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Origine : Echanges mails
En
1964, la C.F.D.T. prend ses distances à l’égard de la doctrine sociale
chrétienne et se transforme en C.F.D.T. Celle-ci fut, au niveau
syndical, la grande bénéficiaire de mai 68. Ayant coupé les ponts
avec le confessionnalisme, elle était encore vierge de toutes « idées
forces » ; elle ne possédait alors que quelques idées
vagues sur la planification démocratique. Mai 68 lui ouvrit les
portes sur l’origine et la richesse du mouvement ouvrier. Les réponses
aux questions que la C.F.D.T. se posait dans le domaine doctrinal
allaient lui être apportées. Le fédéralisme, l’autogestion, la valeur
révolutionnaire des masses, en plus de la source d’inspiration qui
lui manquait, la relièrent à un passé et à une tradition de lutte
qui lui faisaient défaut et à laquelle la classe ouvrière, inconsciemment,
se rattache. La C.F.D.T. devint un pôle d’attraction pour ceux qui,
après 68, n’acceptaient plus l’action syndicale traditionnelle.
Son développement fut alors constant : « En 1970, il y
avait 678 502 adhérents ; en 1975, 820 490, soit une progression
de 21 % pour les cinq dernières années. »
Soulignons
que, simulé ou sincère, c’est le retour aux origines du mouvement
ouvrier qui donne à la C.F.D.T. l’image d’une attitude brisant avec
le train-train habituel. Encore numériquement faible, la nouvelle
centrale a pour objectif son développement. Tout le monde semble
être le bienvenu. A un tel point que, pour beaucoup, elle apparaît
comme le terrain de prédilection de l’extrême gauche. A cette époque,
rares étaient les invectives contre les gauchistes. Ceux qui furent
les premiers à passer à la C.F.D.T. nous racontent qu’on croisait
peu de monde dans les couloirs et que tout était à faire. Cela est
significatif de la marge de manœuvre que possédaient alors les anarcho-syndicalistes.
Cependant
cette situation n’était pas éternelle. Suite à sa prise de conscience
de la nécessité d’offrir une alternative à la classe ouvrière, la
C.F.D.T., au congrès de 1970, opte pour le renversement du régime
capitaliste et pour un socialisme autogestionnaire. Parallèlement,
la gauche politique et électoraliste se regroupe autour d’un programme
commun auquel la C.G.T. apporte son soutien.
La
C.F.D.T. qui, jusqu’alors, avait manifesté des velléités de résistances
par rapport à l’action classique commence à tenir un autre langage.
Peu à peu, une nouvelle préoccupation va apparaître la victoire
électorale de la gauche et toute la place que la C.F.D.T. entend
occuper dans les forces populaires. Cela va amener la C.F.D.T. à
entreprendre une politique de mise au pas des gauchistes ou plutôt
de ceux qui, venus aux syndicats sur certaines conceptions, n’acceptent
pas la nouvelle ligne confédérale. Au congrès de 1973, la C.F.D.T.
prend publiquement ses distances avec le « gauchisme » ;
depuis le mouvement n’a cessé de s’accentuer.
La
situation nouvelle – qui se caractérise par le déplacement du centre
de gravitation des priorités, qui passe du développement numérique
à la place que la C.F.D.T. entend occuper dans les forces populaires
– va mettre les anarcho-syndicalistes dans un cadre nouveau et surtout
plus difficile. Dans ce contexte où la confédération doit être sûre
de ses troupes ainsi que de leur suivisme, il ne suffit plus de
faire un travail constructif et représentatif pour être parfaitement
accepté par les tenants de la ligne majoritaire.
De
tout cela, peut-on en conclure que la C.F.D.T. s’est transformée
à un point tel que cela pose le problème de notre départ ? Les camarades
qui, aujourd’hui, mettent l’accent uniquement sur les positions
et les attitudes de la C.F.D.T. ont perdu de vue nos positions sur
cette dernière. Sans nier que nous nous sommes battus pour donner
un certain contenu à l’organisation et que nous aurions donc aimé
qu’elle soit aujourd’hui plus sur nos conceptions syndicales qu’elle
ne l’est, nous n’avons jamais réduit la C.F.D.T. à nous-mêmes. Nous
savions que celle-ci, en 1970 comme avant, n’était pas une centrale
anarcho-syndicaliste. Notre adhésion n’impliquait pas qu’elle le
deviendrait de par le fait de notre participation. En 1970, la C.F.D.T.
