"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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LATASTE  : PRÉPARATION DE LA JOURNÉE DU 23 AVRIL 1977
LA C. F. D. T. ET SON ÉVOLUTION
René Berthier

Origine : Echanges mails

En 1964, la C.F.D.T. prend ses distances à l’égard de la doctrine sociale chrétienne et se transforme en C.F.D.T. Celle-ci fut, au niveau syndical, la grande bénéficiaire de mai 68. Ayant coupé les ponts avec le confessionnalisme, elle était encore vierge de toutes « idées forces » ; elle ne possédait alors que quelques idées vagues sur la planification démocratique. Mai 68 lui ouvrit les portes sur l’origine et la richesse du mouvement ouvrier. Les réponses aux questions que la C.F.D.T. se posait dans le domaine doctrinal allaient lui être apportées. Le fédéralisme, l’autogestion, la valeur révolutionnaire des masses, en plus de la source d’inspiration qui lui manquait, la relièrent à un passé et à une tradition de lutte qui lui faisaient défaut et à laquelle la classe ouvrière, inconsciemment, se rattache. La C.F.D.T. devint un pôle d’attraction pour ceux qui, après 68, n’acceptaient plus l’action syndicale traditionnelle. Son développement fut alors constant : « En 1970, il y avait 678 502 adhérents ; en 1975, 820 490, soit une progression de 21 % pour les cinq dernières années. »

Soulignons que, simulé ou sincère, c’est le retour aux origines du mouvement ouvrier qui donne à la C.F.D.T. l’image d’une attitude brisant avec le train-train habituel. Encore numériquement faible, la nouvelle centrale a pour objectif son développement. Tout le monde semble être le bienvenu. A un tel point que, pour beaucoup, elle apparaît comme le terrain de prédilection de l’extrême gauche. A cette époque, rares étaient les invectives contre les gauchistes. Ceux qui furent les premiers à passer à la C.F.D.T. nous racontent qu’on croisait peu de monde dans les couloirs et que tout était à faire. Cela est significatif de la marge de manœuvre que possédaient alors les anarcho-syndicalistes.

Cependant cette situation n’était pas éternelle. Suite à sa prise de conscience de la nécessité d’offrir une alternative à la classe ouvrière, la C.F.D.T., au congrès de 1970, opte pour le renversement du régime capitaliste et pour un socialisme autogestionnaire. Parallèlement, la gauche politique et électoraliste se regroupe autour d’un programme commun auquel la C.G.T. apporte son soutien.

La C.F.D.T. qui, jusqu’alors, avait manifesté des velléités de résistances par rapport à l’action classique commence à tenir un autre langage. Peu à peu, une nouvelle préoccupation va apparaître la victoire électorale de la gauche et toute la place que la C.F.D.T. entend occuper dans les forces populaires. Cela va amener la C.F.D.T. à entreprendre une politique de mise au pas des gauchistes ou plutôt de ceux qui, venus aux syndicats sur certaines conceptions, n’acceptent pas la nouvelle ligne confédérale. Au congrès de 1973, la C.F.D.T. prend publiquement ses distances avec le « gauchisme » ; depuis le mouvement n’a cessé de s’accentuer.

La situation nouvelle – qui se caractérise par le déplacement du centre de gravitation des priorités, qui passe du développement numérique à la place que la C.F.D.T. entend occuper dans les forces populaires – va mettre les anarcho-syndicalistes dans un cadre nouveau et surtout plus difficile. Dans ce contexte où la confédération doit être sûre de ses troupes ainsi que de leur suivisme, il ne suffit plus de faire un travail constructif et représentatif pour être parfaitement accepté par les tenants de la ligne majoritaire.

