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Source : Le Monde
libertaire et échange mail
Le Monde libertaire #1448 du 28 septembre au 4 octobre 2006
Autre source pour la première partie
http://auvergne-indymedia.org/article.php3?id_article=2198
« Celui qui croit au Fils aura la vie éternelle,
celui qui ne croit pas au Fils ne verra point la vie éternelle,
mais la colère de Dieu demeure sur lui. » (Jean, III, 36.)
Lors d’une visite en Allemagne, son pays
natal, le pape Benoît XVI fit un discours à l’université de Regensburg
(Ratisbonne), où il avait enseigné entre 1969 et 1977, dans lequel
il soulevait le problème de la violence et de la religion. Au lieu
d’évoquer les innombrables actes de violence la plus inouïe auxquels
la chrétienté s’était adonné pendant des siècles, il a cru bon de
laisser entendre que l’islam justifiait la violence.
Pendant son speech de 45 minutes, lors duquel
il évoqua les différences entre christianisme et islam, le pape
se référa aux travaux d’un chercheur allemand d’origine libanaise,
Theodore Khoury [1], lequel cite un empereur médiéval du 14e siècle,
Manuel II Paléologue de Byzance, qui était engagé dans une
controverse avec un musulman. L’empereur déclare ainsi :
« Montre-moi donc ce que Mahomet a apporté
de nouveau. Tu ne trouveras que des choses mauvaises et inhumaines,
comme le droit de défendre par l'épée la foi qu'il prêchait. »
Propos particulièrement mal venu de la part de
cet empereur, citation particulièrement mal venue de la part de
Benoît XVI, qui semble oublier l’Evangile de Matthieu, qui fait
dire à Jésus : « Je ne suis pas venu apporter la paix
sur la terre ; je n’apporte pas la paix, mais l’épée. »
(Matthieu, X, 34.)
Souvenons-nous aussi des massacres commis par
les chrétiens lors des croisades. Cependant, il est difficile de
croire que le choix des références du pape soit fortuit : le
journal turc Milliyet a parfaitement raison de dire que « le
pape s'est servi de l'empereur byzantin comme d'un “bouclier”, pour
cacher en fait une pensée hostile à l'islam. » Par ailleurs,
en Allemagne le secrétaire général du Conseil central des musulmans,
Aiman Mazyek, fait observer que « l'Eglise catholique est mal
placée, en raison de son histoire, pour critiquer les dérives extrémistes
de l'islam » (« Critiques et colère des musulmans contre
Benoît XVI », Henri Tincq, Le Monde, 16 septembre 2006).
Christianisme et non-violence
Il est vrai que notre bon Saint Père le pape
est un peu amnésique. Il oublie que le bon Dieu qui nous est présenté
dans la Bible est un dieu particulièrement sanguinaire qui commande
à Moïse d’exterminer les Midianites, descendants de Midian, fils
d’Abraham (Gen 25,2) et qui étaient apparentés aux Israélites. Dieu
commande donc à Moïse de tuer tous les hommes et les femmes, à l’exception
des jeunes filles que les Israélites garderont pour leur usage personnel
(Nombres, XXXI, 1-18). Pourtant, ces gens avaient accordé l’hospitalité
à Moïse pendant 40 ans (Ex. II, 15). Quelle ingratitude !
La Bible est remplie de ces passages où Dieu
demande aux Israélites d’exterminer telle ou telle population. Par
exemple dans Samuel (I, 15, verset 3), Dieu demande à Samuel d’exterminer
les Amalécites, « hommes et femmes, enfants et nourrissons »,
pour une offense datant de 400 ans...
Un passage de Samuel raconte l’extermination
de 50 000 personnes (Sam I, 6, 19).
Dans le Deutéronome (II, 13) ce n’est que la
population mâle qui doit être passée au fil de l’épée.
