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Bakounine Politique. – Révolution et contre-révolution en Europe centrale. René Berthier
CHAPITRE 2
L’INCONSISTANCE RÉVOLUTIONNAIRE DE LA BOURGEOISIE ALLEMANDE
Editions du Monde Libertaire, 1991

Origine : échange mails


En septembre 1818, trois ans après le congrès de Vienne [1], un groupe d’amis se rencontre à Aix-la-Chapelle, en territoire prussien. Ils y discutent de l’avenir de l’Europe pour les quelques décennies à venir. Il s’agit du roi Frédérick-Guillaume III de Prusse, de l’empereur François d’Autriche et d’Alexandre III, le tsar de toutes les Russies. L’empereur François est évidemment accompagné de son conseiller Metternich. Assistent également à la rencontre lord Castlereagh et le duc de Wellington qui représentent la Grande-Bretagne, et le duc de Richelieu qui occupe un strapontin pour la France. Tout le monde s’amusa bien, ce fut un « charmant congrès » aux dires de Metternich, dont les idées allaient dominer l’époque.

Après la tourmente de la Révolution française et des guerres napoléoniennes, il fallait créer un ordre nouveau fait de « sagesse, de raison, de justice et de correction », fondé sur la paix à l’extérieur, l’ordre à l’intérieur et reposant sur la puissance du monarque et l’obéissance du citoyen. Pour ècela, les monarques présents à la rencontre se promirent aide et assistance. En réalité, dit Bakounine, cette promesse signifiait qu’ils combattraient solidairement et impitoyablement toutes les manifestations de libéralisme en Europe en soutenant jusqu’au bout et par tous les moyens les institutions féodales frappées et anéanties par la Révolution, mais rétablies par la Restauration.

La charnière de cette politique est l’Autriche, un Etat plurinational gouverné grâce à la police, à l’armée et aux espions ; un Etat qui n’offrait guère de perspective à l’innovation tant intellectuelle que matérielle, où il n’y avait pas de procès publics, où les journaux et les livres étaient censurés, les écoles et les universités surveillées.

Dans Etatisme et anarchie, Bakounine cite les propres paroles que l’empereur prononça au cours d’une audience accordée aux professeurs du lycée de Laïbach :

« La mode est aujourd’hui aux idées nouvelles (...), et je ne puis, et ne pourrai jamais m’en féliciter. Tenez-vous en aux idées anciennes : elles ont fait le bonheur de nos aïeux, pourquoi ne feraient-elles pas le nôtre ? Je n’ai pas besoin de sujets savants mais de sujets obéissants. Les former, voilà votre devoir. Qui est à mon service doit enseigner ce que j’ordonne ; que celui qui ne le peut ou ne le veut s’en aille, sinon je le chasserai ... « (IV, 291.)

Bakounine ajoute que l’empereur tint parole. Jusqu’en 1848 régna en Autriche un arbitraire sans limites ; un système de gouvernement fut instauré qui « se donna pour tâche essentielle d’endormir et d’abêtir les sujets de sa majesté ». Toute vie politique avait cessé. La vie littéraire était tombée au niveau d’ouvrages d’amateurs. Les sciences naturelles, dit Bakounine, avaient pris cinquante ans de retard sur le niveau atteint dans le reste de l’Europe. L’agriculture, le commerce, étaient « dans une situation comparable à celle de la Chine ».

« S’appuyant sur ce royaume, Mettemich s’efforça trente années durant, de plonger toute l’Europe dans une situation semblable. Il devint la clé de voûte, l’âme, le guide de la réaction européenne et son premier souci fut évidemment d’anéantir toutes les tendances libérales qui se faisaient jour en Allemagne. » (IV, 291.)

Le projet européen de Metternich réussit. Le congrès d’Aix-la-Chapelle s’était déroulé à sa plus grande satisfaction. Le système monarchique restauré allait être efficacement défendu contre la montée des puissances révolutionnaires. Pourtant, la Révolution française et les guerres napoléoniennes avaient jeté dans l’Europe des germes de dissolution. En divers endroits on crie le mot Liberté. Et, alors que la politique de Mettemich visait à créer un monde où il n’y aurait plus de nations mais seulement des Etats, « Liberté » signifiait avant tout indépendance nationale. Cette question allait prendre un aspect d’autant plus important en Allemagne qu’elle allait se doubler du problème de l’unité nationale.

Les premiers combats de Bakounine se livreront au nom d’une révolution démocratique à caractère social, dans laquelle le combat pour l’émancipation nationale des Slaves tient une place prépondérante. Il n’est pas, en 1840, et de loin, l’anarchiste que l’on connaît. En cette première moitié du siècle, la lutte pour des réformes libérales en Allemagne passe pour un excès abominable. Bakounine, comme Marx, feront à leurs débuts partie de l’aile la plus à gauche de ce mouvement de réformes.

L’histoire de l’Allemagne depuis la Restauration est assimilée par Bakounine à l’histoire du libéralisme allemand, divisé en plusieurs périodes qui marquent les étapes de son évolution. En réalité, on s’aperçoit qu’il s’agit des étapes de la réalisation de 1"unité allemande sous la férule de l’Etat prussien. De 1815 à 1870, la Prusse va perfectionner son appareil administratif, financier et militaire tout en empêchant l’essor d’une bourgeoisie nationale autonome. Il y eut, dit Bakounine, un duel pendant cinquante-cinq ans entre la monarchie et le parti libéral-patriote « avec des résultats presque toujours semblables et toujours extrêmement lamentables pour les libéraux allemands ».

La première période du libéralisme allemand s’étend de 1815 à 1830 et se caractérise par la « gallophobie des romantiques tudesques ». L’Allemagne était alors, dit le révolutionnaire russe, la pierre angulaire de la réaction européenne, dont l’inspirateur était Metternich. Par Allemagne, il faut entendre ici l’ensemble des pays de langue allemande. La Sainte-Alliance ayant donné un caractère international à la réaction, les soulèvements dirigés contre elle pendant cette période le furent de même. C’était, de 1815 à 1830, la « dernière période historique de la bourgeoisie » [2].

