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Le discours libéral de la guerre
René Berthier

Texte publié en 1991 par les « Cahiers du groupe février »

Origine : échange mail


Avertissement

Avant la guerre du Golfe – celle de 1990-1991 menée par le père de l’actuel président américain – je m’occupais d’une émission culturelle sur Radio libertaire. Lorsque la guerre éclata, les copains de la radio me demandèrent d’occuper un temps d’antenne quotidien pour faire de l’information.

En fait, la Fédération anarchiste avait désigné un certain nombre de « commissaires politiques » – on me pardonnera l’expression, mais c’était à peu près ça – chargés d’être présents 24 heures sur 24 au studio. Nous avions la consigne d’assurer un maximum d’information sur ce qui se passait en Irak, mais aussi en France : heures et parcours des manifestations, etc. Nous pouvions donc interrompre à tout moment les émissions en cours.

Nous étions la seule radio qui faisait de l’information et de la propagande contre la guerre dans un contexte ambiant hystériquement belliciste. Nous étions devenus un centre de regroupement de ceux qui s’opposaient à la guerre, et en particulier des immigrés et de leurs associations qui subissaient une invraisemblable vague de contrôles au faciès.

On a un peu oublié cela, parce que lorsque le fils Bush chaussa les patins de son père et fit lui aussi sa guerre, Chirac refusa d’y participer.

En 1990-1991, tout ou presque ce que la France avait de médias et d’intellectuels prit fait et cause pour l’intervention. Radio libertaire se trouvait donc bien seule, et ce fut là son honneur.

Pendant cette guerre, les médias français se déshonorèrent.

Je n’avais aucune connaissance des problèmes du Proche-Orient mais j’acceptai. Pendant plusieurs semaines j’eus ainsi l’occasion d’interviewer des ressortissants de cette région : Irakiens, Kurdes d’Irak, de Turquie, Syriens, Palestiniens, Iraniens, etc. A leur contact j’appris beaucoup de choses, tout en gardant mon esprit critique. En effet, une des choses que j’appris fut que pour avoir des informations sur un conflit, interviewer les gens concernés est loin d’être la meilleure méthode. Écouter les gens parler d’un conflit vous donne en revanche une bonne indication de la manière dont ils vivent le conflit.

Très rapidement, mon émission prit le nom de : « La guerre qu’on voit danser le long des golfes clairs », pour des raisons évidentes. Plus tard, une fois la guerre finie, elle se transforma en « Chroniques du nouvel ordre mondial », émission hebdomadaire, qui dura plusieurs années. Ce fut une période extrêmement active et, malgré la tragédie qui se déroulait en Irak, exaltante. En effet, je participai ensuite à la création du Collectif pour la levée de l’embargo imposé à l’Irak : si les bombardements avaient fait d’innombrables morts, le blocus en fit encore plus dans la population civile, et en particulier chez les enfants.

C’est à cette époque que je rencontrai deux personnes extraordinaires : Nelly Trumel, peintre, et Philippe Garnier, psychanalyste, disparu trop tôt. Nous constituâmes tous les trois le groupe Février. Pourquoi « février » ? Nous étions réticents à l’idée de donner à notre groupe le nom d’un personnage, genre « Groupe Jules Machin ». Il s’appela donc « Février » tout simplement parce qu’il se constitua un mois de février.

Le « Discours libéral de la guerre » fut publié par les Cahiers du groupe Février.

Ce texte est révélateur de l’état d’esprit dans lequel j’étais alors, rien de plus.


« Alors que tout esprit critique sait pertinemment
que les comparaisons en histoire doivent être maniées
avec un passage obligé.
Chemin faisant, l'insulte remplace le débat d'idées.
Ceux qui refusent la logique de guerre sont
quasi automatiquement affublés du qualificatif
outrancier de "munichois" sans
qu'ils disposent d'une réelle possibilité de réponse. »

(« Appel de journalistes » L'Envers de médias n°1)

« Et ainsi, cet abandon de la recherche
de la vérité qui, de tous temps,
a été regardé comme la marque d'un esprit vulgaire
et étroit, est aujourd'hui considéré
comme le triomphe de l'esprit. »

(Hegel, discours du 22 octobre 1816 à l'université de Berlin. »


Nombreux ont été ceux qui, pendant la guerre du Golfe, ont été choqués par l'attitude des médias, en particulier les médias audiovisuels, mais aussi par le comportement des intellectuels qui ont abdiqué leur faculté de raisonnement et d'analyse pour devenir de vulgaires propagandistes. Si, dans un sens, cela a un côté rassurant – ce n'est pas parce qu'on est un intellectuel qu'on ne dit pas de conneries – cette situation reste inquiétante parce qu'elle est révélatrice de l'état de dégradation, d'avilissement de la pensée critique dans l'ensemble de la société.

Ce qui est préoccupant, ce n'est pas tant que des intellectuels aient pris position en faveur de l'intervention occidentale dans le Golfe, ou en faveur de cette forme d'intervention-là des puissances occidentales, que la déficience de l'argumentation qu'ils avançaient aussi bien pour défendre leur point de vue que pour critiquer celui des opposants à l'intervention militaire.

La curiosité intellectuelle a tragiquement fait défaut : la recherche des causes profondes de la crise, des motivations des différents acteurs, l'examen des conséquences possibles des choix qui ont été faits a rarement dépassé le niveau du sens commun, de l'opinion toute faite. Les opposants à l'intervention militaire ont systématiquement été assimilés à 
des 
partisans du dictateur de Bagdad. Le simplisme confondant des arguments, en particulier à travers le rappel obsessionnel à « Munich », a permis de faire l'économie de la recherche des origines du conflit dans l'extrême complexité de ses déterminations.

C'est pourquoi il ne me paraît pas exagéré de parler de trahison des intellectuels, à quelques exceptions près, non pas parce qu'ils auraient dû nécessairement être opposés à l'intervention militaire, mais parce qu'ils sont devenus les prédicateurs d'une cause qu'ils ont défendue sans intelligence, sans arguments, et en étalant avec une ostentation scandaleuse la plus crasse ignorance de ce dont ils parlaient.

L'exemple typique de ces intellectuels est Yves Lacoste, dont l'argumentation est examinée ici. Mais pourquoi Lacoste ? Le choix est largement déterminé par l'estime que lui a gagné son travail dans le domaine de la géopolitique, et par la déception provoquée par sa démission en tant que chercheur dans la question de la guerre du Golfe.

Mais il va de soi que, au-delà de Lacoste, ce sont aussi tous ceux qui pourraient se reconnaître dans l'argumentation de Lacoste qui sont visés ici.

_________________

La revue Hérodote a publié un numéro consacré à la guerre du Golfe intitulé L'Occident et la guerre des Arabes, titre qui suggère que les Arabes se sont fait la guerre entre eux et que les Occidentaux ne sont intervenus qu'incidemment.

Lacoste s'appuie sur des faits ; il rappelle :

– que la guerre a commencé par l'invasion d'un Etat arabe par un autre Etat arabe ;

– que huit Ébats arabes sur dix-sept ont participé « activement » à la coalition ;

– que les troupes de Saddam Hussein aujourd'hui écrasent entre autres les arabes chiites d'Irak ;

– qu'à Koweit-City des Arabes pourchassent les Palestiniens.

Ces faits sont incontestables. Mais un problème de méthode se pose : quelles conclusions peut-on tirer de la simple constatation de faits bruts, comme ceux auxquels Lacoste se réfère ? Devrait-on conclure, par exemple, de ce qu'en mars 1871 des troupes essentiellement composées de Bretons ont écrasé le petit peuple de Paris, qu'il s'agissait d'une guerre civile entre Bretons et Parisiens ? Cette méthode « minimale » et, il faut le dire, simpliste, ne conduit-elle pas à négliger le sens et le contenu réels du fait historique examiné ?

L'approche proposée par Lacoste de la guerre relève de la même méthode que celle de nos chaînes de télévision pendant les opérations militaires :

– l'amalgame : l'assimilation de deux séries de faits qui ne sont pas comparables, ou qui n'ont aucune commune mesure entre eux.