était, non pas dans ses apparences, mais dans ses fondements, la
même qu’aujourd’hui ; seulement la réalité qu’elle manifeste
actuellement n’apparaissait pas parce que la situation était autre
1. Elle
pouvait se permettre une attitude plus souple envers son opposition ;
2.
Cette attitude était une des conditions de son développement ;
3. La
victoire de la gauche électorale, encore lointaine, ne posait pas
dans toute son acuité les rapports de la confédération avec sa fraction
la plus combative.
Enfin,
n’oublions pas qu’un pouvoir n’entreprend une action sévère contre
sa minorité que dans la mesure où celle-ci le menace réellement.
Quand la minorité n’est pas influente, sa présence la plus extrême
est une caution démocratique dont on aime faire état (syndicat des
correcteurs C.G.T., minorité F.O.). Dès que la minorité est assez
forte pour mettre en danger la majorité ou assez dynamique pour
influer dans un sens contraire à celui tracé par cette majorité,
elle est combattue férocement.
La
C.F.D.T., au dernier congrès, a eu une opposition disparate de 40
% :
« Une
étude sur la composition des délégués au congrès d’Annecy montre
que la politisation s’est fortement accentuée depuis le dernier
congrès de 1973. Sur 1 900 présents, 41 % adhéraient à un parti
politique (27,4 % en 1973). Parmi eux, 23,2 % étaient inscrits au
P.S. (10,5 % en 1973), 10,6 % au P.S.U. (12,8 %), 6,2 % à l’extrême
gauche (1 %), 0,7 au P.C.F. et 0,3 de divers. »
L’ASRAS
SON ÉVOLUTION, SES PROBLÈMES
A
la fin du 19e siècle, les anarchistes, sortant de l’échec
de la propagande par le fait, entrent dans les syndicats. L’anarchie,
idée venue de la classe ouvrière, retourne à la classe ouvrière,
donnant ainsi naissance à une nouvelle idée : l’anarcho-syndicalisme
ou syndicalisme révolutionnaire. La charte d’Amiens est pour lui
un des moments forts de son histoire. Il connaîtra par la suite
un long déclin.
Le
mouvement de mai 68, en déchirant le voile du silence dont on avait
recouvert les thèmes originels du mouvement ouvrier, le réactualise.
Les anarcho-syndicalistes sont, à ce moment~là, dispersés. Le souci
d’avoir un plus grand impact, de contribuer plus conséquemment à
la lutte des classes qui semble rejaillir avec vigueur, va amener
plusieurs regroupements. L’A.S.R.A.S. est un de ceux-ci.
A
Paris, en 1970, est mis sur pied un organisme de liaison des anarcho-syndicalistes
et des syndicalistes révolutionnaires que l’on nomme A.S.R.A.S.
Celui-ci se définit comme un regroupement offensif ayant pour but
la coordination des militants dans les divers syndicats. L’action
directe, le fédéralisme, l’autogestion sont ses principaux thèmes.
A l’origine, quand l’A.S.R.A.S. regroupait de nombreux militants
venus directement du mouvement anarchiste, il semble que la réunification,
« idée force » de la classe ouvrière, désignait le projet
politique dans lequel s’inscrivait l’action des militants anarcho-syndicalistes.
