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Ex-Yougoslavie Ordre mondial et fascisme local
Annexes
René Berthier
(1995)

Origine : Echanges mails


A N N E X E S

I. – Les Mères Courage. – Les femmes résistent à la militarisation dans l’ex-Yougoslavie

Stasa Zajovic, Belgrade 1992

Pendant toute la période d'après-guerre, le seul souci de la condition sociale des femmes a été réduit en Serbie et dans toute la Yougoslavie à l'obsession de maintenir le taux de natalité de la classe travailleuse et, quand le thème du nationalisme a remplacé celui de la lutte des classes dans le discours politique serbe, cette obsession a été transférée à la Nation.

Lors de la « révolution anti-bureaucratique » de 1987 – conduite par l'actuel président serbe Slobodan Milosevic – une surprenante communauté s'est exprimée dans la rue. Des foules criaient : « Nous voulons des armes » dans tout le pays, unies dans une sorte de transe collective par la haine et le désir de revanche pour la Serbie, nation offensée.

Nationalisme et reproduction

Outre le culte du sang et celui de la terre, les nouveaux nationalistes serbes ont ressuscité la figure de Mère Yougovitch, mère de neuf enfants, souffrante, brave et stoïque, offrant la vie de ses enfants à la patrie. La maternité est vue comme une obligation et non plus comme un choix pour les femmes dont la sexualité a été réglementée, puis réduite à la procréation. La crise démographique serbe est décrite comme « une des plus grandes tragédies du peuple serbe », surtout quand on lui compare la « contre-révolution démographique » – menace perçue par la haute fécondité des Albanaises de la province du Kosovo (un des plus hauts taux de natalité d'Europe). Un des objectifs de la répression serbe au Kosovo était justement le renversement de cette « tendance » démographique. On a pu aussi noter l'augmentation de l'usage des termes militaires (dits de « sécurité nationale »). Les autorités militaires insistent maintenant sur le fait que le taux de natalité serbe doit désormais croître afin que la nation puisse se défendre lors d'un conflit militaire contre d'autres peuples. Les femmes qui manquent à leur mission doivent être blâmées. Un politicien a notamment déclaré : « J'appelle les femmes serbes à faire naître un autre fils afin de s'acquitter de leur dette envers la nation. » Un autre, Rada Trajkovic, de l'Association des Serbes du Kosovo, est même plus explicite dans sa définition des mères comme reproductrices de chair à canon : « Pour chaque soldat tombé pendant la guerre face à la Slovénie (juin 1991), les femmes serbes doivent enfanter 100 autres fils. »

La manipulation des femmes par les autorités militaires a commencé il y a déjà quelque temps mais les exemples les plus clairs se trouvent lors d'assemblées tenues par le « mouvement des femmes pour la Yougoslavie » (lié aux partis militaristes et créé en 1990). En février 1991, les femmes de ce mouvement ont publiquement donné leur soutien au parti militariste JNA, disant qu'il s'agissait de la seule force apte à sauver le pays. La hiérarchie militaire a ainsi utilisé les femmes afin qu'elles montrent leur approbation à l'effort de guerre pourtant contraire aux intérêts propres des femmes. Avant la vague massive de mobilisation pour la guerre civile, on savait dans certaines régions du pays – comme au Monténégro, connu pour ses traditions guerrières – que les hommes devaient se préparer à donner leur vie pour la patrie, toute défaillance remettant en cause leur dignité masculine. On attendait des hommes qu'ils adhèrent aux traditions nationales, approuvant l'idée que « durant la guerre aucun Monténégrin ne peut être protégé par une femme ».

Un parlementaire déclara d'ailleurs : « Nous, au Monténégro, croyons qu'un homme qui se bat au front et qui se permet d'être attiré à la maison par une femme fait aussi bien de se suicider. » L'impression que les femmes gênent les hommes pour remplir leur devoir national est renforcée par les émissions de radio en provenance de Dubrovnik où une grande proportion de Monténégrins se sont engagés. Les soldats transmettent leurs salutations à leurs pères, frères et copains, mais jamais à leurs femmes ou petites amies. Heureusement, le nombre d'hommes qui désirent s'échapper de cet univers guerrier et machiste est croissant et de plus en plus ils n'ont aucune honte à être protégés par leurs mères, femmes et soeurs.

