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RADIO LIBERTAIRE
LES CHRONIQUES DU NOUVEL ORDRE MONDIAL
Janvier-février 1997 DOSSIER LA CORÉE DU SUD ENTRE DANS LA COUR DES GRANDS
René Berthier

Origine : échanges avec René Berthier


La Corée du Sud est un pays dont le produit intérieur brut par habitant en 1960 était équivalent à celui du Tchad ou du Soudan (100 $) et qui en 1990 (avec 5 440 $) dépasse celui du Portugal. A titre d'illustration : PIB par habitant de la Yougoslavie (avant la guerre) : 2 490 $ ; du Portugal : 5 073 $ (France : 19 650 $). C’est donc un cas qui suscite bien des débats, chez les libéraux qui en font un exemple, et chez les tiers-mondistes qui y voient une confirmation de leurs thèses .


On a là l’exemple de pays du tiers monde qui a suivi une évolution spectaculaire qu'il serait intéressant d'analyser. En effet, du point de vue du modèle libéral véhiculé par toutes les institutions financières internationales, il constitue l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire. Or la Corée du Sud ne s'inscrit pas dans le schéma de la dépendance qui définit l'ensemble des pays du tiers monde. On peut donc s'intéresser aux raisons de cette situation.


La croissance économique coréenne est le résultat d'une volonté nationale, d'une planification réalisées par un Etat très interventionniste, le tout se réalisant à l'abri d'une forte protection à la fois aux produits, aux investissements étrangers et à la culture étrangère et d'un contrôle des investissements étrangers. Or l'une des caractéristiques des rapports dominants entre métropoles impérialistes et pays de la « périphérie », rapports qui sont formulés par les grandes institutions internationales, est la suppression de toute entrave à la pénétration du capital.


On voit à quel point la Corée a su développer une forme de capitalisme national – il y a même des multinationales coréennes – en mettant en œuvre une politique totalement contraire aux injonctions des organisations internationales qui se font les garants du nouvel ordre libéral. Le caractère « autochtone » du capitalisme coréen doit cependant être relativisé dans la mesure où les capitaux américains, puis japonais, ont été un élément détermi¬nant du « miracle » coréen. Politiquement et militairement, le pays reste largement tribu¬taire de l'influence de l'impérialisme américain.


L'Etat a impulsé une véritable réforme agraire, et joue un rôle déterminant dans la mise en œuvre d'une stratégie industrielle à long terme. Le développement industriel du pays s'est fait sans négliger l'agriculture, où une réforme agraire importante a été réalisée – ce qui est rare – , et sans liquider les productions vivrières, ce qui, là encore, contraste avec l'ensemble des pays du tiers monde. En 3 ans, après la guerre, les ménages propriétaires passent de 14 à 71 %. De petites exploitations intensives ont des rendements parmi les plus élevés du monde. Le pays est autosuffisant en riz, en orge. L'artisanat rural est très développé et fournit à l'industrie une main-d'œuvre qualifiée.
S'il y a des zones franches, elles sont de faible importance. La politique industrielle planifiée par l'Etat oriente l'activité du pays sur les exportations – rapportant des devises – mais en même temps sans négliger le marché intérieur, ce qui est un élément d'amélioration progressive des conditions de vie de la population et favorise la constitution d'une classe moyenne commerçante, entreprenante et occupée dans les petites et moyennes industries. La distribution des revenus correspond à des critères de pays industriels.


Il y a en Corée du Sud un secteur public important : sidérurgie, électricité, charbon, pétrole, banque, fondé sur l'existence de grands conglomérats (chaebols) qui ont permis la constitution de l'infrastructure industrielle, commerciale et financière du pays. Deux d'entre eux font partie des 50 premières entreprises mondiales aujourd'hui : Samsung et Daewoo.


Ces conglomérats ont longtemps drainé l'essentiel des crédits du pays, mais depuis 1984 l'économie est plus tournée vers le marché à partir du 6e Plan (1987-91). Afin de promouvoir les PME les banques doivent consacrer à celles-ci 40 % de leurs crédits. En fait, la réalité est beaucoup moins idyllique.


L'économie coréenne se caractérise par la coexistence de grands groupes, encore largement dominés par les familles des fondateurs, et une masse de petites et moyennes entreprises, qui font souvent de la sous-traitance. Le poids des chaebols ne cesse d'augmenter au détriment de ces PME, qui emploient quatre fois plus de salariés. Là se trouve l'origine du décalage, au sein de la classe ouvrière coréenne, des conditions de travail, de salaire, de productivité et de protection sociale.


Quoique leur poids dans l'économie ait sensiblement augmenté sous le mandat du président actuel, leur compétitivité sur les marchés étrangers a diminué.


Les PME ont été très touchées ces dernières années puisque 14 000 d'entre elles ont fait faillite en 1995. « Les coûts salariaux interviennent dans les difficultés des PME, mais elles souffrent surtout d'une discrimination par rapport aux chaebols (dont les financements sont loin d'être transparents) et doivent souvent, pour se financer, recourir au marché parallèle à des taux élevés. La plupart sont, en outre, prises à la gorge par les groupes dont elles sont sous-traitantes. Bon nombre de PME ont dû délocaliser leur production, d'autres ont été rachetées et intégrées dans des groupes. » (Philippe Pons, Le Monde, 28 janvier 1997.)


