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Sexe, genre et domination masculine
Régis Dauxois

Origine : échange mail avec l'auteur


Les travaux sur le genre se sont considérablement enrichis ces dernières années. Toutefois, peu d'ouvrages lient les différentes approches en sociologie, anthropologie, psychologie. Pire, nous assistons à une quasi-guerre de tranchées entre certains sociologues et psychologues. Les premiers accusent les seconds de sous-estimer systématiquement le poids de l’environnement social. A l’inverse, les psychologues accusent régulièrement les sociologues de ne pas prendre suffisamment en compte les conséquences psychiques de la différence anatomique des sexes dans la formation de l’identité… Dans « Sexe, genre et domination masculine », je tente de présenter une synthèse, de la façon la plus pédagogique possible, sur ce sujet complexe.

Des travaux à contre-courant des « vérités » essentialistes

L'assise des études sur le genre est encore fragile. Rappelons simplement qu’à l’inverse de la théorie de « l’essence féminine éternelle » (postulat de « l’essentialisme »), le genre désigne « le fait psychologique » par lequel un sujet se sent femme ou homme et se comporte comme tel / telle. Le genre est donc une construction (d’où le « constructionnisme »), une catégorie mentale, qui peut être déconstruite. Mais parler aujourd'hui de « déconstruction du genre », même dans une société qui a largement évolué en matière de « permissivité », est toujours perçu comme une profanation de l'ordre symbolique et sexuel établi. Les messages et les modèles visant à pérenniser une mise en scène précise de la différence des sexes sont omniprésents dans les médias, les conversations quotidiennes, les jouets des enfants, la mode, l'orientation scolaire, la partition des tâches ménagères, la division sexuelle du travail...

Des scientifiques contribuent aussi largement à entretenir le mythe essentialiste. Divers travaux de recherche, dans les champs de la neurobiologie, de la génétique ou de la psychologie cognitive, tentent de « naturaliser » les différences hommes/femmes, de « prouver » que si des différences de comportements ou de « capacités cognitives » sont observables, elles seraient dues à l'action des gènes et des hormones, ou à une organisation neuronale sexuée (on retrouve ici la vieille théorie des « deux cerveaux »).

Pourtant, il suffit de prendre en compte les travaux anthropologiques de M. Mead et de bien d'autres pour comprendre combien la différence des sexes fait l'objet de mises en scène variées selon les régions du monde et les époques. Les signes de la masculinité ou de la féminité, tout comme la division sexuelle du travail et les traditions d'orientation scolaire, n'ont rien de « naturels » ! Il s'agit bien de constructions sociales.

Le genre, entre culture et corporéité

Cela ne veut pas dire pour autant que notre corporéité n'aurait rien à voir avec la construction de nos identités sexuelles. En fait, il s'avère que le genre – dans toutes ses diversités selon les cultures – procède par un étayage sur la différence des sexes. Mais, comme l'a fort bien développé C. Castoriadis dans L'institution imaginaire de la société, le fait naturel, celui d'être génitalement un homme ou une femme, ne détermine pas ce que va être le travail de symbolisation et d'élaboration des représentations de « ce que sont censés être les hommes et les femmes ». Au risque d'être schématique, nous pouvons dire que le fait naturel fournit un matériel, qui n'a pas de sens en lui-même mais qui va alimenter l'imaginaire social. L'humain va improviser avec ces premiers éléments somatiques ; l'homme va pouvoir en conclure des analogies simples (puisque je suis pénétrant, je suis le dominant...) mais rien ne l'empêche de construire des « images » de son sexe sans les lier à des rapports de domination. C'est en fait la trame culturelle dans laquelle nous baignons qui va orienter la construction des représentations.

Le mythe de la « complémentarité »

Et c'est là que se situe le cœur du problème : cette trame culturelle est incontestablement androcentrique (primat du masculin). Bien entendu, nous dira-t-on – et à juste titre – les « choses » évoluent. Certes, mais même dans les sociétés comme la nôtre où les discriminations sur le plan juridique ont (quasiment) toutes été abolies, la domination masculine demeure un phénomène massif. Le sexe mâle y est considéré comme le premier sexe, le prototype du genre humain. En cela, le genre n'est pas une construction neutre qui pourrait se concevoir sur le registre de la « complémentarité » des sexes. Le genre s'inscrit toujours dans un système de relations asymétriques. Les études sociologiques, notamment sur le travail de care (relation d'aide), montrent comment les femmes sont « invitées » à se contenter des rôles d'appui, d'intendance. Drôle de « complémentarité » que celle qui consiste à servir de faire-valoir à l'homme puissant, à sacrifier sa carrière professionnelle et son autonomie financière pour assurer les tâches de maternage, à abandonner la politique et la sphère publique aux hommes pour incarner l'univers des émotions et de la « sensibilité »... Le phénomène d'hétérogamie, bien connu en sociologie, est une autre preuve de cette asymétrie fondamentale du genre. Selon ce principe, une femme doit implicitement rechercher un compagnon mâle de statut égal ou supérieur au sien, tandis qu'un homme privilégiera plutôt une partenaire de statut égal ou inférieur au sien...

Il demeure une question récurrente : comment expliquer le processus de construction historique du patriarcat et de la domination masculine ?

Interrogations sur les « origines » de la domination masculine

Mon hypothèse est que le système androcentrique trouve ses racines dans une conjonction de facteurs. D'abord, l'homme se retrouve d'emblée confrontés à des peurs spécifiques : son sexe est visible, proéminent, le sexe de la femme est rentré, « invisible », ses menstruations l'effraie ; le coït peut signifier pour lui le retour aux origines, le fantasme d'être absorbé par une matrice avide... Comme le rappelle Jean Cournut, les hommes ne « comprennent rien » à la sexualité féminine. Ensuite, la construction de son identité sexuée va s'avérer bien plus difficile pour lui que pour elle car il doit s'arracher du bain féminin originel, alors que la femme, née d'une femme, reste femme... Lui, il doit devenir « autre chose ». Cela le conduire des attitudes / comportements de « protestation virile » (A. Adler). Incertain de sa paternité, toujours menacé par le spectre de l'impuissance, l'homme doit continuellement se rassurer et (se) prouver qu'il est bien un homme... Toutefois ces explications d'ordre psychologique semblent insuffisantes pour expliquer à elles seules pourquoi et comment la domination masculine s'est imposée et à perdurer à travers les siècles. Pour en comprendre sa « genèse », nous devons sortir du champ des facteurs intrinsèques aux relations hommes-femmes ; ne pas nous limiter aux jeux des représentations subjectives de l'Un vis-à-vis de l'Autre. En effet, quand l'aliénation et la soumission à l'Autorité sont la règle, chaque groupe social imagine et teste des stratégies pour asseoir sa suprématie sur d'autres.

Ainsi, la domination masculine pourrait être lue comme la déclinaison d’une domination plus globale, dans des sociétés basées sur des rapports de violence sociale, d’autoritarisme, d’oppression politique et d'exploitation économique. Ce n’est donc pas parce qu’une société ne reconnaîtrait pas les femmes qu’elle serait moins « solidaire » (contrairement à ce qu’ont pu supposer certaines tendances du mouvement féministe). C’est la carence de solidarité, le faible degré de coopération et d’entraide, qui favoriseraient le développement d’une domination masculine. C'est le processus d'interaction entre les dynamiques de dominance et les facteurs psychologiques qui pourrait être considéré comme la principale explication de la victoire historique du patriarcat...

Régis Dauxois

Blog : http://regisdauxois.blogspot.com