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Ex-Yougoslavie Ordre mondial et fascisme local
Chapitre 3
René Berthier
(1996)
Éditions Monde libertaire-Atelier de création libertaire-Reflex

Origine : Echnages mails

III. – MAIS QU'EST-CE DONC QUE LA BOSNIE-HERZÉGOVINE ?

La crise de l'ex-Yougoslavie fait couler beaucoup d'encre. Les opinions émises sont rarement le fait de personnes ayant séjourné là-bas ; et quand bien même, elles resteraient des points de vue d'hommes ou de femmes ayant observé pendant un court laps de temps des aspects partiels de la situation. On a pu aussi interviewer des habitants, réfugiés en France, de l'une ou l'autre nationalité de l'ex-Yougoslavie. Pour l'avoir fait, je sais qu'il est extrêmement difficile d'obtenir de réelles informations ayant une valeur générale : là encore, on a des opinions, qui, tout respectables qu'elles soient, restent insuffisantes.

Une autre approche peut aider à y voir plus clair, à condition de ne la considérer que comme une approche parmi d'autres. Un sociologue, Xavier Bougarel, a publié dans la revue Hérodote (n° 67, 4e trimestre 1992) un article à partir d'informations statistiques, démographiques, socio-économiques, « qui permettent d'avoir une opinion approximative et plausible sur certaines des origines de cette guerre, plus exacte et plus crédible en tout cas que les explications servies par les différents adversaires, et complaisamment relayées par certaines de »os plus illustres “figures» intellectuelles et médiatiques ». (Xavier Bougarel, « Bosnie-Herzégovine : anatomie d'une poudrière », Hérodote n° 67, p. 84.)

Les lignes qui suivent ne sont qu'une très sommaire synthèse de l'article de X. Bougarel, auquel j'adjoins à l'occasion quelques commentaires et interprétations personnels, qui n'engagent que moi. Il ne saurait être trop recommandé de se reporter directement au texte de Bougarel lui-même, ainsi qu'aux autres contributions du numéro 67 d'Hérodote.

Pas de groupe national majoritaire

La Bosnie-Herzégovine est une des républiques de l'ancienne fédération yougoslave, peuplée, avant le conflit, de 44 % de Musulmans, 35 % de Serbes et 17 % de Croates. Aucun groupe national de constituait une majorité de la population. C'était la république yougoslave la plus hétérogène : en Croatie, par exemple, les Croates représentent 77,9 % de la population, en Serbie : 65,8 %.

Notons que deux des trois nations peuplant la Bosnie-Herzégovine ont leur centre démographique ailleurs :

– 75,8 % des Serbes vivent en Serbie, 16,1 en Bosnie-Herzégovine ;

– 81 % des Croates vivent en Croatie, 16,5 en Bosnie-Herzégovine ;

– 83,6 % des musulmans vivent en Bosnie-Herzégovine, 10,4 en Serbie.

La Bosnie-Herzégovine n'était pas une république constituée de citoyens égaux, mais de nationalités égales en droits. C'était aussi la plus hétérogène sur le plan de sa composition nationale. En effet, dans les autres républiques, la nationalité la plus importante est largement majoritaire, ce qui n'est pas le cas en Bosnie. Mais c'est aussi la seule des républiques qui a connu en 50 ans un renversement du groupe national le plus important : en 1948 et en 1961, les Serbes étaient le premier groupe national ; à partir de 1971 ce sont les musulmans (39,6 %). On assiste donc à partir de cette période à une augmentation du nombre des communes où les musulmans sont majoritaires. Cette évolution peut en partie expliquer l'attitude des Serbes de Bosnie qui se sentent minorisés par une population qu'ils ressentent comme étrangère et qui est démographiquement plus « dynamique ».

Sarajevo et ses alentours, par exemple, était en 1948 à majorité serbe, ce qui n'était plus le cas au début de la guerre. Là encore, on a peut-être une explication du siège de la ville par les troupes serbes de Bosnie, qui entendent reprendre une ville qu'ils considèrent comme la leur, la capitale naturelle de la république serbe de Bosnie voulue par Karadzic.

Les communes musulmanes, qui étaient jusqu'alors coupées les unes des autres, se relient en Bosnie centrale et orientale et s'étendent vers des régions auparavant traditionnellement serbes ou croates.

Les Serbes ont subi une évolution inverse. En 1948 les Serbes et les Croates dominent dans des régions larges et cohérentes; en 1991 ces régions à majorité serbe ou croate se trouvent morcelées, réduites. Seuls quelques bastions apparaissent entiers : l'Herzégovine de l'ouest pour les Croates, des parties de la Bosanska Krajina pour les Serbes.

