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Origine : Echanges mails
A N N E X E S
I. – Les Mères Courage. – Les femmes résistent
à la militarisation dans l’ex-Yougoslavie
Stasa Zajovic, Belgrade 1992
Pendant toute la période d'après-guerre, le seul
souci de la condition sociale des femmes a été réduit
en Serbie et dans toute la Yougoslavie à l'obsession de maintenir
le taux de natalité de la classe travailleuse et, quand le
thème du nationalisme a remplacé celui de la lutte
des classes dans le discours politique serbe, cette obsession a
été transférée à la Nation.
Lors de la « révolution anti-bureaucratique »
de 1987 – conduite par l'actuel président serbe Slobodan
Milosevic – une surprenante communauté s'est exprimée
dans la rue. Des foules criaient : « Nous voulons des armes
» dans tout le pays, unies dans une sorte de transe collective
par la haine et le désir de revanche pour la Serbie, nation
offensée.
Nationalisme et reproduction
Outre le culte du sang et celui de la terre, les nouveaux nationalistes
serbes ont ressuscité la figure de Mère Yougovitch,
mère de neuf enfants, souffrante, brave et stoïque,
offrant la vie de ses enfants à la patrie. La maternité
est vue comme une obligation et non plus comme un choix pour les
femmes dont la sexualité a été réglementée,
puis réduite à la procréation. La crise démographique
serbe est décrite comme « une des plus grandes tragédies
du peuple serbe », surtout quand on lui compare la «
contre-révolution démographique » – menace
perçue par la haute fécondité des Albanaises
de la province du Kosovo (un des plus hauts taux de natalité
d'Europe). Un des objectifs de la répression serbe au Kosovo
était justement le renversement de cette « tendance
» démographique. On a pu aussi noter l'augmentation
de l'usage des termes militaires (dits de « sécurité
nationale »). Les autorités militaires insistent maintenant
sur le fait que le taux de natalité serbe doit désormais
croître afin que la nation puisse se défendre lors
d'un conflit militaire contre d'autres peuples. Les femmes qui manquent
à leur mission doivent être blâmées. Un
politicien a notamment déclaré : « J'appelle
les femmes serbes à faire naître un autre fils afin
de s'acquitter de leur dette envers la nation. » Un autre,
Rada Trajkovic, de l'Association des Serbes du Kosovo, est même
plus explicite dans sa définition des mères comme
reproductrices de chair à canon : « Pour chaque soldat
tombé pendant la guerre face à la Slovénie
(juin 1991), les femmes serbes doivent enfanter 100 autres fils.
»
La manipulation des femmes par les autorités militaires
a commencé il y a déjà quelque temps mais les
exemples les plus clairs se trouvent lors d'assemblées tenues
par le « mouvement des femmes pour la Yougoslavie »
(lié aux partis militaristes et créé en 1990).
En février 1991, les femmes de ce mouvement ont publiquement
donné leur soutien au parti militariste JNA, disant qu'il
s'agissait de la seule force apte à sauver le pays. La hiérarchie
militaire a ainsi utilisé les femmes afin qu'elles montrent
leur approbation à l'effort de guerre pourtant contraire
aux intérêts propres des femmes. Avant la vague massive
de mobilisation pour la guerre civile, on savait dans certaines
régions du pays – comme au Monténégro,
connu pour ses traditions guerrières – que les hommes
devaient se préparer à donner leur vie pour la patrie,
toute défaillance remettant en cause leur dignité
masculine. On attendait des hommes qu'ils adhèrent aux traditions
nationales, approuvant l'idée que « durant la guerre
aucun Monténégrin ne peut être protégé
par une femme ».
Un parlementaire déclara d'ailleurs : « Nous, au Monténégro,
croyons qu'un homme qui se bat au front et qui se permet d'être
attiré à la maison par une femme fait aussi bien de
se suicider. » L'impression que les femmes gênent les
hommes pour remplir leur devoir national est renforcée par
les émissions de radio en provenance de Dubrovnik où
une grande proportion de Monténégrins se sont engagés.
Les soldats transmettent leurs salutations à leurs pères,
frères et copains, mais jamais à leurs femmes ou petites
amies. Heureusement, le nombre d'hommes qui désirent s'échapper
de cet univers guerrier et machiste est croissant et de plus en
plus ils n'ont aucune honte à être protégés
par leurs mères, femmes et soeurs.
Un comité de femmes s'est formé au Monténégro
en octobre 1991. « Nous nous élevons contre cette guerre
personnelle que les puissants commanditent depuis leurs bureaux.
Ils ont expédié leurs fils à l'étranger,
sur des terrains de tennis, tandis que nos fils continuent à
être envoyés de force vers le front et vers la»tombe.
Nous demandons que politiciens, militaires et leaders déments
démissionnent immédiatement afin de sauver ce pays.
