|
Origine : échanges de mail avec Bernard Elman
“ Nous pouvons penser les effets du terrorisme d’État
à partir de ce qui ne peut ni se penser, ni se dire. ”
Elena DE LA ALDEA, Conséquences et séquelles du terrorisme
d’État, Buenos Aires, 1996.
Le terrorisme d’État n’a pas la force de nous
contraindre à parler des théories et des pratiques
anarchistes sur le terrain de l’éducation comme d’une
matière exotique - les danses sacrées en Inde ou les
rites alimentaires des Dogons - ou comme d’un fantasme étranger
à la connaissance scientifique. Grâce à un minimum
de rappel historique indispensable à une périodisation
correcte, il sera aussi question ici de l’actualité
et des actualisations de l’idéologie libertaire (qualificatif
moins étroit qu’anarchiste) dans le projet de formation
“ intégrale ” de l’être humain.
Panorama des expériences
Dernier quart du XIXe siècle : à l’orphelinat
de Cempuis, dans l’Oise, au nord de Paris, les autorités
permettent à un inspecteur primaire très lié
au mouvement anarchiste, Paul Robin, d’expérimenter
de nouvelles formes d’éducation et de pédagogie.
Formes libertaires, ne serait-ce que parce qu’il institue
la mixité ! Éducation intégrale (physique,
intellectuelle, esthétique...), travail alternant avec les
fêtes... Mollement soutenu par la presse de gauche, violemment
attaqué par les journaux de droite et d’extrême
droite (“ la porcherie de Cempuis ”, clame le polémiste
Édouard Drumond dans sa Libre parole), Robin est finalement
désavoué par les autorités.
L’expérience, commencée vers 1880, se termine
en 1894, année où démarre une autre affaire,
l’Affaire autour du capitaine Dreyfus. Même si elle
n’est pas aussi médiatisée que celle d’une
quinzaine d’années postérieure, celle de Francisco
Ferrer en Espagne, elle fournit en quelque sorte le modèle
d’innombrables affaires liées à la déviance
ou à l’innovation pédagogiques. Elle inspirera
la plupart des futures tentatives libertaires, en France et à
l’étranger. Dès 1897, un groupe d’anarchistes,
autour de Jean Grave, crée le groupe “ École
libertaire ” et fonde une Ligue d’enseignement libertaire,
qui, faute de moyens, fera long feu : l’école prévue
laissera place à des cours du soir pour adultes et à
des promenades instructives le samedi et le dimanche 1.
Dans la même période, de l’autre côté
de l’Atlantique, le mouvement de la pédagogie nouvelle,
non indexé directement à la pensée libertaire,
connaît une réalisation bientôt fameuse à
Chicago, avec l’École-laboratoire du couple Dewey.
Est-ce parce que John Dewey est déjà connu comme chercheur
en psychologie que son expérience est mieux acceptée
?
Le parallélisme entre des tentatives libertaires, surtout
privées, d’une part, et d’autre part des recherches,
elles aussi souvent privées, se réclamant du mouvement
plus général et moins politisé de l’éducation
nouvelle, est une constante depuis les origines du mouvement d’abord
politique connu sous le nom d’anarchisme, et dont les pères
fondateurs sont principalement Joseph Proudhon, puis les Russes
Michel Bakounine et Pierre Kropotkine. Déjà, autour
des années 1860, à Iasnaïa Poliana (Russie),
l’école que Léon Tolstoï fonde sur ses
terres seigneuriales est un bel exemple de la réalisation
des idées les plus libertaires - à la fois anti-autoritaires
et antidogmatiques en matière de savoir scientifique (opposées,
elles, au positivisme).
De 1900 à 1914, dans un domaine rural de Rambouillet (région
parisienne), un militant anarchiste, Sébastien Faure, anime
l’école de la Ruche. Il s’agit ici aussi d’orphelins
ou d’enfants abandonnés. Bien que sous le contrôle
tatillon de l’académie de Versailles, ce qui donne
lieu à un succulent échange de correspondance administrative,
Faure maintient le caractère privé, indépendant,
de son expérience d’éducation intégrale
(travaux des champs, travaux artisanaux, formation intellectuelle).
L’accent mis sur la pratique la plus matérielle et
la plus utile, sur l’enfant ou l’adolescent comme producteurs
et non comme éventuels futurs producteurs, est peut-être
trop oublié dans les formes actuelles d’innovation
en éducation. Le théoricien-praticien anarchiste,
que l’on verra bien plus tard, en 1936, pendant la guerre
d’Espagne, en visite au poste de commandement de Durruti,
voyage inlassablement pour, avec le produit de ses conférences
et de ses brochures, alimenter la caisse que l’autoproduction
agricole et artisanale ne suffit pas à remplir. La déclaration
de guerre, en 1914, en tarissant cette source de revenus, l’oblige
à fermer la Ruche.
À la même époque, en 1907, Maria Montessori
ouvre à Rome la Maison des Petits. Ses idées en matière
d’éducation de la prime enfance vont connaître
un grand succès. Son inspiration est ostensiblement religieuse,
d’un catholicisme qui ne cache pas ses tendances mystiques.