L'économie coréenne a réalisé une intégration de la production vers l'amont, et produit la plupart des fibres textiles qu'elle consomme grâce à l'industrie pétrochimique. Elle fabrique également ses propres équipements pour le textile.
Dans les années 60 la Corée était connue pour ses exportations de textile, de chaussures, d'électronique grand public, autrement dit des produits de relativement bas de gamme fabriqués par des entreprises grandes utilisatrices de main-d'œuvre peu qualifiée. Depuis, la Corée a abandonné le bas de gamme et se lance dans les productions à forte valeur ajoutée : automobile, électronique spécialisée. La diversification des produits a en outre permis la diversification des marchés, afin de ne plus dépendre du seul marché américain. La Corée est un concurrent sérieux en matière de travaux publics, de constructions navales, de machines-outils, d'ordinateurs, de semi-conducteurs, etc. Cette diversification prend en outre la forme d'investissements à l'étranger pour contourner les barrières douanières.
Un exemple caractéristique permet de comprendre comment les autorités coréennes ont abordé le problème du développement du pays. En 1966 le gouvernement demande un prêt à la Banque mondiale pour créer une industrie sidérurgique. La Banque mondiale réplique que ce serait « inopportun et non rentable ». Le gouvernement passa outre, fit appel au marché financier privé, et la Corée produit aujourd'hui 20 millions de tonnes d'acier.

Dans une phase ultérieure de son développement, l'économie, plus complexe et diversifiée, s'est tournée vers l'automobile, l'électronique spécialisée. Le contrôle des prix a été supprimé, le secteur public a été partiellement privatisé, notamment les banques. Le marché intérieur n'est plus fermé aux investissement étrangers, mais la planification n'a pas disparu, elle est plus discrète.

Les investissements étrangers n'étaient auparavant admis que s'ils apportaient quelque chose à l'économie coréenne en matière de technologies nouvelles ou d'exportation. En 1969, le gouvernement interdit aux firmes coréennes d'accepter la fourniture d'usines clefs en main, afin de permettre le développement de l'ingénierie coréenne. Aujourd'hui, ce sont les Coréens qui proposent la fourniture d'usines clefs en main. En 1985, le capital étranger dans les entreprises industrielles ne représentait que 5 %, contre 80 % en Côte d'Ivoire. L'ouverture de l'économie coréenne aux investissements étrangers est réelle, mais avec des restrictions, des plafonds, limitant la participation étrangère à certains secteurs. En revanche, création de joint ventures (sociétés à capital mixte, coréen et étranger), permettant des transferts de technologie en faveur des Coréens, est encouragée.

L'économie reste encore sous la surveillance de l'Etat, qui cependant n'a pas été capable de mettre en œuvre des infrastructures en quantité suffisante pour faire face à la croissance. Le réseau d'autoroutes n'a pas augmenté tandis que le parc automobile a quadruplé, et le réseau ferroviaire est insuffisant.

Les chaebols, grands conglomérats qui ont joué un rôle déterminant dans l'accumulation primitive, sont devenus aujourd'hui obsolètes, trop lourds et inadaptés. La faillite du second groupe sidérurgique du pays, Hanbo Steel, avec 5,8 milliards de dollars de dettes, a porté un coup au système financier sclérosé. De nombreuses banques avaient prêté de l'argent sans prendre suffisamment de garanties. Ces banques avaient été un des instruments du “miracle coréen” à partir des années 60 : sous le patronage du pouvoir, ne rendant de comptes qu'à lui, elles avaient accordé des prêts préférentiels aux secteurs clés en échange de la protection contre la concurrence internationale sur le marché intérieur. Une véritable collusion s'était créée entre le pouvoir politique et les chaebols. Les banques coréennes, trop nombreuses (une banque pour 6 000 habitants contre une pour 30 000 dans les pays occidentaux) ne se sont pas adaptées à l'évolution de la finance internationale. L'adhésion de la Corée du Sud à l'OCDE va imposer une vaste concentration du capital bancaire, une restructuration en profondeur du système financier, l'augmentation de la productivité, les licenciements, le tout exigeant l'introduction de la flexibilité et la suppression des entraves aux licenciements : on revient à notre point de départ...

On a peu entendu les chaebols pendant le conflit de décembre-janvier 1997, mais ils en sont un protagoniste actif et figurent parmi les inspirateurs de la loi régressive sur le travail. Ils sont en effet fermement décidés à empêcher la reconnaissance de la KCTU, confédération syndicale moins encline que sa concurrente à servir de courroie de transmission au patronat, et à faire supprimer les contrats à durée indéterminés qui garantissent à leurs 800 000 salariés un mois de salaire par année d'ancienneté en cas de licenciement.

