Origine : http://www.cairn.info/revue-adolescence-2009-2-page-271.htm
Gori Roland , « L'art des douces servitudes » , Adolescence,
2009/2 n° 68, p. 271-295.
« Désormais, il ne s’agit plus de savoir si
tel ou tel théorème est vrai mais s’il est bien
ou mal sonnant, agréable ou non à la police, utile
ou nuisible au capital. La recherche désintéressée
fait place au pugilat payé, l’investigation consciencieuse
à la mauvaise conscience, aux misérables subterfuges
de l’apologique »1.
« Économie et opinion, ce sont là, je crois,
les deux grands éléments de réalité
que le gouvernement aura à manipuler »2.
L’ART DE GOUVERNER
M. Foucault nous a montré qu’à partir du XVIIIe
siècle, l’art de gouverner suppose que la Raison d’État
puisse s’imposer toujours davantage à la population
qu’elle gère dans le grain ténu de leur existence
par une référence toujours plus grande à l’idée
de liberté corrélée avec la mise en place de
dispositifs de sécurité. Il ne s’agit plus d’imposer
des croyances vraies ou fausses auxquelles on demande aux individus
de se soumettre, telle par exemple celle de faire croire aux sujets
en la légitimité d’une souveraineté royale
de droit divin, mais toujours davantage de connaître, de modifier
et de modeler l’opinion de la population à laquelle
il est demandé une servitude volontaire ou une soumission
librement consentie 3.
1 Marx K.(1867).PostfaceauCapital.In:OEuvresIÉconomieI.Paris:Gallimard,1963,p.554.
2. Foucault M. (1977-1978). Sécurité, territoire,
population. Cours au Collège de France. 1977-1978. Paris
: Gallimard, 2004, p. 278.
3. Joule R.-V., Beauvois J.-L. (1998). La soumission librement
consentie. Paris : PUF.
Pour cela, il faut une police des conduites qui prélève,
rapporte, rassemble et analyse des données sur les forces
et les ressources d’une population, ce qu’on appelle
à l’époque la « statistique ».Avant
d’être une science ou une méthode, la statistique
apparaît étymologiquement comme une connaissance de
l’État et par l’État qui estime le potentiel
humain dont il dispose pour le gérer au mieux dans l’exercice
de son pouvoir. La statistique constitue un savoir que l’État
doit constituer à partir d’enquêtes ou de sondages
pour agir sur le comportement des individus conçus comme
sujets économiques, et sur leurs représentations sociales,
individuelles et collectives puisqu’ils sont aussi des sujets
politiques. C’est donc l’activité de l’homme
concret dans le grain le plus fin de son existence qui va faire
l’objet d’un savoir pratique constitutif d’un
guide politique pour l’exercice du pouvoir et d’un guide
moral, normatif, pour la population à laquelle le Pouvoir
se doit de renvoyer en retour les informations qui la concernent.
D’entrée de jeu on voit ici d’une part, comment
les sciences sont convoquées pour construire un savoir sur
la population qui permette l’action politique et l’hygiène
des conduites, et d’autre part, on soulignera comment tous
les médias et leurs réseaux des plus archaïques
aux plus sophistiqués se trouvent invités à
modeler l’opinion que les gens peuvent se faire de la manière
dont ils sont gouvernés.
Nul mieux que M. Foucault n’a su analyser et conceptualiser
les ressorts de cette rationalité gouvernementale moderne
qui articule le nouveau régime de pouvoir mis en place au
XVIIIe siècle, le savoir d’une économie politique
qui l’exige et les dispositifs de sécurité et
de modelage de l’opinion qu’ils requièrent. Et
ce d’autant plus que ce réglage du pouvoir ne s’exerce
plus au nom de la sagesse ou de la vertu, mais toujours davantage
au moyen d’un calcul rationnel qui porte sur la société
civile. Davantage l’art de gouverner limitera ses interventions
dans le champ économique pour ne pas gêner l’autorégulation
naturelle du marché, davantage il se devra de se préoccuper
de la conduite rationnelle de sa population et de constituer la
société civile comme l’objet spécifique
de ses actions. Et cet art de gouverner n’aura de cesse de
promouvoir la figure anthropologique d’un homo economicus
capable de gérer lui-même toutes ses conduites au mieux
de ses intérêts économiques.
Prenons deux exemples concrets pour illustrer cette synergie des
technologies de pouvoir des savoirs scientifiques et du souci de
publicité de la politique à l’égard de
l’opinion.
L’ÉPIDÉMIOLOGIE ET LA BIOPOLITIQUE
Le premier illustre la manière dont les scientifiques peuvent
être tentés d’assurer la promotion de leurs méthodes
ou de leurs disciplines en soulignant l’intérêt
qu’elles contiennent pour l’art de gouverner. On le
sait M. Foucault a montré à plusieurs reprises qu’à
partir du XVIIIe siècle la crise éthique de la modernité,
l’effacement des grands récits religieux, des grands
messages de la transcendance, convoquent la médecine et les
sciences du vivant pour définir de nouvelles normes de vie
conformes au contrôle social des populations.
La santé devient l’objet d’une véritable
attention politique, incitant à la surveillance et à
la rationalisation des corps comme du temps des populations. L’État
invite alors la médecine et les médecins à
participer à de nouvelles technologies de pouvoir qui visent,
au gouvernement, des conduites individuelles et collectives. Simplement,
comme la médecine se trouve constituée de pied en
cap par des théories, des méthodes concurrentes qui
ne s’imposent pas toujours en fonction de leur validité
épistémologique, c’est parfois et plus radicalement
par leur pouvoir idéologique à entrer en résonance
avec l’opinion d’une époque qu’elles parviennent
à avoir « pignon sur rue ».
Notre époque est au pragmatisme du marché
et à la morale utilitaire.
Alorslorsqu’ilfautconvaincredesdécideurspublicsdel’intérêtd’uneméthode
ou d’une théorie, c’est par ce vecteur que l’on
va déplier l’argumentation.
L’épidémiologie a transformé radicalement
les savoirs et les politiques d’hygiène et de santé
publique en faisant imploser la notion de causalité au profit
d’un modèle probabiliste des facteurs de risque. Cette
épidémiologie « mathématisée »
a transformé considérablement la représentation
que chaque individu pouvait se faire de sa santé et de son
bien-être. Le modèle épidémiologique
contient en lui-même les germes d’une biopolitique des
populations en orientant toujours davantage le savoir médical
vers l’action politique et la guidance morale. Dès
1965, D. Schwartz4 soulignait qu’en remplaçant la notion
de cause par celle de facteur de risque, l’épidémiologie
orientait toujours davantage la pratique médicale vers l’action,
l’action préventive bien sûr. Ce que M. Foucault
a nommé « biopolitique », « somatocratie
», « biosocialité » et « biopouvoir
» trouve ici un formidable amplificateur logistique et épistémologique.