Outre bien des imitations de par le monde, l’expérience
de la Maison des Petits connaîtra une véritable institutionnalisation
à mesure que se développeront en Europe et en Amérique
les crèches et autres jardins d’enfants. La même
année, cette fois à Bruxelles, Ovide Decroly ouvre
l’école de l’Ermitage : ici encore, l’expérience
princeps inspirera beaucoup les courants de l’éducation
nouvelle.
Du côté libertaire, dans cette même période
du début du XXe siècle, le mouvement s’amplifie.
Francisco Ferrer, militant politique catalan espagnol, qui a connu
en exil le mouvement anarchiste français et les échos
de l’expérience de Robin, ouvre en 1901 à Barcelone
l’école moderne. Les idées de Robin, on le voit,
ont franchi le cercle étroit des groupuscules “ anars
” français ; elles ont inspiré non seulement
l’expérience de Faure à Rambouillet, mais celles
du suisse Adolphe Ferrière, promoteur de “ l’école
active ”, formule promise à un bel avenir. Ferrer,
appuyé également sur les réseaux de la Libre
Pensée (souvent les anarchistes révèlent, particulièrement
à cette époque, une appartenance à la franc
maçonnerie) et doué d’un beau sens de l’organisation,
ne se contente pas d’une tentative locale. Dès 1908,
il existe une dizaine d’Écoles modernes à Barcelone
et environ cent cinquante dans l’ensemble de la Catalogne.
Sans oublier des implantations à Madrid, en Andalousie, au
Portugal, au Brésil, en Suisse, aux Pays-Bas... Sans glisser
vers l’institutionnalisation totale (pas d’organisme
de coordination, sinon une revue très vite internationale),
le mouvement change de forme en se constituant comme réseau.
Cette structure réticulaire, éminemment proudhonienne
et bakouninienne, possède moins de visibilité qu’une
organisation centralisée. Son efficacité n’en
est que mieux assurée, ne serait-ce qu’en permettant
de combattre les effets - Ô combien vicieux !- du cercle et
du centre. L’un de ces effets est la politique volontariste
de généralisation recherchée, acceptée
ou imposée ; cette astuce “ vertueuse ” aboutit
régulièrement à la négation du projet
initial. L’effort pour mettre en échec la tentative
de l’École moderne prendra une autre voie, plus directe
et violente. Dans l’Espagne monarchique et très catholique,
Ferrer, dont le passé politique ne fait que rendre encore
plus suspect aux yeux de l’opinion réactionnaire le
travail éducatif, est l’objet d’emprisonnement
et de poursuites. La dernière, en 1909, le conduit à
la condamnation à mort. Un peu plus de vingt ans avant Janus
Korczak, il s’inscrit ainsi dans le martyrologe, ouvert en
Occident par Socrate, des pédagogues révolutionnaires.
Après la Première Guerre mondiale, dans le climat
prérévolutionnaire de l’Allemagne postimpériale,
on assiste dans le land de Hambourg à une assez vaste expérience
de pédagogie libertaire ayant pour siège plusieurs
écoles primaires publiques. Les enseignants, avec l’appui,
au début, des parents d’élèves, mettent
en place un dispositif de critique radicale de l’institué
: suppression des programmes, des horaires, de la division en matières
d’enseignement, de la répartition en classes de niveau.
L’École dite de Hambourg, étiquetée comme
prônant la pédagogie du “ maître-camarade
”, invente la pédagogie des petits groupes et celle
des centres d’intérêt (la transmission du savoir
s’effectue à partir d’un événement,
d’un objet ou d’un problème dont on dégage
les potentialités pluridisciplinaires). L’autogestion
de l’emploi du temps et des exercices est imposée moins
par une idéologie des maîtres que par le processus
collectif de mise en question de l’institué. L’expérience,
assez longue (1919-1930) connaîtra une institutionnalisation
parallèle à l’involution des idées démocratiques
de la république de Weimar. Le caractère radicalement
libertaire du projet et des réalisations au cours des premières
années ne fait pas de doute, même si les enseignants
hambourgeois (parfois qualifiés d’adolescents attardés
et immatures) ne mettaient pas en avant une allégeance à
une organisation anarchiste officielle. On ne peut qu’être
d’accord avec l’appréciation suivante, référée
à l’expérience de Hambourg, mais que l’on
peut appliquer à bien d’autres expériences :
“ c’est moins une affiliation formelle, que l’esprit
profond, authentiquement libertaire de l’expérience,
qui compte 2 ”.
Entre les deux guerres mondiales se développent d’autres
expériences peu ou prou marquées d’inspiration
libertaire et par des idées de “ l'éducation
nouvelle ”: Janus Korczak, en Pologne, crée et anime
deux orphelinats, l’un pour les enfants juifs, l’autre
pour les enfants catholiques. Médecin et éducateur
- et non pédagogue, car les pupilles vont à l’école
à l’extérieur des orphelinats - Korczak invente
avec son équipe et avec les enfants une sorte d’autogestion
dont le nom du dispositif - le “ tribunal des enfants ”-peut
induire en erreur. En réalité, cela a moins à
voir avec les modes de rééducation participative des
jeunes vagabonds par le Soviétique Makarenko, fonctionnaire
de la police politique, qu’avec les méthodes beaucoup
plus empathiques de Fernand Deligny et ses “ vagabonds efficaces
”, dans le Nord de la France, autour des années quarante.
