La question du mur de séparation construit par les autorités israéliennes
pour enfermer les Palestiniens se justifierait par la nécessité
d’empêcher les actes de terrorisme palestinien.
L’objet de cet article est de montrer que la lutte contre les
attentats palestiniens n’est pas la véritable raison de la construction
de ce mur. Lors d’une émission récemment consacrée à Israël sur
Antenne 2, plusieurs ex-directeurs des services de renseignements
israéliens déclaraient que ces attentats ne constituaient en aucun
cas un danger pour l’existence de l’Etat d’Israël. Ils précisaient
que les forces militaires respectives des deux parties au conflit
étaient tellement disproportionnées en faveur d’Israël que ce n’était
pas sérieux d’envisager une telle chose.
Il est également douteux que les autorités israéliennes pensent
réellement que ce mur pourra empêcher les attentats dont la population
israélienne est régulièrement la victime.
Le simple tracé de ce mur, dont une partie est déjà construite,
révèle de façon limpide les intentions réelles du gouvernement israélien.
La construction de ce mur est la dernière étape d’un processus
commencé il y a longtemps et mis en œuvre avec une extrême ténacité.
La « barrière de sécurité » est le signe de l’échec du
sionisme à mettre en application son plan initial d’expulsion en
masse des Palestiniens des territoires que les Israéliens revendiquent
comme le leur, au nom de la Bible.
Ce projet initial consistait à annexer un territoire dont les
dirigeants israéliens auraient souhaité qu’il soit vidé de sa population
palestinienne. Faute d’avoir pu réaliser cet objectif d’épuration
ethnique ([1]), les autorités israéliennes
ont choisi une autre voie, finalement peu différente, celle de la
relégation des Palestiniens dans des bantoustans concentrés sur
des portions de territoire les moins fertiles ([2]).
Déporter tous les Palestiniens
La construction du « mur » n’est que le dernier avatar
d’un programme parfaitement réfléchi de l’Etat d’Israël, mise en
œuvre dès sa création. Ce programme visait à occuper la terre palestinienne,
mais une terre vidée de ses habitants autochtones. Toutes les tentatives
de réaliser ce projet ont échoué. Le « mur » est donc
le symptôme de l’échec de la politique israélienne à « transférer »
ailleurs, peu importe où, la population palestinienne. Puisqu’on
ne peut pas « transférer » les palestiniens, on va les
enfermer.
L’idée de « transférer », c’est-à-dire de déporter les
Palestiniens n’est pas nouvelle. Elle figure dès le début dans le
projet sioniste et cette éventualité n’a jamais été abandonnée par
les dirigeants d’Israël.
C'est Théodore Herzl, l’idéologue du sionisme qui, le premier,
a envisagé la possibilité du « transfert » des Palestiniens.
Dans son esprit, cependant, il s’agissait d’un transfert pacifique,
ce qui aurait été, à vrai dire, une première dans l’histoire de
l’humanité.
Hertzl écrivait ainsi dans son journal intime :
« Les sionistes vont exproprier gentiment (sic) les
Arabes et essayer de faire évanouir cette population sans ressources
hors des frontières du pays, en leur procurant des emplois dans
les pays transitoires, tandis qu'aucun emploi ne leur sera fourni
dans notre pays. » (Herzl T. The complete diaries,
Herzl Press and Thomas Yosseloff, New York, 1960, Vol. 1, p. 88.)
Le 12 juin 1895, il écrivit encore :
« En achetant de la terre, nous apportons des avantages matériels
au pays qui nous accueille. Peu à peu nous devons nous rendre maîtres
des terres, privées de leur propriétaire, dans les régions où nous
nous installerons. Nous essayerons de transférer leurs misérables
habitants au-delà des frontières, sans que cela provoque des remous,
en leur assurant du travail dans les pays de transition. Mais dans
notre pays nous ne leur fournirons aucun travail... Il est de notre
intérêt que les propriétaires fonciers pensent qu'ils nous exploitent
en obtenant des prix excessifs pour leurs terres. Mais aucune terre
ne leur sera jamais revendue. »
On voit donc que l’idée même de la création de l’Etat d’Israël
est fondée sur l’expulsion des Palestiniens, qui a commencé préalablement
à la fondation de l’Etat, et pendant la guerre qui a abouti à la
création de l’Etat.
« Comme tous les autres obstacles au projet sioniste, il
fallait déblayer le terrain de ses indigènes, et ce par les trois
commandements du sionisme : rédemption de la terre, à savoir
achat des terres aux propriétaires absentéistes avec comme condition
l'expulsion des paysans arabes ; conquête du travail, c'est-à-dire
expulser les travailleurs arabes du marché du travail, en particulier
en fondant la Histadrut dont l'objectif est de faciliter l'emploi
exclusif de la main-d'œuvre juive par des boycotts, des subventions,
des actes de violence ; acheter des produits juifs, en boycottant
(souvent en détruisant) les produits arabes ([3]). »
La politique d’expulsion trouve sa raison dans deux phénomènes
complémentaires :
Un problème de territoire.
Dans les territoires occupés, où coule un fleuve stratégique, le
Jourdain, les autorités israéliennes tentent d’annexer des territoires
vidés de leur population. Faute de pouvoir réaliser intégralement
ce projet, l’implantation de nombreuses colonies juives dans les
territoires palestiniens constituent des points de fixation d’autant
plus importants que chaque colonie implique l’existence d’une zone
de sécurité d’où les Palestiniens sont expulsés. Ensuite vient la
nécessité de construire des routes pour relier ces colonies, routes
interdites aux Palestiniens. Mais ces routes elles-mêmes nécessitent
des zones de sécurité élargies. Ainsi, les Palestiniens sont effectivement
peu à peu expulsés, sous une forme plus « bénigne », celle
de l’expropriation, et concentrés sur un territoire de plus en plus
réduit. La construction du mur lui-même suit cette logique, dans
la mesure où il empiète systématiquement et de façon substantielle
sur le territoire palestinien. Lorsque sa construction sera terminée,
il conviendra de mesurer combien de centaines de kilomètres carrés
il aura permis d’annexer à Israël. En effet, contrairement à l’idée
communément admise, il ne s’agit pas d’une clôture se situant sur
la ligne verte, c’est-à-dire la ligne qui, selon les accords internationaux
sépare Israël des territoires occupés : il empiète de 6 à 7
kilomètres sur les territoires palestiniens, mais pénètre par moments
de trente kilomètres dans ces territoires.
Par ailleurs, ce mur ne se limitera pas à la partie occidentale
de la Cisjordanie, il encerclera deux enclaves palestiniennes à
l’Est, coupant les Palestiniens de l’accès au Jourdain.
Un problème de population.
En Israël même, la population palestinienne, qui a un statut de
citoyen de seconde zone, se caractérise par une natalité nettement
supérieure à la natalité israélienne. Ce problème, ajouté à une
forte émigration juive, en particulier ashkénaze, est un problème
extrêmement préoccupant pour l’Etat d’Israël. L’ancien Premier ministre
Moshe Kohl avait déclaré en 1967 que l'annexion par Israël de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza, signifiant l’intégration dans
l’Etat d’Israël des populations palestiniennes qui s’y trouvaient,
aurait créé en une vingtaine d'années un Etat binational et un Etat
à majorité arabe à la fin du siècle. Vingt ans plus tard, Kohl soutint
que le problème démographique était la bombe à retardement de l'Etat
d'Israël.
La politique d’expulsion trouve également sa légitimation dans
la religion. Rappelons que l’Etat d’Israël, à la demande des fondamentalistes
religieux, n’a pas de constitution, parce que seule la Bible peut
servir de référence légitimante. Les fondamentalistes juifs, tels
le Goush Emounim, jouent à fond la carte de la légitimité religieuse,
dénonçant les aspirations à la « normalité » comme une
« illusion des sionistes laïcs » : les Juifs ne peuvent
pas être « normaux » car l'« unicité éternelle »
des Juifs vient de leur alliance avec Dieu sur le mont Sinaï, ce
qui fait dire au rabbin Shlomo Aviner que « Dieu peut exiger
des autres nations qu'elles se soumettent à des codes abstraits
de “justice et de vertu”, mais ces codes ne s'appliquent pas aux
Juifs ». La « doctrine » de Netanyahou reposait sur
les mêmes principes : le peuple juif a un droit imprescriptible
et éternel sur Eretz Israël, le Grand-Israël de la Méditerranée
au Jourdain.
