Origine : échange avec René Berthier
Avertissement
Lorsque
j’entrepris cette émission sur la question tamoule, je ne connaissais rien du problème. Un ami palestinien m'avait plusieurs
fois sollicité pour que j'intervienne afin que les Tamouls aient
une émission sur Radio Libertaire. Je lui expliquai que nous n'étions
pas particulièrement prédisposés à accueillir des communautés
nationales ou ethniques et que nous avions eu quelques expériences
malheureuses dans ce domaine. Mais je lui dis que s'il y avait
ponctuellement un problème particulièrement important, j'étais
prêt à les accueillir pour une émission. Mon ami m'a parlé d'atteintes
graves aux droits de l'homme, de tortures, d'arrestations arbitraires,
etc. J'ai fini par accepter.
Le
Tamoul qui est venu – avec son
garde du corps – n'avait pas grand chose de précis à raconter sur
les atteintes aux droits de l'homme. J’eus d’ailleurs rapidement
l’impression qu’il n’avait pas grand chose de précis à dire sur
quoi que ce soit. Heureusement, j’avais l’habitude de préparer
soigneusement mes émissions. A la suite de plusieurs expériences
malheureuse, je faisais à chaque fois comme si l’invité que j’avais
convié ne venait pas. Ainsi je pouvais assurer l’émission même
en son absence…
Mon
Tamoul parlait mal le français et n'était pas très bavard, mais
je savais par expérience que parler mal le français n'empêchait
pas forcément d'être bavard... Je lui demandai s'il était
possible d'unir d'une façon ou d'une autre les travailleurs tamouls
et cinghalais dans une lutte commune, s'il y avait des associations,
des syndicats où les deux populations sont mélangées, j'ai essayé
de le brancher sur des questions plus sociales que politiques,
mais j'ai eu l'impression que ce genre de problème lui passait
complètement par-dessus la tête. Je dis bien « j'ai eu l'impression »
car il me semblait qu'il ne comprenait pas très bien ce que je
lui disais. A l'entendre, les deux communautés sont irrémédiablement
séparées. Dans un sens, c'était donc une bonne chose qu'il ne
soit pas très bavard car sinon on n'aurait sans doute même pas
abordé la question des conflits sociaux dans la
partie cinghalaise de l'île, dont il ignorait tout, et dont manifestement il se désintéressait. J'ai essayé en particulier
de lui faire dire quelle était la composition sociale de la population
tamoule, s'il y avait des conflits en son sein, quelle était la
structure de la propriété foncière pouvant être source de conflits.
Ça n'a pas eu l'air de le brancher particulièrement. En général
il ne savait pas, ou il répondait en langue de bois, ce qui était
guère mieux.
J'avais
bien conscience de m'être lancé sur un terrain glissant, mais
je ne le regrette pas. Je pensais qu'il était utile que le mouvement
libertaire explore des terrains nouveaux. En tout cas, j’eus l'impression
que parler de socialisme libertaire aux Tamouls et aux Cinghalais
relevait de la science fiction. Mais je reconnais que je ne disposais
pas de beaucoup d'informations.
Le document que j’ai retrouvé n’est pas daté mais l’émission
a dû se dérouler courant 1996.
*****************************************
Pour
la plupart d'entre nous, Ceylan, ou Sri-Lanka depuis 1972, c'est
d'abord le fameux thé. C'est aussi des images idylliques d'île
de l'océan Indien présentées par les dépliants publicitaires d'agences
de voyage. Nous allons aujourd'hui présenter une réalité tout
autre.
Les
sujets présentés dans notre émission sont parfois imposés par
l'actualité dont tous les médias parlent. Ils sont aussi parfois
le résultat de rencontres dues au hasard. C'est le cas aujourd'hui.
Mais le sujet qui nous intéresse est aussi d'actualité, dans ce
sens que la crise profonde qui secoue le pays est réelle ;
simplement, personne ou presque n'en parle.
Or,
c'est aussi la vocation de notre radio de parler de sujets dont
personne ne parle, ou d'en parler d'une manière totalement différente
des médias dominants, et ce n'est pas la première fois que cela
nous arrive, qu'il s'agisse de la guerre du Golfe, de l'occupation
de Timor-Est par l'armée indonésienne, des viols de masse dans
l'ex-Yougoslavie, des conditions de vie des Palestiniens dans
les territoires occupés, ou de bien d'autres sujets.
La question
qu'on peut se poser concernant la situation des Tamouls de Sri-Lanka
est : s'agit-il d'une guerre de libération nationale ou d'une
guerre de classes ? On verra que la réponse n'est pas si
simple et que les deux questions sont étroitement entremêlées.
Les
problèmes de revendication nationale, c'est connu, n'entrent pas
dans le système de pensée libertaire parce que nous estimons
qu'il existe d'autres solutions. Mais ce sont des solutions à
long terme qui ne doivent pas nous écarter de la recherche et
de l'analyse – sans complaisance – de leurs causes présentes.
Les questions de principe ne doivent en particulier pas nous empêcher
de nous interroger sur la réalité de l'oppression subie par certaines
populations, en l'occurrence les Tamouls dans le cas qui nous
intéresse aujourd'hui. Or, on verra que le dossier concernant
les atteintes aux droits de l'homme à Sri-Lanka est accablant,
et pas seulement pour ce qui concerne les Tamouls...
BREF APERÇU HISTORIQUE
Le Sri-Lanka est occupé par deux populations,
les Cinghalais au Sud (bouddhistes) et les Tamouls au Nord (indouistes).
Dans la mesure où cette occupation date de plusieurs milliers
d'années il nous importe peu de savoir qui furent les premiers
occupants.
Les
Tamouls construisirent leurs premières cités dans les plaines
du sud de l'Inde il y a 3 000 ans. C'étaient des pêcheurs
et des commerçants et leur présence dans l'île est très ancienne,
antérieure à celle des Cinghalais. La proximité de l'île avec
l'Inde – 50 kilomètres – plaide en faveur d'une occupation très ancienne de populations indiennes,
certainement antérieure à l'implantation du prince indien Vijaya,
racontée par les chroniques.
Des
royaumes tamouls et cinghalais ont coexisté dans l'île de longue
date, s'alliant et se combattant au gré de l'histoire, comme
dans toute société féodale.
