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Origine : http://www.appeldesappels.org/medias/roland-gori-le-pouvoir-politique-discredite-sa-propre-autorite--948.htm
Le psychanalyste Roland Gori, président de l'Appel des appels,
contre les réformes gouvernementales, analyse la crise de
confiance des Français face à un État qui se
désiste du collectif en faveur des intérêts
privés.
Comment analysez-vous le mouvement social qui ne cesse de s'amplifier
?
Cette grande mobilisation exprime une crise de société
au sein de laquelle tous les travailleurs ont compris que le capitalisme
financier visait à leur faire payer la facture ! Ils subissent
un amoindrissement de leur capital matériel et symbolique
puisque, d'un côté, on augmente les taxes, les impôts
locaux, les tarifs des services publics notamment, de l'eau, de
l'électricité, etc., et de l'autre, on gèle
les salaires. Et lorsqu'une personne part en retraite, on recrute
des jeunes à moindre coût avec des salaires plus bas
et un statut précaire ! Il y a une prise de conscience de
ce changement dans la manière de gouverner et de donner aux
travailleurs un statut solide et protégé.
Assistons-nous, comme vous l'appelez, à « une
insurrection des consciences » ?
Oui, c'est une insurrection des consciences dans la mesure où
les professionnels, les travailleurs et les classes moyennes, qui
sont de toute façon vouées à une prolétarisation,
se mobilisent. Avec la mondialisation, il y a un accroissement des
inégalités sociales entre les riches, ceux qui participent
à la logique du marché, et une masse plus grande d'individus
toujours plus précaires, en situation de flexibilité
et exposés aux conséquences du marché. Même
au niveau des revenus, on voit bien comment les classes moyennes
sont écrêtées. Ainsi, augmente la masse des
individus percevant le caractère précaire de leur
situation et celle de leurs enfants. Par exemple, un Français
sur deux craint de se retrouver SDF et 78 % pensent que l'avenir
de leurs enfants sera pire que le leur. Cette double angoisse pour
l'avenir montre que la population n'adhère plus au mythe
collectif d'un progrès social. L'idée de l'ascenseur
social s'est effondrée. Cela signifie qu'il y a une crise
de confiance dans l'autorité politique.
Une crise de confi ance qui plonge ses racines dans une crise
de l'État ?
Oui, l'État doit garantir l'intérêt du collectif
au-dessus des intérêts particuliers Or, aujourd'hui,
on assiste à un suicide politique de l'État, puisqu'il
se démantèle, tente de se transformer en entreprise,
sur le modèle d'intérêts particuliers, donc.
De plus, l'État fait injonction à ses « serviteurs
» de se transformer eux-mêmes en entreprises vouées
à la concurrence, à la compétition, à
la rentabilité immédiate et demande, donc, aux fonctionnaires
de se penser en termes de service privé ! Partout, l'État
se désiste du collectif en faveur des intérêts
privés du capitalisme financier dans toute son horreur, ce
qui engendre une crise de confiance : les gens ne comptent plus
sur lui pour les protéger ni sur son autorité pour
amortir les conséquences d'une crise économique internationale.
L'État n'assure plus son rôle
L'État devient de plus en plus normatif et prescriptif.
Aujourd'hui, son autorité est en crise, et quand l'autorité
est en crise, ce qui s'accroît, c'est le pouvoir de normaliser
et de contrôler les populations. Mais le gouvernement prend
un grand risque en essayant d'accroître son pouvoir sur les
mouvements sociaux au lieu d'entendre le message qu'ils portent
: un appel à ce que le politique retrouve son autonomie et
son rôle de régulateur et de protection des citoyens.
Quelle sortie de crise imaginez-vous face à ce gouvernement
si indifférent ?
Aujourd'hui, le gouvernement est sourd à l'angoisse, à
la colère et au chagrin de la population. Or, pour retrouver
son autorité politique, il ne devrait pas jouer un rapport
de forces, qui de toute façon se retournera contre lui. Car
si à court terme le mouvement social s'effritait, le gouvernement
aura seulement imposé une réforme sans avoir convaincu
! Par conséquent, le problème reviendra autrement
: soit par une apathie des populations, ce qui est toujours une
maladie grave pour la démocratie, soit par des révoltes
de plus en plus fréquentes dues à cette crise de confiance
des citoyens dans le pouvoir politique actuel. Avec, dans les deux
cas, le risque d'une dérive vers un extrémisme. En
revanche, si le mouvement social, et cela semble être le cas,
tient dans sa fermeté, alors là le pouvoir politique
discrédite sa propre autorité dans la mesure où
il n'est pas écouté, on lui désobéit
et il nous montre qu'on peut continuer à lui désobéir.
La solution la plus démocratique serait, au moment où
il est peut-être encore temps, que le gouvernement écoute
enfin la population et retourne à la table des négociations.
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