De tout cela, peut-on en conclure que la C.F.D.T. s’est transformée à un point tel que cela pose le problème de notre départ ? Les camarades qui, aujourd’hui, mettent l’accent uniquement sur les positions et les attitudes de la C.F.D.T. ont perdu de vue nos positions sur cette dernière. Sans nier que nous nous sommes battus pour donner un certain contenu à l’organisation et que nous aurions donc aimé qu’elle soit aujourd’hui plus sur nos conceptions syndicales qu’elle ne l’est, nous n’avons jamais réduit la C.F.D.T. à nous-mêmes. Nous savions que celle-ci, en 1970 comme avant, n’était pas une centrale anarcho-syndicaliste. Notre adhésion n’impliquait pas qu’elle le deviendrait de par le fait de notre participation. En 1970, la C.F.D.T. était, non pas dans ses apparences, mais dans ses fondements, la même qu’aujourd’hui ; seulement la réalité qu’elle manifeste actuellement n’apparaissait pas parce que la situation était autre

1. Elle pouvait se permettre une attitude plus souple envers son opposition ;

2.  Cette attitude était une des conditions de son développement ;

3. La victoire de la gauche électorale, encore lointaine, ne posait pas dans toute son acuité les rapports de la confédération avec sa fraction la plus combative.

Enfin, n’oublions pas qu’un pouvoir n’entreprend une action sévère contre sa minorité que dans la mesure où celle-ci le menace réellement. Quand la minorité n’est pas influente, sa présence la plus extrême est une caution démocratique dont on aime faire état (syndicat des correcteurs C.G.T., minorité F.O.). Dès que la minorité est assez forte pour mettre en danger la majorité ou assez dynamique pour influer dans un sens contraire à celui tracé par cette majorité, elle est combattue férocement.

La C.F.D.T., au dernier congrès, a eu une opposition disparate de 40 % :

« Une étude sur la composition des délégués au congrès d’Annecy montre que la politisation s’est fortement accentuée depuis le dernier congrès de 1973. Sur 1 900 présents, 41 % adhéraient à un parti politique (27,4 % en 1973). Parmi eux, 23,2 % étaient inscrits au P.S. (10,5 % en 1973), 10,6 % au P.S.U. (12,8 %), 6,2 % à l’extrême gauche (1 %), 0,7 au P.C.F. et 0,3 de divers. »

L’ASRAS SON ÉVOLUTION, SES PROBLÈMES

A la fin du 19e siècle, les anarchistes, sortant de l’échec de la propagande par le fait, entrent dans les syndicats. L’anarchie, idée venue de la classe ouvrière, retourne à la classe ouvrière, donnant ainsi naissance à une nouvelle idée : l’anarcho-syndicalisme ou syndicalisme révolutionnaire. La charte d’Amiens est pour lui un des moments forts de son histoire. Il connaîtra par la suite un long déclin.

Le mouvement de mai 68, en déchirant le voile du silence dont on avait recouvert les thèmes originels du mouvement ouvrier, le réactualise. Les anarcho-syndicalistes sont, à ce moment~là, dispersés. Le souci d’avoir un plus grand impact, de contribuer plus conséquemment à la lutte des classes qui semble rejaillir avec vigueur, va amener plusieurs regroupements. L’A.S.R.A.S. est un de ceux-ci.

A Paris, en 1970, est mis sur pied un organisme de liaison des anarcho-syndicalistes et des syndicalistes révolutionnaires que l’on nomme A.S.R.A.S. Celui-ci se définit comme un regroupement offensif ayant pour but la coordination des militants dans les divers syndicats. L’action directe, le fédéralisme, l’autogestion sont ses principaux thèmes. A l’origine, quand l’A.S.R.A.S. regroupait de nombreux militants venus directement du mouvement anarchiste, il semble que la réunification, « idée force » de la classe ouvrière, désignait le projet politique dans lequel s’inscrivait l’action des militants anarcho-syndicalistes.