Avec la remise en place des institutions de l’Ancien régime, la Restauration, en 1815, remet en cause les acquis de la Révolution. Un foisonnement de sociétés secrètes répond à la réaction monarchique. La liberté d’association et de réunion n’existait nulle part. Une société secrète découverte et anéantie était aussitôt remplacée par une autre. De nombreuses tentatives d’insurrection eurent lieu pour détrôner les Bourbons. En Espagne, à Naples, au Piémont, en Belgique, en Pologne, ainsi qu’en Russie, avec les Décembristes, les soulèvements eurent un caractère très sérieux. Beaucoup de sang fut versé. Mais que se passa-t-il pendant ce temps-là en Allemagne, demande Bakounine ? On ne relève deux « manifestations quelque peu marquantes de l’esprit libéral ».

Revenus de la guerre contre Napoléon, les étudiants étaient indignés de voir que les princes allemands avaient oublié les promesses de libéralisation qu’ils avaient faites au moment du danger. Les promesses de constitution faites par Frédérick-Guillaume III ont été oubliées. Les étudiants fondèrent des sociétés, appelées Burshenschaften, afin de délivrer les universités des vieilles associations d’étudiants réactionnaires. A la date du tricentenaire de la naissance de Luther, et du quatrième anniversaire de la bataille de Leipzig, cinq cents étudiants se réunirent à Wartbourg en réclamant l’unité allemande et protestant contre le particularisme et l’absolutisme des princes. Dans des discours vibrants, les orateurs déclarèrent que leurs espoirs avaient été déçus. L’atmosphère s’échauffe.

Le maître d’armes Ludwig Jahn, dirigeant des clubs du Tumvater Jahn, procède à un autodafé de livres contraires à l’« esprit allemand ». Le code Napoléon figure en bonne place parmi les livres lancés à la réfutation des flammes. Les princes allemands, effrayés de ce tapage, lancèrent une campagne de répression.

Comment Bakounine analyse-t-il les revendications de ces étudiants ? Ils ne songeaient pas, dit-il, à lever une main sacrilège sur un seul de leurs nombreux pères-souverains. Ils voulaient simplement un parlement national placé au-dessus des Diètes particularistes, et un empereur panallemand se situant au-dessus des princes-souverains. En somme, ils voulaient à la fois une confédération monarchique et un Etat puissant et indivisible : une « absurdité manifeste ».

En fait, suggère Bakounine, cette absurdité n’est qu’apparente. Elle provient d’un malentendu. Les Allemands ne réclament pas en même temps l’unité nationale et la liberté : « leur passion secrète, leur unique objectif, était la formation d’un grand Etat pangermanique ». On comprend donc que les Allemands n’aient jamais voulu de révolution populaire : « ... la puissance nationale ne peut dériver d’une révolution populaire, mais elle peut découler d’une victoire remportée par une classe quelconque sur le soulèvement du peuple », comme ce fut le cas en France.

Autrement dit, la constitution d’un Etat national unitaire et centralisé n’est pas une tâche qui incombe à la révolution populaire, c’est la tâche de la bourgeoisie. Malheureusement, cette classe, en Allemagne, n’a pas la volonté, le dynamisme de la bourgeoisie française de 1789, aussi son programme sera-t-il réalisé par l’Etat monarchique et sa bureaucratie.

En dehors des événements de Wartbourg, une seconde série d’événements se sont produits en Allemagne en cette année 1819, dit Bakounine. Un étudiant exalté assassine l’écrivain et homme politique August von Kotzebue, ancien conseiller du tsar pour l’Allemagne [3]. Un jeune pharmacien tente d’assassiner von Ibell, conseiller d’Etat réactionnaire de Nassau. Ces deux actes, dit Bakounine, « étaient foncièrement ineptes, car ils ne pouvaient avoir aucun effet utile » (IV, 301.). Mais ce fut le signal de la réaction la plus violente. En réalité, ces deux actes faisaient bien le jeu de Metternich, car ils lui donnaient l’occasion de passer à l’action. Il imposa les décrets de Karlsbad qui établirent une véritable chape de plomb sur tous les Etats allemands. En août 1819 la Prusse, l’Autriche, et d’autres Etats décidèrent de former à Mayence une « commission centrale » chargée d’enquêter sur les « actes de haute trahison ».

« Une série de mesures édictées par la Confédération germanique tordit le cou à ces pauvres libéraux réduits à l’état de serfs. On leur interdit les exercices de gymnastique et les chants patriotiques ; on ne leur laissa que la bière. » (IV, 303.)

Alors, l’Allemagne se calma et, « onze années durant, de 1819 à 1830, il n’y eut pas sur la terre allemande la moindre trace de vie politique ».

Le sentiment national, très développé dans la jeunesse allemande, avait, pour une grande part, vu le jour sous l’occupation française. La jeunesse s’était lancée avec enthousiasme dans la lutte contre Napoléon. A la bataille d’Iéna (1806) le royaume de Prusse s’écroule. Toute l’Allemagne est gouvernée par des préfets. Ce n’est que par l’intervention du tsar que l’existence politique du royaume de Prusse est préservée. Bakounine souligne que dans cette situation critique, des patriotes allemands, « instruits par les enseignements et l’exemple de la Révolution française, comprirent que la Prusse et l’Allemagne pouvaient être sauvées par de vastes réformes libérales ». C’est alors que Fichte, qui avait été chassé de l’université d’Iéna et qui fut accueilli à Berlin, commença ses cours par son fameux Discours à la Nation allemande, dans lequel il annonçait la future grandeur de son pays.

A vrai dire, si on en croit Bakounine, il n’y eut jamais de soulèvement national spontané contre les armées françaises. Ce n’est que lorsque Napoléon fut « battu à plate couture » et qu’il cessa d’être un danger que les Prussiens d’abord, puis les Autrichiens, se retoumèrent contre lui. Ce n’est qu’à ce moment-là que le roi de Prusse lança une proclamation appelant ses sujets à « s’insurger légalement ».

« Ecoutant la voix de leur père souverain, les Allemands, principalement la jeunesse prussienne, se soulevèrent et formèrent des légions qui furent incorporées à l’armée régulière. Mais un conseiller secret du roi de Prusse, espion notoire et délateur officiel, ne se trompait pas beaucoup lorsque, dans une brochure qui, publiée en 1815, indigna les patriotes allemands, il déclara, niant toute action spontanée de la nation dans la libération : “Les citoyens prussiens ne prirent les armes que lorsque leur roi leur en donna l’ordre ; il n’y eut là rien d’héroïque ni d’extraordinaire, mais simplement l’accomplissement du devoir de tout fidèle sujet". » (IV, 290.)

