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L'insécurité sociale - qu'est ce qu'être protégé ? par Robert Castel
Note de lecture

"Le livre est mince, le sujet brûlant, la collection polémique (1) et l'auteur a du crédit : assurément l'Insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ? de Robert Castel ne devrait pas passer inaperçu. Il veut y éclaircir un paradoxe : plus il y a de sécurité, plus on en redemande sur le plan civil, alors que, sur le plan social, on laisse s'effriter des pans entiers de protections collectives. Ces deux ordres de sécurité ne sont pourtant pas opposés mais doivent aller de concert. Le sociologue en fait la démonstration en retraçant le processus par lequel l'Etat moderne s'est constitué d'abord comme un formidable réducteur de risques civils et, dans un second temps, à partir du XIXe siècle, comme un réducteur de risques sociaux - avec la mise en place des droits et des protections du même nom. Aussi a-t-on pu juguler l'insécurité sociale en inscrivant les individus dans des collectifs protecteurs et en dégageant leur horizon au-delà de la survie quotidienne. « Cette capacité de maîtriser l'avenir me paraît essentielle,écrit Castel, dans une perspective de lutte contre l'insécurité sociale. Elle fonctionne tant que le développement de la société salariale paraît s'inscrire dans une trajectoire ascendante qui maximise le stock des ressources communes et renforce le rôle de l'Etat comme régulateur de ces transformations. » Ces deux systèmes de protection ont commencé à diverger sérieusement il y a un quart de siècle, au sein de ce que Castel appelle l'« Etat national social ». A présent, les dispositifs de sécurité publique ont tendance à se renforcer alors que les systèmes de protections sociales s'affaiblissent, suivant en cela l'érosion du travail salarié qui en a été le fondement - comme si on pouvait avoir en même temps l'Etat minimal et l'Etat gendarme.

Le diagnostic de Castel est tranché : « Ce qui se joue à travers la mutation du capitalisme qui a commencé à produire ses effets au début des années soixante-dix, c'est fondamentalement une mise en mobilité généralisée des relations de travail, des carrières professionnelles et des protections at-tachées au statut de l'emploi. Dynamique profonde qui est, simultanément, de décollectivisation, de réindividualisation et d'insécurisation. » Peu de monde peut y trouver évidemment son intérêt, car la sécurité est devenue comme une seconde nature pour tout un chacun, d'où « la naïveté de l'idéologie néolibérale dominante. Elle omet de prendre en compte le fait essentiel que l'individu contemporain a été profondément façonné par des régulations étatiques. Il ne peut pas tenir debout, si l'on ose dire, tout seul, parce qu'il est comme infusé et traversé par les systèmes collectifs de sécurisation montés par l'Etat social ». Faut-il envisager dès lors un système de protection sociale déconnecté du travail et s'appliquant, tel un droit au secours, aux sujets les plus exposés à la désocialisation ? Partisan de la continuité des droits, mais conscient que la mobilité du travail est loin de s'estomper, Castel préconise un « statut de l'emploi » qui devrait constituer le socle d'une citoyenneté refondée et assurer un couplage fort entre droits et protections.

Robert Castel débouche sur deux propositions en apparence contradictoires mais complémentaires : « Dénoncer l'inflation du souci de sécurité, et affirmer l'importance essentielle du besoin de protection. » Si l'insécurité quotidienne est injustifiable, et donc à combattre, il faut aussi se battre contre l'insécurité sociale. Le travail a perdu de sa consistance mais certes pas de son importance, dit Castel - qui n'a pas de recettes miracles, mais des principes fermes. Féru d'histoire, il est le contraire d'un passéiste : la profondeur des changements de la société salariale est telle qu'il lui semble impossible de laisser en l'état les dispositifs sur lesquels elle se fonde. L'enjeu, il le situe dès lors à l'intersection du travail et du marché, et la solution dans une nouvelle articulation de l'un et de l'autre avec un Etat qui aura su (re)prendre ses responsabilités. Aussi la flexibilité cesserait-elle de concerner uniquement le travail, pour s'appliquer également à l'Etat comme au marché. Ce qui n'est pas gagné d'avance."

Par Jean-Baptiste MARONGIU Libération - jeudi 02 octobre 2003

(1) Dans laquelle est notamment paru, l'an dernier, le Rappel à l'ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires de Daniel Lindenberg.

ROBERT CASTEL L'Insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ? La République des idées/Seuil, 96 pp., 10,5 .


Le lien d'origine : http://www.gauches.net/article237.html