Les
Portugais s'installent dans le sud de l'Inde à la fin du 15e siècle
et à Ceylan au 16e. Les Anglais arrivent au 17e, ainsi que les
Hollandais et les Français. Sous les Portugais et les Hollandais,
les régions tamoules – le nord et l'est – étaient administrées
séparément du reste du pays.
Avec
les Anglais à partir de 1833, le pays fut administré de façon
unitaire. Cependant, pratiquant leur habituelle politique de division
pour régner, ils firent appel aux Tamouls, minoritaires, pour
administrer le pays.
Après
l'indépendance, en 1948, la majorité cinghalaise considéra l'île
comme une nation exclusive du bouddhisme cinghalais et les Tamouls
comme des envahisseurs qui devaient être soit soumis et assimilés
à l'Etat cinghalais bouddhiste et unitaire, soit renvoyés au Tamil
Nadu, un Etat linguistique constitué en 1956 sur le continent
avec 50 millions d'habitants.
Un passage
du discours d'un député cinghalais est significatif à cet égard :
« S'il y a une discrimination sur cette terre qui n'est
pas votre terre, alors pourquoi essayer de rester ici ?
Il y a là-bas vos temples et vos dieux. Là-bas, vous avez votre
culture, votre éducation, vos universités, etc. Là-bas, vous serez
maîtres de votre destin. » (W.J.M. Lokubandara, député,
discours au parlement sri-lankais, juillet 1981.)
Les
dirigeants cinghalais ouvrent l'économie aux investissements étrangers
tout en développant un nationalisme bouddhiste cinglais extrême.
Président
J.R. Jayawardene, Daily Telegraph, 11 juillet 1983 :
« Je ne me soucie pas de l'opinion du peuple tamoul ...
maintenant nous ne pouvons pas penser à lui, ni à sa vie ni à
son opinion... plus vous mettrez de pression sur le nord, plus
heureux sera le peuple cinghalais ici... Vraiment, si je peux
priver de nourriture les Tamouls, le peuple cinghalais sera heureux. »
Les
politiciens cinghalais se fondent sur le fait que la population
cinghalaise est majoritaire : « La majorité de ce
pays est formée de cinghalais. Sans le consentement de la majorité,
personne ne peut s'emparer du pouvoir » dit un moine
(bouddhiste ?) (Vénérable Galaboda Gnanassara Thera, moine
en chef de Gangaramaya, Sri-Lanka Times, 29-12-1991.)
Selon
ce principe, la minorité tamoule se trouve donc privée de toute
possibilité d'expression réelle. La démocratie sert de moyen pour
perpétuer l'hégémonie d'une majorité, qui se manifeste par des
mesures discriminatoires pour l'entrée à l'université, l'accès
à l'emploi, par la colonisation des terres tamoules. « Si
nous gouvernons, nous devons gouverner. Si nous régnons, nous
devons régner. Ne cédez rien aux minorités. Nous sommes nés Cinghalais
et bouddhistes dans ce pays. » (Mme Wimala Kannangara, ministre,
discours au Parlement, juillet 19881.)
LES ETAPES DU CONFLIT
1948 :
Proclamation de l'indépendance.
1956 :
Le 5 juin 1956 le Premier ministre Bandaranaike
fait passer la loi « Le cinghalais seulement ». Les
manifestations non violentes des Tamouls, inspirées de l'exemple
récent du Mahatma Ghandi se heurtèrent aux réactions violentes
de la population cinghalaise qui dégénérèrent en émeutes raciales
faisant 150 morts, dont beaucoup de femmes et d'enfants.
1958 : La conférence annuelle du Parti fédéral tamoul devait se
prononcer sur l'éventualité d'une campagne non
violente. Réactions violentes des Cinghalais.
« La
violence éclata quand un train présumé amener des délégués à cette
conférence dérailla et que ses passagers furent battus par des
voyous. Le jour suivant, des ouvriers cinghalais mirent le feu
aux magasins et aux maisons des Tamouls dans les villages environnants
où les deux communautés vivaient mélangées. Les incendies criminels
et les attaques s'étendirent rapidement jusqu'à Colombo. Des
bandes parcouraient les quartiers où vivaient les Tamouls, pillant,
incendiant leurs maisons, leurs magasins, leurs voitures. Des
Tamouls furent attaqués, humiliés, battus. Plusieurs furent torturés
et certains tués sur le coup. (...) Quelques dizaines de milliers
de Tamouls s'enfuirent de leurs maisons pour se réfugier dans
des camps improvisés. (...) Beaucoup partirent vers le Nord par
le mer... » (Professeur Howard Wriggins : Ceylan, les
dilemmes d'une nouvelle nation [en anglais] Princeton University
Press.)
25 mai
1958, dans la nuit. Dans la ferme gouvernementale de Polannaruwa,
les ouvriers tamouls des plantations de canne à sucre sont pourchassés.
Ils se réfugient dans les champs de canne, qui sont alors incendiés.
Les hommes, femmes et enfants qui sortaient des champs en hurlant
furent massacrés à coups de machette, de couteaux ou de gourdins.
Même scène dans la ferme gouvernementale de Hingurakgoda. Bilan
: 150 à 200 morts.
Tarzie
Vittachi pose la question : « les Cinghalais et
les Tamouls ont-ils atteint le point de non-retour ? »
(« L'histoire des émeutes raciales à Ceylan »,
Emergency, Londres, 1958.)
Une
telle politique suscita le développement du nationalisme tamoul
à partir des années 70 avec, au début, des actes de résistance
armée sporadiques, ce qui fournit le prétexte au gouvernement
à des représailles de grande envergure.
A la
fin de 1970, de nombreux jeunes Tamouls étaient emprisonnés sans
procès, torturés, en vertu de la Loi sur la prévention du terrorisme,
loi décrite par la Commission internationale des juristes comme
« une souillure sur la constitution d'un pays civilisé ».
1972 :
Ceylan devient Sri-Lanka. Instauration
de mesures discriminatoires dans les universités.
1977 : Mme Bandaranaike (socialiste) est battue aux élections.
M. Jayawardene (libéral) est élu. Des policiers cinghalais,
se faisant passer pour des sympathisants du parti de Mme Bandaranaike,
le Parti de la liberté, interrompent une fête tamoule. Une altercation
s'ensuit. La police ouvre le feu et tue quatre personnes. Une
vague d'émeutes éclate, s'étendant au Sud.
