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Les Chroniques du Nouvel ordre mondial
Radio Libertaire
DOSSIER
LA QUESTION TAMOULE AU SRI-LANKA :
GUERRE DE LIBÉRATION NATIONALE, OU GUERRE DE CLASSES ?
René Berthier, groupe Février

Origine : échange avec René Berthier


Avertissement

Lorsque j’entrepris cette émission sur la question tamoule, je  ne connaissais rien du problème. Un ami palestinien m'avait plusieurs fois sollicité pour que j'intervienne afin que les Tamouls aient une émission sur Radio Libertaire. Je lui expliquai que nous n'étions pas particulièrement prédisposés à accueillir des communautés nationales ou ethniques et que nous avions eu quelques expériences malheureuses dans ce domaine. Mais je lui dis que s'il y avait ponctuellement un problème particulièrement important, j'étais prêt à les accueillir pour une émission. Mon ami m'a parlé d'atteintes graves aux droits de l'homme, de tortures, d'arrestations arbitraires, etc. J'ai fini par accepter.

Le Tamoul qui est venu avec son garde du corps n'avait pas grand chose de précis à raconter sur les atteintes aux droits de l'homme. J’eus d’ailleurs rapidement l’impression qu’il n’avait pas grand chose de précis à dire sur quoi que ce soit. Heureusement, j’avais l’habitude de préparer soigneusement mes émissions. A la suite de plusieurs  expériences malheureuse, je faisais à chaque fois comme si l’invité que j’avais convié ne venait pas. Ainsi je pouvais assurer l’émission même en son absence…

Mon Tamoul parlait mal le français et n'était pas très bavard, mais je savais par expérience que parler mal le français n'empêchait pas forcément d'être bavard... Je lui demandai s'il  était possible d'unir d'une façon ou d'une autre les travailleurs tamouls et cinghalais dans une lutte commune, s'il y avait des associations, des syndicats où les deux populations sont mélangées, j'ai essayé de le brancher sur des questions plus sociales que politiques, mais j'ai eu l'impression que ce genre de problème lui passait complètement par-dessus la tête. Je dis bien « j'ai eu l'impression » car il me semblait qu'il ne comprenait pas très bien ce que je lui disais. A l'entendre, les deux communautés sont irrémédiablement séparées. Dans un sens, c'était donc une bonne chose qu'il ne soit pas très bavard car sinon on n'aurait sans doute même pas abordé la question des conflits  sociaux dans la partie cinghalaise de l'île, dont il ignorait tout, et  dont manifestement il se désintéressait. J'ai essayé en particulier de lui faire dire quelle était la composition sociale de la population tamoule, s'il y avait des conflits en son sein, quelle était la structure de la propriété foncière pouvant être source de conflits. Ça n'a pas eu l'air de le brancher particulièrement. En général il ne savait pas, ou il répondait en langue de bois, ce qui était guère mieux.

J'avais bien conscience de m'être lancé sur un terrain glissant, mais je ne le regrette pas. Je pensais qu'il était utile que le mouvement libertaire explore des terrains nouveaux. En tout cas, j’eus l'impression que parler de socialisme libertaire aux Tamouls et aux Cinghalais relevait de la science fiction. Mais je reconnais que je ne disposais pas de beaucoup d'informations.

Le document que j’ai retrouvé n’est pas daté mais l’émission a dû se dérouler courant 1996.

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Pour la plupart d'entre nous, Ceylan, ou Sri-Lanka depuis 1972, c'est d'abord le fameux thé. C'est aussi des images idylliques d'île de l'océan Indien présentées par les dépliants publicitaires d'agences de voyage. Nous allons aujourd'hui présenter une réalité tout autre.

Les sujets présentés dans notre émission sont parfois imposés par l'actualité dont tous les médias parlent. Ils sont aussi parfois le résul­tat de rencontres dues au hasard. C'est le cas aujourd'hui. Mais le sujet qui nous intéresse est aussi d'actualité, dans ce sens que la crise profonde qui secoue le pays est réelle ; sim­plement, personne ou presque n'en parle.

Or, c'est aussi la vocation de notre radio de par­ler de sujets dont personne ne parle, ou d'en parler d'une manière totalement différente des médias dominants, et ce n'est pas la première fois que cela nous arrive, qu'il s'agisse de la guerre du Golfe, de l'occupation de Timor-Est par l'armée indonésienne, des viols de masse dans l'ex-Yougoslavie, des conditions de vie des Palestiniens dans les territoires occupés, ou de bien d'autres sujets.

La question qu'on peut se poser concernant la si­tuation des Tamouls de Sri-Lanka est : s'agit-il d'une guerre de libération nationale ou d'une guerre de classes ? On verra que la ré­ponse n'est pas si simple et que les deux questions sont étroitement entremêlées.

Les problèmes de revendication nationale, c'est connu, n'entrent pas dans le système de pen­sée libertaire parce que nous estimons qu'il existe d'autres solutions. Mais ce sont des solutions à long terme qui ne doivent pas nous écarter de la recherche et de l'analyse – sans complaisance – de leurs causes présen­tes. Les questions de principe ne doivent en particulier pas nous empêcher de nous inter­roger sur la réalité de l'oppression subie par certaines populations, en l'occurrence les Tamouls dans le cas qui nous intéresse au­jourd'hui. Or, on verra que le dossier concer­nant les atteintes aux droits de l'homme à Sri-Lanka est accablant, et pas seulement pour ce qui concerne les Tamouls...

BREF APERÇU HISTORIQUE

Le Sri-Lanka est occupé par deux populations, les Cinghalais au Sud (bouddhistes) et les Ta­mouls au Nord (indouistes). Dans la mesure où cette occupation date de plu­sieurs milliers d'années il nous importe peu de savoir qui furent les premiers occupants.

Les Tamouls construisirent leurs premières cités dans les plaines du sud de l'Inde il y a 3 000 ans. C'étaient des pêcheurs et des commer­çants et leur présence dans l'île est très an­cienne, antérieure à celle des Cinghalais. La proximité de l'île avec l'Inde – 50 kilomètres  – plaide en faveur d'une occupation très an­cienne de populations indiennes, certaine­ment antérieure à l'implantation du prince indien Vijaya, racontée par les chroniques.

Des royaumes tamouls et cinghalais ont coexisté dans l'île de longue date, s'alliant et se com­battant au gré de l'histoire, comme dans toute société féodale.

