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Origine : échanges avec René Berthier
Il est peu d'institutions plus controversées que le Fonds monétaire
international. Cette institution financière a été
créée le 1er juillet 1944 à Bretton Woods, dans
le New Hampshire (Etats-Unis), avec la bénédiction de
44 pays. Sa sœur jumelle, la Banque internationale pour la reconstruction
et le développement (BIRD), communément appelée
Banque mondiale, est tout aussi controversée.
Il est peu d'institutions plus controversées
que le Fonds monétaire international. Cette institution financière
a été créée le 1er juillet 1944 à
Bretton Woods, dans le New Hampshire (Etats-Unis), avec la bénédiction
de 44 pays. Sa soeur jumelle, la Banque internationale pour la reconstruction
et le développement (BIRD), communément appelée
Banque mondiale, est tout aussi controversée.
Le FMI avait deux parrains : Keynes, le célèbre économiste
britannique, et John Dexter White, sous-secrétaire américain
au Trésor .
Le projet de Keynes était grandiose : l'économiste
rêvait d'une administration globale du monde ; il prévoyait
la constitution d'une banque supranationale qui aurait concentré
toutes les réserves monétaires et tout l'or de la
planète. Une monnaie unique, le bancor, devait couronner
le tout.
L'URSS, ne voulait pas d'un système dans lequel les Anglo-Saxons
auraient été hégémoniques. Le projet
de Keynes fut donc quelque peu dégonflé et un système
moins ambitieux fut adopté, composé de deux institutions
séparées.
La fonction du FMI, en théorie, est de promouvoir la coopération
monétaire internationale et d'aider les pays à redresser
les déséquilibres à court terme de leurs balances
des paiements. La Banque mondiale, elle, doit faciliter les investissements
en capital à des fins productives. Ça, c'est pour
la théorie. Les détracteurs de cette institution ne
sont pas toujours les mieux placés pour la critiquer. Souvent
ce sont des chefs d'État du tiers monde, ou de hauts fonctionnaires,
contraints d'appliquer des «plans d'ajustement structurels»,
et qui trouvent plus adéquat de réduire les dépenses
sociales de l'État que de réduire le nombre de policiers
ou d'effectuer des coupes dans le budget de l'armée. Mais
dans la réalité, les choses sont plus compliquées
que cela.
Les défenseurs du FMI et de la Banque mondiale ont soin de
préciser que ces institutions ne sont pas indépendantes,
qu'elles dépendent d'un conseil de gouverneurs qui décident
de la politique qu'elles suivent, et qu'après tout aucun
fonctionnaire du FMI ne se rend dans un pays sans que le gouvernement
de ce pays en soit d'accord. Autrement dit, le FMI, comme la banque
mondiale, d'ailleurs, ne viennent que lorsqu'ils sont appelés.
L'idée générale qui domine auprès des
dirigeants du FMI et de tous ceux qui partagent leur point de vue
est que cette institution doit réparer les erreurs des «banquiers
imprudents» et des «gouvernements qui ont gaspillé
les emprunts», et qui « demandent miséricorde
pour leur péchés» (sic). Ce n'est pas la faute
du FMI si «les pauvres souffrent dans le tiers monde»
mais «celle des gouvernements qui n'ont pas créé
les conditions élémentaires de la prospérité».
Le contribuable de Paris ou de Chicago n'a pas à payer pour
«abaisser le prix du ticket d'autobus à Caracas, ou
celui du couscous à Tunis». C'est une erreur de nommer
«émeutes du FMI» les manifestations consécutives
à la mise en place des plans du FMI alors que ce sont les
gouvernements en question qui ont «vécu à crédit
- c'est-à-dire à nos frais». L'auteur de ce
pensum lâche quand même à la fin du chapitre
une information qui n'est pas inintéressante : il cite un
auteur chilien qui reconnaît que le FMI a joué, pendant
la crise de 1982, un rôle capital en «empêchant
l'effondrement du système monétaire international.
Sa fonction clé a été de faire pression sur
les États et les banques, pour maintenir le flux des paiements
et des niveaux de nouveaux crédits suffisants pour empêcher
la bombe de la dette d'exploser.» En fait, le rôle du
FMI pendant cette crise a été d'empêcher que
les économies des pays industriels ne s'effondrent. Nous
voilà rassurés.
Les classes dominantes des pays du tiers monde ne
sont pas innocentes dans le maintien du sous-développement
de leur pays, nous aurons l'occasion d'aborder cette question. Mais
elles n'ont guère le choix, en ce sens qu'elles ne dominent
dans leur pays que parce que les puissances impérialistes
le veulent bien. La norme, c'est plutôt Mobutu, Marcos ou
Duvallier que Mossadegh. Car lorsqu'un Mossadegh apparaît
il est vite expédié dans les oubliettes. La moindre
tentative, on l'a vu, de mettre en place une politique nationale
contraire aux intérêts des multinationales est immédiatement
suivie de coups d'État suscités de l'extérieur
ou d'interventions militaires .
De plus, les gouvernements qu'on accuse de dilapider «l'argent
international» ne font que se plier au modèle de développement
voulu par les puissances industrielles, modèle qui assure
à celles-ci l'appropriation des richesses minières,
agricoles, énergétiques au plus bas prix, c'est-à-dire
dans des conditions qui ne peuvent assurer le développement
du tiers monde. De bonnes âmes ont beau se lamenter que les
États du tiers monde préfèrent maintenir un
nombre pléthorique de fonctionnaires et une armée
bien équipée, il reste que ces fonctionnaires garantissent
la pérennité d'un système qui assure la docilité
de populations qui envisageraient volontiers autre chose, et des
achats d'armements indispensables aux économies des pays
industriels. Si un seul gouvernement du tiers monde mettait en place
les «conditions élémentaires de la prospérité»,
il serait immédiatement renversé à l'instigation
de l'une ou l'autre puissance impérialiste, car ce serait
inévitablement une menace pour le «libre» accès
aux matières premières indispensables à l'Occident.