Migrations et problèmes sociaux

Il est intéressant de noter que c'est en Bosnie-Herzégovine que se trouvait le plus fort pourcentage de gens se déclarant « Yougoslaves », c'est-à-dire refusant les catégories nationales : 5,5 %, contre 2,2 en Croatie et 3,2 en Serbie, et que c'étaient les Musulmans qui se déclaraient le plus volontiers Yougoslaves. Ce fait s'explique aisément : la population musulmane est en effet traditionnellement urbaine, plus que les Serbes et les Croates.

« La tendance au regroupement vers le “centre démographique», souvent soulignée dans l'étude des mouvements migratoires en Yougoslavie, est commune aux trois nations constitutives de la Bosnie-Herzégovine ; la forte concentration territoriale des Musul»ans explique pourquoi cette tendance relative ne se manifeste pas comme une tendance absolue. Mais, dans la mesure où la Bosnie-Herzégovine ne constitue le “centre démographique» que pour l'une des trois nations constitutives de la Bosnie-Herzégovine, il est évident qu'un comportement similaire des trois groupes nationaux a des conséquences divergentes dans cette république, contribuant au renforcement relatif des Musulmans, d'une part, à l'affaiblissement relatif des Serbes et des Croates, d'autre part. » (Xavier Bougarel, « Bosnie-Herzégovine : anatomie d'une poudrière », Hérodote n° 67, p. 97.)

Par-delà les transferts de population opérés par la force, il semble donc qu'il y ait une tendance « naturelle » à des mouvements de population vers un regroupement en fonction de la nationalité, conduisant à terme à une homogénéisation (relative) des populations, processus valable pour la Bosnie-Herzégovine comme pour les autres régions. Le caractère foncièrement « multi-ethnique » de la Bosnie-Herzégovine est donc à relativiser considérablement au vu de ces mouvements de population, d'autant que les enquêtes révèlent que ni les Croates de Bosnie ni les Serbes – ceux qui entendent vivre dans le pays –, dans leur grande majorité, ne sont tentés par la création d'une entité spécifiquement bosniaque : leur allégeance va vers leur « centre démographique » respectif.

Mais ce qui est une tendance « naturelle » est présenté par les dirigeants serbes et croates comme le résultat d'une discrimination ou de pressions. L'argument est non fondé. En effet, la cause de l'émigration est essentiellement motivée par l'attrait pour des régions plus développées de la Yougoslavie. Le fait que les Serbes et les Croates de Bosnie-Herzégovine émigrent plus s'explique par le fait que leur population est plus rurale : c'est en réalité un banal exode rural. En outre, ils ont de plus grandes facilités d'insertion économique et sociale grâce aux réseaux familiaux et ethniques dans les régions qui sont leur « centre démographique ». « De ce point de vue, la sur-représentation des Serbes et des Croates dans les mouvements migratoires hors de Bosnie-Herzégovine témoigne peut-être plus d'une position relativement privilégiée au sein de la fédération yougoslave que d'une position relat»vement défavorisée en Bosnie-Herzégovine. » (Loc. cit, p. 98)

La grande majorité de la population de Bosnie-Herzégovine ne vit pas dans des communes homogènes, dans lesquelles une nationalité domine numériquement. On constate au contraire une réduction de la part de la population vivant dans de telles communes, ainsi que dans des communes hétérogènes, c'est-à-dire constituées d'un mélange des trois nationalités. Une partie majoritaire et croissante vit dans des communes bipolaires, où deux nationalités se font face.

Mutations démographiques

En cinquante ans, il y a eu de grands changements dans l'ordre d'importance de ces groupes nationaux par commune :

– 1948 : 47,5 % des Musulmans sont majoritaires dans leur commune ; en 1991, ils sont 82,3 % ;

– 1948 : 74,2 % des Serbes sont majoritaires dans leur commune ; en 1991, ils sont 50,2 %.

L'exode rural et la croissance des villes ont modifié les structures ethniques locales. En Bosnie, ce sont les Musulmans qui constituent la population la plus urbanisée. En Yougoslavie, les zones les plus homogènes sont les plus rurales ; les groupes minoritaires sont, par conséquent, ceux qui sont le plus tentés de s'installer en ville. Or, dans les campagnes bosniaques, ce sont les Musulmans qui sont minoritaires. L'exode rural, d'une façon générale, peut conduire par conséquent à homogénéiser certaines zones rurales, et, en Bosnie, à concentrer la proportion de Musulmans dans les villes.