Dans Josué (6, 21), la population de Jéricho
est exterminée à la demande expresse du bon Dieu, encore une fois :
« Et ils passèrent au fil de l’épée tout ce qui se trouvait
dans la ville, à la fois hommes et femmes, jeunes et vieux, et les
bœufs, et les moutons, et les ânes. » Dans Josué encore (8,
24-25), les Israélites tuent la population mâle de la ville de Ai
(verset 21). Mais au verset 24, ce sont les hommes et les femmes
(12 000 au total) qui sont exterminés. Mais cette-fois-ci,
ils ne tuèrent pas les bêtes, ils les emmenèrent.
Mais, dira-t-on, toutes ces citations viennent
de la Bible, elles concernent les juifs, pas les chrétiens. La Bible
est quand même un ouvrage de référence pour les chrétiens, qui ne
sont pas innocents d’innombrables actes de violence. C’est oublier
que l’Evangile lui-même n’est pas particulièrement tolérant envers
ceux qui n’en partagent pas les vues. Religion de paix et de l’amour,
le christianisme ? On oublie que Jésus a dit : « Si
un homme vient à moi et ne hait point son père, sa mère, sa femme,
ses enfants, ses frères et sœurs, et même sa propre vie, il ne peut
être mon disciple » (Luc, XIV) [2]. C’est là un discours parfaitement intégriste.
La croisade contre l’hérésie Cathare, pour ne
mentionner qu’elle, donna lieu à des massacres impitoyables :
c’est de cette époque que date l’expression « Tuez-les tous,
Dieu reconnaîtra les siens », signifiant par là qu’on pouvait
tuer tous les habitants d’une ville assiégée, et que Dieu reconnaîtra
les bons chrétiens des hérétiques.
Par malheur, ce qui est peut-être le tout premier
document de la littérature française montre comment les chrétiens
traitaient les fidèles d’autres religions du temps de Charlemagne :
« L’empereur a pris
Saragosse : à mille Français on fait fouiller la ville, les
synagogues, les mosquées ; avec, en mains, des maillets de
fer et des cognées, ils brisent les statues et toutes les idoles,
il n’y restera ni sortilèges ni fausse croyance. Le roi croit en
Dieu, il veut faire son service et ses évêques bénissent les eaux :
ils mènent les païens jusqu’au baptistère. S’il y en a un qui veut
résister à Charles, il le fait pendre, ou brûler ou tuer. Beaucoup
plus de cent mille sont baptisés en vrais chrétiens, hormis seulement
la reine. En douce France elle sera menée captive : le roi
veut qu’elle se convertisse par amour. »
Ce Charlemagne était un sentimental…
L’histoire du christianisme
est littéralement emplie de la violence la plus inouïe à l’encontre
non seulement des non-chrétiens, mais aussi des chrétiens qui n’étaient
pas dans la ligne. On estime les victimes de l’Inquisition à plusieurs
millions. Innocent VIII, un collègue de Benoît XVI, édicta en 1484
la bulle Summis desirantes affectibus qui amplifiait la chasse
aux sorcières en donnant une base « légale » à l’Inquisition
en lui permettant de déclarer les sorcières « créatures du
démon », assimilables aux hérétiques, aux juifs, aux mahométans
et autres. Nous sommes en pleine renaissance italienne, c’est l’époque
de Dante, de Pétrarque, de Giotto, de Boccace…
Un point « plutôt
marginal »
La controverse de l’empereur Manuel II Paléologue
porte, comme le dit justement le pape dans son discours, sur « le
concept de la foi décrit dans la Bible et le Coran et porte en particulier
sur les images de Dieu et de l'homme, tout en revenant nécessairement
sans cesse sur le rapport entre ce qu'on appelle les “trois lois” :
l'Ancien Testament, le Nouveau Testament et le Coran ».