Les «banquiers imprudents» et les «gouvernements
qui gaspillent les emprunts» sont ceux-là mêmes
qui permettent que le flux net de capitaux allant du tiers monde
vers les pays industriels est supérieur au flux inverse,
ce qui fait que ce sont en réalité les pays pauvres
qui financent les pays riches !
________________
L'examen d'un cas, celui de l'Inde, est intéressant
pour les conséquences économiques des mesures du FMI
et de la Banque mondiale, mais aussi pour les implications politiques
qui en découlent.
En décembre 1991, un accord, dont les conditions sont tenues
secrètes - ce qui infirme le caractère transparent
de l'activité du FMI - est signé entre l'Inde, le
FMI et la Banque mondiale dans le but, officiellement, d'alléger
les difficultés de paiement de la dette, de réduire
le déficit budgétaire et de combattre l'inflation.
Toutes les mesures habituelles des plans d'ajustement structurel
sont mises en place : réduction des dépenses sociales
et d'infrastructure ; élimination des subventions aux produits
alimentaires ; vente d'entreprises publiques rentables ; fermeture
d'entreprises publiques malades ; réforme du système
bancaire, des institutions financières et de la fiscalité
; ouverture aux capitaux étrangers.
Le résultat, curieusement, fut inverse : la stagflation s'installe,
le prix du riz augmente de 50 pour cent en quelques mois, la balance
des paiements s'aggrave, le coût des matières premières
importées augmente, les classes aisées se lancent
dans une frénésie d'achat d'articles de luxe étrangers
au lieu d'investir (c'est là une constante de tous les plans
d'ajustement structurel...).
Les coupes dans les programmes sociaux et d'infrastructure sapent
la production et les exportations du pays, ce qui conduit à
un alourdissement encore plus grand du service de la dette... et
à la nécessité d'emprunter encore davantage.
Entre 4 et 8 millions de chômeurs supplémentaires sont
attendus dans le privé et le public dans les trois années
suivantes ; dans le seul secteur textile, le tiers de la main-d'œuvre
est débauché.
Avec l'arrivée de capitaux étrangers et la constitution
de joint-ventures, une bonne partie de l'automobile et de l'ingénierie
va progressivement disparaître. « Les pays du G-7 sont
pressés d'exporter leur récession », écrit
Michel Chossudovsky dans le Le Monde diplomatique d'avril 1992.
«Les multinationales occidentales et japonaises veulent obtenir
le contrôle d'une partie du marché indien.» En
fait, les réformes imposées par le FMI interdisent
le développement autonome d'un capitalisme indien qui aurait
été potentiellement capable de concurrencer les pays
industriels. Il n'est pas exagéré de penser que c'est
précisément le but recherché.
Ces réformes ont été approuvées par
les firmes locales, alliées au groupe de pression des propriétaires
fonciers. En effet, de grosses entreprises identifient leurs intérêts
à ceux du capitalisme étranger et de l'économie
mondiale. Les bourgeoisies locales profitent en outre de la concentration
de la propriété qui est la conséquence de l'appauvrissement
des petits cultivateurs.
La disparition des crédits préférentiels aux
petites et moyennes entreprises favorise la pénétration,
dans les secteurs traditionnels de la petite industrie, des grandes
familles du monde des affaires alliées avec le capital étranger.
L'ouverture à l'économie mondiale est, enfin, une
occasion de changer la législation sociale à la baisse,
de se débarrasser des travailleurs organisés, de sous-traiter
avec de petites usines qui emploient main-d'œuvre temporaire
et non syndiquée. Ce processus n'est pas seulement valable
dans les pays du tiers monde d'ailleurs, il est mis en place en
Europe, en particulier en Grande-Bretagne, dont le gouvernement
est particulièrement complaisant avec les sociétés
américaines et japonaises, qui s'implantent à condition
qu'on ne parle plus de syndicats, de conventions collectives, de
hausses de salaires, voire même de retraites. C'est là
une véritable tiers-mondisation de la classe ouvrière
en Occident.
En Inde, Bata, la multinationale de la chaussure, payait les travailleurs
syndiqués 17 F par jour : grâce aux réformes
du FMI, la firme va pouvoir débaucher et sous-traiter à
5,50 F par jour... Le processus est identique dans l'industrie du
jute, de l'habillement, etc.
La politique du FMI ne consiste pas à étendre les
avantages que les travailleurs des pays industrialisés peuvent
encore avoir, comme par exemple la législation du travail,
au contraire, elle consiste à «aider les pauvres»
en liquidant la législation du travail et les lois qui «favorisent
l'aristocratie du monde du travail» (ceux qui ont des salaires
supérieurs à 20 francs par jour) et qui défavorisent
les non-syndiqués.
Là encore, un parallèle avec l'Europe mérite
d'être fait, pour montrer que ceux qui, dans les pays industrialisés,
pensent être à l'abri des horreurs mises en place dans
le tiers monde, se font des illusions. En effet, on peut avoir une
idée de ce que sera l'Europe sociale de demain, celle de
Maastricht, en lisant un rapport de l'OCDE (Organisation de coopération
et de développement économiques) («Études
économiques», OCDE, Paris 1991, p. 58.). Les thèmes
développés dans ce rapport, faut-il le préciser,
ont été appuyés par la direction de la prévision
du ministère français de l'économie et des
finances :
«Dans un marché totalement concurrentiel
[les travailleurs peu qualifiés] dont la productivité
marginale est faible recevraient de très bas salaires ; par
contre, si un salaire minimum est imposé, les personnes dont
le coût de travail est supérieur au produit marginal
qu'elles dégagent seront exclues du marché pour des
considérations de prix et se retrouveront au chômage».