– l'omission : l'exposé de faits qui confirment la thèse qu'on veut accréditer, et l'omission de faits qui contredisent ou qui nuancent cette thèse ;

– la déformation : l'exposé de faits exacts présentés sous un jour faux ;

En d'autres termes le discours de Lacoste est plus intelligent et plus habile que celui de Guillaume Durand, mais tout aussi manipulatoire.

Voyons cela de plus près.

I.– L'amalgame

La mystification la plus importante de cette guerre, et que Lacoste contribue à entretenir, concerne l'amalgame qui a été fait tout au long du conflit entre la puissance militaire, la force de frappe et l'organisation de l'armée de Saddam Hussein et celles d'une armée d'une grande puissance industrielle (le million de soldats, la quatrième armée du monde, le matériel sophistiqué, etc.).

Or, la simple constatation de faits antérieurs à l'occupation du Koweït aurait pu suffire à remettre les pendules à l'heure : les lamentables performances de l'armée irakienne pendant la guerre avec l'Iran (Saddam Hussein dut par exemple aligner 200 000 hommes pour reprendre la péninsule de Fao tenue par 15 000 Iraniens).

On comprendra que les journalistes n'aient rien vu, puisque la plupart d'entres eux ne sont payés que pour montrer ce qu'on leur dit de montrer. Il aurait suffi d'interroger des spécialistes du Moyen Orient (des vrais, pas des spécialistes autoproclamés), mais ceux-là, on les a tenus soigneusement à l'écart.

Les experts militaires, eux, devaient le savoir, mais ils n'ont rien dit. Ou alors ils étaient incompétents :

1.– L'armée irakienne était incapable de mener simultanément plusieurs opérations un tant soit peu complexes, nécessitant un minimum de coordination entre les différentes armes ;

2.– L'armée irakienne était handicapée par des problèmes graves en matière d'intendance, de transports, d'approvisionnements, ce qui lui interdisait toute opération un tant soit peu longue.

Ces deux constats disqualifiaient donc totalement l'armée irakienne, malgré sa taille (par ailleurs surévaluée), comme armée capable de se mesurer effectivement à un adversaire réellement efficace. Elle était capable de massacrer les Kurdes avec facilité ; contre l'Iran elle n'a pu vaincre que grâce au soutien des capitaux des puissances industrielles et des émirats, et aux fournitures d'armes ; contre l'armée d'un pays industriel développé, lequel par ailleurs lui coupait capitaux et fournitures de matériel, elle n'avait aucune chance, et les dirigeants politiques et militaires occidentaux le savaient, bien qu'ils aient constamment entretenu dans l'esprit des populations la possibilité d'une confrontation importante.

Aux réserves mentionnées ci-dessus, il faut ajouter qu'une armée équipée de matériel sophistiqué doit maîtriser parfaitement à la fois les technologies employées, et la logistique, c'est-à-dire l'ensemble des opérations liées à l'entretien, aux réparations, à la fourniture des pièces de rechange, ce qui n'était pas le cas de l'armée de Saddam Hussein, le blocus n'arrangeant par ailleurs pas les choses ... Précisons enfin que si le matériel dont disposait l'armée irakienne provenait des pays industrialisés, et pouvait donc impressionner, c'était un matériel obsolète par rapport à celui dont ses fournisseurs disposaient pour eux-mêmes.

Si donc on peut débattre des intentions impérialistes de Saddam Hussein, il faut le faire à la lumière des quelques précisions faites ci-dessus, et non à partir d'arguments qui relèvent plus de la propagande (ou de la bêtise) que de l'analyse. Il est évident que la surévaluation de l'armée irakienne avait pour but de justifier l'ampleur des opérations militaires et des bombardements.

Ainsi, dès le mois d'août 1990, Dick Cheney annonçait comme certaine la présence au Koweït de 540 000 Irakiens, avant-garde de la quatrième armée du monde. Jusqu'au déclenchement de l'offensive terrestre ce chiffre allait être tenu pour acquis par tous les commentateurs, avant qu'on ne se rende compte que les effectifs déployés ne dépassaient pas 250 000 hommes. Explication, une dépêche du 3 mars : « Le général Norman Schwarzkopf a remercié la presse pour avoir grossi les effectifs américains au début de leur déploiement et les effectifs irakiens au Koweït. 1 »

Amalgame, encore, lorsque Lacoste déclare que si les Américains n'ont apporté aucun appui à la révolte des chiites irakiens dans le sud du pays, c'était par crainte d'une révolution islamiste qui les mettrait sous la dépendance de l'Iran, « qui pourrait ainsi contrôler une grande partie de la production pétrolière du Moyen-Orient ». Peut-être les Américains le croyaient-ils, ou faisaient-ils semblant de le croire, mais alors, leurs services de renseignements sont vraiment déficients. Pouvaient-ils ignorer que le mouvement chiite irakien lié à l'Iran représente une extrême minorité – mais c'est de celle-là seulement que les médias ont parlé
, alors que l'écrasante majorité de la population chiite irakienne, qui représente, soit dit en passant, 60 pour cent de la population totale du pays, se sent tout à fait irakienne, que toutes les tentatives de l'Iran, pendant les huit ans de guerre avec l'Irak, de les rallier à la cause iranienne, ont échoué ? Le danger de l'intégrisme chiite d'Irak est monté de toutes pièces pour susciter la crainte dans l'opinion occidentale, et pour masquer le véritable danger que représente à la fois la révolte chiite et la révolte des kurdes : la possibilité de l'instauration d'un régime démocratique dans la région. Mais qui peut dire si l'attitude des puissances occidentales ne va pas susciter un mouvement intégriste là où il n'y en avait pratiquement pas ?

Amalgame, enfin, lorsque Lacoste parle des « réactions anti-occidentales et anti-françaises » dans le Maghreb, comme si l'ensemble des populations de ces pays soutenait Saddam Hussein, comme si ces populations n'étaient pas capables de faire une différence entre le soutien au peuple irakien et le soutien au dictateur qui dirige l'Irak, et comme s'il n'existait pas, dans le Maghreb, de mouvement autre qu'islamiste. Et surtout, Lacoste ne se de­mande-t-il pas si les causes des réactions anti-occidentales ne seraient pas dues à la perception qu'a tout Arabe que le droit international s'applique lorsque les intérêts occidentaux sont lésés, mais pas lorsque les intérêts des pays arabes le sont ?

Saddam Hussein a certes pu être perçu comme le défenseur des Arabes pauvres et le pourfendeur des émirs riches. C'est là une mystification dont a joué le boucher de Bagdad et qui risque de provoquer un difficile réveil pour ceux des Arabes qui se sont fait des illusions – mais ceux-là sont moins nombreux que les journalistes et présentateurs de télé ont bien voulu le laisser croire. Pour preuve le témoignage de ces Algériens, interviewés sur Radio Libertaire le dimanche 27 janvier, qui exprimaient leur indignation devant le comportement des médias qui rendaient systématiquement compte des manifestations islamistes mais qui oubliaient tout aussi systématiquement de couvrir les manifestations, non moins nombreuses, des démocrates arabes 2. C'est que les premières confortaient aux yeux de l'opinion publique l'image que le pouvoir voulait donner des Arabes, alors que les secondes auraient obligé les médias à plus de nuances. N'oublions pas que les Algériens pouvaient parfaitement recevoir les télévisions françaises, et qu'ils ont pu ainsi mesurer la veulerie qui s'y étalait sans honte. On imagine aussi le désespoir des démocrates algériens en voyant les médias français présenter tous les Arabes comme des intégristes potentiels et oublier systématiquement de parler des manifestations des mouvements démocratiques 3. Comment pouvaient réagir ces Algériens en voyant une chaîne de télévision française montrant une manifestation islamiste sensée se dérouler en Algérie, alors qu'elle avait été filmée au Liban ? Comment pouvaient-ils réagir devant l'insondable ignorance de Bernard Pivot dans l'émission qu'il a consacrée à l'Islam ; devant la morgue scandaleuse des « journalistes » de la télévision interrogeant le ministre algérien des Affaires étrangères, lequel, naïvement, tentait d'élever le débat sur la question des causes profondes de la crise ?