Il y avait matière à débattre. Curieusement,
le point que Benoît XVI soulève est, dit-il, « un point – plutôt
marginal dans le dialogue – qui m'a captivé, en rapport avec le
thème de la foi et de la raison, et qui me sert de point de départ
pour mes réflexions sur ce thème ». Ce point « plutôt
marginal » est le thème du Jihad. Comme par hasard [3].
Donc dans une réunion publique à laquelle sont
conviés les journalistes du monde entier, le pape évoque un texte
datant de 1391 que personne ne devait connaître, et de ce texte
il tire des réflexions sur un« point plutôt marginal »,
le Jihad. Tout cela dans le contexte international que l’on sait.
Disons quelques mots sur cette fameuse « controverse ».
Nous sommes dans la période pendant laquelle les Turcs, musulmans,
sont en train de conquérir l’empire byzantin, avec ses hauts et
ses bas, et qui culminera avec la prise définitive de Constantinople
en 1492. Au moment de l’affaire, l’empereur du moment s’est avoué
vassal du sultan. Son fils Manuel est avec le corps expéditionnaire
byzantin et loge chez un musulman lettré qui s’enquiert de la foi
chrétienne. Commence alors des discussions que Manuel, devenu empereur,
consigna plus tard par écrit. Manuel déclare en particulier que
le Jihad, selon lequel les hommes ont le choix entre la conversion,
la mort ou l’esclavage est contraire à la volonté de Dieu, qui n’aime
pas le sang et veut amener les hommes à la foi par la persuasion.
Le musulman répond que le christianisme, c’est
très bien, mais qu’il pêche par excès, que sa loi est trop dure,
trop élevée et impraticable par les hommes : aimer ses ennemis,
rechercher la pauvreté, supporter la virginité, tout cela est contraire
à la raison et à la nature corporelle des êtres humains. Dieu ne
peut pas avoir créé l’homme et la femme, leur avoir prescrit de
se multiplier, et promulguer par ailleurs une loi qui va tout à
fait à l’opposé. En réponse, l’interlocuteur de Manuel II développe
l’idée que la loi de Mahomet est une voie moyenne entre les déficiences
de la loi de Moïse et les excès de celle du Christ.
Il est significatif que notre bon Saint Père
n’ait pas fait référence à cette partie-là de la controverse…
Manuel II pensait facilement convertir le
lettré musulman mais il s’est en fait engagé dans une voie sans
issue, un dialogue de sourds. La controverse ne fait que montrer
l’absolue impossibilité d’un dialogue entre christianisme et islam.
Les réactions au discours
du pape
Benoît XVI a fait plusieurs mises au point concernant
son intervention de Ratisbonne, sans jamais présenter les excuses
que les musulmans lui demandaient. Il affirma que son intention
avait été d’expliquer que la religion et la violence ne vont pas
ensemble, alors que c’est le cas de la religion et de la raison.
Dans l’entourage du locataire du siège pontifical,
on cherche à justifier son intervention : « Les violentes
réactions dans de nombreuses parties du monde musulman justifièrent
l’une des préoccupations du pape Benoît », déclara le cardinal
australien George Pell. « Elles montrent le lien, chez de nombreux
musulmans, entre la religion et la violence, leur refus de répondre
à la critique avec des arguments rationnels mais seulement par des
manifestations, des menaces et la violence. »
En gros, je te colle un pain dans la gueule,
et si tu répliques, ça prouve que tu es un adepte de la violence.
Les réactions au discours du pape dans le monde
musulman furent très violentes mais, curieusement, Mahmoud Ahmadinejad,
le président iranien, contribua à désamorcer la crise en disant
que les paroles du pape avaient été interprétées en dehors de leur
contexte. Le président iranien montre ainsi son intelligence politique
car il semble bien avoir compris, lui, que l’Eglise catholique s’est
opposée à la guerre menée par les Américains en Irak et qu’elle
s’est globalement opposée à la présence israélienne dans les territoires
occupés. Il est donc plus intelligent que ceux qui ont brûlé des
églises dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Les musulmans auraient
pu se rappeler que sur deux des questions les plus explosives de
notre époque, l’Eglise catholique est de leur côté.