« Les Syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes croient qu’il est de leur devoir de travailleurs conscients des intérêts de la classe ouvrière de former une telle alliance qui coordonnera leurs efforts au sein des différents syndicats ouvriers ainsi qu’à l’intérieur de ceux-ci, afin : – de promouvoir la réunification de la classe ouvrière qui n’est que trop divisée ;

– et de coordonner les actions de la classe ouvrière. »

Il est intéressant de noter que l’action ainsi que les thèmes se situent dans un cadre précis qui est celui de l’exploitation première des travailleurs. Les anarcho-syndicalistes sont tout d’abord des ouvriers confrontés aux problèmes réels et immédiats de la lutte des classes et de l’exploitation. Ils ont les mêmes soucis et les mêmes difficultés que les autres travailleurs. Leur aliénation n’est pas quelque chose de mystérieux et de lointain, elle est liée à la réalité qu’ils vivent huit heures par jour dans une entreprise. Il est donc normal que leur action donne la priorité à cette réalité. Ainsi le problème de l’A.S.R.A.S., dès sa naissance, n’est pas tant de définir un champ d’action et d’intervention que de définir les modalités et les formes de celles-ci à l’intérieur de ce champ.

A Bordeaux, en 1970, aucun militant de l’A.S.R.A.S. n’était à la C.F.D.T. L’Alliance ne privilégiait aucun syndicat. En 1972, cet état de chose commence à se modifier, amenant de nouvelles questions. En 1972, un camarade syndiqué à F.O. passe à la C.F.D.T. Il est alors le premier. Cette action lui valut de nombreuses railleries qui n’empêchèrent pas, en moins d’un an, d’autres camarades de passer à la C.F.D.T. Ce passage ne se fit pas sans heurts. De longs débats eurent lieu, chacun eut la possibilité de clarifier ses positions. A la lumière des arguments, il apparut que les camarades passés à la C.F.D.T. ne nourrissaient aucun mythe envers celle-ci. Leur passage ne signifiait pas qu’ils considéraient la C.F.D.T. comme la nouvelle centrale anarcho-syndicaliste ou qu’ils voyaient dans les dirigeants de l’organisation des militants qui allaient orienter la C.F.D.T. sur les voies de l’autogestion. Ce qui avait entraîné leur passage était tout autre. Depuis quelques temps, et cela malgré les théories de certains, les militants F.O. se sentaient de plus en plus mal à l’aise. La casquette F.O., qui devait être identique à celle de la C.F.D.T., pesait de plus en plus lourd. Certaines théories penchaient dans le sens de dire que tous les syndicats se valent et que ce qui est important c’est le travail que l’on fait à la base dans sa section. Cependant, tous les jours, les camarades perdaient de leur crédibilité auprès des travailleurs les plus combatifs. Le vécu traduisait ainsi les limites de cette théorie. Il apparaissait qu’il n’était pas possible de se battre sur son îlot sans tenir compte de la situation générale.

Simultanément, la C.F.D.T. était en pleine ébullition. Elle portait en avant un débat sur la société à bâtir et l’autogestion, dans lequel les camarades, au moins au niveau verbal, se reconnaissaient. Les anarcho-syndicalistes sont les héritiers directs de ces idées dans lesquelles la C.F.D.T. puisait sa vitalité. Puisque nous nous battions pour ces idées, ne valait-il pas mieux s’y battre de l’intérieur ? Rester à l’extérieur au nom de la pureté, cela ne risquait-il pas de nous marginaliser ?

Au-delà de tout cela, il y avait les axes posés par l’A.S.R.A.S.

En effet, le passage n’était pas un simple transfert de camarades d’une centrale à une autre, il entraînait une modification dans l’analyse et les orientations.

L’affirmation que l’A.S.R.A.S. ne privilégiait aucune centrale traduisait l’idée qu’à nos yeux, elles sont toutes semblables ; il en résultait que militer dans l’une ou dans l’autre n’avait aucune importance. Le passage des camarades d’une centrale à une autre affirmait au contraire que toutes les centrales ne sont pas absolument identiques. Il s’ensuivait que les anarcho-syndicalistes ne militeraient pas là où le sort les jetterait, mais plutôt là où les conditions étaient les plus favorables. Du même coup, « l’idée force » qui était la réunification de la classe ouvrière se trouvait sinon démentie, du moins limitée dans sa portée.