Un comité de femmes s'est formé au Monténégro en octobre 1991. « Nous nous élevons contre cette guerre personnelle que les puissants commanditent depuis leurs bureaux. Ils ont expédié leurs fils à l'étranger, sur des terrains de tennis, tandis que nos fils continuent à être envoyés de force vers le front et vers la»tombe. Nous demandons que politiciens, militaires et leaders déments démissionnent immédiatement afin de sauver ce pays. »

Femmes soldates

L'augmentation du nombre des femmes dans l'armée n'est pas l'indicateur d'une égalité sexuelle : il y a maintenant des miliciennes ou soldates des armées nationales qui s'approprient les plus brutales valeurs patriarcales. En Croatie, les miliciennes serbes n'occupent pas de position hiérarchique importante, le front appartient aux hommes. Quant aux femmes, selon leurs propres dires, elles « se chargent des secteurs administratifs, des services de communication et de santé ». « Nous remplaçons les hommes qui sont partis combattre, mais nous avons aussi subi un entraînement militaire et pouvons aider les hommes à tout moment ». Les quelques femmes serbes et croates qui se sont battues au front sont rapidement devenues des figures mythiques confirmant ainsi ce que le patriarcat nous a toujours enseigné : les femmes ne participent à l'histoire que lorsqu'elles prennent des rôles masculins. Les médias glorifient ces femmes comme héroïnes lorsqu'elles tuent leurs ennemis. Si elles sont faites prisonnières, les vainqueurs évoquent des « femmes monstrueuses ». Le premier bataillon féminin de la guerre a été créé à Glina, une ville majoritairement serbe de Croatie rattachée à la Serbie en décembre 1991. Les femmes ont fait le serment de « se battre contre tous les ennemis des Serbes sous la protection de Dieu », et on a pu entendre de la part d'officiers des réflexions du type : « Si nos mères n'avaient pas été des héroïnes, elles n'auraient pas pu donner naissance à de si braves enfants. »

Les femmes patriotes se battent aussi à l'« arrière ». A Belgrade, des femmes confectionnent et réparent chaussettes et chaussures pour que ceux du front aient toujours chaud. Les médias pro-gouvernementaux se focalisent sur toutes les preuves d'une mobilisation maternelle belliciste tout en occultant le travail des femmes dans les comités anti-guerre. Nous pensons que la majorité des femmes est du côté de la paix. Elles sont convaincues qu'elles peuvent fournir une alternative féminine historique, la non-violence à la place de la violence, la vie au lieu de la mort, la vitalité contre la destruction. Stana Pavic, une réfugiée d'un certain âge venant d'un village serbe de Croatie, m'a confié que si « nous, les femmes, avions pu nous unir comme eux [les militaires], nous aurions pu négocier des accords de paix en un rien de temps. »

Le mouvement des mères

A la fin de la guerre en Slovénie, début juillet 1991, les droits humains ainsi que tout le droit à la vie étaient réduits en miettes dans toute la Yougoslavie. Des femmes ont occupé la scène politique en réclamant le droit à la vie. Le 2 juillet, une session parlementaire a été perturbée par plusieurs centaines de parents, notamment par des mères de conscrits. Il s'agissait de la première action civile dans la capitale fédérale contre la guerre et la première à protester contre les abus de l'Etat, l'armée et le parti. Les manifestants/es disaient : « Les hommes contrôlent la guerre et nos fils. Nous ne leur donnons pas la permission de pousser nos fils à s'entre-tuer. » C'est en tant que mères – position qui pourtant marginalise les femmes – qu'elles ont été amenées à participer activement à la vie politique de la nation. La division patriarcale entre le personnel et le politique n'a plus de sens, car durant cette guerre, le personnel est devenu politique. Le mouvement des mères possède tous les éléments pour faire passer des nuits blanches aux militaristes.

D'un autre côté, le mouvement des mères a été l'objet de différentes manipulations de la part des structures politiques. Une partie de ce mouvement a été utilisé aussi bien en Serbie qu'en Croatie pour les besoins de la propagande patriotique. Il est facile d'utiliser les sentiments de mères dont la vie des fils est en danger. Certaines mères de soldats sont troublées, partagées entre les sentiments « patriotiques » dont la propagande officielle les abreuve et le désir de sauver leurs propres fils.

Les femmes yougoslaves sont reliées grâce au réseau féministe de 1987, elles tentent de conserver une solidarité et de continuer à planifier des actions communes, rejetant ce qui soutient la politique de division et d'hégémonie. Pendant les quatre derniers mois, les communications ont été quasiment impossibles avec la fermeture des Postes, le blocage des transports et la coupure des lignes téléphoniques entre les républiques. Malgré ces obstacles, les féministes – Serbes, Albanaises, Croates, Slovènes, Hongroises et Monténégrines – se sont unies contre la guerre. Des manifestations de protestation telles que celles, hebdomadaires, de « femmes en noir » sont un élément de leurs protestations.

Traduit de l'espagnol par Juley Howard (pour Peace News et Off Our Backs)

Traduit de l'anglais par Fiametta Venner

II. – La guerre contre les femmes

Ce que taisent les correspondants de guerre : en Bosnie-Herzégovine les femmes et les jeunes filles sont systématiquement violées et torturées.

Un matin de printemps on entendit un appel à la radio serbe : « A toutes les employées de l'usine textile de Prijedo : il faut revenir à l'usine. La production reprend. » Les travailleuses des trois équipes se dirigèrent vers l'usine de la ville bosniaque de Prijedor, à mi-chemin entre Zagreb et Split. Les portes se fermèrent derrière elles. Depuis lors, ces femmes n'ont pu quitter l'usine : elles y ont été retenues de force. Les soldats serbes ont fait de l'usine un gigantesque bordel. Ils ont humilié et violé les femmes, jour après jour, nuit après nuit [1].