On peut exprimer la chose autrement : l’Eglise
catholique avait un certain prestige dans le monde musulman précisément
pour ces deux raisons-là, qu’elle a perdu à cause de la bévue du
pape. Un article du Figaro exprime ainsi la situation :
« Le Pape laisse en tout cas à ses diplomates un champ de ruines
quant au dialogue avec l'Islam. » (« Les musulmans choqués
par les propos du Pape », Hervé Yannou, Le Figaro du
15 septembre 2006.)
On pourrait donc suggérer aux catholiques de
virer Benoît XVI et de mettre le président iranien à sa place.
L’Eglise
et les autres religions
La position officielle de l’Eglise catholique
sur les autres religions, et en particulier sur l’islam, est régie
par un certain nombre de dispositions.
Le concile Vatican II (1962-1965) reconnaît
tout ce qui est vrai et saint dans toutes les religions non chrétiennes,
en qui l’Eglise reconnaît des « lueurs de vérité ».
« Nostra Aetate », le document officiel
du Concile Vatican II sur les religions non chrétiennes, est
le guide des catholiques sur la question. Le paragraphe 3 dit en
particulier : « Ils [les Musulmans] attendent le
jour du jugement où Dieu donnera à chacun ce qui lui convient après
la résurrection. Par conséquent, ils valorisent la vie morale et
adorent Dieu spécialement par la prière, l'aumône et le jeûne. »
Cependant l’encyclique « Redemptoris Missio »
proclame que Jésus est le seul chemin : ce n’est qu’en lui
que les hommes pourront trouver le salut et la plénitude de la foi.
Cela pose donc déjà une difficulté au niveau du dialogue. Jean-Paul II
avait encouragé le dialogue, dans son exhortation « Ecclesia
in Africa », mais soulignait les difficultés que posait le
fondamentalisme islamique. Il est vrai que dès lors qu’on pose le
principe que seul Jésus est le chemin du salut, ceux qui ne reconnaissent
pas ce principe n’ont plus grand chose à dire.
Toutes les religions ont un peu tendance à accuser
les autres religions d’absence de tolérance. Il est vrai que le
mot « tolérance » signifie à l’origine accepter quelque
chose qu’on ne peut pas empêcher. Ainsi l’Eglise orthodoxe russe
a-t-elle frénétiquement protesté en son temps contre la venue en
Russie de feu JP II – un concurrent sérieux. On reprochait
à l’Eglise catholique d’envoyer des missionnaires sur les terres
considérées comme un monopole orthodoxe exclusif.
On nous dit qu’il y a un islam modéré. Le concept
est curieux. Que serait un catholicisme modéré ?
Il n’y a ni islam ni catholicisme modéré. Il
y a des gens qui pratiquent leur religion sans en faire un plat.
On peut dire les choses moins trivialement : il y a des masses
de gens qui pratiquent l’une ou l’autre religion parce qu’elles
sont un des éléments de leur identité culturelle et personnelle,
mais pas le seul, et ces gens ne font pas de leur religion
le pivot central qui détermine toutes leurs attitudes, tous
leurs actes.
Le problème est que lorsque les gens pratiquent
la religion de cette manière, les professionnels de la religion
ne sont pas contents.
C’est que la religion a tendance à être intrinsèquement
intégriste, et que lorsqu’elle ne l’est pas, c’est qu’elle n’a pas
les moyens de l’être. Alors les intégristes se fâchent. Et ils se
fâchent surtout contre leurs propres coreligionnaires. Rappelons
que les victimes musulmanes de l’intégrisme musulman sont incommensurablement
plus nombreuses que les victimes du World Trade Center et autres
cibles d’attentats. Les principales victimes de l’islam intégriste,
ce sont les musulmans eux-mêmes, on a un peu tendance à l’oublier.