Un traité qui consacrerait le partage de la Palestine serait une
trahison et n’aurait aucune valeur. Cette opinion est largement
partagée par la population israélienne. C'est cette même idée qui
avait poussé Yigal Amir à assassiner Rabin ([4]).
Les documents signés à Oslo n'avaient aucune valeur pour bon nombre
de nationalistes israéliens. Parler de respect des accords ou de
droit international n'a par conséquent aucun sens pour des gens
comme Netanyahou ou Sharon, qui ont été élus précisément pour que
les droits des Palestiniens ne soient pas reconnus. Les élections
ont révélé qu'une bonne moitié des électeurs israéliens est opposée
au « processus de paix », approuve la ligne dure du Premier
ministre et l'éventualité d'une confrontation permanente avec les
Palestiniens.
Les rabbins nationalistes orthodoxes et la centaine de milliers
de séminaristes juifs sont mobilisés pour chercher dans la Bible
des arguments et des exemples pour effectuer ce « transfert ».
En avril 1969, un certain Shraga Gafni (qui pourrait être le pseudonyme
du Grand rabbin ashkénaze d'Israël Shlomo Goren), publiait dans
la revue Mahanaïm, journal de l'aumônerie militaire, ses
réflexions :
« Quant aux Arabes, élément étranger qui réside dans le
pays, mais qui est par son essence étranger à cette terre, on
doit leur appliquer la même sentence qu'on a appliquée à tous
les éléments étrangers antérieurs. Nos guerres contre eux sont
inévitables... Leur seul et unique but est de vous détruire. Il
n'y a pas d'autre remède que de les détruire. Telle fut la punition
des Amalécites. (La Bible-Samuel I, Ch. 15). » (Rapporté
par Noam Chomski, Guerre et Paix au Proche Orient, Belfond,
Paris, 1974.)
La Bible est remplie de ces passages où Dieu demande aux Israélites
d’exterminer telle ou telle population. Dieu avait en effet demandé
à Samuel d’exterminer les Amalécites, « hommes et femmes, enfants
et nourrissons », pour une offense datant de 400 ans...
Les intégristes juifs se situent tout à fait dans la tradition
bibilique. Ainsi Yaveh commande à Moïse d’exterminer les Midianites,
descendants de Midian, fils d’Abraham (Gen 25,2) et qui étaient
apparentés aux Israélites. Dieu commande donc à Moïse de tuer tous
les hommes et les femmes, à l’exception des jeunes filles que les
Israélites garderont pour leur usage personnel (Nombres, XXXI, 1-18).
Pourtant, ces gens avaient accordé l’hospitalité à Moïse pendant
40 ans (Ex. II, 15). Quelle ingratitude !
Un passage de Samuel raconte l’extermination de 50 000 personnes
(Sam I, 6, 19).
Dans le Deutéronome (II, 13) ce n’est que la population mâle qui
doit être passée au fil de l’épée.
Dans Josué (6, 21), la population de Jéricho est exterminée à
la demande expresse du bon Dieu, encore une fois : « Et
ils passèrent au fil de l’épée tout ce qui se trouvait dans la ville,
à la fois hommes et femmes, jeunes et vieux, et les bœufs, et les
moutons, et les ânes. » Dans Josué encore (8, 24-25), les Israélites
tuent la population mâle de la ville de Ai (verset 21). Mais au
verset 24, ce sont les hommes et les femmes (12 000 au total)
qui sont exterminés. Mais cette-fois-ci, ils ne tuèrent pas les
bêtes, ils les emmenèrent.
Si le fondamentalisme religieux est l’application littérale des
textes fondamentaux d’une religion, on voit à cela peut mener.
Lorsque la branche française du Likoud ([5]) reçut Netanyahou à l'Aquaboulevard de Paris,
ce dernier déclara que « les droits d'Israël sont inscrits
dans la Bible, et non dans les déclarations de l'ONU ». En
cela, il fait bien partie de ceux qui refusent d'aborder le problème
israélo-palestinien en termes concrets, de détermination de frontières,
d'arrangements de sécurité, de partage des ressources naturelles,
mais qui le réduisent à de prétendus commandements de Dieu. Une
telle approche ne peut que conduire l'ensemble de la région à la
catastrophe.
Il y a donc une conviction profondément ancrée dans une grande
partie de la population que l’ensemble du territoire de la Palestine
appartient de droit aux Juifs et que tous ceux qui s’y trouvent
sont des imposteurs qui doivent partir. C’est à partir de ce constat
idéologique que toute la politique des autorités israéliennes s’explique,
et en particulier le projet dedéportation de l’ensemble de la population
palestinienne.
Israël est d’ailleurs le seul pays dont les frontières ne sont
pas officiellement délimitées. Golda Meir, l'ancien Premier ministre,
disait : « Nos frontières seront là où nous nous installerons... »
Lorsqu'on regarde une pièce de monnaie israélienne, on voit une
carte d'Israël assez surprenante. On s'aperçoit que les frontières
du pays débordent sur le Liban, la Jordanie, l'Egypte, la Syrie
et l'Irak. C'est un cas unique. On imagine aisément le remue-ménage
que provoquerait une situation analogue si n'importe quel autre
pays faisait figurer sur sa monnaie une expression aussi évidente
de ses ambitions territoriales... David Ben Gourion déclara en 1938
que « les frontières des aspirations sionistes incluent le
Liban-Sud, le sud de la Syrie, la Jordanie d'aujourd'hui, toute
la Cisjordanie, et le Sinaï ([6]). »
Le mur d’acier est un livre écrit par le fondateur du sionisme
dit « révisionniste », c'est-à-dire un sionisme d'extrême
droite qui rejetait la façade libérale et sociale du sionisme originel.
Voici ce qu'il dit :
« Il ne peut être question d'une réconciliation volontaire
entre nous et les Arabes, ni maintenant ni dans un futur prévisible.
Toute personne de bonne foi, mis à part les aveugles de naissance,
a compris depuis longtemps l'impossibilité complète d'aboutir
à un accord volontaire avec les Arabes de Palestine pour la transformation
de la Palestine d'un pays arabe en un pays à majorité juive. Chacun
d'entre vous a une compréhension globale de l'histoire de la colonisation.
Essayez de trouver un seul exemple où la colonisation d'un pays
s'est faite avec l'accord de la population autochtone. Ça ne s'est
produit nulle part.
« Les autochtones combattront toujours obstinément les colonisateurs
– et c'est du pareil au même qu'ils soient civilisés ou non. Les
compagnons d'armes de Hernan Cortez ou de Francisco Pizarre se
sont conduits comme des brigands. Les Peaux-Rouges ont combattu
avec ferveur et sans compromis les colonisateurs au bon cœur comme
les méchants. Les indigènes ont combattu parce que toute forme
de colonisation n'importe où à n'importe quelle époque est inacceptable
pour le peuple indigène.
« Tout peuple indigène considère son pays comme sa patrie,
dont il veut être totalement maître. Il ne permettra pas de bon
gré que s'installe un nouveau maître. Il en est ainsi pour les
Arabes. Les partisans du compromis parmi nous essaient de nous
convaincre que les Arabes sont des espèces d'imbéciles que l'on
peut tromper avec des formulations falsifiées de nos buts fondamentaux.
Je refuse purement et simplement d'accepter cette vision des Arabes
palestiniens.
« Ils ont exactement la même psychologie que nous. Ils considèrent
la Palestine avec le même amour instinctif et la ferveur véritable
avec laquelle tout Aztèque considérait Mexico ou tout Sioux sa
prairie. Tout peuple combattra les colonisateurs jusqu'à ce que
la dernière étincelle d'espoir d'éviter les dangers de la conquête
et la colonisation soit éteinte. Les Palestiniens combattront
de cette façon jusqu'à ce qu'il n'y ait pour ainsi dire plus une
parcelle d'espoir.
« Peu importe les mots que nous utilisons pour expliquer
notre colonisation. La colonisation a sa propre signification
intégrale et inévitable qui est comprise par tous les Juifs et
tous les Arabes. La colonisation n'a qu'un but. C'est dans la
nature des choses. Changer cette nature est impossible. Il était
nécessaire de mener la colonisation contre la volonté des Arabes
palestiniens et cette nécessité existe aujourd'hui de la même
manière. Même un accord avec les non-Palestiniens est une lubie
du même type. Pour que les nationalistes arabes de Bagdad, de
La Mecque et de Damas acceptent de payer un tel prix, il faudrait
qu'ils refusent de maintenir le caractère arabe de la Palestine.