Si, sous la pression insistante des Etats-Unis, les tarifs douaniers ont été baissés à partir de 1988 (de 23 à 16,6 %), ils constituent encore une protection importante pour l'économie nationale. Les exportations du pays ont été multipliées par 300 entre 1960 et 1983... La Corée du Sud est un enjeu commercial non négligeable. Elle est le cinquième débouché des Etats-Unis avant l'Allemagne, et, sachant que les Coréens sont moins réticents à acheter des produits étrangers que les Japonais, et sachant également que les articles de consommation ne représentent que 12 % des importations, il y a là un grand débouché potentiel pour les Etats-Unis, pourvu que la Corée du Sud veuille bien démanteler ses barrières non tarifaires.


La contrepartie du « miracle coréen » a été l'existence d'un pouvoir réglant les conflits sociaux avec la plus extrême violence. Le coût social de l'accumulation primitive est très lourd pour la population, comme cela est toujours le cas.
– En 1990, 3,5 millions de personnes ont un revenu annuel correspondant au prix d'une télévision, un million de foyers ne disposent pas du revenu nécessaire pour faire vivre une famille de quatre personnes. Huit heures de travail par jour pour 36,50 F avec un dimanche de congé sur deux, quatre jours de congé par an.


– En outre, il y a une grande discrimination de salaires entre hommes et femmes, ces dernières étant employées surtout dans les secteurs à forte proportion de main-d'œuvre : textile, chaussure, électronique grand public. On peut cependant constater une diminution sensible des secteurs industriels à main-d'œuvre traditionnelle, qui sont passés de 53 % à 39 % de 1970 à 1983, au profit d'activités à plus forte valeur ajoutée, ce qui est précisément un signe de développement.


– Un système éducatif de type japonais, payant et extrêmement dur. Cependant, l'éducation est un des axes prioritaires du pouvoir en Corée. L'éducation et la recherche constituent des priorités stratégiques. En 1987 le nombre d'inscrits dans l'enseignement secondaire représentait 88 % de la population concernée, contre 19 % pour la Côte d'Ivoire ; dans l'enseignement supérieur, la proportion était respectivement de 36 et de 3 %.


L'importante dette du pays peut fournir un argument à ceux qui ne voient pas la spécificité de l'exemple coréen et continuent de classer le pays dans la catégorie des pays dépendants. Il est exact que la Corée du Sud est endettée, mais c'est le cas de tous les pays industriels. De plus, sa dette diminue, passant de 48 milliards de dollars en 1985 à 30 milliards en 1989. L'endettement de la Corée représente alors 20 % de son PNB, alors que pour le Brésil il représente 35 %. Fait significatif, les intérêts de la dette étaient assurés par les exportations, proportionnellement beaucoup plus importantes, ce qui, là encore, constitue une différence radicale avec la plupart des pays du tiers monde : le service de la dette représente 42 % des exportations du Brésil ; certains pays africains ont un service de la dette représentant 120 % de leurs exportations. Les intérêts de la dette coréenne représentent 11,5 % du PNB.


Mais l'analyse de la dette coréenne doit être relativisée par l'existence d'importants investissements coréens à l'étranger : 927 millions de dollars pour la seule année 1989. L'endettement net de la Corée (dette totale diminuée des avoirs coréens à l'étranger) n'était en 1990 que de 3,5 milliards de dollars.


Enfin, le constat de la dette d'un pays n'a de sens que si on analyse à quoi correspond cette dette. Dans le cas de la Corée, elle a servi à mettre en place une infrastructure économique, à maîtriser et à planifier la croissance , à contrôler les investissements, à développer le marché intérieur et à créer une économie exportatrice.


La structure des exportations coréennes est significative si on la compare à celle de la Côte d'Ivoire (pour 1988) : les produits primaires représentent 7 %, les produits manufacturés 93 % ; dans le cas de la Côte d'Ivoire le rapport est à peu près inverse : 88 % de produits primaires contre 12 % de produits manufacturés.


Ces dernières années, cependant, la situation du pays s'est aggravée avec l'accroissement du déficit commercial, qui est de douze milliards de dollars, causé par la très forte demande intérieure de produits d'importation. Le durcisse¬ment des conditions du marché international et la surproduc¬tion dans l'électronique affectent également l'économie co¬réenne.
A ce titre, et bien que le PIB par habitant (pour 1990) de l'Algérie (2 110 $) est beaucoup plus proche de celui de la Corée (5 440 $) que de celui de la Côte d'Ivoire (790 $), l'économie algérienne est une économie encore plus dépendante que celle de la Côte d'Ivoire : les biens manufacturés ne représentent 3 % des exportations. L'Algérie comme la Côte d'Ivoire possèdent des richesses naturelles infiniment plus importantes que la Corée du Sud. Pourtant, tous les indicateurs économiques : service de la dette, taux de mortalité infantile, espérance de vie, structure des exportations montrent que la Corée s'aligne sur les pays industrialisés et n'a rien d'un pays sous-développé.