L’auteur de cette brochure est Theodor Schmalz, recteur de l’université de Berlin, un des plus réactionnaires hommes politiques de son époque. Dans De l’Allemagne, livre destiné à donner aux lecteurs français une vision moins idyllique et subjective que celui de Madame de Staël, Henri Heine ne parle même pas du soulèvement national de 1813. Ce qu’il dit ailleurs de ce soulèvement confirme le point de vue de Bakounine : les Prussiens ont attendu que l’hiver russe eût jeté à terre la Grande Armée pour oser l’attaquer.

A cette époque, en Allemagne, on se passionnait pour l’histoire du pays, on exaltait l’âme allemande. La jeunesse, qui avait quitté les champs de bataille, avait afflué dans les universités et découvrait la philosophie de Hegel ; les sociétés gymniques devenaient les foyers d’un nationalisme primitif et romantique pour lequel l’exaltation de la « virilité allemande » constituait la condition du redressement national.

Ironisant sur les aspects les plus outrés de ce nationalisme exacerbé, Bakounine dit que les manifestations du libéralisme allemand ne dépassaient pas les limites de la « rhétorique la plus naïve et en même temps la plus ridicule » :

« C’était l’époque du sauvage teutonisme. Fils de philistins et futurs philistins eux-mêmes, les étudiants allemands se représentaient les Germains d’autrefois tels que les décrirent Tacite et Jules César : des descendants des guerriers d’Arminius, habitants primitifs d’épaisses forêts. » (IV, 302.)

Comparé aux mouvements libéraux qui s’affirmaient dans le reste de l’Europe, le libéralisme allemand paraissait puéril et ridicule aux yeux de Bakounine. Même dans ses manifestations les plus éclatantes il était imprégné d’esprit d’obéissance et de fidélité au souverain, marque de l’impuissance de la bourgeoisie à réaliser un programme autonome.

Ce que Bakounine appelle un peu hâtivement la servilité de la bourgeoisie allemande est l’expression de l’absence de volonté politique de cette classe et de son impuissance à constituer un Etat unitaire. Or, le désir de confier à l’Etat la charge de réaliser l’unité nationale est perçu par les gouvernements eux-mêmes, par la Prusse et l’Autriche, comme de la révolte. Ces deux Etats, en effet, sont en situation de concurrence ; aucun n’étant en mesure de tirer à lui toute la couverture, chacun s’efforce d’empêcher l’autre d’accéder au « trône de Barberousse ». La répression, par chacun des deux Etats concurrents, de leurs propres libéraux n’est dont pas seulement causée par une opposition de principe aux thèses libérales, mais aussi par le souci d’empêcher l’opposition intérieure de se tourner vers l’Etat concurrent pour réaliser l’unité nationale. C’est cela, dit Bakounine, qui les pousse chacun de son côté à « réprimer comme une manifestation du libéralisme le plus extrême, le désir commun à tous les Allemands de fonder un puissant Etat unitaire ». (IV, 303.)

La situation se complique encore par l’intervention étrangère « Jusqu’à une date récente, c’est-à-dire jusqu’à la guerre de Crimée, la politique de la Russie consistait à entretenir systématiquement la rivalité entre l’Autriche et la Prusse (de manière qu’aucune de ces deux puissances ne puisse l’emporter sur l’autre), et à exciter en même temps la méfiance et la crainte dans les petits et moyens Etats allemands, tout en les protégeant contre l’Autriche et la Prusse. » (IV, 296.)

C’est peu après la fête de Wartbourg qu’eurent lieu les attentats contre Kotzebue et von Ibell. Les associations patriotiques furent dissoutes ; de nombreux professeurs, dont Schleierinacher, furent placés sous une très stricte surveillance. Le professeur Amdt fut suspendu de ses fonctions. C’était l’auteur d’un chant patriotique, « Où est la patrie de l’Allemand », qui eut un énorme succès et que Bakounine qualifie d’hymne pangermanique. « La liberté, dit-il, n’inspire que très médiocrement ces chanteurs du patriotisme allemand. On dirait qu’ils n’en font mention que par décence. Leur enthousiasme sérieux et sincère appartient à la seule unité. » (VIII, 65.)

Par la répression et la censure, toutes les idées subversives provenant de l’Ouest de l’Europe furent arrêtées aux frontières. Il s’agissait d’un véritable blocus des idées, qui dura jusqu’en 1830. Le calme revint très rapidement. Metternich avait gagné. De Berlin à Naples, le bloc d’Europe centrale dont il rêvait était devenu une réalité. Les Burschenschaften se « soumirent sans murmure et onze années durant, de 1819 à 1830 il n’y eut pas, sur la terre allemande, la moindre trace de vie politique » [4]. (IV, 303.) Wilhelm Müller, un historien libéral auquel Bakounine se réfère souvent, s’étonne de la facilité avec laquelle fut obtenu cet apaisement. Faut-il encore d’autres preuves, dit-il, qu’en Allemagne le terrain ne convient pas à la révolution ?

Les tendances générales de cette époque du libéralisme allemand sont résumées de façon saisissante dans Etatisme et anarchie :

« La gallophobie était devenue une épidémie générale en Allemagne. La jeunesse universitaire se mit à se vêtir comme ses ancêtres, à l’instar de nos slavophiles des années 40 et 50, et à éteindre sa juvénile ardeur en s’abreuvant de bière ; d’autre part, les duels continuels, se terminant d’ordinaire par des estafilades au visage, attestaient sa bravoure guernere. Quant à son patriotisme et à son pseudo-libéralisme, elle l’exprimait et le satisfaisait avec plénitude en hurlant des chants patriotiques et guerriers ou l’hymne national : “Où est la patrie allemande ?”, chant prophétique de l’Empire germanique aujourd’hui réalisé ou en train de naître, tenait bien entendu la première place. » (IV, 302.)

En Allemagne, le romantisme et l’exaltation patriotique se mariaient bien. Là comme ailleurs, le romantisme était né d’une réaction contre l’esprit du XVIlle siècle qui avait produit la Révolution française. A la Raison et à la logique de l’époque classique on donne la préférence à l’intuition et à la passion. A l’homme social dont se préoccupaient les philosophes des Lumières, les romantiques substituaient l’individu isolé. Alors que les Encyclopédistes dédaignaient le passé et se préoccupaient de préparer un avenir meilleur, les romantiques se détournent de la vulgarité du présent et se réfugient dans un passé idéal.