La violence islamiste aujourd’hui se révèle en particulier dans
une guerre civile atroce que se mènent en Irak les extrémistes de
l’islam sunnite et ceux de l’islam chiite. Rappelons encore que
le principal adversaire de Ben Laden est l’islam chiite.
Ce n’est pas un hasard
La petite sortie du pape sur le Jihad n’est pas
fortuite.
Dans un message à l'assemblée annuelle de la
communauté interreligieuse de Sant'Egidio qui s'est déroulée à Assise,
les 4 et 5 septembre 2006, le pape s'est inquiété de l'inefficacité
de ce dialogue, de ses risques et de ses limites. Dans son message,
il met en garde contre toute fausse interprétation de l'esprit d'Assise :
« La rencontre interreligieuse de prières », dit-il, ne
doit pas prêter à des « interprétations syncrétiques, fondées
sur un relativisme qui nierait le sens même de la vérité et la possibilité
de l'atteindre », ce qui signifie que rien de ce qui constitue
la doctrine catholique ne doit être abandonné. Un recentrage est
au contraire nécessaire : « oui au dialogue entre les
confessions ; non à la confusion et à la dilution de l'identité
chrétienne. » (« Benoît XVI souligne les limites du dialogue
entre les confessions », Henri Tincq, Le Monde, 7 septembre
2006.) A la télévision, le 13 août, le pape s'est montré inquiet
du recul du christianisme, menacé par la « polyphonie »
des cultures et desreligions. Il s’est inquiété également du recul
de la foi qui est, selon lui, une menace pour l’Occident(Le Monde,
16 août 2006).
Précisément, lorsqu'il est devenu pape, le cardinal
Ratzinger a tenu à marquer sa différence avec son prédécesseur.
« Il a rappelé à l'ordre les franciscains d'Assise, promoteurs
de manifestations interconfessionnelles devenues des rendez-vous
pacifistes, écologiques et altermondialistes. Il a aussi écarté
de la Curie Mgr Michael Fitzgerald, président du conseil pontifical
pour le dialogue interreligieux. » (« Benoît XVI souligne
les limites du dialogue entre les confessions », Henri Tincq,
Le Monde, 7 septembre 2006.)
« L'Occident est fortement touché par d'autres
cultures, oùl'élément religieux est très marqué, et qui sont horrifiées
par lafroideur qu'elles constatent en Occident à l'égard de Dieu. »
Le pape nedésigne pas l'islam, ni les spiritualités orientales,
mais tout le monde comprend. La récente intervention du pape s’inscrit dans
ce qui semble être une offensive générale contre l’islam. Un religieux,
le père Joseph Fessio, qui aurait participé à une réunion confidentielle
à Castelgondolfo sur la question, affirme que le pape estime que
l’islam n’est pas compatible avec la démocratie parce que cela nécessiterait
une réinterprétation radicale de cette religion, ce qui est « impossible,
parce que c’est contre la nature même du Coran tel qu’il est compris
par les musulmans ».
En juillet dernier, interrogé par les reporters,
Benoît XVI refusa de déclarer que l’islam était une « religion
de paix ».
Un intervenant à la réunion, le père Christian
Troll, déclara que l’islam pourrait entrer dans la modernité si
le Coran était réinterprété et si on retournait aux principes originaux
de l’islam, « puis en l’adaptant à notre époque, particulièrement
avec la dignité que nous attribuons aux femmes, qui vient du christianisme,
bien sûr. »
Fessio ajoute que le pape aurait répondu à ce
propos qu’il y avait un problème, parce que « dans la
tradition islamique Dieu a donné sa parole à Mahomet, mais c’est
une parole éternelle. Ce n’est pas la parole de Mahomet. »
Par ce propos, le pape remet en cause l’un des principes essentiels
de l’islam, à savoir que Mahomet est le messager de Dieu et que
le Coran est la parole même de Dieu ; il remet également en
cause la moindre possibilité pour l’islam d’évoluer, alors qu’il
y aurait « une logique interne dans la Bible qui lui permet
et qui l’oblige de s’adapter et de s’appliquer à de nouvelles situations ».
