Origine : http://jmdinh.net/articles/livres/17112
Roland Gori. L’initiateur de l’Appel des appels
sera à Montpellier le 22 février pour évoquer
son dernier livre. Il est professeur émérite de psychopathologie
clinique à l’université d’Aix-Marseille
et psychanalyste. Entretien.
Face aux nouvelles formes de la censure sociale, vous exprimez
dans votre dernier livre la nécessité de dire et de
partager notre expérience, mais cette censure sociale s’appuie
sur une insécurité sociale en pleine croissance…
A l’heure actuelle nous nous trouvons face à une nouvelle
étape du capitalisme qui « financiarise » les
activités sociales et culturelles. L’Appel des appels
montre à travers l’exemple des praticiens dans l’éducation,
le soin, la justice, ou le journalisme, comment ces professionnels
sont victimes d’une double violence. La violence économique
matérielle : celle qui réduit les conditions d’existences
sociales en insufflant toujours davantage de précarité
et qui contribue au recul de leur statut, économiquement
parlant. Et celle de la violence économique symbolique, au
sens de Bourdieu, qui s’attaque à leur capital symbolique.
L’hégémonie économique, celle des marchés,
s’exerce aussi sur la sphère politique en imposant
une idéologie unique qui piétine les valeurs humaines.
Au-delà de l’indignation, comment appliquer la réaffirmation
subjective, que vous appelez de vos vœux, de manière
collective ?
La question de la dignité se confronte aux nouvelles certitudes
de l’évaluation. C’est une nouvelle forme de
censure qui ne s’exerce plus sur les contenus mais sur les
canaux de transmission. Aujourd’hui se sont les systèmes
informatiques qui coordonnent la confiscation de la pensée
au profit du numérique. Les classes moyennes se retrouvent
prolétarisées au sens marxiste du terme. Le collectif
n’est rien d’autre que le sujet de l’individu.
C’est la même matrice qui contrôle la gestion
des finances de l’Etat et l’évaluation des individus
qui commence maintenant dès la gestation pour finir à
la tombe. On pense en terme de prime d’assurance et cela concerne
aussi bien les individus que le collectif. Il faut se réapproprier
une certaine indépendance du politique par rapport à
la logique du marché qui a colonisé les champs sociaux,
politiques et culturels.
L’espace démocratique vous paraît-il menacé
par le mécanisme européen de stabilité que
le gouvernement s’apprête à constitutionaliser
?
Cela me paraît un enjeu extrêmement important face
à la crise d’autorité du politique. Le mécanisme
européen de stabilité et la règle d’or
instaurent un dispositif de contrôle au nom d’une l’idéologie
économique, que j’estime, par ailleurs, pas rentable.
Si on inscrit cette règle comptable dans la constitution,
on ne pourra plus réfléchir à ce que l’on
fait. C’est le renversement entre la fin et les moyens. Dans
cette configuration, les moyens sont leur propre fin. La démocratie
fondée sur la distribution de la parole a évolué
vers une démocratie d’expertise de l’opinion
qui dépossède le citoyen de sa participation politique.
Avec le contrôle et/ou la complicité des médias,
on met en scène des faits divers pour adopter des lois en
faisant croire que ces décisions sont exemptes de parti pris
politique ».
Recueilli par Jean-Marie Dinh
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