Les adversaires de la Révolution considéraient donc naturellement avec sympathie cette nouvelle école littéraire. L’alliance entre la politique ancienne et la littérature nouvelle semblait évidente, du moins au début. Mais ces convergences ne durèrent pas. Les romantiques ne tardèrent pas à exprimer des sympathies pour la Révolution. Victor Hugo écrit en 1830 que « le romantisme, c’est le libéralisme en littérature ». Pourtant, en Allemagne le romantisme a un contenu différent. Il n’évolue pas vers la contestation des institutions sociales. Il n’est qu’un prolongement culturel de la Sainte-Alliance. Son rôle réactionnaire atteint son apogée dans les années 40 sous le règne de Frédérick-Guillaume IV, précisément aux débuts de l’activité politique de Bakounine et de Marx.

Franz Mehring, le biographe de Marx, fait une analyse intéressante du romantisme allemand dans son introduction aux oeuvres de Heine :

« L’école romantique était née comme une expression littéraire de la réaction féodale, arme de l’Europe de l’Est contre l’assaut révolutionnaire de la France ; sa naissance la condamnait à ne connaître d’autre monde pour ses idéaux et ses rêves que la “magie du clair de lune” du Moyen Age ; c’était là sa nature intime et non un caractère fortuit, auquel de bons conseils auraient pu la faire renoncer. Mais l’école romantique ne se réduisait pourtant pas pour cela à être un produit de la réaction féodale ; elle était marquée de cette même double nature que, en général, le mouvement des peuples qui a abattu Napoléon ; elle a incarné, si restreinte qu’en fût la portée et si déformée qu’en fussent les conditions, une renaissance nationale ; et, dans cette mesure même, elle a constitué un progrès décisif sur la littérature classique [5]. »

Mehring conclut que ce n’était pas le peuple qui avait vaincu à Leipzig et à Waterloo, mais les princes, et que le romantisme, au service de ces derniers, dégénéra complètement.

La genèse du romantisme en Europe, telle que la perçoit Bakounine, mérite également d’être mentionnée. Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, dit-il, la philosophie avait élevé le drapeau de l’athéisme et du matérialisme ; pourtant, deux hommes vont servir efficacement les intérêts de l’obscurantisme dans sa version laïque : Rousseau et Robespierre (Cf. VIII, 139). Rousseau est le vrai créateur de « la réaction modeme, il représente le vrai type de l’étroitesse et de la mesquinerie ombrageuse, de l’exaltation sans autre objet que sa propre personne, de l’enthousiasme à froid et de l’hypocrisie à la fois sentimentale et implacable, du mensonge forcé et de l’idéologisme moderne. » Il est en apparence l’écrivain le plus démocratique du XVIIIe siècle, mais en lui couve le « despotisme impitoyable de l’homme d’Etat ». Il est le prophète de l’Etat doctrinaire, comme Robespierre en est le grand prêtre.

C’est au nom de l’être suprême, le « Dieu abstrait et stérile des déistes », que Robespierre guillotina les hébertistes, puis le génie lui-même de la Révolution, Danton, « dans la personnalité duquel il assassina la République ». Dès lors, le triomphe de la dictature de Bonaparte était devenu inévitable. Alors, la « réaction idéaliste chercha et trouva des serviteurs moins fanatiques, moins terribles, mesurés à la taille considérablement amoindrie de la bourgeoisie de notre siècle à nous ». En France, ce furent Châteaubriand, Lamartine et Victor Hugo, et à leur suite « toute la cohorte mélancolique et sentimentale d’esprits maigres et pâles qui constituent, sous la direction de ces maîtres, l’école du romantisme moderne. En Allemagne, ce furent les Schlegel, les Tieck, les Novalis, les Wemer, ce fut Schelling, et tant d’autres encore dont les noms ne méritent pas même d’être nommés. » (VIII, 140.)

« La littérature créée par cette école fut le vrai règne des revenants et des fantômes. Elle ne supportait pas le grand jour, le clair-obscur était le seul élément où elle pût vivre. Elle ne supportait pas non plus le contact brutal des masses ; c’était la littérature des âmes tendres, délicates, distinguées, aspirant au ciel, leur patrie, et vivant comme malgré elles sur la terre. Elle avait la politique, les questions du jour, en horreur et en mépris ; mais lorsqu’elle en parlait par hasard, elle se montrait franchement réactionnaire, prenant le parti de l’Eglises contre l’insolence des libres penseurs, des rois contre les peuples, et de toutes les aristocraties contre la vile canaille des rues. » (VIII, 139-140.)

Au milieu des nuages dans lesquels vivait cette école, conclut Bakounine, on ne pouvait distinguer que deux points réels : le développement rapide du matérialisme bourgeois et le déchaînement effréné des vanités individuelles. Si on peut difficilement qualifier Victor Hugo d’esprit maigre et pâle, la description que donne Bakounine du romantisme est intéressante en ce sens qu’elle traduit parfaitement ce qu’il pensait de l’intelligentsia allemande et d’une façon générale des libéraux allemands, qui se révélèrent, au moment de l’action, en 1848, comme de « fieffés réactionnaires ». On retrouve aussi dans ce passage un écho de son analyse de la pensée de Hegel qui, « n’atteignant pas le ciel et ne touchant pas la terre », rendait ses adeptes inaptes à la vie. On remarque cependant que Hegel n’est pas mentionné explicitement : la philosophie hégélienne tient en effet une place tout à fait à part dans le jugement que porte Bakounine sur la pensée allemande.

Dans toute l’Europe – sauf en Allemagne, précise le révolutionnaire russe – la bourgeoisie représente le génie révolutionnaire de l’histoire depuis la Renaissance et la Réforme. Le génie de la bourgeoisie est précisément d’avoir su développer ses idées au nom de l’humanité entière, et d’avoir su également s’appuyer sur « le bras puissant du peuple », ce que, on verra, n’a jamais pu ni même voulu la bourgeoisie allemande.