« Nous ne pouvons offrir aucune compensation contre la Palestine,
ni aux Palestiniens ni aux Arabes. Par conséquent, un accord volontaire
est inconcevable. Toute colonisation, même la plus réduite, doit
se poursuivre au mépris de la volonté de la population indigène.
Et donc, elle ne peut se poursuivre et se développer qu'à l'abri
du bouclier de la force, ce qui veut dire un Mur d'acier que la
population locale ne pourra jamais briser. Telle est notre politique
arabe. La formuler de toute autre façon serait de l'hypocrisie.
« Que ce soit au travers de la déclaration Balfour ou au
travers du mandat, l'exercice d'une force étrangère est une nécessité
pour établir dans le pays les conditions d'un pouvoir et d'une
défense par lesquels la population locale, quels que soient ses
désirs, soit privée de la possibilité d'empêcher la colonisation,
par des moyens administratifs ou physiques. La force doit jouer
son rôle – brutalement et sans indulgence. De ce point de vue,
il n'y a pas de différence significative entre nos militaristes
et vos végétariens. Les uns préfèrent un Mur d'acier fait de baïonnettes
juives, les autres un Mur d'acier constitué de baïonnettes anglaises.
« Au reproche habituel selon lequel ce point de vue est
immoral, je réponds “absolument pas”. C'est notre morale. Il n'y
a pas d'autre morale. Aussi longtemps qu'il y aura la moindre
étincelle d'espoir pour les Arabes de nous résister, ils n'abandonneront
pas cet espoir, ni pour des mots doux ni pour des récompenses
alléchantes, parce qu'il ne s'agit pas d'une tourbe mais d'un
peuple, d'un peuple vivant. Et aucun peuple ne fait de telles
concessions sur de telles questions concernant son sort, sauf
lorsqu'il ne reste aucun espoir, jusqu'à ce que nous ayons supprimé
toute ouverture visible dans le Mur d'acier ([7]). »
Ce texte a le mérite d'être extrêmement explicite, et il est frappant
de constater qu'il n'y transparaît aucun mépris pour les Palestiniens.
Ce sont des adversaires qu'il faut battre et Jabotinsky le dit sans
hypocrisie, ce qui ne sera pas le cas des dirigeants israéliens
après la fondation de l'Etat, qui nieront l'existence même d'un
peuple palestinien, ce que ne fait pas du tout Jabotinsky. La lecture
de ce texte ne laisse par ailleurs aucune ambiguïté sur le caractère
colonial du projet sioniste.
Les travaillistes et le transfert
Si Jabotinski peut être classé, politiquement parlant, dans l’extrême
droite, le point de vue de la gauche ne divergeait pas fondamentalement.
Ainsi, c’est lors d’un congrès du Mapaï, le Parti travailliste d'Eretz
Israël, que la doctrine du « transfert » des Palestiniens
hors de leur pays fut officiellement proposée et adoptée par les
dirigeants sionistes. Ce congrès rassembla à Zurich, le 7 août
1937, les délégués de la Palestine et de ses alliés à l'étranger.
Jusqu'alors, le problème du « transfert » des Palestiniens
n’avait été débattu dans aucun congrès sioniste. Après ce congrès,
un des chefs de la gauche, déclara : « Quant au transfert
forcé, moi, en qualité de membre du kibboutz Ramat Hakovesh, je
serais très heureux si nous pouvions être libérés du plaisant voisinage
des habitants de Tirah et de Qualquilia » [bourgades palestiniennes],
ajoutant : « Peut-on espérer que les Arabes accepteront
cela de leur libre volonté ? » (Israel Shahak, « L'idée
du “transfert”, Revue d'Etudes Palestiniennes, No.29, automne
1988.)
Il est vrai que, durant la guerre de 1948, les kibboutzim, toutes
tendances politiques confondues, prirent une part active dans l'expulsion
des Palestiniens de leurs villes et villages.
Il n’est donc plus question de méthodes pacifiques lorsque Joseph
Weitz ([8]) écrit
dans son journal le 19 décembre 1940 :
« Entre nous soit dit, il doit être clair qu'il n'y a pas
de place pour deux peuples dans ce pays... Si les Arabes quittent
le pays, il pourrait suffire... La seule solution, c'est la terre
d'Eretz Israel, ou, tout au moins, la partie occidentale d'Eretz
Israël (sans la Transjordanie [[9]]) vide d'Arabes. Aucun compromis
ne peut être fait sur cette position... Il n'y a pas d'autre solution
que de transférer les Arabes dans les pays voisins, tous les Arabes…
Tous doivent prendre la direction de la Syrie, de l'Irak et même
de la Transjordanie. Ce n'est que grâce à ce transfert que le
pays pourra accueillir des millions de nos frères. » (Cité
par Ilan Halevy, Sous Israël, la Palestine, Le Sycomore,
Paris 1978, p. 148.)
Quelques mois plus tard, le 22 juin 1941, Weitz rallia des dirigeants
sionistes importants à son projet de transfert : « La
terre d'Eretz Israel n'est pas du tout petite, si seulement on la
vide des Arabes, et si on élargit un peu ses frontières, au nord
jusqu'au Litani [10] et à l'est jusqu'aux hauteurs
du Golan [11]... Leurs Arabes doivent être
transférés en Irak et dans le nord de la Syrie. »
Chaim Weizman, dirigeant exécutif de l’Agence juive, qui allait
devenir président, rencontra à Londres en 1943 l'ambassadeur d’URSS
Ivan Merski. Des extraits du journal de l’ambassadeur furent publiés
(Yediot Ahronot, 25 mai 1995). Celui-ci écrivit :
« D'après Weizman, le seul moyen de sauver les Juifs d'Europe
centrale, et tout spécialement les Juifs polonais, était de transférer
un million d'Arabes de la Palestine, et d'installer à leur place
4 à 5 millions de Juifs de Pologne et autres pays ».
Lorsque l'ambassadeur fit remarquer qu’il s’agissait de mettre
5 millions de Juifs à la place d’un million d’Arabes, Weizman répondit :
« N'ayez crainte, les Arabes sont surnommés les fils du désert.
Les Arabes sont primitifs et paresseux de par leur nature, et sont
capables de transformer en désert les jardins les plus florissants.
Si seulement vous me donnez cet espace, je me montrerai capable
d'y installer cinq Juifs en lieu et place d'un Arabe. La seule question
qui se pose est comment obtenir ce territoire. »
Le 30 novembre 1951, Joseph Weitz se rendit en Argentine. Il avait
en tête un plan de transfert des Palestiniens chrétiens de la Haute
Galilée vers l'Argentine, plan que Ben Gourion trouvait « magnifique
et très important ». Un juif sioniste était prêt à mettre 60 000 ha
à la disposition des Israéliens pour qu’ils réalisent leur projet.
De retour en Israël, Weitz se rendit le 6 mars 1952 au village
de Jish, en Haute Galilée, pour essayer de convaincre ses habitants
chrétiens d'accepter son plan. Dans une lettre à sa bru, datée du
3 novembre 1952, il raconte :
« C'est alors que j'entendis les paroles d'un Arabe, qui
s'était tout le temps tenu dans un coin, silencieux comme les
autres auditeurs, et qui dit : “Aucun pays n'est aussi beau
que le nôtre. Même nos montagnes valent mieux que leurs plaines
de là-bas. Même sur le rocher les plantes poussent, et chaque
pierre ici donne du blé”. Je regardai celui qui venait de parler,
et j'eus la nausée [12]. »
Cette réflexion d’un paysan palestinien est parfaitement significative
de l’incompréhension existant entre le citadin occidental et le
paysan palestinien passionnément accroché à sa terre. Les électeurs
israéliens qui ont porté Sharon au pouvoir ne comprennent pas que
les Palestiniens n’abandonneront jamais leur terre. C’est une chose
que Yitzhak Rabin avait probablement comprise.
L'un des mythes fondateurs de l'Etat d'Israël est que la Palestine
était une terre sans habitants, que les Juifs ont acheté la terre
qu'ils occupent donc légitimement. Plus grand monde aujourd'hui
ne pense que la Palestine n'était peuplée que de quelques bédouins
épars. Elle était au contraire densément peuplée, avec de nombreux
villages dont une bonne partie ont été complètement rasés pour créer
des kibboutz. L'idée de kibboutz est associée à celle d'un groupe
de pionniers qui, par leur travail acharné et dans des conditions
difficiles, ont « fertilisé le désert ».
