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Roland Gori, philosophe. Comment repenser l’intimité ?
Pierre Le Coz [*]
Pierre Le Coz « Roland Gori, philosophe. », Cliniques méditerranéennes 2/2010 (n° 82), p. 53-61.

Origine : http://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2010-2-page-53.htm

[*] Pierre Le Coz, professeur de philosophie, vice-président du Comité consultatif national d’éthique, chaire des sciences humaines et sociales, faculté de médecine de Marseille, Espace éthique méditerranéen, ea 3783 ; 264 rue Saint-Pierre, F-13385 Marseille Cedex.

« Pour tracer une frontière à l’acte de penser, nous devrions penser les deux côtés de cette frontière. »Ludwig Wittgenstein, Tractatus logico-philosophicus. Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1986, p. 31.

Roland Gori a mis en lumière les lieux où s’articulent des pratiques et des discours que tout semblait éloigner de prime abord : psychiatrie, management, direction de ressources humaines, campagnes de santé publique, marketing… Si pour bon nombre aujourd’hui, à commencer par nous-même, l’existence de tels points de jonction idéologiques s’impose, il faut concéder notre dette à Gori.

L’œuvre de Roland Gori nous apporte la profondeur de champ d’une vision critique et synthétique du monde à laquelle nous rattachons l’idée même de philosophie [1]. Sans doute l’approche épistémologique et théorique sur les fondements de la psychanalyse est-elle nécessaire. Roland Gori y a consacré une partie de son travail [2]. Elle ne saurait toutefois dispenser l’acteur du soin d’une réflexion plus générale sur le champ social et le climat idéologique qui imprègne la parole du sujet souffrant. La pratique psychopathologique se trouve dialectisée par l’exercice de la pensée critique.

Dans le jeu de piste de sa pensée, nous suivrons le sentier auquel nous avons été personnellement le plus sensible : son inquiétude face à la technicisation généralisée du monde. Il nous semble que son travail de pensée s’inscrit dans le sillage de philosophes qui ne sont pas ceux qu’il cite spontanément. Nous pensons notamment à Max Weber, Heidegger, Gadamer ou Charles Taylor. Le point commun à ces auteurs est d’avoir attiré notre attention sur l’annexion du territoire de la réflexion libre et critique par une forme procédurale de pensée. La rationalité instrumentale attaque à sa racine toute pensée du monde, toute appréhension intuitive et incarnée de ce qui se donne à voir et à vivre pour l’homme.

En explorant cette piste, nous éviterons l’écueil de recenser les emprunts de Roland Gori aux textes de Canguilhem ou de Foucault. Ces références sont trop incontournables dans le cheminement de sa pensée. Dans la mesure où elles sont toujours explicites, nous ne pourrions que « refaire du Gori », ce à quoi nous nous refusons catégoriquement. Il nous faut trouver un autre angle d’attaque, d’autres points d’accroche pour entrer dans sa philosophie.

Situons-nous au début du xxe siècle, là où se font entendre les premières voix discordantes sur l’orientation générale de notre culture, la première interrogation radicale sur l’emprise de l’idéologie positiviste et techniciste sur l’Occident. Max Weber avait anticipé sur un « désenchantement du monde [3] » : déclin de la pensée contemplative, avènement d’une intelligence qui ne sait que manipuler les choses, planifier et programmer. Cette intellectualisation transparaît dans tous les aspects de la vie collective : l’économie devient une science, la bureaucratisation se généralise à toutes les activités, l’administration dirigée par des technocrates étend partout ses tentacules. Roland Gori pense à l’intérieur de ce champ socioculturel marqué par la prédominance de la rationalité instrumentale qui est l’un des traits caractéristiques majeurs de la modernité [4].