Personne n'a pu les aider. Les hommes sont à la guerre ou en fuite. Les femmes âgées et les enfants ont saisi un sac, un coussin ou une poupée et ont pris le chemin de Zagreb ; ils campent sous des tentes devant la mosquée.

C'est là que nous avons rencontré Mojica. Mojica (c'est ainsi que nous la nommerons, citer son vrai nom la mettrait en danger) parcourt depuis des semaines et des mois le pays qui s'appelait il y a peu encore la Yougoslavie, et rassemble des témoignages ; des témoignages sur ce qui est fait aux femmes pendant cette guerre.

Mojica a 41 ans ; elle sait que la violence contre les femmes est aussi à l'ordre du jour en temps de « paix », comme on dit. Depuis cinq ans, elle travaille à « SOS Femmes violées », à Zagreb. Mais les informations et les appels à l'aide qu'elle reçoit aujourd'hui dépassent tout ce qu'elle pouvait imaginer.

Depuis le début de l'année, cette femme croate parcourt avec une amie la Croatie et la Bosnie et interroge les gens, les femmes violées, leur famille, les femmes médecins. Les médecins se sont occupés de corps et d'âges déchirés. Et elles ne savent que faire des femmes enceintes qui ne veulent pas mettre au monde les enfants des violeurs. Dans un hôpital de Zagreb se trouvent 120 femmes croates et bosniaques enceintes de 5 ou 6 mois. Trop tard pour un avortement. Beaucoup d'entre elles voudraient tuer l'enfant à sa naissance. Mojica est désespérée. « Depuis 6 mois je ne peux plus dormir. J'ai mal. Mais le monde doit savoir ce que subissent les femmes ici. »

Mojica se sent seule. Elle ne peut partager sa douleur avec ses amies serbes. Les coups de téléphone s'achèvent en dispute. Une rencontre de féministes de l'ex-Yougoslavie, qui a eu lieu à Rome au printemps, s'est terminée en fiasco : les femmes serbes ne voulaient pas croire que leurs pères, frères et époux aient pu faire cela aux femmes croates, qui, il y a peu étaient encore des voisines et des amies. A l'étranger aussi personne ne veut écouter Mojica – les correspondants de guerre ne s'intéressent pas à ce champ de bataille-là.

Emma [2] ne voulait pas se baser seulement sur les propos de Mojica – il y a de trop grandes haines entre les peuples de l'ex-Yougoslavie, le risque serait trop grand de contribuer à une propagande haineuse. Emma s'est comme toujours souciée d'enquêter auprès des réfugiées dans les camps autrichiens, auprès des participantes des actions humanitaires, auprès de collègues et partout nous avons entendu : c'est vrai, ce que Mojica dit.

La cinéaste Helke Sander, qui a interviewé des réfugiées bosniaques en Autriche, confirme : « Dans cette guerre il y a eu des viols en masse. » Des femmes musulmanes ont osé raconter devant sa caméra ces abominations. « Ces femmes ne donnent pas l'impression d'avoir inventé des histoires. » La cinéaste sait que dans toutes les guerres les femmes sont les premières victimes. Elle a tourné un documentaire de trois heures sur les femmes violées pendant la Seconde guerre mondiale, Libérateurs et libérées, qui va sortir à l'automne.

Seule une collègue yougoslave (croate) nous a avertie : « Soyez prudentes. J'ai aussi entendu parler de ces camps de viols. Mais nous n'avons pas encore pu trouver de véritables preuves. »

Un conseil qui conviendrait bien à la presse allemande. Ses comptes rendus étaient partiaux, du côté des Croates – ce qui à l'étranger a été interprété à la lumière du passé commun des Croates et des Allemands : à l'époque de Hitler il y a eu en Croatie des camps de concentration organisés par les Allemands. Dans le seul camp de Jasenovac 200 000 Croates, Juifs et Tziganes ont été torturés et tués. Il est vrai aussi que des journalistes ont vu des combattants allemands en Croatie, des néo-nazis, qui se sont empressés avec enthousiasme de participer à cette guerre.

Mais l'injustice des uns ne fait pas le droit des autres. « Les Serbes exercent une terreur brutale », explique la journaliste de ZDF, Suzanne Gelhard, dans le livre qui vient de paraître, A partir d'aujourd'hui c'est la guerre, « comme une vengeance pour tout ce que les Croates ont fait autrefois aux Serbes ». La vérité semble aussi simple que cruelle : des viols ont été commis par les deux camps. Les Serbes ont seulement eu davantage de possibilités. Les femmes de « l'ennemi » sont du gibier. Même les hommes de troupe de l'ONU font pareil : un Casque bleu canadien a violé à Druvar (Croatie) une jeune fille de 17 ans, écrit le quotidien de Zagreb Arena.

Voici par exemple Dana, 13 ans, musulmane de Prijedor en Bosnie. Avec sa mère et ses soeurs, elle se tient jour après jour devant la mosquée de Zagreb. Quand Mojica lui parle, c'est sa mère qui répond. Sa fille, dit-elle, a été violée à tel point que son sexe déchiré saignait. Depuis, Dana n'a pas dit un mot.