Les Portugais s'installent dans le sud de l'Inde à la fin du 15e siècle et à Ceylan au 16e. Les Anglais arrivent au 17e, ainsi que les Hol­landais et les Français. Sous les Portugais et les Hollandais, les régions tamoules – le nord et l'est – étaient adminis­trées séparément du reste du pays.

Avec les Anglais à partir de 1833, le pays fut administré de façon unitaire. Cependant, pratiquant leur habituelle politique de division pour régner, ils firent appel aux Tamouls, minoritaires, pour administrer le pays.

Après l'indépendance, en 1948, la majorité cinghalaise considéra l'île comme une nation ex­clusive du bouddhisme cinghalais et les Ta­mouls comme des envahisseurs qui devaient être soit soumis et assimilés à l'Etat cinghalais bouddhiste et unitaire, soit renvoyés au Tamil Nadu, un Etat linguistique constitué en 1956 sur le continent avec 50 millions d'habitants.

Un passage du discours d'un député cingha­lais est significatif à cet égard : « S'il y a une discrimination sur cette terre qui n'est pas vo­tre terre, alors pourquoi essayer de rester ici ? Il y a là-bas vos temples et vos dieux. Là-bas, vous avez votre culture, votre éducation, vos universités, etc. Là-bas, vous serez maîtres de votre destin. » (W.J.M. Lokubandara, député, discours au parlement sri-lankais, juillet 1981.)

Les dirigeants cinghalais ouvrent l'économie aux investissements étrangers tout en développant un nationalisme bouddhiste cinglais extrême.

Président J.R. Jayawardene, Daily Telegraph, 11 juillet 1983 : « Je ne me soucie pas de l'opinion du peuple tamoul ... maintenant nous ne pouvons pas penser à lui, ni à sa vie ni à son opinion... plus vous mettrez de pression sur le nord, plus heureux sera le peuple cinghalais ici... Vraiment, si je peux priver de nourriture les Tamouls, le peuple cinghalais sera heureux. »

Les politiciens cinghalais se fondent sur le fait que la population cinghalaise est majoritaire : « La majorité de ce pays est formée de cingha­lais. Sans le consentement de la majorité, personne ne peut s'emparer du pouvoir » dit un moine (bouddhiste ?) (Vénérable Galabo­da Gnanassara Thera, moine en chef de Gan­garamaya, Sri-Lanka Times, 29-12-1991.)

Selon ce principe, la minorité tamoule se trouve donc privée de toute possibilité d'expression réelle. La démocratie sert de moyen pour perpétuer l'hégémonie d'une majorité, qui se manifeste par des mesures discriminatoires pour l'entrée à l'université, l'accès à l'emploi, par la colonisation des terres tamoules. « Si nous gouvernons, nous devons gouverner. Si nous régnons, nous devons régner. Ne cédez rien aux minorités. Nous sommes nés Cin­ghalais et bouddhistes dans ce pays. » (Mme Wimala Kannangara, ministre, discours au Parlement, juillet 19881.)

LES ETAPES DU CONFLIT

1948 : Proclamation de l'indépendance.

1956 : Le 5 juin 1956 le Premier ministre Bandaranaike fait passer la loi « Le cinghalais seulement ». Les manifestations non violentes des Ta­mouls, inspirées de l'exemple récent du Mahatma Ghandi se heurtèrent aux réactions violentes de la population cinghalaise qui dé­générèrent en émeutes raciales faisant 150 morts, dont beaucoup de femmes et d'enfants.

1958 : La conférence annuelle du Parti fédéral tamoul devait se prononcer sur l'éventualité d'une campagne  non violente. Réactions violentes des Cinghalais.

« La violence éclata quand un train présumé amener des délégués à cette conférence dé­railla et que ses passagers furent battus par des voyous. Le jour suivant, des ouvriers cin­ghalais mirent le feu aux magasins et aux maisons des Tamouls dans les villages envi­ronnants où les deux communautés vivaient mélangées. Les incendies criminels et les at­taques s'étendirent rapidement jusqu'à Co­lombo. Des bandes parcouraient les quartiers où vivaient les Tamouls, pillant, incendiant leurs maisons, leurs magasins, leurs voitures. Des Tamouls furent attaqués, humiliés, bat­tus. Plusieurs furent torturés et certains tués sur le coup. (...) Quelques dizaines de mil­liers de Tamouls s'enfuirent de leurs maisons pour se réfugier dans des camps improvisés. (...) Beaucoup partirent vers le Nord par le mer... » (Professeur Howard Wriggins : Cey­lan, les dilemmes d'une nouvelle nation [en anglais] Princeton University Press.)

25 mai 1958, dans la nuit. Dans la ferme gouvernementale de Polannaruwa, les ou­vriers tamouls des plantations de canne à su­cre sont pourchassés. Ils se réfugient dans les champs de canne, qui sont alors incendiés. Les hommes, femmes et enfants qui sortaient des champs en hurlant furent massacrés à coups de machette, de couteaux ou de gour­dins. Même scène dans la ferme gouvernementale de Hingurakgoda. Bilan : 150 à 200 morts.

Tarzie Vittachi pose la question : « les Cingha­lais et les Tamouls ont-ils atteint le point de non-retour ? » (« L'histoire des émeutes ra­ciales à Ceylan »,  Emergency, Londres, 1958.)

Une telle politique suscita le développement du nationalisme tamoul à partir des années 70 avec, au début, des actes de résistance armée sporadiques, ce qui fournit le prétexte au gouvernement à des représailles de grande envergure.

A la fin de 1970, de nombreux jeunes Tamouls étaient emprisonnés sans procès, torturés, en vertu de la Loi sur la prévention du terro­risme, loi décrite par la Commission interna­tionale des juristes comme « une souillure sur la constitution d'un pays civilisé ».

1972 : Ceylan devient Sri-Lanka. Instauration de mesures discriminatoires dans les universités.

1977 : Mme Bandaranaike (socialiste) est battue aux élections. M. Jayawardene (libéral) est élu. Des policiers cinghalais, se faisant passer pour des sympathisants du parti de Mme Bandara­naike, le Parti de la liberté, interrompent une fête tamoule. Une altercation s'ensuit. La po­lice ouvre le feu et tue quatre personnes. Une vague d'émeutes éclate, s'étendant au Sud.