« Les
Syndicalistes révolutionnaires et anarcho-syndicalistes croient
qu’il est de leur devoir de travailleurs conscients des intérêts
de la classe ouvrière de former une telle alliance qui coordonnera
leurs efforts au sein des différents syndicats ouvriers ainsi qu’à
l’intérieur de ceux-ci, afin : – de promouvoir la réunification
de la classe ouvrière qui n’est que trop divisée ;
– et
de coordonner les actions de la classe ouvrière. »
Il
est intéressant de noter que l’action ainsi que les thèmes se situent
dans un cadre précis qui est celui de l’exploitation première des
travailleurs. Les anarcho-syndicalistes sont tout d’abord des ouvriers
confrontés aux problèmes réels et immédiats de la lutte des classes
et de l’exploitation. Ils ont les mêmes soucis et les mêmes difficultés
que les autres travailleurs. Leur aliénation n’est pas quelque chose
de mystérieux et de lointain, elle est liée à la réalité qu’ils
vivent huit heures par jour dans une entreprise. Il est donc normal
que leur action donne la priorité à cette réalité. Ainsi le problème
de l’A.S.R.A.S., dès sa naissance, n’est pas tant de définir un
champ d’action et d’intervention que de définir les modalités et
les formes de celles-ci à l’intérieur de ce champ.
A
Bordeaux, en 1970, aucun militant de l’A.S.R.A.S. n’était à la C.F.D.T.
L’Alliance ne privilégiait aucun syndicat. En 1972, cet état de
chose commence à se modifier, amenant de nouvelles questions. En
1972, un camarade syndiqué à F.O. passe à la C.F.D.T. Il est alors
le premier. Cette action lui valut de nombreuses railleries qui
n’empêchèrent pas, en moins d’un an, d’autres camarades de passer
à la C.F.D.T. Ce passage ne se fit pas sans heurts. De longs débats
eurent lieu, chacun eut la possibilité de clarifier ses positions.
A la lumière des arguments, il apparut que les camarades passés
à la C.F.D.T. ne nourrissaient aucun mythe envers celle-ci. Leur
passage ne signifiait pas qu’ils considéraient la C.F.D.T. comme
la nouvelle centrale anarcho-syndicaliste ou qu’ils voyaient dans
les dirigeants de l’organisation des militants qui allaient orienter
la C.F.D.T. sur les voies de l’autogestion. Ce qui avait entraîné
leur passage était tout autre. Depuis quelques temps, et cela malgré
les théories de certains, les militants F.O. se sentaient de plus
en plus mal à l’aise. La casquette F.O., qui devait être identique
à celle de la C.F.D.T., pesait de plus en plus lourd. Certaines
théories penchaient dans le sens de dire que tous les syndicats
se valent et que ce qui est important c’est le travail que l’on
fait à la base dans sa section. Cependant, tous les jours, les camarades
perdaient de leur crédibilité auprès des travailleurs les plus combatifs.
Le vécu traduisait ainsi les limites de cette théorie. Il apparaissait
qu’il n’était pas possible de se battre sur son îlot sans tenir
compte de la situation générale.
Simultanément,
la C.F.D.T. était en pleine ébullition. Elle portait en avant un
débat sur la société à bâtir et l’autogestion, dans lequel les camarades,
au moins au niveau verbal, se reconnaissaient. Les anarcho-syndicalistes
sont les héritiers directs de ces idées dans lesquelles la C.F.D.T.
puisait sa vitalité. Puisque nous nous battions pour ces idées,
ne valait-il pas mieux s’y battre de l’intérieur ? Rester à
l’extérieur au nom de la pureté, cela ne risquait-il pas de nous
marginaliser ?
Au-delà
de tout cela, il y avait les axes posés par l’A.S.R.A.S.
En
effet, le passage n’était pas un simple transfert de camarades d’une
centrale à une autre, il entraînait une modification dans l’analyse
et les orientations.
L’affirmation
que l’A.S.R.A.S. ne privilégiait aucune centrale traduisait l’idée
qu’à nos yeux, elles sont toutes semblables ; il en résultait
que militer dans l’une ou dans l’autre n’avait aucune importance.
Le passage des camarades d’une centrale à une autre affirmait au
contraire que toutes les centrales ne sont pas absolument identiques.
Il s’ensuivait que les anarcho-syndicalistes ne militeraient pas
là où le sort les jetterait, mais plutôt là où les conditions étaient
les plus favorables. Du même coup, « l’idée force » qui
était la réunification de la classe ouvrière se trouvait sinon démentie,
du moins limitée dans sa portée.