Si les prolétaires coréens subissent durement le processus d'accumulation primitive (de moins en moins, d'ailleurs, en témoignent la montée des conflits sociaux), leur sort n'a rien à voir avec le sort du prolétariat bolivien ou péruvien, des millions de paysans indiens sans terre, des millions d'habitants des bidonvilles de Mexico, Rio de Janeiro ou des capitales africaines dont la seule perspective est le désespoir le plus absolu. Les grèves de janvier 1997 n'étaient pas des d'émeutes de la misère comme on peut en voir dans le tiers monde. Les travailleurs coréens ont toujours su résister à l'oppression, comme en témoignent leurs puissantes réactions contre les dictatures qui se sont succédé depuis la fin de la guerre.


Cet exposé succinct de l'exemple coréen ne doit pas être interprété comme une apologie du capitalisme sud-coréen. Nous avons simplement voulu montrer qu'un Etat du tiers monde peut ne pas vivre le sous-développement comme une fatalité. Mais nous ne suggérons pas qu'il suffise que tous les pays du tiers monde copient l'exemple coréen pour rompre cette fatalité. Il faut aussi préciser que la rupture avec le sous-développement que la bourgeoisie et l'Etat coréens ont su mettre en œuvre visait à introduire le pays dans le monde capitaliste : s'il faut y voir un « progrès », ce n'est qu'un progrès dans le cadre du système capitaliste.

Pendant un mois les travailleurs sud-coréens ont mené une grève contre la flexibilité, contre les atteintes au droit du travail. De nombreux travailleurs ont été arrêtés. Le président Kim a eu beau réaffirmer l'importance de la nouvelle loi réformant le code du travail et introduisant la flexibilité du travail, rien n'y fait. Cette loi avait été votée en douce, en moins de sept minutes, le 26 décembre dernier par un Parlement où ne siégeaient que les députés de la majorité.

La nouvelle loi renvoie à l'an 2000 la liberté syndicale, autorise les licenciements secs sans préavis, les licenciements collectifs, autorise les patrons à embaucher des intérimaires en cas de grève et introduit la flexibilité du travail sur une base de 56 heures par semaine. Après des dizaines d'années de sacrifices inouïs et de luttes sanglantes contre la dictature militaire, la population n'est guère motivée pour se serrer la cein¬ture, sachant que le budget de la présidence de la république a été augmenté de 34 %... et que, en même temps que les atteintes au droit du travail, est passée, le même jour, une loi accor¬dant des pouvoirs quasi illimités à la police secrète...


CINQUANTE ANS DE DICTATURE


Depuis 1945, trois dictatures militaires se sont succédé en Corée du Sud :
– Syngman Rhee (1948-60) fut renversé en 1960 à la suite d'un vaste mouvement populaire ;
– Park Chung Hee (1961-79), son successeur, vint au pouvoir à l'instigation des Etats-Unis et de la KCIA, la CIA coréenne, l'instrument de la politique de l'impérialisme amé¬ricain dans le pays. Cette même KCIA élimina le dictateur en 1979 lorsque le régime fut de nouveau menacé par une explo¬sion populaire ;
– Son successeur, Chun Doo Hwan (1979-88), dut passer le relais à un civil, Roh Tae Woo, en 1987, encore à la suite d'une montée des luttes ouvrières. Roh Tae Woo (1988-92) organisa les premières élections que le pays ait connues.


La « démocratie » ainsi instituée ne fut que très relative. Le président issu de ces élections, Kim Young Sam, devait sa popularité à son passé d'opposant et aux années qu'il avait passées dans les prisons de Chung. Mais il n'est qu'un paravent commode pour les militaires et les milieux d'affaires.


La presse française semble découvrir avec surprise la combativité de la classe ouvrière coréenne, dont l'histoire de¬puis 50 ans est faite de luttes acharnées et de répressions fé¬roces. Cette même presse présente les ouvriers coréens comme des privilégiés qui se sont « enrichis » grâce à la crois¬sance de l'économie – le « miracle » coréen – et qui réagissent contre les exigences imposées par l'adaptation de l'économie à la concurrence internationale. C'est oublier que le « miracle » coréen ne s'est fait que par une exploitation impitoyable des travailleurs et la répression étatique la plus féroce.

« Des salaires comparables à ceux de la France » titre un article de Libération du 7 janvier, qui précise que les em¬ployés de Daewoo Public Motors touchent 15 000 francs par mois pour... 60 heures hebdomadaires, et les ouvriers des chantiers navals Daewoo 13 500 francs pour 55 heures par semaine (ce qui fait 61 francs de l'heure) sans préciser que l'écrasante majorité des travailleurs touchent des salaires qui sont loin d'atteindre ces sommes, que le coût de la vie est très élevé et les loyers prohibitifs à cause de la spéculation im¬mobilière. Le produit intérieur brut coréen est d'environ 5 000 $ par habitant alors que celui de la France est d'environ 20 000 $. Il est donc impossible que la moyenne des salaires coréens corresponde à la moyenne des salaires français.