L’arraisonnement technique ou la « mise en demeure » de l’homme

C’est à travers ses réflexions sur la nature et le sens du soin que nous rencontrons la question de la technique chez Roland Gori [5]. Qu’est-ce que soigner ? Un acte total, intégral et entier qui n’a cessé de se dénaturer sous l’effet d’une inflation technique tout au long du siècle dernier. La technique n’est pas que dans les appareils ; elle est dans les procédures, dans les paroles et dans les gestes. À la division analytique des compétences médicales répond, en écho, la parcellarisation des corps. La technicisation de la prise en charge médicale réduit le corps à ce qu’en livrent les images de l’échographie, de la radiographie de l’irm ou du scanner. Ce réductionnisme technologique qui ramène l’être du patient à la perception iconographique et numérique d’un corps sur mesure, paramétré et immobilisé par les nécessités pratiques, tend à dissoudre le rapport clinique au corps vécu. À l’ère de la médecine technoscientifique, ausculter, palper, toucher et caresser la peau d’un corps meurtri sont des gestes qui se marginalisent au profit d’un rapport aux personnes médiatisé par des appareils toujours plus sophistiqués. En favorisant de la sorte l’objectivation du malade, la technicisation croissante de la médecine convertit insidieusement l’art de soigner en procédure d’expertise. Soigner devient un acte essentiellement technique. Roland Gori revient souvent sur le drame contemporain de la fin de vie. Rivé sur le dernier lit de sa vie, le mourant objectivé, souvent inconscient et méconnaissable, « attend » la fin, au milieu d’appareils qui clignotent et émettent des sonorités répétitives. L’homme meurt au milieu de dispositifs techniques sans chaleur ni beauté, il se fond dans le décor. Il n’est plus que le rouage d’une mécanique indifférente à sa propre signification [6].

Nul ne sait comment il va mourir. Ce que nous savons, en revanche, c’est que lorsque notre corps nous trahira, la médecine aura les moyens d’aller nous chercher là où nous sommes (peu importe l’état dans lequel nous serons). Jamais les sociétés antérieures n’ont eu à vivre cet impératif technique du maintien en vie sans l’humanité. Nous en sommes arrivés à un point tel que la question la plus pressante qui se pose à celui qui pense sa mort aujourd’hui est celle-ci : comment puis-je organiser mon suicide pour me dérober in extremis aux pouvoirs de la technique ?

Dans ce processus de médicalisation intégrale de l’existence, ce ne sont pas les appareils techniques qui sont en cause. Le danger est que les esprits se mettent à leur tour à fonctionner comme des machines, en procédant par items et protocoles standardisés. Au sens moderne et philosophique du terme, la technique ne se réduit pas à la somme des objets fabriqués par l’homme, comme dans la civilisation artisanale. Par « technique », nous ne désignons pas un rassemblement extérieur d’artéfacts et d’ustensiles tels que ceux qui peuplent l’environnement. Ce qui doit attirer notre attention dans la technique, ce n’est pas ce qui se donne à regarder ou manipuler mais son essence [7], ce qui détermine des organisations hiérarchiques, des pratiques sociales, des rapports de force, un agencement d’actions et de paroles. La technique est un dispositif porté par un ethos, une « éthique » au sens anthropologique du terme (souvent repris à son compte par Roland Gori), une tonalité propre à une civilisation. La technique n’est pas séparable du « style anthropologique d’une culture [8] » et plus spécifiquement, en ce qui concerne notre époque, l’idéologie technocratique qui la sous-tend. Le travail engagé par Roland Gori porte essentiellement sur la trame idéologique de fond et ce qui s’articule autour d’elle : la réification des corps, l’appauvrissement de la langue, et ce qu’il en coûte en termes d’intimité, d’intériorité, de subjectivité. La pensée à l’âge de la technique ne connaît que des stocks à gérer, qu’il s’agisse d’émotions, d’embryons, de gamètes, d’énergies naturelles ou humaines. Pour le dire comme Heidegger, la technique est un processus « d’arraisonnement [9] » qui traite la nature, homme compris, comme réservoir de ressources disponibles et calculables, offertes à la commande et à la programmation. Le déploiement de la pensée technique correspond à l’avènement d’un âge où l’humain se donne à penser sous l’aspect de « populations » ou de « masses » dans un procès de conversion généralisé du vécu subjectif en procédures objectives. Les visages deviennent optionnels car les chiffres suffisent.

Le réductionnisme scientifique et technique s’est imposé tout au long du siècle dernier grâce à sa précaution de toujours confesser modestement ses limites (« certes, on peut reprocher à cette approche d’être réductrice »). L’aveu indéfiniment renouvelé du réductionnisme quantitatif a été la clé de son succès. La pensée technique a sécurisé les consciences en concédant volontiers son réductionnisme comme condition sine qua non.

La double contingence « ontologique » (pourquoi suis-je et pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?) et « ontique » (pourquoi suis-je ce que je suis ?) oblige l’homme à s’approprier une situation d’aliénation principielle. Comment habiter un monde inintelligible, dont on ne sait pourquoi il est ni ce que nous y faisons ? Par son « inquiétante étrangeté », le monde place l’homme en situation d’exil. L’effort pour être « chez soi » dans le monde, pour l’habiter et y être à demeure échoue. Pour un soignant qui veut appréhender les pathologies du psychisme autrement que par le biais des items des manuels d’expertise psychiatrique, cette impossibilité d’introduire du sens dans l’existence ne saurait se traiter par voie pharmacologique.