« On dirait fort bien que des dirigeants du Parti de la liberté de plusieurs localités, mé­contents, trouvant là une occasion pour em­barrasser le gouvernement, organisèrent et encouragèrent les attaques contre les Ta­mouls, ceci avec la complicité de quelques policiers nommés sous leur régime et de bandits locaux. » (Martin Wollacott, The Guardian, 27 août 1977.)

« Une tragédie a lieu à Sri-Lanka : le conflit po­litique qui a suivi les récentes élections est en train de tourner au massacre racial. De source digne de foi, on estime qu'entre 250 et 300 citoyens tamouls ont été tués et que plus de 40 000 ont perdu leurs demeures. Les Ta­mouls n'ont maintenant plus confiance en la majorité cinghalaise et réclament la restaura­tion de leur statut national séparé. ... La per­sécution raciale des Tamouls et la dénégation des droits de l'homme doivent nous inciter à réagir. » (Sir John Foster, David Astor, Louis Blom-Cooper, Dingle Foot, Robert Birley, James Fawcet, Michael Scott, London Times 20-9-1977.)

1978 : Promulgation d'une nouvelle constitution

1979 : Le 11 juillet 1979, le président Jayawardene nomme son neveu, le brigadier Weeratunga, commandant des forces de sécurité à Jaffna. Le même jour l'état d'urgence est proclamé. Dans la nuit du 14 juillet, 6 jeunes Tamouls sont enlevés de chez eux. Trois n'ont jamais reparu. Les corps mutilés de deux autres sont retrouvés le jour suivant. Le sixième mourut à l'hôpital de la prison de Jaffna.

L'état d'urgence dura six mois dans le Nord, donnant à Amnesty International de quoi noircir de nombreuses pages.

« Pendant cette période, les forces de sécurité – dont la plupart ne parlaient pas la langue du peuple du Nord et auxquelles on avait en­seigné de traiter celui-ci comme un ennemi qui doit être soumis à tout prix – ont arrêté et torturé les jeunes Tamouls. Les soldats les en­traînaient dans les maisons et les fouillaient, les parents étaient détenus jusqu'à ce que les hommes recherchés se rendent. Les villages étaient encerclés et les villageois for­cés à se montrer, étaient interrogés. Des opé­rations fréquentes d'“arrestations et de fouilles” avaient lieu dans les voitures et les bus. Des gens qui n'avaient absolument rien à voir avec quelque type d'activité politique que ce soit, encore moins avec le “terrorisme” étaient torturés au moyen de cigarettes allu­mées, de poudre de piment, de fourmis rou­ges que l'on appliquait sur les parties sensi­bles de leur corps, ou bien encore on les sus­pendait par les pieds ou par les poignets, la tête en bas, on les piquait avec des aiguilles aux doigts et aux orteils, on les privait de nourriture et de sommeil et on les battait de façon répétée. A l'époque où l'état d'urgence fut levé, en décembre 1979, des centaines de gens, des jeunes pour la plupart, étaient pas­sés entre les mains des forces de sécurité. Nombreux étaient sortis radicalisés par l'application directe du pouvoir d'Etat et cherchaient à travailler pour la première fois pour l'Eelam... » (Nancy Murray, « L'Etat contre les Tamouls au Sri-Lanka – Racisme et Etat autoritaire » in Race et classe sociale, été 1984)

Beaucoup de Tamouls sont massacrés  à l'aveu­glette par les forces de sécurité, et des otages sont enlevés par l'Etat quand on ne trouvait pas les « suspects ». La torture devient pratique courante.

1981 : La bibliothèque publique de Jaffna incendiée. En­tre 100 et 200 policiers, dans la nuit du 31 mai au 1er juin 1981, ont brûlé le quartier du marché de Jaffna – plus de 100 magasins – , le bureau du quotidien tamoul, la maison du député de Jaffna, la bibliothèque publique de la ville, symbole de l'identité culturelle ta­moule et dans laquelle se trouvaient de vieux manuscrits. Deux ministres sri-lankais et plusieurs chefs des services de sécurité étaient présents dans Jaffna ce jour-là. Ha­sard ?

1983 : Attaque contre les Tamouls. La Commission des juristes :

« L'impact de la violence communautaire sur les Tamouls était accablant. Plus de 100 000 personnes trouvèrent refuge dans 27 camps temporaires mis en place à travers le pays. ... Un porte-parole du gouvernement rejeta l'idée que les destructions des biens et les massacres des Tamouls faisaient penser à un génocide. Selon la Convention pour la pré­vention et la répression du crime de géno­cide, les meurtres commis avec l'intention d'éliminer entièrement ou en partie toute communauté nationale ethnique, raciale ou religieuse en tant que telle sont considérés comme des actes de génocide. Les faits prou­vent clairement que les actes de violence commis par les émeutiers cinghalais sur les Tamouls équivalent à un génocide. Le prési­dent Jayawardene, dans son premier discours prononcé trois jours après le début des émeu­tes violentes n'a insidieusement pas condam­né la violence contre les Tamouls. En es­sayant d'apaiser la majorité cinghalaise, il ap­paraissait implicitement justifier les atrocités commises contre les Tamouls... » La Revue, Commission internationale des juristes, édi­tée par Niall MacDermot, décembre 1983.)

L'attaque contre les Tamouls fut suivie de l'adoption du 6e amendement de la constitu­tion, en août 1983, qui rend vacants les siè­ges parlementaires des représentants élus des Tamouls.

« La lutte des Tamouls n'est pas une expression de chauvinisme. Le peuple Tamoul reconnaît qu'aucune nation n'est une île. Il ne nie pas l'existence de la nation cinghalaise, c'est le Sri-Lanka qui continue de refuser de recon­naître les Tamouls comme une nation et de négocier avec eux sur cette base. »

« Là où un groupe social, caractérisé par des éléments objectifs distincts tels qu'une lan­gue commune, acquiert une conscience sub­jective d'identité et possède de plus un terri­toire défini, ce groupe constitue clairement un peuple ; selon la loi internationale, la po­pulation tamoule du nord et de l'est du Sri-Lanka constitue bien un “peuple”. Et la même loi stipule que chaque peuple a le droit à l'autodétermination... »

« Le refus de Sri-Lanka de reconnaître le droit du peuple tamoul à l'autodétermination est une violation de la norme péremptoire d'une loi internationale contenue dans l'article 1 de la convention internationale des droits économiques, sociaux et culturels. » (Brochure LTTE – Tigres de libération de l'Eelam tamoul.)