II.– L'omission

Lacoste ne se demande pas pourquoi les Etats-Unis étaient si pressés d'entrer en guerre, pourquoi ils étaient si acharnés à écarter toute solution négociée 4. Il n'est pas curieux. Il n'envisage pas l'hypothèse que Bush voulait cette guerre. Il manque d'imagination. Il n'a jamais entendu parler du Central Command, créé sous la présidence de Carter, dont le champ d'opération couvre une région qui va de l'Egypte au Pakistan et dont l'un des objectifs est de réaliser l'implantation US dans le Golfe 5 : « L'actuel déploiement de forces américaines a donné au Pentagone quelque chose que les Saoudiens lui avaient toujours refusé : le droit de conduire des exercices en Arabie Saoudite. 6 ». Le savoir de M. Lacoste est sélectif.

A aucun moment Lacoste n'envisage la possibilité – que certains journalistes américains n'ont pas écartée – que l'intervention américaine avait peut-être quelque chose à voir avec la récession que subissent les Etats-Unis : « La guerre du Golfe a chassé tous les autres problèmes intérieurs de la première page des quotidiens », écrit Richard Barnet dans le Monde diplomatique 7 : mais Lacoste ne s'intéresse pas aux problèmes économiques : il ne sait pas que la situation économique des Etats-Unis est catastrophique, il n'a jamais entendu parler du colossal déficit budgétaire, de la dette.

Il n'a pas eu connaissance du rapport du service de recherche du Congrès des Etats-Unis, qui se faisait l'écho des inquiétudes des gros fournisseurs d'armes : l'effondrement du bloc soviétique et la fin de l'antagonisme Est-Ouest allait provoquer une baisse des commandes du Pentagone qui ne seront pas compensées par les ventes d'armes « même vers les pays riches producteurs de pétrole » (International Herald Tribune, 22 juin 1990).

M. Lacoste n'a pas non plus eu connaissance du compte rendu des discussions, qui eurent lieu le 25 juillet 8 entre Saddam Hussein et l'ambassadrice des Etats-Unis en Irak, lors desquelles cette dernière donne littéralement le feu vert au dictateur pour envahir le Koweït : « Nous n'avons pas, déclara-t-elle, d'opinion sur les conflits entre pays arabes, comme votre litige avec le Koweït ( ... ) James Baker a demandé à notre porte-parole d'insister sur ce point. » Selon le Washington Post, le porte-parole de M. Baker et son adjoint pour le Proche-Orient « déclaraient publiquement que l'Amérique n'avait pas d'obligation d'aider le Koweït si l'émirat était attaqué ». Une telle attitude « ne pouvait qu'encourager le dictateur à envahir et annexer le Koweït sans s'exposer à des représailles américaines. » L'International Herald Tribune du 20 septembre reprend un article du New York Times : Saddam Hussein, y est-il écrit, « pensa qu'il avait le feu vert » des Etats-Unis. Lorsqu'elle sera interrogée sur la question, l'ambassadrice répliquera : « Evidement, je n'ai pas pensé – et personne n'a pensé – que les Irakiens allaient s'emparer de tout le Koweït. » Lacoste ne lit pas l'anglais.

Bob Woodward, journaliste au Washington Post, indique dans un livre récemment paru 9 que deux jours avant l'invasion du Koweït, un expert de la Defense Intelligency écrivit une note de service dans la­quelle il informait que Saddam Hussein comptait envahir l'émirat. La note n'attira aucune attention. Le 1er août, l'expert rédigea un « avertissement de dernière minute », précisant que l'attaque devait avoir lieu dans la nuit ou le matin suivant. Il n'y eut aucune réaction du gouvernement américain, aucune mise en garde contre l'Irak, comme s'il n'attendait que cette invasion. Or l'attitude de Saddam Hussein est totalement inexplicable si on écarte l'hypothèse qu'il était persuadé d'avoir le feu vert des Etats-Unis. Elle est totale­ment inexplicable également si on oublie que jusque-là, l'Irak était un bastion pro-occidental dans la région, le meilleur allié des Etats-Unis depuis la chute du shah d'Iran, et un interlocuteur privilégié.

Un rapport du Strategic Studies Institute et de l'US Army War College, commandé par le Pentagone 10 et rédigé début 1990, montre que si, pendant les huit années de guerre contre l'Iran, Washington craignait qu'une « victoire iranienne ne déstabilise toute la région », la victoire de Bagdad « renversait l'équilibre des forces au Proche-Orient et faisait de l'Irak la superpuissance régionale », ce qui pouvait être préjudiciable aux quatre intérêts vitaux des Etats-Unis :

1) la libre circulation des navires ;

2) l'intégrité des Etats arabes modérés ;

3) le blocage de toute avancée du communisme ;

4) la sécurité d'Israël.

« L'Irak est placé sur une trajectoire de collision avec les Etats-Unis », dit le rapport. Le rapport envisage « la possibilité d'une explosion militaire qui conduirait presque certainement les Etats-Unis à intervenir pour restaurer la stabilité » ; le rapport souligne que les Etats-Unis ne pourraient « probablement pas compter sur le soutien des monarchies du Golfe », et qu'ils devraient « opérer d'un site extérieur à la région ». Or, l'invasion du Koweït, qui menace directement les monarchies du Golfe, incite l'Arabie saoudite à autoriser les troupes américaines à opérer sur son territoire. « Il devient alors possible, dit Guy Sitbon, de mettre fin au cauchemar à un coût raisonnable. Ne peut-on alors se demander si les Etats-Unis n'ont pas délibérément créé cette situation favorable ? » Sitbon souligne cette contradiction : les auteurs du rapport savent que l'intégrité des Etats modérés du Golfe est une des clés de la politique américaine dans la région, alors que le secrétaire d'Etat adjoint, Kelly, déclara à la veille de l'invasion, que les Etats-Unis ne lèveraient pas le petit doigt pour défendre le Koweït. Sitbon déclare enfin que les banquiers réclamaient le remboursement immédiat des dettes contractées par l'Irak pendant la guerre : « C'est à ce point que s'opérera la jointure entre l'argent et la guerre. L'Irak de­mande au Koweït les milliards dont il a besoin pour payer ses importations de blé. Poussé par Washington, l'émir refuse. Saddam parle alors d'aller chercher, à la tête de ses armées, ces dollars qu'on lui refuse. Washington le laisse venir. C'était peut-être ici qu'on l'attendait. S'il y avait piège, Saddam a sauté dedans à pieds joints. »

Entre 1987 et 1989, alors que l'Irak était repéré comme Etat non solvable, 3 milliards de dollars ont été prêtés à ce pays par l'intermédiaire d'une filiale américaine d'une banque italienne, la Banca Nazionale del Lavoro : ces sommes ne figurent pas dans les livres de compte officiels. Des sociétés de façade et des intermédiaires acheminaient les sommes prêtées qui ont permis à Saddam Hussein de financer des projets d'engins nucléaires, chimiques et balistiques 11. Ce réseau illégal, révélé par une enquête du Financial Times et de ABC/Nightline, fonctionnait sans être gêné par l'administration Bush, qui fermait également les yeux sur l'utilisation frauduleuse, par des sociétés américaines et par Bagdad, de crédits agricoles garantis par le gouvernement à l'Irak. Et même, alors que l'insolvabilité de l'Irak est patente et conduit pratiquement à un arrêt des prêts consentis par les canaux normaux, officiels, en novembre 1989 la Maison-Blanche fait approuver de nouveaux crédits garantis d'un milliard de dollars : le secrétaire adjoint au Trésor informe la National Advisory Council, commission chargée de vérifier l'allocation des crédits étrangers garantis par le gouvernement, qu'il fallait s'assurer que la garantie d'un milliard de dollars « résisterait à l'examen hostile des commissions parlementaires et de la presse ». Un sous-secrétaire d'Etat ajoute que l'Irak « était très important pour les intérêts américains au Moyen Orient », que ce pays jouait « un rôle influent dans le processus de paix », ce qui, en traduction claire, signifie : « pour la mainmise des intérêts américains sur la région ». L'Irak, ajoute ce sous-secrétaire d'Etat, était un élément clé « pour le maintien de la stabilité dans la région », tout en offrant « de grandes possibilités commerciales aux sociétés américaines ». Suspendre brutalement la garantie d'un milliard de dollars serait donc, en conclusion, « contraire aux intentions du président ».