« On
dirait fort bien que des dirigeants du Parti de la liberté de
plusieurs localités, mécontents, trouvant là une occasion pour
embarrasser le gouvernement, organisèrent et encouragèrent les
attaques contre les Tamouls, ceci avec la complicité de quelques
policiers nommés sous leur régime et de bandits locaux. »
(Martin Wollacott, The Guardian, 27 août 1977.)
« Une
tragédie a lieu à Sri-Lanka : le conflit politique qui a
suivi les récentes élections est en train de tourner au massacre
racial. De source digne de foi, on estime qu'entre 250 et 300
citoyens tamouls ont été tués et que plus de 40 000 ont perdu
leurs demeures. Les Tamouls n'ont maintenant plus confiance en
la majorité cinghalaise et réclament la restauration de leur
statut national séparé. ... La persécution raciale des Tamouls
et la dénégation des droits de l'homme doivent nous inciter à
réagir. » (Sir John Foster, David Astor, Louis
Blom-Cooper, Dingle Foot, Robert Birley, James Fawcet, Michael
Scott, London Times 20-9-1977.)
1978 : Promulgation d'une nouvelle constitution
1979
: Le 11 juillet 1979, le président
Jayawardene nomme son neveu, le brigadier Weeratunga, commandant
des forces de sécurité à Jaffna. Le même jour l'état d'urgence
est proclamé. Dans la nuit du 14 juillet, 6 jeunes Tamouls sont
enlevés de chez eux. Trois n'ont jamais reparu. Les corps mutilés
de deux autres sont retrouvés le jour suivant. Le sixième mourut
à l'hôpital de la prison de Jaffna.
L'état
d'urgence dura six mois dans le Nord, donnant à Amnesty International
de quoi noircir de nombreuses pages.
« Pendant
cette période, les forces de sécurité – dont la plupart ne parlaient
pas la langue du peuple du Nord et auxquelles on avait enseigné
de traiter celui-ci comme un ennemi qui doit être soumis à tout
prix – ont arrêté et torturé les jeunes Tamouls. Les soldats les
entraînaient dans les maisons et les fouillaient, les parents
étaient détenus jusqu'à ce que les hommes recherchés se rendent.
Les villages étaient encerclés et les villageois forcés à se
montrer, étaient interrogés. Des opérations fréquentes d'“arrestations
et de fouilles” avaient lieu dans les voitures et les bus. Des
gens qui n'avaient absolument rien à voir avec quelque type d'activité
politique que ce soit, encore moins avec le “terrorisme” étaient
torturés au moyen de cigarettes allumées, de poudre de piment,
de fourmis rouges que l'on appliquait sur les parties sensibles
de leur corps, ou bien encore on les suspendait par les pieds
ou par les poignets, la tête en bas, on les piquait avec des aiguilles
aux doigts et aux orteils, on les privait de nourriture et de
sommeil et on les battait de façon répétée. A l'époque où l'état
d'urgence fut levé, en décembre 1979, des centaines de gens, des
jeunes pour la plupart, étaient passés entre les mains des forces
de sécurité. Nombreux étaient sortis radicalisés par l'application
directe du pouvoir d'Etat et cherchaient à travailler pour la
première fois pour l'Eelam... » (Nancy Murray, « L'Etat contre les Tamouls au Sri-Lanka – Racisme
et Etat autoritaire » in Race et classe sociale, été 1984)
Beaucoup
de Tamouls sont massacrés à l'aveuglette par les
forces de sécurité, et des otages sont enlevés par l'Etat quand
on ne trouvait pas les « suspects ». La torture devient
pratique courante.
1981
: La bibliothèque publique de Jaffna
incendiée. Entre 100 et 200 policiers, dans la nuit du 31 mai
au 1er juin 1981, ont brûlé le quartier du marché de Jaffna – plus
de 100 magasins – , le bureau du quotidien tamoul, la maison
du député de Jaffna, la bibliothèque publique de la ville, symbole
de l'identité culturelle tamoule et dans laquelle se trouvaient
de vieux manuscrits. Deux ministres sri-lankais et plusieurs chefs
des services de sécurité étaient présents dans Jaffna ce jour-là.
Hasard ?
1983 : Attaque contre les Tamouls. La Commission des juristes :
« L'impact
de la violence communautaire sur les Tamouls était accablant.
Plus de 100 000 personnes trouvèrent refuge dans 27 camps
temporaires mis en place à travers le pays. ... Un porte-parole
du gouvernement rejeta l'idée que les destructions des biens et
les massacres des Tamouls faisaient penser à un génocide. Selon
la Convention pour la prévention et la répression du crime de
génocide, les meurtres commis avec l'intention d'éliminer entièrement
ou en partie toute communauté nationale ethnique, raciale ou religieuse
en tant que telle sont considérés comme des actes de génocide.
Les faits prouvent clairement que les actes de violence commis
par les émeutiers cinghalais sur les Tamouls équivalent à un génocide.
Le président Jayawardene, dans son premier discours prononcé
trois jours après le début des émeutes violentes n'a insidieusement
pas condamné la violence contre les Tamouls. En essayant d'apaiser
la majorité cinghalaise, il apparaissait implicitement justifier
les atrocités commises contre les Tamouls... » La Revue, Commission
internationale des juristes, éditée par Niall MacDermot, décembre
1983.)
L'attaque
contre les Tamouls fut suivie de l'adoption du 6e amendement de
la constitution, en août 1983, qui rend vacants les sièges parlementaires
des représentants élus des Tamouls.
« La
lutte des Tamouls n'est pas une expression de chauvinisme. Le
peuple Tamoul reconnaît qu'aucune nation n'est une île. Il ne
nie pas l'existence de la nation cinghalaise, c'est le Sri-Lanka
qui continue de refuser de reconnaître les Tamouls comme une
nation et de négocier avec eux sur cette base. »
« Là
où un groupe social, caractérisé par des éléments objectifs distincts
tels qu'une langue commune, acquiert une conscience subjective
d'identité et possède de plus un territoire défini, ce groupe
constitue clairement un peuple ; selon la loi internationale,
la population tamoule du nord et de l'est du Sri-Lanka constitue
bien un “peuple”. Et la même loi stipule que chaque peuple a le
droit à l'autodétermination... »
« Le
refus de Sri-Lanka de reconnaître le droit du peuple tamoul à
l'autodétermination est une violation de la norme péremptoire
d'une loi internationale contenue dans l'article 1 de la convention
internationale des droits économiques, sociaux et culturels. » (Brochure LTTE – Tigres de libération de l'Eelam tamoul.)
