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L'Insécurité sociale Qu'est-ce qu'être protégé
? Robert Castel
"La République des idées", Seuil, 96 p.,
10,50 E . bibliographie
Voici un essai bref, remarquable, manifestement hanté par
le souvenir de la présidentielle de 2002. Le sociologue Robert
Castel y revient sur le thème qui avait alors dominé
les débats au point d'y "frôler le délire",
à savoir l'insécurité. D'abord pour en "réaffirmer
avec fermeté" le ressort éminemment social :
précarité et chômage rongent les anciennes solidarités
collectives, barrant de jour en jour un peu plus l'horizon de chaque
individu. Mais aussi pour sonder sa signification symbolique et
politique : une exténuation lancinante des espérances
futures, laquelle promet un bel avenir aux militants du pire.
Mobilisant les classiques de la pensée libérale (Hobbes,
Locke), L'Insécurité socialeexplore l'esprit démocratique
en ses apories modernes - les tensions entre Etat de droit et Etat
répressif, ou encore le clivage propriétaires/non-propriétaires
comme "non-dit" fondateur. Ainsi l'auteur retrace-t-il
l'histoire du "besoin de sécurité", depuis
les "protections rapprochées" des sociétés
préindustrielles jusqu'à la "prolifération
contemporaine d'une aversion au risque". Cela posé,
il constate la crise actuelle des systèmes de sécurisation
(droit du travail, retraites, mais aussi RMI ou services publics)
"sous les coups portés par l'hégémonie
croissante du marché". Fragmentation de l'emploi et
"mise en mobilité généralisée"
de la force de travail : la déstabilisation de la société
salariale provoque l'érosion des programmes protecteurs qui
lui étaient attachés ; ceux-là mêmes
qui étaient jusqu'alors parvenus, bon an mal an, à
"sauvegarder l'indépendance des individus" en les
assurant contre les risques de l'existence. Telle fut la condition
de possibilité, sinon d'une communauté d'égaux,
du moins d'une "société de semblables".
Face à cette "remontée massive de l'insécurité
sociale", le chercheur n'a pas de "solutions miracles
à proposer". Il peut néanmoins déplorer
son exploitation politique - démagogie populiste et "stigmatisation
des jeunes de banlieue". Surtout, il peut souligner l'urgence
d'une nouvelle pensée du risque : prenant acte de facteurs
d'incertitude inédits, celle-ci doit imaginer des systèmes
de régulation inédits, propres à "concilier
mobilité et protections en dotant le travailleur mobile d'un
véritable statut". Or "les protections sont collectives
ou elles ne sont pas", rappelle calmement ce réformiste
convaincu, qui soutient qu'à ce jour l'Etat demeure "l'instance
du collectif par excellence".
D'ailleurs, cette nécessaire réinscription de l'individu
au sein de collectifs solidaires tend à s'imposer comme une
évidence, "y compris dans les milieux managériaux
et patronaux", désormais conscients des effets contre-productifs
d'une situation où la peur du lendemain taraude les travailleurs
à tout instant : "Etre dans l'insécurité
permanente, c'est ne pouvoir ni maîtriser le présent
ni anticiper positivement l'avenir." De fait, refouler plus
longtemps ce symptôme explosif de la question sociale serait
pour le moins hasardeux politiquement, "sauf à prôner
le retour à l'état de nature, c'est-à-dire
à un état d'insécurité totale".
Jean Birnbaum
Lien d'origine :
http://www.lemonde.fr/web/imprimer_article/0,1-0@2-3224,36-339046,0.html
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