En fait, la plupart des kibboutz se sont implantés sur des terres
agricoles fertiles précédemment exploitées par les Palestiniens,
qui sont d'excellents agriculteurs. Les premiers colons, qui n’avaient
aucune expérience agricole, ont employé les paysans palestiniens
qu’ils avaient expulsés. On a souvent pris garde de raser jusqu'à
leurs fondations les maisons des villages, dont la deuxième ou troisième
génération de kibboutzniks ignore même souvent l'existence.
Moshé Dayan déclara aux étudiants de l'Institut de technologie
israélien en 1969 : « Nous sommes arrivés ici dans un
pays peuplé d'Arabes, et nous construisons ici un Etat hébreu, juif.
A la place des villages arabes, nous avons établi des villages juifs.
Vous ne connaissez même pas le nom de ces villages et je ne vous
le reproche pas, car les livres de géographie correspondants n'existent
plus. Et non seulement les livres, mais les villages n'existent
plus (...) Il n'y a pas une seule implantation de colons qui n'ait
été faite sur les lieux d'un ex-village arabe. » (Moshe Dayan,
Ha'aretz, 4 avril 1969.) L’éradication est aussi une des
formes de la déportation.
Les historiens israéliens eux-mêmes évaluent le nombre des Palestiniens
qui ont fui entre 1947 et 1949 entre 900 000 et 1 300 000.
Par ailleurs, ce sont les statistiques israéliennes elles-mêmes
qui chiffrent entre 6 et 9 % la proportion de terres achetées
par les Juifs, le reste ayant donc été approprié par la force, en
expulsant la population qui s’est entassée dans des camps de réfugiés.
Pourtant, plusieurs générations plus tard, les réfugiés dans les
camps se désignent toujours par le village dont leurs familles ont
été expulsées. Un rapport de l'ONU datant de 1947 estime que les
Palestiniens exploitaient alors 93 % de la terre. Le mythe
de « l'achat des terres par les Juifs » tombe.
A la fin du siècle dernier et au début de XXe siècle,
il y avait eu une première vague d’immigration juive dont les membres
s’étaient relativement intégrés au pays. La seconde vague d'immigration,
entre 1904 et 1907, fut différente. Surtout, le contexte idéologique
avait complètement changé, comme l'atteste Ben Gourion :
« Parmi les premières déceptions, il y eut le spectacle
des Juifs de la première aliya, vivant maintenant comme
des effendis, tirant leurs revenus de plantations et de champs
cultivés par de la main-d'œuvre embauchée, ou de métiers du genre
de ceux par lesquels nous ne réaliserons jamais de réhabilitation
nationale ([13]). »
L'objectif de cette seconde aliya était de créer une communauté
indépendante du point de vue économique, culturel, linguistique
et, surtout, « capable de se défendre », c'est-à-dire
un embryon d'Etat. Une véritable lutte s'engagea contre les propriétaires
terriens juifs qui préféraient la main-d'œuvre arabe à celle, sans
expérience, des Juifs. Jusqu'alors les paysans palestiniens qui
cultivaient les terres que les propriétaires avaient vendues aux
Juifs étaient embauchés comme ouvriers agricoles ; désormais
on empêche leur embauche, ce qui accroît le ressentiment.
Les sionistes n'entendaient en aucune manière s'accorder de la
présence des Palestiniens. Eli Eliachar raconte ([14]) que lorsque, en 1921, des notables Juifs orientaux
se proposèrent comme médiateurs entre les sionistes et les notables
palestiniens, leur proposition fut catégoriquement rejetée. Selon
Eliachar les Juifs autochtones soutenaient l'idée que les Juifs
de Palestine devaient s'intégrer à la région, ce qui n'était pas
du tout le projet des sionistes. Ces derniers se sont également
opposés à l'existence d'un système éducatif commun pour Juifs et
Palestiniens. Une médiation proposée par les Juifs autochtones,
après la création de l'Etat d'Israël, afin de trouver une solution
pacifique au problème palestinien, aurait également reçu une fin
de non-recevoir catégorique.
Objectif : expulsion
La guerre de 1948 allait montrer de façon évidente que l’objectif
des sionistes était d’obtenir l’expulsion de la population palestinienne.
L’expulsion de plus d’un million de Palestiniens, en 1948 et en
1967, n’a pas été le simple résultat malheureux de la guerre mais
celui d’une volonté délibérée.
Les Palestiniens eux-mêmes ont très peu participé aux combats
qui se sont déroulés entre le vote de la résolution 181 créant un
Etat palestinien et un Etat juif (29 novembre 1947) et la proclamation
de l'indépendance d'Israël (14 mai 1948). David Ben Gourion
lui-même le reconnaît : « Les masses paysannes [palestiniennes]
ne participèrent pas aux émeutes » écrit-il le 15 décembre
1947. Trois mois plus tard il écrit de nouveau : « Les
Arabes [palestiniens] dans leur grande majorité ne cherchent
pas la guerre avec nous. » Dans certaines régions, les chefs
arabes avaient signé des pactes avec leurs voisins Juifs pour éviter
une conflagration générale ([15]). Or l'armée clandestine juive (Haganah)
et les groupes terroristes juifs d'extrême droite (l'Irgoun de Menahem
Begin et le groupe Stern) menèrent une stratégie de conquête :
Ben Gourion écrit ainsi dans son journal au début de 1948 :
« Au cours de l'assaut, nous devons être prêts à porter le
coup décisif, à savoir : détruire l'agglomération ou bien expulser
ses habitants pour prendre leur place. » (Y. Nimrod, op.
cit. p. 92.) Le village palestinien de Deir-Yassine, dans
la banlieue de Jérusalem, avait passé un pacte de non-agression
avec le village juif de Guivat-Chaoul. Il fut attaqué par le groupe
Stern et l'Irgoun le 10 avril 1948 : 254 personnes, pour
la plupart des femmes et des enfants, furent massacrées. D'autres
« hauts faits d'armes » restent inaccessibles aux chercheurs,
parce que leur divulgation porterait atteinte à l'intérêt national.
C'est le cas de plusieurs massacres commis en 1948, au sujet desquels
un journaliste du Jerusalem Post voulait, en octobre 1986,
consulter les archives. Un certain nombre de dossiers détenus par
les archives d'Etat, tels que « Expulsion des habitants »,
« Transfert des habitants », « Destruction des villages
arabes » sont interdits à la consultation, constate Tom Segev
(Jerusalem Post, 30 mai 1985).
D'autres massacres commencent à être connus, comme ceux, commis
en octobre 1948, de Nasr-ed-Dine près de Tibériade et de Douaima
près d'Hébron, où des journalistes de Hadashot ont découvert
une fosse commune contenant un nombre indéterminé – plusieurs centaines,
selon l'ancien maire du village – de corps de villageois abattus
par des militaires du 89e bataillon. (Cf. Hadashot
24 et 26 août 1984.)
Ces massacres avaient pour but évident de terroriser la population
et de l'inciter à fuir :
« ...les chefs juifs locaux répandirent des rumeurs selon
lesquelles ils attendraient d'importants renforts pour se lancer
à l'assaut des villages arabes. Ils ajoutaient un “bon conseil” :
partez dès maintenant. Résultat : des dizaines de milliers
de paysans prirent la fuite ([16]) . »
De 1951 à 1956, les massacres – désignés sous le terme d'« opérations
punitives » – continuèrent contre des villages palestiniens
à Gaza et en Jordanie. Le plus connu est celui perpétré par le bataillon
101, dans le village de Kybia, le 12 octobre 1953, où quarante-six
civils furent assassinés chez eux en pleine nuit. L'historien Benny
Morris révèle que Ben Gourion lui-même supervisait ces opérations,
et qu'il fit maquiller la tuerie de Kybia en « vengeance privée »
de citoyens israéliens.
Mais, quel que soit leur nombre, les massacres commis par l'armée
ou par des groupes armés « dissidents » peuvent laisser
subsister un doute sur la volonté politique des autorités
juives de vider le territoire de ses habitants palestiniens. Le
doute disparaît à la lecture de certaines archives. Tom Seguev révèle
que Ben Gourion, dans les années 30, évoqua le « transfert »,
c'est-à-dire l'expulsion massive des Palestiniens, mais qu'il avertit
ses compagnons de ne pas en parler en public ([17]).