Si aujourd’hui, l’épidémiologie et la
santé publique ont le vent en poupe jusqu’à
occuper la plupart des postes décisionnels des grands organismes
chargés de gérer la santé, ce n’est pas
un hasard. Les statistiques sur lesquelles reposent ces savoirs
et ces pratiques sont dès leur origine tournées vers
l’action publique. Non seulement et comme l’a remarqué
M. Foucault, le terme de « statistique » renvoie dès
son origine à ce qui a trait à l’État,
mais encore les promoteurs de son usage en médecine se posent
en hérauts de l’action pragmatique à la façon
anglo saxonne : «Une nouvelle tendance est apparue chez les
épidémiologistes ; elle consiste à remplacer
la notion de cause, qui appartient au domaine de la connaissance,
par la notion de risque, qui peut conduire directement à
l’action »5. C’est la controverse sur les relations
entre cancer du poumon et tabac qui consacre en France dans les
années 1960 et après les pays anglo-saxons, la victoire
des statisticiens et leur sacre dans les dispositifs de gestion
du complexe biomédical. C’est un savoir pratique qui
s’impose ici comme l’opérateur d’une nouvelle
rationalité politique que la médecine ne va plus jamais
quitter. Dès lors, la logique d’intervention et la
logique de calcul vont devenir inséparables dans le champ
des pratiques de santé et de recherche. L’épidémiologie
du risque occupe non seulement le champ traditionnel des pathologies
infectieuses et des épidémies mais aussi celui des
maladies chroniques (cancers et pathologies cardiovasculaires) et
de la prévention généralisée (hypertension,
dyslipidémie, sédentarité…). Leurs méthodologies
sont pratiques, simples, utiles et… « payantes ».
On « brasse » des données et on « trouve
» toujours quelque chose. Il y a du « bon filon »
là-dedans pour une recherche essentiellement préoccupée
par des résultats à court terme.
4. Schwartz D. (1965). Examen critique de l’enquête
étiologique en cancérologie. Oncologia, 19 : 259-267.
5. Gaudillière J.-P. (2002). Inventer la biomédecine.
Paris : La Découverte, p. 238.
Sans devoir sous-estimer les services rendus à la rationalité
médicale, l’usage des statistiques présente
aussi quelques effets « pervers » épistémologiques
et politiques.
Notons pour l’heure que la recomposition des savoirs et des
pratiques de santé procède d’une nouvelle rationalité.
Dans ce changement de paradigme, la médecine s’éloigne
toujours davantage d’une clinique de la pathologie individuelle
au bénéfice d’un gouvernement sanitaire des
populations et de leurs facteurs de risque.
Dans cette mutation anthropologique, la médecine s’éloigne
de la prise en charge singulière d’un patient en relation
avec un médecin, façonné à la fois par
l’art et la science, au profit d’un prestataire de soin
normalisé que le praticien pourrait mettre en oeuvre conformément
aux normes de référence fixées en amont par
les protocoles scientifiques, industriels et sociaux. La médecine
éloigne également la représentation d’un
patient passif et confiant au profit de la représentation
sociale d’un « acteur » de sa santé plus
conforme à l’éthique néolibérale
de notre civilisation contemporaine.
Ici encore, il ne s’agit pas de critiquer de manière
obscurantiste les sciences médicales post-modernes et leur
efficacité, mais de montrer les conséquences anthropologiques
qu’elles produisent sur les pratiques de santé et de
prévention, les recompositions qu’elles favorisent
de nos sensibilités sociales et psychologiques. Et la manière
aussi dont l’opinion peut s’inviter au Banquet des sciences
pour faire entendre ses préférences.
La médicalisation de l’existence que permet la logique
de dépistage des risques et de prévention des maladies
conduit à l’exploitation commerciale d’une hypocondrie
généralisée des populations. Il y a bien sûr
les autotests et leur diffusion dans le public qui préparent
l’opinion à se surveiller pour mieux se gouverner et
en ce sens, ils constituent déjà une initiation sociale
au libéralisme, mais encore on n’arrête pas le
progrès comme le montre l’exemple suivant.
Il s’agit d’une publicité récente pour
un WC électronique6, Washlet, qui tout en assurant un confort
révolutionnaire de relaxation, d’hygiène, d’écologie…,
permettrait non seulement un séchage thermique des fesses,
un « joystick » qui les nettoie de toute souillure,
6. Quinton J.-P. (2006). Un petit coin d’antimatière.
TGV, 84, p. 18.
« un moyen d’apporter un peu de réconfort »,
qui imite avec des haut-parleurs le bruit d’une chasse d’eau,
mais encore grâce à Toto – le numéro un
japonais des WC électroniques – ce dispositif sanitaire
permet d’analyser les selles et l’urine, de mesurer
la pression artérielle et d’évaluer la graisse
corporelle.
«Aller à la selle » devient un « fait
hygiénique total » au sens où M. Mauss parlait
de fait social total. De là à ce que de telles «
évaluations » de santé soient « fichées
» et transmises à des pouvoirs publics ou privés
plus ou moins soucieux de suivre leurs concitoyens…à
la trace ! On imagine sans peine comment cette nouvelle technologie
qui établit une « traçabilité »
des comportements sanitaires et leur gestion socioéconomique,
pourrait renvoyer demain aux calendes grecques les moyens utilisés
naguère pour administrer le vivant…pour le meilleur
et pour le pire.
Le fichage informatique de données hybrides, sociales et
biologiques, ne fait que commencer et inquiète les instances
chargées des questions éthiques.
La multiplication des marqueurs biométriques a conduit tout
récemment, en 2007, le CCNE à rendre un avis (n°98)
sur la « biométrie, données identifiantes et
droits de l’homme ». Dans cet avis, les Sages s’inquiètent
de « la généralisation du recueil d’informations
biométriques et des risques qu’elle comporte pour les
libertés individuelles. […]Malgré leur apparente
neutralité, ces données – notamment celles comportant
des paramètres physiologiques ou psychologiques révélateurs
de l’identité, des goûts ou de l’état
de santé des personnes – peuvent être détournées
en vue d’une surveillance abusive des comportements »7.
Et là par exemple, les choses deviennent plus sérieuses
quand le dépistage génétique participe au recrutement
professionnel…ou quand les sites de rencontre affichent des
données génétiques, participant toujours davantage
à la réification de l’humain.
LA« VEILLE DE L’OPINION »
Le deuxième exemple est tout récent puisqu’il
date de novembre 2008 et concerne notamment deux appels d’offres
lancés l’un par le Service d’Information du Gouvernement
et l’autre par les ministères de l’Éducation
nationale et de l’Enseignement supérieur.
7. Cité par S. Hasendhal : Un avis du CCNE. La hantise sécuritaire
grignote l’espace de liberté. Le Quotidien du médecin
du 4 juin 2007, n°8177.
L’hebdomadaire Marianne et plusieurs blogueurs se sont émus
de ces dispositifs de « veille de l’opinion »,
de mesures d’impact de la marque « Gouvernement »
et de sa pénétration dans les esprits, voire de la
surveillance de plus en plus serrée et dense des journalistes
professionnels et occasionnels.
Le Gouvernement a beau jeu d’insister sur la transparence
de ces opérations qui ne datent pas d’aujourd’hui.
Effectivement, c’est plutôt la mise en forme scientifique
de ces sondages de l’opinion, la création de dispositifs
de veille des risques qu’elle contient par le biais de l’éducation
et de la recherche, d’une obsession de publicité que
le Gouvernement accorde à sa communication qui atteint ici
sa phase obscène de maturité.