La longue expérience de Korczak sera interrompue, pendant
la Seconde Guerre mondiale, dans le ghetto de Varsovie (pour ce
qui est de l’orphelinat juif), avec la déportation
par les autorités allemandes au camp de Treblinka des deux
cents pupilles et de l’équipe - y compris Korczak :
il n’y aura pas de survivant. Cependant, la méthode
Korczak est appliquée aujourd’hui en Pologne, en Israël,
dans les écoles juives en Argentine, etc. et commence à
être prise en compte au-delà du travail de la mémoire
juive. C’est en particulier le cas de la doctrine des droits
de l’enfant, officialisée par l’ONU, l’UNICEF
et dont le théoricien le plus affirmé est Janus Korczak
3.
C’est aussi la période où Célestin Freinet,
exclu de l’enseignement public, crée en Provence une
École moderne (cf. Ferrer) et met en place, sur le modèle
du pédagogue catalan, un réseau qui, lui, va tendre
à l’organisation très (trop) centralisée,
bien que géographiquement périphérique. Coopérative
scolaire (expérimentée par Sébastien Faure),
imprimerie à l’école, correspondance et échanges
entre écoles, etc. Les idées de Freinet, comme celles
de Ferrer ou de Korczak, vont connaître une grande diffusion
à travers de multiples publications, y compris à l’étranger.
Bien que proche du parti communiste, du moins à ses débuts,
la pédagogie Freinet révèle ses implications
libertaires, au point de subir, dans les années cinquante,
une condamnation en règle dans La Nouvelle Critique, revue
théorique du PCF. Par ailleurs des crises internes, dans
les années soixante, secouent l’École moderne
de Freinet, en rapport avec les contradictions ville/campagne :
l’essence rurale du projet originel s’accommode mal
des conditions d’enseignement dans la grande ville et dans
ses banlieues. La dissidence de la région parisienne (Raymond
Fonvieille, Fernand Oury, etc.) précédera et accompagnera
la naissance d’autres courants, plus actuels, de rénovation
pédagogique : les influences libertaires, à travers
l’autogestion, convergent avec l’héritage de
Freinet ou avec celui de l’éducation nouvelle dont
les cautions les plus prestigieuses sont les psychologues rivaux
Henri Wallon et Jean Piaget.
1968, dans le domaine éducatif plus que dans d’autres
domaines, révèle l’existence, chez les enfants,
les adolescents et les jeunes adultes, d’une profonde aspiration
vers un bouleversement de l’éducation. Le climat libertaire
des revendications, des expériences d’écoles
parallèles et d’éducation différente
dans les communautés de vie ou de travail et de vie, a frappé
tous les acteurs et témoins. Le mouvement, en France comme
en Allemagne ou aux USA, etc., est d’une grande ampleur. En
général “ inorganisé ”, il ne vise
que rarement ou provisoirement à la forme “ réseau
”. Il accompagne le mouvement de libéralisation des
mœurs, le combat des minorités sexuelles, des écologistes
; la mise en question de l’institution familiale est presque
aussi forte que la mise en question de l’institution scolaire,
de l’institution asilaire et de l’entreprise industrielle,
commerciale ou de service comme institution du travail salarié.
Révolution “ culturelle ” qui n’épargne
pas certaines formes figées du modernisme en art (la mode
de Brecht et le prestige du Théâtre national populaire
de Jean Vilar subissent un net recul).
Les transformations idéologiques et parfois pratiques en
matière d’éducation s’appuient alors sur
quelques grandes références : l'expérience
et les ouvrages du psychanalyste libertaire Neill en Grande Bretagne,
les livres au vitriol du Yougoslave Ivan Illich. L’école
de Summerhill avec Neill et le centre de recherches de Cuernavaca
(Mexique) avec lllich deviennent des lieux de pèlerinage.
Les ouvrages des deux “ gurus ” se vendent comme des
petits pains. La traduction française de Libres enfants de
Summerhill compense pendant quelques années les pertes financières
dues au pillage systématique dont est l’objet la fameuse
librairie de l’éditeur François Maspero ! Les
ouvrages de l’Américain Paul Goodman, du Brésilien
Paulo Freire, contribuent à la grande offensive contre l’institution.
L’on a affaire à un puissant courant de critique et
d’innovation éducatives, auquel n’échappent
que très peu de pays du monde occidental. Ce courant est
parfois mêlé à celui du mouvement Freinet (alors
en perte de vitesse) et à ceux de la pédagogie institutionnelle,
de la pédagogie non-directive (inspirée de Carl Rogers),
de la pédagogie-thérapie néo-reichienne et
de bien d’autres projets d’éducation corporelle,
d’expression totale, etc. Des doctrines syncrétiques,
orientalistes, mystiques, font fureur. Une idéologie “
californienne ” prépare l’avènement de
ce qui sera le New Age. Si le climat général est souvent
- pas toujours - coloré d’idées libertaires,
ces dernières sont surtout visibles dans les tendances et
expériences qui se réfèrent de près
ou de loin à l’autogestion.
On ne trouve pas - et pour cause - ce concept dans les théories
des grands fondateurs de l’anarchisme. Le mot est récent.