Tout
cela ne fut pas vécu sans remous. Néanmoins, il faut surtout retenir
le fait que l’Alliance, à Bordeaux, n’est pas passée à la C.F.D.T.
sur une illusion.
Après
cet épisode, l’A.S.R.A.S. se lança dans une série de relations avec
les groupes typiquement libertaires en voie de regroupement. Un
certain travail fut fait avec eux, certains vinrent avec nous. Là
encore, il est important d’insister sur le fait que l’Alliance n’a
pas vécu repliée sur elle-même. Elle a au contraire tenté de s’élargir
à d’autres militants, à d’autres fronts. De nombreux débats eurent
lieu autour de ces problèmes. L’A.S.R.A.S. tenta d’impulser un mouvement
de ceux qui, à l’intérieur de l’Alliance, n’étaient pas dans les
syndicats, de par leurs activités. Il avait été conclu qu’il était
souhaitable que les militants s’investissent sur les autres fronts
au lieu de se plaindre du manque d’activité découlant de leur situation.
Plus
près de nous, il y a le C.E.L. (Coordination des étudiants et lycéens).
Q’était-il d’autre qu’un élargissement à une autre réalité que les
syndicats sont aujourd’hui, de par leur nature, incapables de prendre
en charge? Ce qui paraît nouveau actuellement dans ce domaine, c’est
peut-être la façon de poser le problème. Dans les différents cas
cités plus haut, l’A.S.R.A.S. garde son orientation prioritaire
tout en permettant l’investissement de ceux qui ne peuvent agir
dans le syndicat. Il se porte sur un problème, dans la mesure de
ses moyens militants, que la réalité immédiate ne permet pas au
syndicat de prendre en charge.
Au
contraire, quand les camarades relient la stagnation actuelle aux
orientations de l’A.S.R.A.S. en proposant un élargissement, ils
en font une priorité, déplaçant l’ordre de celles-ci. En très peu
de temps, les anarcho-syndicalistes de Bordeaux se retrouvèrent
à la C.F.D.T. Ils y firent un travail important de consolidation
et de restructuration, ils contribuèrent au débat théorique. L’évolution
de la C.F.D.T. (rapprochement avec le P.S., Assises du socialisme,
échéance électorale) modifia le cadre dans lequel se mouvaient les
militants de l’A.S.R.A.S. Se hérissant de défenses anti-gauchistes,
la C.F.D.T. partit à la chasse de ceux-ci, les plaçant dans une
situation entièrement nouvelle.
Cette
nouvelle conjoncture semble consterner de nombreux camarades. Pourtant,
cela n’a pas lieu d’être, du moins en ce qui concerne la C.F.D.T.
Rappelons que le passage à celle-ci ne s’est pas fait sur une image
idyllique. De plus, son évolution sur la voie actuelle était prévisible.
Nous nous trouvons dans une situation différente de 1970. Les priorités
se sont déplacées dans la C.F.D.T., l’échéance électorale avec tout
ce qu’elle implique est devenue prioritaire.
Cette
nouvelle attitude pose tout de même le problème de notre investissement
à l’intérieur de la C.F.D.T. D’une attitude plurisyndicale, nous
sommes passés à une réalité monosyndicale qui nous a amenés à reconsidérer
notre action. Le « nous avons trop donné à l’organisation en
soi » de certain camarades traduit cette époque. Le durcissement
de la C.F.D.T. tendrait à nous rejeter vers nos positions premières
qui, bien que courageuses, semblent peu crédibles. Notre réalité
plurisyndicale ne s’est maintenue que par nécessités locales (syndicat
des correcteurs C.G.T.). Notre situation semble se caractériser
par l’absence de projet. L’A.S.R.A.S. s’était définie comme un regroupement
offensif dans le cadre de la responsabilité et de la lutte des classes ;
or, sans projet, le caractère offensif risque de déboucher soit
sur un extrémisme aveugle, soit sur une crise.