Le plus curieux, c'est qu'au même moment, en novembre 1989 également, avait lieu un entretien entre le directeur de la CIA, William Webster, et le directeur de la sécurité nationale du Koweït, lequel écrivit à son ministre de l'Intérieur, le 14 novembre 12 : « Nous sommes convenus, avec le côté américain, qu'il était important de profiter de la détérioration de la situation économique en Irak pour amener le gouvernement de ce pays à définir notre frontière commune. La CIA nous a exposé les moyens de pression qu'elle considérait comme appropriés, en précisant qu'il faudrait instaurer une large coopération entre nous ...  » Si on relie cela à la déclaration que l'ambassadrice des Etats-Unis fera à Saddam Hussein le 25 juillet suivant : «  Nous n'avons pas d'opinion sur les conflits entre pays arabes, comme votre litige avec le Koweït ( ... ) James Baker a demandé à notre porte-parole d'insister sur ce point », on est pris comme d'un vertige ...

Entre-temps, les tripatouillages financiers de la Banca Nationale del Lavoro d'Atlanta avaient alerté les autorités. La Federal Reserve, qui enquêtait, se vit expliquer par le département d'Etat que, loin d'être une escroquerie, l'affaire de la BNL était partie intégrante de la politique officielle concernant l'Irak. Une descente du FBI révéla des transactions secrètes sur plusieurs centaines de millions de dollars, impliquant des banques internationales, parmi lesquelles la BNP. Un assistant à la Maison-Blanche expliqua qu'il était impossible que les échanges entre Atlanta et Bagdad aient été ignorés de l'Administration. « La seule explication qui me vienne à l'esprit est que les autorités étaient au courant et avaient donné leur approbation », déclara-t-il dans une interview.

Or, les fonds virés étaient d'une importance capitale pour l'effort de guerre de Saddam Hussein. Par l'intermédiaire de la BNL, de nombreuses entreprises américaines fournissaient à l'Irak de l'électronique, des métaux spéciaux, des produits chimiques, des machines ; il en allait de même pour des sociétés britanniques, françaises, allemandes. Si l'URSS était le plus gros fournisseur de l'Irak, les exportations occidentales consistaient en matériel de haute technologie.

En janvier 1990 Bush déclare qu'il est d'intérêt national d'autoriser la Banque Import-Export à garantir d'autres prêts, même si des études montraient que l'Irak n'était pas solvable. Des responsables des douanes et du Trésor, de la Federal Reserve Bank, de l'Office de la Gestion du budget constatent que des crédits du gouvernement US officiellement alloués pour l'achat de produits agricoles étaient détournés par le ministère irakien de l'Industrie et de l'Industrialisation militaire.

La filière de la BNL démantelée, Bush signe malgré tout en janvier 1990 un mandat autorisant l'Eximbank à offrir de nouvelles garanties aux prêts à l'Irak. D'avril à juin 1990, trois réunions au sommet auront lieu entre agences gouvernementales, qui s'opposeront à l'idée de sanctionner l'insolvabilité de l'Irak. Jusqu'au dernier moment, la pompe à finances fonctionnera en direction de Bagdad, sur l'ordre du président. C'est Peter Rodman, un haut responsable du Conseil de sécurité nationale sous Reagan et sous Bush, qui donne la clé de cet acharnement : « L'Irak était un al­lié naturel des Etats arabes modérés. Il était allié à l'Egypte. Il avait une attitude constructive dans le processus de paix au Moyen Orient. » ... Et Rodman ajoute : « Que Saddam Hussein fût une brute meurtrière n'y changeait rien 13. »

Cette remarque est extraordinaire parce qu'il est rare que les politiciens s'expriment en langage décodé 14, comme c'est le cas ici. En déclarant qu'une « brute meurtrière » est un élément indispensable au « processus de paix » dans une région, on a une indication précise de ce que peut signifier le mot « paix » pour ces gens-là.

III.– La déformation

« De nombreux Etats arabes (huit sur dix-sept), et d'abord l'Egypte, la plus grande des nations arabes, ont participé activement à la coalition, y compris dans sa phase finale, celle de l'offensive terrestre. »

Les faits mentionnés ne sont pas contestables. Ce sont les adjectifs qui le sont. On peut relever dans cette simple phrase trois éléments manipulatoires.

1.– L'adjectif « nombreux », par exemple, n'a qu'une valeur relative au nombre total d'éléments considérés. Ce total, que Lacoste nous indique, est 17. « Nombreux », dans le langage de Lacoste – à savoir 8 – signifie donc moins de la moitié ...

2.– Ensuite on nous parle de l'Egypte comme de « la plus grande des nations arabes ». Lacoste veut-il dire par là que l'Egypte est la nation arabe la plus peuplée ? La plus étendue ? On verra qu'en réalité, Lacoste perçoit l'Egypte comme la nation arabe dont la politique est la meilleure parce qu'elle est la plus alignée sur celle des puissances occidentales.

3.– Enfin, ces Etats arabes ont participé « activement » à la coalition. C'est faire peu de cas des invraisemblables tractations et marchandages qui ont présidé à l'entrée de l'Egypte dans la coalition. C'est faire peu de cas des concessions, sur le dos du Liban, en échange desquelles la Syrie est entrée dans la coalition.

Mais Lacoste pense sans doute que la participation de la Syrie était motivée par le souci de la défense du droit international. La participation de la Syrie était d'ailleurs tellement « active » et sûre que lorsque le premier Scud est tombé sur Israël, les soldats syriens participant à la force multinationale ont fêté l'événement. Elle était tellement active que les dirigeants américains paniquaient à l'idée qu'Israël réplique, provoquant ainsi l'effondrement de la participation des Etats arabes à la coalition. Si Lacoste lisait la presse américaine, il aurait peut-être eu connaissance de ce commentaire cynique de l'éditorialiste de l'International Herald Tribune, le 10 août 1990, avant que l'Egypte ne se décide à envoyer quelques troupes en Arabie : « Ayant d'abord tenté de jouer les médiateurs, le président Hosni Moubarak semble maintenant vouloir gagner du temps. Washington est en droit d'attendre mieux de la part d'un pays qui accepte chaque année des Etats-Unis 2 milliards de dollars par an. 15 » Voilà la vraie nature des rapports entre l'Egypte et les Etats-Unis. Incidemment, la crise fait perdre à l'Egypte plus que ce que donne les Etats-Unis : « Plus de 800 000 Egyptiens travaillaient en Irak et envoyaient chez eux quelque 2,2 milliards de dollars par an 16. »

Parmi les « nombreux pays », pas nécessairement arabes mais du tiers monde, qui ont envoyé des contingents, on peut citer le Sénégal, 500 soldats, le Niger, 400 soldats, la Sierra Leone : une « équipe médicale » de 24 personnes. Il va sans dire que Lacoste est convaincu que ces pays, par ailleurs écrasés, comme tous les pays du tiers monde, par leur dette extérieure, ont agi par conviction de défendre le droit international, et non pour négocier les conditions du remboursement de ladite dette. On pourrait enfin conclure que parmi les « nombreux pays arabes » auxquels Lacoste se réfère, pas un n'a un gouvernement démocratique, c'est-à-dire que pas un n'est représentatif de quoi que ce soit sinon de la volonté de ses dirigeants 17. Lacoste se pose-t-il la question : qu'en aurait-il été si les populations de ces pays avaient eu leur mot à dire ? Le droit international a été défendu par une coalition d'Etats dont la grande majorité n'avaient, du point de vue de la démocratie la plus banale et la plus bourgeoise, aucune légalité.