Self-government au sens proudhonien du terme, ou démocratie
directe, l’ont longtemps remplacé. Il est significatif
que l’idée autogestionnaire se soit exprimée,
depuis les origines lointaines de la pensée libertaire (Étienne
de La Boétie, Rousseau, Sade, etc.), négativement,
par la critique radicale de la délégation de pouvoir,
critique étroitement liée à celle de la société
homogène ou homogénéisante, centraliste, monocratique,
tout entière tenue par la religion unitaire : sous cet angle,
le sous-titre du texte de La Boétie, De la servitude volontaire,
est tout un programme : ou le Contr’Un. Ce qu’il y a
de positif, de gestionnaire, dans autogestion, n’a pas fini
de biaiser la compréhension de la genèse sociale et
théorique de ce concept.
Avant même que 1968 ne réactive l’intérêt
pour l’autogestion comme mode alternatif de régulation
des rapports sociaux, dans l’entreprise et dans d’autres
lieux de la pratique sociale, le courant lapassadien de pédagogie
institutionnelle avait expérimenté et théorisé
la pédagogie autogestionnaire 4. Il n’était
pas indispensable d’être affilié à la
Fédération anarchiste ou au PSU de Michel Rocard pour
se référer au projet révolutionnaire qui, pour
les membres de ce courant (dont j’étais), regardait
davantage du côté de Kronstadt, de l’Ukraine
mahknovienne, des collectivisations espagnoles de 1936-1938, de
l’occupation des biens vacants par les fellahs algériens
en 1962, plutôt que du côté de l’autogestion
bureaucratique de la Yougoslavie titiste. Dans nos classes en autogestion,
le micro-socialisme était plus que microscopique et le graphe
de notre réseau aurait tenu au revers d’un timbre poste
! Il faut attendre 1981 et l’arrivée des socialistes
au pouvoir (bien qu’ils aient immédiatement gommé
du Programme commun l’idée d’autogestion) pour
voir apparaître des expériences au niveau d’établissements,
par exemple au Lycée expérimental de Saint-Nazaire
ou au lycée autogéré de Paris (LAP). Bien que
la culture libertaire soit peut-être plus évidente
chez Gabriel Cohn-Bendit (Saint-Nazaire) que chez les promoteurs
et animateurs du LAP (Jean Lévi, puis Bernard Elman), on
peut une fois de plus valider l’axiome cité plus haut,
à savoir que l’affiliation à une organisation
anarchiste compte moins que ce qui se fait réellement en
matière d’éducation 5.
Alors que le cynisme néo-libéral, bizarrement qualifié
de pragmatisme, reprend les habits usagés du terrorisme d’État
et qu’il arrive à l’autogestion de figurer dans
le grenier des utopies des années soixante et soixante-dix
6, des signes donnent à penser que l’impasse des fausses
solutions miracles à la crise de l’adolescence et des
banlieues difficiles est une impasse en trompe-l’œil.
Le terrorisme d’État, gonflé du terrorisme du
dogme économique néo-libéral, veut nous empêcher
de penser autrement que dans la défaite, la déroute
du désir révolutionnaire. L’individualisme serait
une fatalité, comme la sécheresse, et comme elle son
seul recours serait dans la quête éperdue de subventions...
étatiques. L’idée autogestionnaire, dans sa
diversité, dans son hétérogénéité
que Joseph Proudhon aurait appréciée en connaisseur,
n’a pas cessé de vivifier l’éducation
libertaire 7 bien au-delà des petits groupes d’appartenance
ou de référence à une organisation anarchiste.
Dans la situation politique actuelle, qui n’a rien de désespéré,
les contradictions sont activées par le projet toujours jeune
de faire table rase des vieilleries modernes ou postmodernes en
éducation. Ces contradictions, mieux lisibles dans le cadre
de référence du mouvement libertaire, sont celles
de notre société en devenir.
Penser le projet libertaire
Une ébauche de périodisation de ce devenir est peut-être
sensible à travers le panorama rapide et très lacunaire
qui vient d’être dessiné. Les implications du
mouvement pour une éducation libertaire dans le devenir sociopolitique
commencent sans doute à apparaître. Dans ce devenir
qui nous analyse, les idées, les concepts sont pris dans
la fuite des repères, dans l’entropie sémantique,
dans l’indexicalité de tout outil langagier (la mode
de certains mots, par exemple “ gérer ” ou “
déficit ”, manifeste le poids tragique de l’économisme
et de son badigeon le psychologisme). D’où l’extrême
difficulté d’utiliser comme instruments d’analyse
des mots, des termes qui ne sont en effet que les bornes, les poteaux
indicateurs, les termes arbitraires et abstraits d’un mouvement,
d’une temporalité. Comment éviter de substantialiser
des mots comme anarchie, socialisme, révolution politique,
révolution pédagogique, autogestion ? Le terrorisme
d’État ne nous empêche pas seulement de penser
ou de dire. Il peut nous empêcher, nous les intellectuels,
de lire. De lire ce qui pourtant est écrit noir sur blanc
dans la tradition libertaire en éducation. C’est le
traitement étatiste de texte (TET). Le site de notre TET
n’est pas dans notre ordinateur mais dans notre tête.
C’est lui qui par exemple a si longtemps effacé de
notre mémoire La Boétie (Montaigne ou Rabelais étant
très rapidement et très confusément archivés)
ou continue d’évacuer du disque dur de l’histoire
de France l’extraordinaire critique radicale, sauvage et jubilatoire,
que l’un des “ irréguliers ” ou “
libertins érudits ” du XVIIe siècle, Savinien
Cyrano, dit de Bergerac, exerce sur les allant-de-soi en matière
de rapports adulte-enfant 8.