On oublie aussi de dire que les augmentations de salaires, réelles dans certains secteurs, mais pas dans tous, loin s'en faut, ont alimenté un essor sans précédent du marché, dont les capitalistes coréens ont bénéficié. On comprend en tout cas que les travailleurs coréens se soient battus, lors des grandes grèves de 1984-1989, pour ob¬tenir une limitation des heures supplémentaires, que la loi remet en cause aujourd'hui.


La nouvelle loi sur le travail ne concerne en fait pas les PME où la notion de contrat de travail n'a pas cours et les salariés sont embauchés et débauchés en fonction des besoins. Elle intéresse surtout les chaebols qui demandent une plus grande flexibilité.
Si l'économie a marqué le pas entre 1980 et 1985, les grandes grèves qui ont abouti à une relative démocratisation en 1987 ont été suivies d'une augmentation de la consommation intérieure qui a fait redémarrer l'économie.

Le discours sur les « privilèges » des travailleurs coréens oublie que de très nombreux travailleurs touchent le salaire minimum, qui est de 122 000 won par mois (800 francs en 1994), qu'un loyer pour un petit appartement est de 60 à 70 000 won, les dépenses d'eau et de chauffage sont de 30 000 won, ce qui ne laisse pas grand chose pour le reste... Ce n'est pas sans raison qu'une femme écrivit une lettre ouverte au président coréen dans laquelle elle dit notamment : « Mon mari travaille douze heures par jour, et pourtant nous arrivons à peine à vivre. C'est la première fois qu'il fait grève. Vous ne saurez jamais, monsieur le président, combien la vie est dure pour nous. » (Le Monde, 15 janvier 1997.)


Un seul syndicat est légal, la FKTU (Fédération des syndicats de Corée du Sud), formée au temps de la dictature comme organe de transmission du pouvoir pour imposer la discipline dans les usines. Cette organisation est peu implan¬tée dans les grands bastions industriels, maintenant que les responsables sont élus au lieu d'être désignés par le ministère du travail.
L'autre organisation syndicale, la KCTU (Confédération des syndicats démocratiques coréens), non reconnue et forte de 300 000 adhérents, regroupe des centaines de syndicats illé¬gaux formés lors des grandes grèves des années 80. La KCTU est influencée par les Eglises chrétiennes, minoritaires. C'est elle qui domine dans les secteurs les plus combatifs et qui a été l'initiatrice des grèves.


Kwon Young-kil, le leader de la KCTU, menacé d'arresta¬tion pour entrave au commerce, déclara que son mouvement mè¬nerait une campagne civile contre le gouvernement. Ça tombait mal pour le parti au pouvoir, en ce début d'année d'élection présiden¬tielle : le mandat du président Kim s'achève en décembre prochain.


L'OPPOSITION SUD-COREENNE


Depuis la séparation de la Corée en une Corée du Nord « communiste » et une Corée du Sud capitaliste, plusieurs générations de Sud-Coréens ont été imprégnées de propagande anticommuniste. Il est donc de bonne guerre que le pouvoir, pour lutter contre les revendications ouvrières, agite le spectre du communisme et de la manipulation par les Coréens du Nord. Il reste que l'idéologie anticommuniste « surdétermine » en quelque sorte l'action des opposants au régime actuel dans la mesure où ils se sentent contraints d'agir en sorte de ne pas prêter le flanc à cette accusation. Le pouvoir, la presse et les trusts (chaebols) sont redoutablement efficaces dans ce domaine. C'est cette puissante alliance qui a contraint le mouvement ouvrier à la marginalisation sur le terrain politique, les partis d'opposition gardant leurs distances par rapport au mouvement ouvrier pour ne pas être accusés de sympathies communistes, ce qui aurait un effet déplorable sur l'électorat... Ainsi, quand en juin 1995, les dirigeants du syndicat des télécoms ont été brutalement arrêtés, Kim Dae-jung, qui était alors le chef de l'opposition, avait explicitement déclaré que l'agitation ouvrière pousserait les électeurs à voter conservateur ce qui en retour avait, à la longue affaibli la gauche, qui n'est pas du tout enthousiaste à l'idée de soutenir aujourd'hui les syndicats. Depuis les grandes grèves de juin 1987, le nombre d'arrestations d'ouvriers a diminué... relativement, puisque 2 000 militants ont été arrêtés et 5 000 ont perdu leur emploi.


L'initiative de la lutte revient aujourd'hui au mouvement syndical, et plus particulièrement à la KCTU (dite aussi Chonnoyop) qui domine dans les secteurs les plus combatifs de la grande industrie, en particulier dans l'automobile et les chantiers navals. L'autre confédération, qui suit du bout des doigts par des mots d'ordre ne dépassant pas un jour ou deux, voire quelques heures, a du mal a se dégager de ses habitudes d'organe de transmission de la discipline étatique dans les usines.

Rappelons qu'il y a une tradition libertaire ancienne en Corée *, mais après le passage des Japonais, des communistes au Nord et des successives dictatures militaires au Sud, il ne faut pas s'étonner que les rangs du mouvement se soient clairsemés. Les récents événements seront peut-être une occasion pour le mouvement de se renforcer.