1987 : En 1987 Rajiv Gandhi se propose comme média­teur dans le conflit sri-lankais. Un accord de paix entre le président Jayawardene et les rebelles tamouls. L'accord est cependant très fragile et suscite un mécontentement violent chez les Cinghalais. La population cinghalaise se sent humiliée. Des vio­lences de rue sont contenues par la police. Les réactions hostiles furent telles qu'après son arrivée à l'aéroport on renonça à conduire M. Gandhi en voiture et qu'on dut l'emmener par les airs sur le lieu de la conférence.

Termes de l'accord :

– cessez le feu immédiat entre l'armée et les Ta­mouls ;

– Tamouls déposent leurs armes dans les 72 heures avant la signature ;

– l'armée se replie sur ses positions d'avant sa dernière offensive de mai 1987 ;

– l'état d'urgence proclamé 4 ans plus tôt dans les régions de Jaffna et des provinces orientales serait levé ;

– libération de tous les prisonniers tamouls ;

– l'Inde s'engage à ne plus permettre aux mili­tants tamouls de mener des actions à partir du territoire indien ;

– gouvernement sri-lankais accepte une vieille revendication tamoule : unification des terri­toires de Jaffna et des provinces orientales ;

– avant 3 mois, des élections auront lieu dans la nouvelle région ainsi créée pour permettre à ses habitants de choisir ses représentants.

Cette dernière clause exaspère les cinghalais : les Tamouls sont majoritaires à Jaffna mais re­présentent 45 % de la population dans les provinces orientales. L'unification des deux régions, selon les Cinghalais, avantage les Tamouls, qui, après les élections, pourraient contrôler près du quart de l'île jusque-là dominée par les bouddhistes.

L'accord engendre la discorde. Le Premier minis­tre de Jayawardene et plusieurs ministres re­fusent de le soutenir. L'opposition bouddhiste et le Sri-Lanka Freedom Party (SLFP) s'y opposent.

Le Janata Vimukta Perumana (JVP) ancienne or­ganisation d'extrême gauche qui avait mené une insurrection en 1971 contre le régime de Mme Bandaranaike, revient sur la scène po­litique.

Les nationalistes Tamouls eux-mêmes sont mécontents parce que leur objectif, un Etat indépendant, n'est pas reconnu.

En fait, les forces tamoules, mal équipées, étaient épuisées après les récentes attaques de l'armée et les bombardements aériens. Une cessation des combats arrivait à point.

Les espoirs de paix grandissent. De nombreux ré­fugiés tamouls – particulièrement des com­merçants, des hommes d'affaires – revien­nent. La voie ferrée Colombo–Jaffna est ré­parée, les trains fonctionnent de nouveau.

Le gouvernement sri-lankais aussi était à bout après quatre années de guerre civile épuisan­tes et coûteuses, que les gouvernements occi­dentaux se montraient de moins en moins disposés à financer.

Le seul à être satisfait de l'accord – pas pour longtemps – est Rajiv Gandhi lui-même, dans la mesure où l'accord lui assure le soutien de 45 millions de Tamouls habitant la province indienne de Tamil-Nadu. Ça ne lui portera pas bonheur, d'ailleurs, car il sera plus tard assassiné par un Tamoul.

1990 : L'année 1990 verra un retour à la situation anté­rieure à l'accord de 87.

24 mars 1990 : les troupes indiennes achèvent leur retrait du nord et de l'est de l'île. Les hostilités reprennent.

11 juin : reprise des hostilités par les « tigres » : 5 000 morts en 6 mois.

1991 : 21 mai : Assassinat de Rajiv Gandhi par un Ti­gre Tamoul.

1992 : 28 mai : offensive de l'armée sri-lankaise contre les séparatistes.

1993 : 1er mai : assassinat à Colombo du président Premadasa. La police soupçonne les Tigres tamouls. Il est remplacé par M. Wijetunga.

11 novembre : Tigres tamouls attaquent la base militaire de Pooneryn et perdent 50 hommes. 200 marins et soldats cinghalais sont tués.

1994 : 24 mars : élections provinciales défavorables au gouvernement.

TROUBLES SOCIAUX AU SUD

Mais une autre menace surgit à laquelle le gou­vernement sri-lankais devra faire face. La question tamoule n'est pas la seule à secouer le pays, qui subit plusieurs crises enchevê­trées sur fond de graves problèmes sociaux provoqués par un gouvernement conservateur fermement conseillé par la Banque mondiale, et qui tente d'implanter une économie libé­rale.

Le JVP s'était violemment opposé à l'accord de 1987. Il sort de la relative passivité dans la­quelle il s'était trouvé depuis 1983, quand le parti avait été interdit. Dans la partie cinghalaise de l'île une menace d'insurrection du Janata Vimukhthi Peramu­na (JVP), parti ultra nationaliste, a été écar­tée par une répression terrible. Le JVP avait trouvé un regain d'influence dans la dénon­ciation des accords ainsi que dans le malaise de la jeunesse instruite.

La base sociale de cette organisation est consti­tuée de jeunes qui n'ont rien à perdre. L'ab­sence de perspective d'emploi et la quasi-im­possibilité de mener des études ont créé des frustrations terribles. Les universités, lieux privilégiés de recrutement du JVP, ont été longtemps fermées. Les Cinghalais aisés, en revanche, peuvent aller étudier à l'étranger. Dans certaines régions, le chômage touche 75 % des moins de trente ans, dans toutes les couches de la population.

Le JVP recrute aussi dans les collèges, et a re­cours à la terreur pour inciter les jeunes à se laisser embrigader.

Le JVP, fondé on 1967, était à l'origine un parti marxiste, devenu par la suite nationaliste à outrance. Son fondateur, Rohana Wije­weera, est chassé de l'université Lumumba de Moscou pour ses idées prochinoises. Il est à l'origine d'une insurrection antigouver­nementale en 1971, réprimée dans le sang.

Désavoués par Pékin, les dirigeants du JVP se tournent vers le guévarisme. Mais ils com­prennent vite que le marxisme ne s'enracine­rait pas dans un pays imprégné de religion et où la conscience de caste est plus forte que la conscience de classe. Les marxistes quittent l'organisation, les autres se réorganisent au­tour d'un discours ultra-chauvin dont l'objec­tif est de reconstruire la splendeur de la na­tion cinghalaise.