1987 : En 1987 Rajiv Gandhi se propose comme médiateur dans le
conflit sri-lankais. Un accord de paix entre le président Jayawardene
et les rebelles tamouls. L'accord est cependant très fragile et
suscite un mécontentement violent chez les Cinghalais. La population
cinghalaise se sent humiliée. Des violences de rue sont contenues
par la police. Les réactions hostiles furent telles qu'après son
arrivée à l'aéroport on renonça à conduire M. Gandhi en voiture
et qu'on dut l'emmener par les airs sur le lieu de la conférence.
Termes
de l'accord :
– cessez
le feu immédiat entre l'armée et les Tamouls ;
– Tamouls
déposent leurs armes dans les 72 heures avant la signature ;
– l'armée
se replie sur ses positions d'avant sa dernière offensive de mai
1987 ;
– l'état
d'urgence proclamé 4 ans plus tôt dans les régions de Jaffna et
des provinces orientales serait levé ;
– libération
de tous les prisonniers tamouls ;
– l'Inde
s'engage à ne plus permettre aux militants tamouls de mener des
actions à partir du territoire indien ;
– gouvernement
sri-lankais accepte une vieille revendication tamoule : unification
des territoires de Jaffna et des provinces orientales ;
– avant
3 mois, des élections auront lieu dans la nouvelle région ainsi
créée pour permettre à ses habitants de choisir ses représentants.
Cette
dernière clause exaspère les cinghalais : les Tamouls sont
majoritaires à Jaffna mais représentent 45 % de la population
dans les provinces orientales. L'unification des deux régions,
selon les Cinghalais, avantage les Tamouls, qui, après les élections,
pourraient contrôler près du quart de l'île jusque-là dominée
par les bouddhistes.
L'accord
engendre la discorde. Le Premier ministre de Jayawardene et plusieurs
ministres refusent de le soutenir. L'opposition bouddhiste et
le Sri-Lanka Freedom Party (SLFP) s'y opposent.
Le Janata
Vimukta Perumana (JVP) ancienne organisation d'extrême gauche
qui avait mené une insurrection en 1971 contre le régime de Mme
Bandaranaike, revient sur la scène politique.
Les
nationalistes Tamouls eux-mêmes sont mécontents parce que leur
objectif, un Etat indépendant, n'est pas reconnu.
En fait,
les forces tamoules, mal équipées, étaient épuisées après les
récentes attaques de l'armée et les bombardements aériens. Une
cessation des combats arrivait à point.
Les
espoirs de paix grandissent. De nombreux réfugiés tamouls – particulièrement
des commerçants, des hommes d'affaires – reviennent. La voie
ferrée Colombo–Jaffna est réparée, les trains fonctionnent de
nouveau.
Le gouvernement
sri-lankais aussi était à bout après quatre années de guerre civile
épuisantes et coûteuses, que les gouvernements occidentaux se
montraient de moins en moins disposés à financer.
Le seul
à être satisfait de l'accord – pas pour longtemps – est Rajiv
Gandhi lui-même, dans la mesure où l'accord lui assure le soutien
de 45 millions de Tamouls habitant la province indienne de Tamil-Nadu.
Ça ne lui portera pas bonheur, d'ailleurs, car il sera plus tard
assassiné par un Tamoul.
1990
: L'année 1990 verra un retour à la situation
antérieure à l'accord de 87.
24 mars
1990 : les troupes indiennes achèvent leur retrait du nord
et de l'est de l'île. Les hostilités reprennent.
11 juin :
reprise des hostilités par les « tigres » : 5 000
morts en 6 mois.
1991 : 21 mai : Assassinat de Rajiv Gandhi par un Tigre
Tamoul.
1992 : 28 mai : offensive de l'armée sri-lankaise contre
les séparatistes.
1993 : 1er mai : assassinat à Colombo du président Premadasa.
La police soupçonne les Tigres tamouls. Il est remplacé par M. Wijetunga.
11 novembre :
Tigres tamouls attaquent la base militaire de Pooneryn et perdent
50 hommes. 200 marins et soldats cinghalais sont tués.
1994 : 24 mars : élections provinciales défavorables au gouvernement.
TROUBLES SOCIAUX
AU SUD
Mais
une autre menace surgit à laquelle le gouvernement sri-lankais
devra faire face. La question tamoule n'est pas la seule à secouer
le pays, qui subit plusieurs crises enchevêtrées sur fond de
graves problèmes sociaux provoqués par un gouvernement conservateur
fermement conseillé par la Banque mondiale, et qui tente d'implanter
une économie libérale.
Le JVP
s'était violemment opposé à l'accord de 1987. Il sort de la relative
passivité dans laquelle il s'était trouvé depuis 1983, quand
le parti avait été interdit. Dans la partie cinghalaise de l'île
une menace d'insurrection du Janata Vimukhthi Peramuna (JVP),
parti ultra nationaliste, a été écartée par une répression terrible.
Le JVP avait trouvé un regain d'influence dans la dénonciation
des accords ainsi que dans le malaise de la jeunesse instruite.
La base
sociale de cette organisation est constituée de jeunes qui n'ont
rien à perdre. L'absence de perspective d'emploi et la quasi-impossibilité
de mener des études ont créé des frustrations terribles. Les universités,
lieux privilégiés de recrutement du JVP, ont été longtemps fermées.
Les Cinghalais aisés, en revanche, peuvent aller étudier à l'étranger.
Dans certaines régions, le chômage touche 75 % des moins
de trente ans, dans toutes les couches de la population.
Le JVP
recrute aussi dans les collèges, et a recours à la terreur pour
inciter les jeunes à se laisser embrigader.
Le JVP,
fondé on 1967, était à l'origine un parti marxiste, devenu par
la suite nationaliste à outrance. Son fondateur, Rohana Wijeweera,
est chassé de l'université Lumumba de Moscou pour ses idées prochinoises.
Il est à l'origine d'une insurrection antigouvernementale en
1971, réprimée dans le sang.
Désavoués
par Pékin, les dirigeants du JVP se tournent vers le guévarisme.
Mais ils comprennent vite que le marxisme ne s'enracinerait
pas dans un pays imprégné de religion et où la conscience de caste
est plus forte que la conscience de classe. Les marxistes quittent
l'organisation, les autres se réorganisent autour d'un discours
ultra-chauvin dont l'objectif est de reconstruire la splendeur
de la nation cinghalaise.
