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Origine : http://:www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2005-1-page-219.htm
Le livre La logique des passions qui évoque un fameux titre
de Nietzsche se donne comme objectif de reconsidérer une
clinique de la passion, qui ne la réduirait pas à
une clinique de l’excès d’un affect (excès
qui peut être toutefois le signe d’un état passionnel),
mais la déduirait d’une clinique de la méconnaissance.
La référence lacanienne est alors centrale, ce qui
nous éloigne, comme je tenterai de le montrer dans un premier
temps, des grands modèles classiques et romantiques de la
passion, tels qu’on les rencontre comme lignes sous-jacentes
de la description des passions en psychopathologie.
Pour Aristote, déjà, les passions représentent
des rapports à l'autre qui passent nécessairement
par des effets de langage et de parole irréductibles à
la seule rationalité du logos, à sa seule structure
logique. Le Problème XXX, 1 « L’homme de génie
et la mélancolie » donne asile à l’être
de l’excès tout en le dotant d’une nature humaine,
sa folie n’étant plus une folie insufflée par
les Dieux, ce qui était encore la thèse de Platon
dans le Phèdre. Nous pensons, en lisant le livre de Roland
Gori, que l’auteur renoue avec les défis d’une
ancienne problématique qui relie le statut de la passion
à l’incondition du sujet dans le langage. La passion
s’offrirait comme détour et parade, objection dévorante,
devant le manque-à-être interne au rapport à
l’originaire du sujet parlant. Plus encore, elle serait ce
mouvement violent qui dévoile ce à quoi elle voudrait
refuser l’existence : dévoilant l’impossible
de l’absolue transparence dans la volonté de réaliser
le fantasme de l’amour fou ; réduisant à une
objectalité réelle dans l’exercice de la haine.
Le socle psychanalytique est de considérer en quoi les passions
ne sont pas que des accidents de la vie affective et sociale de
certains « passionnés ». Un tel programme se
doit de dégager une logique des passions qui repose sur une
compréhension structurelle des rapports entre l’humain
et le langage. Ce dernier étant considéré sérieusement
comme ce qui tourbillonne autour d’un impossible à
dire. Le psychanalyste prend donc acte d’un savoir issu de
sa pratique et qui rencontre les avancées des sciences du
langage contemporaines : l’effondrement de deux mythes. Sont
aujourd’hui renvoyés à l’opinion et exclus
du savoir scientifique le mythe de la signification et le mythe
de la référence, le langage n’étant plus
alors cette boîte à mots venant recouvrir la réalité.
L’idée serait ici qu’une étude de la passion
informe sur la violence nécessaire que colporte avec elle
la langue dès qu’elle transforme et dépasse
les catégories qui, sous les formes du réalisme et
du nominalisme, relient les mots et les choses. Cela peut illustrer
le fait que, à mesure que progresse le dépliement
d’une parole qui n’encode pas la réalité,
il se produit du côté de l’affect passionnel
une surdétermination ; plus alors s’intensifie la passion.
Hypothèse, qu’avant de revenir au texte de Roland
Gori, un repérage historique de la notion de « Passion
» pourrait permettre d’établir.
G. Lantéri-Laura ( 1997, p. 8-13) nous a rappelé,
dans un article mémorable, que le vocable de « Passion
» est emprunté au latin passio, quant à lui
formé sur un passum, supin du verbe déponant pati
qui voulait dire « souffrir ». Cette acception passive
fut très mal vue des Pères de l’Église,
qui ont eu à cœur de distinguer une passion noble qui
est celle de la Passion du Christ. Cette positivation culminera
ultérieurement au quinzième siècle dans l’Imitation
de Jésus-Christ de Thomas A. Kempis qui déplacera
et transcendera le pessimisme de l’Ecclésiaste. On
note aussi que l’héritage grec joua encore comme modèle
de la passion positive, aux premiers temps d’une ère
chrétienne qui fait résonner ensemble en une synthèse
éphémère, mais sans les confondre, le sublime
de la Passion de Socrate et l'aspect métaphysique de la Passion
christique. Il n’est ainsi pas absurde de lire, en filigrane
des lettres écrites en exil par Jean Chrysostome ( 1964),
le fil tendu des arguments et des jugements éthiques exaltés
dans l’Apologie de Socrate de Platon.
Toutefois, à côté d’une lecture théologique
de la passion, une position empiriste rejoint des préoccupations
de philosophie morale. La psychologie, depuis Galien, s’inscrit
sous la dépendance de l’éthique, les mouvements
de l’âme et ses affections étant systématisés,
décrits et interrogés en fonction des troubles passionnels.