»
Femmes soldates
L'augmentation du nombre des femmes dans l'armée n'est pas
l'indicateur d'une égalité sexuelle : il y a maintenant
des miliciennes ou soldates des armées nationales qui s'approprient
les plus brutales valeurs patriarcales. En Croatie, les miliciennes
serbes n'occupent pas de position hiérarchique importante,
le front appartient aux hommes. Quant aux femmes, selon leurs propres
dires, elles « se chargent des secteurs administratifs, des
services de communication et de santé ». « Nous
remplaçons les hommes qui sont partis combattre, mais nous
avons aussi subi un entraînement militaire et pouvons aider
les hommes à tout moment ». Les quelques femmes serbes
et croates qui se sont battues au front sont rapidement devenues
des figures mythiques confirmant ainsi ce que le patriarcat nous
a toujours enseigné : les femmes ne participent à
l'histoire que lorsqu'elles prennent des rôles masculins.
Les médias glorifient ces femmes comme héroïnes
lorsqu'elles tuent leurs ennemis. Si elles sont faites prisonnières,
les vainqueurs évoquent des « femmes monstrueuses ».
Le premier bataillon féminin de la guerre a été
créé à Glina, une ville majoritairement serbe
de Croatie rattachée à la Serbie en décembre
1991. Les femmes ont fait le serment de « se battre contre
tous les ennemis des Serbes sous la protection de Dieu »,
et on a pu entendre de la part d'officiers des réflexions
du type : « Si nos mères n'avaient pas été
des héroïnes, elles n'auraient pas pu donner naissance
à de si braves enfants. »
Les femmes patriotes se battent aussi à l'« arrière
». A Belgrade, des femmes confectionnent et réparent
chaussettes et chaussures pour que ceux du front aient toujours
chaud. Les médias pro-gouvernementaux se focalisent sur toutes
les preuves d'une mobilisation maternelle belliciste tout en occultant
le travail des femmes dans les comités anti-guerre. Nous
pensons que la majorité des femmes est du côté
de la paix. Elles sont convaincues qu'elles peuvent fournir une
alternative féminine historique, la non-violence à
la place de la violence, la vie au lieu de la mort, la vitalité
contre la destruction. Stana Pavic, une réfugiée d'un
certain âge venant d'un village serbe de Croatie, m'a confié
que si « nous, les femmes, avions pu nous unir comme eux [les
militaires], nous aurions pu négocier des accords de paix
en un rien de temps. »
Le mouvement des mères
A la fin de la guerre en Slovénie, début juillet
1991, les droits humains ainsi que tout le droit à la vie
étaient réduits en miettes dans toute la Yougoslavie.
Des femmes ont occupé la scène politique en réclamant
le droit à la vie. Le 2 juillet, une session parlementaire
a été perturbée par plusieurs centaines de
parents, notamment par des mères de conscrits. Il s'agissait
de la première action civile dans la capitale fédérale
contre la guerre et la première à protester contre
les abus de l'Etat, l'armée et le parti. Les manifestants/es
disaient : « Les hommes contrôlent la guerre et nos
fils. Nous ne leur donnons pas la permission de pousser nos fils
à s'entre-tuer. » C'est en tant que mères –
position qui pourtant marginalise les femmes – qu'elles ont
été amenées à participer activement
à la vie politique de la nation. La division patriarcale
entre le personnel et le politique n'a plus de sens, car durant
cette guerre, le personnel est devenu politique. Le mouvement des
mères possède tous les éléments pour
faire passer des nuits blanches aux militaristes.
D'un autre côté, le mouvement des mères a été
l'objet de différentes manipulations de la part des structures
politiques. Une partie de ce mouvement a été utilisé
aussi bien en Serbie qu'en Croatie pour les besoins de la propagande
patriotique. Il est facile d'utiliser les sentiments de mères
dont la vie des fils est en danger. Certaines mères de soldats
sont troublées, partagées entre les sentiments «
patriotiques » dont la propagande officielle les abreuve et
le désir de sauver leurs propres fils.
Les femmes yougoslaves sont reliées grâce au réseau
féministe de 1987, elles tentent de conserver une solidarité
et de continuer à planifier des actions communes, rejetant
ce qui soutient la politique de division et d'hégémonie.
Pendant les quatre derniers mois, les communications ont été
quasiment impossibles avec la fermeture des Postes, le blocage des
transports et la coupure des lignes téléphoniques
entre les républiques. Malgré ces obstacles, les féministes
– Serbes, Albanaises, Croates, Slovènes, Hongroises
et Monténégrines – se sont unies contre la guerre.
Des manifestations de protestation telles que celles, hebdomadaires,
de « femmes en noir » sont un élément
de leurs protestations.
Traduit de l'espagnol par Juley Howard (pour Peace News et Off
Our Backs)
Traduit de l'anglais par Fiametta Venner
II. – La guerre contre les femmes
Ce que taisent les correspondants de guerre : en Bosnie-Herzégovine
les femmes et les jeunes filles sont systématiquement violées
et torturées.
Un matin de printemps on entendit un appel à la radio serbe
: « A toutes les employées de l'usine textile de Prijedo
: il faut revenir à l'usine. La production reprend. »
Les travailleuses des trois équipes se dirigèrent
vers l'usine de la ville bosniaque de Prijedor, à mi-chemin
entre Zagreb et Split. Les portes se fermèrent derrière
elles. Depuis lors, ces femmes n'ont pu quitter l'usine : elles
y ont été retenues de force. Les soldats serbes ont
fait de l'usine un gigantesque bordel. Ils ont humilié et
violé les femmes, jour après jour, nuit après
nuit [1].