La périodisation apparue à travers quelques rappels
historiques semble indiquer une anticipation du mouvement libertaire,
au plan des idées et aussi des réalisations, par rapport
au mouvement moins marginal de l’éducation nouvelle.
À cela au moins deux éléments d’explication
: d’une part la gauche dynamique des enseignants ne pouvait
pas surgir avant que ne s’institutionnalise, en France et
dans quelques autres pays, un système général
d’instruction publique ; d’autre part, la fin du XIXe
et le début du XXe siècle coïncident avec l’autonomisation
de la psychologie de l’enfant comme discipline scientifique
originellement impliquée dans l’institution scolaire
en plein développement. Les deux institutionnalisations,
celle de l’école obligatoire et celle de la psychologie
de l’enfant, sont tellement concomitantes qu’on a pu
dire, non sans humour objectif, que la psychologie scientifique
de l’enfant était en réalité celle de
l’enfant scolarisé ou scolarisable. Cette remarque
est capitale pour la compréhension des chemins divergents
empruntés par les expériences libertaires, lesquelles
étaient ou sont fortement indexées au projet de supprimer
l’école telle que nous la connaissons.
La sociologie de la connaissance et l’analyse institutionnelle
du devenir scientifique (ici, de l’épistémologie)
permettent en effet de voir à quel point la légitimation
d’une science est en relation non pas causale mais transductive,
par propagation de signaux de proche en proche 9, avec la légitimation
d’une nouvelle forme sociale - en l’occurrence, ici,
l’école obligatoire. À une échelle plus
vaste, il y a liaison transductive, de proche en proche ou à
distance, entre les limites de notre pensée et l’effet
sur nous du terrorisme d’État - ce que j’ai nommé
ailleurs l’État-inconscient. À une échelle
plus réduite, songeons aux effets générés,
sur la carrière scolaire, professionnelle et existentielle
des enfants puis des adultes, par les grandes trouvailles de la
psychologie de l’enfant à ses débuts - différence
entre âge réel et âge mental avec Binet, quotient
intellectuel que W. Stern déduit du concept de Binet, le
Q. I. étant le produit de la différence entre âge
mental et âge réel. Pensons aussi au conditionnement
scolaire qu’entraînent les théories différentes
mais finalement convergentes quant aux conséquences institutionnelles
(les niveaux, les conditions de passage d’un niveau à
l’autre ou réquisits, les redoublements, rattrapages,
l’idée de la “ barrière ” des examens
et concours, dont Goblot avait si bien montré l’implication
dans l’idée de “ niveau ”, etc.), des étapes
ou phases du développement de l’enfant, respectivement
chez Wallon et chez Piaget. Tout l’imaginaire enseignant,
parental - sans parler de l’imaginaire de l’enfant réduit
au statut d’élève - est stigmatisé par
les idées dominantes en matière de développement
intellectuel. Un troisième-mais non ultime-exemple est celui
de la disjonction (nettement mise en question par Wallon) entre
développement intellectuel et développement affectif.
La psychologie dite cognitive approfondit encore les dégâts
provoqués par la psychologie des Binet, Stern, Piaget, etc.,
en châtrant l’enfant de son affectivité, de ses
émotions, de ses sentiments, dont on sait par ailleurs le
rôle - de même que celui des conditions matérielles,
sociales - dans les apprentissages. La science, elle, ne veut pas
savoir. Certes, elle sait, mais s’attribue le droit de délimiter
son champ - par exemple le cognitif - en mettant provisoirement
entre parenthèses le réel dans son intégralité
indissociable.
L’éducation “ intégrale ” des libertaires
ne s’appuie pas sur des références aussi scientifiques,
bien qu’une partie du courant, fidèle en cela à
Proudhon, soit marquée par le positivisme scientifique et
la religion scientiste (les ultra-rationalistes Robin et Ferrer
en sont de bons exemples). Cependant, lorsque Sébastien Faure
tente de mettre sur pied à Rambouillet la “ coopérative
intégrale ”, il n’est pas interdit de voir dans
son projet une visée de “ recherche-action ”,
à savoir la volonté d’utiliser et de dépasser
une forme sociale (et socialiste) déjà là,
la coopérative, pour en faire un instrument cognitif de socialisation.
De son côté, Freinet mise beaucoup sur la coopérative
comme dispositif pédagogique. Le dépassement du conseil
de coopérative des techniques Freinet (aux attributions limitées)
par l’extension des prérogatives de ce conseil à
l’ensemble de la gestion des apprentissages, comme on le voit
avec des dissidents comme Raymond Fonvieille dans une classe de
Gennevilliers, dans la proche banlieue parisienne 10 et avec la
pédagogie institutionnelle à tendance psychosociologique,
lapassadienne, s’oriente logiquement vers l’autogestion.
Comment ! Des enfants (pardon : des élèves) qui autogèrent
la classe ! Le concept à première vue quelque peu
métaphysique d’intégralité prend alors
un sens très concret, révélant des fondements
anthropologiques implicites ou explicites : la psychologie de l’enfant
du mouvement libertaire n’est pas celle de Binet ou de Piaget.
Elle est plus proche de celle de Charles Fourier.