Tout cela ne fut pas vécu sans remous. Néanmoins, il faut surtout retenir le fait que l’Alliance, à Bordeaux, n’est pas passée à la C.F.D.T. sur une illusion.

Après cet épisode, l’A.S.R.A.S. se lança dans une série de relations avec les groupes typiquement libertaires en voie de regroupement. Un certain travail fut fait avec eux, certains vinrent avec nous. Là encore, il est important d’insister sur le fait que l’Alliance n’a pas vécu repliée sur elle-même. Elle a au contraire tenté de s’élargir à d’autres militants, à d’autres fronts. De nombreux débats eurent lieu autour de ces problèmes. L’A.S.R.A.S. tenta d’impulser un mouvement de ceux qui, à l’intérieur de l’Alliance, n’étaient pas dans les syndicats, de par leurs activités. Il avait été conclu qu’il était souhaitable que les militants s’investissent sur les autres fronts au lieu de se plaindre du manque d’activité découlant de leur situation.

Plus près de nous, il y a le C.E.L. (Coordination des étudiants et lycéens). Q’était-il d’autre qu’un élargissement à une autre réalité que les syndicats sont aujourd’hui, de par leur nature, incapables de prendre en charge? Ce qui paraît nouveau actuellement dans ce domaine, c’est peut-être la façon de poser le problème. Dans les différents cas cités plus haut, l’A.S.R.A.S. garde son orientation prioritaire tout en permettant l’investissement de ceux qui ne peuvent agir dans le syndicat. Il se porte sur un problème, dans la mesure de ses moyens militants, que la réalité immédiate ne permet pas au syndicat de prendre en charge.

Au contraire, quand les camarades relient la stagnation actuelle aux orientations de l’A.S.R.A.S. en proposant un élargissement, ils en font une priorité, déplaçant l’ordre de celles-ci. En très peu de temps, les anarcho-syndicalistes de Bordeaux se retrouvèrent à la C.F.D.T. Ils y firent un travail important de consolidation et de restructuration, ils contribuèrent au débat théorique. L’évolution de la C.F.D.T. (rapprochement avec le P.S., Assises du socialisme, échéance électorale) modifia le cadre dans lequel se mouvaient les militants de l’A.S.R.A.S. Se hérissant de défenses anti-gauchistes, la C.F.D.T. partit à la chasse de ceux-ci, les plaçant dans une situation entièrement nouvelle.

Cette nouvelle conjoncture semble consterner de nombreux camarades. Pourtant, cela n’a pas lieu d’être, du moins en ce qui concerne la C.F.D.T. Rappelons que le passage à celle-ci ne s’est pas fait sur une image idyllique. De plus, son évolution sur la voie actuelle était prévisible. Nous nous trouvons dans une situation différente de 1970. Les priorités se sont déplacées dans la C.F.D.T., l’échéance électorale avec tout ce qu’elle implique est devenue prioritaire.

Cette nouvelle attitude pose tout de même le problème de notre investissement à l’intérieur de la C.F.D.T. D’une attitude plurisyndicale, nous sommes passés à une réalité monosyndicale qui nous a amenés à reconsidérer notre action. Le « nous avons trop donné à l’organisation en soi » de certain camarades traduit cette époque. Le durcissement de la C.F.D.T. tendrait à nous rejeter vers nos positions premières qui, bien que courageuses, semblent peu crédibles. Notre réalité plurisyndicale ne s’est maintenue que par nécessités locales (syndicat des correcteurs C.G.T.). Notre situation semble se caractériser par l’absence de projet. L’A.S.R.A.S. s’était définie comme un regroupement offensif dans le cadre de la responsabilité et de la lutte des classes ; or, sans projet, le caractère offensif risque de déboucher soit sur un extrémisme aveugle, soit sur une crise.