Ce n’est plus simplement la police qui veille avec ses «mouchards
» à capter des renseignements sur les risques de révolte
et de contagion du peuple. Ce n’estmême plus le système
numérique planétaire qui explore les communications
interceptées par la collecte d’informations prélevées
à partir des Services centraux de sécurité,
type COMINT (Communications Intelligence) avec des logiciels comme
le logiciel « limier » installé par la NSA (National
Security Agency) dès 19958,mais davantage un dispositif de
mise en forme et de veille sanitaire de l’opinion, des recherches
de sa fabrique et des moyens de sa diffusion propices à la
mise en place d’un véritable marketing politique. Mais
là encore, à l’instar des communications traquées
et traitées par les systèmes de surveillance moderne
des services de renseignement, rien ne vient nous garantir que de
tels dispositifs ne seront pas utilisés à des fins
commerciales ou privées. De même que depuis les années
1960, les informations traitées par les services de renseignement
ont pu être détournées à des fins commerciales
favorisant par exemple les entreprises américaines ou australiennes
aux dépens des entreprises européennes lors de transactions
sur le marché mondial, rien ne garantit qu’en la matière
de veille de l’opinion, les pouvoirs qui les financent n’en
détourneront pas l’usage.
Les priorités du Service d’Information du Gouvernement
dirigé par un publicitaire inscrivent davantage ce dispositif
de veille de l’opinion dans le champ d’une « étude
de marché » que dans celui d’un système
de surveillance.
8. Cf. CampbellD. (2000). Surveillance électronique planétaire.
Paris : Éditions Allia.
Il s’agit, précise le cahier des charges de l’appel
d’offres de la Délégation à la communication
d’une « veille de l’opinion dans les domaines
de l’éducation, de l’enseignement supérieur
et de la recherche »9.
Le dispositif de veille vise en particulier Internet et consiste
à : - Identifier les thèmes stratégiques (pérennes,
prévisibles ou émergents).
- Identifier et analyser les sources stratégiques ou structurant
l’opinion.
- Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte
et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité
à se constituer en réseau.
- Décrypter les sources des débats et leurs modes
de propagation.
-Repérer les informations signifiantes (en particulier les
signaux faibles).
- Suivre les informations signifiantes dans le temps.
- Relever des indicateurs quantitatifs (volume des contributions,
nombre de commentaires, audience, etc.).
- Rapprocher ces informations et les interpréter.
-Anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise.
-Alerter et préconiser en conséquence.
« Les informations signifiantes pertinentes sont celles qui
préfigurent un débat, un “ risque opinion ”
potentiel, une crise ou tout temps fort à venir dans lesquels
les ministères se trouveraient impliqués »10.
En même temps que ce dispositif de veille de l’opinion
définira et analysera les cibles susceptibles de modifier
le marché des sensibilités politiques et la pénétration
de nouveaux besoins en son sein, il devra assurer « un suivi
précis de l’évolution de l’opinion internaute
et des arguments émergents relayés et commentés
sur ce canal ».
C’est-à-dire que ce dispositif est aussi un dispositif
de salubrité morale et publique qui veille à l’hygiène
des opinions qui constituent les campagnes de prévention
des risques épidémiques qui pourraient menacer l’Ordre
et le Progrès de l’action gouvernementale. L’Opinion
est devenue un « risque »… Quelques jours plus
tard, c’est au tour du ministère de l’Éducation
et de l’Enseignement supérieur de lancer un appel d’offres
du même genre visant à anticiper les crises par la
surveillance et le traitement de sources stratégiques pouvant
structurer ou modifier l’opinion.
9. Cahier des clauses particulières CCP n° 2008/57
du 15 octobre 2008.
10. Ibid.
Alors, bien sûr, les blogueurs, les syndicats et les partis
d’opposition ont réagi avec suspicion à ces
appels d’offres. Mais je ferai deux remarques : La première,
c’est que ces appels d’offres ne sont qu’une étape
parmi d’autres des évaluations généralisées
des conduites qui viennent se substituer à une politique
de gouvernement par une administration scientifique et technique
des populations, administration adossée à une promotion
publicitaire des produits gouvernementaux offerts à la consommation
médiatique. Certes l’entrée des publicitaires
dans le champ de l’action politique s’est fortement
accrue au cours de la Ve République en France pour accomplir
« la propagande au quotidien »11 du pouvoir.
Elle a su prendre le relais et les moyens des systèmes totalitaires,
mais elle ne date pas du XXe siècle. La manipulation de l’opinion
par des publicistes commence selon M. Foucault au XVIIe avec les
premières grandes campagnes d’opinion qui ont accompagné
en France la politique mercantiliste de Richelieu : « Richelieu
a inventé la campagne politique par voie de libelles, de
pamphlets, et a inventé cette profession de manipulateurs
de l’opinion que l’on appelait à cette époque
“ les publicistes ”. Naissance des économistes,
naissance des publicistes. Ce sont les deux grands aspects du champ
de réalité, les deux éléments corrélatifs
du champ de réalité qui apparaît comme corrélatif
du gouvernement, l’économie et l’opinion »
12.
L’analyse et la manipulation de l’opinion s’avèrent
inséparables d’une civilisation qui depuis le XVIIe
siècle pose le concept « d’intérêt
» comme concept universel de gouvernement. L’abandon
d’une conception tragique ou vertueuse de la condition humaine
et de la vie sociale suscite l’impératif politique
de connaître les intérêts d’un peuple pour
pouvoir le gouverner. Ce concept d’intérêt s’étend
au cours du XVIIIe siècle du domaine des activités
économiques à celui des penchants de l’opinion
qu’il faut canaliser et manipuler pour maintenir l’ordre
et accomplir le progrès.
Richelieu fait ici figure de visionnaire, quelques siècles
plus tard aucune autoritén’oseraits’exercersansseprévaloirdesintérêtsaumieuxd’unpeuple,
au pire d’une population.
11. Hazan E. (2006). LQR. La propagande du quotidien. Paris :ÉditionsRaisons
d’agir.
12. Foucault M. (1977-1978). Sécurité, territoire,
population. Cours au Collège de France. 1977-1978. Paris
: Gallimard, 2004, p. 278.
Cette idée régulatrice apparue avec le mercantilisme
se révèle comme une nécessité interne
à toutes les formes du capitalisme.
La deuxième remarque me paraît devoir porter sur une
plus grande menace aujourd’hui pour la démocratie.
C’est que dans la formemême de ces appels d’offres,
l’opinion se présente comme le produit d’un marché
dont il faut cibler en quelque sorte les leaders afin d’assurer
la consommation. Et là je rejoins les travaux de B. Stiegler
considérant que : « Le marketing politique, qui répand
la misère politique, s’empare de ces techniques [numérique]
pour en faire des simulacres qui sont la négation même
de cette participation sociale sans laquelle il ne saurait y avoir
de sociation, c’est-à-dire de paix sociale »13.
Ici gouverner ce n’est plus seulement faire croire, faire
de la propagande, c’est promouvoir une vente et adapter ses
produits aux demandes sociales des consommateurs. Le gouvernement
politique devient un pilotage de trader, un oeil rivé sur
les sondages d’opinion et l’autre sur les données
du système de veille de l’opinion pour mieux évaluer
les actions politiques qu’il va vendre ou celles qu’il
va acquérir.
Ce n’est plus la propagande des systèmes totalitaires
qui propagent leur foi dans la construction d’un homme nouveau,
relayant ainsi le magister religieux qui avait employé ce
terme au XVIIe siècle, mais c’est une nouvelle logique
de publicitaire qui s’impose pour vendre à l’opinion
les marques et les produits de ses actions politiques sur le modèle
d’une société de marché.