Benoît XVI avait défini l'intégrisme comme une« pathologie »
de la religion. Mais il s’en prend également à l'héritage des Lumières,
qui conduit la science à rechercher « une explication du monde
dans laquelle Dieu devient superflu ». « L'islamisme,
le darwinisme, voilà les ennemis. » (« Le pape condamne
la “guerre sainte” islamique » Henri Tincq, Le Monde du
14 septembre 2006.) Il faut bien avoir à l’esprit que la croisade
du pape ne vise pas seulement l’islam.
L’islam est-il violent ?
Si l’islam, celui de monsieur et madame tout
le monde dans les pays musulmans, n’est pas « violent »,
c’est simplement parce que le musulman moyen n’a pas du tout envie
d’aller massacrer les non-musulmans, pas plus que le chrétien moyen
n’a envie de faire comme les soldats de Charlemagne. Le musulman
moyen n’a pas du tout envie d’obéir à ce que prescrit le Coran,
dans la sourate 9, dite du Repentir, versets 29-32, qui dit :
« Tuez ceux qui ne croient pas en Allah
ni au dernier jour, et qui n’interdisent pas ce qu’Allah et son
Apôtre ont interdit, et quiconque ne pratique pas la religion de
la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils aient
payé le tribut de leurs propres mains et qu’ils soient humiliés. »
Le problème est que de telles déclarations sont
en totale contradiction avec la sourate 5, dont le verset 73 dit :
« En vérité, ceux qui croient [les musulmans]
et ceux qui sont Juifs, et les Sabéens, et les Chrétiens, et quiconque
croit en Allah et au jour dernier, et qui fait le bien, il n’y aura
pas de crainte pour eux et ils ne seront point affligés. »
C’est là une des nombreuses contradictions du
Coran. Contradictions apparentes seulement, si on applique le principe
de l’« abrogation » adopté par les théologiens musulmans.
L’idée est que les sourates du Coran ont été révélées au Prophète
à des moments différents, et que si des dispositions contradictoires
sont énoncées, celles de la sourate la plus récente abroge les autres.
Or dans cette affaire, il apparaît que la sourate 9 (« tuez
ceux qui ne croient pas en Allah ») est la plus récente. Cela
répond, en principe, à la question de Benoît XVI qui se demande
si l’islam est violent [4].
Du point de vue strict de la lecture fondamentale
des textes, le pape a donc parfaitement raison de dire que l’islam
est « violent ». Mais c’est là qu’apparaît l’imbécillité
de la problématique posée par Benoît XVI. En bon intellectuel complètement
déphasé par rapport à la réalité, ce qui l’intéresse c’est ce qui
est dit dans les textes : en cela sa démarche est elle aussi
essentiellement intégriste, fondamentaliste. Alors que ce qui importe,
c’est la manière dont l’écrasante majorité des musulmans vivent
leur religion, c’est la réalité sociale de la religion.
A l’inverse, le pape semble totalement persuadé
que, puisque le petit Jésus a dit un jour : « Si on te
frappe sur la joue droite, tend la joue gauche », le christianisme
est une religion tout ce qu’il y a de plus pacifique ; mais
il évacue complètement des siècles de massacres, de bûchers et de
torture. Et il fait semblant d’être candide, alors qu’il ne l’est
pas du tout. Ainsi a-t-il viré Mgr Fitzgerald du conseil pontifical
interreligieux. Ce monsignor est la personnalité qui, dans
l’Eglise catholique, connaît le mieux la question de l’islam, mais
son approche modérée de la question ne convenait plus à la nouvelle
équipe dirigeante. La ligne qui prédomine maintenant est une ligne
dure, d’affrontement. Il s’agit certes d’entretenir de bonnes relations,
mais sans complaisance ni concession.