Jusque dans le domaine du soin, nous voyons la pensée devenir technique, calculer le « score de gravité » ou « le poids moyen du cas traité ». De quel homme est-il question dans ces catégories ? Un homme réifié en réservoir de ressources à entretenir, renouveler, maximiser et exploiter. À l’heure de la psychiatrie « de pointe » et du soin « high tech », Roland Gori [10] nous parle de l’homme réel, avec ses manques et ses contradictions, de sa souffrance et sa quête de sens. L’homme que nous sommes et que nous rencontrons autour de nous, cet homme que Ricœur nous dépeint comme une « singularité insubstituable [11] [11] P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990. ...
suite ».

Être au monde sur le mode de la pensée critique

Néanmoins, pas plus que Castoriadis dans la continuité duquel il se situe, Roland Gori ne sombre dans un « renoncement esthète » face à cette « montée de l’insignifiance [12] ». Il est entré en résistance [13] pour que puisse se poursuivre l’aventure de l’humanité. Notre participation à cette aventure est seule pourvoyeuse de sens. Être, c’est être au monde, « avec et pour les autres [14] », sur le mode de la présence, de la pensée critique et de l’authenticité.

La pensée n’est pas un fonctionnement mental, un appareil psychique ou un agencement cortico-neuronal. Elle n’est pas un attribut accidentel de l’homme ; elle est bien plutôt son trait ontologique fondamental. C’est la pensée qui fait de l’homme un être de présence, un Dasein. Elle est ce par quoi la présence advient dans l’être, ce qui fait de l’homme un « être qui est là » [15]. L’homme n’inscrit pas du sens dans l’univers mais fait naître une aspiration au sens. Ainsi, pouvait-on respirer en France en 1940. On respirait convenablement au sens biologique du terme. Pourtant, l’air y était irrespirable. Ce pour quoi Canguilhem s’est engagé dans la Résistance, dès cette époque, remettant se démission à son recteur d’académie au motif qu’il n’avait pas passé une agrégation de philosophie pour enseigner « travail, famille, patrie ». Hommage permanent à la grandeur de cette posture, la philosophie de Roland Gori est adossée à une interrogation critique sur ce qui fait sens dans l’existence. Partout où triomphe la pensée qui calcule, il n’a de cesse de toujours faire valoir les exigences de la pensée qui médite.

La pensée qui calcule trouve son expression la plus achevée, de nos jours, dans l’imagerie cérébrale qui détecte le siège des addictions, alimentant au passage l’espoir de débarrasser l’homme de son désir de sens, de l’affranchir de ses manques, de ses tourments existentiels. Le malheur de notre temps est que l’homme ne parvienne plus à se penser autrement qu’en termes de gestion, à l’instar d’un stock d’énergies livré pieds et poings liés à l’expertise des technocrates ou à la bienveillance des directeurs de départements en ressources humaines. L’actualité récente nous a rappelé que l’homme est l’être qui peut se suicider. L’animal, lui, est immanent à la vie. Il est traversé par une vie dont il ne sait que faire sinon la conserver et la reproduire. L’homme « existe », ce qui veut dire qu’il se projette hors de lui, qu’il réplique au jet d’être par le pro-jet d’être. Il aspire à la reconnaissance. Déjà nous voyons à l’œuvre chez l’enfant la force de ce désir d’être estimé et reconnu, de montrer de quoi il est capable, de prouver sa valeur en incarnant les valeurs qui ont de l’importance à ses yeux [16].

L’homme peut mettre sa vie en jeu, se risquer pour exister. Sa révolte contre le non-sens n’est qu’un autre nom de la subjectivité.