On peut ici préciser que Galien, suivant la doctrine de Platon,
distingue trois âmes et localise chacune d’entre elles
dans des parties distinctes du corps humain :
une âme hégémonique et rationnelle en rapport
avec l’encéphale, qui juge selon la vérité
et l’erreur,
une âme thymique, en rapport avec le cœur, et qui se
trouve à l’origine des emportements, de la violence
et des passions, –
une âme végétative en rapport avec le foie,
7 Les passions dépendent donc de l’âme thymique,
liée à ce que la médecine galénique
entend par le cœur, et si elles échappent à la
raison, la raison peut les infléchir.
C’est avec la Folie d’amour, que, aussi bien en Occident
qu’en Orient, se sont fixés de grands moments discursifs
sur le partage de la raison et de la déraison. On pensera
ici à la Folie d’amour dans l’amour courtois
ou à la poésie d’origine ante-islamique «
Majnun et Leila », transmise par la tradition bédouine.
L’amour passionné, est très souvent soumis
à des règles strictes qui soulignent, plus qu’elles
ne l’invalident, la magnificence allégorique de l’objet
d’amour, ombre éloignée de la réalité,
toute d’exigence et sans demande, qui ne peut être aimée
que selon un code chaste, l’amour de la Dame se faisant –
et c’est net chez Dante – le chemin le plus irrésistible
qui mène du désir pour la créature à
l’amour pour le créateur. La notion de sublimation
est ici un chemin nécessaire pour les psychanalystes qui,
depuis Freud ( 1973), ont insisté, à partir de l’amour
courtois, sur le lien entre l’objet élu et le mystère
du féminin. On trouve, au reste chez Lacan, dans son analyse
du cas freudien de la Jeune femme homosexuelle, une évolution
de sa compréhension de la survalorisation de l’objet
d’amour dans cette passion, toujours en parallèle avec
le modèle de l’amour courtois. Ainsi qu’Okba
Natahi ( 1999, p. 92-114) et moi-même l’avions noté,
Lacan utilisera ce modèle de l’amour courtois pour
mettre en avant l’hypothèse d’une quête
phallique chez la jeune fille, avec comme conséquence une
fétichisation de la Dame ; c’est au moment où
le psychanalyste élabore sa théorie de la relation
d’objet (Lacan, 1994). Près de trois ans après,
une fois que Lacan a introduit le registre de la Chose (Lacan, 1986),
il voit, dans la passion de la jeune fille, non plus une passion
de l’emprise sur le substitut phallique mais une situation
où se révèle tout autre chose. La jeune fille
est captée, captive triomphante, par la Dame, dans la mesure
où cette dernière cerne le lustre de la Chose, c’est
bien d’un amour qui s’adresse à l’au-delà
de l’objet qui se met en scène et en passion et, à
ce titre, le modèle d’un attachement narcissique ou
spéculaire ne compte presque plus pour rendre compte de cette
passion.
Revenons à quelques jalons historiques. Il faut attendre
le XVIe siècle, pour que le mot de passion prenne résolument
un sens actif, consacré dans le pathos par le romantisme
français, et dans l’inquiétude métaphysique
par le romantisme allemand, mais déjà présent
dans les textes littéraires du Grand Siècle. L’art
de montrer ces passions, de les feindre, de feindre qu’on
les montre ou, enfin, de montrer qu’on les feint, devient
un exercice obligé de l’art de cour. L’œuvre
d’un de Retz fourmille de ces précises notations qui
indiquent comment les mouvements du corps, la physionomie du visage,
les registres de la voix, les directions du regard, traduisent et
trahissent les mouvements de l’âme. De telles notations
qui déterminent une rhétorique de la psychologie supposent
qu’en un code l’essentiel de la passion pourrait se
signifier, de même que pourrait enfin se contrôler et
se réglementer en postures, en mimiques et en intonations,
le plus sensoriel, le plus sensuel, même le plus irruptif
de la présence du corps réduite à une simple
image codifiée.
La passion, donc, du moment qu’elle est construite en mouvement
violent du cœur suppose une dramaturgie (Desjardins, 2001),
une rhétorique (Mathieu-Castellani, 2000). Elle se donne
à l’être non comme une fatalité mais comme
quelque chose qui met en cause la liberté et la responsabilité.