Ou Mileva, Croate. Il n'y avait plus de place pour elle dans un camp surpeuplé de Lipnic. Les soldats l'ont enfermée deux mois durant dans une benne à ordure et ne la faisaient sortir que pour la violer. Mojica l'a rencontrée. Amaigrie, les cheveux coupés. « Savez-vous ce qu'il reste d'une femme après un tel traitement? Moins que rien », dit-elle.

Ou Jana, une vingtaine d'années, Croate. Jana est morte. Elle était enceinte de huit mois quand elle est tombée aux mains des Tchetniks. Ils l'ont éventrée, ont arraché le foetus et mis deux chats dans son ventre. Trop cruel pour être vrai ? Mojica affirme : « J'ai interviewé une femme médecin. C'est vrai. »

Mojica a écouté des heures durant des victimes et des médecins, a enregistré des cassettes et des vidéos. A l'aide de ces documents, les féministes de Zagreb ont un but prioritaire : faire que les femmes violées soient reconnues comme réfugiées selon la convention de Genève. Les femmes médecins devraient, lors des autopsies de victimes, rechercher les preuves d'un viol. « Le monde doit savoir. C'est une guerre contre les femmes », dit Mojica.

Mais pour ces victimes de guerre il n'y a pas d'indemnisation. « Mon fils est revenu blessé, une balle dans le ventre. Il reçoit une pension », dit Mojica. Mais les victimes de viol, dont les cuisses sont désarticulées et les côtes fracturées, ne reçoivent pas un sou. Ce sont elles les coupables – et elles doivent en avoir honte.

Pour les femmes musulmanes de Bosnie-Herzégovine, en particulier, le viol est un déshonneur absolu, elles sont « déshonorées », sans valeur pour le mari, le père, le frère. Que leur restera-t-il si elles ont un enfant d'un Serbe, orthodoxe ou catholique, ou communiste ? Seront-elles chassées par leur famille, comme les femmes koweïtiennes qui ont mis au monde des « bâtards de l'invasion » ? Seront-elle tuées pour « effacer le déshonneur » ?

Les hommes musulmans, torturés par les « mécréants », dont les filles ou les épouses ont été violées, mises enceintes, seront-ils pris dans les filets du fondamentalisme ? Déjà le chef religieux iranien, l'ayatollah Kameini, parle avec triomphe de l'instauration d'un « Etat islamique en Europe » et réclame à la Conférence mondiale islamique « une action commune pour les peuples opprimés de Bosnie-Herzégovine ». Quelle réponse propose la gauche allemande ? Claus Leggevie appelle dans le Tag à « Une reconstitution de l'alliance de la guerre du Golfe » et à une opération militaire en Serbie – comme si la guerre du Golfe avait laissé derrière elle autre chose que des terres brûlées et des êtres humains détruits.

Si la guerre se termine et que le fondamentalisme islamique misogyne gagne de l'influence en Bosnie, alors la situation continuera à être effrayante pour les femmes, même avec la « paix ».

Ursula Ott, Emma, septembre 1992,
pp. 22-23. Traduction Claudie Lesselier

III. – La guerre vue du côté serbe. –

L'espace de violence impunie

SOS Téléphone a été fondé en 1990. Les appels que nous recevons proviennent surtout de femmes qui subissent la violence masculine (mari, père, fils, frère, etc.). Cependant, avec la guerre, la violence s'est accrue. Bien qu'en Serbie il n'y ait pas eu d'affrontements guerriers, les conséquences de la guerre se sont fait sentir partout. Les armes circulent librement. Il est très facile d'en obtenir, d'autant plus que les prix sont très bas, pour des raisons de « compétitivité ». Avant la guerre, un tiers des hommes qui violaient menaçaient les femmes de mort. Mais avec la guerre, ces menaces sont arrivées à 100 %. Ce ne sont plus des menaces verbales, mais bel et bien des menaces revolver à la main, ou avec une grenade. Beaucoup de ceux qui sont revenus du front ne se séparent plus de leurs armes. Ils dorment avec elles sous l'oreiller. Voici quelques-unes de ces menaces, les plus courantes :

« Ce coup-ci je vais te tuer » ; « Je peux acheter les armes les plus sophistiquées si je veux » ; « Je tuerai ton fils, et toi aussi, et pour finir je me tuerai après » ; « Une bombe ne coûte que cinq Deutschemarks »...

