Origine : http://www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2010-6-page-52.htm
L’article 52 de la Loi du 9 Août 2004 réglementant
l’usage du titre de psychothérapeute affirmait la volonté
du Président Accoyer de protéger le public des charlatans
et des sectes. Outre la traditionnelle confusion dans la loi entre
« formation à la pratique psychothérapique »
et « psychopathologie », une seule annexe des récents
décrets d’application vient d’enterrer la volonté
politique de son promoteur en créant dans le champ de la
santé mentale une nouvelle profession à mi-chemin
entre le psychologue clinicien et le psychiatre. Le Président
Accoyer ne semble pas avoir pris la mesure de l’instrumentalisation
de son projet de loi par le Ministère de la Santé
lorsqu’il salue la parution des décrets d’application
en précisant que « cette disposition ne concerne strictement
en rien les psychiatres, les psychologues cliniciens, ni la psychanalyse
».
C’est faux. Cette annexe, petit codicille d’un long
processus d’échanges, de débats et de négociations
entre les pouvoirs publics et les professionnels, crée un
nouveau métier de santé et établit une hiérarchie
arbitraire des professionnels conduisant à une médicalisation
abusive de la psychothérapie : la dispense totale des suppléments
de formation n’étant accordée qu’aux psychiatres,
promus modèle idéal du psychothérapeute.
En outre le décret inscrit les conditions d’agrément
et de formation à la psychopathologie clinique dans un dispositif
sanitaire au sein duquel les présidents des Agences Régionales
de Santé auront un pouvoir exorbitant. Les psychologues risquent
ainsi de se retrouver tôt ou tard paramédicalisés.
Quant à la psychanalyse elle se voit sociale ment dévaluée
puisque les psychanalystes se trouvent fort mal lotis dans la hiérarchie
des dispenses en psychopathologie clinique. La formation universitaire
des masters de psychopathologie clinique aussi, les psychologues
cliniciens devront faire des suppléments de formation nonobstant
les stages cliniques, les supervisions et les enseignements de psychopathologie
clinique qu’ils ont reçus. C’est donc aussi une
dévaluation de l’Université et de ses formations.
Quant à la loi de 1985 conditionnant l’accès
à un titre unique de psychologue, elle se trouve compromise
par la subdivision qu’établit l’annexe du décret
entre « psychologue clinicien » et « psychologue
non clinicien ».
Pour légitime que soit cette subdivision elle constitue
une innovation administrative dont on peut se demander si elle n’excède
pas le champ défini par la Loi de 2004. Accorder une dispense
totale aux seuls psychiatres en les posant en modèles de
référence procède de l’ironie lorsqu’on
connaît la normalisation sociale et épistémologique
actuelle de leur formation : à quelques exceptions près,
la formation hospitalo-universitaire en psychiatrie demeure sous
l’ombre portée des thérapies cognitivo-comportementales,
des neurosciences et du complexe industriel DSM/psychotropes.
C’est donc comme si l’État faisait un choix
partisan et tendancieux parmi les experts de la communauté
des psys en toute ignorance de cause. Les étudiants en psychologie
et les psychologues au chômage, stressés par la pénurie
des emplois, seront tentés par ces formations supplémentaires
leur permettant d’obtenir le titre de psychothérapeute.
Les UFR de médecine reprendront sans doute la main dans cette
affaire. La privatisation des formations universitaires et les frais
d’inscription à ces nouveaux diplômes risquent
de s’accroître. Les vrais perdants dans cette histoire
risquent d’être les patients les plus vulnérables
et les plus pauvres d’entre eux que le président Accoyer
voulait justement protéger. La médicalisation de la
souffrance psychique vient de franchir une nouvelle et glorieuse
étape. La soit disant « protection des patients »
sûrement pas.
« Un marché de dupes ? », Le Carnet PSY 6/2010
(n° 146), p. 52-52.
URL : www.cairn.info/revue-le-carnet-psy-2010-6-page-52.htm.
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