Aucun des gouvernements qui se sont succédé entre 1970 et 1991 n'a pu résoudre le pro­blème du chômage :

– Mme Bandaranaike, Premier ministre de 1970 à 1977, socialiste modérée, a pour ob­jectif de freiner les importations et de rendre son pays autonome ; elle a pu créer des em­plois dans la petite industrie, mais sans pou­voir faire face à l'explosion démographique.

– son successeur, M. Jayawardene,  ultra li­béral (Parti d'union nationale, UNP) crée des emplois dans des zones franches, mais l'in­sertion du pays dans le marché mondial im­posée par sa politique liquide les petites in­dustries créées par son successeur, qui ne peuvent faire face à la concurrence.

La suppression des subventions de soutien aux prix des produits essentiels, préconisée par le FMI, a considérablement dégradé les condi­tions de vie de la population. L'ancien Pre­mier ministre voulait faire du pays un centre financier de l'Asie du Sud. La politique néo­libérale de M. Jayawardene à la fin des an­nées 70 et l'ouverture du pays aux intérêts étrangers seront considérés comme la princi­pale cause de la dégradation de la situation de la population. Les compagnies d'électricité et beaucoup de services publics sont vendus aux Coréens et aux Japonais.

Il faut dire aussi que l'instabilité créée par la ré­volte tamoule contraint le gouvernement à de lourdes dépenses de maintien de l'ordre qui pourraient être mieux utilisées (2 millions de dollars par jour).

L'accord de 1987 provoqua une offensive du JVP dont le bilan est estimé à plusieurs milliers de morts et de disparus. Le compromis avec l'Inde est interprété comme une trahison d'un gouvernement qui « se vend à l'étranger ».

La présence de l'armée indienne dans les zones tamoules libère l'armée sri-lankaise, qui ré­prime sauvagement le JVP. Elle est large­ment aidée en cela par les milices privées. En effet, si la répression repose en partie sur l'armée et sur la police, les milices privées jouent sans doute le rôle le plus important. Elles sont contrôlées par des ministres qui ont droit, dans le cadre de leurs fonctions, à une centaine d'hommes en armes pour assu­rer leur protection.

Ces troupes se transforment aisément en vérita­bles armées à la solde des politiciens et sont responsables de massacres : 10 000 morts officiellement entre 1988 et 1990, mais probablement quatre fois plus selon une or­ganisation de défense des droits de l'homme. Le Financial Times du 17 janvier 1990 es­time qu'il y a eu 30 000 morts dans les zones tamoules et cinghalaises en 1989, 8 000 dans des camps.

Les Tamouls sont donc loin d'être les seules vic­times du système. Les arrestations opérées par les forces de l'« ordre » dans la partie cinghalaise de l'île sont souvent parfaitement arbitraires. On arrête et on maintient les jeu­nes en prison, on les torture simplement parce qu'ils sont jeunes, et beaucoup d'entre eux ne reparaissent jamais.

Lors des élections générales de 1988, le JVP ap­pela au boycott. Les gens n'osaient pas sortir de chez eux. L'armée encouragea les gens à voter, et certains ont voté sous la protection des soldats. On retrouva plus tard certains électeurs assassinés.

Le fondateur du JVP est assassiné en novembre 1989. Après une courte trêve, les actions de l'organisation reprennent, plus violentes que jamais. Les cadavres décapités flottent sur les rivières, ou jonchent les fossés et les rues des villages.

Le gouvernement organise tôt le matin un véri­table ramassage des cadavres. Les touristes peuvent circuler tranquilles.

CONSEQUENCES DE L'ACCORD DE 1987

Les troupes indiennes étaient chargées de faire respecter cet accord par les deux parties. El­les intervenaient en quelque sorte en tant que force d'interposition. La population Tamoule accueillit avec soulagement ces troupes, arrivées en août, et dont la présence était supposée mettre un terme à quatre années de guerre horribles.

Il faudra deux mois pour tout faire basculer. Le 5 octobre douze Tigres tamouls, arrêtés illé­galement, avalent des capsules de cyanure plutôt que d'affronter les tortures que leur infligeraient les Cinghalais. Ce suicide collec­tif poussa l'organisation à reprendre la guerre. Ils tuent le lendemain 8 militaires sri-lankais. Des attaques sont lancées contre la population cinghalaise dans les provinces de l'Est. 160 personnes sont tuées à coups de ha­che, par arme à feu ou lynchées. Deux jours plus tard, l'armée indienne tente de rétablir l'ordre, et les Tamouls les affrontent ouver­tement, tuant 9 soldats. En représailles, les Indiens tuent 60 guérilleros tamouls en une seule nuit. Comment expliquer cette explosion ?

Hypothèses :

1. L'immixtion indienne dans les groupes tamouls rivaux crée des tiraillements au sein des groupes de militants tamouls. Les combattants du LTTE devaient rendre vo­lontairement leurs armes, mais aussi main­tenir un « profil bas », faire preuve de rete­nue, pour faciliter un retour à la normale. Mais un autre groupe, la People's Liberation Or­ganisation Tamil Eelam (PLOTE), puissant jusqu'en 1984, était incité par l'armée in­dienne à neutraliser dans la région le pouvoir du LTTE.

Alors que les Tigres et la PLOTE ont été entraî­nés par les services de renseignement in­diens, ceux-ci utilisent maintenant un des groupes pour casser l'autre. La PLOTE abat plusieurs militants du LTTE, qui réplique quelques jours plus tard.

Mais il y a d'autres raisons à l'échec.

2.  La colonisation cinghalaise des terres tamoules continue. Le LTTE accuse l'armée indienne de fermer les yeux sur l'afflux de colons cinghalais qui con­tinuent de s'installer sur les terres tamoules. Cet afflux avait pour objectif de faire basculer la démographie de ces ragions en faveur des cinghalais dans la perspectives d'un référen­dum prévu par l'accord de paix.

La colonisation a en effet été systématique. Le LTTE ne s'oppose pas à ce que des gens s'ins­tallent de leur plein gré, individuellement, mais s'opposent à une politique systématique et planifiée de colonisation par des milliers de Cinghalais. Cette stratégie ressemble curieusement à celle des colons israéliens dans les territoires palestiniens occupés. De fait, il y a des liens étroits entre les gouvernements cinghalais et israélien, et des conseillers israéliens se trouvent au Sri-Lanka.