Mais, par ailleurs, les villes sont les zones où se trouve le plus grand brassage de population ; ce n'est donc pas un hasard si c'est là qu'on trouve la plus grande proportion de personnes se déclarant « Yougoslaves ».

Le caractère multi-ethnique des campagnes ne doit pas faire illusion. Si on regarde une carte, on constate par exemple que dans certaines régions plusieurs groupes nationaux se côtoient. Cette hétérogénéité n'est qu'apparente : il s'agit le plus souvent d'une structure ethnique en « peau de léopard » : des villages homogènes mais de nationalités différentes voisinent, mais les populations ne se fondent pas.

La Bosnie-Herzégovine est la république de Yougoslavie où les peuples étaient le plus entremêlés. Cette situation constitue un handicap majeur pour toute tentative de solution dans le cadre de la logique nationale-étatique : « Historiquement comme géographiquement, les destins des trois peuples constitutifs de la Bosnie-Herzégovine restent donc intimement liés et de par la nature même de leur enchevêtrement, toute tentative de séparation ne pouvait déboucher que sur un atr»ce déchirement » dit Xavier Bougarel (loc. cit., p. 107), qui ajoute que cette communauté de destin n'était, pour beaucoup, pas perceptible : des gens habitant dans des régions ou des localités homogènes ont pu penser que la séparation pouvait se faire sans problème. Ceux qui vivaient dans des régions binationales ont pu percevoir les rapports en termes de face à face, non de coexistence. Enfin, les ruraux urbanisés et socialement déracinés ont pu interpréter l'hétérogénéité et la mobilité sociale dans les villes comme une insécurité, et assimiler homogénéité nationalitaire (ou « ethnique ») à stabilité sociale.

Autrement dit, la communauté de vie a pu paraître aux uns et aux autres comme une menace, la séparation comme un fait positif, sans qu'ils se rendent compte que leurs existences étaient mêlées, indissociables. Un peu comme cette municipalité française qui a tout fait pour que les immigrés partent, et qui s'est rendu compte, peu après, que la vie locale s'est effondrée : commerçants faisant faillite, impôts locaux en baisse, organismes sociaux en déficit faute de cotisants, etc., bref, le genre de catastrophe dont on ne réalise l'ampleur que lorsqu'il est trop tard...

En 1910, 91,1 % des propriétaires terriens ayant des ouvriers agricoles étaient Musulmans ; les paysans libres étaient constitués de 56,6 % de Musulmans. Aujourd'hui, les Serbes sont sur-représentés dans la paysannerie aisée ainsi que chez les employés et les fonctionnaires.

Les Musulmans sont peu représentés dans l'administration, mais sur-représentés dans catégories urbaines traditionnelles : artisans, commerçants, entrepreneurs privés, ouvriers. Leur activité est liée à l'économie capitaliste moderne, tandis que celle des Serbes est liée à la mise en place de l'appareil d'Etat et à la bureaucratie.

La composition nationale dans les catégories supérieures est, quant à elle, malaisée à déterminer, car c'est là que se trouve l'essentiel du groupe « yougoslave », refusant les catégorisations « ethniques ».

Exode rural, urbanisation, émigration, chômage, mutations sociales, le tout dans le contexte de l'effondrement du système communiste : ce sont là des phénomènes relativement ordinaires, même s'ils sont mal vécus par les populations qui les subissent. Malheureusement, les difficultés sont aggravées par le problème des nationalités. Mais, sur le fond, en Bosnie-Herzégovine, les rapports inter-ethniques se réduisent pour une large part à des rapports sociaux, dont la gravité est démultipliée par une surdétermination « ethnique ». « S'il est difficile d'imaginer une solution nationale à la crise actuelle, c'est aussi parce qu'au-delà des apparences ses origines ne sont peut-être pas essentiellement nationales, mais sociales et politiques », écrit Xavier Bougarel (loc. cit. p. 110).

Élections nationalitaires ?

On a présenté la victoire des partis nationaux comme une confirmation de la volonté des Bosniaques de toutes nationalités de rejeter la multi-ethnicité, la multiculturalité. Tout d'abord il semble que les résultats d'élections ne sont pas le meilleur moyen pour savoir ce qu'une population pense, sachant la distorsion qu'il peut y avoir entre la réalité sur le terrain et le vote. Cela ne peut être qu'une indication très vague, et encore, qui mérite d'être analysée avec prudence.

Le système électoral en Bosnie a été conçu par les anciens dirigeants communistes et devait faciliter leur victoire : il y avait une nette sur-représentation des campagnes qui, en Europe de l'Est, étaient « conservatrices », c'est-à-dire favorables aux anciens communistes. Or, en Bosnie-Herzégovine, le vote des campagnes a été nationaliste.