« Il me menace avec une grenade que son copain lui a ramenée du front »; « Il tire dans la maison, il y a des balles partout dans les murs » ; « Le foyer est devenu son nouveau front. » Le langage même des violeurs s'est adapté à la situation de guerre : « Je vais faire sauter ta maison, ton fils et toi avec » ; « Tu vas voler en mille morceaux », etc. En fait, depuis que la guerre a éclaté, les violeurs menacent les femmes d'une façon qui reflète le climat de violence arbitraire et brutale dont tout le monde peut être victime. Mais à cette différence près : là, personne ne répond des crimes commis : « La nuit obscure t'avalera. »

Certains hommes qui, avant de partir comme réservistes ou parce qu'ils ont été mobilisés de force, ou volontairement, dans ces groupes paramilitaires, étaient déjà agressifs, sont revenus absolument insupportables. La plupart d'entre eux consomment de plus en plus d'alcool, alors que certains de l'avaient jamais fait. Les femmes qui nous appellent nous disent : « Depuis qu'il est rentré du front, il n'arrête pas de boire, et quand il n'a plus rien à boire, il nous frappe, mes enfants et moi. »

La plupart de ceux qui rentrent du front doivent affronter de sérieux problèmes psychiques ; d'après les études faites par les psychologues de Belgrade, 60 % d'entre eux souffrent d'insomnie, de fatigue permanente et de cauchemars. Nous, volontaires à SOS Téléphone, avons reçu plusieurs appels qui tendent à prouver cela : « Depuis qu'il est rentré du front, il se réveille toutes les nuits, il creuse des tranchées dans la chambre... »

Puisque les institutions sociales ne portent qu'une aide insignifiante à ce genre de problème, c'est à nous, les femmes, de nous en charger. C'est d'ailleurs le rôle que l'on considère être le nôtre : « Il est dans la nature des femmes de s'occuper des autres. »

Les femmes qui affirment ouvertement qu'elles n'en peuvent plus et qu'elles refusent d'en supporter davantage sont accusées en termes moraux: « C'est le rôle de toutes les femmes que de panser les blessures du guerrier : l'épouse doit soigner son époux, la fille son père. » C'est ce que déclarent plusieurs parlementaires serbes.

Nous avons observé aussi une recrudescence de la violence de fils qui rentrent du front envers leur mère. Nous nous sommes occupées de plusieurs cas, en particulier de veuves, femmes divorcées ou séparées. Parfois cette violence devient insupportable et beaucoup de femmes affirment : « Je souhaite qu'on le rappelle au front pour pouvoir enfin être tranquille un certain temps. » Pour décrire la violence qu'elles subissent, elles comparent leurs fils « à ces assassins paramilitaires qu'on voit à la télé ».

Le syndrome de la violence post-journal

Dès le mois d'octobre 1991, nous avons perçu à SOS Téléphone un phénomène que nous avons appelé « post-journal ». Près de 90 % des médias en Serbie sont contrôlés par l'Etat, c'est-à-dire par ce même régime qui incite à la guerre, à la haine, à l'intolérance ethnique, qui fait une propagande franche et persistante contre les pacifistes, ces « traîtres », « défaitistes », ces « agents des services d'espionnage étrangers », etc.

C'est à 19 h 30 (heure locale) que commence tous les jours le journal télévisé le plus important, sur la première chaîne de télévision serbe. Et nous avons droit à la propagande la plus lugubre : séquences de combats, morts, blessés, massacres, etc. La victime est toujours le peuple serbe ; les Serbes ne sont et n'ont jamais été les agresseurs. Dans une enquête réalisée à Belgrade par des journalistes autonomes, sur les motifs d'enrôlement en tant que volontaires pour la guerre, 95 % des gens interviewés ont répondu : « Je ne supporte plus de voir à la télévision les souffrances qu'endure mon peuple impunément. » Beaucoup de femmes nous ont appris que c'est souvent après ces journaux télévisés que leurs maris les frappent pour la première fois, « après avoir vécu ensemble pendant vingt ans ». Pour la première fois, ils sortent le pistolet caché en déclarant qu'ils partent sur-le-champ, en tant que volontaires, « pour venger les leurs ». Après ces images de massacre, certains hommes frappent si violemment qu'ils provoquent souvent de graves lésions. Nous avons souvent été obligées d'appeler la police et les services médicaux.

Violence économique

La pauvreté économique galopante n'a fait qu'augmenter la violence familiale. Les femmes doivent subvenir aux besoins alimentaires avec de moins en moins d'argent ; ajoutons à cela le manque chronique de produits de base – farine, sucre, huile, etc. Ce sont les femmes qui font d'interminables queues pour acheter. Ces derniers mois, beaucoup de femmes nous appellent et confessent : « Je bois en cachette, boire m'aide à supporter ce poids insupportable. » Depuis l'application de l'embargo (fin mai 1992), la condition économique de la femme n'a fait qu'empirer. Il en est de même pour la violence. Déjà en juin 1992, plusieurs femmes nous ont expliqué que leur mari les maltraitaient encore plus « parce que l'usine (ou l'entreprise) fermait pour cause d'embargo ».

Pour cause de récession, de baisse de la production et d'embargo, un tiers des ouvriers sont en « vacances forcées » : environ 800 000. On compte officiellement 2,6 millions de travailleurs – dont 35 % sont des femmes -, et un million de chômeurs – dont 70 % sont des femmes.