Lacoste n'envisage pas la guerre du point de vue de ceux qui en ont pris l'initiative. Certes, c'est Saddam Hussein, en envahissant le Koweït. Mais dans cette phase initiale, les autres pays arabes en étaient encore à tenter la négociation, négociation qui a été court-circuitée par l'intervention américaine. On pouvait douter du succès de cette tentative, mais il fallait peut-être l'essayer quand même. Or, les Etats arabes n'ont même pas eu la possibilité d'essayer de régler le problème entre eux. Le message est donc clair : les problèmes arabes touchant au pétrole ne doivent pas être réglés par les arabes, c'est là un monopole des puissances industrielles. La participation des « nombreux » pays arabes à la coalition n'est que le résultat de tractations et de pressions américaines : ce ne sont pas ces pays qui ont pris l'initiative de l'intervention, mais les Etats-Unis.

Lacoste écrit, page 12 : « La volonté qui a poussé les Etats-Unis est la volonté de ne pas laisser l'Irak devenir le troisième producteur mondial de pétrole et un tout premier exportateur mondial. Et cela pour éviter que les énormes revenus mis à la disposition de Saddam Hussein lui permettent de disposer d'un potentiel militaire encore plus puissant et redoutable, ce qui aurait permis de détruire Israël, de prendre le contrôle d'une grande partie du monde arabe et d'y établir un régime totalitaire et impérialiste. »

1.– L'Irak serait devenu le troisième producteur mondial s'il avait réussi son annexion du Koweït. Cet argument a été très largement employé pour justifier l'intervention militaire. Le fait en lui-même n'est pas contestable. L'omission – qui peut être tout simplement une ignorance – consiste à faire croire que cela aurait changé quoi que ce soit. Le problème n'est pas qu'un pays contrôle la production d'une fraction importante d'une matière énergétique vitale pour l'Occident, mais qui en contrôle le prix. On nous a seriné à longueur de journée : il ne faut pas que l'Irak contrôle le prix du pétrole. L'argument aurait quelque valeur si c'étaient les pays producteurs, de pétrole ou de n'importe quelle matière de base, qui déterminaient les prix. Or ce n'est jamais le cas. Les prix des matières de base, du pétrole, du cacao, du caoutchouc ou de l'arachide, sont déterminés par des mécanismes complexes qui échappent totalement aux pays producteurs, et dont le principe consiste à encourager la surproduction pour faire baisser les prix.

On oublie d'ailleurs qu'avant l'invasion du Koweït, l'une des réclamations de l'Irak était que le Koweït et les émirats arabes respectent les quotas pétroliers qui leur avaient été attribués, car leur surproduction – 40 % – maintenait le prix du baril trop bas et étranglait l'Irak. On oublie également que fin 1980, le prix du pétrole, compte tenu de l'inflation, n'a pas bougé depuis presque vingt ans, alors que pendant le même temps, les produits manufacturés achetés à l'Occident avaient doublé, voire triplé leurs prix. Par ailleurs, les Etats-Unis, le Japon, la RFA refuseront systématiquement le principe d'une stabilisation des prix des matières premières et de leur réajustement régulier à l'évolution des prix internationaux. Au début de 1970 l'OPEP avait tenté d'obtenir des compagnies pétrolières des mécanismes d'indexation des prix pétroliers sur l'inflation et les fluctuations de la valeur des principales devises des pays industrialisés : échec complet. Ont également échoué toutes les tentatives de régler le commerce du pétrole par des accords à long terme entre producteurs et consommateurs : les Etats-Unis s'y sont toujours farouchement opposés. En termes de pouvoir d'achat, le prix du baril est revenu à ce qu'il était en 1973 : « Mis à part les pétromonarchies sous-peuplées, aucun producteur exclusivement dépendant du pétrole ne dispose de recettes d'exportation suffisantes pour nourrir sa population et assurer le service de sa dette extérieure. A ces niveaux de prix, dire que l'Algérie ou l'Irak sont des pays riches est un contresens, équivalent à prétendre que la Côte-d'Ivoire est prospère grâce à son cacao 18. »

Prétendre que l'Irak aurait été maître du prix du pétrole s'il avait annexé le Koweït revient à une mystification 19.

Reste à savoir si, ayant réalisé ses objectifs d'annexion du Koweït, Saddam Hussein aurait été en mesure de réaliser les ambitions que lui prête Lacoste : détruire Israël (comme si détruire Israël aurait été plus grave que détruire l'Irak), contrôler le monde arabe, établir un régime totalitaire et impérialiste. C'est là une hypothèse qu'il est légitime d'envisager, mais qu'il faut examiner de façon un tant soit peu systématique.

Lacoste aurait pu noter que si, accroissant ses possibilités financières, Saddam Hussein accroissait son potentiel militaire, c'est parce que quelqu'un lui aurait vendu du matériel : précisément les puissances industrielles qui lui auraient déjà fourni du matériel auparavant, y compris la France du « président Mitterrand » dont Lacoste semble admirer au plus haut point l'intelligence politique.

On en revient donc à la question du blocus, dont Lacoste ne parle jamais, mais qui est peut-être la question la plus importante dans une réflexion sur les raisons réelles de cette guerre : pourquoi ne l'a-t-on pas continué, alors que des personnalités américaines estimaient, avant les opérations militaires, qu'il était efficace, même s'il pouvait durer assez longtemps, et que des informations récentes confirment cette thèse ? Bob Woodward, journaliste au Washington Post, affirme en effet 20 que Colin Powel, le chef d'état major interarmes, avait émis des réserves lorsque Bush s'orienta vers une stratégie offensive. Powel avait suggéré à plusieurs reprises de « contenir » l'Irak par des pressions économiques et militaires, ce qui aurait évité d'engager une guerre. Le secrétaire d'Etat Baker aurait soutenu cette position, et aurait déclaré au président : « Cette politique d'endiguement demanderait du temps, peut-être même une année ou deux, mais elle produirait des résultats. » Bush aurait répondu : « Je ne pense pas que nous ayons politiquement le temps d'essayer cette stratégie. » Faut-il rappeler qu'au début de son investiture, les médias américains soulignaient l'absence totale d'imagination du nouveau président : il est « sans plan », « fainéant », pas « à la hauteur » : ces qualificatifs revenaient sans cesse. Les raisons du choix de la guerre, plutôt que d'une stratégie longue, moins spectaculaire, et moins meurtrière, se trouvent peut-être, en grande partie, là. L'engagement américain dans le Golfe est, peut-être, une affaire de politique intérieure américaine.

IV.– Le délire

Le discours de Lacoste peut enfin se caractériser d'une dernière manière, le délire.

Comment peut-on appeler cela autrement, lorsqu'on lit (page 5) que « la presse française a exprimé des points de vue très différents sur ce qu'il convient de faire ou de ne pas faire » ; que « toutes les tendances politiques, notamment celles qui étaient plus ou moins favorables à la politique irakienne 21, ont pu exposer large­ment leur point de vue ou leurs divisions et vitupérer le gouvernement, grâce au concours intéressé des divers médias ». C'est, dit encore Lacoste, « la première fois que se déroule en France un grand débat véritablement contradictoire sur l'éventualité d'une guerre et les raisons de celle-ci ». Aussi, « le large débat géopolitique qui vient de se dérouler en France sur la guerre du Golfe peut-il être considéré comme une nouveauté historique » (page 6) ...

Page 19, Lacoste récidive : « le déclenchement de la guerre du Golfe a été précédé dans les pays démocratiques, en France et aux Etats-Unis notamment, par de grands débats géopolitiques qui sont une véritable nouveauté historique. » On termine en apothéose (page 21) : le « grand débat géopolitique qui a duré des semaines », a « renforcé la cohésion nationale » : « Avec les Maghrébins qui vivent en France, et surtout avec leurs enfants, les liens de la société française se sont renforcés et consolidés » ! ... .