Nous ne sommes plus dans un art de gouverner qui vise à
promouvoir des normes politiques préalablement établies
par un projet pour la Cité ou la Nation, nous sommes davantage
dans un art de gouverner qui « scannérise » les
normes différentielles des opinions des populations pour
prélever celles qu’il pourra promouvoir au mieux de
ses intérêts et de ceux qui l’ont porté
au pouvoir. Dans ce cas-là, la norme n’est pas première,
elle est seconde et se trouve fabriquée de pied en cap, dans
sa structure et sa fonction, par une logique de marché. On
peut ainsi faire l’éloge au printemps d’un homme
néolibéral entièrement régulé
par la logique du marché et à l’automne lancer
un vibrant appel à l’ingérence du politique
sur le marché financier pour lui fournir le cadre de sa servitude
économique. Ici encore, je rejoins B. Stiegler écrivant
que « le marché a remplacé la philia.
13. Stiegler B. (2006). La télécratie contre la
démocratie. Paris : Flammarion, p. 28.
Et l’on a tout à fait tort, puisque, au lieu de la
remplacer, il l’a détruite. Or, une société
sans philia n’est pas durable – et c’est pourquoi
la société de marché n’est pas viable
»14.
Comment face à ce « populisme industriel » dont
parle justement B. Stiegler ne pas évoquer cette prémonition
d’A. de Tocqueville écrivant : « Les hommes des
temps démocratiques ont besoin d’être libres,
afin de se procurer plus aisément les jouissances matérielles
après lesquelles ils soupirent sans cesse. […]
Lorsque le goût des jouissances matérielles se développe
chez un de ces peuples plus rapidement que les lumières et
que les habitudes de la liberté, il vient un moment où
les hommes sont emportés comme hors d’eux-mêmes,
à la vue de ces biens nouveaux qu’ils sont prêts
à saisir.
Préoccupés du seul soin de faire fortune, ils n’aperçoivent
plus le lien étroit qui unit la fortune particulière
de chacun d’eux à la prospérité de tous.
[…] L’exercice de leurs devoirs politiques leur paraît
un contretemps fâcheux qui les distrait de leur industrie.
[…] Ces gens-là croient suivre la doctrine de l’intérêt,
mais ils ne s’en font qu’une idée grossière,
et, pour mieux veiller à ce qu’ils nomment leurs affaires,
ils négligent la principale qui est de rester maîtres
d’eux-mêmes » 15.
Cette soumission à la logique du marché qui aliène
le citoyen de nos démocraties ne devient-elle pas chez le
responsable politique un véritable crime contre le bien public
et contre l’ordre même qui fonde nos démocraties
?
Depuis son origine, la démocratie se fonde sur une distribution
de la parole qui contribue à l’espace public et qui
depuis les Lumières invite toujours davantage à la
pensée critique et à la réflexion. Or aujourd’hui,
une nouvelle civilisation s’annonce qui tend à confier
aux experts et aux publicitaires le soin de penser à notre
place en fabriquant une opinion majoritaire se faisant passer pour
une vérité ou une norme. La publicité et la
propagande rendent crédibles ce que l’on ne parvient
pas à distinguer comme vérité ou erreur et
la référence aux experts tente de suppléer
au déficit de l’autorité. L’expertise
et la publicité constituent les deux opérateurs qui
émergent d’un univers dépolitisé et qui
tentent en retour de le recoder dans la novlangue d’une logique
de marché.
14. Ibid., p. 76.
15. Tocqueville A. de (1840). De la Démocratie en Amérique
2. Paris : Flammarion, 1981, pp. 175-176.
LES EXPERTS : DES SCRIBES POUR DE NOUVELLES SERVITUDES
?
L’expertisedeviendrait-ellelamatricepermanented’unpouvoirpolitique
qui nous inviterait à consentir librement à nos «
nouvelles servitudes »16 ? L’expertise deviendrait-elle
aujourd’hui le nouveau paradigme civilisateur, modèle
universel d’une morale positive et curative produisant une
mutation sociale profonde comparable à celle que le concept
d’« intérêt » avait su produire au
XVIIe siècle dans l’art de gouverner17 ? Et telle la
notion d’intérêt, le concept d’expertise
poussé au centre de la scène sociale ne détiendrait
son succès et sa promotion idéologique qu’à
la condition expresse de ne pas être défini avec précision.
C’est ainsi que le rapport de mission de Guy Vallancien sur
« la place et le rôle des nouvelles instances hospitalières
»18 dans le cadre de la réforme de la gouvernance des
établissements place l’expertise au coeur du dispositif
de recomposition gestionnaire des hôpitaux. L’expertise
apparaît ici une fois encore comme ce nouveau paradigme qui
permet une « évaluation objective des hommes »
et de leurs actes, seul à même d’améliorer
la « chaîne de production de soins ». Le concept
d’expertise objective, indissociable de la « culture
managériale » dont il provient, en arrive à
jouer en tant que remède le rôle que le foie jouait
naguère dans la cause des maladies pour les médecins
de Molière. Cette évaluation qui se veut objective,
quantitative et « scientifique » rassemble par l’opérateur
de la pensée calculatrice le positivisme des sciences, l’esprit
gestionnaire et comptable et le souci bureaucratique. Ce modèle
d’évaluation n’est-il pas en train de nous conduire
à renoncer à la pensée critique, à la
faculté de juger, de décider, à la liberté
et à la raison au nom desquelles paradoxalement s’installent
ces nouveaux dispositifs de normalisation et de conformisation sociales
?
16.Zarka Y.-C. et Les Intempestifs (2007).Critique des nouvelles
servitudes. Paris : PUF.
17. Hirschman A. O. (1980). Les passions et les intérêts.
Paris : PUF, 2001.
18. Degain J. (2008). Le rapport Vallancien précise le rôle
et les missions des nouvelles instances. Le Quotidien du médecin,
n°8404, p. 4.
Comment ne pas penser aujourd’hui face à la recomposition
des pratiques de soin, de recherche et d’enseignement que
nous sommes en présence d’une nouvelle civilisation19
qui vise à décomposer toute activité humaine
en capitaux et intérêts, pour toujours davantage installer
au coeur de notre quotidien une certaine conception du monde assurant
notamment l’hégémonie d’une culture anglo-américaine
? À la fois pratique sociale et idéologie, l’expertise
assure ainsi une prescription anthropologique au nom d’une
description soi-disant scientifique et objective de la réalité.
Au nom de l’expertise et de la science, on normalise aujourd’hui
simultanément les institutions, l’éducation,
le soin, la culture, la politique et le comportement des professionnels
et des usagers comme on dit qui s’y trouvent. C’est
un vieux rêve du XIXe siècle que d’administrer
scientifiquement le vivant. E. Renan voulait faire de la science
la nouvelle religion qui éclairerait le monde : « La
science qui gouvernera le monde, ce ne sera plus la politique. […]
ORGANISER SCIENTIFIQUEMENT L’HUMANITÉ
, tel est donc le dernier mot de la science moderne, telle est
son audacieuse mais légitime prétention. […]
L’oeuvre universelle de ce qui vit étant de faire Dieu
parfait […]. Il est indubitable que la raison, qui n’a
eu jusqu’ici aucune part à cette oeuvre, laquelle s’est
opérée aveuglément et par la sourde tendance
de ce qui est, la raison, dis-je, prendra un jour en main l’intendance
de cette grande oeuvre et, après avoir organisé l’humanité,
ORGANISERA DIEU »20.