Le régime prétend acheter la paix sociale avec de fausses promesses, du genre « vacances obligatoires », mais tout le monde sait que, très bientôt, ils seront licenciés. Les appels de femmes reflètent fidèlement la crise. Presque tous les hommes en « vacances » font du marché noir, de la contrebande. Et même là, les rôles sexuels sont divisés. Les femmes vendent, à peu près partout, des produits d'hygiène, des aliments, etc. Les hommes trafiquent avec les devises étrangères et le matériel technique. Après avoir passé la journée à essayer de vendre, les femmes rentrent vaquer à leurs tâches ménagères. Eux rentrent saouls : les femmes s'en plaignent souvent : « Il rentre saoul et souvent accompagné de “copains des bas-fonds”. »

Etant donné que les femmes travaillent principalement dans le secteur des services, elles ont été moins affectées par les licenciements massifs. Cependant, dans l'industrie textile où les femmes constituent 90 % de la main-d'oeuvre, 80 % d'entre elles ne travaillent plus. L'industrie textile engendre plus de 160 000 emplois. Après la fermeture annoncée d'autres usines textiles, 115 000 femmes seront désormais en « vacances obligatoires ».

Dans ce climat étouffant, les revues dites « féminines » culpabilisent encore plus les femmes avec des articles du genre : « A cause de l'embargo, des fermetures des usines, etc., les hommes sont de plus en plus déprimés, alors les pauvres se transforment en personnes assistées, ils végètent. Cette situation affecte beaucoup les hommes; c'est pour cela que les femmes doiven» être plus attentives aux besoins de leur maris. »

Violence fondée sur le racisme ethnique

Dans l'espace géographique yougoslave, le droit à l'autodétermination de la nation se voit réduit au droit de la formation d'Etats nationaux, où la nation majoritaire aurait le rôle prépondérant : un genre d'oligarchie nationale. Ce type d'Etat fondamentaliste colporte discrimination, marginalisation et exclusion de tout ce qui peut être différent, en termes ethniques, idéologiques et sexuels.

Les événements tragiques d'ex-Yougoslavie ont prouvé clairement que les procédés criminels de « nettoyage ethnique » ont été les vrais objectifs de la guerre et non pas seulement une conséquence. Il en est de même pour le monstrueux procédé de « pureté de la race ». Dans un pays qui était une mosaïque ethnique, religieuse et culturelle, ils ont voulu gommer toute trace de connivence, de projet commun, là où plus de 2,5 millions d'enfants sont nés de mariages mixtes et où les mariages mixtes représentaient de 15 à 80 % des mariages.

Le crime de « nettoyage ethnique » est bel et bien une décision délibérée prise par les oligarques nationaux. Ces crimes ont été commis délibérément dans les zones de fort métissage ethnique. C'est en Slovénie et en Bosnie-Herzégovine que les actions guerrières ont été les plus rudes. Tout ceci prouve clairement que les leaders nationalistes (Slobodan Milosevic, président de Serbie, et Franjo Tudjman, président de Croatie), ont orchestré un véritable « nettoyage ethnique » que l'on appelle cyniquement « transfert démographique » ou « échange de population ».

Donc, dans ce contexte politique et social, les femmes subissent cette violence pour des raisons d'appartenance à une ethnie particulière. Nous recevons beaucoup d'appels de femmes de toutes nationalités – Croates, Albanaises, etc., dénonçant les mauvais traitements dont elles sont victimes, pour des « motifs politiques » : « Il me frappe parce que suis Albanaise ; je ne peux pas revenir chez mes parents, ils étaient opposés à mon mariage avec un Serbe. »

Les femmes sont non seulement expulsées de leur famille, mais aussi de leur communauté : dans des Etats de fondamentalisme ethnique, les mariages « impurs » sont souvent sanctionnés. Voici un cas dont nous nous sommes occupées en novembre 1991 : une femme Croate et son mari Serbe, un officier de l'armée fédérale, vivant à Split (Croatie) sont expulsés. Son mari rejoint le front serbe. Du coup, elle se voit obligée de repartir pour Split. Elle passe en Voïvodine (Serbie) et là les autorités serbes lui refusent le retour chez elle, car son frère s'est enrôlé dans l'armée croate.

De même, les réfugiées subissent mille formes de violences. En Serbie, il y a 450 000 réfugiés dont 83 % sont des femmes. 96 % sont hébergées chez des parents, des amis ou des inconnus. L'Etat n'en recueille que 3 %. Ceci engendre d'autres problèmes pour les femmes. Les témoignages recueillis par SOS Téléphone démontrent cela à travers deux cas de figure :

1.– La famille d'accueil est celle du mari (non serbe) : toute la famille l'accuse plus ou moins ouvertement des crimes commis par les Serbes ;

2.– La famille d'accueil est celle de la femme (non serbe) : le mari menace constamment de les dénoncer aux autorités, leur fait du chantage et manifeste sa haine pour l'autre nation, aidé en cela par la télévision, l'idéologie et la guerre.