Aucun
des gouvernements qui se sont succédé entre 1970 et 1991 n'a pu
résoudre le problème du chômage :
– Mme
Bandaranaike, Premier ministre de 1970 à 1977, socialiste modérée,
a pour objectif de freiner les importations et de rendre son
pays autonome ; elle a pu créer des emplois dans la petite
industrie, mais sans pouvoir faire face à l'explosion démographique.
– son
successeur, M. Jayawardene, ultra libéral (Parti
d'union nationale, UNP) crée des emplois dans des zones franches,
mais l'insertion du pays dans le marché mondial imposée par
sa politique liquide les petites industries créées par son successeur,
qui ne peuvent faire face à la concurrence.
La suppression
des subventions de soutien aux prix des produits essentiels, préconisée
par le FMI, a considérablement dégradé les conditions de vie
de la population. L'ancien Premier ministre voulait faire du
pays un centre financier de l'Asie du Sud. La politique néolibérale
de M. Jayawardene à la fin des années 70 et l'ouverture
du pays aux intérêts étrangers seront considérés comme la principale
cause de la dégradation de la situation de la population. Les
compagnies d'électricité et beaucoup de services publics sont
vendus aux Coréens et aux Japonais.
Il faut
dire aussi que l'instabilité créée par la révolte tamoule contraint
le gouvernement à de lourdes dépenses de maintien de l'ordre qui
pourraient être mieux utilisées (2 millions de dollars par
jour).
L'accord
de 1987 provoqua une offensive du JVP dont le bilan est estimé
à plusieurs milliers de morts et de disparus. Le compromis avec
l'Inde est interprété comme une trahison d'un gouvernement qui
« se vend à l'étranger ».
La présence
de l'armée indienne dans les zones tamoules libère l'armée sri-lankaise,
qui réprime sauvagement le JVP. Elle est largement aidée en
cela par les milices privées. En effet, si la répression repose
en partie sur l'armée et sur la police, les milices privées jouent
sans doute le rôle le plus important. Elles sont contrôlées par
des ministres qui ont droit, dans le cadre de leurs fonctions,
à une centaine d'hommes en armes pour assurer leur protection.
Ces
troupes se transforment aisément en véritables armées à la solde
des politiciens et sont responsables de massacres : 10 000
morts officiellement entre 1988 et 1990, mais probablement quatre
fois plus selon une organisation de défense des droits de l'homme.
Le Financial Times du 17 janvier 1990 estime qu'il
y a eu 30 000 morts dans les zones tamoules et cinghalaises
en 1989, 8 000 dans des camps.
Les
Tamouls sont donc loin d'être les seules victimes du système.
Les arrestations opérées par les forces de l'« ordre »
dans la partie cinghalaise de l'île sont souvent parfaitement
arbitraires. On arrête et on maintient les jeunes en prison,
on les torture simplement parce qu'ils sont jeunes, et beaucoup
d'entre eux ne reparaissent jamais.
Lors
des élections générales de 1988, le JVP appela au boycott. Les
gens n'osaient pas sortir de chez eux. L'armée encouragea les
gens à voter, et certains ont voté sous la protection des soldats.
On retrouva plus tard certains électeurs assassinés.
Le fondateur
du JVP est assassiné en novembre 1989. Après une courte trêve,
les actions de l'organisation reprennent, plus violentes que jamais.
Les cadavres décapités flottent sur les rivières, ou jonchent
les fossés et les rues des villages.
Le gouvernement
organise tôt le matin un véritable ramassage des cadavres. Les
touristes peuvent circuler tranquilles.
CONSEQUENCES DE
L'ACCORD DE 1987
Les
troupes indiennes étaient chargées de faire respecter cet accord
par les deux parties. Elles intervenaient en quelque sorte en
tant que force d'interposition. La population Tamoule accueillit
avec soulagement ces troupes, arrivées en août, et dont la présence
était supposée mettre un terme à quatre années de guerre horribles.
Il faudra
deux mois pour tout faire basculer. Le 5 octobre douze Tigres
tamouls, arrêtés illégalement, avalent des capsules de cyanure
plutôt que d'affronter les tortures que leur infligeraient les
Cinghalais. Ce suicide collectif poussa l'organisation à reprendre
la guerre. Ils tuent le lendemain 8 militaires sri-lankais. Des
attaques sont lancées contre la population cinghalaise dans les
provinces de l'Est. 160 personnes sont tuées à coups de hache,
par arme à feu ou lynchées. Deux jours plus tard, l'armée indienne
tente de rétablir l'ordre, et les Tamouls les affrontent ouvertement,
tuant 9 soldats. En représailles, les Indiens tuent 60 guérilleros
tamouls en une seule nuit. Comment expliquer cette explosion ?
Hypothèses :
1. L'immixtion indienne dans les groupes tamouls rivaux
crée des tiraillements au sein des groupes de militants tamouls.
Les combattants du LTTE devaient rendre volontairement leurs
armes, mais aussi maintenir un « profil bas », faire
preuve de retenue, pour faciliter un retour à la normale. Mais
un autre groupe, la People's Liberation Organisation Tamil Eelam
(PLOTE), puissant jusqu'en 1984, était incité par l'armée indienne
à neutraliser dans la région le pouvoir du LTTE.
Alors
que les Tigres et la PLOTE ont été entraînés par les services
de renseignement indiens, ceux-ci utilisent maintenant un des
groupes pour casser l'autre. La PLOTE abat plusieurs militants
du LTTE, qui réplique quelques jours plus tard.
Mais
il y a d'autres raisons à l'échec.
2. La colonisation cinghalaise des terres tamoules
continue. Le LTTE accuse l'armée indienne de fermer les yeux sur
l'afflux de colons cinghalais qui continuent de s'installer sur
les terres tamoules. Cet afflux avait pour objectif de faire basculer
la démographie de ces ragions en faveur des cinghalais dans la
perspectives d'un référendum prévu par l'accord de paix.
La colonisation
a en effet été systématique. Le LTTE ne s'oppose pas à ce que
des gens s'installent de leur plein gré, individuellement, mais
s'opposent à une politique systématique et planifiée de colonisation
par des milliers de Cinghalais. Cette stratégie ressemble curieusement
à celle des colons israéliens dans les territoires palestiniens
occupés. De fait, il y a des liens étroits entre les gouvernements
cinghalais et israélien, et des conseillers israéliens se trouvent
au Sri-Lanka.