Mettre la science à la place de la religion pour définir
une politique, a conduit dans notre histoire récente aux
pires abominations. Mais de manière moins tragique, dans
nos sociétés modernes le recours à l’expertise
tend à imposer des normes et à les faire intérioriser
par les individus, « par une sorte de pression immense de
l’esprit de tous sur l’intelligence de chacun »
pour prendre la formulation d’A. de Tocqueville.
La norme est une notion polémique et politique qui renvoie
à la fois à une vérité des faits (istina)
et à un jugement d’appréciation de ce qui devrait
être, un jugement de valeur, un jugement normatif (pravda).
Et on peut dire que c’est la confusion permanente de ces deux
sens du mot de
19. Gori R., Del Volgo M.-J. (2008). Exilés de l’intime.
La médecine et la psychiatrie au service du nouvel ordre
économique. Paris : Denoël.
20. Renan E. (1890). L’Avenir de la science. Paris : Flammarion,
1995, p. 106.
« norme » qui permet l’instrumentation des sciences.
Et cette instrumentation des sciences participe à une véritable
économie politique matrice et gestion de l’opinion,
favorisant le gouvernement des hommes.
Les dispositifs statistiques ne changent rien à la chose,
ils ne préservent en rien de cette instrumentation. Toute
norme est immergée dans un monde de valeurs éthiques
et politiques, qu’elle prenne une forme chiffrée ou
qualitative. Comme le rappelle G. Canguilhem, « la quantité
c’est la qualité niée, mais non la qualité
supprimée »21.
La modification constante des normes biologiques expose des populations
entières aux diagnostics de morbidité et de prévention.
Déterminer une norme pour l’hypertension artérielle
ou la densité osseuse, ne se réduit pas à un
acte biologique, cela constitue aussi une décision qui a
des conséquences sociales, économiques, en un mot
anthropologiques.
Pour exemple, lorsqu’en 1974 la Ligue Allemande de Lutte
contre l’hypertension artérielle abaisse la norme de
16/10 à 14/9 elle fait tripler en un seul jour le nombre
de malades à soigner ou à suivre. L’OMS a contribué
à l’élargissement du tableau clinique de l’ostéoporose
en fixant depuis les années 1990 des critères de normalité
de la densité osseuse tels que le nombre de patients vulnérables
ne pouvait que s’accroître et nécessiter de plus
en plus de traitements préventifs. L’ostéoporose
est-elle une maladie ? Sans nul doute. Mais encore convient-il de
préciser qu’après 70 ans chaque individu a perdu
un tiers de sa substance osseuse et un tiers de sa masse musculaire.
On imagine sans peine les enjeux commerciaux de la définition
des normes dans ce cas, comme dans celui des seuils de normalité
des lipides sanguins ou encore des marqueurs plus ou moins sensibles
du diabète.
Prenons pour autre exemple la définition que l’OMS
donne en 1947 de la santé : « La santé comme
un état de complet bien-être physique, mental et social,
qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
» Nous constatons d’une part que cette définition
provient des aspirations culturelles de l’époque, celle
de la Libération, et d’autre part que nos conduites
et nos comportements tendent toujours davantage
21. Canguilhem G. (1943, 1963-66). Essai sur quelques problèmes
concernant le normal et le pathologique (1943) suivi des Nouvelles
réflexions concernant le normal et le pathologique (1963-66).
In : Le normal et le pathologique. Paris : PUF, 1979, p. 66.
à être placés du début à la
fin de la vie sous un magister médical ici véritablement
messianique. À ce titre, c’est un pas supplémentaire
accompli dans la rationalisation de nos existences propres au capitalisme.
M. Weber a montré que d’une part « Nous ne cessons
de constater – y compris pour des sphères de conduite
de vie qui évoluent (apparemment) indépendamment les
unes des autres – que c’est en Occident, et seulement
en Occident que se sont développés certains modes
de rationalisation » 22 et d’autre part que «
liée à la rationalisation de la technique et à
celle du droit, l’émergence du rationalisme économique
fut en effet également tributaire de la capacité et
de la disposition des hommes à adopter des formes spécifiques
de conduite de vie pratique et rationnelle »23.
Cette rationalisation des conduites dans notre civilisation va
toujours davantage prendre la forme d’une médicalisation
de l’existence. C’est bien en ce sens que les normalisations
sociales que permettent les pratiques de santé révèlent
que la notion de « norme » n’est pas seulement
« polémique » (avec G. Canguilhem), mais aussi
« politique » (avec M. Foucault).
Bien évidemment, cela signifie que la médecine, la
psychologie et la psychiatrie, ne sont pas seulement des rationalités
scientifiques ou des pratiques professionnelles, mais qu’elles
sont aussi des pratiques sociales qui participent au gouvernement
des individus et des populations. Il n’y a pas d’Immaculée
Conception des sciences, elles émergent du savoir d’une
époque quand bien même par la suite les découvertes
qu’elles permettent peuvent être validées épistémologiquement.
Il n’empêche, chaque société a un peu
la science qu’elle mérite et elle va toujours davantage
favoriser les courants qui dans cette science entrent le mieux en
complaisance avec les idéologies politiques du moment. Cette
porosité entre le champ de la science et l’idéologie
d’une époque sera d’autant plus prononcée
que les objets et les méthodes de la connaissance se trouvent
sous la dépendance du langage courant et des préoccupations
immédiates. Comment définir la santé par exemple
? La santé ce n’est pas un concept scientifique mais
une notion vulgaire de l’expérience immédiate.
22. Weber M. (1904-1905). L’Éthique protestante et
l’esprit du capitalisme. Paris : Flammarion, 2002, p. 67.
23. Ibid., p. 63.
Quant à la psychopathologie, nous sommes entrés
aujourd’hui dans l’empire des « dys » que
permet la notion molle de « troubles du comportement ».
Cette notion de « troubles du comportement » est venue
se substituer aux grandes entités cliniques de la psychiatrie
classique, névrose, psychose et perversion. Cette flexibilité
que permet cette notion molle de troubles du comportement a permis
ainsi de multiplier par quatre le nombre de pathologies psychiatriques
entre 1952 (une centaine) et 1990 (392). Au point que l’on
ne sait plus aujourd’hui où s’arrête le
pathologique et où commence le subnormal.
Nos diagnostics en psychopathologie en disent au moins autant sur
la « substance éthique » d’une culture
que sur la souffrance des patients et davantage encore sur le mode
de formation des praticiens qui les prennent en charge. C’est
en ce sens par exemple que l’on peut dire comment «
la dépression est devenue une épidémie »24
et plus encore comment sa prise en charge médicamenteuse
s’est progressivement légitimée en médecine
générale 25 à partir de 1975 en déconnectant
les troubles dépressifs des entités psychiatriques
classiques comme la mélancolie, conduisant ce diagnostic
à être posé 7 fois plus souvent. C’est
en ce sens également qu’il s’avère aujourd’hui
impossible de ne pas reconnaître dans les troubles du comportement
portés au spectacle de l’opinion publique – troubles
oppositionnels, troubles de l’attention et hyperactivité,
troubles des conduites, suicide, dépression, addiction, troubles
alimentaires et « dys » de toutes sortes – la
substance éthique de la culture de ceux-là même
qui les posent.