On a pu constater que les Musulmans ont voté de façon moins massive pour les candidats nationaux : leur vote a été moins homogène que les Serbes et les Croates. Les « partis citoyens », ceux qui considéraient l'individu-citoyen comme fondement de leur activité et non la nationalité, ont recueilli plus de voix dans les communes à majorité musulmane et dans les communes hétérogènes. Ce fait n'a, me semble-t-il, pas été relevé par les camarades qui ont souligné le caractère essentiellement national du vote en Bosnie pour justifier la mise « dos à dos » de tous les groupes nationalitaires du pays.

Mais on constate aussi que l'hétérogénéité du vote (c'est-à-dire un vote peu lié aux configurations nationales) est lié au degré de développement économique du lieu, phénomène qui concerne surtout les Musulmans, plus urbanisés. Selon le point de vue, on dira, par conséquent, que les Musulmans ont une conscience nationale sous-développée, ou une conscience politique développée (ce qui est, en passant, strictement la même chose...)

Les enquêtes constatent que les Musulmans ont une religiosité moindre que les deux autres groupes nationaux. En 1990, deux enquêtes furent faites pour déterminer la répartition confessionnelle de la population. Elles aboutirent à des résultats qui, à première vue, ne concordent pas :

   

 










Musulmans

Orthodoxes
 

Catholiques


Sans confession

 

1 ère enquête

(D. Pantic)

   %

28

22

 20

 29

 

2 ème enquête

(I.Bakic)

%

16,5

20

15

46

Les différences de résultats ne sont l'inanité des enquêtes, elles peuvent être la conséquence de la formulation des questions : par exemple on peut demander : « Quelle est la religion de la famille dont vous êtes issu? » (ou encore : « êtes-vous baptisé? » ou quelque équivalent à cette question), et dans ce cas on aura la première colonne ; ou encore : « Pratiquez-vous une religion? » et on aura la seconde colonne. C'est probablement quelque chose comme ça qui s'est passé.

Ces deux enquêtes indiquent que les Croates semblent être le groupe national le plus religieux, les Musulmans le moins religieux. A noter que le groupe « sans confession » est, dans les deux cas, le plus nombreux, et qu'il y a un grand écart entre le groupe national « musulman » (qui représente 44 % de la population) et ceux qui, dans les deux enquêtes, disent être de confession musulmane. Ce qui en dit long sur les arguments de ceux qui, ouvertement ou insidieusement mettent l'accent sur l'« islamisme » de la population musulmane.

Rejet des anciennes élites

Au-delà des apparences d'homogénéisation et de polarisation nationales des comportements électoraux, il y a en réalité de fortes motivations communes, d'ordre social et politique. Les différents groupes ont voté pour des candidats nationalistes n'appartenant pas à leur groupe. Cette attitude s'explique par l'hostilité aux anciennes élites dirigeantes : par exemple un électeur croate a pu voter pour un candidat musulman (ou toute autre configuration) parce que le candidat croate était un ancien communiste. Des députés, dont la nationalité était minoritaire dans certaines communes, ont obtenu une majorité de voix provenant d'électeurs d'une autre nationalité. Des députés ont aussi été élus par d'autres groupes nationaux parce qu'il n'y avait pas de candidat de leur groupe dans la commune. Il est donc simpliste, voire manipulateur, de présenter aux lecteurs peu au fait de la réalité, la situation en Bosnie comme un déferlement nationaliste, afin de justifier l'absence de prise de position sur le sujet.

On constate également une grande influence du niveau d'éducation sur les choix lors du vote, qui est déterminé par les différences de position dans la hiérarchie sociale et les différences dans l'autonomie de jugement. Ainsi, parmi les diplômés de l'enseignement supérieur, 16,7 % étaient favorables au renforcement des compétences républicaines en Yougoslavie (c'est-à-dire du pouvoir des républiques au détriment du pouvoir central) ; 72,4 % étaient pour le renforcement des compétences fédérales. 17,9 % seulement pensaient qu'il fallait tenir compte du critère national pour la nomination des cadres.

Les personnes issues de l'enseignement primaire préféraient, à 46,5 %, que les choses restent en l'état. Le conformisme social et l'absence de vision critique des diplômés du primaire reproduisait en fait l'idéologie de l'appareil bureaucratique de l'Etat.