Mais sur quel nuage vit donc Lacoste ! N'a-t-il jamais rencontré de jeunes Beurs, qui auraient pu lui raconter leur écœurement 
devant l'attitude des autorités et des médias français, les propos racistes, les provocations auxquels ils devaient faire face chaque jour, en liaison directe avec les événements ? N'a-t-il aucune idée des avertissements presque obsessionnels de leurs anciens qui, tout au long de la guerre, leur exhortaient, leur suppliaient de ne pas se laisser entraîner dans les provocations ? N'a-t-il jamais entendu parler du plan Vigipirate qui tenait les banlieues sous contrôle policier ? N'a-t-il aucune idée de la rage contenue, de l'humiliation des incessants contrôles d'identité au faciès 22

 ?

Loin d'être un facteur d'intégration, cette guerre aura été une cause de rupture pour beaucoup d'entre eux. Combien de jeunes Beurs, dont l'univers culturel était centré autour de Mac Donald, leur walkman et Michael Jackson, qui ignoraient peut-être jusqu'à l'existence de Saddam Hussein et qui n'étaient Arabes que par le regard des autres, se sont-ils découverts une identité avec leur communauté d'origine 23 ? Loin d'être « une chance pour l'intégration » 24 la crise du Golfe – ou pour être plus précis, l'attitude du gouvernement français pendant cette crise – aura été à l'origine d'une fracture irréversible, que n'aura pas arrangé des propos comme ceux d'un député centriste qui proposa l'expulsion de la « cinquième colonne » constituée par les Arabes en France, ou ceux de Pierre Mazeaud, député RPR du Rhône, qui déclara : « Les événements du Golfe ne font qu'accélérer la nécessité d'une réforme du code de la nationalité. »

On ne peut pas non plus dire que le conseil de « se méfier des gens au faciès basané ou bizarre », donné par la direction aux salariés d'une filiale de la Snecma, à Suresnes, soit de nature à encourager l'intégration 25 ...

Mais ce genre de déclaration entre peut-être dans le cadre du « grand débat géopolitique » qui a couvert la France pendant la crise. Un jeune arabe interrogé par Politis me semble parfaitement résumer la situation et confirmer le point de vue des Arabes de toutes générations que nous avons interviewés sur Radio Libertaire : « Je suis redevenu arabe en une nuit et j'avais l'impression que toutes ces bombes sur Bagdad me tombaient sur la tête. L'humiliation arabe, pour moi, c'était le sourire carnassier de Guillaume Durand sur la Cinq et tous ces pseudo-reporters qui parlaient de cibles et d'objectifs alors qu'on crevait sous les décombres. ( ... ) Etre forcé de me rapprocher d'un salaud comme Saddam Hussein, c'est un viol de conscience que je ne pardonnerai jamais aux médias 26. »

L'absence de réaction de la communauté maghrébine en France ne constitue en rien une « preuve spectaculaire de leur volonté d'intégration dans ce pays » (page 21), cela peut tout aussi bien être le symptôme de la prise de conscience qu'aucun dialogue réel n'est possible avec les Français : si M. Lacoste lisait les petites annonces des ANPE, il verrait sans doute dans la multiplication de la catégorie « Français d'origine française » un spectaculaire effet de l'intégration aussi bien qu'un spectaculaire encouragement au dialogue.

Quant au « grand débat véritablement contradictoire » vanté par M. Lacoste, parlons-en. Le « large débat géopolitique » peut en effet se définir par les innombrables cas d'entraves à la liberté d'expression constatés pendant la guerre : interdiction d'une interview de Gilles Perrault réalisée par Radio-France Bordeaux Gironde, et sur France Inter. Lors d'une manifestation pacifiste du 26 janvier, interview de militants pacifistes. Au journal de 8 heures, la fin de l'interview est coupée : « Q. : Vous êtes jeunes, êtes-vous prêts à déserter ? R. : Oui je suis prêt. » Raison invoquée : l'interview finissait mal 27. Le 1er février, une réunion avec Gilles Perrault, sur son livre Notre ami le roi, est interdite à Reims.

Krivine est censuré lors de l'émission « Le poing sur la table » à TF1 le 17 janvier. Un meeting de la Ligue est interdit à Bordeaux. Le recteur de l'académie de Grenoble fait afficher : « Propagande pacifiste et débats interdits à l'intérieur des établissements. » Refus général des chaînes de radio de programmer le dernier 45 tours, intitulé Caïd Ali, du chanteur Art Mengo. Le concert de la chanteuse mauritanienne Dimi Mint Abba est annulé.

Les 22 et 23 janvier : 18 expulsions sont ordonnées, aucun délit n'est retenu. Ces expulsions ont été conduites à une vitesse record : entre l'interpellation de ces personnes et leur entrée dans l'avion, moins d'une demi-journée s'est passée.

Le préfet de la Loire interdit une ex­position sur l'Egypte préparée par des élèves et leur professeur de retour d'un voyage, pour risque de trouble à l'ordre public 28. Le préfet de la Loire, encore lui, interdit, pour risque de trouble à l'ordre public, la tenue d'une conférence-débat de Maurice Rajsfus, invité par la coordination culturelle des comités d'entreprise à parler de son livre Retour de Jordanie à la MJC de Saint-Chamond 29.

Un journaliste d'une radio « libre » parisienne a été interdit d'antenne durant deux jours pour avoir signalé que les événements du Golfe permettaient de passer sous silence le procès du militant basque Philippe Bidard 30.

Tous ces faits ne sont qu'une partie infime du « large débat géopolitique » auquel M. Lacoste n'a dû participer que de très haut et de très loin. Mais il y a eu aussi des cas de mesures insidieuses contre des journalistes qui tentaient de faire leur travail. Car c'est sans doute pour faire de la peine à M. Lacoste que le Syndicat national des journalistes-CGT déclare qu'il est « de la responsabilité des journalistes de refuser la censure systématique, le monopole de l'information par les seuls militaires américains et français, la diffusion massive du discours de guerre à l'exclusion quasi-totale de toutes les voix de paix » (le 20 janvier 1991). Ou encore le syndicat FO des journalistes, qui « dénonce les atteintes étatiques, politiques et patronales qui pèsent sur l'exercice du droit à l'information, depuis le déclenchement de la guerre du Golfe » (le 30 janvier 1991).

Dominique Pradalier, rédactrice en chef des journaux du week-end sur Antenne 2, laissa Marcel Trillat dénoncer en direct de Dahran les conditions de travail impossibles des journalistes, la monopolisation de l'information par les Américains. Elle réalisa également une interview de Roger Garaudy, qui trancha singulièrement avec les propos habituellement tenus sur les médias. Est-ce un effet du large débat géopolitique que Pradalier ait disparu de la circulation, qu'elle ait été mise au placard et qu'elle n'exerce plus ? M. Lacoste pourrait le lui de­mander, elle aurait sans doute des choses édifiantes à lui raconter sur le « large débat géopolitique » dans le pays.

Mais à quoi Lacoste a-t-il passé son temps, pendant la guerre ? Ses seules sources d'information se limitent-elles donc aux interventions télévisées du président de la République ?