L'idée développée ici, qui
recoupe parfaitement les thèmes développés
et appliqués par le FMI dans le tiers monde, est que c'est
le salaire minimum qui crée l'injustice sociale... Explication
: dans un système où existe un salaire minimum, des
gens peu qualifiés restent au chômage, puisque, à
cause de ce salaire minimum, ils sont obligatoirement payés
plus qu'ils ne rapportent, et que les patrons ne les embaucheront
pas. Au contraire, dans un système concurrentiel, ils ne
toucheront peut-être pas le salaire minimum, ils toucheront
moins, mais au moins ils auront un emploi... Ce sont donc ces privilégiés
que sont les travailleurs non qualifiés, qui touchent le
salaire minimum, et qui volent leur patron en étant payés
plus que ce que vaut leur travail, qui empêchent les chômeurs
de travailler.
Mais revenons à l'Inde : l'abrogation de
la législation sur le salaire minimum, la désindexation
des revenus, bref la «libéralisation» conduisent
au renforcement des relations sociales despotiques dans l'entreprise
- mais n'est-ce pas le cas également lorsque cela est pratiqué
en Europe ? -, au semi-servage et au recours accentué de
l'exploitation des enfants. Les réformes du FMI ne prennent
absolument pas en compte qu'il s'agit d'un pays essentiellement
agricole, elles n'ont aucune considération pour les conséquences
de cette politique pour les travailleurs agricoles, les artisans
et les petites entreprises. 70 % des foyers ruraux, c'est-à-dire
400 millions d'habitants, sont constitués de petits fermiers,
de travailleurs sans terre. La suppression des subventions aux prix
des engrais, l'augmentation du coût des intrants agricoles
et des carburants conduit à la banqueroute de nombreuses
fermes petites et moyennes. Les mesures du FMI et de la Banque mondiale
aboutissent à des dépossessions massives de petits
paysans, à l'expropriation des terres communales. En outre,
la libéralisation du système bancaire vise en fait
à supprimer les coopératives rurales de crédité
et conduit au renforcement des prêteurs d'argent villageois.
«Au lieu d'"éliminer la pauvreté",
comme le proclame M. Lewis Person, président de la Banque
mondiale, ce type de programme élimine les pauvres»,
écrit Michel Chossudovsky. De fait, on assiste à une
vague impressionnante de morts par famine : la majorité de
la population rurale vit dans un état de faim chronique.
Le prix du riz a augmenté de 50 % à la suite de la
dévaluation et de l'arrêt des subvention à l'alimentation
et aux engrais. Les revenus réels des travailleurs du tissage
ont baissé de 60 % et plus dans les six mois qui ont suivi
l'adoption du plan du FMI, touchant 3,5 millions de familles, c'est-à-dire
dix-sept millions de personnes. La plupart des activités
opérant à petite échelle dans les villes et
campagnes selon le système de la sous-traitance sont touchées
de la même façon.
Pourtant, si la consommation intérieure baisse,
les exportations de riz augmentent !
«La dévaluation a été
une très bonne chose pour nous, comme l'a été
la décision de lever les restrictions quantitatives des exportateurs
de riz. Nous pensons pouvoir accroître nos ventes de riz de
60 % sur le marché mondial.» (Responsable de Tata Exports,
Cf. Chossudovskyé Le Monde diplomatique, janv. 92)
Le programme du FMI est un vrai génocide économique.
Des centaines de milliers de gens ont un revenu par tête inférieur
à 2 francs par jour, alors que «dans la logique du
FMI, les prix locaux doivent grimper aux niveaux mondiaux»
(Chossudovsky).
Quelques jours avant les bombardements sur l'Irak, la Yougoslavie
présidait une conférence des pays non alignés
pour tenter de résoudre la crise du Golfe. Parmi les participants
se trouvait l'Inde, le seul pays non aligné à disposer
de l'arme nucléaire.
Le ministre des Affaires étrangères indien rendit
visite à Saddam Hussein peu après l'invasion du Koweït.
L'Irak était le plus gros fournisseur de pétrole de
l'Inde (les 2/3 de ses importations), qui tenta de susciter une
médiation des non-alignés dans la crise. A contre-cœur,
l'Inde finit par se rallier aux vues des Occidentaux, mais la décision
d'autoriser les avions américains à se ravitailler
en Inde fut sévèrement critiquée par tous les
partis. Enfin, traditionnellement la politique étrangère
de l'Inde consistait à ne pas prendre parti dans les conflits
entre États, sauf avec Israël. Tout cela constituait
des raisons largement suffisantes pour justifier une remise au pas.
Voilà qui est fait.
En effet, aujourd'hui, les fonctionnaires du FMI et de la Banque
mondiale suivent en permanence l'évolution de la situation
du pays grâce à un système informatisé
logé dans le ministère des finances. «Nous nous
assurons qu'ils ne trichent pas» (entretien particulier, Chossudovsky).
Tout est vérifié pour que les réformes structurelles
aboutissent. Le gouvernement indien est placé «dans
une véritable camisole de force qui lui fera perdre tout
contrôle de sa politique fiscale et monétaire»
et, par conséquent, de sa politique étrangère.
«Des documents fondamentaux sont directement rédigés
par le FMI et la BM au nom du ministère des finances.»
«Le ministre des finances de l'Union fait
son rapport directement à Washington. Il n'a pas à
tenir compte du Parlement ni des procédures démocratiques.»
Le budget est «dans une large mesure une copie
conforme d'un autre document, celui que, plusieurs mois auparavant,
le gouvernement avait signé, en même temps que l'accord
de prêté avec la Banque mondiale...»
La mise au pas de l'Inde est réalisée,
son intégration au Nouvel ordre mondial est effectuée.
Et, en plus, le gouvernement indien a déposé, à
titre de garantie, 47 tonnes d'or à la banque d'Angleterre...