UN PHÉNOMÈNE GROUPUSCULAIRE ET SES EFFETS

Parmi ceux qui ont une réflexion portant sur les fondements du mal qui ronge l’A. S .R.A. S., rares sont ceux qui ne mettent pas l’accent sur l’importance des liens d’amitié dans les groupes. Il est habituel de ramener celui-ci à cela, faisant de l’Alliance une simple amicale comme il en existe tant. Il est incontestable que les liens d’amitié jouent un rôle déterminant dans la vie du groupe. Cela dit, la question qui se pose est celle de savoir si ceux-ci sont à la base du malaise que vit l’A.S.R.A.S. ou s’ils sont l’effet d’une autre cause.

L’A.S.R.A.S. est un groupuscule, c’est-à-dire un regroupement (au niveau de Bordeaux, ne dépassant pas 15 militants – sympathisants mis à part). Ce petit nombre de militants vit un ensemble de relations à deux niveaux : celui du syndicat au sein duquel il situe l’essentiel de son travail, et les réunions hebdomadaires de l’A.S.R.A.S. Dans ces conditions, il apparaît tout à fait normal que des personnes qui se voient, se rencontrent, vivant la même réalité, tissent entre elles des relations privilégiées.

L’A.S.R.A.S., réalité groupusculaire, est tenue d’assumer les contradictions qui lui sont inhérentes. Pourrait-on imaginer des personnes se rencontrant plusieurs fois par semaine pendant plusieurs années et n’établissant aucune relation profonde d’amitié? Si cela était, ce serait cela qui serait anormal. Ce phénomène d’amitié n’apparaît pas dans les organisations de masse dans la mesure où il se localise en une multitude de points, sans jamais déborder sur l’ensemble de l’organisation.

Il est un autre fait qu’ordinairement on inscrit à l’encontre de l’A.S.R.A.S.  : la faiblesse théorique et les difficultés de prise de parole. Celles-ci sont des problèmes réels. L’A.S.R.A.S. s’est souvent penchée sur leur solution sans jamais pouvoir y apporter de solution positive et durable. Cependant, la persistance de ces problèmes ne doit pas nous tromper sur leur portée réelle dans la réflexion sur les causes de la crise actuelle.

Paris, à ce propos, nous offre un exemple duquel nous pourrons tirer un enseignement. Celui-ci se trouve, si l’on peut dire, aux antipodes de Bordeaux, dans la mesure où ce qui lui est reproché est sa formation théorique poussée à l’extrême. Pourtant, Paris n’a pas été épargné par le profond malaise qui règne actuellement. La crise a été plus dure là-bas qu’ici. Le départ de certains camarades du groupe de Paris, dans les conditions que nous savons, est significatif de l’ampleur de la crise. Il semble que la formation des militants ait joué comme un amplificateur. Dans les moments difficiles de la remise en question et des nouveaux choix, les militants les plus formés pèsent de tout leur poids dans la balance et souvent jusqu’à l’éclatement du groupe, comme cela a été le cas à Paris.

Ainsi, il semble que la faiblesse théorique ou la prise de parole, quoique très importantes comme problèmes, ne peuvent pas être mêlées, dans un rapport de cause à effet, à la dimension que la crise revêt aujourd’hui. Ils y participent, c’est certain, mais à l’extrême ils diminuent la crise en créant un écran et, surtout, ils semblent indiquer qu’il y a à Bordeaux non une crise, mais plusieurs :

1. Les problèmes de l’expression et du manque théorique sont antérieurs à la crise actuelle ;

2. Ce phénomène n’est pas universel à l’A.S.R.A.S., mais particulier à Bordeaux et dans les autres groupes régionaux. On ne peut donc le lier aux orientations de l’Alliance ;

 La crise actuelle se caractérise par le fait qu’elle s’étend à toute l’Alliance et même au-delà.