Personne n'a pu les aider. Les hommes sont à la guerre ou
en fuite. Les femmes âgées et les enfants ont saisi
un sac, un coussin ou une poupée et ont pris le chemin de
Zagreb ; ils campent sous des tentes devant la mosquée.
C'est là que nous avons rencontré Mojica. Mojica
(c'est ainsi que nous la nommerons, citer son vrai nom la mettrait
en danger) parcourt depuis des semaines et des mois le pays qui
s'appelait il y a peu encore la Yougoslavie, et rassemble des témoignages
; des témoignages sur ce qui est fait aux femmes pendant
cette guerre.
Mojica a 41 ans ; elle sait que la violence contre les femmes est
aussi à l'ordre du jour en temps de « paix »,
comme on dit. Depuis cinq ans, elle travaille à « SOS
Femmes violées », à Zagreb. Mais les informations
et les appels à l'aide qu'elle reçoit aujourd'hui
dépassent tout ce qu'elle pouvait imaginer.
Depuis le début de l'année, cette femme croate parcourt
avec une amie la Croatie et la Bosnie et interroge les gens, les
femmes violées, leur famille, les femmes médecins.
Les médecins se sont occupés de corps et d'âges
déchirés. Et elles ne savent que faire des femmes
enceintes qui ne veulent pas mettre au monde les enfants des violeurs.
Dans un hôpital de Zagreb se trouvent 120 femmes croates et
bosniaques enceintes de 5 ou 6 mois. Trop tard pour un avortement.
Beaucoup d'entre elles voudraient tuer l'enfant à sa naissance.
Mojica est désespérée. « Depuis 6 mois
je ne peux plus dormir. J'ai mal. Mais le monde doit savoir ce que
subissent les femmes ici. »
Mojica se sent seule. Elle ne peut partager sa douleur avec ses
amies serbes. Les coups de téléphone s'achèvent
en dispute. Une rencontre de féministes de l'ex-Yougoslavie,
qui a eu lieu à Rome au printemps, s'est terminée
en fiasco : les femmes serbes ne voulaient pas croire que leurs
pères, frères et époux aient pu faire cela
aux femmes croates, qui, il y a peu étaient encore des voisines
et des amies. A l'étranger aussi personne ne veut écouter
Mojica – les correspondants de guerre ne s'intéressent
pas à ce champ de bataille-là.
Emma [2] ne voulait pas se baser seulement sur les propos de Mojica
– il y a de trop grandes haines entre les peuples de l'ex-Yougoslavie,
le risque serait trop grand de contribuer à une propagande
haineuse. Emma s'est comme toujours souciée d'enquêter
auprès des réfugiées dans les camps autrichiens,
auprès des participantes des actions humanitaires, auprès
de collègues et partout nous avons entendu : c'est vrai,
ce que Mojica dit.
La cinéaste Helke Sander, qui a interviewé des réfugiées
bosniaques en Autriche, confirme : « Dans cette guerre il
y a eu des viols en masse. » Des femmes musulmanes ont osé
raconter devant sa caméra ces abominations. « Ces femmes
ne donnent pas l'impression d'avoir inventé des histoires.
» La cinéaste sait que dans toutes les guerres les
femmes sont les premières victimes. Elle a tourné
un documentaire de trois heures sur les femmes violées pendant
la Seconde guerre mondiale, Libérateurs et libérées,
qui va sortir à l'automne.
Seule une collègue yougoslave (croate) nous a avertie :
« Soyez prudentes. J'ai aussi entendu parler de ces camps
de viols. Mais nous n'avons pas encore pu trouver de véritables
preuves. »
Un conseil qui conviendrait bien à la presse allemande.
Ses comptes rendus étaient partiaux, du côté
des Croates – ce qui à l'étranger a été
interprété à la lumière du passé
commun des Croates et des Allemands : à l'époque de
Hitler il y a eu en Croatie des camps de concentration organisés
par les Allemands. Dans le seul camp de Jasenovac 200 000 Croates,
Juifs et Tziganes ont été torturés et tués.
Il est vrai aussi que des journalistes ont vu des combattants allemands
en Croatie, des néo-nazis, qui se sont empressés avec
enthousiasme de participer à cette guerre.
Mais l'injustice des uns ne fait pas le droit des autres. «
Les Serbes exercent une terreur brutale », explique la journaliste
de ZDF, Suzanne Gelhard, dans le livre qui vient de paraître,
A partir d'aujourd'hui c'est la guerre, « comme une vengeance
pour tout ce que les Croates ont fait autrefois aux Serbes ».
La vérité semble aussi simple que cruelle : des viols
ont été commis par les deux camps. Les Serbes ont
seulement eu davantage de possibilités. Les femmes de «
l'ennemi » sont du gibier. Même les hommes de troupe
de l'ONU font pareil : un Casque bleu canadien a violé à
Druvar (Croatie) une jeune fille de 17 ans, écrit le quotidien
de Zagreb Arena.
Voici par exemple Dana, 13 ans, musulmane de Prijedor en Bosnie.
Avec sa mère et ses soeurs, elle se tient jour après
jour devant la mosquée de Zagreb. Quand Mojica lui parle,
c'est sa mère qui répond. Sa fille, dit-elle, a été
violée à tel point que son sexe déchiré
saignait. Depuis, Dana n'a pas dit un mot.