Une note trouvée dans les archives du ministère des Affaires étrangères,
alors dirigé par Moshé Sharett, précisait :
« Les réfugiés trouveront leur place dans la diaspora. Grâce
à la sélection naturelle, certains résisteront, d'autres non (...).
La majorité deviendra un rebut du genre humain et se fondra dans
les couches les plus pauvres du monde arabe ([18]). »
Le journal Hadashot du 11 janvier 1985 évoque le « Plan
D » préparé par le colonel Igal Yadin en mars 1948, qui prévoyait
la destruction des villages qu'on ne pouvait occuper, l'occupation
de la localité suivie de l'expulsion de sa population.
Il n'est cependant pas nécessaire de consulter les archives pour
se convaincre de la volonté délibérée d'une grande partie des couches
dirigeantes et de la population de « transférer » les
Palestiniens : c'est un débat ouvert qui revient fréquemment
dans les médias israéliens. Le seul frein à la mise en place d'une
telle politique se trouve dans l'impact qu'elle aurait sur le plan
international. On peut considérer que l’expulsion de 415 Palestiniens
à l’initiative d’Yitzhak Rabin, en décembre 1992, dans le no
man’s land du Sud Liban, pour le meurtre du sergent Nissim Toledano,
était moins une mesure de punition qu’une tentative de tester l’opinion
internationale.
Ainsi, dans le journal d’une école qui est une pépinière d’officiers
pour l’armée, le lycée Réali, un élève écrivit en avril 1978 un
article sur le thème : « La défense de l'Etat dans une
perspective lointaine » :
« Au cas où l'ennemi attaquerait, il est parfois nécessaire
de reculer de 10 ou 20 kilomètres pour s'organiser. Mais notre
contrôle de l'espace de Judée, Samarie et la Bande de Gaza pourrait
nous causer des ennuis sous forme de plus d'un million de terroristes
que les médias nous présentent comme le problème palestinien.
Ces terroristes, au lieu d'être une ligne de défense, seraient
utilisés comme tête de pont par les attaquants. Même en temps
de paix, ces Arabes présentent un danger important pour l'Etat,
car la démocratie exige que les dominateurs soient aussi démographiquement
majoritaires (sic). La solution à ces problèmes est relativement
simple : expulser tous les Arabes des territoires occupés
vers les pays arabes, même si ces pays refusent de les accueillir,
et massacrer ceux qui ne veulent pas partir. Le seul facteur qui
nous empêche de le faire est l'opinion publique mondiale. Mais
un tel refoulement pourrait être réalisé lors d'une période qui
ne dressera pas contre nous le monde entier. » (Donevitz
- Haaretz, 31 décembre 1982)
On peut supposer que cet article reflétait un large consensus
dans la mesure où il ne suscita pas de réaction de la direction
de la rédaction, ni des lecteurs.
Effectivement, la seule chose qui a empêché la mise en œuvre de
ce plan a été le contexte international. Selon ce plan, les Palestiniens
devaient s’installer dans les Etats avoisinants et se fondre dans
leur population, autrement dit disparaître en tant que Palestiniens.
Les dirigeants israéliens ont continué sans défection à envisager
la solution du « transfert » et à attendre que les conditions
soient favorables pour la mettre en œuvre. Des plans étaient constamment
étudiés, pouvant être appliqués au moment opportun.
Deux ans avant la Guerre du Liban, Aharon Yariv, ancien chef
du service de renseignements de l'armée, déclarait lors d'une
conférence donnée au printemps de 1980 : « Certaines
personnalités parlent d'expulser entre 700 et 800 000 Palestiniens
au cas d'une nouvelle guerre. Des mesures ont été prises pour
sa réalisation » (Peretz Kidron, Middle East International,
24 octobre 1980.)
Cette politique d’expulsion implique évidemment une situation
de guerre permanente et indéfinie. La guerre est une nécessité organique
liée à la survie d’Israël. Shiloah Tzvi, un ancien du kibboutz de
Houlda, était un chaud partisan du « transfert » des Palestiniens
hors d’Israël. Il écrivit un livre, Un grand pays pour un grand
peuple, dans lequel il exposait ses vues. Ce « transfert »
ne pouvant se faire en temps de paix, à cause des pressions internationales,
il préconisait de créer les « conditions naturelles pour l’expulsion
en masse des Palestiniens ». Il était en outre partisan de
l'élargissement du territoire d’Israël qui comprendrait, outre la
Palestine, la Jordanie et le… Koweït, ce qui transformerait Israël
en grande puissance. La guerre est donc organiquement liée à la
survie d’Israël. Shiloah Tzvi était un ancien dirigeant et transfuge
du Parti travailliste qui a obtenu un mandat de député à la Knesset.
(Cf. Haaretz, 23/03/1984.)
Dans l’éditorial du Monde du 25 mai 1990, on peut lire :
« Chose naguère impensable, beaucoup évoquent le “transfert”
des Arabes [19]
– autrement dit leur déportation définitive – comme une éventuelle
solution politique ». Cette politique de « transfert »
était cependant envisagée par certains dirigeants israéliens avec
un certain cynisme candide. Un ministre de la défense, Michaël Dekel,
exigea des puissances occidentales qu’elles se chargent elles-mêmes
du travail :
« Pour empêcher la région de se transformer en un baril
d'explosifs, les pays occidentaux et les Etats-Unis ont le devoir
politique et moral de se charger du “transfert” de la population
arabe de la Cisjordanie vers le royaume hashémite de Jordanie,
qui est leur patrie . » (Libération, 30 juillet
1987.)
C’est une constante que les contribuables occidentaux, et en particulier
européens, soient appelés à financer les objectifs les plus condamnables
de la politique des Israéliens les plus ultras ([20]). On se demande bien à quel titre les pays
occidentaux et les Etats-Unis auraient un tel « devoir politique
et moral ».
D’autres faisaient preuve d’une délicatesse elle aussi quelque
peu candide, comme le général Rehavim Zee'vi, qui proposait de transférer
les Arabes d'Israël « avec leur assentiment » hors des
frontières du pays, montrant qu’il ne comprenait strictement rien
aux sentiments de la population palestinienne. (International
Herald Tribune 6 juillet 1987.)
Le principe du « transfert » des Palestiniens – en fait
leur déportation – fait partie des idées que la masse de la population
israélienne a totalement assimilées. Cette idée est prégnante dans
toute l’existence du citoyen israélien, de la maternelle à l’âge
mûr. L’école, les médias, l’establishment religieux, l’armée conditionnent
la population. Le professeur Sami Smooha déclarait lors d’un symposium
sur « Une éducation pour éliminer la haine » que 95 %
du public juif d'Israël « est d'accord pour un “transfert”
des Arabes », et que « Israël n'est pas un Etat démocratique
dans le sens accepté du terme ». (Nourit Kahama, Haaretz,
6 juin 1990.)
Imposer l’épuration ethnique à une population est une manière
bien connue d’« éliminer la haine ».
Dans la même veine, Uriel Savir, consul général d'Israël à New
York, déclarait : « La nation juive n'a jamais essayé
de dominer un autre peuple, et ne le désire pas en ce moment »
(International Herald Tribune, 22/06/1990). La sincérité
de cette déclaration ne peut être remise en cause, à condition de
la comprendre comme une volonté d’annexer des territoires sans leur
population.
Pas d’intégration économique des Palestiniens
En effet, la politique israélienne dans les territoires occupés
a cette caractéristique qu'elle ne cherche pas à intégrer la population
palestinienne dans un rapport économique de domination mais à vider
le territoire de sa population. Le colonialisme classique vise à
garantir un maximum d'avantages à la puissance dominante mais ne
nie pas le droit d'existence à la population dominée. La politique
israélienne, quant à elle, ne cherche pas seulement l'exploitation
maximale des ressources du territoire mais à créer des conditions
de vie suffisamment insupportables pour provoquer l'évacuation de
la population autochtone. Les Israéliens veulent les territoires
occupés, mais pas la population qui y vit.
Dans cette perspective, le droit est extensivement utilisé pour
tenter de décourager la population palestinienne et la forcer à
partir. En effet, le statut de la terre en Palestine est régi par
plusieurs niveaux juridiques correspondant aux dispositions prises
par les différents régimes politiques qui ont dominé le pays.