En fait, les nationalistes Tamouls de veulent pas de référen­dum, estimant qu'il n'a pas lieu d'être, ces terres étant tamoules depuis des millénaires.

3. Le choc psychologique chez les combattants. Après des années de combat les militants se sen­tent vidés par la paix soudaine. Les jeunes ne peuvent se réadapter à la vie normale. Habitués à la clandestinité et aux combats, ils ont du mal à envisager autre chose. En plus la paix ne leur offre même pas ce pour quoi ils avaient combattu, un Etat tamoul. L'accord de paix provoque une brutale chute d'énergie. Il y a également une sorte de logique interne de la clandestinité et de l'action armée qui fait que ceux qui s'y sont consacrés pendant des années ont tendance à vouloir plus ou moins consciemment maintenir les conditions pour qu'elle se perpétue – le fait est particulièrement frappant dans les courants les plus durs de l'IRA, par exemple.

Le retrait indien du Sri-Lanka a résulté pour une part de l'échec électoral du parti du Congrès en Inde, pour une autre part de la victoire aux élections sri-lankaises de Ranasinghe Prema­dasa (qui sera assassiné le 1er mai 1993), partisan de l'abrogation de l'accord signé par son prédécesseur. Après le départ des Indiens, l'Armée nationale tamoule formée, à l'instigation des Indiens, de groupes rivaux du LTTE, s'est rapidement débandée sous les coups du LTTE.

L'armée sri-lankaise est parvenue à reprendre le contrôle des zones peuplées de l'Est, où ses forces spéciales se sont livrées à de nombreu­ses exécutions sommaires contre les Ta­mouls. Le LTTE se replie à l'intérieur de l'île et lance des at­taques contre les voies de communication, les camps de l'armée, les civils cinghalais et mu­sulmans. Ces derniers ont refusé d'adhérer à la cause des indépendantistes. Certains ont même adhéré aux milices gouvernementales. D'au­tres même réclament une région autonome musulmane...

Dans le Nord l'armée a évacué le fort de Jaffna en septembre 1990 après un siège prolongé. Entre la mi-90 et la mi-91, les combats au­raient fait 1000 tués chez les soldats et le double chez les militants du LTTE et les ci­vils tamouls. Dans le Sud, l'appareil dirigeant du JVP a été anéanti. Mais le gouvernement utilise des es­cadrons de la mort contre les intellectuels : avocats, journalistes, militants des droits de l'homme, mais aussi contre la population des villages supposés sympathisants.

Fin 1990, le gouvernement reconnaît la dispari­tion de 12 000 personnes et le maintien en détention de 7 200 autres. Selon d'autres es­timations, ce sont 30 000 personnes qui au­raient disparu : 6 500 à mettre au compte du JVP et le reste à celui des forces armées.

SOURCES DU NATIONALISME CIN­GHALAIS

Le nationalisme cinghalais est fondé sur l'ouvrage connu sous le nom de Mahavamsa, décrit par l'Encyclopaedia Britannica comme d'histo­ricité douteuse. Censé être écrit par des moines bouddhistes vers le 5-6e siècle de notre ère, il retrace des évé­nements remontant à un millier d'années avant. Le chapitre 24 du livre relate la façon dont le roi tamoul Elara est défait et com­ment l'île est placée sous domination cinghalaise. Ce qu'on appelle le plan de Mahavamsa est le plan consistant encore aujourd'hui à réduire la population tamoule sous la domination cinghalaise.

Anagarika Dharmapala (1864-1931) écrit en 1911 :

– « Le pays cinghalais devrait être gou­verné par les cinghalais. »

– « ... nous qui appartenons à une race supé­rieure ... »

– « Mon message au jeune homme de Ceylan est ... Entrez dans le royaume de notre roi Dutugemunu par l'esprit et essayez de vous identifier aux pensées de ce grand roi qui a sauvé le bouddhisme et notre nationalisme de l'oubli. » (Retour à la droiture, éd. Ananda Guruge, p. 534.)

– « ... pour les étudiants en ethnologie, les Cinghalais représentent les représentants de la civilisation aryenne... » (Histoire d'une an­cienne civilisation, 1902.)

« Anagarika avait incité les cinghalo-boud­dhistes à limiter les industrieux commerçants musulmans. Il avait attaqué les Tamouls de Ceylan, les Tamouls de l'Inde et les musul­mans en les accusant d'être “employés en grand nombre au détriment de la population de l'île”, par quoi il voulait dire les bouddhis­tes cinghalais. » (Professeur A.J. Wilson) 

« Ce n'étaient pas là les faits objectifs de l'his­toire mais la perception subjective de ces faits qui formait les prémisses du raisonne­ment de cette école de propagandistes dé­clenchant un Frankenstein de conflits ethni­ques se traduisant par une destruction irrai­sonnée dans le paradis de l'île pendant les cinquante dernières années de sa liberté vis-à-vis du colonialisme extérieur. L'ouvrage qu'est Mein Kampf est un bon exemple de ce type de raisonnement. » (Brochure LTTE)

J.R. Jayawardene, ex-président :

« Le temps est venu pour l'ensemble de la race cinghalaise qui a existe pendant 2 500 ans en préservant sa langue et sa religion pour combattre sans le moindre quartier pour sauver son droit de naissance... Je mènerai la campagne.. » (Sri-Lanka  Tribune, 30 août 1957.)

Les nationalistes cinghalais s'appuient sur une rhétorique mystique qui leur attribue une fonction divine dans l'histoire :

« L'histoire du Sri-Lanka est l'histoire de la race cinghalaise : le peuple cinghalais était chargé, il y a 2500 ans, d'une grande et noble mission : la préservation (...) du bouddhisme. (...) Ainsi la naissance de la race cinghalaise n'apparaîtrait pas comme un fruit du hasard, mais comme un événement prédestiné d'une grande importance et aux ambitions élevées. La nation semblait désignée en quelque sorte, dès le début, pour porter haut durant cin­quante siècles la lumière qui fut allumée par le grand penseur [Bouddha] il y a 25 siè­cles. » (The Revolt in the Temple, D.C. Vi­jayawardhana, 1953.)

TERRITOIRE OU COMMUNAUTÉ

Avant la réforme constitutionnelle de 1921 Cey­lan était administré par un gouverneur avec un conseil consultatif de représentants com­munautaires. Les dirigeants cinghalais ont exigé une représentation territoriale, qui leur accorderait une majorité permanente. Les re­présentants tamouls de l'Association de Jaf­fna étaient opposés à cette réforme.