Il faut indiquer que la psychiatrie, très tôt, fait
place importante aux passions. En rupture avec un discours philosophique
et théologique, voire moral, elle promeut la méthode
et met en avant, avec Pinel, les nécessités d’une
observation méticuleuse des modifications inconnues de la
sensibilité physique et morale (Pinel, 1809). Le passionné
est rapproché par Esquirol, des 1805, de l’aliéné,
mais le statut de la passion reste double : à la fois cause
de la maladie et moyen de traitement (Esquirol, 1938). On voit revenir
le modèle antique du malade rendu furieux, ce qui était
nous l’avons vu, un des signes de la mélancolie selon
les anciens. La dimension exclusivement passionnelle de la folie
sera une ligne de lecture du trouble mental. C’est ainsi que
la compréhension de la monomanie raisonnante sera, avec Dupré,
réduite à une hypothèse d’organisation
perverse de la personnalité. De façon plus large,
la théorie de la dégénérescence met
en avant l’idée d’un déséquilibre
héréditaire entre les centres corticaux antérieurs,
inhibiteurs et « raisonnables » et les postérieurs,
responsables des excitations et des passions.
La théorie des constitutions amènera d’autres
modèles et fera rupture. Achille-Delmas et Génil-Perrin
décriront, à côté des constitutions cyclothymiques,
le rôle prévalent des éléments passionnels
dans la nature de la constitution émotive et de la constitution
mythomaniaque. Les avancées ultérieures de G. de Clérambault
inscriront la passion dans le cadre des pathologies délirantes.
C’est alors la clinique des psychoses passionnelles qui s’affirme.
La passion est-elle objet de la phénoménologie ou
de la métapsychologie ?
Élevant les données phénoménologiques
à la rigueur d’une pensée métapsychologique,
Roland Gori a écrit un texte d’analyste. C’est-à-dire
qu’il prend appui sur les temps critiques de la situation
de transfert. C'est par exemple à la fin de certaines cures
analytiques, lorsque l'analyse a été menée
jusqu'à un certain point de dévoilement, de mise à
nu, voire de dénuement, qu'il arrive de voir émerger
certains de ces états passionnels, de ces turbulences passionnelles
paroxystiques. Ce constat propre à la clinique psychanalytique
peut ouvrir à une question centrée sur l’érotomanie
particulière au transfert. Et seule l’insistance donnée
sur le transfert permet de démêler l’imbroglio
d’une clinique des passions qui se ferait catalogue raisonné
des états passionnels.
L’usage du terme de transfert ne devrait jamais aller de
soi pour désigner l’idée qu’il se joue
une relation entre deux sujets. S’il faut avec Roland Gori
laisser un repère, le plus simple, alors nous ferons référence
à une phrase de Freud. Freud dit que le transfert se lit
dès qu’il y a un trouble dans le débit verbal.
Ce type de position définit une position érotomaniaque,
et « Transfert » est alors le mot qui permet à
Freud de se déprendre du risque d’une telle position.
Croire au transfert, c’est du côté du psychanalyste
poser une construction efficiente contre le risque d’une relation
érotomane, ou d’un délire de séduction
à deux. Ou, dit autrement, c'est bien le refoulement de cette
érotomanie principielle qui constitue la condition de l'amour
comme du transfert. Le transfert ce serait alors un transfert d’accent,
et même de signification d’un mot sur un autre porté
après le transfert d’affection d’une personne
sur une autre.
Nous tenons là le point de départ nécessaire
pour rendre compte des problèmes que la situation d’un
état passionnel pose à la situation psychanalytique.
Une vision psychologique du transfert qui réduit l’expérience
transférentielle à une répétition de
ce qui serait déjà constitué achoppe sur ce
qu’est un transfert passionné, soit ce mode électif
par lequel le passionné dépose en autrui le vide dont
il pressent l’insistance en lui.
Le passionné, sur un mode érotomaniaque se donne
pour ce qui vaut pour l’autre fétiche, stigmate, pli,
il s’offre comme ce qui surgit en tant qu’absolue signature
de l’être et qui se fait éclat d’imprononçable.
Nudité de la Passion, de son cri et de son scénario.
D’où le difficile qu’il y a à réduire
la passion à du sentiment ou à de l’affect.
Une des coordonnées essentielles de la passion en psychanalyse
est l’empêchement de transfert (et de séparation)
dont elle témoigne. Le transfert est, d’abord une rencontre
; mais celle-ci est contingente, comme toute rencontre, ce, avant
que le symptôme se constitue comme analytique en incluant
le psychanalyste.