Après la Révolution, la bourgeoisie française se scinda. Il se constitua un puissant parti d’acquéreurs de biens nationaux qui s’appuya non plus sur le prolétariat des villes mais sur la paysannerie, qui était devenue pour une grande part propriétaire. Ce parti, aspirant à la paix, à l’ordre public, soutint tout naturellement Bonaparte. La Restauration, en ramenant la monarchie légitime, la puissance de la noblesse et de l’Eglise, rejeta la bourgeoisie vers la révolution, mais vers un « révolutionnarisme quelque peu réchauffé », précise Bakounine. Après 1830, la grande bourgeoisie remplace définitivement la noblesse au pouvoir et se tourne de nouveau vers la religion. Ce ne fut pas, de sa part, « une simple singerie des moeurs aristocratiques, c’était une nécessité de position ».

En aidant la bourgeoisie à renverser une fois de plus la noblesse, le prolétariat avait rendu un dernier service à ses exploiteurs. Maintenant, il fallait se débarrasser de l’alliance du peuple et remettre ce dernier à sa place. Pour imposer sa domination, la bourgeoisie avait besoin de « la reconnaissance morale de son droit », pour reprendre une expression de Bakounine. Plus que jamais, la bourgeoisie triomphante sentit que « la religion était absolument nécessaire pour le peuple » (VIII, 142).

En Allemagne la situation était différente. Les rapports entre les classes y étaient tout à fait originaux. Bakounine montre fort bien qu’il y a un chevauchement entre le système féodal et le système capitaliste. La noblesse n’a pas de puissance séparée de l’Etat, elle n’en est que le serviteur privilégié. Il s’agit d’un Etat despotique qui opprime la bourgeoisie mais qui « mène une politique nécessairement favorable au développement des intérêts bourgeois et de l’économie moderne » (VIII, 155). Si l’Etat moderne signifie un Etat gouverné par les bourgeois, dit Bakounine, alors l’Allemagne n’est pas moderne. En fait, le révolutionnaire russe montrera que l’exercice du pouvoir par la bourgeoisie ne constitue pas une condition indispensable de sa domination économique et sociale, que les schémas de la Révolution française ne sauraient être mécaniquement appliqués à la révolution allemande.

Le premier coup porté 4 la Sainte-Alliance eut lieu en 1830. Le roi de France est chassé de son trône. La révolution éclate en Belgique et en Pologne. L’Italie s’agite. La guerre civile fait rage en Espagne. L’Allemagne se réveille. Les chancelleries allemandes s’inquiètent. Bakounine souligne la fragilité de l’édifice politique qui régnait à l’époque dans les pays allemands. Malgré tous les signes extérieurs de force militaire, les gouvernements manquaient de foi en eux-mêmes : ils savaient que les Allemands aspiraient au changement, qu’ils s’étaient sentis dépossédés de leurs revendication à un Etat unitaire et à une patrie.

C’est alors que commence la deuxième période du libéralisme allemand (1830-1840) selon la classification de Bakounine, au cours de laquelle les Allemands « cessent de manger du Gaulois ».

Cette période va voir s’accroître les germes de dissolution dans la société allemande et la « désaffection envers leurs gouvernements », que Bakounine avait signalée en 1842 dans La Réaction en Allemagne. A cela, il voit, en 1872, deux raisons :

l.- Alors que la Révolution de Juillet avait anéanti les vestiges de la domination féodale et cléricale en France, et qu’en Angleterre les « réformes libéralo-bourgeoises » triomphaient, la bourgeoisie voit ses positions s’affirmer partout en Europe, sauf en Allemagne. Le parti féodal y est au pouvoir et détient « tous les postes élevés et une grande partie des postes subalternes » dans l’administration et dans l’armée. Bakounine évoque l’arrogance de cette aristocratie et rappelle le mot du prince de Windischgraetz : « L’homme commence au baron. » [6] (IV, 304.)

La contradiction fondamentale de la situation est que l’aristocratie, politiquement prépondérante, a en face d’elle une bourgeoisie nettement supérieure « tant du point de vue de la richesse que par son degré de culture ». Pourtant, malgré quelques timides tentatives, la bourgeoisie ne parvient pas à secouer le joug de la noblesse.

2.- La deuxième cause de la désaffection vient de l’incapacité des gouvernements à réaliser l’unité nationale, « à ce que l’Allemagne s’unifiât dans un Etat fort ». Tous les patriotes allemands « se sentaient blessés dans leurs intérêts politiques et bourgeois ». Les gouvernements allemands, dit enfin Bakounine, « n’avaient plus la confiance de leurs sujets ». (IV, 304.) Ce n’est donc pas en Allemagne, mais en Belgique, qu’eut lieu le basculement le plus important de l’équilibre des forces international. Mais ce basculement n’aurait pas été possible, on le verra, sans la Pologne.

Lors du congrès de Vienne, la Belgique, c’est-à-dire les anciens PaysBas espagnols, puis autrichiens, plus l’ancienne principauté de Liège, ont été rattachés aux Pays-Bas septentrionaux pour former le Royaume des Pays-Bas. Le 25 août 1830, une émeute éclate à Bruxelles, qui tourne à l’insurrection et fait tâche d’huile. Les autorités, affolées, sont paralysées. La population s’arme et s’organise. Un fait mérite d’être souligné concernant le déroulement de cette révolution : les éléments bourgeois se substituent immédiatement, pour ainsi dire sans à-coup, sans « période de transition », aux fonctionnaires royaux, dans l’administration et les instances du pouvoir. Il ne s’agit cependant pas d’une révolution pacifique. Des armées hollandaises sont envoyées, qui sont tenues en échec par les insurgés. Le 25 septembre, un gouvernement provisoire est formé.

A bien des égards, il s’agit d’une révolution exemplaire. Mais exemplaire aussi est le fait qu’en dernière instance, elle ne doit son succès qu’à une conjoncture internationale extrêmement favorable en même temps que fugace. L’une des combinaisons les plus subtiles du congrès de Vienne est renversée. A l’initiative de l’Angleterre, un congrès se tient à Londres où sont représentées les puissances participantes du congrès de 1815.