Le « président de la République », « la France et son président », il en a plein la bouche : les efforts de Mitterrand « pour éviter ce conflit », pour « trouver une solution négociée au conflit », pour, jusqu'au dernier jour, « faire pré­valoir la négociation », alors « qu'il s'était dépensé pour éviter cette guerre », sont constamment soulignés. Il n'empêche, reconnaît Lacoste, que la France doit « garder son rang ». Elle l'a gardé, en effet. Alain Gresh nous déclarait, dans une interview à Radio Libertaire :

« Comme le faisait remarquer un ami palestinien, jusqu'à présent nous voulions une conférence internationale parce que nous espérions avoir les Européens et les Soviétiques à nos côtés contre les Américains et Israël, mais si les Européens et les Soviétiques sont alignés sur les Américains, autant entrer dans des négociations bilatérales. Donc, en fait, je ne suis pas sûr que la France sera plus près de la table des négociations. D'ailleurs les négociations ont lieu en ce moment, ce sont les Américains tout seuls qui les mènent ...  »

L'intelligence politique de notre président a fait perdre à la France le capital de sympathie qu'elle avait, à tort ou à raison, auprès des populations arabes, tout en écartant la France de toute participation à une initiative internationale, parce que cette participation est devenue inutile. Et je ne parle même pas des fameux « contrats koweïtiens » : on a pu voir le patron du CNPF littéralement pleurnicher à la télé parce que, après tout n'est-ce pas, les soldats français avaient participé, quand même, à la guerre, eh bien il était quasiment impossible de décrocher un contrat, c'est les Américains qui raflent tout. Ah si, grande victoire de l'économie française, une entreprise de l'Est de la France, à la pointe de la technologie et premier exportateur mondial dans son domaine, fait un tabac en vendant ... des brouettes ! Et en plus, déception, on s'aperçoit que les Irakiens ont finalement beaucoup moins détruit le Koweït qu'on ne l'a dit : on estimait pendant la guerre les dégâts à 200 milliards de dollars, les Koweïtiens ne réclament que 60 milliards de dommages à l'Irak !

Si la France avait voulu « garder son rang » (mais garder son rang auprès de qui ?) elle aurait pu refuser la participation militaire au conflit. Les Allemands n'étaient pas chauds pour participer, les Japonais non plus. Les Italiens et les Espagnols ne se sont pas montrés dans cette affaire des fous de guerre non plus. Les éléments existaient, qui auraient permis d'éviter de détruire intégralement un pays : rappelons qu'un rapport daté du 20 mars 1991, adressé au conseil de sécurité de l'ONU, fait état de la situation « quasi apocalyptique » de l'infrastructure économique de l'Irak, qui « a été renvoyé, pour assez longtemps, à une ère préindustrielle, mais avec tous les inconvénients que présente une dépendance postindustrielle à l'égard d'une utilisation intensive de l'énergie et de la technologie ».

Sans être en contradiction avec la logique qui est la sienne, c'est-à-dire libérale, capitaliste, Mitterrand aurait très bien pu être à l'initiative d'une position européenne (la Grande-Bretagne thatchérienne mise à part) qui aurait abouti au même résultat, l'évacuation 31 du Koweït, à la suite d'un embargo certes peu spectaculaire, consistant en l'arrêt de tout mouvement de capitaux en direction de l'Irak, le boycott du pétrole irakien et l'arrêt des fournitures de produits manufacturés : aucun Etat ne peut survivre longtemps à un tel traitement. Malheureusement, cela ne collait pas avec les intérêts du gouvernement américain qui, avant d'envoyer des bombes sur l'Irak, a encouragé jusqu'au dernier moment l'envoi de capitaux à Saddam Hussein. On se demande bien pourquoi ...

Conclusion

Le général Schwarzkopf aurait déclaré : « Nous ne nous attendions pas à ce que cela tourne comme ça » 32. On ne peut évidemment pas reprocher à Schwarzkopf de ne pas écouter Radio Libertaire ...

Aujourd'hui le « nouvel Hitler » est toujours au pouvoir, les armées alliées se sont arrêtées à la frontière de l'Allemagne – pardon, de l'Irak
, ce qui détruit toute la validité de la comparaison qu'on nous a assenée quotidiennement dans les médias avec le dictateur nazi.

Personne aujourd'hui ne conteste qu'en Irak règne le même régime qu'avant le 2 août dernier. Personne ne conteste que Saddam Hussein doit continuer à jouer dans la région le même rôle de « maintien de l'équilibre régional » qu'avant le 2 août, puisque les puissances occidentales affirment ouvertement craindre que les chiites irakiens ne renversent le dictateur : « Heureusement, horrible mot, que Saddam Hussein était là pour écraser l'insurrection chiite. Sans cela, nous re­partions vers une grande vague d'intégrisme », déclara Claude Cheysson au Point 33.

La différence aujourd'hui n'est qu'une différence de nuance. Les coalisés ont fait une guerre, ils ont littéralement rasé un pays, pour une question de nuance : Saddam Hussein avait été trop loin, il fallait lui rogner les ongles. C'est clairement ce que voulait dire M. Fitzwater, le porte-parole de la Maison-Blanche, lorsqu'il déclara : « Nous avons rempli le mandat des Nations unies. Nous pensons que l'Irak doit conserver son intégrité afin de maintenir l'équilibre régional et il n'est pas approprié pour les Etats-Unis d'intervenir dans les affaires intérieures irakiennes. »

Peut-on exprimer plus clairement que le régime irakien est un des éléments du dispositif impérialiste, que la guerre du Golfe a été une affaire interne à l'impérialisme, dans laquelle une métropole, dominante mais en déclin, a réussi à rééquilibrer le rapport des forces à son profit :

– en s'implantant et en contrôlant une région qui n'est pas son principal fournisseur,

– mais qui détient les plus grandes réserves connues,

– et qui surtout est le principal fournisseur de ses concurrents, l'Europe et le Japon. Et en plus, ces derniers ont collaboré à la manœuvre !

L'écrivain syrien Burhan Ghalioun écrivit récemment :

« Nous nous souviendrons de la guerre du Golfe comme d'une répétition générale inaugurant l'ère de grands affrontements qui vont modifier radicale­ment, et plus tôt que nous ne le pensons, les données stratégiques mondiales, en particulier dans le bassin méditerranéen. Sortant nécessairement diminué et amoindri, politiquement et économiquement, de cette dernière épreuve mondiale, le monde occidental fera difficilement face à la montée irrésistible, matérielle et morale, de ce monde pauvre qui n'a réellement plus rien à perdre 34. »

Résumant la pensée d'innombrables gens, Claude Cheysson s'exclamait : « Heureusement, il y a encore un pouvoir à Bagdad, sinon ce serait l'anarchie en Irak » ...

mai 1991

René BERTHIER

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CHRONIQUES DU NOUVEL ORDRE MONDIAL (mars 1992.)

LA GUERRE DU GOLFE N'EST PAS TERMINÉE

Un an après, elle continue de faire des victimes civiles, en particulier chez les enfants. Combien de personnes, si elles étaient interrogées dans la rue, sauraient que le blocus dure toujours ?

Les revenus d'une famille irakienne moyenne ne lui permettent plus d'atteindre un niveau nutritionnel normal. En octobre dernier, l'UNICEF estimait que 68 000 enfants étaient morts des suites du blocus et que 340 000 autres étaient en danger si rien n'était fait. (Le Monde, 26 octobre 1991.)

Le seul prétexte invoqué pour le maintien du blocus est d'en finir avec le régime de Saddam Hussein. Faut-il affamer un peuple pour le convaincre de changer de dirigeants ? C'est là une singulière conception de ce droit dont se réclament les puissances occidentales.

Est-ce pour convaincre les Irakiens de changer de gouvernement que ce petit pays de 18 millions d'habitants a reçu en quelques jours l'équivalent en bombes de ce que l'Allemagne a reçu en cinq années de guerre ? Est-ce pour cela que ces bombardements ont produit des « effets quasi apocalyptiques sur l'infrastructure économique de ce qui était une société assez hautement urbanisée et mécanisée » ? (Rapport de l'ONU du 20 mars 1991.)

Est-ce pour convaincre les Irakiens de changer de dirigeants que les Occidentaux les ont encouragés à se soulever, pour les abandonner dès que la répression a commencé ?

Est-ce pour convaincre les Irakiens de changer de dirigeants que les coalisés ont méthodiquement détruit toutes les usines de transformation agroalimentaire, les réseaux d'alimentation en eau, les réseaux d'irrigation, les installations électriques, les ponts ?

Est-ce pour les convaincre de changer de dirigeants qu'un peuple entier est consciemment soumis à la famine ?

Un peuple entier est pris en otage, et crève à petit feu, une génération entière d'enfants est sacrifiée, car la sous-alimentation chronique, lorsqu'elle ne tue pas, laisse des séquelles irrémédiables dans le développement des enfants.