S’il y a donc processus transférentiel dès
que le sujet s’adresse à un autre à qui il suppose
le savoir, l’adresse passionnelle, quant à elle, est
comme une mise en arrêt qui s’éternise juste
avant que le sujet puisse s’engager dans un discours, dans
une métaphore. Le script passionnel (l’expression est
de Roland Gori) s’impose face à ce temps suspendu de
l’inaugural de transfert. Le passionné a en horreur
le régime du contingent. La psychanalyse rencontre ici l’empan
d’une clinique psychopathologique au sein de laquelle les
patients n'ont pu se déplacer dans les jeux de la parole,
n’ont pu déplier et créer leur mémoire
par les traits du rêve et du transfert ou du symptôme
névrotique. La considération de ce script mène
à deux conséquences : la première est de mettre
en lumière la différence structurale entre le transfert
sur le signifiant et le passage à l’acte ; la seconde
est faite de développements sur la notion de haine.
La compréhension de l’acte passionnel ne le situe
en rien sur un plan « déficitaire » : agir en
place de penser. L’agir est considéré par Roland
Gori comme une impossibilité de transférer un trauma
d'effroi. La clinique du déclenchement fait intervenir alors
l’empêchement de traduction et de métaphore comme
un facteur d’importance. Car ce qui déclenche le passage
à l'acte est bien souvent la rencontre du sujet avec un mot,
un nom, un trait signalétique, avec lequel il entretient
un rapport intime d'inquiétante étrangeté.
Un rapport non déplaçable, qui le cloue sur place
et le fit littéralement exploser. Voyons alors ce qui se
produit au terme d’un passage à l’acte. Souvent
passer à l'acte permet la production de traces, de restes
diurnes, d’éléments qui seraient à lire
comme traits préconscients. Nous avons maintenant une théorie
de l’acte comme force de production d’un entrelacs de
traces, comme ce qui produit ce qui a fait défaut pour pouvoir
transférer. Selon cette thèse développée
par Roland Gori, les passages à l'acte passionnels, comme
les crimes immotivés se trouvent déterminés
dans leur genèse, comme dans leur fonction par les effets
d'horreur qu'ils provoquent après-coup chez les autres. Aucun
modèle qui pose l’acte du côté de la non-mentalisation
ou qui enfermerait l’analyse du passionné dans celle
d’un trouble du caractère ne saurait rendre compte
de ceci : l’acte passionné est une solution à
l’impossibilité de transférer. Des traces perdues
du sujet qui ne sont pas à lire ni ne peuvent être
lues ne se coalisent pas au rébus des formations de l’inconscient
et font retour sur le sujet, le sidérant, le ravissant à
lui-même.
D’une part, le dépliement violent du script passionnel,
par l’acte ; d’autre part, la structure du transfert
qui s’équilibre autour du sujet non seulement supposé
savoir mais supposé savoir lire. Car, sans la présence
d’un autre supposé savoir lire le passage de la trace
au trait, l’acte est aussi voué à des répétitions
mortifères, la certitude que le sujet en retire ne trouvant
ni destinataire, ni écho.
C’est un effort de rigueur qui, avec ce livre, permet de
situer la passion au plan de la logique. Les surgissements de l’état
passionnel en cure, qui bouleversent la chronologie d’un transfert
se dépliant jusqu’alors dans le semblant, s’expliqueraient
alors comme des moments où s’imposent comme incontournables
et massifs d’existence, des pans du savoir inconscient (p.
224). Le phénomène de l’état passionnel
surgit au moment d’une crise sacrificielle du sens, les écarts
entre cause et effet sont abolis, ou plus exactement l'effet est
devenu sa cause même.
La clinique de la haine s’en trouve reprise, à nouveaux
frais. Si le radical de la passion se désigne comme méconnaissance,
la haine est bien ce qui surgit lorsque le sujet se trouve empêché
de transfert. C’est, nous l’avons vu, une ligne essentielle
au livre de Gori. Allant plus loin, l’auteur, défini
la haine comme une réaction à une rage extrêmement
violente soustraite au conscient, cette rage étant dirigée
contre la personne qui trouble l'amour. Il convient alors de distinguer
le plus soigneusement possible cette rage dirigée contre
« la personne qui trouble l’amour » de l’agressivité
dirigée contre les instances interdictrices qui régulent
dans la scénographie œdipienne les liens entre le désir
et la Loi. Une haine primordiale consiste à produire de l'hétérogène
sans érogénéité. Elle vise alors non
le rival, mais une part de l'être qui échappe à
l'appropriation et qui constitue bien le véritable objet
de la haine. Précisons encore. Le rival, sous les auspices
de la figure du parent de l’autre sexe, est, dans le déroulement
correct des normes névrotiques, celui qui donne bord à
ce réel, qui permet de tenir à distance ce point d’impossible
de la symbolisation. Ce rival-là ne constitue pas le partenaire
électif du passionné. Ce serait sans doute, alors,
vers une clinique de la férocité surmoïque que
s’avanceraient quelques-unes des élaborations dues
à Roland Gori, la haine inconsciente étant liée
à une injonction cruelle de tout dire, de tout consommer,
de tout épuiser. Elle ne serait pas normée par ce
que la fonction paternelle tend à promouvoir dans le psychisme
: la garantie qu’une représentation d’un point
d’impasse de la symbolisation soit possible. Le principe de
la haine inconsciente, jonction située à la jointure
du monde des choses et du monde des mots, ne vise pas le perdu mais
le non-réalisé. On comprend bien en suivant cette
dernière proposition le malheur de ce que Jacques Hassoun
nommait la cruauté mélancolique (Hassoun, 1995) dans
sa défaite morale qui est de ne pas accompagner le mouvement,
le processus, au cours duquel le Réel perd de sa réalité
afin que se réalise l’irréel. Cependant, une
vue d’ensemble des logiques de la passion vise à situer
les destins de la haine ailleurs que dans la mélancolie.