Comment ne pas reconnaître dans le miroir de tels diagnostics
les formes mêmes de la culture dont ils émergent, de
ses savoirs et de son éthique ? Comment ne pas reconnaître
dans ces pathologies du narcissisme accomplissant à l’égard
de soi-même ou d’autrui la violence froide et instrumentale
d’une destruction subjective le désaveu de la réalité
intérieure et intime qui est celui-là même des
modèles psychiatriques contemporains qui prétendent
les expliquer ?
24. Pignarre Ph. (2001).Comment la dépression est devenue
épidémie. Paris : Hachette.
25. Legrand C. (2001). Les modes de légitimation de la prescription
de médicaments psychotropes en médecin egénérale
dans la presse professionnelle depuis 1950.In: A. Ehrenberg, A.-M.
Lovell (Éds.), La maladie mentale en mutation. Paris : Odile
Jacob, pp. 219-228.
Un lien secret et intime rassemble aujourd’hui dans notre
civilisation les formes des symptômes de la souffrance psychique
et les modèles psychiatriques qui tentent d’en rendre
compte : le désaveu de l’Autre auquel le symptôme
s’adresse et que d’une certaine façon il inclut.
C’est ce point aveugle des symptômes psychopathologiques
autant que des modèles et des dispositifs de la santé
mentale contemporaine qui révèle la substance éthique
de notre civilisation.
Ainsi, avec l’expansion des paradigmes actuels de la santé
mentale, l’épidémie des troubles du comportement
progresse-t-elle toujours davantage, en particulier au rythme des
« nouveaux » médicaments mis sur le marché.
Ces médicaments paradoxalement fabriqueraient les diagnostics
davantage qu’ils ne traiteraient les maladies. Au point que
certains auteurs se sont émus de ces manoeuvres de manipulation
de l’industrie pharmaceutique responsables de l’invention
de maladies 26.
Qu’il s’agisse des troubles de l’anxiété
sociale, des troubles déficitaires de l’attention et
de l’hyperactivité, de la dysphorie prémenstruelle,
de la dysfonction érectile, des troubles oppositionnels de
provocation ou de toutes les nouvelles maladies de l’âme,
il s’avère de plus en plus difficile de savoir ce qui
du diagnostic ou du traitement est premier. Davantage la pathologie
se donne dans la flexibilité et la liquidité de ses
frontières, davantage la ligne de partage entre le normal
et le pathologique se trouve brouillée, davantage encore
il est difficile de faire la différence entre la prescription
« thérapeutique » et la prescription «
cosmétique » ou sociale.
Et ce d’autant plus que les « bizarreries » seraient
reconnues comme des troubles « subautistiques » et les
« singularités » comme des « vulnérabilités
subsyndromiques ». Nous retrouvons ici ces modalités
de recomposition actuelle de la norme sous l’effet des nouvelles
sensibilités sociales, culturelles et psychologiques soucieuses
d’effacer les spécificités et les différences.
Les « anormaux » doivent être intégrés
socialement dans des communautés fondées sur des traits
d’anomalies et tous les « normaux » doivent être
suivis à la trace de leurs potentiels d’« anomalies
».
Dès lors que chaque culture dessine un profil de la maladie
mentale, celui-ci se révèle comme le reflet inversé
de la conception non seulement - de la santé mais aussi du
style anthropologique de la société dont il émerge.
26. Blech J. (2003). Les inventeurs de maladies. Arles : Actes
Sud, 2005 ; Pignarre Ph. (2001). Comment la dépression est
devenue épidémie. Op. cit. ; Hugnet G.
(2004). Antidépresseurs. La grande intoxication. Paris :
Le Cherche-Midi.
Dans notre culture c’est ce désaveu de l’Autre
qui oeuvre une fois encore aujourd’hui dans cette novlangue
de la santé mentale transformant les souffrances psychiques
ou sociales en troubles du comportement.
L’économie psychique des symptômes se trouve
réduite à un dysfonctionnement neuronal, à
un déficit neuro-développemental produit par des vulnérabilités
génétiques et développé par de mauvaises
habitudes éducatives.Noussommesicienprésenced’unenouvellephrénologiequipuise
ses racines dans les théories déterministes du XIXe
siècle dont l’idéologie a justifié dans
les systèmes totalitaires les pires pratiques du déshumain.
Concluons sur ce point avec T.W.Adorno : « L’objectivité
dans les relations entre les hommes, qui fait place nette de toute
enjolivure idéologique, est déjà devenue elle-même
une idéologie qui nous invite à traiter les hommes
comme des choses » 27.
Non sans devoir rajouter avec A. de Tocqueville que le despotisme
qui est venu s’établir de nos jours dans nos régimes
démocratiques possède d’autres caractères
que ceux que l’on accordait traditionnellement aux régimes
autoritaires : « Il serait plus étendu et plus doux,
et il dégraderait les hommes sans les tourmenter »28.
D’ailleurs ce despotisme qui asservit nos contemporains concerne
moins les grandes affaires, les grandes choses, que les petits détails
de leur existence quotidienne. C’est d’ailleurs, ce
despotisme-là qu’avait également anticipéA.
de Tocqueville en dénonçant son plus puissant, son
plus dangereux et son plus secret ressort : « La sujétion
dans les petites affaires se manifeste tous les jours et se fait
sentir indistinctement à tous les citoyens. Elle ne les désespère
point ; mais elle les contrarie sans cesse et elle les porte à
renoncer à l’usage de leur volonté. Elle éteint
peu à peu leur esprit et énerve leur âme »
29.
FONCTIONS DE L’ÉCRITURE ET STYLES ANTHROPOLOGIQUES
Les formes de discours et de procédures que l’on trouve
à un moment donné d’une société
définissent un style de savoir qui « n’est pas
la science dans le déplacement successif de ses structures
internes, c’est le champ de son histoire effective »30.
Les institutions comme l’hôpital, l’Université
ou la justice se transforment techniquement, administrativement
et socialement en fonction des styles de savoir propres à
une époque. Car non seulement ce savoir émerge d’une
niche culturelle, mais il participe en retour à la recoder
par la fabrique de nouvelles sensibilités sociales et psychologiques
des individus et des populations.
Cette solidarité des dispositifs institutionnels, des savoirs
et des praxis sociales, s’étend indirectement aux formes
que la science prend à un moment donné pour parvenir
à ses objectifs. Par exemple, J.-P.Vernant31 a montré
que la transformation des pratiques sociales des Grecs entre le
VIe et le début du IIIe siècle avant J.-C. a pu constituer
un événement décisif dans l’histoire
de la pensée grecque et ce quel que soit le domaine dans
lequel elle s’est exercée. L’isonomia qui fait
de chaque citoyen un semblable est venue favoriser l’émergence
de la démocratie organisée autour de l’agora
de la Cité et a constitué un élément
de civilisation déterminant pour tous les secteurs de vie
et de pensée. La Cité réglée par l’isonomia
devient un modèle, une catégorie de penser le monde,
le rapport à soi-même et aux autres. L’acte de
naissance de cette forme de rationalité propre à la
pensée grecque de cette époque permet de penser l’ordre
du monde physique, social et humain selon le même modèle
: rapport de symétrie, d’équilibre et d’égalité
entre les différents éléments qui les composent.