* Cf. A History of Korean Anarchist Movement, Ha Ki-Rak, Anarchist Publishing Committee, 1986. (Adresse : Suseungku Manchon 2Dong 990-44, Taegu 634 Korea.)

A l'inverse de la grève de décembre 1995 en France, la grève toucha peu les services publics, du moins au début : elle se concentrait dans le secteur industriel comme l'automobile et les chantiers navals. Une centaine de grévistes ont été mis en accusation à la suite de plaintes de leurs employeurs. Trente dirigeants de la KCTU sont menacés d'arrestation par le procureur général. Le 9 janvier, un mandat d'amener est délivré contre les dirigeants grévistes.


Finalement le président Kim accepte de rouvrir le débat parlementaire sur la loi du travail et le renforcement des pouvoirs des services secrets, en reconnaissant qu'il avait commis une erreur. Un entretien a eu lieu le 21 janvier avec les deux partis de l'opposition, que le président avait jusque-là refusé de rencontrer. Les mandats d'arrêt à l'encontre desdirigeants syndicaux ont été annulés. La KCTU cependant demande l'annulation pure et simple de la loi contestée.

L'« erreur » tactique du président n'a pas manqué de provoquer des réactions à l'étranger. La façon dont la loi sur le travail a été votée, le renforcement des services secrets qui ont toujours été le bras armé du régime contre la classe ouvrière, les mandats d'arrêt contre des syndicalistes, tout cela fait désordre pour un pays qui vient juste d'adhérer à l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), dont les membres certes mettent en place la même politique, mais avec des méthodes plus « soft » et plus présentables. Significativement, le président coréen a annoncé la réouverture du débat de la loi sur le travail la veille de l'examen de cette loi par l'OCDE. Cette dernière devait en effet examiner les 22 et 23 janvier si la loi sud coréenne était conforme aux normes internationales en vigueur.

Ce recul n'a cependant pas empêché la grève de continuer, les dirigeants syndicaux affirmant que le gouvernement sud-coréen se sert de la nécessité d'appliquer les normes de l'OCDE comme d'un prétexte. La Commission syndicale consultative auprès de l'OCDE a souhaité que cette dernière déclare la loi coréenne sur le travail non conforme aux normes internationales sur la liberté d'association et la législation collective. Elle demande également à l'OCDE de condamner le gouvernement coréen pour avoir « fait adopter une législation régressive et l'avoir justifiée au nom de l'engagement pris auprès de l'organisation ».


L'équivalent patronal de la Commission syndicale consultative a laissé son adhérent coréen expliquer que son pays avait un déficit commercial de 33 milliards de dollars (il a presque triplé les chiffres du déficit officiel annoncé...) et que permettre d'instaurer le pluralisme syndical risquait d'être une source de désordres nuisibles à l'économie... On imagine tous les patrons de la planète se mettant à fantasmer à un système où la liberté syndicale dans chaque pays serait liée aux fluctuations du déficit commercial...

L'OCDE est un organisme à vocation économique et n'a pas établi de règles en matière de lois sociales, mais il estime depuis 1991 que ses adhérents doivent respecter certaines valeurs telles que l'économie de marché, la démocratie pluraliste et le respect des droits de l'homme. Cependant, lorsqu'on lit les injonctions que cet organisme lance dans ses différents rapports, on se rend compte à quel point la politique qu'il met en place à l'échelle planétaire est une immense atteinte aux droits de l'homme (Cf. encadré : La politique de l'OCDE).

Séoul n'a jamais ratifié certaines conventions de l'Organisation internationale du travail à laquelle elle a adhéré en 1991. Or une dizaine de dispositions prévues par la nouvelle loi sur le travail sont en contradiction avec les règles de l'OIT. Si la Corée du Sud a déjà connu de grands mouvements de grève – le précédent avait eu lieu en 1987 et avait contraint l'ex-président Chun à engager un processus de démocratisation – les grèves de janvier 1997 expriment une volonté plus large de la « société civile » visant à « une réforme globale de la société », selon les termes du président de la KCTU, dont le programme de réformes déborde largement les simples revendications syndicales (Le Monde, 9 janvier 1997). Se pose à cet égard le problème de la reconnaissance de la KCTU, encore illégale.

Le phénomène auquel nous assistons aujourd'hui est la fin d'un modèle de développement, d'accumulation du capital, et l'in¬sertion de la Corée du Sud dans la « cour des grands ». Le pays se trouve un peu dans la situation des principaux pays industrialisés à la fin des « trente glorieuses », caractérisées par une croissance des sa¬laires relativement élevés (15 % par an en Corée pendant la dernière décennie) et le suremploi, qui encouragent l'appel à une main-d'œuvre immigrée, phénomène nouveau en Corée. Le patronat aimerait bien faire appel à la main-d'œuvre immigré pour faire pression sur les salaires, mais l'entrée des immigrés (0,5 % de la population active), est encore sévèrement contrôlée.