Les autorités israéliennes sont soucieuses de se présenter comme
un Etat de droit et affirment que les confiscations qu'elles effectuent
respectent le droit et respectent les lois qui sont appliquées localement
et internationalement. Jean-Paul Chagnollaud dit à ce sujet :
« Quelle que soit la nature d'un conflit, le droit considéré
en lui-même détient toujours une part irréductible de légitimité
qu'il est tactiquement essentiel de mettre de son côté ;
de plus, porter un débat de ce type sur le terrain juridique permet
de surmonter plus aisément les questions difficiles et embarrassantes
sur la véritable nature de ces appropriations en les recouvrant
de la neutralité (apparente) et de la respectabilité (formelle)
de la norme juridique. S'interroger sur ce que le droit peut dire,
revient en fait à décider de ce qu'on va faire dire au droit ([21]). »
En 1936, des lois d'urgence avaient été édictées par les autorités
britanniques pour réprimer la révolte qui s'étendait dans les campagnes
palestiniennes entre 1936 et 1939. De nouvelles lois d'urgence complétèrent
en 1945 celles de 1936, mais visaient les organisations politiques
et militaires sionistes. Les avocats sionistes contestèrent ces
lois qui dépouillaient les citoyens de leurs droits fondamentaux,
réglementaient la liberté de circulation, de presse, de parole,
permettaient aux autorités d'expulser un individu, de confisquer
ou détruire ses biens. Ces lois ne seront pas abolies après la création
de l'Etat d'Israël et sont encore utilisées contre les Arabes israéliens
et dans les territoires occupés.
Israël a cependant apporté sa propre contribution à l'appareil
juridique destiné a s'approprier la terre. L'ordonnance n° 125,
par exemple, permet au commandant militaire de déclarer par décret
tout territoire ou endroit zone close. Toute personne entrant dans
cette zone sans permission est accusée de contravention aux lois
et expulsée. Après les guerres de 1948 et de 1967, les autorités
israéliennes ont ainsi pu vider des villages et des régions entières
de leur population autochtone et interdire aux rescapés de l'exode
de revenir. L'application de cet article 125 est laissée à la seule
appréciation du commandant militaire et la procédure en est aussi
rapide que brutale pour ceux qui en sont les victimes. La majorité
des confiscations intervenues entre 1949 et 1953 se fondaient sur
cet article.
Pendant cette même période, les autorités israéliennes ont mis
en place un dispositif juridique destiné à légaliser les confiscations
de ce qui restait encore aux arabes restés à l'intérieur de l'Etat
d'Israël :
– La Knesset vote en 1949 une loi qui considère que tout propriétaire
d'une parcelle de terre à l'intérieur du territoire attribué à Israël,
qui, entre le vote par l'ONU du partage de la Palestine le 29 novembre
1947 et la proclamation de l'indépendance d'Israël le 19 mai
1948, était citoyen ou résident d'un pays arabe autre que la Palestine,
ou qui a quitté son lieu de résidence et a séjourné dans une région
tenue par des forces qui ont lutté contre Israël, est déclaré « absent »,
ses droits civiques sont abolis et ses propriétés sont confisquées.
Le tiers de la population arabe de l'Etat d'Israël était concerné
par cette loi.
– La confiscation des biens du wakf musulman, c'est-à-dire
des biens appartenant à Dieu, selon la religion musulmane et dont
les revenus sont affectés à des œuvres charitables. Ces biens qui
ont été transférés à l'Administrateur des biens des propriétaires
absents constituent une fortune considérable car les terres du wakf
représentaient de 6,25 % de la superficie de la Palestine.
– 1953 : la « loi sur l'acquisition des terres et l'autorisation
des opérations d'indemnités ». Le ministre des Finances est
autorisé pendant une année, à partir de la promulgation de la loi,
à confisquer toute terre qui, à la date du 1er avril
1952, n'était pas détenue par son propriétaire ou qui est nécessaire
au développement, à la colonisation, à la sécurité.
– L'utilisation de vieilles lois ottomanes comme la loi sur
les terres incultes permet de nationaliser des terres non cultivées
pour justifier des expropriations.
– Après la guerre de 1967 le commandement militaire israélien
de la Cisjordanie publie la proclamation n° 2 concernant l'administration
par les forces militaires. Israël n'a pas l'intention d'annexer
les territoires occupés et se contente de promulguer des ordonnances
militaires qui tiennent lieu de lois sans modifier la base juridique
jordanienne des territoires. En effet, l'annexion pure et simple
signifiait la reconnaissance de la présence d'un million et demi
de Palestiniens à qui il aurait fallu accorder un statut, des droits.
– Les confiscations dans les territoires occupés ont tout d'abord
concerné les terres incultes qui n'étaient pas susceptibles d'être
revendiquées par des propriétaires arabes. L'ordonnance n° 59
confisque les biens ayant appartenu à la Jordanie, qui administrait
ces territoires. Toutes les terres qui ne sont pas enregistrées
sur les registres cadastraux deviennent domaine de l'Etat.
– L'Etat applique en 1967 les mêmes lois par lesquelles il
a confisqué les terres arabes en 1949. Un décret du 23 juillet
1967 considère que les terres de toute personne absente le jour
de l'occupation en 1967 deviennent propriété de l'Etat.
– Les autorités israéliennes ont souvent recours à la loi jordanienne
sur l'expropriation des terres à des fins d'utilité publique pour
saisir des parcelles nécessaires à la construction de routes ou
pour tout autre usage au profit des colonies.
– Appropriation indirecte : le gouverneur militaire
peut proclamer « secteur fermé » des zones dans lesquelles
il est interdit d'entrer et d'où il est interdit de sortir sans
autorisation préalable. Toute la vallée du Jourdain est ainsi déclarée
zone fermée.
Toutes les mesures, d’une perversité extrême, prises par les autorités
israéliennes pour détruire l’économie palestinienne, s’accompagnent
d’un cynisme extraordinaire quand il s’agit de faire appel à l’argent
international pour « reconstruire » cette économie – argent
fourni essentiellement par les contribuables européens, d’ailleurs,
qui servira à payer pour les dégâts faits par les gouvernements
israéliens successifs à la société palestinienne et compenser (un
peu) l’absence totale d’investissements d’infrastructure depuis
trente ans [22]. A titre d’exemple, il
y avait en 1967 dans la bande de Gaza 800 lits d’hôpitaux pour 360 000
Palestiniens ; en 1983 il y en avait toujours 800 pour 800 000
Palestiniens.
Faute de pouvoir évacuer par la force la population palestinienne,
la stratégie israélienne consiste à disperser des colonies de peuplement
sur les territoires convoités, qui constituent autant d'abcès de
fixation. L'existence de chacune des colonies constitue un enjeu
vital et l'évacuation d'une seule d'entre elles constituerait une
menace pour l'ensemble du projet. Au lendemain de la guerre de 1967,
le gouvernement de Levy Eshcol n'avait pas de politique claire en
matière d'implantations de colonies de peuplement dans les territoires
occupés. Cependant, le courant principal du parti travailliste insistait
sur le caractère juif de l'Etat et s'opposait à l'intégration des
Palestiniens, considérant que la seule option qui restait à ces
derniers était de s'intégrer dans l'Etat jordanien.
Le premier fait accompli fut l'annexion de la partie Est de Jérusalem
et la région de Latroun. Cette annexion avait nécessité la destruction
de trois villages palestiniens proches de la ligne de cessez-le-feu
entre Israël et la Jordanie. Une colonie a été créée, Kfar Etzion,
entre Jérusalem et Hébron, près de la ligne verte. Peu après est
créée à Hébron la colonie de Kiryat Arba, à l'initiative du rabbin
intégriste Levinger. L'initiative est soutenue à la fois par les
partis religieux nationalistes et par des responsables du parti
travailliste.
Pendant toute la période où les travaillistes furent au pouvoir,
la politique d'implantation israélienne dans les territoires occupés
fut définie par le plan Allon, qui fournit en la matière un cadre
de référence clair. Sans entrer dans le détail du plan, celui-ci
prévoyait une concentration de colonies le long de la frontière
jordanienne dans la vallée du Jourdain et la création d'une enclave
arabe – dans une région à forte concentration de population palestinienne
– reliée à la Jordanie par un corridor, l'enclave arabe étant elle-même
bordée par un réseau de colonies juives.
La judaïsation de Jérusalem était également un enjeu capital,
auquel le parti travailliste s'est consacré avec attention. L'annexion
de la partie arabe de la ville elle-même n'était qu'un élément d'un
plan d'ensemble beaucoup plus grand. Onze quartiers et faubourgs
résidentiels juifs ont été construits dans la ville et autour d'elle
entre 1967 et 1973, et 19 entre 1973 et 1977. Des sommes considérables
ont été consacrées à la construction de routes, à l'extension des
réseaux électriques et hydrauliques.
