axiome en ce domaine, il faut prendre en compte les exceptions, les singularités. Fourier ne pense qu’à ça : ne pas marginaliser les soi-disant aberrations mentales. Les obsessionnels, au lieu de se ruiner (de nos jours) chez leur psychanalyste, auront droit à leur “ série passionnée ” d’obsessionnels (Fourier naturellement n’emploie pas le même mot) en vue de s’épanouir. Ils pourront, sans subir le moindre sarcasme, réactualiser la théorie taylorienne ou tout autre mode d’enchaînement au travail, condition selon eux indispensable pour tuer le temps, pour tuer l’angoisse.

Même s’ils sont loin d’être à la hauteur de Fourier quand il s’agit de laisser à l’imagination la clé des champs, bien des théoriciens anarchistes, y compris parmi les plus “ responsables ”, vont, dans le domaine de l’éducation, dans le sens de Fourier. Pierre Besnard, leader anarchiste français de l’entre-deux guerres (et qui, comme d’autres, finira mal sous le régime de Vichy), n’hésite pas, en 1934, dans une sorte d’ouvrage de politique-fiction intitulé Le Monde nouveau, à prôner une école où les enfants sont totalement libres de gérer leurs travaux, leurs jeux et leurs différends (on ne sait si Besnard avait eu vent du “ tribunal des enfants ” de Korczak). Plus tôt, en 1909, deux militants anarchistes de premier plan, dans un ouvrage qui, lui, se voulait clairement de politique-fiction 11, au chapitre “ L’éducation ”, plaident pour “ le respect absolu des droits de l’enfant ”, aussi bien par rapport à l’emprise des parents que par rapport au contrôle des éducateurs.

Bien qu’il ne soit pas possible, dans la ligne de cet article, de développer les implications anthropologiques et philosophiques de l’éducation libertaire, il faut bien noter cette constante (dont Janus Korczak serait peut-être injustement le principal symbole s’il n’avait volontairement donné sa vie pour elle en montant dans le convoi de Treblinka) de la lutte pour les droits de l’enfant. Quels droits pour quel enfant générique abstrait ? Le droit à la survie, pour les enfants du Rwanda soumis par dizaines de milliers aux conditions inhumaines d’abandon et de mort qu’avaient connues les pupilles de Korczak à Treblinka ? Certes. Mais en dehors de ces horribles situations limites, de plus en plus généralisées, qu’en est-il ? Ici, l'éducation libertaire rencontre les contradictions de toute pratique éducative. Les enfants du rêve 12 que Bettelheim décrit dans le kibboutz en plein devenir contradictoire sont-ils proches de cet enfant rêvé 13 par la prophétie soumise à négation des écoles dites nouvelles ? Le modèle volontairement abstrait de l’Émile de Rousseau n’en finit pas de susciter des sentiments ambivalents chez des philosophes de l’éducation. En 1989, le projet d’un lycée expérimental portant le nom du fameux titre de Rousseau, en région bordelaise, fait long feu. L’accent mis sur les droits de l’enfant ne peut éviter les effets de sa propre dialectique. Qu’en est-il de la transgression toujours possible, dès que transductivement (c’est le cas de le dire : de proche en proche et non dans une logique abstraite) la relation enfant-adulte met en crise cette distinction trop belle pour être honnête, sans parler de la distinction juridique, fictive et substantialiste entre mineur et majeur ? Simone et Jean Cornec, avocats d’enseignants accusés de pédophilie, ne voient “ les risques du métier ” d’enseignant que dans l’infinie perversité de l’enfant qui ne fait rien d’autre que séduire l’adulte en vue de lui restituer un corps. L’enfant possède une libido, trop de libido. L’enseignant est statutairement désimpliqué, n’a pas de libido. La professeur de lettres Gabrielle Russier meurt d’être allée au-delà du risque, même avec un adolescent “ jeune adulte ”, et le président de la République (Georges Pompidou), lui-même ancien professeur, lui rend publiquement, mais trop tard, un hommage rempli d’émotion. Entre pédagogie et pédophilie, l’opposition instituée par la logique binaire, non contradictoire, cède la place à une relation transductive. Tony Duvert en profite pour défendre avec beaucoup d’éloquence la dissidence sexuelle des pédophiles. La pédophilie existe, est un phénomène massif, global, qui depuis peu se localise dans une série de sordides affaires, en Belgique, en France, etc. D’un côté l’on dénonce l’interdit de la jouissance, de l’autre l’on combat toutes les formes, même les plus socialement partagées, du harcèlement sexuel. À Summerhill comme dans le kibboutz, comme dans les communautés fondées après 1968 par des gauchiste 14, l’on s’élève peu à peu contre la “ promiscuité ” sexuelle instaurée en 1880 par Paul Robin entre les jeunes de 4 à 17 ans. Qu’en est-il des droits de l’enfant si doit rester impensée, par terreur étatique, l’énorme charge affective qui construit toute relation pédagogique d’abord dans l’éducation familiale, puis dans l’institution scolaire ou en d’autres lieux et moments ? Les libertaires n’ont pas de réponse appropriée, sinon celle qui consiste à poser une égalité absolue, imprescriptible et quelque peu abstraite, entre l’enfant et l’adulte. Telle est la “ psychologie de l’enfant ” des libertaires : conception immédiatement politique, plus que psychologique ou sociologique. Néanmoins, les efforts divers et contradictoires des expérimentateurs libertaires en éducation témoignent, et c’est là leur originalité par rapport à la plupart des grands philosophes de l’éducation, d’un souci d’inventer - dans l’esprit de Fourier - les conditions concrètes de possibilité de cette philosophie politique.