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Comme à la suite des « trente glorieuses » dans le monde occidental, le capitalisme coréen a suivi en accéléré les phases du développement du capitalisme et entre dans la phase de liquidation des acquis sociaux, de « rationalisation » de la production – à cette différence près que les travailleurs coréens n'ont guère eu le temps d'en profiter. C'est à juste titre que le Asia Times de Bangkok écrit que les travailleurs coréens « vivent dans l'une des sociétés qui connaît les mutations les plus rapides de toute l'histoire de l'humanité ». (Courrier international, 16-19 janvier 1997.)


Profitant de la « démocratisation » de 1987, les revendications sociales se sont multipliées. Cinq millions d'emplois ont été créés entre 1987 et 1997. Mais il serait pourtant mal venu de reprocher aux entreprises d'avoir acheté une paix sociale et crée des emplois dont le capital a grandement profité, dans la mesure où les augmentations de salaires ont grandement alimenté un essor de la consommation.

Le capitalisme coréen ne peut plus se contenter d'être un capita¬lisme national relativement autarcique, qui a atteint ses limites d'expansion ; avide comme partout ailleurs de sources profits plus rapides, il se tourne vers les marchés financiers interna¬tionaux plutôt que vers l'investissement productif. C'est pourquoi il tente de mettre en place dans le pays les mêmes me¬sures d'ajustement structurel que partout sur la planète, dont la li¬quidation des avantages acquis en matière de droit du travail sont un des nombreux éléments.

Outre les délocalisations dans d'autres pays asiatiques à plus faible coût de main-d'œuvre, la Corée du Sud investit également dans les pays industriels, comme l'a montré la récente affaire de Thomson. En 1996, les Coréens ont investi à l'étranger 5 milliards de dollars tandis que les investissements étrangers en Corée n'étaient que de 2,8 milliards.

Les sociétés japonaises ou coréennes implantent des usines ou achètent des entreprises pour les intégrer à leurs groupes, dans des zones sinistrées d'Europe occidentale, parce que la main-d'œuvre y est maintenant devenue peu coûteuse (ainsi, par exemple, les ouvriers coréens de Samsung sont mieux payés que leurs collègues des filiales anglaises), l'autre avantage étant que l'entreprise se trouve à proximité de ses marchés... Une telle démarche permet surtout aux usines coréennes d'avoir le label de « producteur communautaire » : les produits des firmes coréennes en Europe pourront ainsi circuler librement dans la CEE. Mais ces produits auront été fabriqués avec des méthodes coréennes, avec des sa¬lariés payés au rabais, trop contents d'échap¬per au chômage, et qui, à l'embauche, auront signé un engagement à ne pas se syndiquer.


Les activités a forte composition de main-d'œuvre ont été délocalisées dans des pays à bas salaires : la chaussure et la confection en Chine ou en Indonésie, l'électronique grand public dans certains pays d'Europe ou dans le Sud-Est asiatique.


L'effet pervers de ce genre de procédé est que les autres le pratiquent aussi. Ainsi, l'économie coréenne est-elle aujourd'hui déstabilisée par le fait que des firmes japonaises la concurrencent avec des produits de qualité japonaise fabriqués par des filiales nippones en Chine... à des prix chinois.

La crise que subit la Corée du Sud aujourd'hui est liée à la transition qu'elle est en train de subir. L'accumulation primitive étant en voie d'achèvement, le capitalisme coréen doit franchir une nouvelle étape pour s'intégrer dans l'économie mondiale. Il s'agit véritablement d'un redéploiement du capitalisme sud-coréen.


L'arrivée de la Corée du Sud, pays nouvellement industrialisé, dans l'économie mondiale la contraint à faire face aux mêmes problèmes que les économies développées plus anciennement. C'est là un phénomène auquel elle ne peut échapper : le corollaire de l'exportation des produits coréens sur le marché mondial s'accompagne de l'importation des contradictions du marché mondial.

Les grèves et les manifestations de janvier 1997, menées par des travailleurs organisés et déterminés, n'avaient rien de mouvements d'« arrière-garde », elles s'intégraient parfaitement dans les mouvements d'opposition à la politique néolibérale qu'on peut constater des l'ensemble des pays industriels et montraient la solidarité fondamentale d'intérêts des travailleurs du monde entier. Comme en décembre 1995 en France, ces grèves ont montré aux esprits un peu amnésiques que la classe ouvrière est toujours là et que sans elle pas grand chose ne fonctionne.


René Berthier, janvier-février 1997

LE CAS DE LA COREE DU SUD SOULEVE
DES QUESTIONS THEORIQUES INTERESSANTES

Dans le cadre imposé par le système capitaliste actuellement dominant, le « développement » passe de façon incontournable par un certain nombre de conditions, dont la première est la constitution d'une accumulation primitive du capital permettant la réalisation d'infrastructures indispensables à la création d'une industrie lourde, préalable à une phase ultérieure de mise en place d'industries manufacturières destinées à la fois à l'exportation et au marché intérieur. Tout cela n'étant possible que par une exploitation féroce de la classe ouvrière, qui est l'un des symptômes de la période d'accumulation primitive. C'est le schéma qu'ont suivi les premières sociétés capitalistes, principalement l'Angleterre.