Le Likoud hérite d’une machine bien huilée
Lorsque la droite, avec le Likoud, arrive au pouvoir en 1977,
il ne fait qu'hériter d'une machine parfaitement huilée par les
travaillistes, et qu'il va perfectionner. Il va accroître les confiscations
de terres et accentuer la colonisation. Le plan Sharon succède au
plan Allon.
Ariel Sharon, le responsable du comité interministériel chargé
des colonies de peuplement, a adopté un projet de « double
colonne vertébrale » mis au point par un certain professeur
Abraham Fokhman. Ce projet, adopté en 1978, sera appelé plan Sharon.
Il s'agit :
– d'établir, dans un délai de vingt ans, deux lignes de colonies
de peuplement s'étendant, l'une le long de la plaine littorale,
l'autre des hauteurs du Golan au Nord jusqu'à Charm el-Cheikh au
Sud ;
– de constituer six grands centres urbains au cœur même de
la Cisjordanie ;
– d'encercler la population palestinienne par des colonies
civiles et militaires en isolant les secteurs urbains palestiniens
tels que Naplouse, Ramallah, Bethléem, Jéricho et Hébron ;
– d'accroître la segmentation des centres à forte population
palestinienne en créant trois routes Est-Ouest reliant les colonies
juives entre elles et avec Israël.
Un mois après la signature des accords de camp David entre Israël
et l'Egypte, un plan directeur pour le développement de la colonisation
en Cisjordanie 1979-1983, dit projet Drobless, prévoit l'établissement
de près de 70 colonies de peuplement en cinq ans, l'augmentation
de la population des colonies à 120-150 000 habitants, l'abandon
des colonies existantes dans le Sinaï égyptien. Cette politique
de colonisation devait être réalisée méthodiquement et prévoyait :
– la création de vingt-deux blocs denses réunis entre eux et formant
de grands centres urbains ;
– la création d'une bande continue de colonies autour de la chaîne
de montagnes de Cisjordanie afin d'encercler les zones peuplées
par la « minorité » palestinienne ;
– la création de colonies juives au sein même des zones habitées
par les Palestiniens.
L'idée générale est que chaque implantation de colons juifs nécessite
une zone de sécurité beaucoup plus large et que plus il y a d'implantations,
moins il restera de surface pour les Palestiniens. L'exemple le
plus caractéristique de cette politique de provocation est Hébron,
où 450 fanatiques juifs au milieu d'une ville de 120 000 Palestiniens
occupent, avec la zone de sécurité, pratiquement 20 % de la
surface de la ville. On peut citer aussi les colonies d'Ariel et
de Maaleh Adumim qui sont implantées au cœur de zones arabes.
D'une façon générale, les colonies sont considérées comme une
partie intégrante du système de défense israélien : pendant
les périodes calmes, elles assurent une présence et un contrôle,
pendant les périodes de crise elles servent de point d'appui à la
répression contre les Palestiniens.
Pour compléter ce dispositif, le gouvernement israélien envisageait
au début des années quatre-vingts de porter à 165 le nombre des
colonies en Cisjordanie – Jérusalem et la vallée du Jourdain non
comprises – afin d'accueillir 1,3 million d'habitants. L'éparpillement
des colonies devait à terme permettre de réclamer une continuité
territoriale entre les zones de peuplement juif et d'accentuer la
« bantoustinisation », c'est-à-dire la séparation des
zones de population palestinienne entre elles.
Les terres qu'il n'était pas possible de s'approprier dans l'immédiat
étaient déclarées parcs naturels. Tandis que les travaillistes avaient
établi 86 colonies en dix ans, sous le gouvernement du Likoud, entre
1977 et 1984, 115 colonies ont ainsi été constituées :
42 à Naplouse, 23 à Hébron, 15 dans la vallée du Jourdain, 19 à
Jérusalem, 16 à Ramallah. La politique du fait accompli vise à créer
une situation telle qu'il devient impossible d'envisager la séparation
des colonies des territoires occupés.
Le gouvernement Shamir tentera d'accélérer le processus d'occupation
jusqu'à son départ en 1992. En 1985 Israël avait confisqué 51 %
de la superficie totale de la Cisjordanie ; en 1991, 66 %,
soit une augmentation de 30 % de la superficie initialement
occupée en 1985.
Cependant, Shamir ne suivit pas la même voie que ses prédécesseurs :
il entreprit d'accroître la densité de la population occupant des
colonies déjà existantes, afin de loger l'afflux des immigrés venant
des pays de l'Est. Le nombre de nouvelles colonies constituées fut
relativement faible. Huit des onze colonies implantées sous Shamir
l'ont été pendant la première année des négociations de paix. A
la fin de l'année 1992, le nombre des colons dans les territoires
occupés était estimé à 200 000.
Il y a une logique perverse dans la politique d'implantation de
colonies organisée par les gouvernements israéliens successifs.
En effet, on installe des colonies de peuplement, c'est-à-dire des
femmes et des enfants, en bordure ou à l'intérieur de zones à fort
peuplement palestinien, pour défendre la sécurité d'Israël, ce qui
implique l'implantation de nouvelles colonies, etc. Ilan Halevy
cite les propos d'un Israélien sur cette situation absurde :
« Chaque fois que nous conquérons et occupons un nouveau
territoire, nous ne le faisons pas à cause de notre appétit pour
les terres, mais parce que l'ennemi menace nos maisons, nos femmes
et nos enfants. Nous devons donc repousser cet ennemi en repoussant
sans cesse les limites des frontières qui protègent nos maisons.
Puis, après que nous soyons devenus, contre notre gré, propriétaires
de nouveaux territoires, nous ne pouvons supporter la vue d'une
terre non habitée par des Juifs. Nous amenons nos femmes et nos
enfants sur la nouvelle ligne de front et là, ils sont menacés
par les tirs ennemis ; lorsque ces ennemis nous frappent,
à nouveau nous n'avons pas le choix, nous sommes obligés d'élargir
notre territoire. Et ainsi, avec l'aide de Dieu, nous arriverons
à nous établir non seulement sur le mont Arasa, au nord de la
Turquie, à l'emplacement où s'est échouée l'Arche de Noé, mais
également au Yémen, patrie bien-aimée de notre roi Salomon, le
sage bien connu ([23]). »
Le terme de « colonisation » recouvre des réalités multiples.
1. Les colons animés par des raisons essentiellement idéologiques.
Le mouvement Goush Emmounin, constitué de religieux d'extrême droite,
réclame l'annexion de la totalité des territoires occupés. Ils sont
largement représentés dans les conseils régionaux de colons. Leur
influence politique s'exerce par l'intermédiaire d'un groupe de
pression constitué en 1985 dans le parlement israélien.
2. Les « banlieusards ». Ils ont commencé à investir
les territoires occupés à partir de 1980 pour des raisons économiques.
70 % de la population juive des territoire occupés y est pour
des raisons économiques. L'afflux d'immigrants soviétiques a créé
une grave crise du logement et une augmentation sans précédent du
prix des loyers. Le coût extrêmement élevé de l'immobilier en Israël
ont poussé à la colonisation résidentielle des territoires palestiniens.
Les prix du terrain étaient bas, les loyers aussi. Des avantages
fiscaux étaient attribués aux entreprises et aux citoyens juifs
d'Israël pour qu'ils construisent et achètent dans les territoires
occupés. Les acquéreurs pouvaient obtenir des prêts publics avantageux,
les étudiants pouvaient jouir de meilleures bourses, les entreprises,
les enseignants, les travailleurs sociaux pouvaient déduire de leurs
impôts une part de leurs bénéfices ou de leurs revenus. Ces dispositions
avaient favorisé dans les années quatre-vingts l'expansion de la
colonisation. Un sondage paru dans Yediot Aharonot le 3 février
1993 révèle que 33 % de ces colons seraient d'accord pour partir
s'ils étaient correctement indemnisés. En 1995 une centaine de colons
de Cisjordanie contactèrent le Meretz, un parti de gauche qui n'a
habituellement pas les faveurs des colons, pour leur demander de
négocier leur installation dans les frontières d'avant 1967, avec
une compensation monétaire. Cette initiative fut reçue avec la plus
extrême violence par les organisations de colons : mise en
quarantaine, menaces, mise en circulation de listes de noms...