En réalité, les Belges sont largement redevables de leur indépendance aux Polonais. La révolution qui a éclaté en Pologne paralyse momentanément la Russie, la Prusse et l’Autriche, qui s’étaient partagé ce malheureux pays. L’Autriche, de plus, était fort occupée par les troubles qui se déroulaient en Italie. C’est donc à contre-coeur que Mettemich avait dû reconnocitre l’indépendance de la Belgique. Il se rattrapa en menant une action extrêmement énergique en Italie, où des soulèvements avaient eu lieu dans les Etats pontificaux. Mais, surtout, la réaction s’abattit en Allemagne même où on tenta par tous les moyens d’extirper toute trace de libéralisme. Heinrich Heine, un des plus grands poètes allemands, dut s’exiler à Paris. Ses oeuvres furent interdites en Allemagne. La presse et l’université furent sévèrement contrôlées. Arrestations, bannissements se succédèrent. En 1833, le tsar, l’empereur d’Autriche et le roi de Prusse se rencontrèrent et réaffirmèrent leur attachement aux principes de la Sainte-Alliance.

La révolte polonaise avait suscité de grands espoirs chez les libéraux allemands [7].

« Qu’elle triomphât, dit Bakounine, et la monarchie prussienne, coupée de son rempart du Nord-Est, obligée de restituer sinon la totalité, du moins une grande partie de ses provinces polonaises, aurait dû chercher un autre point d’appui en Allemagne même ; et comme elle n’aurait pu encore l’acquérir par la conquête, il lui aurait fallu s’attirer l’indulgence et la sympathie du reste de l’Allemagne au moyen de réformes libérales et appeler hardiment tous les allemands sous le drapeau impérial... En un mot, dès ce moment se serait accompli, fût-ce par d’autres voies, ce qui s’est réalisé maintenant [8], mais, peut-être, sous les formes plus libérales. Au lieu que la Prusse absorbe l’Allemagne, comme c’est le cas aujourd’hui, l’impression aurait pu être que l’Allemagne avait absorbé la Prusse. » (IV, 305.)

Malheureusement, les Polonais furent vaincus, Varsovie tomba et avec elle les espoirs des patriotes allemands. La répression reprit de plus belle contre les démocrates.

C’est à ce moment-là, dit Bakounine, que, « rassemblant toutes leurs forces, ceux-ci se livrèrent à une manifestation sinon très violente, du moins extrêmement bruyante, connue dans l’histoire contemporaine sous le nom de la Fête de Hambach » : nous sommes en mai 1832 ; vingt mille personnes venues de presque tout le pays manifestent pour une Allemagne unifiée et démocratique. Pourtant, de l’avis de l’anarchiste, le mouvement était voué à l’échec. A la Fête de Hambach, ont été prononcées des « paroles de colère, de rage, de désespoir », mais il n’y avait derrière elles « ni volonté, ni organisation, et, dès lors, ni force ».

Néanmoins, cette manifestation eut un certain nombre de conséquences :

l.- Les paysans du Palatinat bavarois se révoltèrent en réclamant la terre et la liberté. Cette révolte « effraya terriblement non seulement les conservateurs, mais aussi les libéraux et les républicains allemands, dont le libéralisme bourgeois est incompatible avec un véritable soulèvement populaire. Mais, à la satisfaction générale, cette nouvelle tentative de révolte paysanne fut écrasée par les troupes bavaroises. » (IV, 305.) Conformément au schéma établi, la bourgeoisie une fois de plus se retrancha derrière la force armée du pouvoir nobiliaire sans avoir la force d’imposer ses propres revendications, et surtout, sans avoir l’audace d’utiliser l’impulsion de la révolte paysanne.

Cependant, les bourgeois allemands ne furent pas tout à fait aussi inactifs ou indifférents que ne le dit Bakounine. En Allemagne du Sud, une importante agitation eut lieu contre les décrets de Karlsbad, en vue d’obtenir un accroissement des pouvoirs des diètes provinciales et la liberté de la presse. Le centre de ce mouvement, qui touchait surtout la petite-bourgeoisie, se trouvait dans le Palatinat rhénan de Bavière, où le droit français était en vigueur, et où la misère, consécutive à l’effondrement des prix des produits agricoles, faisait des ravages aussi bien dans les rangs de la petite-bourgeoisîe que de la paysannerie. C’est le Franconien Wirth qui fut à l’initiative de la Fête de Hambach. Il se déplaçait sans cesse d’une ville à l’autre, imprimant avec une presse à main un journal, la Deutsche Tribune. Il créa une Association de presse (Pressverein), dont le but était « l’organisation d’un Reich allemand unifié, avec une constitution démocratique ».

La dernière flambée du mouvement paysan se produisit dans le grandduché de Hesse, où le « bain de sang de Sôdel » et la répression militaire sauvage de paysans sans défense, qui s’étaient soulevés contre la misère qui les écrasait, provoqua la protestation des libéraux de la Hesse. Citons le pasteur Weidig, appartenant à la tendance droitière germanochrétienne, qui fut le seul des dirigeants du mouvement en Allemagne du Sud à ne pas capituler devant la répression décheinée par la Diète fédérale à la suite de la Fête de Hambach. En 1834, Weidig s’associa à un étudiant de vingt ans, Georg Büchner, admirateur de la Révolution française, et publia une feuille révolutionnaire, Der Hessische Landbote (Le Messager rural de la Hesse), qui appelait les paysans à se soulever contre leurs mocitres, et qui portait en exergue le mot d’ordre de 1793, « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières ! ». Un des membres de leur conspiration les trahit. Büchner put s’enfuir et mourut de maladie en 1837 ; Weidig, torturé en prison, se suicida.

2.- Soixante-dix étudiants armés s’attaquèrent à la garde du palais de la Confédération germanique à Francfort. « Cette entreprise était inepte, dit Bakounine, car c’est à Berlin ou à Vienne qu’il eût fallu frapper » (IV, 306). Et même, soixante-dix étudiants étaient loin de suffire pour « briser la puissance de la réaction allemande ». En plus, le gouvernement, prévenu, avait laissé l’affaire suivre son cours, « afin d’avoir un bon prétexte pour anéantir les partisans de la révolution et les aspiration révolutionnaires en Allemagne ».