L’empire des coachs

Quand d’autres voyaient dans le coaching un simple effet de mode, nous y avons décelé un symptôme du déclin de la culture [17]. Symptôme idéal par l’ingénuité et la simplicité avec lesquelles il a su révéler l’idéologie de notre temps. Le coaching est une pédagogie de l’idéologie technocratique. Avec le recul de quatre ans, il est frappant de constater que L’empire des coachs, que nous avons eu la chance de co-signer avec Roland Gori en 2006, était très en deçà de la vérité du phénomène. La mainmise du coaching sur les pratiques et les relations sociales s’est accrue dans des proportions que nous n’avions pas osé imaginer à l’époque. Nous comprenons mieux désormais pourquoi le coaching ne disparaîtra plus. Les décideurs, entre les mains desquels notre destin a glissé, n’ont pas besoin de plus d’outils conceptuels que ceux que leur fournit le coaching. L’essentiel y est : nous sommes des champions en puissance, et nos valeurs sont justement celles que notre société guerrière exalte (compétitivité, performance, rentabilité, productivité). Le coaching exprime le triomphe de la pensée managériale, la mutation de l’homme en stock de ressources psychiques. L’homme rabougri par le coaching n’est rien d’autre qu’un capital énergétique à exploiter (à « potentialiser » comme on ne disait pas encore en 2006). Il découvre, grâce à la savante « maïeutique » du coach, qu’il veut exactement ce qu’on attend de lui.

Lorsqu’il nous a été donné de présenter L’empire des coachs à l’occasion des conférence-débats qui ont suivi sa publication, Roland Gori a dû se défendre d’avoir exclu la psychanalyse du procès de dépersonnalisation qui est décrit dans cet ouvrage. La psychanalyse ne met-elle pas, elle aussi, le sujet « en demeure » de livrer son intimité ? Ne fabrique-t-elle pas de l’idéologie par son « individualisme méthodologique » ? N’est-elle pas une leçon de résignation ? Roland Gori, est-il besoin de le préciser, n’avait jamais nié cette possibilité. Le risque de dérive idéologique de la psychanalyse est indiqué explicitement dans L’empire des coachs. Ce n’est pas telle ou telle pratique d’aide à « être soi » qu’il ausculte ; c’est la disposition générale d’une époque, sa manière de dire l’homme à travers le langage gestionnaire de la technocratie. Tout au long de son œuvre, Gori n’a eu de cesse de reprendre à son compte la question que Canguilhem nous a laissée en héritage : comment les psychologues peuvent-ils se laisser instrumentaliser par un monde qui traite les hommes en instruments ?

Notre ouvrage, paradoxalement, n’a jamais cherché à dénoncer le coaching. Il en a parlé explicitement comme d’une forme nouvelle d’« opium du peuple. Ce n’est pas une cause mais un reflet du “malaise de la civilisation” [18] ». Le coaching est le symptôme d’une crise du sens et du soin et c’est pourquoi L’empire des coachs consacre un chapitre entier à la question du soin à l’hôpital. L’alignement pur et simple de l’hôpital sur le modèle de l’entreprise aboutit à faire de la santé un produit comme un autre et à indifférencier l’activité hospitalière dans l’univers des sociétés de service en général. L’hôpital se trouve progressivement destitué de sa signification sociale de refuge de la souffrance humaine [19]. Une démarche de soin effectuée « montre en main », parasitée par le souci de répondre à des impératifs de comptabilité analytique n’est plus un soin mais une technique de gestion du soin. Le coaching n’est que le miroir grossissant de l’idéologie de la gestion des corps et du management des âmes.

Conclusion

« Si la seule façon pour une personne de conserver sa vie plus longtemps est de s’abandonner entièrement à la volonté d’autrui, son obligation est alors de renoncer à sa vie, plutôt que d’offenser la dignité de l’humanité en sa personne. »E. Kant, Leçons d’éthique, traduit par L. Langlois, Paris, Livre de Poche, 1997 (1775-1780).

L’homme riche de demain vivra jusqu’à 120 ans avec plusieurs organes greffés, des prothèses multiples et des tissus cellulaires régénérés. Pour accomplir ces performances dans l’ordre du maintien de la vie biologique, éventuellement en préservant quelques fonctions du cerveau, il n’est nullement besoin d’une pensée métaphysique qui affronte la question du sens et du non-sens. Les sigles, les items et protocoles scientifiquement validés par des conférences (dites « de consensus ») suffiront. La pensée procédurale est à l’aise avec les chiffres et les lettres. Elle fonctionne par sigles. Le sigle triomphe de nos jours. Il est la matrice de la nouvelle langue universelle, ployable en tous sens, adaptable à toutes les sphères de l’existence, du supermarché à la bibliothèque (un étudiant ne se rend plus à la bibliothèque universitaire aujourd’hui : il va « à la bu »).