MILITANTISME : DISPROPORTION ET DÉSILLUSION

Il y a peu de temps, un camarade disait que notre manière de militer relevait d’une attitude petite-bourgeoise parce que nous ne militions que lorsque nous en sentions le désir alors qu’il fallait militer à tout moment avec la même intensité. Quoique louable, il y a là un modèle de militantisme que l’on ne trouve pas dans la classe ouvrière. Celle-ci ne se bat pas par goût du sacrifice ou du martyre, mais parce que c’est pour elle la seule façon d’exister.

Quoi qu’il en soit, le constat du camarade souligne le fait qu’un militant averti, adhérant à un groupe ayant une orientation donnée, possède des schémas de pensée, des espoirs qui ne peuvent pas toujours être réduits à ceux de la classe ouvrière. Il n’est pas rare de constater chez un militant une disproportion entre son projet immédiat et les possibilités concrètes qui lui donne sa place dans un groupuscule donné.

Les idées libertaires, après une longue période de mutisme, ont rejailli avec force contre ceux qui avaient voulu les rejeter dans la poubelle de l’histoire, elles ont imposé leur réalité. Cette nouvelle irruption ne s’est pas faite par l’intermédiaire de ceux qui en étaient les héritiers, les anarcho-syndicalistes et les libertaires. Le réveil des idées libertaires a traduit surtout le retour en force de la complexité des faits et le rejet des doctrines simplificatrices et autoritaires. Le mouvement anarcho-syndicaliste et libertaire en a, au niveau numérique, très peu profité. Le mouvement libertaire, malgré un sang nouveau, est resté un phénomène marginal et l’A.S.R.A.S., indépendamment de ses tentatives, n’a pas réussi à s’affirmer numériquement. Si nous établissons un rapport direct entre le retour en force des idées libertaires et les organisations libertaires ou anarcho-syndicalistes, ces dernières auraient dû connaître un développement au moins égal à la puissance avec laquelle les idées s’affirment. Force est de constater qu’il n’en est pas ainsi.

Le socialisme anti-autoritaire se trouve enfermé dans une impasse qu’il est difficile de réduire à la perte d’influence de ses idées. Le socialisme autoritaire, soit léniniste, soit stalinien, soit réformiste, est passé sur les mémoires et les formes de pensée tel un rouleau compresseur, réduisant tout à lui-même.

Aux origines, le fédéralisme, l’autogestion étaient la formulation politique des couches petites-bourgeoises ; aujourd’hui, quand on les accepte, ils sont une relecture du marxisme et de Marx.

Ceux qui en étaient les porteurs restent des petits-bourgeois. En fin de compte être marxiste est considéré comme plus responsable. Tant qu’une révolution n’aura pas été faite dans les idées, le développement organisationnel des anarcho-syndicalistes reste hypothétique.

Les militants qui se battent pour une idée aiment en voir une application plus ou moins rapide. Le long travail silencieux ne plaît à personne. Quelle peut être la contribution réelle d’un petit groupe à la lutte des classes? Il faut l’avouer sans en avoir honte, elle ne peut être que minime, modeste. Les objectifs des militants d’un petit groupe doivent être proportionnels à leurs forces. Un camarade qui se lancera dans l’action en pensant que la contribution de son groupe sera fondamentale et mesurable à l’intérieur des modifications intervenues dans la classe ouvrière court à une amère désillusion. De plus, il tendra à attribuer cette désillusion à la ligne politique du groupe. Sans tenir compte du fait qu’elle peut tout aussi bien découler dé la disproportion entre les idées et les ambitions, d’une part, et les moyens à notre disposition, d’autre part.

Qu’on songe à des expériences typiquement libertaires comme l’O.R.A.

Le fait qu’elle ait quitté une organisation, qu’elle ait été ouverte à tous les fronts de lutte, n a pas suffi à lui assurer un développement conséquent.

Les causes d’un mal ne sont pas toujours à chercher uniquement en nous-mêmes.