La réaction la plus noire s’abattit alors sur le pays. « Ce fut une véritable satumale pour les fonctionnaires allemands et les manufactures de papier, dont une énorme quantité fut noircie à cette occasion ». Une commission centrale fut créée, chargée de coordonner la répression et l’échange d’informations concernant les éléments subversifs. Arthur Lehning, dans une note à Etatisme et anarchie, donne des précisions sur l’efficacité de la coopération des différents Etats allemands dans ce domaine : « La création d’un “bureau d’informations” pour tous les Etats du Deutsche Bund était une idée de Metternich. Il l’avait déjà émise avant l’attentat de Francfort. Le bureau n’était pas organisé comme une centrale policière munie de pleins pouvoirs, mais comme une police secrète chargée de suivre les activités des révolutionnaires et d’en informer les gouvernements. “On ne pend pas les voleurs avant d’avoir mis la main dessus”, écrivait Metternich. Les opérations du Bureau devaient, selon les instructions de Mettemich, s’étendre au-delà des frontières allemandes, notamment en France, centre des comploteurs en Suisse, centre des réfugiés ; en Belgique, terre d’asile des Polonais...) Les informations recueillies par une multitude d’agents secrets étaient envoyées à Vienne et à Berlin où des commissions spéciales nommées par les gouvernements devaient prendre, en se basant sur ces renseignements, des mesures policières ou juridiques. » (IV, 428-429.)

Toute la fleur de l’Allemagne libérale fut arrêtée, emprisonnée. Nombreux furent ceux qui restèrent prisonniers jusqu’en 1840, certains même jusqu’en 1848. Après la Fête de Hambach, prit fin tout mouvement politique en Allemagne. « Un silence de mort succéda, qui se prolongea sans la moindre interruption jusqu’en 1848. En revanche, le mouvement se transposa dans la littérature. » (IV, 306.)

Selon la classification établie par Bakounine, c’est au début de la troisième période du libéralisme allemand qu’il commence lui-même à entrer en scène, en publiant son essai, La Réaction en Allemagne.

Après la mort de Hegel, en 1831, son école philosophique devait prendre une extension considérable et marquer complètement son époque. Bakounine évoque dans Etatisme et anarchie cette période d’exaltation hégélienne qu’il a vécue à Berlin dans les années 40. l’Allemagne est alors en pleine mutation. L’industrie commence à se développer et, avec elle, le prolétariat. Si la Prusse a jusqu’à présent refusé de prendre la tête du mouvement pour l’unité allemande, c’est parce qu’elle refusait de le faire au prix d’une concession au libéralisme. Cependant, la Prusse n’a pas renoncé à la primauté matérielle et morale sur les autres Etats allemands. Pour cela, elle se servit de deux moyens, dit Bakounine : l’Union douanière et l’université de Berlin.

Sous l’influence du conseiller Altenstein, le seul libéral dans l’entourage de Frédérick-Guillaume III, furent rassemblés à Berlin « tous les hommes de progrès et les personnalités les plus représentatives de la science allemande » (IV, 307). Ainsi, pendant que dans tous les pays germaniques sévissait la réaction la plus noire, « Berlin devint le centre, le foyer rayonnant de la vie scientifique et spirituelle de l’Allemagne ». Hegel laissait derrière lui une pléiade de jeunes professeurs, d’éditeurs de ses oeuvres, d’exégètes et d’adeptes. Une multitude d’esprits, allemands ou non, convergèrent sur Berlin.

« Ceux qui n’ont pas vécu cette époque ne pourront jamais comprendre combien était fort le culte de ce système philosophique dans les années 30 et 40. On croyait que l’Absolu recherché de toute éternité était enfin découvert et expliqué et qu’on pouvait se le procurer en gros et en détail à Berlin. » (IV, 307.)

Engels évoquera cette période en des termes presque identiques dans Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique allemande :

« On conçoit mal quelle énorme influence ce système de Hegel ne pouvait manquer d’exercer dans l’atmosphère teintée de philosophie de l’Allemagne. Ce fut une marche triomphante qui dura plusieurs dizaines d’années et ne s’arrêta nullement à la mort de Hegel. Au contraire, c’est précisément de 1830 à 1840 que "l’engouement hégélien" régna le plus exclusivement, contaminant plus ou moins même ses adversaires. »

Le parti réactionnaire prussien, qui avait repris le pouvoir en 1815, était sérieusement à court d’assise idéologique, et Hegel avait grandement contribué à lui en fournir une. Schopenhauer écrivit à son sujet : « Installé par le détenteur du pouvoir dans le rôle de grand philosophe patenté, Hegel n’était qu’un charlatan illettré et écœurant, qui eut l’incroyable audace d’écrire des insanités que ses adulateurs, approuvés par tous les imbéciles, ont proclamé géniales. Ainsi épaulé par les dirigeants, Hegel a réussi à corrompre toute une génération. » Ailleurs, Schopenhauer dit encore : « Les gouvernements mettent la philosophie au service de leurs intérêts d’Etat ; quant aux intellectuels, ils en font commerce. » Pour l’anecdote, cette phrase est extraite de l’introduction au Monde comnie volonté et comme représentation, le dernier livre que Bakounine eut entre ses mains avant de mourir, et à propos duquel il se plaignit du pessimisme de son auteur.

Si l’université de Berlin, îlot de libéralisme dans un régime despotique, contribuait à donner une assise à la monarchie prussienne, c’était là un processus parfaitement contrôlé. Le roi Frédérick-Guillaume III, dans une directive officielle, avait fait savoir que les sciences abstraites n’intéressaient que le monde universitaire ; on ne peut les ignorer complètement, mais « il importe toutefois de les enfermer dans des limites convenables » [9]. C’est cependant par son action économique que le royaume de Prusse va renforcer considérablement sa puissance en Allemagne. « Auparavant, dit Bakounine, l’Allemagne avait autant de douanes et de règlements douaniers différents les uns des autres qu’elle comptait d’Etats. Cette situation était effectivement intolérable et condamnait l’industrie et le commerce allemands au marasme. » (IV, 314.)

En 1836, seules quelques villes libres et quelques duchés se trouvaient en dehors de l’union douanière – le Zollverein – ainsi que l’Autriche, qui avait négligé toutes les occasions de s’adapter à l’évolution économique, et qui était restée très en retard. Ce retard économique, cette exclusion de l’union douanière, entraîneront inévitablement, souligne Bakounine, l’exclusion de l’Autriche de la scène politique allemande.