Le foyer est le lieu où la femme subit le plus fort degré de violence, où elle est le plus maltraitée, même par des hommes de la même ethnie qu'elle. L'idéologie de l'« autre » en tant qu'ennemi a réveillé l'ancestrale rancoeur : cet « autre », c'est la femme. C'est la haine primaire, celle qui précède toutes les autres. Il a été démontré que dans cette guerre, il n'y a pas de différence entre « agresseurs » et « défenseurs de la patrie ». Les femmes qui nous appellent maintenant comme avant la guerre insistent toutes sur le fait que le foyer est l'endroit le plus dangereux.

Les expériences de SOS Téléphone à Zagreb sont identiques aux nôtres. Nos copines de Zagreb nous ont signalé que les « défenseurs de la patrie croate » appellent peu, alors que leurs épouses le font de plus en plus. Cependant, nous avons remarqué que, autant à Zagreb qu'à Belgrade, les interventions de police répondant à nos appels se font de plus en plus rares en comparaison avec la période d'avant-guerre. Pourtant, la violence en général a augmenté partout. Mais désormais, la police refuse de venir en aide aux femmes victimes de violence conjugale. Ils expliquent qu'ils n'ont pas le temps, car ils ont « des affaires plus importantes et autrement plus graves à traiter » : assassinats, vols, armes à retrouver.

Viols commis par des hommes rentrant du front, bordels militaires, prostitution forcée

Les plaintes pour viol reçus à SOS Téléphone ont augmenté de 50 % depuis le début du conflit. De même pour le nombre de viols conjugaux, les viols dans les bars pour « guerriers », dans les camps de réfugiées, en s'échappant de leur foyer, de leur village, de leur ville : partout, le viol est devenu monnaie courante.

Dans les guerres qui font s'affronter les différents peuples yougoslaves, spécialement en Bosnie, on a connu les formes les plus sinistres de viol et de crime contre les femmes de toutes nationalités : bordels militaires, prostitution forcée, enlèvements, viols massifs dans les camps de concentration et les prisons privées, esclavage sexuel, etc.

L'opinion publique a été informée de ce genre de crime par les témoignages des réfugiées survivantes.

La propagande nationaliste, serbe autant que croate, voit cela comme une stratégie pour « annihiler leur nation ». Un communiqué des autorités serbes en Bosnie (Srpska republika BIH) affirme que ceci est le « plan d'action de la coalition musulmano-croate afin de détruire la reproduction biologique du peuple serbe ». La propagande croate, quant à elle, dit que « ceci fait partie du projet délibéré de l'idéologie serbo-tchetnik ».

Des deux côtés, on ne reconnaît que les viols subis par les femmes de « notre nation ». On occulte, on nie que les « défenseurs de la patrie », « nos gars », aient commis un quelconque crime contre les femmes d'autres nationalités. Ces crimes contre les femmes ne sont en fait que des instruments aux mains des politiciens nationalistes pour accuser « l'ennemi » et non pour défendre l'intégrité et la dignité des femmes. Les politiciens nationalistes des actuels régimes serbe ou croate se servent des souffrances des femmes qu'ils nomment en ces termes : « les pauvres », « ces malheureuses ». Comme s'ils étaient eux-mêmes des êtres supérieurs. Ils ont recours plus ou moins délibérément à la pratique du « victimisme » : nous craignons que, tel que le disait Kathleen Barry à propos du « victimisme », « les véritables agresseurs ne soient jamais châtiés ».

De même, l'opinion publique s'est inquiétée lorsque on a su qu'une grande partie des femmes violées étaient enceintes de plusieurs mois. Du coup, nous avons eu droit à des débats et à des discours moralisants du genre : « Autorisons ces malheureuses à avorter pour ne pas qu'elles aient à porter “la graine de l'ennemi” toute leur vie » ; bien que, pour ceux qui posent le problème ainsi, l'avortement est un crime.

A cause de certaines manipulations d'informations impartiales et unilatérales, du genre de réclusion à laquelle sont soumises les femmes (cliniques inaccessibles, refuges aux mains de l'Eglise, etc.), les informations que nous avons pu recueillir ne montrent peut-être pas les multiples dimensions du drame et de l'abus des femmes violées pendant la guerre, au-delà de leur appartenance ethnique.

Les viols contre les femmes pendant cette guerre confirment quelques opinions révélées au cours des enquêtes féministes : violer la femme de son ennemi est ressenti comme un trophée de guerre, comme une preuve de la haine que l'on ressent envers l'autre, qu'il soit nationaliste, adversaire ou rival. La presse qui, à quelques exceptions près, est nationaliste, ne dénonce que les viols qu'ont subis les femmes serbes en Bosnie ou en Croatie. Les cas de ce genre foisonnent : « 150 femmes serbes de Novo Grad (Bosnie) ont été enlevées pendant l'été, pour des bordels militaires (camps de concentration). Elles ont été violées par les paramilitaires musulmans et croates. Parmi elles des fillettes de dix ans. Lorsque les Serbes»sont venus libérer Novo Grad, les femmes ont demandé aux médecins d'Odzak de les avorter. » (Extrait du journal Revija-92 – Belgrade, 19 septembre 1992.)