En fait,
les nationalistes Tamouls de veulent pas de référendum, estimant
qu'il n'a pas lieu d'être, ces terres étant tamoules depuis des
millénaires.
3.
Le choc psychologique chez les combattants.
Après des années de combat les militants se sentent vidés par
la paix soudaine. Les jeunes ne peuvent se réadapter à la vie
normale. Habitués à la clandestinité et aux combats, ils ont du
mal à envisager autre chose. En plus la paix ne leur offre même
pas ce pour quoi ils avaient combattu, un Etat tamoul. L'accord
de paix provoque une brutale chute d'énergie. Il y a également
une sorte de logique interne de la clandestinité et de l'action
armée qui fait que ceux qui s'y sont consacrés pendant des années
ont tendance à vouloir plus ou moins consciemment maintenir les
conditions pour qu'elle se perpétue – le fait est particulièrement
frappant dans les courants les plus durs de l'IRA, par exemple.
Le retrait
indien du Sri-Lanka a résulté pour une part de l'échec électoral
du parti du Congrès en Inde, pour une autre part de la victoire
aux élections sri-lankaises de Ranasinghe Premadasa (qui sera
assassiné le 1er mai 1993), partisan de l'abrogation de l'accord
signé par son prédécesseur. Après le départ des Indiens, l'Armée
nationale tamoule formée, à l'instigation des Indiens, de groupes
rivaux du LTTE, s'est rapidement débandée sous les coups du LTTE.
L'armée
sri-lankaise est parvenue à reprendre le contrôle des zones peuplées
de l'Est, où ses forces spéciales se sont livrées à de nombreuses
exécutions sommaires contre les Tamouls. Le LTTE se replie à
l'intérieur de l'île et lance des attaques contre les voies de
communication, les camps de l'armée, les civils cinghalais et
musulmans. Ces derniers ont refusé d'adhérer à la cause des indépendantistes.
Certains ont même adhéré aux milices gouvernementales. D'autres
même réclament une région autonome musulmane...
Dans
le Nord l'armée a évacué le fort de Jaffna en septembre 1990 après
un siège prolongé. Entre la mi-90 et la mi-91, les combats auraient
fait 1000 tués chez les soldats et le double chez les militants
du LTTE et les civils tamouls. Dans le Sud, l'appareil dirigeant
du JVP a été anéanti. Mais le gouvernement utilise des escadrons
de la mort contre les intellectuels : avocats, journalistes,
militants des droits de l'homme, mais aussi contre la population
des villages supposés sympathisants.
Fin
1990, le gouvernement reconnaît la disparition de 12 000
personnes et le maintien en détention de 7 200 autres. Selon
d'autres estimations, ce sont 30 000 personnes qui auraient
disparu : 6 500 à mettre au compte du JVP et le reste
à celui des forces armées.
SOURCES DU NATIONALISME
CINGHALAIS
Le nationalisme
cinghalais est fondé sur l'ouvrage connu sous le nom de Mahavamsa,
décrit par l'Encyclopaedia Britannica comme d'historicité
douteuse. Censé être écrit par des moines bouddhistes vers le
5-6e siècle de notre ère, il retrace des événements remontant
à un millier d'années avant. Le chapitre 24 du livre relate la
façon dont le roi tamoul Elara est défait et comment l'île est
placée sous domination cinghalaise. Ce qu'on appelle le plan de
Mahavamsa est le plan consistant encore aujourd'hui à réduire
la population tamoule sous la domination cinghalaise.
Anagarika
Dharmapala (1864-1931) écrit en 1911 :
– « Le
pays cinghalais devrait être gouverné par les cinghalais. »
– « ...
nous qui appartenons à une race supérieure ... »
– « Mon
message au jeune homme de Ceylan est ... Entrez dans le royaume
de notre roi Dutugemunu par l'esprit et essayez de vous identifier
aux pensées de ce grand roi qui a sauvé le bouddhisme et notre
nationalisme de l'oubli. » (Retour à la droiture,
éd. Ananda Guruge, p. 534.)
– « ...
pour les étudiants en ethnologie, les Cinghalais représentent
les représentants de la civilisation aryenne... » (Histoire
d'une ancienne civilisation, 1902.)
« Anagarika
avait incité les cinghalo-bouddhistes à limiter les industrieux
commerçants musulmans. Il avait attaqué les Tamouls de Ceylan,
les Tamouls de l'Inde et les musulmans en les accusant d'être
“employés en grand nombre au détriment de la population de l'île”,
par quoi il voulait dire les bouddhistes cinghalais. » (Professeur
A.J. Wilson)
« Ce
n'étaient pas là les faits objectifs de l'histoire mais la perception
subjective de ces faits qui formait les prémisses du raisonnement
de cette école de propagandistes déclenchant un Frankenstein
de conflits ethniques se traduisant par une destruction irraisonnée
dans le paradis de l'île pendant les cinquante dernières années
de sa liberté vis-à-vis du colonialisme extérieur. L'ouvrage qu'est
Mein Kampf est un bon exemple de ce type de raisonnement. »
(Brochure LTTE)
J.R.
Jayawardene, ex-président :
« Le
temps est venu pour l'ensemble de la race cinghalaise qui a existe
pendant 2 500 ans en préservant sa langue et sa religion
pour combattre sans le moindre quartier pour sauver son droit
de naissance... Je mènerai la campagne.. » (Sri-Lanka
Tribune, 30 août 1957.)
Les
nationalistes cinghalais s'appuient sur une rhétorique mystique
qui leur attribue une fonction divine dans l'histoire :
« L'histoire
du Sri-Lanka est l'histoire de la race cinghalaise : le peuple
cinghalais était chargé, il y a 2500 ans, d'une grande et noble
mission : la préservation (...) du bouddhisme. (...) Ainsi
la naissance de la race cinghalaise n'apparaîtrait pas comme un
fruit du hasard, mais comme un événement prédestiné d'une grande
importance et aux ambitions élevées. La nation semblait désignée
en quelque sorte, dès le début, pour porter haut durant cinquante
siècles la lumière qui fut allumée par le grand penseur [Bouddha]
il y a 25 siècles. » (The Revolt in the Temple, D.C. Vijayawardhana,
1953.)
TERRITOIRE OU COMMUNAUTÉ
Avant
la réforme constitutionnelle de 1921 Ceylan était administré
par un gouverneur avec un conseil consultatif de représentants
communautaires. Les dirigeants cinghalais ont exigé une représentation
territoriale, qui leur accorderait une majorité permanente. Les
représentants tamouls de l'Association de Jaffna étaient opposés
à cette réforme.