Un compromis, défendu par sir Ponnambalam Arunachalam fut trouvé, à la suite duquel l'Association de Jaffna accepta la représenta­tion territoriale au Conseil.

Mais lorsque la constitution de 1921 est entrée en vigueur, les dirigeants cinghalais n'ont pas te­nu leur parole.

C'est alors que sir Ponnambalam Arunachalam lança l'idée d'un Etat tamoul indépendant, ce qui était d'une certaine façon un retour à l'or­dre précolonial. Il créa un parti politique, la Ligue tamoule. Mais il avait perdu toute cré­dibilité auprès de la population tamoule.

Sir Ponnambalam Ramanathan, son frère aîné, l'avait mis en garde. Il pensait qu'une repré­sentation parlementaire du type occidental à partir de circonscriptions territoriales ne con­venait pas à un pays multi-ethnique comme Ceylan. Il pensait que la représentation de­vait se faire à partir de circonscriptions communautaires pour préserver l'équilibre entre les communautés.

On retrouve là la même problématique que celle qui s'est posée dans l'ex-Yougoslavie.

Il était en faveur d'une représentation com­munautaire équilibrée au parlement, qui de­vait refléter la situation démographique du pays.

1944 : La Commission Soulbury arrive à Colombo, qui confirme le principe de représentation terri­toriale et ne tient pas compte des réclamations tamoules.

1972 : Mme Bandanaraike abroge la constitution de Soulbury et la remplace par une nouvelle constitution, la « Constitution républicaine ». Création du Sri-Lanka. Les Tamouls rejettent cette constitution C'est le point de départ de la guerre civile actuelle.

« Le mouvement de l'Eelam tamoul est basé sur un système de société égalitaire qui prévalait pendant la période Sangam dont il tire son inspiration. Ce qui est inacceptable pour l'Inde du système des castes sous les lois de Manu, qui imposent le système des castes de Varnashrama dharma ou le code de castes de couleur dans lequel les Tamouls comme “ chudras ” ou ouvriers, sont classés comme la plus basse des quatre castes. » (Brochure LTTE.)

Le LTTE se réfère au type tchécoslovaque d'au­todétermination :

« L'Etat de l'Eelam tamoul existe déjà de facto depuis de nombreuses années. Il ne s'agit maintenant que de mettre en oeuvre un règlement paisible de la guerre entre les deux Etats voisins de l'Eelam Tamoul et du Thesam cinghalais. » (Brochure du LTTE.)

PRIVATIONS DU DROIT DE VOTE

Au moment de l'indépendance, en 1948, les Ta­mouls représentaient 33 % du corps électoral. La suppression du droit de vote des Tamouls des plantations fit tomber cette proportion à 20 %. (Virginia Leary, Ethnic Conflict and Violence in Sri-Lanka – compte rendu d'une mission au Sri-Lanka pour le compte de la commission internationale de juristes, juillet-août 1981.)

« Le vrai but de ces lois était de priver du droit de vote les travailleurs des plantations de la montagne ceylanaise du centre où ils auraient été en mesure de submerger l'électo­rat (...) En révisant les registres électoruax des districts du centre du Sri-Lanka pour 1950, les noms tamouls furent tout simple­ment oubliés, laissant le soin à quiconque souhaitait voir son nom rétabli la possibilité de prouver sa citoyenneté sous les nouvelles règles... » (Walter Schwarz, Les Tamouls du Sri-Lanka, rapport de groupe des droits de minorités [en anglais], 1983.)

DISCRIMINATIONS DANS LES UNIVERSITES

« Rien ne créa autant de désespoir profond au­près des Tamouls que de se sentir systémati­quement évincés de l'enseignement supérieur. Ils se plaignirent particulièrement du système de “standardisation” en vigueur depuis 1972, selon lequel les candidats sont notés pour les admissions en fonction de leur appartenance à certains groupes l'inguistiques et/ou à cer­tains districts. » (Walter Schwarz, Les Ta­mouls du Sri-Lanka, rapport de groupe des droits de minorités [en anglais], 1983.)

« Le gouvernement devrait réexaminer sa politi­que concernant les admissions dans les uni­versités en cherchant à s'appuyer sur le mé­rite et non sur le terrain racial. L'égalité des chances sera ainsi garantie aux jeunes Ta­mouls tout comme aux jeunes Cinghalais, grâce à un enseignement supérieur basé sur les aptitudes plutôt que sur la race. Une des points majeurs de mécontentement parmi de nombreux jeunes Tamouls fut le quota racial implicite de l'actuelle politique d'admission dans les universités qui exclut du système de nombreux jeunes gens compétents. » (Virginia Leary, Ethnic Conflict and Vio­lence in Sri-Lanka – compte rendu d'une mission au Sri-Lanka pour le compte de la commission internationale de juristes, juillet-août 1981.)

COLONISATIONS DE TERRES TAMOULES

« Les Tamouls se sont opposés aux plans de co­lonisation mis au point par l'Etat qui instal­lait un grand nombre de Cinghalais dans les régions tamoules traditionnelles. La préoccu­pation tamoule concernant la colonisation est liée à l'insécurité physique et à la crainte de devenir minoritaires dans leur propre région. Le gouvernement maintient que, dans la me­sure où le Sri-Lanka forme un seul pays, les citoyens peuvent aller librement vers n'im­porte quelle partie du territoire national et qu'il est nécessaire de transplnater des gens dans des régions plus productives. Les Ta­mouls répondent qu'ils ne sont pas opposés à la migration individuelle mais seulement aux grandioses plans gouvernementaux de colo­nisation qui changent la composition ethni­que d'une région. » (Virginia Leary, Ethnic Conflict and Violence in Sri-Lanka, compte rendu d'une mission au Sri-Lanka pour le compte de la commission internationale de juristes, juillet-août 1981.)