Autre cas : Mirsada, jeune femme musulmane de Brezovo Polje (Bosnie) raconte que quarante femmes ont été violées lorsque les Serbes ont conquis le village en juillet dernier. Un de ces violeurs lui aurait dit: « Nous avons l'ordre de violer. » Les violeurs qui laissent la femme violée enceinte, s'appellent eux-mêmes « les étalons de feu ». (Extrait du journal indépendant de Belgrade Borba, 26 août 1992.)

Dans le cas où les femmes de l'ennemi ne peuvent être enlevées, les victimes peuvent être de n'importe quelle nationalité. En juin dernier, nous avons été mises au courant du cas d'un para-musulman (bérets verts) [l'auteur veut sans doute parler d'un « paramilitaire », membre d'une troupe irrégulière ; le même terme revient avec para-croate, ou oustachi, et para-serbe, ou tchetnik] qui recevait 100 Deutschemarks pour chaque autobus rempli de femmes enlevées, qu'il envoyait dans les camps-bordels. S'il ne pouvait remplir le bus de Serbes, il enlevait Croates et Musulmanes. « L'important, c'est que j'ai mes 100 Deutschemarks », disait l'homme à la télé.

Parfois, en certaines périodes et certains lieux particuliers de la guerre de Bosnie, les différentes parties s'allient. En particulier, les para-serbes et croates. Parfois, ils font la fête ensemble et se font des « cadeaux ». Ces cadeaux sont toujours des femmes, en l'occurrence des Musulmanes. Un tchetnik (para-serbe) raconte :

« Nous avons été du côté des oustachis (para-croates) à Ston, Kobiljaka (Bosnie), pour être corrects nous leur avons amené quatre « moutons » (femmes). Ils nous ont conduits dans une chambre où se trouvaient 70 Musulmanes, et l'oustacha m'a dit : “Choisis celle que tu veux, moi je garde les quatre que vous nous avez amenées, j'en donnerai au journaliste pour qu'il ne raconte rien de ce qu'il va voir. ” Je suis entré dans la chambre avec celle que j'avais choisie, et je lui ai demandé si elle avait faim. Je lui ai donné un kilo et demi de salami. Elle s'est jetée dessus et l'a mangé comme un animal, ensuite elle s'est déshabillée en me demandant : “Combien vont me violer, ce soir ? ” Elle avait les yeux éteints, et je lui ai demandé: “Combien t'ont violée, là-bas, dans l'autre pièce ?” Elle a répondu : “Plus de cinquante.” » (Extrait de Duga, revue nationaliste de Belgrade, 26 septembre 1992.)

Très souvent, après avoir violé une femme, le violeur la tue : « Je me souviens l'avoir violée après dix-neuf autres ; elle était écoeurante, pleine de sperme ; à la fin je l'ai tuée. » (Témoignage d'un réserviste de l'armée fédérale rentré du front, recueilli dans la revue indépendante Vreme, en décembre 1992.)

Les témoignages de viols dans les lieux publics ou en présence des membres de la famille sont fréquents. Il y a même des cas de bordels mobiles. Les paramilitaires circulent dans des zones pour capturer des femmes qui « approvisionnent » leur bordel. Dans plusieurs éditions du journal indépendant de Belgrade, Borba, on fait allusion à un homme qui s'appelle « Yougo » et qui se déplace d'un endroit à l'autre, « enlevant les femmes, autant les Serbes que les Croates ou les Musulmanes devenues esclaves. »

Nous, féministes, connaissons bien les « préoccupations » des hommes politiques pour les femmes violées et les manipulations dont elles font l'objet. Ils s'en servent aussi pour diviser les femmes de toutes les nationalités. Le réseau féministe yougoslave a dénoncé cela clairement, dès 1987. Depuis, bien entendu, beaucoup de choses ont changé. Pour commencer, on n'habite plus une fédération, mais plusieurs Etats différents. Mais nous essayons de conserver les liens de solidarité, de coopération de tendresse. C'est ainsi que dans une récente réunion de femmes à Praguois (octobre 1992), les femmes des organisations féministes de Belgrade, Ljubjiana, Kosovo, Zagreb se sont mises d'accord pour que les centres d'accueil aux femmes violées, s'ouvrent conjointement et que ces crimes soient inclus dans la Convention de Genève comme crimes de guerre.

Belgrade, novembre 1992

Stasa Zajovic (femmes en noir)
SOS Téléphone,Dragoslava Popovica 9/10
Tel./fax/ 19-385-11- 431 298 Belgrade


A N N E X E S. 2

I. – Les Mères Courage. – Les femmes résistent à la militarisation dans l’ex-Yougoslavie.

Nationalisme et reproduction.

Femmes soldates.

Le mouvement des mères.

II. – La guerre contre les femmes.

III. – La guerre vue du côté serbe. – L'espace de violence impunie.

 


[1]. Il y aurait ainsi 16 camps-bordels en Bosnie.

[2]. Hebdomadaire féministe allemand tirant à 200 000 exemplaires.