Inventer des dispositifs de formation : cela, l’éducation nouvelle, dans presque toutes ses variétés, tend à le pratiquer, au besoin en empruntant aux libertaires telle ou telle technique, tel ou tel modus operandi. On a pu relever, ici, quelques exemples de la mise en œuvre de l’imagination sociologique, avec Paul Robin, avec les instituteurs de Hambourg, avec Sébastien Faure, etc. Célestin Freinet naguère dans l’enseignement élémentaire, les professeurs des lycées expérimentaux de Saint-Nazaire ou de Paris aujourd’hui, retrouvent ou réinventent de nouvelles formes de rencontre éducative, de nouveaux processus d’apprentissage, de nouveaux dispositifs de formation qui mettent en crise permanente l’espace sacré de la salle de classe ou de l’amphi, ainsi que la temporalité tout aussi sacrée des cursus à base de niveaux et de stades. Non sans affronter des contradictions : entre l’obligation scolaire légale (en France, jusqu’à seize ans) et la règle de libre fréquentation; entre le “ respect du programme ” et la libre critique des contenus de la science instituée, telle que Bakounine ou Tolstoï la revendiquaient ; entre la formation “ pour les examens ” et la formation intégrale de l’enfant et de l’adulte; entre les impératifs de la formation professionnelle sur mesure (la véritable utopie !) et la formation à la carte, au gré des “ séries passionnées ”, etc, etc. Au-delà de ces contradictions, il aurait fallu étudier celle, basique, entre les expériences microsociales d’éducation libertaire et un éventuel projet plus vaste de révolution sociale. À ce sujet, une assez riche littérature, par exemple celle qui est produite lors de la movida espagnole (l'immédiat après-Franco), aurait permis d’ébaucher un test en vraie grandeur, concernant la survie ou l’extension en direction de l’autogestion des idées de Ferrer au sein du grand mouvement des collectivisations en 1936-1938. Dans le climat idéologique propre à l’Espagne de cette époque, la lutte antiétatique, assortie de la lutte antireligieuse, rejoint la “ prophétie ” anarchiste du XIXe siècle.

Les résistances à l’éducation libertaire ne tiennent pas seulement aux contradictions très voyantes de cette éducation : celles qui affligent l’éducation officielle, “ normale ”, sont au moins aussi criantes. Au-delà des résistances tout à fait légitimes lorsqu’elles sont clairement exprimées, se profile la résistance majeure au dur désir de changer la vie. Presque depuis la fondation de l’université européenne, au début du XIIIe siècle (Paris, Oxford, Bologne), la contestation de l’institué par des mouvements étudiants est devenue une constante en Occident, puis dans le monde entier. C’est la contestation de la logique étatiste, légitimée en Occident par l’institution de l’Église romaine et son paradigme de la souveraineté transcendante. La logique étatiste, garante de la logique philosophique et scientifique enseignées, n’est ni l’unique ni probablement le meilleur produit du cerveau humain. La terreur d’État nous aide à penser le principe d’autorité, la rentabilité, la concurrence, la reproduction de la domination et de la destruction, l’institutionnalisation de l’idée de “ centre ”. Peut-elle nous empêcher de penser à l’envers - de penser le bonheur et le malheur de vivre pour les enfants - y compris les enfants que nous sommes toujours face à la souffrance et à la jouissance ?