Louis Dumont disait de la modernité qu’elle résidait dans l’affirmation « au plan moral et politique » de l’« être humain particulier comme indépendant et se suffisant idéalement à lui-même [20]». Le sens d’un tel défi est suspendu à la possibilité de maintenir vivant le questionnement philosophique inauguré par ce rapport solitaire de l’individu à la société : que veulent dire les mots « liberté », « autonomie », « indépendance » ? Qu’appelle-t-on penser ? Qu’est-ce qu’un sujet ? Qu’est-ce qu’habiter ? Qu’est-ce que le temps ? Qu’est-ce que « venir au monde » ? Que signifie « avoir une histoire » ?

La récurrence et l’articulation interne de ces questions radicales donnent à l’œuvre de Gori une force militante au sens noble et subversif du terme. Une œuvre qui ne cesse de militer pour une pensée ayant trouvé la pierre de touche de sa liberté dans la conscience de ce qui la limite.


Notes

[1] A. Gramsci, Cahiers de prison, trad. P. Fulchignoni, G. Grenel, N. Negli, Paris, Gallimard, 1978, p. 49-50.

[2] R. Gori, La preuve par la parole (1996), Toulouse, érès, 2008.

[3] M. Weber, Éthique protestante et l’esprit du capitalisme [1905], Paris, Flammarion, coll. « Champs », 2000.

[4] C. Taylor, Le malaise dans la modernité, trad. Fr. Melançon, Paris, Cerf, 1994, p. 12 : « Le désenchantement du monde se rattache à un autre phénomène important et inquiétant de l’époque moderne. On pourrait l’appeler primauté de la raison instrumentale. »

[5] R. Gori, M.-J. Del Volgo, La santé totalitaire. Essai sur la médicalisation de l’existence (2005), Paris, Flammarion-Poche, 2009.

[6] H. Gadamer, Philosophie de la santé, Paris, Grasset, 1998, p. 71.

[7] M. Heidegger, « La question de la technique », dans Essais et Conférences, trad. A. Préau, Paris, Gallimard [1953], 1958.

[8] R. Gori, « Le marché de la souffrance psychique », Cliniques méditerranéennes, n° 77, Toulouse, érès, 2008, p. 48.

[9] Op. cit.

[10] R. Gori, M.-J. Del Volgo, Exilés de l’intime La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre économique, Paris, Denoël, 2008.

[11] P. Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990.

[12] C. Castoriadis, La montée de l’insignifiance, Paris, Le Seuil, 1996.

[13] R. Gori, B. Cassin, Ch. Laval, L’Appel des appels. Pour une insurrection des consciences, Paris, Mille et une nuits, 2008.

[14] P. Ricœur, op. cit.

[15] M. Heidegger, « Sérénité », dans Question III, Gallimard, Paris [1959], 1966.

[16] F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, trad. R. Derathé, Paris, Vrin, coll. « Bibliothèque des textes philosophiques », 1998.

[17] R. Gori, P. Le Coz, L’empire des coachs, une nouvelle forme de contrôle social, Paris, Albin Michel, 2006.

[18] Op. cit.

[19] ccne, 2008, Avis n° 101 « Santé, éthique et argent : les enjeux éthiques de la contrainte budgétaire sur les dépenses de santé en milieu hospitalier », Les cahiers du ccne, n° 54.

[20] L. Dumont, Essais sur l’individualisme. Une perspective anthropologique sur l’idéologie moderne, Paris, Le Seuil, 1983, p. 69.

Résumé

Même si une partie de son œuvre est consacrée au statut de la parole dans la cure psychanalytique, ce n’est pas à une lecture immanente de la psychopathologie que Roland Gori a consacré l’essentiel de son œuvre. Sa pensée est celle d’un clinicien qui lève les yeux sur le monde auquel le renvoie constamment la parole de ses patients. Dans cette contribution en hommage à son œuvre, nous développons l’idée que sa réflexion s’inscrit dans une tradition de pensée de la technique. Le concept de technique ne s’entend pas seulement au sens d’un rassemblement extérieur d’ustensiles et d’outils technologiques. La technique au sens conceptuel et philosophique du terme n’est pas dissociable du dispositif de rationalisation instrumentale qui le sous-tend. La technique désigne un mode de contrôle procédural qui agence un ensemble de pratiques sociales. Son effet le plus saisissant réside dans le discours gestionnaire que l’homme tient sur lui-même. À l’objectivisme technoscientifique qui ne retient de l’homme ce qui peut entrer dans des sigles et des items, Roland Gori réplique par l’exercice d’une pensée critique et humaniste qui nous parle de notre condition et de notre destinée.

Pierre Le Coz « Roland Gori, philosophe. », Cliniques méditerranéennes 2/2010 (n° 82), p. 53-61.

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