J.-P. Vernant montre que « De fait, c’est sur le plan
politique que la Raison, en Grèce, s’est tout d’abord
exprimée, constituée, formée » et «
en fournissant aux citoyens le cadre dans lequel ils concevaient
leurs rapports réciproques, la pensée politique a[-t-elle]
du même coup orienté et façonné les démarches
de leur esprit dans d’autres domaines »32.
30. Foucault M. (1954-1969).Dits et écrits I. 1954-1969.
Paris:Gallimard,1994, p. 725.
31. Vernant J.-P. (1962). Les Origines de la pensée grecque.
Paris : PUF, 2007.
32. Ibid., pp. 131-132.
La philosophie, la logique, les mathématiques, la physique,
la justice, l’art, la médecine, l’architecture,
se transforment en miroir des pratiques sociales qui tendent au
quotidien à s’imposer dans la Cité. Les concepts
même de loi, d’écriture, de vertu, de vérité
et de preuve, d’administration, de monnaie, de raison, d’espace
etc., se transforment sous la pression d’un savoir qui fait
de la tempérance, de la mesure, du juste milieu, les conditions
nécessaires pour rendre le monde intelligible et le rapport
aux autres et à soi-même raisonnable. Cette géométrisation
rationnelle et abstraite du monde constitue l’artifice par
lequel s’établit une communauté de savoir entre
des réalités différentes. Le calcul raisonné,
l’astronomie, l’architecture, la médecine, la
philosophie et la démocratie émergent progressivement
de ce savoir rationnel dans le cadre duquel leurs cohérences
particulières s’élaborent. Et chacun de ces
domaines fait apparaître, avec les procédures qui lui
sont propres, les connaissances, les pratiques et les objets qui
sont les siens à condition que leurs profils – que
je dirai ontologiques – puissent être admis, au moins
un temps et en partie, par cette épistémè.
Cette nouvelle raison grecque en même temps qu’elle
fabrique un Homme Nouveau redistribue le statut et la fonction de
la parole et de l’écriture. La démocratie se
révèle comme une manière de s’y prendre
dans les distributions de la parole qui fait de chaque semblable
un citoyen, un « animal politique » ayant le devoir
et le droit de faire reconnaître la rationalité de
ses arguments. En ce sens, l’écriture constitue l’instrument
par lequel la Cité garde en mémoire les lois et les
rituels propres à cette rationalité collectivement
acquise. L’écriture s’y révèle
seconde par rapport à la parole qui constitue authentiquement
la technique par laquelle la raison s’édifie en tant
que « fille de la cité ».
L’avènement de cette forme de rationalité s’est
réalisé avec le déclin de la pensée
mythique et de l’organisation sociale de cette civilisation
palatiale propre en particulier à la Grèce des «
temps obscurs ». Dans l’économie palatiale la
vie sociale est centrée par Palais, autour duquel se concentrent
non seulement la vie économique, militaire, religieuse, mais
encore les dispositifs administratifs, comptables et de contrôle.
Le personnel administratif avec ses techniques de comptabilité
et ses réglementations strictes de la vie économique
et sociale est entièrement au service des monarques. Tout
ce système de contrôle repose sur l’emploi de
l’écriture et la constitution d’archives transformées
en formidables instruments de puissance de l’État sur
un territoire, une population et des individus. J.-P. Vernant met
en évidence l’importance des scribes, en particulier
crétois passés au service des dynasties mycéniennes
dans la mise en place de ses moyens de contrôle et de réglementation.
Or comme le remarque J.-P. Vernant, dans la chute de l’Empire
mycénien c’est le système palatial tout entier
qui s’écroule avec son appareil administratif au point
que « l’écriture elle-même disparaît,
comme engloutie dans la ruine des palais »33. Quand les Grecs
redécouvrent l’écriture vers la fin du IXe siècle
avant J.-C. en l’empruntant cette fois aux Phéniciens,
sa « signification anthropologique » n’est plus
la même : « Ce ne sera pas seulement une écriture
d’un type différent, phonétique, mais un fait
de civilisation radicalement autre : non plus la spécialité
d’une classe de scribes, mais l’élément
d’une culture commune. Sa signification sociale et psychologique
se sera aussi transformée – on pourrait dire inversée
: l’écriture n’aura plus pour objet de constituer
à l’usage du roi des archives dans le secret d’un
palais ; elle répondra désormais à une fonction
de publicité ; elle va permettre de divulguer, de placer
également sous le regard de tous, les divers aspects de la
vie sociale et politique »34.
L’expression de « fait de civilisation » qui
surgit sous la plume de J.-P. Vernant me permet de rapprocher sa
thèse des analyses qu’après M. Foucault je tente
ici de réaliser entre les formes de pouvoir et les formes
de savoir.
Tout au long de ce travail, j’ai essayé de montrer
que nous étions peut-être aujourd’hui avec le
paradigme de l’évaluation généralisée
face à une mutation anthropologique. Alors pour conclure,
il conviendrait peut être de se demander si dans nos sociétés
actuelles de contrôle et de normalisation sécuritaires
dont les dispositifs d’évaluation constituent la nouvelle
étape, les experts ne seraient pas les scribes de nos «
nouvelles servitudes »35. Les nouveaux scribes, non d’un
pouvoir disciplinaire et souverain étendant son contrôle
sur un territoire géographiquement bien délimité
et son emprise sur des populations hiérarchisées,
mais les scribes d’un pouvoir réticulaire, liquide,
flexible, mobile, sécuritaire, annihilant l’espace
par le temps et d’expansion illimitée.
33. Ibid., p. 31.
34. Ibid., pp. 31-32.
35. Zarka Y.-C. et Les Intempestifs (2007). Critique des nouvelles
servitudes. Op. cit.
Pouvoir qui viendrait abolir la liberté et l’égalité
réelles au nom même de leur valeur formelle et qui
par cette nouvelle catégorie de pensée de l’expertise
assurerait sa domination sur des populations précaires, mal
définies, en constante évolution au nom même
de leur bien-être et de leur sécurité. L’écriture
pourrait alors acquérir aux dépens de la parole une
formidable puissance de contrôle et d’asservissement
au nom même de la liberté du contrat comme de la nécessité
de protéger et de suivre les populations. Si tel était
le cas, cette mutation des fonctions respectives de l’écriture
et de la parole, leur redistribution en miroir de celle qui a accompagné
la naissance de la Polis, constituerait un fait de civilisation
à l’horizon duquel se profilerait une menace sur les
fondements mêmes de notre démocratie. Les scribes de
ces « nouvelles servitudes » tendraient alors à
consolider et à étendre le pouvoir sécuritaire
d’un nouvel empire dont la religion serait le profit à
court terme, le rituel l’administration scientifique du vivant
et la lingua franca probablement l’anglo-américain.
DE LA RESPONSABILITÉ DES MÉDIAS
N’en déplaise à Patrick Le Lay, PDG de TF1
qui en 2004 considérait qu’« à la base,
le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par
exemple, à vendre son produit » par un message publicitaire
qui se doit d’être perçu à condition «
que le cerveau du téléspectateur soit disponible »
et que la vocation de la télévision, c’est «
de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir,
de le détendre pour le préparer entre deux messages.
Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de
cerveau humain disponible », je considère pour ma part
que les médias ont une responsabilité essentielle
pour refonder au quotidien le lien social et maintenir un espace
démocratique.
Je crois que là encore je rejoins B. Stiegler pour considérer
que les industries de programme, que la télécratie
menace sérieusement la démocratie. J’ajouterai
pour ma part qu’on ne peut dissocier l’émergence
de certaines pathologies, que j’ai proposé d’appeler
« pathologies du nihilisme », de cette menace que constitue
la télécratie.
Prenons par exemple le happy slapping ou le snuff movies, comment
ne pas y voir la jouissance frénétique de l’horreur
de ne pouvoir se représenter ce que l’on met en image
autrement qu’en imposant transitivement à l’autre
dans un script de violence ce que l’on ne peut éprouver
et mettre en mémoire. On ne saurait de mon point de vue dissocier
les enveloppes formelles des symptômes, des souffrances psychiques
et sociales de la culture dans laquelle elles se fabriquent. Il
y a véritablement une niche culturelle des pathologies, et
les tentatives actuelles pour médicaliser les troubles du
comportement n’en constituent que le désaveu le plus
obscène.
Les médias, la télévision, ne font pas que
divertir, ils informent dans et par une écriture dont l’origine
est toujours celle qui dans la Cité grecque est venue garantir
la loi et donner naissance à un espace de pensée autant
qu’à une manière d’être sociale.
C’est un point fondamental. Ou bien les journalistes se font
les scribes de nos « nouvelles servitudes » à
l’instar, à l’image des scribes du pouvoir des
palais qui rangeaient, archivaient et administraient les ressources
de l’empire mycénien ou bien ils se font les écrivains
et les garants des lois qui permettent le débat démocratique.
Pédagogues d’un débat démocratique ou
scribes des industries des programmes, là est le choix.
L’apparition de la Cité n’a pas été
qu’une manière sociale de vivre mais s’est constituée,
comme nous l’avons vu avec J.-P. Vernant 36, comme une forme
neuve de pensée, celle de la pensée rationnelle. C’est
le forum démocratique qui a permis une pensée rationnelle
projetant sur le monde un modèle d’intelligibilité
dont les mathématiques se sont avérées les
instruments.
Donc ne nous y trompons pas, notre manière sociale de vivre
et les rapports que nous entretenons avec la parole et l’écriture
déterminent tout autant notre mode de penser le monde que
notre manière éthique d’entrer en rapport avec
nous-mêmes et les autres. Hegel décrivait le monde
moderne comme un mode de vie dans lequel à la prière
du matin s’est substituée la lecture du journal. Aujourd’hui
plus que jamais notre manière de penser dépend étroitement
des médias qui sont venus remplacer les précepteurs,
les conseillers, les religieux et parfois les parents.
A. de Tocqueville encore nous rappelait qu’« Il est
vrai que tout homme qui reçoit une opinion sur la parole
d’autrui met son esprit en esclavage ; mais c’est une
servitude salutaire qui permet de faire un bon usage de la liberté
» 37.
36. Vernant J.-P. (1962). Les Origines de la pensée grecque.
Op. cit.
37. Tocqueville A. de (1840). De la Démocratie en Amérique.
Op. cit., p. 16.
Ce qui suppose que loin de se conformer au pouvoir absolu de la
majorité et des normes qu’aucune science ne saurait
définitivement garantir, les humains parlent, débattent,
réfléchissent, sans que la foi dans l’opinion
commune « y devienne une sorte de religion dont la majorité
serait le prophète »38 et que ce soit au nom de la
liberté, comme le remarque Y.-C. Zarka, que s’établissent
de « nouvelles servitudes »39.
Encore A. de Tocqueville : « Si, à la place de toutes
les puissances diverses qui gênaient ou retardaient outre
mesure l’essor de la raison individuelle, les peuples démocratiques
substituaient le pouvoir absolu d’une majorité, le
mal n’aurait fait que changer de caractère. Les hommes
n’auraient point trouvé le moyen de vivre indépendants
; ils auraient seulement découvert, chose difficile, une
nouvelle physionomie de la servitude. […] Pour moi, quand
je sens la main du pouvoir qui s’appesantit sur mon front,
il m’importe peu de savoir qui m’opprime, et je ne suis
pas mieux disposé à passer ma tête dans le joug,
parce qu’un million de bras me le présentent »
40.
On me rétorquera que jamais autant qu’aujourd’hui
s’est imposée une liberté d’informer et
que nous souffrons moins de censure que de surinformation .À
quoi je répondrai que la liberté d’informer
n’est pas tout à fait la même chose que la liberté
de parole qui suppose un débat et un dialogue. La surinformation,
c’est ce qui produit justement des faux crédibles,
et qui ne permet plus le travail d’appropriation de la vérité
par la pensée, la réflexion et la mémoire.
C’est même, me semble-t-il, la forme privilégiée
que prend aujourd’hui la censure dans nos sociétés
occidentales, moins la répression que la stimulation. Je
trouve chez M. Foucault quelques lignes qui vont dans ce sens. On
lui fait remarquer que le Pouvoir a peut-être récupéré
le corps et la sexualité par la pornographie et la publicité
après que les institutions sociales les aient systématiquement
quadrillés et maîtrisés. Il répond :
« Je ne suis pas tout à fait d’accord pour parler
de “ récupération ”.
C’est le développement stratégique normal d’une
lutte »41. Et il poursuit : qu’après avoir fait
l’objet d’une surveillance et d’une récupération,
la sexualité et le corps sont devenus les enjeux d’une
révolte des enfants et des individus contre les instances
de contrôle.
38. Ibid., p. 18.
39. Zarka Y.-C. et Les Intempestifs (2007). Critique des nouvelles
servitudes. Op. cit.
40. Tocqueville A. de (1840). De la Démocratie en Amérique.
Op. cit., p. 19.
41. Foucault M. (1970-1975).Dits et écrits II. 1970-1975.
Paris : Gallimard, 1994, p. 755.
À quoi « Par une exploitation économique (et
peut-être idéologique) de l’érotisation,
depuis les produits de bronzage jusqu’aux films pornos…En
réponse même à la révolte du corps, vous
trouvez un nouvel investissement qui ne se présente plus
sous la forme du contrôle-répression, mais sous celle
du contrôle stimulation : “ Mets-toi nu… mais
sois mince, beau, bronzé ! ” À tout mouvement
d’un des deux adversaires répond le mouvement de l’autre
»42.
42. Ibid.,
Voilà la nouvelle forme que prend la censure dans nos sociétés
modernes : le contrôle-stimulation et on dira après
que ce sont les enfants qui sont hyperactifs…C’est peut-être
moins en empilant les informations contradictoires offertes à
la consommation de cerveaux disponibles, avides de divertissements
et d’oublis de leur condition tragique, de leur aliénation
sociale que l’on restituera à la démocratie
ses prérogatives, mais plutôt en laissant une place
à la docte ignorance socratique qui invite les hommes à
se parler.
Je conclurai avec R. Char : « À tous les repas pris
en commun nous invitons la liberté à s’asseoir.
La place demeure vide mais le couvert reste mis.»
Roland Gori
1, av. du Prado
13006 Marseille, France
roland.gori at wanadoo.fr
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