Un compromis,
défendu par sir Ponnambalam Arunachalam fut trouvé, à la suite
duquel l'Association de Jaffna accepta la représentation territoriale
au Conseil.
Mais
lorsque la constitution de 1921 est entrée en vigueur, les dirigeants
cinghalais n'ont pas tenu leur parole.
C'est
alors que sir Ponnambalam Arunachalam lança l'idée d'un Etat tamoul
indépendant, ce qui était d'une certaine façon un retour à l'ordre
précolonial. Il créa un parti politique, la Ligue tamoule. Mais
il avait perdu toute crédibilité auprès de la population tamoule.
Sir
Ponnambalam Ramanathan, son frère aîné, l'avait mis en garde.
Il pensait qu'une représentation parlementaire du type occidental
à partir de circonscriptions territoriales ne convenait pas à
un pays multi-ethnique comme Ceylan. Il pensait que la représentation
devait se faire à partir de circonscriptions communautaires pour
préserver l'équilibre entre les communautés.
On retrouve
là la même problématique que celle qui s'est posée dans l'ex-Yougoslavie.
Il était
en faveur d'une représentation communautaire équilibrée au parlement,
qui devait refléter la situation démographique du pays.
1944 :
La Commission Soulbury arrive à Colombo, qui confirme le principe
de représentation territoriale et ne tient pas compte des réclamations
tamoules.
1972
: Mme Bandanaraike abroge la constitution de Soulbury et la remplace
par une nouvelle constitution, la « Constitution républicaine ».
Création du Sri-Lanka. Les Tamouls rejettent cette constitution
C'est le point de départ de la guerre civile actuelle.
« Le
mouvement de l'Eelam tamoul est basé sur un système de société
égalitaire qui prévalait pendant la période Sangam dont il tire
son inspiration. Ce qui est inacceptable pour l'Inde du système
des castes sous les lois de Manu, qui imposent le système des
castes de Varnashrama dharma ou le code de castes de couleur dans
lequel les Tamouls comme “ chudras ” ou ouvriers, sont
classés comme la plus basse des quatre castes. » (Brochure
LTTE.)
Le LTTE
se réfère au type tchécoslovaque d'autodétermination :
« L'Etat
de l'Eelam tamoul existe déjà de facto depuis de nombreuses années.
Il ne s'agit maintenant que de mettre en oeuvre un règlement paisible
de la guerre entre les deux Etats voisins de l'Eelam Tamoul et
du Thesam cinghalais. » (Brochure du LTTE.)
PRIVATIONS DU DROIT
DE VOTE
Au moment
de l'indépendance, en 1948, les Tamouls représentaient 33 %
du corps électoral. La suppression du droit de vote des Tamouls
des plantations fit tomber cette proportion à 20 %. (Virginia
Leary, Ethnic Conflict and Violence in Sri-Lanka – compte
rendu d'une mission au Sri-Lanka pour le compte de la commission
internationale de juristes, juillet-août 1981.)
« Le
vrai but de ces lois était de priver du droit de vote les travailleurs
des plantations de la montagne ceylanaise du centre où ils auraient
été en mesure de submerger l'électorat (...) En révisant les
registres électoruax des districts du centre du Sri-Lanka pour
1950, les noms tamouls furent tout simplement oubliés, laissant
le soin à quiconque souhaitait voir son nom rétabli la possibilité
de prouver sa citoyenneté sous les nouvelles règles... »
(Walter Schwarz, Les Tamouls du Sri-Lanka, rapport de groupe des
droits de minorités [en anglais], 1983.)
DISCRIMINATIONS
DANS LES UNIVERSITES
« Rien
ne créa autant de désespoir profond auprès des Tamouls que de
se sentir systématiquement évincés de l'enseignement supérieur.
Ils se plaignirent particulièrement du système de “standardisation”
en vigueur depuis 1972, selon lequel les candidats sont notés
pour les admissions en fonction de leur appartenance à certains
groupes l'inguistiques et/ou à certains districts. » (Walter
Schwarz, Les Tamouls du Sri-Lanka, rapport de groupe des droits
de minorités [en anglais], 1983.)
« Le
gouvernement devrait réexaminer sa politique concernant les admissions
dans les universités en cherchant à s'appuyer sur le mérite
et non sur le terrain racial. L'égalité des chances sera ainsi
garantie aux jeunes Tamouls tout comme aux jeunes Cinghalais,
grâce à un enseignement supérieur basé sur les aptitudes plutôt
que sur la race. Une des points majeurs de mécontentement parmi
de nombreux jeunes Tamouls fut le quota racial implicite de l'actuelle
politique d'admission dans les universités qui exclut du système
de nombreux jeunes gens compétents. » (Virginia Leary, Ethnic
Conflict and Violence in Sri-Lanka – compte rendu d'une mission
au Sri-Lanka pour le compte de la commission internationale de
juristes, juillet-août 1981.)
COLONISATIONS DE
TERRES TAMOULES
« Les
Tamouls se sont opposés aux plans de colonisation mis au point
par l'Etat qui installait un grand nombre de Cinghalais dans
les régions tamoules traditionnelles. La préoccupation tamoule
concernant la colonisation est liée à l'insécurité physique et
à la crainte de devenir minoritaires dans leur propre région.
Le gouvernement maintient que, dans la mesure où le Sri-Lanka
forme un seul pays, les citoyens peuvent aller librement vers
n'importe quelle partie du territoire national et qu'il est nécessaire
de transplnater des gens dans des régions plus productives. Les
Tamouls répondent qu'ils ne sont pas opposés à la migration individuelle
mais seulement aux grandioses plans gouvernementaux de colonisation
qui changent la composition ethnique d'une région. » (Virginia
Leary, Ethnic Conflict and Violence in Sri-Lanka, compte rendu
d'une mission au Sri-Lanka pour le compte de la commission internationale
de juristes, juillet-août 1981.)
« Des
témoins ont confirmé les charges qui ont été faites devant nous
que des villages entiers ont été vidés et les occupants chassés
de leurs demeures et dépendances par l'armée, transformés ainsi
en réfugiés dépendant du gouvernement pour les rations alimentaires.