Le Business de l'«aide»
L'après-guerre du Golfe a mis à la mode
un nouveau concept, celui de «droit d'ingérence»,
appliqué tout d'abord aux Kurdes d'Irak, puis étendu,
de façon sélective évidemment, à d'autres
situations. Le prétexte humanitaire cache mal des motivations
moins gratifiantes. Au siècle dernier, la colonisation se
faisait selon un processus presque immuable : on envoyait des missionnaires,
qui fichaient tellement la pagaille qu'inévitablement l'un
ou l'autre d'entre eux se faisait un peu trucider, après
quoi on envoyait des troupes pour «protéger»
les missionnaires, et accessoirement apporter la «civilisation»
à ces sauvages.
Aujourd'hui, aux missionnaires qui continuent d'officier (Cf. infra,
3.) on a ajouté l'aide humanitaire et le droit d'ingérence.
On crée des conditions qui empêchent les pays du tiers
monde de mettre en place une voie propre de développement,
et ensuite on intervient pour les «inciter» à
se développer selon une voie conforme au modèle des
pays industrialisés.
Il y a un véritable business de l'«aide»
au tiers monde dont la fonction, mystifiante, se réduit en
réalité à aider les riches des pays riches.
1. Capter une part considérable de la plus-value
à l'échelle planétaire
Un fait est extrêmement suspect : les sommes
énormes versées au titre de l'«aide» par
les organismes internationaux échappent totalement à
l'analyse coût/rentabilité. Le financement de l'«aide»
n'est pas lié aux résultats observables sur le terrain.
Ainsi, Graham Hancock, dans Les Nababs de la pauvreté, peut-il
écrire : «Nous avons installé une tribu d'hommes
et de femmes grassement payés qui sont irrémédiablement
coupés des réalités quotidiennes de la pauvreté
et du sous-développement globaux que leur travail est censé
soulager. Ces bureaucrates sur-indemnisés de l'aide exigent
- et obtiennent - un niveau de vie souvent bien supérieur
à celui auquel ils pourraient prétendre s'ils travaillaient,
par exemple, dans l'industrie ou le commerce de leur propre pays.»
Mais, dit-il, leurs réalisations ne sont pas soumises à
l'évaluation considérée comme normale en économie.
Les fonctionnaires de l'aide au tiers monde ne sont jamais tenus
de faire la preuve de leur compétence par les résultats
qu'ils obtiennent. (Cf. Graham Hancock, Les Nababs de la pauvreté,
Robert Laffont éd.)
Le développement est une véritable industrie qui répond
à des critères différents d'efficacité
que les critères habituels. C'est que son rôle n'est
pas de produire des résultats. Cette industrie, financée
par l'aide publique des pays riches pour promouvoir le «développement»
dans les pays pauvres, emploie des centaines de milliers de personnes
les mieux payées de la planète, qui jouissent de salaires
substantiels leur garantissant un style de vie privilégié.
L'aide publique au développement est financée par
l'argent collecté sous forme d'impôts et versé
à des organismes officiels. Cela correspond à des
flux allant de 45 à 60 milliards de dollars par an. Cela
peut sembler beaucoup, mais cela représente une somme insignifiante
à l'échelle mondiale : la France consacre 0,72 % de
son PNB annuel à l'aide, les Etats-Unis 0,21 %... La CE,
dépense 20 milliards de dollars pour stocker les surplus
alimentaires produits par l'agriculture européenne...
Mais si on envisage les choses sous un autre angle, celui d'une
entreprise qui aurait chaque année 60 milliards de dollars
à dépenser, c'est considérable : ce serait
une des plus puissantes multinationales.
Quant à l'aide privée, le gaspillage est tout aussi
considérable. En 1985, The Hunger project reçoit un
total de dons de 6 981 005 dollars : 210 775 seront versés
à organisations engagées dans soulagement des pays
affamés. Le reste fut dépensé aux Etats-Unis
en «activités de recrutement», en «services
de communication, d'information et d'éducation», en
«publications», en «gestion et frais divers»
et en «collecte de fonds». Les seules dépenses
de téléphone se monteront à presque un demi-million
de dollars. Ce qui fait dire à un réfugié africain
: «Comment se fait-il que chaque dollar américain arrive
avec vingt Américains attachés après ?»
(B.E. Harrell-Bond, Imposing Aid : Emergency Assistance to Refugees,
OUP, Oxford, 1986.)
Le business international est ainsi l'occasion d'un formidable accaparement
de fonds à des fins privées. On ignore, par exemple,
que le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés
(HCR) n'est pas un organisme d'exécution : il collecte les
fonds auprès des gouvernements membres de l'ONU et reverse
l'argent à des associations caritatives qui se trouvent sur
le terrain. Une organisation à Beyrouth acheta ainsi du matériel
qu'elle paya le triple de sa valeur par l'intermédiaire de
sociétés fictives. L'opération rapporta 500
000 dollars.
Le Business international est aussi, évidemment, un formidable
outil d'accaparement pour lui-même. En 1986, lors de la session
annuelle de la Banque mondiale et du FMI, un ensemble de 700 «événements
sociaux» eurent lieu en une semaine, pour un coût de
10 millions de dollars. (Washington Post 28 sept. et 1er octobre
1986.) Cela représentait, selon Graham Hancock, de quoi soigner
47 millions d'enfants de la xérophtalmie pendant un an :
c'est une maladie due à une carence de vitamine A, qui rend
aveugle 500 000 enfants africains et asiatiques par an.
Il n'y a évidemment aucun contrôle sur ces institutions.
Les fonds qui les alimentent, et qui proviennent de nos impôts,
restent à la discrétion des dirigeants de ces organisations,
dont la politique est définie dans des documents confidentiels
ou secrets, des textes à diffusion limitée, des réunions
à huis clos. Seuls sont publiés des textes insipides
et vagues. Tout est fait pour empêcher le contrôle du
public. Le personnel ne doit communiquer à personne les informations
dont il a eu connaissance.
