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Le sociologue Robert Castel défend la création de nouvelles "protections collectives"
LE MONDE 22.10.03 Il constate la "remontée de l'insécurité sociale".


L'Insécurité sociale Qu'est-ce qu'être protégé ? Robert Castel
"La République des idées", Seuil, 96 p., 10,50 E . bibliographie

Voici un essai bref, remarquable, manifestement hanté par le souvenir de la présidentielle de 2002. Le sociologue Robert Castel y revient sur le thème qui avait alors dominé les débats au point d'y "frôler le délire", à savoir l'insécurité. D'abord pour en "réaffirmer avec fermeté" le ressort éminemment social : précarité et chômage rongent les anciennes solidarités collectives, barrant de jour en jour un peu plus l'horizon de chaque individu. Mais aussi pour sonder sa signification symbolique et politique : une exténuation lancinante des espérances futures, laquelle promet un bel avenir aux militants du pire.

Mobilisant les classiques de la pensée libérale (Hobbes, Locke), L'Insécurité socialeexplore l'esprit démocratique en ses apories modernes - les tensions entre Etat de droit et Etat répressif, ou encore le clivage propriétaires/non-propriétaires comme "non-dit" fondateur. Ainsi l'auteur retrace-t-il l'histoire du "besoin de sécurité", depuis les "protections rapprochées" des sociétés préindustrielles jusqu'à la "prolifération contemporaine d'une aversion au risque". Cela posé, il constate la crise actuelle des systèmes de sécurisation (droit du travail, retraites, mais aussi RMI ou services publics) "sous les coups portés par l'hégémonie croissante du marché". Fragmentation de l'emploi et "mise en mobilité généralisée" de la force de travail : la déstabilisation de la société salariale provoque l'érosion des programmes protecteurs qui lui étaient attachés ; ceux-là mêmes qui étaient jusqu'alors parvenus, bon an mal an, à "sauvegarder l'indépendance des individus" en les assurant contre les risques de l'existence. Telle fut la condition de possibilité, sinon d'une communauté d'égaux, du moins d'une "société de semblables".

Face à cette "remontée massive de l'insécurité sociale", le chercheur n'a pas de "solutions miracles à proposer". Il peut néanmoins déplorer son exploitation politique - démagogie populiste et "stigmatisation des jeunes de banlieue". Surtout, il peut souligner l'urgence d'une nouvelle pensée du risque : prenant acte de facteurs d'incertitude inédits, celle-ci doit imaginer des systèmes de régulation inédits, propres à "concilier mobilité et protections en dotant le travailleur mobile d'un véritable statut". Or "les protections sont collectives ou elles ne sont pas", rappelle calmement ce réformiste convaincu, qui soutient qu'à ce jour l'Etat demeure "l'instance du collectif par excellence".

D'ailleurs, cette nécessaire réinscription de l'individu au sein de collectifs solidaires tend à s'imposer comme une évidence, "y compris dans les milieux managériaux et patronaux", désormais conscients des effets contre-productifs d'une situation où la peur du lendemain taraude les travailleurs à tout instant : "Etre dans l'insécurité permanente, c'est ne pouvoir ni maîtriser le présent ni anticiper positivement l'avenir." De fait, refouler plus longtemps ce symptôme explosif de la question sociale serait pour le moins hasardeux politiquement, "sauf à prôner le retour à l'état de nature, c'est-à-dire à un état d'insécurité totale".

Jean Birnbaum


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