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Origine : http://www.serpsy.org/des_livres/livres_03/gentis.html
Les schizophrènes
Cet ouvrage, depuis longtemps introuvable, est un "classique"
paru aux éditions du Scarabée en 1969. Il a pour ambition
d'être essentiellement pratique en apportant des éléments
concrets pour aider ceux, professionnels mais aussi familles, qui
soignent et accompagnent au quotidien des personnes schizophrènes.
"C'est une question très ardue, car ces malades sont
fort difficiles à comprendre, ils sont souvent extrêmement
compliqués et déconcertants, et leur traitement est
une des tâches les plus dures et les plus ingrates qui soient
en psychiatrie."
Les éditions Erès nous offre la réédition
de la toute première version de ce livre consacré
aux schizophrènes. C'est Pierre Delion qui propose dans la
préface un commentaire qui met en avant combien ce livre
est d'actualité.
Le texte à l'origine était destiné aux infirmiers
psychiatriques, mais il est à conseiller à toutes
personnes amenées à s'occuper de schizophrène.
Roger Gentis s'est formé avec François Tosquelles
à St Alban, puis lui a succédé. Il a travaillé
aussi avec Jean Oury, Horace Torrubia et a participé à
la création de la psychiatrie de secteur.
Gentis commence son ouvrage par les préjugés à
liquider. Le premier est " Le plus grave et le plus nuisible
des préjugés, c'est que le schizophrène n'est
pas guérissable " Ce préjugé dit Gentis,
a été pendant longtemps partagé et renforcé
par les psychiatres qui étaient obnubilés par ce qu'ils
voyaient de l'asile et ne réalisaient pas que si tant de
patients devenaient chroniques c'était avant tout parce que
l'asile était mal organisé. Le second préjugé
serait de penser que les patients ont perdu toute affectivité,
qu'ils sont devenus indifférents ou inaffectifs. En acceptant
l'illusion de leur " vide affectif ", on jetait un voile
sur leur angoisse profonde et sur les raisons de cette angoisse.
Cette angoisse qui d'ailleurs peut aussi profondément angoisser
ceux qui les approchent et les entraîner dans des réactions
de défense.
Le troisième préjugé est de penser que la schizophrénie
est une maladie bien définie, bien caractérisée,
qui a sa place dans la panoplie des maladies mentales. La seule
chose qui les définit c'est l'asile, c'est le seul lieu où
ils sont semblables. A par les schizophrènes asilaires, chaque
fois que l'on rencontre un schizophrène, à chaque
fois, il faut réinventer le soin. Il va falloir s'adapter
à lui, improviser, inventer parfois même une nouvelle
méthode, une nouvelle façon de faire.
Pour nous donner une idée de l'angoisse schizophrénique,
Gentis nous fait remonter à l'origine même de l'individu.
Il prend soin de nous faire voyager autour de la construction de
l'appareil psychique de l'enfant. Ce qui est sûr dit-il, c'est
que le malade édifie sa personnalité et organise son
existence de façon à étouffer le plus possible
son angoisse. Il va s'agir pour Gentis, de prendre en charge l'angoisse
de façon à re-mobiliser le patient dans une trajectoire
de guérison mais non pas de stabilisation.
Un autre chapitre nous propose une lecture de l'histoire de la
maladie, dont l'évolution se fait par poussées plus
ou moins aiguës séparées par des périodes
de stabilisation. Il s'agit toujours de la lutte du patient, son
combat intérieur contre son angoisse schizophrénique.
La chronicité du schizophrène que l'on perçoit
à l'hôpital ou même à son domicile est
" aussi celle de tout le personnel qui l'entoure et celle de
toute la structure de l'hôpital ". Ce qui crée
la chronicité serait une espèce de complicité
entre le patient et son milieu. La vie asilaire permet l'élimination
de l'angoisse schizophrénique mais le prix à payer
est trop lourd.
Le dernier chapitre nous emmène dans le soin, le traitement
du schizophrène. L'idéal : dépistage précoce,
bonne information du public, disparition des préjugés,
des craintes et des superstitions qui entourent la psychiatrie.
Gentis se projète dans l'avenir et pense qu'il y sera possible
de faire de la prévention de la schizophrénie en dépistant
très tôt ce qui permettrait une entrée en soin
rapide et efficace.
Entre autre et pour anecdote (petite pointe d'humour à destination
des hospitaliers ), Gentis signale que beaucoup de gens " sont
entretenus dans un état d'anxiété chronique
par une organisation entièrement fondée sur le contrôle
tatillon, la défiance généralisée et
la sanction morale inhérente à la notation "
Problème de mettre les agents en position infantile qui entraîne
l'inertie que chacun dénonce par ailleurs.
Gentis pense qu'on ne peut pas soigner correctement si on ne réalise
pas une hygiène élémentaire du milieu de base,
c'est à dire création de lieu de parole, des endroits,
des circonstances où ce qui était informulés
peut-être dit. Il ajoute que si on n'arrive pas à établir
ce climat d'ensemble, il faut une atmosphère qui permette
à chacun quelque soit sa place et son statut de pouvoir dire
vraiment ce qu'il ressent, ce qu'il pense.
Petit livre, certes, mais vraiment pertinent et toujours d'actualité…
Marie Leyreloup
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