La Banque mondiale est probablement l'institution la plus impénétrable
de toutes. Même les gouverneurs se voient interdire l'accès
à certaines évaluations du personnel concernant des
projets et des programmes discutables. Des «documents internes»
ne sont accessibles ni aux gouverneurs ni au grand public.
Les documents préparés pour le conseil d'administration
sont «strictement confidentiels et non communicables au-delà
de leur diffusion restreinte». Seuls les Etats-Unis ont expressément
stipulé qu'ils refusaient de fournir des fonds à des
institutions dont ils ne pouvaient vérifier les comptes.
On peut dire que si l'aide au tiers monde était efficace,
si les institutions avaient résolu les problèmes pour
lesquels elles ont été créées, elles
auraient dû disparaître... Au contraire, elles ont grandi,
sont devenues tentaculaires : 150 comités, sous-comités,
sous-commissions, et autres groupes de travail de l'ONU sont censés
s'occuper des problèmes des pauvres. Il faut compter aussi
une quinzaine d'institutions de développement, chacune ayant
son propre budget et ses satellites : 20 dans le cas de l'OMS, 18
dans le cas de la FAO, plus de dix dans le cas de l'Unesco et de
l'OIT, 13 pour le PNUD, etc.
Le business de l'aide a sa logique propre, une dynamique interne
qui le pousse à l'expansion. «Bien sûr, dit Graham
Hancock, la Banque [mondiale] est dans le business du prêt
d'argent pour le développement. Si elle cesse de prêter,
elle cesse de jouer un rôle. Réciproquement, plus elle
prête, plus son rôle devient important.» (Op.
cit. p. 230.) La finalité de ces institutions devient progressivement
plus de dépenser l'argent dont elles disposent que de les
affecter à des projets dont on attend des résultats,
car l'affectation de prêts toujours plus importants conditionne
leur expansion. Mais il s'agit d'une expansion qui répond
à des objectifs bien définis.
2. Créer une couche sociale privilégiée
dont la fonction est le maintien de l'ordre international
Ces fonctionnaires internationaux sont les salariés
les mieux payés du monde, et ils bénéficient
d'avantages considérables. Pourtant, des audits internes
se plaignent de leur manque de compétence... Ainsi, l'ONU
s'en remet à de nombreux experts extérieurs pour faire
son travail. Malgré les 12 248 employés à plein
temps, le secrétariat de New York dépense 11,1 millions
de dollars tous les deux ans pour rétribuer ses consultants.
Dans une enquête du Centre de développement de l'OCDE
sur l'aide aux projets, on peut lire, par exemple : «Nous
ne voyons que très peu d'avantages au recours intensif à
des sociétés de conseil étrangères,
sauf comme moyen de dépenser l'argent de l'aide.»
La FAO, avec ses 10 500 employés, fait appel à tellement
d'assistance extérieure qu'il lui faut 19 millions de dollars
tous les 2 ans.
Frais de personnel et frais assimilés représentent
80 % de toutes les dépenses de l'ONU (Cf. document de l'ONU
A/C./40/SR.45, Nations Unies, New York, 4 décembre 1985.)
L'ONU est en réalité un organisme de soutien à
son propre personnel. Les frais de déplacement et d'hébergement
du président et du bureau exécutif de l'Unesco représentaient,
en 1984, 1 759 548 de dollars. Le budget des déplacements
pour tout le personnel de la FAO était de 14 millions de
$.
A titre d'illustration, l'éducation des enfants handicapés
en Afrique : 49 000 $ ; le développement programmé
au Pakistan : 7 200 $ ; la formation des instituteurs au Honduras
: 1 000 $ («How the UN Spends Its $ 1 Billion From US Taxpayers»,
Heritage Foundation, Washington DC, 1984.)
Il n'y a aucun effort concerté dans l'activité des
multiples branches qui s'occupent du «développement».
Elles sont en conflit permanent de compétence et de préséance,
quand ne se constituent pas de véritables empires personnels
qui dirigent cette superstructure administrative pesante et compliquée.
Les tentatives d'endiguer ce phénomène ne servent
qu'à «créer encore plus de postes grassement
payés pour un nombre toujours plus grand de fonctionnaires
internationaux ; elles ont également été le
prétexte à la création d'encore plus de commissions,
à la tenue d'encore plus de réunions, à la
publication d'encore plus de rapports.» (Cf. Hancock, op.
cit. p. 175.)
Le PNUD, dans le bilan de ses réalisations depuis le milieu
des années 60, se vante d'avoir «financé l'affectation
de 193 000 experts de 164 nationalités pour travailler dans
170 pays et territoires, dans à peu près tous les
secteurs de l'économie.» (1985 - And Towards the 1990s,
Programme des Nations unies pour le développement, New York,
octobre 1986.) On estime le coût de 150 000 experts entre
15 et 22 milliards de dollars par an, soit entre 35 % et 50 % de
toute l'aide publique au développement.
Un délégué général adjoint reçoit
une allocation de 10 661 $ par mois pour un appartement de standing
près de l'ONU : on peut parler d'«atmosphère
débridée d'enrichissement rapide créée
par des avantages et privilèges plus que généreux»
(Hancock, op. cité p. 156). Il s'agit d'une véritable
«aristocratie privilégiée effectivement coupée
des contingences de la vie quotidienne». Un sous-secrétaire
général a pris sa retraite avec 1/2 million de dollars,
plus 50 000 dollars par an. Il fut réembauché comme
consultant à 125 000 $ par an. (The United Nations, Its Problems
And What To Do About Them, Heritage Foundation, Washington DC, septembre
1986) (Cité par Hancock, op. cit, p. 157.)