Les diplômés du supérieur avaient une vision plus critique des rapports inter-ethniques, refusaient la domination du critère national : « ... quand le rejet des anciennes élites communistes sera devenu général en Yougoslavie et que le nationalisme représentera un nouveau point de ralliement pour un conformisme social en crise, les diplômés de l'enseignement supérieur seront, dans toute»la Yougoslavie, les plus nombreux à voter pour les partis de l'opposition non nationaliste. » (X. Bougarel, loc. cit., p. 134.)

Les habitants des communes hétérogènes pensent que les médias consacrent trop d'attention aux relations inter-ethniques et qu'il ne faut pas tenir compte de la clé ethnique dans les nominations de cadres. Il y aurait donc une similitude de comportement entre les diplômés de l'enseignement supérieur et les habitants de communes hétérogènes, qui ont l'expérience concrète de la vie en commun. En fait, il s'agit souvent des mêmes personnes, les diplômés de l'enseignement supérieur habitant les villes, milieux hétérogènes par définition. Mais il s'agit aussi, pour une large part, d'un phénomène similaire chez des personnes différentes.

En Bosnie-Herzégovine « l'homogénéisation et la polarisation des groupes nationaux ne sont donc pas nées de l'impossibilité d'une vie commune, mais de l'incapacité à en apercevoir l'existence », pense Xavier Bougarel.

L'arrivée des partis nationaux au pouvoir n'est en rien une rupture complète avec les élites et les modes de gouvernement de l'époque communiste : il s'agit d'une « conversion nationale de frustrations sociales et politiques » dans la continuité des pratiques de l'appareil bureaucratique communiste. Les partis nationaux au pouvoir perpétuent même, voire caricaturent « certaines pratiques de la période communiste, en particulier celle de la “clé nationale» dans la répartition des postes, des privilèges et des clientélismes. Dans ce contexte, l'exacerbation de la crise yougoslave ne pouvait se traduire que par une ho»ogénéisation et une polarisation sans cesse accrues des groupes nationaux en Bosnie-Herzégovine, et par le blocage progressif du système institutionnel et politique de cette république. » (Loc. cit, p. 138.) La situation serait par conséquent tellement bloquée que les groupes nationaux qui composent la Bosnie-Herzégovine sont engagés dans une logique qui pousse à abandonner toute idée de multi-ethnicité, de multiculturalité et à opérer des regroupements par nationalité, qui impliquent, par définition, l'occupation de territoires contigus et homogènes... donc la guerre.

Conclusion

Cette situation était-elle inévitable ? Pour répondre à cette question, il faudrait aborder la question des enjeux politiques, économiques et stratégiques au niveau international de la Yougoslavie. Potentiellement, la crise existait bien de façon « endogène », mais les facteurs déclenchants ont été multiples.

Un sociologue de l'Institut pour l'étude des relations interethniques de Sarajevo, cité par Bougarel, émet une idée qui éclaire la nature du conflit fratricide qui ensanglante aujourd'hui la Bosnie. Selon lui, il y a deux niveaux de relations inter-ethnique :

– la relation quotidienne des gens « dans leur milieu de vie et de travail » : « Les gens se sentent en sécurité même quand ils vivent dans un milieu dont la majorité n'appartient pas à leur nation, et ce dans l'actuelle crise politique des relations inter-ethniques. »

– et une relation politique, « quand ils évaluent les relations inter-ethniques à travers le discours politique » : alors, « plus de la moitié de la population interrogée craint que la détérioration politique des relations inter-ethniques (au niveau global) ne débouche sur une guerre fratricide ». (Ces lignes ont été écrites en 1990...)

Et I. Bakic ajoute que, « en dépit des relations qui se forment dans la vie quotidienne des gens, il n'est pas possible de développer des modèles de relations inter-ethniques démocratiques, et la méconnaissance ou la non-compréhension de cette réalité génère des tensions inte»-ethniques supplémentaires allant jusqu'à des affrontements qui pourraient devenir catastrophiques » (p. 122).

En d'autres termes, des individus de groupes nationaux différents vivent quotidiennement ensemble sans problème ; la peur de ce que pourraient faire les « autres » dans leurs choix politiques globaux, conduit chaque groupe national à des attitudes de peur, de repli et de rejet. Rien ne pourrait illustrer de façon plus éclatante l'absurdité du conflit qui ravage la Bosnie, et, d'une façon plus générale, l'absurdité de ces clivages nationaux qui divisent, engendrent la peur et la guerre.


III. – MAIS QU'EST-CE DONC QUE LA BOSNIE-HERZÉGOVINE ?

Pas de groupe national majoritare.

Migrations et problèmes sociaux.

Mutations démographiques.

Élections nationalitaires ?.

Rejet des anciennes élites.