Tous ceux qui n’ont pas lu Fourier le rejettent dans l’aimable
fantaisie, le délire d’un fou non dangereux. À
la rigueur, les esthètes peuvent, à la suite d’André
Breton, lui faire une place dans le rayon des utopies géniales
et poétiques. Ceux, rares, qui le lisent, restent pantois
devant sa puissance d’analyse de l’institué -
la critique la plus radicale du capitalisme reconnue par Marx et
le fameux “ Écart absolu ” pointé par
le surréalisme finissant - et devant son imagination hors
du commun, que même Proudhon appréciait. La seule faute
impardonnable, c’est qu’il ne respecte rien, et surtout
pas la nouvelle religion scientifique. Son anthropologie, pour aussi
fantaisiste qu’elle soit (celle de Salvador Dali l’est
tout autant et n’est pas moins percutante), est très
en avance sur son temps. Plus spécialement, pour ce qui nous
intéresse, en ce qui concerne la séparation imaginaire
entre l’enfant et l’adulte. Ce n’est aucunement
l’enfant-roi de certaines théories humanistes, mais
l’enfant être de désir qui se continue dans l’adulte,
sans respecter les “ étapes ” et autres “
phases ” que les psychologues découperont en rondelles.
Anticipant sur certaines théories biologiques et psychologiques
de notre siècle, Fourier ouvre la voie à une théorie
éducative et à une pédagogie des passions.
Toute organisation sociale établit des barrières,
des contraintes, contre le débordement des passions dites
mauvaises - en réalité contre les passions de la masse
du peuple, non contre celles d’une catégorie privilégiée
qu’une transcendance imaginaire a désignée pour
commander aux autres. Le “ fais ce que voudras ” de
Rabelais est tout aussi aristocratique que celui de Sade. Pour Fourier,
la société doit faire preuve d’imagination afin
que les passions de tous puissent se satisfaire sans reproduire
à leur tour de la contrainte et de la tyrannie. Priorité
aux dispositifs d’apprentissage, lesquels ne sont jamais séparés
des dispositifs de travail (on en a perçu un écho
à l’école de La Ruche, avec Sébastien
Faure). Le travail est lui-même organisé en fonction
des passions, comme la “ papillonne ”, dont on s’est
beaucoup moqué, alors que de modernes pédagogues et
ergologues en redécouvrent les vertus de turn over. L’être
humain - et c’est là une forme du “ grand écart
” anthropologique mis en valeur par les surréalistes
- n’est pas fait pour faire tous les jours et à tout
moment de la journée la même chose jusqu’à
l’âge de la retraite ou jusqu’à ce que
mort s’en suive. L’emploi du temps, ainsi que des esprits
aussi différents que Georges Bataille, Henri Lefebvre ou
Cornélius Castoriadis l’ont noté, est l’instance
où, quelle que soit l’idéologie, se manifestent
le plus obscènement les modes de domination. Comme pour tout
axiome en ce domaine, il faut prendre en compte les exceptions,
les singularités. Fourier ne pense qu’à ça
: ne pas marginaliser les soi-disant aberrations mentales. Les obsessionnels,
au lieu de se ruiner (de nos jours) chez leur psychanalyste, auront
droit à leur “ série passionnée ”
d’obsessionnels (Fourier naturellement n’emploie pas
le même mot) en vue de s’épanouir. Ils pourront,
sans subir le moindre sarcasme, réactualiser la théorie
taylorienne ou tout autre mode d’enchaînement au travail,
condition selon eux indispensable pour tuer le temps, pour tuer
l’angoisse.
Même s’ils sont loin d’être à la
hauteur de Fourier quand il s’agit de laisser à l’imagination
la clé des champs, bien des théoriciens anarchistes,
y compris parmi les plus “ responsables ”, vont, dans
le domaine de l’éducation, dans le sens de Fourier.
Pierre Besnard, leader anarchiste français de l’entre-deux
guerres (et qui, comme d’autres, finira mal sous le régime
de Vichy), n’hésite pas, en 1934, dans une sorte d’ouvrage
de politique-fiction intitulé Le Monde nouveau, à
prôner une école où les enfants sont totalement
libres de gérer leurs travaux, leurs jeux et leurs différends
(on ne sait si Besnard avait eu vent du “ tribunal des enfants
” de Korczak). Plus tôt, en 1909, deux militants anarchistes
de premier plan, dans un ouvrage qui, lui, se voulait clairement
de politique-fiction 11, au chapitre “ L’éducation
”, plaident pour “ le respect absolu des droits de l’enfant
”, aussi bien par rapport à l’emprise des parents
que par rapport au contrôle des éducateurs.
Bien qu’il ne soit pas possible, dans la ligne de cet article,
de développer les implications anthropologiques et philosophiques
de l’éducation libertaire, il faut bien noter cette
constante (dont Janus Korczak serait peut-être injustement
le principal symbole s’il n’avait volontairement donné
sa vie pour elle en montant dans le convoi de Treblinka) de la lutte
pour les droits de l’enfant. Quels droits pour quel enfant
générique abstrait ? Le droit à la survie,
pour les enfants du Rwanda soumis par dizaines de milliers aux conditions
inhumaines d’abandon et de mort qu’avaient connues les
pupilles de Korczak à Treblinka ? Certes. Mais en dehors
de ces horribles situations limites, de plus en plus généralisées,
qu’en est-il ? Ici, l'éducation libertaire rencontre
les contradictions de toute pratique éducative. Les enfants
du rêve 12 que Bettelheim décrit dans le kibboutz en
plein devenir contradictoire sont-ils proches de cet enfant rêvé
13 par la prophétie soumise à négation des
écoles dites nouvelles ? Le modèle volontairement
abstrait de l’Émile de Rousseau n’en finit pas
de susciter des sentiments ambivalents chez des philosophes de l’éducation.