Ou Mileva, Croate. Il n'y avait plus de place pour elle dans un
camp surpeuplé de Lipnic. Les soldats l'ont enfermée
deux mois durant dans une benne à ordure et ne la faisaient
sortir que pour la violer. Mojica l'a rencontrée. Amaigrie,
les cheveux coupés. « Savez-vous ce qu'il reste d'une
femme après un tel traitement? Moins que rien », dit-elle.
Ou Jana, une vingtaine d'années, Croate. Jana est morte.
Elle était enceinte de huit mois quand elle est tombée
aux mains des Tchetniks. Ils l'ont éventrée, ont arraché
le foetus et mis deux chats dans son ventre. Trop cruel pour être
vrai ? Mojica affirme : « J'ai interviewé une femme
médecin. C'est vrai. »
Mojica a écouté des heures durant des victimes et
des médecins, a enregistré des cassettes et des vidéos.
A l'aide de ces documents, les féministes de Zagreb ont un
but prioritaire : faire que les femmes violées soient reconnues
comme réfugiées selon la convention de Genève.
Les femmes médecins devraient, lors des autopsies de victimes,
rechercher les preuves d'un viol. « Le monde doit savoir.
C'est une guerre contre les femmes », dit Mojica.
Mais pour ces victimes de guerre il n'y a pas d'indemnisation.
« Mon fils est revenu blessé, une balle dans le ventre.
Il reçoit une pension », dit Mojica. Mais les victimes
de viol, dont les cuisses sont désarticulées et les
côtes fracturées, ne reçoivent pas un sou. Ce
sont elles les coupables – et elles doivent en avoir honte.
Pour les femmes musulmanes de Bosnie-Herzégovine, en particulier,
le viol est un déshonneur absolu, elles sont « déshonorées
», sans valeur pour le mari, le père, le frère.
Que leur restera-t-il si elles ont un enfant d'un Serbe, orthodoxe
ou catholique, ou communiste ? Seront-elles chassées par
leur famille, comme les femmes koweïtiennes qui ont mis au
monde des « bâtards de l'invasion » ? Seront-elle
tuées pour « effacer le déshonneur » ?
Les hommes musulmans, torturés par les « mécréants
», dont les filles ou les épouses ont été
violées, mises enceintes, seront-ils pris dans les filets
du fondamentalisme ? Déjà le chef religieux iranien,
l'ayatollah Kameini, parle avec triomphe de l'instauration d'un
« Etat islamique en Europe » et réclame à
la Conférence mondiale islamique « une action commune
pour les peuples opprimés de Bosnie-Herzégovine ».
Quelle réponse propose la gauche allemande ? Claus Leggevie
appelle dans le Tag à « Une reconstitution de l'alliance
de la guerre du Golfe » et à une opération militaire
en Serbie – comme si la guerre du Golfe avait laissé
derrière elle autre chose que des terres brûlées
et des êtres humains détruits.
Si la guerre se termine et que le fondamentalisme islamique misogyne
gagne de l'influence en Bosnie, alors la situation continuera à
être effrayante pour les femmes, même avec la «
paix ».
Ursula Ott, Emma, septembre 1992,
pp. 22-23. Traduction Claudie Lesselier
III. – La guerre vue du côté serbe.
–
L'espace de violence impunie
SOS Téléphone a été fondé en
1990. Les appels que nous recevons proviennent surtout de femmes
qui subissent la violence masculine (mari, père, fils, frère,
etc.). Cependant, avec la guerre, la violence s'est accrue. Bien
qu'en Serbie il n'y ait pas eu d'affrontements guerriers, les conséquences
de la guerre se sont fait sentir partout. Les armes circulent librement.
Il est très facile d'en obtenir, d'autant plus que les prix
sont très bas, pour des raisons de « compétitivité
». Avant la guerre, un tiers des hommes qui violaient menaçaient
les femmes de mort. Mais avec la guerre, ces menaces sont arrivées
à 100 %. Ce ne sont plus des menaces verbales, mais bel et
bien des menaces revolver à la main, ou avec une grenade.
Beaucoup de ceux qui sont revenus du front ne se séparent
plus de leurs armes. Ils dorment avec elles sous l'oreiller. Voici
quelques-unes de ces menaces, les plus courantes :
« Ce coup-ci je vais te tuer » ; « Je peux acheter
les armes les plus sophistiquées si je veux » ; «
Je tuerai ton fils, et toi aussi, et pour finir je me tuerai après
» ; « Une bombe ne coûte que cinq Deutschemarks
»...
« Il me menace avec une grenade que son copain lui a ramenée
du front »; « Il tire dans la maison, il y a des balles
partout dans les murs » ; « Le foyer est devenu son
nouveau front. » Le langage même des violeurs s'est
adapté à la situation de guerre : « Je vais
faire sauter ta maison, ton fils et toi avec » ; « Tu
vas voler en mille morceaux », etc. En fait, depuis que la
guerre a éclaté, les violeurs menacent les femmes
d'une façon qui reflète le climat de violence arbitraire
et brutale dont tout le monde peut être victime. Mais à
cette différence près : là, personne ne répond
des crimes commis : « La nuit obscure t'avalera. »
Certains hommes qui, avant de partir comme réservistes ou
parce qu'ils ont été mobilisés de force, ou
volontairement, dans ces groupes paramilitaires, étaient
déjà agressifs, sont revenus absolument insupportables.