Qu’il s’agisse des rapports avec l’islam ou avec
les autres religions, c’en est fini de l’œcuménisme. La fin de l’œcuménisme
signifie que les autres religions se trouvent reléguées au statut
de courants philosophiques et culturels. Les autres religions sont
maintenant des concurrentes : en Afrique et en Asie, christianisme
et islam s’affrontent ; en Amérique latine l’affrontement se
situe entre catholicisme et évangélisme. Il faut maintenant une
attitude plus musclée de la part de l’Eglise. Contrairement à Jean
Paul II, le nouveau pape a choisi la confrontation intellectuelle
avec l'islam.
Conclusion
Il est parfaitement fallacieux d’imaginer aboutir
à quelque chose par le « dialogue » interrreligieux, dans
la mesure où chaque religion n’existe que par référence à des textes
réputés représenter la parole et la volonté divines et que celles-ci
ne sauraient être amputées. Le concept même de dialogue interreligieux
n’a pas de sens, à moins qu’on imagine que les représentants de
chaque religion pensent pouvoir convertir ceux des autres. C’est
évidemment stupide.
Dans un sens, Benoît XVI l’a parfaitement compris.
Son problème n’est pas d’ordre théologique mais
pratique et, pour ce qui concerne les relations entre l’Eglise catholique
et l’islam, il cherche à rééquilibrer une situation qui se trouve
être en défaveur de l’Eglise.
Il est possible que son offensive ne se situera
pas dupoint de vue « théologique », elle se portera sur
des questions pratiques : les pays musulmans restreignent la
liberté des autres cultes, interdisent les conversions de musulmans
au christianisme, persécutent les chrétiens, comme au Soudan, imposent
la loi islamique aux non-musulmans, interdisent aux coptes d’Egypte
de construire des églises, n’accordent pas aux missionnaires chrétiens
les mêmes droits que ceux dont disposent les religieux musulmans
dans les pays occidentaux, restreignent ou interdisent l’édition
ou l’importation de la Bible. C’est, littéralement, une entrave
à la libre concurrence.
Il est douteux que l’intervention du pape fût
une « gaffe ». Ces gens-là ne font pas de gaffes. Cette
intervention se situe tout à fait dans la ligne actuelle du Vatican
et constitue sans doute plutôt un ballon d’essai.
Fait significatif : lorsqu’on lit la presse
anglo-saxonne, on constate que de nombreux protestants, et en particulier
des évangélistes, approuvent chaleureusement les propos du pape.
René Berthier
alias Raoul Boullard
Le Monde libertaire #1448 du 28 septembre au 4 octobre 2006
[1] Cf. Manuel II Paléologue,
Entretiens avec un musulman, 7e controverse.
Introduction, texte critique, traduction et notes de Théodore Khoury,
Paris, « Sources chrétiennes » n° 115, Les Editions
du Cerf, 1966.
[2] Cela dit, Jésus dit exactement
le contraire, mais chez Jean : « Celui qui hait son frère
est un meurtrier, et le meurtrier ne peut être promis à la vie éternelle. »
Il aurait fallu que les rédacteurs des Evangiles se mettent d’accord
entre eux…
[3]
La notion de « jihad »
dans l’islam est une notion extrêmement complexe, qui va bien au-delà
de l’action armée. C’est un concept aussi bien religieux que juridique
qui fait l’objet de nombreuses interprétations contradictoires chez
les lettrés et qui ne saurait être réduit à l’interprétation réductrice
et simpliste à laquelle semble tenir le pape.
[4]
Si on en croit le verset
73 de la sourate 73 citée, ceux qui « croient en Allah »
pourraient inclure les Juifs, les Sabéens et les Chrétiens, ce qui
les exclurait des foudres exterminatrices de la sourate 9. Il n’empêche,
il reste quand même beaucoup de monde…
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