En 1989, le projet d’un lycée expérimental portant
le nom du fameux titre de Rousseau, en région bordelaise,
fait long feu. L’accent mis sur les droits de l’enfant
ne peut éviter les effets de sa propre dialectique. Qu’en
est-il de la transgression toujours possible, dès que transductivement
(c’est le cas de le dire : de proche en proche et non dans
une logique abstraite) la relation enfant-adulte met en crise cette
distinction trop belle pour être honnête, sans parler
de la distinction juridique, fictive et substantialiste entre mineur
et majeur ? Simone et Jean Cornec, avocats d’enseignants accusés
de pédophilie, ne voient “ les risques du métier
” d’enseignant que dans l’infinie perversité
de l’enfant qui ne fait rien d’autre que séduire
l’adulte en vue de lui restituer un corps. L’enfant
possède une libido, trop de libido. L’enseignant est
statutairement désimpliqué, n’a pas de libido.
La professeur de lettres Gabrielle Russier meurt d’être
allée au-delà du risque, même avec un adolescent
“ jeune adulte ”, et le président de la République
(Georges Pompidou), lui-même ancien professeur, lui rend publiquement,
mais trop tard, un hommage rempli d’émotion. Entre
pédagogie et pédophilie, l’opposition instituée
par la logique binaire, non contradictoire, cède la place
à une relation transductive. Tony Duvert en profite pour
défendre avec beaucoup d’éloquence la dissidence
sexuelle des pédophiles. La pédophilie existe, est
un phénomène massif, global, qui depuis peu se localise
dans une série de sordides affaires, en Belgique, en France,
etc. D’un côté l’on dénonce l’interdit
de la jouissance, de l’autre l’on combat toutes les
formes, même les plus socialement partagées, du harcèlement
sexuel. À Summerhill comme dans le kibboutz, comme dans les
communautés fondées après 1968 par des gauchiste
14, l’on s’élève peu à peu contre
la “ promiscuité ” sexuelle instaurée
en 1880 par Paul Robin entre les jeunes de 4 à 17 ans. Qu’en
est-il des droits de l’enfant si doit rester impensée,
par terreur étatique, l’énorme charge affective
qui construit toute relation pédagogique d’abord dans
l’éducation familiale, puis dans l’institution
scolaire ou en d’autres lieux et moments ? Les libertaires
n’ont pas de réponse appropriée, sinon celle
qui consiste à poser une égalité absolue, imprescriptible
et quelque peu abstraite, entre l’enfant et l’adulte.
Telle est la “ psychologie de l’enfant ” des libertaires
: conception immédiatement politique, plus que psychologique
ou sociologique. Néanmoins, les efforts divers et contradictoires
des expérimentateurs libertaires en éducation témoignent,
et c’est là leur originalité par rapport à
la plupart des grands philosophes de l’éducation, d’un
souci d’inventer - dans l’esprit de Fourier - les conditions
concrètes de possibilité de cette philosophie politique.
Inventer des dispositifs de formation : cela, l’éducation
nouvelle, dans presque toutes ses variétés, tend à
le pratiquer, au besoin en empruntant aux libertaires telle ou telle
technique, tel ou tel modus operandi. On a pu relever, ici, quelques
exemples de la mise en œuvre de l’imagination sociologique,
avec Paul Robin, avec les instituteurs de Hambourg, avec Sébastien
Faure, etc. Célestin Freinet naguère dans l’enseignement
élémentaire, les professeurs des lycées expérimentaux
de Saint-Nazaire ou de Paris aujourd’hui, retrouvent ou réinventent
de nouvelles formes de rencontre éducative, de nouveaux processus
d’apprentissage, de nouveaux dispositifs de formation qui
mettent en crise permanente l’espace sacré de la salle
de classe ou de l’amphi, ainsi que la temporalité tout
aussi sacrée des cursus à base de niveaux et de stades.
Non sans affronter des contradictions : entre l’obligation
scolaire légale (en France, jusqu’à seize ans)
et la règle de libre fréquentation; entre le “
respect du programme ” et la libre critique des contenus de
la science instituée, telle que Bakounine ou Tolstoï
la revendiquaient ; entre la formation “ pour les examens
” et la formation intégrale de l’enfant et de
l’adulte; entre les impératifs de la formation professionnelle
sur mesure (la véritable utopie !) et la formation à
la carte, au gré des “ séries passionnées
”, etc, etc. Au-delà de ces contradictions, il aurait
fallu étudier celle, basique, entre les expériences
microsociales d’éducation libertaire et un éventuel
projet plus vaste de révolution sociale. À ce sujet,
une assez riche littérature, par exemple celle qui est produite
lors de la movida espagnole (l'immédiat après-Franco),
aurait permis d’ébaucher un test en vraie grandeur,
concernant la survie ou l’extension en direction de l’autogestion
des idées de Ferrer au sein du grand mouvement des collectivisations
en 1936-1938. Dans le climat idéologique propre à
l’Espagne de cette époque, la lutte antiétatique,
assortie de la lutte antireligieuse, rejoint la “ prophétie
” anarchiste du XIXe siècle.