Un exemple parmi bien d'autres de prédation sur les fonds
publics au bénéfice d'une minorité : lors d'une
conférence sur le droit de la mer, l'ONU employa 90 opérateurs
sur 27 machines à polycopier tournant 24 heures sur 24. Il
fut produit 250 000 pages par jour, chaque document en 3, voire
5 langues. La seule liste des documents produits faisait 160 pages.
Au bout de 70 jours, les délégués ne prirent
qu'une seule décision : tenir une autre conférence
sur le même sujet. (Wall Street Journal, New York, 27 août
1974.)
3. Imposer, à l'exclusion de tout
autre, le modèle occidental au tiers monde
Le premier moyen pour imposer un modèle est
évidemment de lier l'obtention de prêts à des
modifications de la politique économique du pays emprunteur.
Le FMI et la Banque mondiale sont gérés par un conseil
composé des représentants des gouvernements qui «cotisent».
Les votes sont liés au degré de contribution de chacun
des Etats membres. Les cinq grandes puissances industrielles contribuent
pour 40,9 % du total au FMI, c'est-à-dire qu'elles ont une
position hégémonique : «... toutes les institutions
d'aide publique, qu'elles soient bilatérales ou multilatérales,
coopèrent très étroitement avec elle [la Banque
mondiale], imitent sa politique et ses priorités sectorielles
eté dans une large mesure, partagent ce qu'on pourrait appeler
sa "philosophie du développement".» (Hancock,
op. cit.)
Mais l'orientation favorable à la mise en place des plans
d'ajustement structurels n'est pas seulement une simple question
d'idéologie. L'objectif des institutions internationales
étant de dépenser leur argent (ne serait-ce que pour
prouver qu'elles n'en ont pas eu assez), la productivité
du travail de ces institutions se mesure aux sommes qui ont été
prêtées. Par exemple, le président de la Banque
mondiale évoquait en juillet 1987 les succès de l'année
fiscale 1986-87, lors de laquelle «nos engagements ont atteint
14,2 milliards de dollars, contre 13 milliards de dollars l'année
dernière.» (Le Monde, 25 juillet 1987.) Or, une semaine
de travail du personnel de la Banque mondiale permet de débourser
deux fois plus de dollars avec un plan d'ajustement structurel qu'avec
n'importe quel autre plan : «Les fonctionnaires ambitieux
de la Banque s'orientent de plus en plus vers les travaux d'ajustement
structurels plutôt que vers les projets axés sur la
pauvreté» déclare Sheldon Annis, du Conseil
du développement outre-mer (cité par Hancock, op.
cit., p. 231.)
La diffusion du modèle occidental prend également
d'autres visages à travers «l'aide». On se souvient
que lorsque les Européens raflaient des Noirs sur les côtes
d'Afrique pour en faire des esclaves, ils calmaient leurs scrupules
- pour autant qu'ils en eussent - en se disant qu'ils leur rendaient
service puisqu'ils leur épargnaient l'enfer en les convertissant
au christianisme. Bien des bonnes âmes d'aujourd'hui n'ont
pas du tout changé d'optique. Ainsi, des associations caritatives,
telles que Christian Aid, World Vision, etc., recrutent des fanatiques
chrétiens pour gérer programmes d'aide dans les camps
de réfugiés en Somalie. «Nous analysons chaque
projet, chaque programme que nous entreprenons pour nous assurer
que l'évangélisme est une composante significative.
Nous ne pouvons pas nourrir des individus et les envoyer ensuite
en enfer» déclara Ted Engstrom, président de
World Vision jusqu'en 1987. (Cf. le journal World Vision, nov. 1982.)
La conception très particulière de l'«aide»
de World Vision se manifesta encore en 1981-82, au Honduras, dans
le cadre de son programme «réfugiés»,
sous l'égide du Haut commissariat des Nations unies pour
les réfugiés. Des coopérants témoins
accusèrent les employés de World Vision de menacer
de refuser de donner de la nourriture à des réfugiés
salvadoriens pour les obliger à assister aux services religieux
protestants.
L'expansion du modèle occidental à travers l'«aide»
se fait aussi par l'intermédiaire des médias, tout
en fournissant à ceux-ci une substantielle plus-value : on
aide les pauvres et on fait en même temps des profits. Fin
1984, une chaîne de télé française organisa
une «caravane de l'espoir» qui traversa la Sahara à
toute vitesse pour porter des médicaments, de la nourriture
et des équipements que nécessiteux du Sahel. Le maintien
du contact par satellite coûta autant d'argent que l'opération
de secours. La plus grande partie de l'équipement médical
fut détruite à cause de l'exigence de maintenir une
allure rapide pour les caméras. (Peter Gill A year in the
Depth of Africa, Paladin, Londres 1986.)
Barber Conable, président de la Banque mondiale, déclara
au conseil des gouverneurs le 30 septembre 1986 : «... regarder
notre monde à travers les yeux des plus défavorisés...
satisfaire leurs besoins, pour les aider à réaliser
leur potentiel, leurs aspirations... L'action collective contre
la pauvreté globale est le dessein commun qui nous réunit
aujourd'hui.»
D'autres ont exprimé les choses avec beaucoup plus de clarté.
Dans les années 50, Eugene Black, président de la
Banque mondiale déclara : «Nos programmes d'aide étrangère
représentent un net avantage pour les affaires américaines.
Les trois avantages majeurs sont les suivants : 1. L'aide étrangère
fournit un marché substantiel et immédiat aux biens
et aux services américains ; 2. L'aide étrangère
stimule le développement de nouveaux marchés outre-mer
pour les entreprises américaines ; 3. L'aide étrangère
oriente les économies nationales vers un système de
libre entreprise où les firmes américaines peuvent
prospérer.» (cité par Teresa Hayter, The Creation
of World Poverty, Select-Book Service Syndicate, New Delhi 1982.)