Université de Paris 8


1 J.M. Raynaud et G. AMBAUVES, L'éducation libertaire, Paris, Spartakus, Cahiers mensuels, mai 1978.
L’école du dimanche pour les ouvriers était un dispositif utilisé dans la première partie du siècle par les socialistes dits utopiques et aussi par Auguste Comte, fondateur du positivisme (lequel influence le bakouninien Robin).

2 Edmond MARC-LIPANSKY, “ La pédagogie libertaire ”, L’Europe en formation, n° 163-164. 1973. spécial “ Anarchisme et fédéralisme ”.

3 L’auteur de cet article est actuellement président de l’association française Janus Korczak...

4 Georges LAPASSADE, L’autogestion pédagogique, Paris, Gaulhier-Villars, 1971.

5 C’est ce que l’on peut vérifier dans le numéro spécial de la revue Autogestions, n° 12-13, 1982-1983, au titre très fouriériste, “ Les passions pédagogiques ”.

6 Panoramiques, n° 10, 1993, “ Les années de l’utopie. Bilan critique des idées sages et folles des décennies 60 et 70 ”, dirigé par Guy Hennebelle. L’auteur du présent article avoue qu’il y contribue avec “ Les années lumière de l’autogestion... ”

7 Les pédagogies autogestionnaires, sous la direction de Patrick Boumard et Ahmed Lamihi, Vauchrétien, Ivan Davy éditeur, 1995, réunit la fine fleur des anciens et nouveaux militants, assez hétérogènes, de ce courant.

8 Cyrano sieur de Bergerac, Savinien, L’Autre monde ou les États et Empires de la Lune et du Soleil [l657], Paris, Stock, 1947. Il existe des rééditions plus récentes (le vrai Cyrano n’a que peu de rapports avec le pseudo-gascon imposé par Edmond Rostand)

9 Pour Gilbert Simondon (L’individuation psychique et collective, Paris, Aubier, 1989), la démarche transductive dépasse la logique classificatoire héritée d’Aristote en tentant de récupérer la singularité, un peu comme dans la logique très ancienne de Guillaume d’Ockam se battant contre les “ universaux ” de la philosophie réaliste. En effet, l’induction part bien des singuliers mais elle les sélectionne en fonction de certaines particularités et donc en élimine d’autres ; et la déduction, elle, produit abstraitement des classifications de soi-disant singuliers à partir du général, de l’universel posé a priori. En sciences de l’éducation, peut-être plus visiblement qu’ailleurs, on perçoit l’importance des enchaînements de proche en proche, du “ petit à petit l’oiseau fit son nid ”, qui chez Spinoza prenait le nom de concaténation : tous les efforts de la réflexion éducative libertaire sont référés à l’irréductible singularité de l’enfant que nous avons été et que nous sommes. Ajoutons que le concept de transduction se trouve dans Piaget, dans la Logique de Henri Lefebvre, dans les ouvrages de Deleuze et Guattari, etc.

10 Lamihi Ahmed, De Freinet à la pédagogie institutionnelle ou l’École de Gennevilliers, Vauchrétien, Yvan Davy éditeur, 1994.

11 Émile Pouget et Émile Pataud, Comment nous ferons la révolution [1909], Paris, Syllepse 1995; avec une étude de Pierre Cours-Salies et René Mouriaux.

12 Bruno Bettelheim, Les enfants du rêve, 1969, traduit de l’américain, Paris, Robert Laffont, 1971.

13 Florence Giust-Desprairies, L’enfant rêvé. Significations imaginaires d’une école nouvelle, Paris, Armand Colin, 1989.

14 Geneviève Hess, L’éducation dans une communauté de travail. Les coopérateurs de Longo Maï et leurs enfants, 1973-1996, mémoire de maîtrise, Paris 8, 1996.