La plupart d'entre eux consomment de plus en plus d'alcool, alors
que certains de l'avaient jamais fait. Les femmes qui nous appellent
nous disent : « Depuis qu'il est rentré du front, il
n'arrête pas de boire, et quand il n'a plus rien à
boire, il nous frappe, mes enfants et moi. »
La plupart de ceux qui rentrent du front doivent affronter de sérieux
problèmes psychiques ; d'après les études faites
par les psychologues de Belgrade, 60 % d'entre eux souffrent d'insomnie,
de fatigue permanente et de cauchemars. Nous, volontaires à
SOS Téléphone, avons reçu plusieurs appels
qui tendent à prouver cela : « Depuis qu'il est rentré
du front, il se réveille toutes les nuits, il creuse des
tranchées dans la chambre... »
Puisque les institutions sociales ne portent qu'une aide insignifiante
à ce genre de problème, c'est à nous, les femmes,
de nous en charger. C'est d'ailleurs le rôle que l'on considère
être le nôtre : « Il est dans la nature des femmes
de s'occuper des autres. »
Les femmes qui affirment ouvertement qu'elles n'en peuvent plus
et qu'elles refusent d'en supporter davantage sont accusées
en termes moraux: « C'est le rôle de toutes les femmes
que de panser les blessures du guerrier : l'épouse doit soigner
son époux, la fille son père. » C'est ce que
déclarent plusieurs parlementaires serbes.
Nous avons observé aussi une recrudescence de la violence
de fils qui rentrent du front envers leur mère. Nous nous
sommes occupées de plusieurs cas, en particulier de veuves,
femmes divorcées ou séparées. Parfois cette
violence devient insupportable et beaucoup de femmes affirment :
« Je souhaite qu'on le rappelle au front pour pouvoir enfin
être tranquille un certain temps. » Pour décrire
la violence qu'elles subissent, elles comparent leurs fils «
à ces assassins paramilitaires qu'on voit à la télé
».
Le syndrome de la violence post-journal
Dès le mois d'octobre 1991, nous avons perçu à
SOS Téléphone un phénomène que nous
avons appelé « post-journal ». Près de
90 % des médias en Serbie sont contrôlés par
l'Etat, c'est-à-dire par ce même régime qui
incite à la guerre, à la haine, à l'intolérance
ethnique, qui fait une propagande franche et persistante contre
les pacifistes, ces « traîtres », « défaitistes
», ces « agents des services d'espionnage étrangers
», etc.
C'est à 19 h 30 (heure locale) que commence tous les jours
le journal télévisé le plus important, sur
la première chaîne de télévision serbe.
Et nous avons droit à la propagande la plus lugubre : séquences
de combats, morts, blessés, massacres, etc. La victime est
toujours le peuple serbe ; les Serbes ne sont et n'ont jamais été
les agresseurs. Dans une enquête réalisée à
Belgrade par des journalistes autonomes, sur les motifs d'enrôlement
en tant que volontaires pour la guerre, 95 % des gens interviewés
ont répondu : « Je ne supporte plus de voir à
la télévision les souffrances qu'endure mon peuple
impunément. » Beaucoup de femmes nous ont appris que
c'est souvent après ces journaux télévisés
que leurs maris les frappent pour la première fois, «
après avoir vécu ensemble pendant vingt ans ».
Pour la première fois, ils sortent le pistolet caché
en déclarant qu'ils partent sur-le-champ, en tant que volontaires,
« pour venger les leurs ». Après ces images de
massacre, certains hommes frappent si violemment qu'ils provoquent
souvent de graves lésions. Nous avons souvent été
obligées d'appeler la police et les services médicaux.
Violence économique
La pauvreté économique galopante n'a fait qu'augmenter
la violence familiale. Les femmes doivent subvenir aux besoins alimentaires
avec de moins en moins d'argent ; ajoutons à cela le manque
chronique de produits de base – farine, sucre, huile, etc.
Ce sont les femmes qui font d'interminables queues pour acheter.
Ces derniers mois, beaucoup de femmes nous appellent et confessent
: « Je bois en cachette, boire m'aide à supporter ce
poids insupportable. » Depuis l'application de l'embargo (fin
mai 1992), la condition économique de la femme n'a fait qu'empirer.
Il en est de même pour la violence. Déjà en
juin 1992, plusieurs femmes nous ont expliqué que leur mari
les maltraitaient encore plus « parce que l'usine (ou l'entreprise)
fermait pour cause d'embargo ».
Pour cause de récession, de baisse de la production et d'embargo,
un tiers des ouvriers sont en « vacances forcées »
: environ 800 000. On compte officiellement 2,6 millions de travailleurs
– dont 35 % sont des femmes -, et un million de chômeurs
– dont 70 % sont des femmes.