La politique suivie par les puissances occidentales ajoute, à la famine, l'accentuation de l'oppression d'un régime dictatorial qui n'a aucun mal dans ces conditions à intensifier la répression.

Le régime de Saddam Hussein était une dictature avant l'invasion du Koweït. C'était déjà une dictature à l'époque où les Occidentaux lui livraient des armes, de la technologie militaire. C'était déjà une dictature à l'époque où il gazait les kurdes, massacrait les opposants. Mais à cette époque-là, c'était un dictateur qui restait à sa place, qui était utile aux puissances occidentales. A cette époque-là, les opposants à Saddam Hussein étaient traqués et harcelés en France par la police française.

Et qu'apprend-on aujourd'hui ? Depuis mai 1991 des négociations se déroulent entre deux compagnies pétrolières, Elf et Total, qui se voient proposer des gisements en Irak en échange de l'appui de la France à l'ONU pour la levée, au moins partielle, de l'embargo. Faudra-t-il attendre des sociétés pétrolières qu'elles agis­sent pour sauver les enfants d'Irak et faire lever le blocus ? Les pétroliers ne sont d'ailleurs pas les seuls sur les rangs. Des industriels de toutes sortes attendent fébrilement la levée du blocus pour s'engouffrer en Irak, des Français, des Allemands, des Américains, des Autrichiens, des Japonais, des Italiens ... qui meurent d'envie de soulager les souffrances de la population irakienne. Seuls les Etats-Unis tiennent bon. C'est que l'arrêt de la production pétrolière de l'Irak permet de maintenir un niveau des prix qui convient tout à fait aux intérêts des compagnies pétrolières américaines, et assure une surproduction de pétrole au Koweit et à l'Arabie saoudite, qui sont les principaux clients des Etats-Unis dans la région. C'est aussi bête que cela.

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Nous invitons les lecteurs du Monde Libertaire qui souhaitent s'informer, et qui sont décidés à agir ; les groupes et associations qui sont désireux d'organiser des réunions publiques sur la question, à nous contacter :

– Radio Libertaire, Chroniques du nouvel ordre mondial, 145 rue Amelot, 75011 PARIS ; la Coordination pour la levée de l'embargo imposé à l'Irak, (C.L.E.) étant en attente d'une boîte postale, nous transmettrons.

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Ecoutez LES CHRONIQUES DU NOUVEL ORDRE MONDIAL, sur Radio Libertaire (89.4 MHz) le lundi tous les quinze jours, de 14 heures à 15 h 30.


NOTES

1. Cité par Afrique Magazine, mai 1991.

2. Par exemple, personne n'a parlé de cette manifestation de démocrates en Tunisie attaquée par des extrémistes religieux qui ont fait plu­sieurs morts ...

3. La coalition regroupant la majorité des partis a tendance démocratique en Algérie s'accorde à penser que l'intervention dans le Golfe vise beaucoup plus à détruire l'Irak qu'à libérer le Koweït. Ils appelaient à l'arrêt de la guerre et à la résolution de la question palestinienne. Cela n'en faisait pas pour autant des partisans de Saddam Hussein.

4. Il n'est pas possible de qualifier de tentative de négociation les rodomontades insultantes de Bush, les ultimatums qu'il a lancés à Saddam Hussein : il y a des appels à la négociation qui sont trop manifestement des provocations à ne pas négocier.

5. Les tentatives d'implantation des Etats-Unis au Proche Orient ne datent pas du 2 août 1990 : en 1958 ils avaient soutenu l'éphémère pacte de Bagdad, condamné par le renversement de la monarchie irakienne ; dans les années 60 ils ont tenté d'assurer la relève des Britanniques qui abandonnaient leurs positions à l'Est de Suez.

6. John C. Ausland « The Joint Chiefs Have Been Preparing For Years » International Herald Tri­bune, 22 août 90.

7. Les objectifs fondamentaux de l'Amérique.

8. Cf. le Washington Post, repris par le Interna­tional Herald Tribune des 15-16 août 1990

9. Bob Woodward, The Commanders, Simon & Schuster éditeurs

10. Cf. L'article de Lionel Barber, du Financial Times, « Comment Bush a armé Saddam Hus­sein », in Courrier International, 9 mai 1991.

11. Cf. L'article de Lionel Barber, du Financial Times, « Comment Bush a armé Saddam Hus­sein », in Courrier International, 9 mai 1991.

12. La guerre, l'autre information, n° 1

13. Cité par Lionel Barber, « Comment Bush a armé Saddam Hussein », Financial Times, in Courrier international, 9 mai 1990.

14. Un autre politicien, français celui-là, a parlé en langage décodé, mais c'était un lapsus : Joxe, lors de sa première conférence de presse en tant que ministre de la Défense : « En application des résolutions des Etats-Unis ... heuh, pardon, des Nations unies ...  »

15. En réalité l'auteur de l'article est en dessous de la réalité, car le montant de la subvention américaine est de 3 milliards de dollars.

16. US News and World Report 13 août 1990, p. 24.

17. « Aucun des gouvernements de la région qui se sont rangés sous la bannière américaine ne peut prétendre qu'il est issu d'élections libres et démocratiques. » Abdelaziz Driss, Jeune Afrique, 8-14 mai 1991.

18. « Ruptures Au Proche-Orient », Georges Corm, le Monde diplomatique, octobre 1990.

19. Un exemple qui en dit long : en 1972, le prix du baril était de 2,2 dollars. Survient la guerre d'octobre 1973 : le baril monte à 13 dollars. En 1979 a lieu la révolution iranienne : le baril passe à 35 dollars. L'Arabie saoudite est encouragée à surproduire : le baril tombe à 10 dollars. Dans les années qui suivent il fluctue entre 13 et 19 dollars.

20. Bob Woodward, The Commanders, chez Si­mon & Schuster.

21. Encore un bel exemple d'amalgame : lorsqu'on était contre l'intervention militaire, on était pour Saddam Hussein ...

22. « Les premiers résultats de Vigipirate se traduisent par une augmentation de 500 % des interpellations des étrangers. "Chasse au faciès" et opérations coup de poing, quadrillage des gares et de certains lieux parisiens, patrouilles de police multipliées, la chape de plomb policière et militaire est en bonne voie. » Collectif guerre à la guerre, bulletin n° 1.

23. Ce qui, je le précise, n'est pas une mauvaise chose. Mon propos est simplement de montrer que la deuxième ou troisième génération de Beurs qui a perdu une grande partie de ses racines et ne demande pas mieux que de s'intégrer, est littéralement rejetée par la société française. Je précise également que l'intégration par l'oubli de ses racines n'est pas forcément, non plus, une mauvaise chose. Une communauté de gens qui vivent depuis des siècles dans un pays et qui se raccrochent à des racines devenues artificielles, mythiques, vit inévitable­ment dans un état de dédoublement qui ne doit pas être facile à porter.

24. L'article qui suit immédiatement celui de Lacoste est intitulé « La crise actuelle, une chance pour l'intégration », par Arezki Dahmani, président de France-Plus, une association de notables beurs inféodés au PS. L'article vaut la peine d'être lu, pour voir jusqu'où la veulerie peut aller.

25. Cité par Courant alternatif, mars 1991, p. 12.

26. Politis, 25 avril-1er mai 1991.

27. tract de la CFDT de Radio-France

28. Cité par L'Envers des médias n°1.

29. L'Envers des médias n°1.

30. L'Envers des médias n°1.

31. Je ne dis pas « libération », car je ne considère pas que la réinstallation, par les puissances occidentales, de l'émir Jaber, puisse être considérée comme une libération ...

32. Selon John Chancellor, « Mythes et idées fausses », Jeune Afrique, 8-14 mai 1991.

33. 15-21 avril 1991.

34. L'Evénement européen, « Le Golfe en conflits », mars 1991/13.

35. On peut cependant dire que lui, à l'inverse de bien d'autres, s'est quelque peu rattrapé : il a signé l'Appel du 26 juillet du Collectif pour la levée de l'embargo ... (note de mars 1992.)