A leur arrivée au pouvoir en juillet 1992, les travaillistes avaient
supprimé les mesures incitatives. La droite les a rétablies en attribuant
aux 127 colonies de Cisjordanie – 135 000 habitants, auxquels
il faut ajouter les 160 000 de Jérusalem-Est – le statut de
« zone prioritaire de développement ».
La démarcation entre colons « idéologiques » et « banlieusards »
s'estompe dans la mesure où ces derniers s'organisent pour défendre
leurs intérêts et empêcher le démantèlement des colonies. En février
1989 des centaines de colons de la cité-dortoir d'Ariel, dans le
district de Tulkarem, investissent la ville palestinienne de Bidya
et y sèment la terreur, détruisant habitations et véhicules avant
d'être dispersés plusieurs heures après le début de leur raid. Un
député de la Knesset et membre du Mouvement des droits civiques,
Dedi Zucker avait, dès 1983, publié un rapport dans lequel il établissait
que les violences des colons étaient « des actes délibérés
dans l'intention d'étendre des régions déjà contrôlées par des Juifs ».
Le député ajoute que les colons « se considèrent comme le bras
armé de l'Etat avec pour objectif d'établir l'ordre, de punir et
d'imposer des sanctions ».
Le caractère presque pharaonique de ce projet et son tracé suffisent
à écarter la thèse de la sécurité. En créant des enclaves contrôlées
par les Israéliens, il empêche nombre de paysans de cultiver leurs
terres, d’accéder à l’eau. En application du vieux droit ottoman,
auquel il se réfère encore, l’Etat d’Israël récupérera les terres
laissées à l’abandon. L’enclave de Tulkarem comprend 74 000
personnes. Hébron, ville palestinienne de 120 000 personnes,
se trouvera également enclavée.
Le projet de Sharon ne se limite pas à créer un mur sur la partie
occidentale de la Cisjordanie, il enveloppera complètement deux
« bantoustans », séparés l’un de l’autre, sans continuité
territoriale. Il aboutit à détruire tout le tissu économique et
social de la Palestine.
L’examen de la carte montre qu’Israël annexe également une bande
de terre orientée Nord-Sud, de 15 à 35 kilomètres de large qui interdira
l’accès des Palestiniens au fleuve Jourdain. En fin de compte Israël
annexe ainsi plus de la moitié de la Cisjordanie, réalisant le plan
que le gouvernement Begin avait tenté de mettre en œuvre en 1978,
sous la direction de… Sharon.
Si ce plan est un jour réalisé, la population palestinienne vivra
derrière des murs, des barbelés, cantonnée dans des zones d’où elle
ne pourra sortir que grâce à des laisser-passer, totalement dépendante
de la bonne volonté des Israéliens Il s’agit d’un véritable système
d’apartheid.
Conclusion
Les Palestiniens auront-ils un jour un Etat ?
Il n’entre pas dans notre propos de répondre à cette question.
En revanche nous pouvons faire une comparaison avec d’autres exemples
de luttes de libération nationale qui ont réussi, c’est-à-dire à
l’issue desquelles un Etat national s’est constitué et une élite
politique nationale a pris le relais du colonisateur. Les exemples
du Vietnam et de l’Algérie montrent, malgré d’évidentes différences,
qu’un parti politique hégémonique, très fortement structuré a mené
la lutte, éliminant les oppositions et imposant une discipline de
fer dans le combat. Dans le cas de la Palestine, rien de tout cela.
L’OLP n’est pas un parti, c’est un conglomérat d’organisations ayant
des programmes et des stratégies différentes, voire divergentes,
au sein duquel le Fatah n’est qu’un parti parmi d’autres. Yasser
Arafat devait en permanence se livrer à des jongleries pour éviter
que ce front disparate n’éclate et, lorsqu’une l’une au l’autre
composante n’était pas d’accord avec la ligne du Fatah, elle prenait
une initiative – en général un attentat – qui remettait tout en
cause. Arafat se trouvait alors en situation de ne pas dénoncer
cet attentat pour ne pas briser le semblant d’unité de l’OLP. En
outre, l’une et l’autre fraction de l’OLP était manipulée par les
différents Etats arabes qui, comme tous les Etats, sont régis par
la raison... d’Etat. Aucun n’a vraiment intérêt à l’instauration
d’un Etat palestinien. Tous utilisent la cause palestinienne en
soutenant ou manipulant les fractions palestiniennes en fonction
de leurs intérêts dans les rapports de force locaux.
On ne mène pas, et surtout on ne réussit pas une lutte de libération
nationale dans ces conditions.
Il est possible qu’un jour les Palestiniens aient un « machin »
qu’on nommera Etat, mais qui n’en sera pas un. Une structure bâtarde
sous la dépendance du voisin israélien, intégrée aux intérêts économiques
israéliens. Les classes dominantes des deux pays sauront trouver
un « affichage » permettant de sauver les apparences pour
leur plus grand profit, sur le dos des masses populaires palestiniennes.
([1]) C’est le terme employé
par Michel Warschawski ; cf. « Etat, nation et nationalisme.
– Actualité du sionisme », L'Homme et la Société n°
114, 1994, p. 28.
([2]) Si on compare une carte
montrant les zones de répartition de la population palestinienne
et une carte du relief, on constate que les Palestiniens sont concentrés
essentiellement sur les reliefs.
([3]) Michel Warschawski,
op. cit.
([4]) Yigal Amir, le fondamentaliste
qui a assassiné Rabin, a été autorisé à voter en prison...
([5]) La communauté juive
de France a été très choquée par le fait que le Premier ministre
israélien Netanyahou, lors de sa visite en France, n'ait pas cru
utile de rendre visite au CRIF, qui représente l'ensemble des organisations
juives en France, alors qu'il participa à un dîner-meeting avec
la branche française du Likoud, qui constitue la frange la plus
extrémiste du judaïsme français.
([6]) Cité par Israël Shahak,
Journal d'études palestiniennes, printemps 1981.
([7]) Cité par Ralph Shoenman,
L'histoire cachée du sionisme, Sélio, 1988.
([8]) Directeur du département
de colonisation du Fonds National Juif, organisme chargé d'acheter
les terres de gros propriétaires fonciers pour les remettre aux
colons juifs, un des responsables de la colonisation sioniste.
([9]) C’est-à-dire sans l’actuelle
Jordanie.
[10] Le sud du Liban.
[11] Appartenant à la Syrie.
[12] Benziman Ouzi - On ne s'arrête pas à un feu
rouge, 1986 (en Hébreu) – Cité par Moïse Saltiel.
([13]) David Ben Gourion,
Years of Challenge, Londres 1964.
([14]) Eliahu Eliachar,
Vivre avec les Palestiniens, Jérusalem, 1975.
([15]) Yoram Nimrod,
Rencontre au carrefour – Juifs et Arabes en Palestine
pendant les dernières générations (en hébreu), université de
Haïfa, 1984, p. 91.
([16]) Amnon Kapeliouk,
« 1947-1949 : l'exode provoqué des Palestiniens »,
Le Monde diplomatique, décembre 1986.
([17]) Selon Tom Segev,
Haaretz, Tel-Aviv, cité par Courrier international, 10-16
novembre 1994.
([18]) Archives de l'Etat,
ministère des Affaires étrangères, dossiers « Réfugiés »,
n° 2444/19.
[19] L’emploi du mot « Arabe »
au lieu de « Palestinien » fait partie intégrante du discours
sioniste, repris inconsciemment – mais pas toujours – par la presse
occidentale. Utiliser le mot « Palestinien » est déjà
une forme de reconnaissance d’un peuple dont on veut nier l’existence.
([20]) En 1992, lorsque 415
sympathisants du Hamas furent expulsés, Rabin déclara : « Si
un pays pouvait les accueillir pendant un temps jusqu'à ce que l'exil
expire, je pense que cela aiderait à résoudre le problème. » International
Herald Tribune (31-12-1992).
([21]) Israël et les territoires
occupés, la confrontation silencieuse, L'Harmattan, Paris.
[22] En Israël même, on distingue
très facilement les villages habités par des Palestiniens de ceux
habités par des Israéliens juifs : les premiers ne bénéficient
d’aucune infrastructure urbaine (égouts, etc.).
([23]) Cité par Ilan
Halévi, La colonisation israélienne dans les territoires arabes
occupés, Les Arabes dans les territoires occupés par Israël, Colloque
de Bruxelles, Vie ouvrière, Bruxelles 1981, p. 98.