UN PHÉNOMÈNE GROUPUSCULAIRE ET SES EFFETS
Parmi
ceux qui ont une réflexion portant sur les fondements du mal qui
ronge l’A. S .R.A. S., rares sont ceux qui ne mettent pas l’accent
sur l’importance des liens d’amitié dans les groupes. Il est habituel
de ramener celui-ci à cela, faisant de l’Alliance une simple amicale
comme il en existe tant. Il est incontestable que les liens d’amitié
jouent un rôle déterminant dans la vie du groupe. Cela dit, la question
qui se pose est celle de savoir si ceux-ci sont à la base du malaise
que vit l’A.S.R.A.S. ou s’ils sont l’effet d’une autre cause.
L’A.S.R.A.S.
est un groupuscule, c’est-à-dire un regroupement (au niveau de Bordeaux,
ne dépassant pas 15 militants – sympathisants mis à part). Ce petit
nombre de militants vit un ensemble de relations à deux niveaux :
celui du syndicat au sein duquel il situe l’essentiel de son travail,
et les réunions hebdomadaires de l’A.S.R.A.S. Dans ces conditions,
il apparaît tout à fait normal que des personnes qui se voient,
se rencontrent, vivant la même réalité, tissent entre elles des
relations privilégiées.
L’A.S.R.A.S.,
réalité groupusculaire, est tenue d’assumer les contradictions qui
lui sont inhérentes. Pourrait-on imaginer des personnes se rencontrant
plusieurs fois par semaine pendant plusieurs années et n’établissant
aucune relation profonde d’amitié? Si cela était, ce serait cela
qui serait anormal. Ce phénomène d’amitié n’apparaît pas dans les
organisations de masse dans la mesure où il se localise en une multitude
de points, sans jamais déborder sur l’ensemble de l’organisation.
Il
est un autre fait qu’ordinairement on inscrit à l’encontre de l’A.S.R.A.S.
: la faiblesse théorique et les difficultés de prise de parole.
Celles-ci sont des problèmes réels. L’A.S.R.A.S. s’est souvent penchée
sur leur solution sans jamais pouvoir y apporter de solution positive
et durable. Cependant, la persistance de ces problèmes ne doit pas
nous tromper sur leur portée réelle dans la réflexion sur les causes
de la crise actuelle.
Paris,
à ce propos, nous offre un exemple duquel nous pourrons tirer un
enseignement. Celui-ci se trouve, si l’on peut dire, aux antipodes
de Bordeaux, dans la mesure où ce qui lui est reproché est sa formation
théorique poussée à l’extrême. Pourtant, Paris n’a pas été épargné
par le profond malaise qui règne actuellement. La crise a été plus
dure là-bas qu’ici. Le départ de certains camarades du groupe de
Paris, dans les conditions que nous savons, est significatif de
l’ampleur de la crise. Il semble que la formation des militants
ait joué comme un amplificateur. Dans les moments difficiles de
la remise en question et des nouveaux choix, les militants les plus
formés pèsent de tout leur poids dans la balance et souvent jusqu’à
l’éclatement du groupe, comme cela a été le cas à Paris.
Ainsi,
il semble que la faiblesse théorique ou la prise de parole, quoique
très importantes comme problèmes, ne peuvent pas être mêlées, dans
un rapport de cause à effet, à la dimension que la crise revêt aujourd’hui.
Ils y participent, c’est certain, mais à l’extrême ils diminuent
la crise en créant un écran et, surtout, ils semblent indiquer qu’il
y a à Bordeaux non une crise, mais plusieurs :
1. Les
problèmes de l’expression et du manque théorique sont antérieurs
à la crise actuelle ;
2. Ce
phénomène n’est pas universel à l’A.S.R.A.S., mais particulier à
Bordeaux et dans les autres groupes régionaux. On ne peut donc le
lier aux orientations de l’Alliance ;
La
crise actuelle se caractérise par le fait qu’elle s’étend à toute
l’Alliance et même au-delà.