Les choses se compliquent lorsque des pays n'ayant pas développé le capitalisme, ou ayant du retard dans ce domaine, veulent s'introduire dans la cour des grands qui eux, sont déjà fortement implantés et ont une substantielle avance. Le thème de la libre concurrence et de l'économie de marché n'est qu'un argument idéologique fournissant aux plus forts toutes les facilités pour écraser les plus faibles. Si le capitalisme est effectivement un phénomène international, il se caractérise avant tout par la domination du capitalisme national le plus développé, ou du groupe le plus développé, sur l'ensemble des pays qu'il(s) domine(nt), en imposant une division internationale du travail dans laquelle les pays dominés restent indéfiniment à l'état de dominés. Les institutions financières internationales développent aujourd'hui l'idée d'une nécessaire division internationale du travail dans laquelle chaque économie nationale devrait se spécialiser en fonction de ses potentialités (en jargon, on dit : tirer profit de ses « avantages comparatifs ») : c'est une façon de dire que les pays disposant de matières premières stratégiques ou d'une main-d'œuvre nombreuse et pas chère devraient axer leur politique économique dans ces domaines. C'est aussi une façon de reconnaître que les pays sous-développés devront rester indéfiniment sous développés.

Un pays qui refuse cette fatalité doit dans un premier temps développer lui-même un capitalisme national concurrent, avec une bourgeoisie nationale suffisamment entreprenante pour avoir dans les rapports internationaux une intervention (relativement) indépendante. Plutôt que d'intervention indépendante (ce qui n'est jamais le cas dans l'économie-monde) il serait plus exact de dire : intervention propre, ou particulière.

Au cours du XIXe siècle, l'Allemagne, qui avait beaucoup de retard sur l'Angleterre et la France, n'a pu s'introduire dans le jeu capitaliste qu'en employant... à peu près les mêmes méthodes que la Corée du Sud aujourd'hui : interventionnisme d'Etat pour stimuler le développement de l'industrie, protection douanière. L'un des principaux artisans de ce programme a été Bismarck ; c'est pourquoi nous parlerons de modèle bismarckien. Le Japon, à peu près à la même époque, a suivi le même modèle.

La Corée du Sud est un des rares exemples contemporains de réalisation d'une accumulation primitive réussie, de constitution d'un capitalisme national dans un contexte international capitaliste fortement ancré . Cette réussite n'a été possible que parce que précisément la bourgeoisie et l'Etat coréens n'ont pas suivi les modèles libéraux dominants, de la même manière que Bismarck il y a plus d'un siècle n'a pas appliqué les règles de la libre concurrence.

Bien que l'économie coréenne soit une économie capitaliste, les néo-libéraux n'ont aucune légitimité à se réclamer de cet exemple, pour les raisons que nous avonstenté de montrer ; les arguments des tiers-mondistes ne sont pas plus valables qui continuent de considérer la Corée du Sud comme une économie dépendante au même titre que les pays du tiers monde. Pour cette école, la solution de la fin du sous-développement consiste à rompre avec le marché mondial.

Il ne s'agit pas de faillite des schémas dominants chez ceux qui tentent d'analyser le phénomène, mais simplement de l'oubli ou de la méconnaissance des mécanismes élémentaires du capitalisme qui ont été décrits et analysés par... Proudhon et Marx. Le cas de la Corée, à la lumière des écrits de ces auteurs, devient dès lors parfaitement banal. L'exemple de la Corée montre que même dans le contexte capitaliste international, les solutions au sous-développement ne sont pas économiques mais avant tout politiques.

Contrairement à Marx, qui pensait que la mondialisa¬tion du mode de production capitaliste allait rendre caduques les distinctions nationales, c'est le contraire qui s'est pro¬duit. Le capitalisme n'a pu se développer que là où l'Etat a été capable de mettre sur pied une politique de défense des intérêts nationaux – protection¬nisme à l'intérieur, expansion à l'extérieur. Mais cela n'a été possible que là où préexistait un socle na¬tional suffisamment développé. C'est peut-être ce qui explique la différence entre la Corée du Sud et les pays d'Afrique. La Corée avait une longue tradition étatique, une population homogène et des frontières historiques reconnues (même si on tient compte de la division du pays en deux).

Si l'émergence du phénomène national est inséparable des nécessités du développement capitaliste, il est simpliste de se limiter à dire que la nation est une création du capitalisme pour ser¬vir ses fins. On constate une fois de plus que le développement du capitalisme et l'émergence du fait national coïnci¬dent. Or, dans le cas de la Corée, on constate également la pré¬existence du fait national, d'une longue tradition, sur lesquels le capitalisme s'est fondé pour assurer son expansion. Ainsi, les zones géogra¬phiques dans lesquelles le capitalisme s'est déve¬loppé sont bien celles où l'unité nationale, la conscience du fait national préexistaient au capitalisme et étaient fer¬mement établies. La condition préalable du développement du capitalisme industriel serait donc un Etat capable, et ayant la volonté de mettre en oeuvre les mesures nécessaires à son développement.