(...) L'atteinte aux droits de l'homme dans ce genre d'action
n'a pas besoin d'être détaillée. Le plus important est que, à
tort ou à raison, tout cela accorde de la crédibilité à l'idée
si souvent exprimée devant nous que c'est là le but du gouvernement :
chasser un nombre suffisant de Tamouls du Nord et de l'Est afin
de réduire leur majorité dans cette région, processus qui serait
aidé par la politique proclamée par le gouvernement d'installer
des Cinghalais armés dans les régions auparavant tamoules, ou
chasser tous les Tamouls. (...) Nous le pouons pas porter un jugement
sur cette affaire. Mais nous pouvons dire, sans aucun doute, que
le gouvernement chasse les Tamouls de leurs maisons et s'apprête
bel et bien à installer les Cinghalais à leur place. Ceci, du
moins, corrobore la version la plus extrême défendue par les
Tamouls. » (Robert Kilroy-Silk, Roger Sims, députés, rapport
du groupe parlementaire anglais des droits de l'homme, février
1985.)
« Le
peuple cinghalais devrait comprendre que les soi-disants “projets
de colonisation” réalisés avec l'aide du gouvernement dans les
régions tamoules n'ont rien à voir avec le problème des pauvres
Cinghalais ne possédant pas de terre. Le vrai but du gouvernement
sri-lankais est d'utiliser ces colons cinghalais tantôt comme
un tampon et tantôt comme un outil tranchant dans sa guerre d'agression
contre la nation tamoule. Le but supplémentaire à long terme
de ces “projets de colonisation” est de changer la démographie
de cette terre tamoule et par ce moyen faire des Tamouls une minorité
maniable dans leur propre terre. Le gouvernement sri-lankais a
armé systématiquement ces colons – dont plusieurs sont des ex-détenus
– et les utilise souvent pour attaquer les villageois tamouls
des environs. Il cherche donc à exploiter les Cinghalais pauvres
en les armant dans de telles colonies et les utilisant comme pions
que l'on peut sacrifier dans sa guerre d'agression contre la nation
tamoule. Nous lançons un appel aux Cinghalais pauvres pour qu'ils
ne deviennent pas des pions de ces “projets de colonisation” qui
ont été élaborés méticuleusement par des forces chauvunes cinghalaises
pour semer la discorde et créer une hostilité permanente entre
les peuples tamouls et cinghalais. » (Lettre ouverte du Comité
central des Tigres de libération de l'Eelam tamoul au peuple cinghalais,
22 septembre 1991, publiée dans Tamil Nation, 15 octobre
1991.)
CONCLUSION
Notre
ambition n'était pas d'épuiser le sujet mais de présenter aux
auditeurs suffisamment d'informations pour qu'ils puissent avoir
éventuellement envie d'en savoir plus par leurs propres moyens.
Ils
peuvent ainsi contacter directement l'association dont nous avons
invité un membre aujourd'hui : Comité de coordination tamoule
France, 341, rue des Pyrénées, 75020 PARIS
La situation
à Sri-Lanka est à première vue profondément différente de ce
que nous pouvons connaître en Europe occidentale et nous n'aurons
pas la prétention d'affirmer que la façon dont abordons ces problèmes
puisse s'appliquer dans ce pays.
Toutefois,
à la réflexion, ce qui se passe là-bas n'est par si étranger que
cela à notre expérience. Nous ne pensons pas seulement à la guerre
récente dans l'ex-Yougoslavie, qui présente certaines analogies
avec le conflit actuel à Sri-Lanka, où le caractère « ethnique »
du problème cache en réalité, dans les deux cas, une volonté
de domination politique et sociale.
Nous
pensons aussi aux territoires occupés par les Israéliens, dans
lesquels ces derniers appliquent une politique de colonisation
qui ressemble étrangement à celle menée par le pouvoir cinghalais
au détriment des Tamouls.
Mais
plus près encore, nous pensons à ce qui pourrait très bien se
passer dans un proche avenir en Belgique, avec les communautés
néerlandophones et francophones.
C'est
pourquoi, au risque de nous trouver complètement dépassés et
écartés de la réalité, nous ne pouvons pas éviter la réflexion
sur ces questions, qui ne sont pas, et de loin, des questions
« exotiques ».
_________________________
« Le
corps politique sri-lankais souffre de schizophrénie ou d'un
dédoublement de la personnalité apportés par les contradictions
internes du plan Mahavamsa. Les transfusions sanguines d'aide
étrangère n'ont servi qu'à prolonger la maladie et à repousser
une décision arrivée depuis longtemps à échéance visant à savoir
s'il faut ou non séparer ces frères siamois aux tempéraments incompatibles
par la voie chirurgicale ou les normaliser. Ils pourraient alors
choisir, par négociation mutuelle, soit de continuer à vivre
côte à côte dans un Etat fédéral on confédéral ou un Etat complètement
séparé au mieux de leurs intérêts mutuels. Faute de quoi l'hémorragie
actuelle conduira à un Etat anémique aggravé pour les deux. »
(Brochure ETTL)
____________________
A
propos des Tamouls en exil
Il
y en aurait 35 000 en France, surtout à Paris, dont le LTTE
affirme qu'ils sont tous exilés politiques. Comme toute organisation
nationaliste en exil, le LTTE tente d'exercer son autorité sur
ses ressortissants sous la forme d'encadrement culturel et religieux,
d'incitation ferme à participer à certaines cérémonies, d'impôt
révolutionnaire, etc. On a connu cela en France avec le FLN pendant
la guerre d'Algérie. Le 26 octobre 1996, deux Tamouls sont
assassinés à Paris, sur le boulevard de La Chapelle. L'un était
le trésorier du LTTE, le second, rédacteur en chef de l'hebdomadaire
tamoul Eelamurasu Weekly. Cet assassinat est attribué par
le LTTE au pouvoir de Colombo, mais rien ne permet de le confirmer.
Le FLN aussi a connu des liquidations de militants pour raisons
politiques.
L'encadrement de la population est mal vécu par nombre de Tamouls. Deux
millions de dollars seraient ainsi récoltés par mois dont les
deux tiers provenant de l'étranger. Les tamouls ont quelques difficultés
à s'intégrer car leur langue véhiculaire est l'anglais. Cette
situation a facilité la tâche des dirigeants du LTTE dans le contrôle
de la population. Ainsi, aux difficultés propres de l'intégration
en France auxquelles doivent faire face les Tamouls (langue, culture,
religion et le regard de « autres ») s'ajoutent celles
de l'organisation nationaliste qui fait tout pour empêcher les
exilés d'oublier qu'ils sont tamouls.
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