MILITANTISME :
DISPROPORTION ET DÉSILLUSION
Il
y a peu de temps, un camarade disait que notre manière de militer
relevait d’une attitude petite-bourgeoise parce que nous ne militions
que lorsque nous en sentions le désir alors qu’il fallait militer
à tout moment avec la même intensité. Quoique louable, il y a là
un modèle de militantisme que l’on ne trouve pas dans la classe
ouvrière. Celle-ci ne se bat pas par goût du sacrifice ou du martyre,
mais parce que c’est pour elle la seule façon d’exister.
Quoi
qu’il en soit, le constat du camarade souligne le fait qu’un militant
averti, adhérant à un groupe ayant une orientation donnée, possède
des schémas de pensée, des espoirs qui ne peuvent pas toujours être
réduits à ceux de la classe ouvrière. Il n’est pas rare de constater
chez un militant une disproportion entre son projet immédiat et
les possibilités concrètes qui lui donne sa place dans un groupuscule
donné.
Les
idées libertaires, après une longue période de mutisme, ont rejailli
avec force contre ceux qui avaient voulu les rejeter dans la poubelle
de l’histoire, elles ont imposé leur réalité. Cette nouvelle irruption
ne s’est pas faite par l’intermédiaire de ceux qui en étaient les
héritiers, les anarcho-syndicalistes et les libertaires. Le réveil
des idées libertaires a traduit surtout le retour en force de la
complexité des faits et le rejet des doctrines simplificatrices
et autoritaires. Le mouvement anarcho-syndicaliste et libertaire
en a, au niveau numérique, très peu profité. Le mouvement libertaire,
malgré un sang nouveau, est resté un phénomène marginal et l’A.S.R.A.S.,
indépendamment de ses tentatives, n’a pas réussi à s’affirmer numériquement.
Si nous établissons un rapport direct entre le retour en force des
idées libertaires et les organisations libertaires ou anarcho-syndicalistes,
ces dernières auraient dû connaître un développement au moins égal
à la puissance avec laquelle les idées s’affirment. Force est de
constater qu’il n’en est pas ainsi.
Le
socialisme anti-autoritaire se trouve enfermé dans une impasse qu’il
est difficile de réduire à la perte d’influence de ses idées. Le
socialisme autoritaire, soit léniniste, soit stalinien, soit réformiste,
est passé sur les mémoires et les formes de pensée tel un rouleau
compresseur, réduisant tout à lui-même.
Aux
origines, le fédéralisme, l’autogestion étaient la formulation politique
des couches petites-bourgeoises ; aujourd’hui, quand on les
accepte, ils sont une relecture du marxisme et de Marx.
Ceux
qui en étaient les porteurs restent des petits-bourgeois. En fin
de compte être marxiste est considéré comme plus responsable. Tant
qu’une révolution n’aura pas été faite dans les idées, le développement
organisationnel des anarcho-syndicalistes reste hypothétique.
Les
militants qui se battent pour une idée aiment en voir une application
plus ou moins rapide. Le long travail silencieux ne plaît à personne.
Quelle peut être la contribution réelle d’un petit groupe à la lutte
des classes? Il faut l’avouer sans en avoir honte, elle ne peut
être que minime, modeste. Les objectifs des militants d’un petit
groupe doivent être proportionnels à leurs forces. Un camarade qui
se lancera dans l’action en pensant que la contribution de son groupe
sera fondamentale et mesurable à l’intérieur des modifications intervenues
dans la classe ouvrière court à une amère désillusion. De plus,
il tendra à attribuer cette désillusion à la ligne politique du
groupe. Sans tenir compte du fait qu’elle peut tout aussi bien découler
dé la disproportion entre les idées et les ambitions, d’une part,
et les moyens à notre disposition, d’autre part.
Qu’on
songe à des expériences typiquement libertaires comme l’O.R.A.
Le
fait qu’elle ait quitté une organisation, qu’elle ait été ouverte
à tous les fronts de lutte, n a pas suffi à lui assurer un développement
conséquent.
Les
causes d’un mal ne sont pas toujours à chercher uniquement en nous-mêmes.
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