Les résistances à l’éducation libertaire
ne tiennent pas seulement aux contradictions très voyantes
de cette éducation : celles qui affligent l’éducation
officielle, “ normale ”, sont au moins aussi criantes.
Au-delà des résistances tout à fait légitimes
lorsqu’elles sont clairement exprimées, se profile
la résistance majeure au dur désir de changer la vie.
Presque depuis la fondation de l’université européenne,
au début du XIIIe siècle (Paris, Oxford, Bologne),
la contestation de l’institué par des mouvements étudiants
est devenue une constante en Occident, puis dans le monde entier.
C’est la contestation de la logique étatiste, légitimée
en Occident par l’institution de l’Église romaine
et son paradigme de la souveraineté transcendante. La logique
étatiste, garante de la logique philosophique et scientifique
enseignées, n’est ni l’unique ni probablement
le meilleur produit du cerveau humain. La terreur d’État
nous aide à penser le principe d’autorité, la
rentabilité, la concurrence, la reproduction de la domination
et de la destruction, l’institutionnalisation de l’idée
de “ centre ”. Peut-elle nous empêcher de penser
à l’envers - de penser le bonheur et le malheur de
vivre pour les enfants - y compris les enfants que nous sommes toujours
face à la souffrance et à la jouissance ?
Université de Paris 8
1 J.M. Raynaud et G. AMBAUVES, L'éducation libertaire, Paris,
Spartakus, Cahiers mensuels, mai 1978.
L’école du dimanche pour les ouvriers était
un dispositif utilisé dans la première partie du siècle
par les socialistes dits utopiques et aussi par Auguste Comte, fondateur
du positivisme (lequel influence le bakouninien Robin).
2 Edmond MARC-LIPANSKY, “ La pédagogie libertaire
”, L’Europe en formation, n° 163-164. 1973. spécial
“ Anarchisme et fédéralisme ”.
3 L’auteur de cet article est actuellement président
de l’association française Janus Korczak...
4 Georges LAPASSADE, L’autogestion pédagogique, Paris,
Gaulhier-Villars, 1971.
5 C’est ce que l’on peut vérifier dans le numéro
spécial de la revue Autogestions, n° 12-13, 1982-1983,
au titre très fouriériste, “ Les passions pédagogiques
”.
6 Panoramiques, n° 10, 1993, “ Les années de l’utopie.
Bilan critique des idées sages et folles des décennies
60 et 70 ”, dirigé par Guy Hennebelle. L’auteur
du présent article avoue qu’il y contribue avec “
Les années lumière de l’autogestion... ”
7 Les pédagogies autogestionnaires, sous la direction de
Patrick Boumard et Ahmed Lamihi, Vauchrétien, Ivan Davy éditeur,
1995, réunit la fine fleur des anciens et nouveaux militants,
assez hétérogènes, de ce courant.
8 Cyrano sieur de Bergerac, Savinien, L’Autre monde ou les
États et Empires de la Lune et du Soleil [l657], Paris, Stock,
1947. Il existe des rééditions plus récentes
(le vrai Cyrano n’a que peu de rapports avec le pseudo-gascon
imposé par Edmond Rostand)
9 Pour Gilbert Simondon (L’individuation psychique et collective,
Paris, Aubier, 1989), la démarche transductive dépasse
la logique classificatoire héritée d’Aristote
en tentant de récupérer la singularité, un
peu comme dans la logique très ancienne de Guillaume d’Ockam
se battant contre les “ universaux ” de la philosophie
réaliste. En effet, l’induction part bien des singuliers
mais elle les sélectionne en fonction de certaines particularités
et donc en élimine d’autres ; et la déduction,
elle, produit abstraitement des classifications de soi-disant singuliers
à partir du général, de l’universel posé
a priori. En sciences de l’éducation, peut-être
plus visiblement qu’ailleurs, on perçoit l’importance
des enchaînements de proche en proche, du “ petit à
petit l’oiseau fit son nid ”, qui chez Spinoza prenait
le nom de concaténation : tous les efforts de la réflexion
éducative libertaire sont référés à
l’irréductible singularité de l’enfant
que nous avons été et que nous sommes. Ajoutons que
le concept de transduction se trouve dans Piaget, dans la Logique
de Henri Lefebvre, dans les ouvrages de Deleuze et Guattari, etc.
10 Lamihi Ahmed, De Freinet à la pédagogie institutionnelle
ou l’École de Gennevilliers, Vauchrétien, Yvan
Davy éditeur, 1994.
11 Émile Pouget et Émile Pataud, Comment nous ferons
la révolution [1909], Paris, Syllepse 1995; avec une étude
de Pierre Cours-Salies et René Mouriaux.
12 Bruno Bettelheim, Les enfants du rêve, 1969, traduit de
l’américain, Paris, Robert Laffont, 1971.
13 Florence Giust-Desprairies, L’enfant rêvé.
Significations imaginaires d’une école nouvelle, Paris,
Armand Colin, 1989.
14 Geneviève Hess, L’éducation dans une communauté
de travail. Les coopérateurs de Longo Maï et leurs enfants,
1973-1996, mémoire de maîtrise, Paris 8, 1996.
|
|