La haine, qui ne se contente pas du ressassement mélancolique,
sera le nom de ce travail psychique qui tente déses-pérément
de faire image au « trou » dans la langue qui se déduit
des censures et des refoulements primordiaux. La mise en langage
du sujet crée un reste, une anonymisation, un vertige. Tout
analyste sait que le nom propre n’est pas fait que de la conjonction
précise d’une batterie de lettres et de signifiants,
signature du sujet, il peut se réduire au rien de l’être.
Rien n’épargne l’être parlant de se retrouver
captif de la figure de ce qui est mort au langage. Une notation
clinique encore, par quoi Roland Gori rejoint certaines pistes de
recherches annoncées par Danièle Brun ( 2001) : l’enfant
mort au langage est une figure prévalente dans les analyses
de passionné.
Disjointe de la méconnaissance, la haine s’avance
comme un travail psychique de reconsidération des envers
et des contre-jours des héritages. Reste que les traces de
ce travail doivent se lire, audelà de la mise à nu
de l’être que réalise la passion.
Comment faire œuvre sans triompher de la méconnaissance
de l’inconnu de la langue ? Une logique des passions ouvre
alors à une logique de la cure, et de l’œuvre.
Questions cliniques et dimensions anthropologiques se retissent.
Question d’éthique.
Je voudrais aussi inciter le lecteur à prolonger la lecture
qu’il fait de ce livre par celle des deux derniers volumes
de la revue Cliniques méditerranéennes consacrés
aux passions (Cliniques méditerranéennes, 2004).
Bibliographie
BRUN, D. 2001. L’enfant donné pour mort, Genève,
ESHEL.
CHRYSOTOME, J. 1964. Lettre d’exil, Paris, Cerf.
CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES. 2004 a. « Passion,
amour, transfert », Toulouse, érès.
CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES. 2004 b. « Haïr,
ignorer », Toulouse, érès.
DESJARDINS, L. 2001. Le corps parlant. Savoirs et représentations
des passions au XVIIe siècle, Saint-Nicolas, Canada, Les
Presses de l’Université de Laval, Paris, L’Harmattan.
ESQUIROL, E. 1838. Des maladies mentales, vol. 2, Paris, J.-B.
Baillière.
FREUD, S. 1973. Névrose, psychose et perversion, Paris,
PUF.
HASSOUN, J. 1995. La cruauté mélancolique, Paris,
Aubier.
LACAN, J. 1994. Le Séminaire, Livre IV, La relation d’objet,
Paris, Le Seuil.
LACAN, J. 1986. Le Séminaire, Livre VII, L’éthique
de la psychanalyse, Paris, Le Seuil.
LANTERI-LAURA, G. 1997. « Remarques critiques sur la notion
de passion en psychiatrie », Perspectives psychiatriques,
36 ( 1), p. 8-13. MATHIEU-CASTELLANI, G. 2000. La rhétorique
des passions, Paris, PUF, coll. « Écriture ».
NATAHI, O. ; DOUVILLE, O. 1999. « La jeune homosexuelle de
Freud est une adolescente », Psychologie clinique, n°8,
p. 92-114.
PINEL, P. 1809. Traité médico-philosophique sur l’aliénation
mentale ( 2e éd.), Paris, J.A. Brosson.
Notes
[ *] Paris, Denoël, coll. « L’Espace analytique
», 2002, réédition en 2004,295 p.Retour
Olivier Douville « Roland Gori : Logique des passions »,
Figures de la psychanalyse 1/2005 (no11), p. 219-225.
URL : www.cairn.info/revue-figures-de-la-psy-2005-1-page-219.htm.
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