« Des témoins ont confirmé les charges qui ont été faites devant nous que des villages entiers ont été vidés et les occupants chassés de leurs demeures et dépendances par l'armée, trans­formés ainsi en réfugiés dépendant du gou­vernement pour les rations alimentaires. (...) L'atteinte aux droits de l'homme dans ce genre d'action n'a pas besoin d'être détaillée. Le plus important est que, à tort ou à raison, tout cela accorde de la crédibilité à l'idée si souvent exprimée devant nous que c'est là le but du gouvernement : chasser un nombre suffisant de Tamouls du Nord et de l'Est afin de réduire leur majorité dans cette région, processus qui serait aidé par la politique proclamée par le gouvernement d'installer des Cinghalais armés dans les régions aupa­ravant tamoules, ou chasser tous les Tamouls. (...) Nous le pouons pas porter un jugement sur cette affaire. Mais nous pouvons dire, sans aucun doute, que le gouvernement chasse les Tamouls de leurs maisons et s'ap­prête bel et bien à installer les Cinghalais à leur place. Ceci, du moins, corrobore la ver­sion la plus extrême défendue par les Ta­mouls. » (Robert Kilroy-Silk, Roger Sims, députés, rapport du groupe parlementaire anglais des droits de l'homme, février 1985.)

« Le peuple cinghalais devrait comprendre que les soi-disants “projets de colonisation” réali­sés avec l'aide du gouvernement dans les ré­gions tamoules n'ont rien à voir avec le pro­blème des pauvres Cinghalais ne possédant pas de terre. Le vrai but du gouvernement sri-lankais est d'utiliser ces colons cinghalais tantôt comme un tampon et tantôt comme un outil tranchant dans sa guerre d'agression contre la nation tamoule. Le but supplémen­taire à long terme de ces “projets de coloni­sation” est de changer la démographie de cette terre tamoule et par ce moyen faire des Tamouls une minorité maniable dans leur propre terre. Le gouvernement sri-lankais a armé systématiquement ces colons – dont plusieurs sont des ex-détenus – et les utilise souvent pour attaquer les villageois tamouls des environs. Il cherche donc à exploiter les Cinghalais pauvres en les armant dans de telles colonies et les utilisant comme pions que l'on peut sacrifier dans sa guerre d'agression contre la nation tamoule. Nous lançons un appel aux Cinghalais pauvres pour qu'ils ne deviennent pas des pions de ces “projets de colonisation” qui ont été élaborés méticuleusement par des forces chauvunes cinghalaises pour semer la discorde et créer une hostilité permanente entre les peuples tamouls et cinghalais. » (Lettre ouverte du Comité central des Tigres de libération de l'Eelam tamoul au peuple cinghalais, 22 septembre 1991, publiée dans Tamil Na­tion, 15 octobre 1991.)

CONCLUSION

Notre ambition n'était pas d'épuiser le sujet mais de présenter aux auditeurs suffisamment d'in­formations pour qu'ils puissent avoir éven­tuellement envie d'en savoir plus par leurs propres moyens.

Ils peuvent ainsi contacter directement l'association dont nous avons invité un membre aujourd'hui : Comité de coordination tamoule France, 341, rue des Pyrénées, 75020 PARIS

La situation à Sri-Lanka est à première vue profondément diffé­rente de ce que nous pouvons connaître en Europe occidentale et nous n'aurons pas la prétention d'affirmer que la façon dont abor­dons ces problèmes puisse s'appliquer dans ce pays.

Toutefois, à la réflexion, ce qui se passe là-bas n'est par si étranger que cela à notre expé­rience. Nous ne pensons pas seulement à la guerre ré­cente dans l'ex-Yougoslavie, qui présente cer­taines analogies avec le conflit actuel à Sri-Lanka, où le caractère « ethnique » du problème cache en réali­té, dans les deux cas, une volonté de domi­nation politique et sociale.

Nous pensons aussi aux territoires occupés par les Israéliens, dans lesquels ces derniers ap­pliquent une politique de colonisation qui ressemble étrangement à celle menée par le pouvoir cinghalais au détriment des Ta­mouls.

Mais plus près encore, nous pensons à ce qui pourrait très bien se passer dans un proche avenir en Belgique, avec les communautés néerlandophones et francophones.

C'est pourquoi, au risque de nous trouver com­plètement dépassés et écartés de la réalité, nous ne pouvons pas éviter la réflexion sur ces questions, qui ne sont pas, et de loin, des questions « exotiques ».

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« Le corps politique sri-lankais souffre de schi­zophrénie ou d'un dédoublement de la per­sonnalité apportés par les contradictions in­ternes du plan Mahavamsa. Les transfusions sanguines d'aide étrangère n'ont servi qu'à prolonger la maladie et à repousser une dé­cision arrivée depuis longtemps à échéance visant à savoir s'il faut ou non séparer ces frères siamois aux tempéraments incompati­bles par la voie chirurgicale ou les normali­ser. Ils pourraient alors choisir, par négocia­tion mutuelle, soit de continuer à vivre côte à côte dans un Etat fédéral on confédéral ou un Etat complètement séparé au mieux de leurs intérêts mutuels. Faute de quoi l'hé­morragie actuelle conduira à un Etat anémi­que aggravé pour les deux. » (Brochure ETTL)

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A propos des Tamouls en exil

Il y en aurait 35 000 en France, surtout à Paris, dont le LTTE affirme qu'ils sont tous exilés politiques. Comme toute organisation nationaliste en exil, le LTTE tente d'exercer son autorité sur ses ressortissants sous la forme d'encadrement culturel et religieux, d'incitation ferme à participer à certaines cérémonies, d'impôt révolutionnaire, etc. On a connu cela en France avec le FLN pendant la guerre d'Algérie. Le 26 octobre 1996, deux Tamouls sont assassinés à Paris, sur le boulevard de La Chapelle. L'un était le trésorier du LTTE, le second, rédacteur en chef de l'hebdomadaire tamoul Eelamurasu Weekly. Cet assassinat est attribué par le LTTE au pouvoir de Colombo, mais rien ne permet de le confirmer. Le FLN aussi a connu des liquidations de militants pour raisons politiques.

 L'encadrement de la population est mal vécu par nombre de Tamouls. Deux millions de dollars seraient ainsi récoltés par mois dont les deux tiers provenant de l'étranger. Les tamouls ont quelques difficultés à s'intégrer car leur langue véhiculaire est l'anglais. Cette situation a facilité la tâche des dirigeants du LTTE dans le contrôle de la population. Ainsi, aux difficultés propres de l'intégration en France auxquelles doivent faire face les Tamouls (langue, culture, religion et le regard de « autres ») s'ajoutent celles de l'organisation nationaliste qui fait tout pour empêcher les exilés d'oublier qu'ils sont tamouls.