Le régime prétend acheter la paix sociale avec de
fausses promesses, du genre « vacances obligatoires »,
mais tout le monde sait que, très bientôt, ils seront
licenciés. Les appels de femmes reflètent fidèlement
la crise. Presque tous les hommes en « vacances » font
du marché noir, de la contrebande. Et même là,
les rôles sexuels sont divisés. Les femmes vendent,
à peu près partout, des produits d'hygiène,
des aliments, etc. Les hommes trafiquent avec les devises étrangères
et le matériel technique. Après avoir passé
la journée à essayer de vendre, les femmes rentrent
vaquer à leurs tâches ménagères. Eux
rentrent saouls : les femmes s'en plaignent souvent : « Il
rentre saoul et souvent accompagné de “copains des
bas-fonds”. »
Etant donné que les femmes travaillent principalement dans
le secteur des services, elles ont été moins affectées
par les licenciements massifs. Cependant, dans l'industrie textile
où les femmes constituent 90 % de la main-d'oeuvre, 80 %
d'entre elles ne travaillent plus. L'industrie textile engendre
plus de 160 000 emplois. Après la fermeture annoncée
d'autres usines textiles, 115 000 femmes seront désormais
en « vacances obligatoires ».
Dans ce climat étouffant, les revues dites « féminines
» culpabilisent encore plus les femmes avec des articles du
genre : « A cause de l'embargo, des fermetures des usines,
etc., les hommes sont de plus en plus déprimés, alors
les pauvres se transforment en personnes assistées, ils végètent.
Cette situation affecte beaucoup les hommes; c'est pour cela que
les femmes doiven» être plus attentives aux besoins
de leur maris. »
Violence fondée sur le racisme ethnique
Dans l'espace géographique yougoslave, le droit à
l'autodétermination de la nation se voit réduit au
droit de la formation d'Etats nationaux, où la nation majoritaire
aurait le rôle prépondérant : un genre d'oligarchie
nationale. Ce type d'Etat fondamentaliste colporte discrimination,
marginalisation et exclusion de tout ce qui peut être différent,
en termes ethniques, idéologiques et sexuels.
Les événements tragiques d'ex-Yougoslavie ont prouvé
clairement que les procédés criminels de « nettoyage
ethnique » ont été les vrais objectifs de la
guerre et non pas seulement une conséquence. Il en est de
même pour le monstrueux procédé de « pureté
de la race ». Dans un pays qui était une mosaïque
ethnique, religieuse et culturelle, ils ont voulu gommer toute trace
de connivence, de projet commun, là où plus de 2,5
millions d'enfants sont nés de mariages mixtes et où
les mariages mixtes représentaient de 15 à 80 % des
mariages.
Le crime de « nettoyage ethnique » est bel et bien
une décision délibérée prise par les
oligarques nationaux. Ces crimes ont été commis délibérément
dans les zones de fort métissage ethnique. C'est en Slovénie
et en Bosnie-Herzégovine que les actions guerrières
ont été les plus rudes. Tout ceci prouve clairement
que les leaders nationalistes (Slobodan Milosevic, président
de Serbie, et Franjo Tudjman, président de Croatie), ont
orchestré un véritable « nettoyage ethnique
» que l'on appelle cyniquement « transfert démographique
» ou « échange de population ».
Donc, dans ce contexte politique et social, les femmes subissent
cette violence pour des raisons d'appartenance à une ethnie
particulière. Nous recevons beaucoup d'appels de femmes de
toutes nationalités – Croates, Albanaises, etc., dénonçant
les mauvais traitements dont elles sont victimes, pour des «
motifs politiques » : « Il me frappe parce que suis
Albanaise ; je ne peux pas revenir chez mes parents, ils étaient
opposés à mon mariage avec un Serbe. »
Les femmes sont non seulement expulsées de leur famille,
mais aussi de leur communauté : dans des Etats de fondamentalisme
ethnique, les mariages « impurs » sont souvent sanctionnés.
Voici un cas dont nous nous sommes occupées en novembre 1991
: une femme Croate et son mari Serbe, un officier de l'armée
fédérale, vivant à Split (Croatie) sont expulsés.
Son mari rejoint le front serbe. Du coup, elle se voit obligée
de repartir pour Split. Elle passe en Voïvodine (Serbie) et
là les autorités serbes lui refusent le retour chez
elle, car son frère s'est enrôlé dans l'armée
croate.
De même, les réfugiées subissent mille formes
de violences. En Serbie, il y a 450 000 réfugiés dont
83 % sont des femmes. 96 % sont hébergées chez des
parents, des amis ou des inconnus. L'Etat n'en recueille que 3 %.
Ceci engendre d'autres problèmes pour les femmes. Les témoignages
recueillis par SOS Téléphone démontrent cela
à travers deux cas de figure :
1.– La famille d'accueil est celle du mari (non serbe) :
toute la famille l'accuse plus ou moins ouvertement des crimes commis
par les Serbes ;
2.– La famille d'accueil est celle de la femme (non serbe)
: le mari menace constamment de les dénoncer aux autorités,
leur fait du chantage et manifeste sa haine pour l'autre nation,
aidé en cela par la télévision, l'idéologie
et la guerre.