Le sénateur McGovern, en 1964 : «Les gens que nous
assistons aujourd'hui deviendront nos clients de demain [...] Un
immense marché pour les produits américains de toute
sorte verra le jour si l'Inde atteint seulement la moitié
de la productivité du Canada.» (Susan George, Comment
meurt l'autre moitié du monde, Laffont.)
Le sénateur Hubert Humphrey, en 1957 : «J'ai appris
que des gens pouvaient devenir dépendants de nous pour la
nourriture. Pour moi c'est une bonne nouvelle - parce que les gens,
avant de faire quoi que ce soit, doivent manger. Et si vous cherchez
un moyen de rendre les gens dépendants de vous, pour vous
assurer leur coopération, il me semble qu'une dépendance
alimentaire serait sensationnelle.» (Cf. Teresa Hayter, op.
cit.)
Richard Nixon, en 1968 : «Souvenons nous que le but principal
de l'assistance n'est pas d'aider d'autres nations mais de nous
aider nous-mêmes.» (Hayter, op. cit.)
Aujourd'hui, le discours est plus technique : on peut lire dans
un document de l'USAID, dépendant du ministère des
Affaires étrangères américain : «A travers
le dialogue politique, les Etats-Unis communiquent avec les gouvernements
pour éliminer les subventions inadéquates, le contrôle
des prix et des salaires, les restrictions commerciales, les taux
de change surévalués et le plafonnement des taux d'intérêt,
qui réduisent les performances économiques.»
[de qui ?] (Facts About Aid, US Agency For International Development,
Washington DC, novembre 1986.)
Toute tentative de rupture d'un pays avec le FMI entraîne
la suppression de tous les prêts accordés par les diverses
institutions et Etats : c'est que chaque dollar fourni par le FMI
débloque des prêts de la Banque mondiale, et débloque
aussi entre 4 et 7 dollars de prêts privés.
Les bénéficiaires de ces meures sont les gouvernements
et les classes dominantes des pays du tiers monde. «Les ministres
des Finances et présidents dictatoriaux corrompus d'Asie,
d'Afrique et d'Amérique latine se marchent sur les pieds,
au risque d'abîmer leurs chaussures de luxe, dans leur hâte
inconvenante d'être "ajustés".» (Hancock,
op. cit., p. 109) «Aucun sacrifice n'est exigé d'eux
personnellement. tout ce qu'ils ont à faire - renversant
mais vrai -, c'est de pressurer les indigents, une activité
où ils ont déjà une grande expérience.»
Le pas suivant dans l'expansion du rôle des institutions internationales
est aisé à deviner. Il s'agit de substituer à
la souveraineté nationale, non seulement le contrôle
de la Banque mondiale et du FMI sur les politiques des pays du tiers
monde, mais aussi une planification de leur production. «Les
programmes de PAS des divers pays devraient être rendus mutuellement
compatibles de manière que les marchés des différentes
marchandises ne se saturent pas accidentellement par suite d'une
multiplication des sources d'approvisionnement en expansion.»
(Structural Adjustment Lending : An Evaluation Of Programme Design,
doc. de trav. n° 735, BM, Wash. DC 1985.)
Toutes ces belles déclarations pourraient faire penser qu'il
y a dans les projets de ces institutions internationales une grande
cohérence résultant de l'exceptionnelle compétence
de leurs experts. Pas du tout. Un exemple entre mille.
50 millions de dollars ont été dépensés
en pure perte en Egypte pour la mise en place d'une ferme piscicole,
sur l'idée d'un seul expert de la FAO, qui n'est venu sur
place que très peu de temps, et qui proposa des «bassins
en eau profonde pour l'élevage de plusieurs espèces
de poissons».
Des unités à grande échelle devaient fournir
des rendements «stupéfiants». Ce fut un échec
complet. L'«expert» n'avait pas pris la peine de se
renseigner sur la qualité de l'argile, très particulière
: les digues s'effondrèrent.
A côté de là, cependant, un groupe de petits
fermiers récoltait tranquillement 27 000 tonnes de poisson
par an. Lorsqu'on demanda aux fonctionnaires de la FAO s'il n'aurait
pas été possible de consulter ces gens, on répondit
: «Ne perdez pas votre temps à parler à des
gens comme eux. Ils n'ont pas d'instruction. Ils ne savent rien.»
Le mépris des hommes réels, faits de chair et de sang,
semble être une constante inscrite dans la structure même
de la pensée de ces institutions. L'aide contre la pauvreté,
la faim et la mort n'est pas une aide qui aurait une valeur en elle-même,
parce que ce sont des humains qui souffrent, mais parce qu'éviter
des morts permet d'engendrer de la valeur : «Une réduction
de la mortalité génère une valeur sociale équivalant
à la valeur escomptée de la future production de chaque
individu sauvé. (James E. Austin, Confronting Urban Malnutrition
: the Design of Nutrition Programmes, John Hopkins University Press
for the World Bank, Baltimore, Md 1980.)
4. Corrompre les élites du tiers
monde en les détournant de la contestation de cet ordre international.
Les conditions exigées des gouvernements
pour qu'ils reçoivent les prêts d'ajustement structurel
n'incluent jamais le respect des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, de parole, d'association, ni encore moins la réduction
des dépenses militaires, la répression de la corruption
ni aucune autre réforme similaire.
Si le Pakistan consacre 34,8 % de son budget national à l'armée,
et 1 % à la santé, personne n'y trouvera à
redire, surtout pas les marchands d'armes. Si le Zaïre licencie
7 000 instituteurs en 1987 pour «raisons budgétaires»,
alors que Mobutu possède 51 Mercedes, 11 châteaux en
Belgique et en France, une villa sur la Costa del Sol, etc., aucun
auteur de plan d'ajustement structurel ne trouvera à y redire.