Le foyer est le lieu où la femme subit le plus fort degré
de violence, où elle est le plus maltraitée, même
par des hommes de la même ethnie qu'elle. L'idéologie
de l'« autre » en tant qu'ennemi a réveillé
l'ancestrale rancoeur : cet « autre », c'est la femme.
C'est la haine primaire, celle qui précède toutes
les autres. Il a été démontré que dans
cette guerre, il n'y a pas de différence entre « agresseurs
» et « défenseurs de la patrie ». Les femmes
qui nous appellent maintenant comme avant la guerre insistent toutes
sur le fait que le foyer est l'endroit le plus dangereux.
Les expériences de SOS Téléphone à
Zagreb sont identiques aux nôtres. Nos copines de Zagreb nous
ont signalé que les « défenseurs de la patrie
croate » appellent peu, alors que leurs épouses le
font de plus en plus. Cependant, nous avons remarqué que,
autant à Zagreb qu'à Belgrade, les interventions de
police répondant à nos appels se font de plus en plus
rares en comparaison avec la période d'avant-guerre. Pourtant,
la violence en général a augmenté partout.
Mais désormais, la police refuse de venir en aide aux femmes
victimes de violence conjugale. Ils expliquent qu'ils n'ont pas
le temps, car ils ont « des affaires plus importantes et autrement
plus graves à traiter » : assassinats, vols, armes
à retrouver.
Viols commis par des hommes rentrant du front, bordels
militaires, prostitution forcée
Les plaintes pour viol reçus à SOS Téléphone
ont augmenté de 50 % depuis le début du conflit. De
même pour le nombre de viols conjugaux, les viols dans les
bars pour « guerriers », dans les camps de réfugiées,
en s'échappant de leur foyer, de leur village, de leur ville
: partout, le viol est devenu monnaie courante.
Dans les guerres qui font s'affronter les différents peuples
yougoslaves, spécialement en Bosnie, on a connu les formes
les plus sinistres de viol et de crime contre les femmes de toutes
nationalités : bordels militaires, prostitution forcée,
enlèvements, viols massifs dans les camps de concentration
et les prisons privées, esclavage sexuel, etc.
L'opinion publique a été informée de ce genre
de crime par les témoignages des réfugiées
survivantes.
La propagande nationaliste, serbe autant que croate, voit cela
comme une stratégie pour « annihiler leur nation ».
Un communiqué des autorités serbes en Bosnie (Srpska
republika BIH) affirme que ceci est le « plan d'action de
la coalition musulmano-croate afin de détruire la reproduction
biologique du peuple serbe ». La propagande croate, quant
à elle, dit que « ceci fait partie du projet délibéré
de l'idéologie serbo-tchetnik ».
Des deux côtés, on ne reconnaît que les viols
subis par les femmes de « notre nation ». On occulte,
on nie que les « défenseurs de la patrie », «
nos gars », aient commis un quelconque crime contre les femmes
d'autres nationalités. Ces crimes contre les femmes ne sont
en fait que des instruments aux mains des politiciens nationalistes
pour accuser « l'ennemi » et non pour défendre
l'intégrité et la dignité des femmes. Les politiciens
nationalistes des actuels régimes serbe ou croate se servent
des souffrances des femmes qu'ils nomment en ces termes : «
les pauvres », « ces malheureuses ». Comme s'ils
étaient eux-mêmes des êtres supérieurs.
Ils ont recours plus ou moins délibérément
à la pratique du « victimisme » : nous craignons
que, tel que le disait Kathleen Barry à propos du «
victimisme », « les véritables agresseurs ne
soient jamais châtiés ».
De même, l'opinion publique s'est inquiétée
lorsque on a su qu'une grande partie des femmes violées étaient
enceintes de plusieurs mois. Du coup, nous avons eu droit à
des débats et à des discours moralisants du genre
: « Autorisons ces malheureuses à avorter pour ne pas
qu'elles aient à porter “la graine de l'ennemi”
toute leur vie » ; bien que, pour ceux qui posent le problème
ainsi, l'avortement est un crime.
A cause de certaines manipulations d'informations impartiales et
unilatérales, du genre de réclusion à laquelle
sont soumises les femmes (cliniques inaccessibles, refuges aux mains
de l'Eglise, etc.), les informations que nous avons pu recueillir
ne montrent peut-être pas les multiples dimensions du drame
et de l'abus des femmes violées pendant la guerre, au-delà
de leur appartenance ethnique.
Les viols contre les femmes pendant cette guerre confirment quelques
opinions révélées au cours des enquêtes
féministes : violer la femme de son ennemi est ressenti comme
un trophée de guerre, comme une preuve de la haine que l'on
ressent envers l'autre, qu'il soit nationaliste, adversaire ou rival.
La presse qui, à quelques exceptions près, est nationaliste,
ne dénonce que les viols qu'ont subis les femmes serbes en
Bosnie ou en Croatie. Les cas de ce genre foisonnent : « 150
femmes serbes de Novo Grad (Bosnie) ont été enlevées
pendant l'été, pour des bordels militaires (camps
de concentration). Elles ont été violées par
les paramilitaires musulmans et croates. Parmi elles des fillettes
de dix ans. Lorsque les Serbes»sont venus libérer Novo
Grad, les femmes ont demandé aux médecins d'Odzak
de les avorter. » (Extrait du journal Revija-92 – Belgrade,
19 septembre 1992.)
Autre cas : Mirsada, jeune femme musulmane de Brezovo Polje (Bosnie)
raconte que quarante femmes ont été violées
lorsque les Serbes ont conquis le village en juillet dernier. Un
de ces violeurs lui aurait dit: « Nous avons l'ordre de violer.
» Les violeurs qui laissent la femme violée enceinte,
s'appellent eux-mêmes « les étalons de feu ».
(Extrait du journal indépendant de Belgrade Borba, 26 août
1992.)
Dans le cas où les femmes de l'ennemi ne peuvent être
enlevées, les victimes peuvent être de n'importe quelle
nationalité. En juin dernier, nous avons été
mises au courant du cas d'un para-musulman (bérets verts)
[l'auteur veut sans doute parler d'un « paramilitaire »,
membre d'une troupe irrégulière ; le même terme
revient avec para-croate, ou oustachi, et para-serbe, ou tchetnik]
qui recevait 100 Deutschemarks pour chaque autobus rempli de femmes
enlevées, qu'il envoyait dans les camps-bordels. S'il ne
pouvait remplir le bus de Serbes, il enlevait Croates et Musulmanes.
« L'important, c'est que j'ai mes 100 Deutschemarks »,
disait l'homme à la télé.
Parfois, en certaines périodes et certains lieux particuliers
de la guerre de Bosnie, les différentes parties s'allient.
En particulier, les para-serbes et croates. Parfois, ils font la
fête ensemble et se font des « cadeaux ». Ces
cadeaux sont toujours des femmes, en l'occurrence des Musulmanes.
Un tchetnik (para-serbe) raconte :
« Nous avons été du côté des oustachis
(para-croates) à Ston, Kobiljaka (Bosnie), pour être
corrects nous leur avons amené quatre « moutons »
(femmes). Ils nous ont conduits dans une chambre où se trouvaient
70 Musulmanes, et l'oustacha m'a dit : “Choisis celle que
tu veux, moi je garde les quatre que vous nous avez amenées,
j'en donnerai au journaliste pour qu'il ne raconte rien de ce qu'il
va voir. ” Je suis entré dans la chambre avec celle
que j'avais choisie, et je lui ai demandé si elle avait faim.
Je lui ai donné un kilo et demi de salami. Elle s'est jetée
dessus et l'a mangé comme un animal, ensuite elle s'est déshabillée
en me demandant : “Combien vont me violer, ce soir ? ”
Elle avait les yeux éteints, et je lui ai demandé:
“Combien t'ont violée, là-bas, dans l'autre
pièce ?” Elle a répondu : “Plus de cinquante.”
» (Extrait de Duga, revue nationaliste de Belgrade, 26 septembre
1992.)
Très souvent, après avoir violé une femme,
le violeur la tue : « Je me souviens l'avoir violée
après dix-neuf autres ; elle était écoeurante,
pleine de sperme ; à la fin je l'ai tuée. »
(Témoignage d'un réserviste de l'armée fédérale
rentré du front, recueilli dans la revue indépendante
Vreme, en décembre 1992.)
Les témoignages de viols dans les lieux publics ou en présence
des membres de la famille sont fréquents. Il y a même
des cas de bordels mobiles. Les paramilitaires circulent dans des
zones pour capturer des femmes qui « approvisionnent »
leur bordel. Dans plusieurs éditions du journal indépendant
de Belgrade, Borba, on fait allusion à un homme qui s'appelle
« Yougo » et qui se déplace d'un endroit à
l'autre, « enlevant les femmes, autant les Serbes que les
Croates ou les Musulmanes devenues esclaves. »
Nous, féministes, connaissons bien les « préoccupations
» des hommes politiques pour les femmes violées et
les manipulations dont elles font l'objet. Ils s'en servent aussi
pour diviser les femmes de toutes les nationalités. Le réseau
féministe yougoslave a dénoncé cela clairement,
dès 1987. Depuis, bien entendu, beaucoup de choses ont changé.
Pour commencer, on n'habite plus une fédération, mais
plusieurs Etats différents. Mais nous essayons de conserver
les liens de solidarité, de coopération de tendresse.
C'est ainsi que dans une récente réunion de femmes
à Praguois (octobre 1992), les femmes des organisations féministes
de Belgrade, Ljubjiana, Kosovo, Zagreb se sont mises d'accord pour
que les centres d'accueil aux femmes violées, s'ouvrent conjointement
et que ces crimes soient inclus dans la Convention de Genève
comme crimes de guerre.
Belgrade, novembre 1992
Stasa Zajovic (femmes en noir)
SOS Téléphone,Dragoslava Popovica 9/10
Tel./fax/ 19-385-11- 431 298 Belgrade
A N N E X E S. 2
I. – Les Mères Courage. – Les femmes résistent
à la militarisation dans l’ex-Yougoslavie.
Nationalisme et reproduction.
Femmes soldates.
Le mouvement des mères.
II. – La guerre contre les femmes.
III. – La guerre vue du côté serbe. –
L'espace de violence impunie.
[1]. Il y aurait ainsi 16 camps-bordels en Bosnie.
[2]. Hebdomadaire féministe allemand tirant à 200
000 exemplaires.
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