Personne n'ira s'interroger sur ce hasard curieux qui fait que le
déficit du budget du Zaïre, le montant de l'aide accordée
au pays depuis l'arrivée au pouvoir de Mobutu et le montant
de sa fortune personnelle représentent à peu près
le même chiffre...
La complaisance envers les régimes dictatoriaux du tiers
monde n'a pas de limite. L'Unesco, qui en principe se consacre au
«respect universel des droits de l'homme et des libertés
fondamentales», avait accordé à Amnesty International
le droit d'utiliser ses locaux pour une conférence sur la
torture. Amnesty International commit l'erreur de diffuser un document
citant nommément les régimes tortionnaires : le lendemain
matin, l'Unesco ordonna que la conférence se tienne ailleurs.
La corruption ne se fait pas seulement en soutenant des régimes
dictatoriaux, elle est dans le fait même que le modèle
occidental est imposé aux populations. Installer des fermes
piscicoles dans une région d'Afrique noire où l'alimentation
en eau n'est assurée que cinq mois par an, pour produire
du poisson à 4 000 dollars le kilo quand les paysans gagnent
moins de 400 dollars par an, implique inévitablement la corruption
des fonctionnaires de l'Etat intéressé par des groupes
économiques occidentaux intéressés.
Installer un complexe sucrier de 600 millions de dollars au Soudan,
capable en théorie de produire 17 000 tonnes de sucre par
jour, (dans un contexte international de surproduction de sucre),
nécessitant une centrale électrique de 40 mégawatts,
des canalisations d'eau de 32 kilomètres, une station de
pompage élevant les eaux du Nil de 45 mètres pour
arroser les champs, le tout à mille kilomètres du
port le plus proche... Les bénéficiaires ne sont pas
les Soudanais, qui paient leur sucre plus cher que le sucre importé,
mais les entreprises qui ont participé à la construction
du complexe, et les 400 cadres étrangers qui y travaillent.
En général, quand les autochtones renâclent
à se laisser «développer» - le cas est
arrivé où ils ont carrément détruit
une usine qui allait leur créer plus d'inconvénients
que d'avantages -, les institutions internationales veillent à
ce que les gouvernements locaux «soutiennent les réformes
contre l'opposition de ceux qui en sont négativement affectés.»
(Toward sustained development in sub-saharan africa, Banque mondiale
août 84)
Les gouvernements du tiers monde sont donc invités à
réprimer leurs propres populations dans l'intérêt
du «développement».
Au Soudan, encore, un énorme projet de canal était
en voie de réalisation pour irriguer une partie du sud du
pays. Les paysans du sud s'opposaient à ce projet parce qu'ils
craignaient l'afflux des riches fermiers du nord, une fois que le
canal serait fini. On ignora les réclamations des paysans
et une guerre civile éclata en 1983.
D'une façon générale, la présence de
l'«aide» occidentale dans le tiers monde crée
le chaos, la ruine et la désolation, déstructure les
solidarités à l'intérieur des populations,
déstabilise l'économie locale, quand elle ne suscite
pas de véritables catastrophes en encourageant la construction
de grands barrages qui favorisent l'apparition de maladies terribles
liées à l'eau _, ou en favorisant l'abattage de centaines
de milliers de kilomètres carrés de jungle au Brésil,
pour fournir à des paysans inexpérimentés quelques
arpents d'une terre de toute façon impropre à la culture.
La catastrophe a pris une telle tournure que le président
de la Banque mondiale, à l'origine du projet, a reconnu en
1987 - fait exceptionnel - que la Banque avait fait un «faux
pas»...
On peut dire enfin sans exagérer que les institutions internationales
sont d'énormes aspirateurs à hommes. Traditionnellement,
dans les pays du tiers monde, l'opposition à l'ordre impérialiste
vient des élites intellectuelles. Si leurs motivations peuvent
être idéalistes, elles ne sont pas non plus forcément
exemptes de considérations matérielles : le dépit
de ne pas voir leurs compétences trouver un débouché.
En aspirant ces élites en dehors de leur pays pour les employer,
selon le système des quotas, dans les organisations internationales
de toutes sortes, où ces gens gagnent de dix à vingt
fois ce qu'ils gagneraient dans leur pays, on désamorce complètement
toute la base sociale de la contestation de l'ordre impérialiste
dans le tiers monde, et on crée en même temps une couche
(voire une classe) sociale qui épouse complètement
l'idéologie dominante de l'ordre mondial. Ainsi, malgré
les apparences, l'argent de l'aide internationale est en fin de
compte fort utilement employé à préserver cet
ordre _.
Il y a une symétrie parfaite entre la prédation
sur l'argent de l'«aide» internationale et la prédation
sur l'argent du «social» au niveau national, en tout
cas en France... Les mandarins des hôpitaux qui vont en stage
d'une semaine à Serres-Chevalier au moment de l'enneigement
maximum, mais qui n'ont des conférences que de 17 h 30 à
20 heures (pour l'apéritif, en somme), les cadres des offices
de gestion de logements sociaux qui facturent leurs vacances en
Extrême-Orient dans la rubrique «séminaires»,
les directeurs et cadres d'organismes de formation en tout genre
ou d'associations à caractère social, subventionnés,
qui se partagent l'excédent du budget en primes, etc., tout
cela procède de la même logique. Des détournements
colossaux - et parfaitement légaux - sont opérés
sur «l'argent des pauvres» par une masse importante
de gens, qui en profitent à des degrés divers selon
leur place dans la hiérarchie, et qui constituent une véritable
classe en ce sens qu'elle se caractérise par un mode d'appropriation
très spécifique de la plus-value sociale. Tous sont
évidemment persuadés de l'extrême utilité
de leur tâche, de leur haute compétence et de la parfaite
légitimité de ce qu'ils se refusent avec horreur de
considérer comme des privilèges.
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