Bien qu’à l’origine l’idée de l’union douanière ne vint pas de Prusse mais de la Bavière et du Wurtemberg, la Prusse s’en empara. La dispersion des ses territoires avait nécessité, dès 1816, la suppression de la douane sur tout le territoire de la monarchie. En 1842, onze Etats allemands associés dans l’union douanière étaient régis par une législation uniforme sur l’exportation et l’importation. L’Autriche, qui représentait alors la première puissance allemande, demeura à l’écart du mouvement : l’union douanière était, aux yeux de Metternich, une tentative de jacobiniser l’Allemagne. Les autorités prussiennes, au contraire, y voyaient une étape vers une l’Allemagne unie sous la direction de la Prusse.

Bakounine souligne à juste titre que l’exclusion de l’Autriche répondait parfaitement à l’intérêt majeur de la Prusse, « car cette exclusion tout d’abord seulement économique entraîna ensuite son éviction politique » (IV, 314). En 1850, le poids politique de l’Etat prussien était devenu suffisamment grand pour interdire l’entrée de l’Autriche dans l’union, intrusion qui aurait disputé à Berlin l’hégémonie sur l’Allemagne du Nord. Bakounine fait cette observation tout à fait pertinente que le gouvernement prussien vise l’hégémonie par des moyens qui paraissent « incomparablement plus rentables et adéquats que les réformes libérales » : il met en œuvre des mesures économiques grâce auxquelles il s’assure le soutien du capital industriel et financier, la prospérité de l’un et l’autre « appelant nécessairement une vaste centralisation politique » (IV, 314).

L’union douanière va aussi à l’encontre des intérêts des princes allemands, dont les domaines sont parfois enclavés dans le domaine prussien, comme la principauté d’Anhalt. Aussi, le Zollverein suivra-t-il tout d’abord une orientation protectionniste pour ménager les souverains allemands dont les revenus sont constitués pour une part importante des droits de douane, quand ce n’est pas carrément de la contrebande aux dépens de la Prusse. Ce n’est qu’à partir de 1840 que la Prusse s’oriente ouvertement contre les intérêts des princes en défendant l’extension des chemins de fer. L’administration napoléonienne avait commencé à développer les routes, mais ce n’est qu’à grand-peine que l’entrepreneur Borsig avait créé l’industrie berlinoise, faute de voies convenables pour acheminer le matériel.

Les libéraux prussiens, qui aspiraient à des réformes, savaient qu’ils n’avaient rien à attendre de Frédérick-Guillaume III, et attendaient l’avènement de son fils, le futur Frédérick-Guillaume IV, qui monta sur le trône en 1840. Il est difficile, dit Bakounine, de donner une caractéristique à cette troisième période du libéralisme allemand, car elle est « riche en tendances, en écoles, idéaux et concepts qui se développent sous les formes les plus diverses, mais elle est dans une égale mesure pauvre en événements. Elle est tout entière remplie par l’esprit fantasque, et les écrits incohérents du roi Frédérick-Guillaume IV... » Ami des lettres et des arts, causeur intarissable, séduisant, le nouveau roi manque de bon sens, fait des promesses irréalisables, qu’il nie ensuite en toute bonne foi avoir faites, se grise de mots : « Mi savant, mi poète, atteint d’impuissance physiologique et de surcroît ivrogne, protecteur et ami des romantiques itinérants et des “pangermanisants”, il fut, dans les dernières années de sa vie, l’espoir des patriotes allemands. Tout le monde espérait qu’il donnerait la Constitution. » (IV, 315.)

Le roi haïssait la France, la Révolution française et la philosophie du XVIIIe siècle rationaliste. Entouré de théoriciens du romantisme, il était passionné par le Moyen Age, l’Etat chrétien d’Otton le Grand et par Frédérick Barberousse. En outre, c’était un adepte de la philosophie historique du droit que Bakounine dénonce dans La Réaction en Allemagne et que Marx et Engels dénonçaient également à la même époque. Les premiers actes du roi soulevèrent les espoirs des libéraux : amnistie des « démagogues » [10], punis après 1819 et 1830. Les patriotes se félicitaient de sa haine de la France. Les protestants étaient enchantés des effusions piétistes de ses discours. Les catholiques étaient charmés de ses bonnes dispositions envers Rome. Mais les bonnes paroles dont le roi avait saoulé tout le monde ne reçurent que peu d’application. Ses actes révélaient en réalité des préoccupations contraires aux promesses faites, puisqu’il appela Schelling à Berlin pour détruire l’influence de Hegel, dont on avait fini par pressentir que la pensée, derrière une forme conservatrice, décelait des germes d’une critique radicale.

« Vaniteux, ambitieux, inconscient, tourmenté et en même temps incapable de se contenir et d’agir, Frédérick-Guillaume IV était tout bonnement un épicurien, un noceur, un romantique ou un despote extravagant installé sur le trône. Comme un homme incapable d’accomplir quoi que ce soit, il ne doutait de rien. Il lui semblait que le pouvoir royal, à la mission divine duquel il croyait sincèrement, lui donnait le droit et la force de faire absolument tout ce qui lui venait à l’esprit et, contre toute logique et contre les lois de la nature et de la société, de réussir l’impossible, de concilier quand même l’inconciliable. » (IV, 315.)

Dans une lettre à Ruge datant de mai 1843, Marx avait lui aussi analysé le comportement irrationnel du roi : « ... or pourquoi, dit-il, un individu tel que le roi de Prusse, à qui rien n’indique qu’il soit mis en question, n’obéirait-il pas à son seul caprice ? Et puisqu’il le fait, qu’en résulte-t-il ? Des desseins contradictoires ? Soit, ce ne serait rien. Des velléités stériles ? Pourtant, elles sont toujours la seule réalité politique. (…) Quelque inconscient, insensé et méprisable qu’il soit, le caprice sera toujours assez bon pour gouverner un peuple qui n’a jamais connu d’autre loi que le bon plaisir de ses rois. Je ne dis nullement qu’un système stupide et la perte de l’estime à l’intérieur et à l’extérieur resteront sans conséquences ; je ne garantis pas, quant à moi, la sécurité de la nef des fous ; mais je prétends que le roi de Prusse sera un homme de son temps aussi longtemps que le monde absurde sera le monde réel [11]. »

Il est significatif que l’opinion de Bismarck sur l’indécision et le manque de réalisme du roi est dans l’ensemble la même : chez Frédérick-Guillaume IV, dit-il, le sentiment national était « plus vif, platoniquement plus vif que chez son père. Mais les tendances romantiques et moyenâgeuses et son peu d’envie de prendre des résolutions nettes et fermes furent cause que ce sentiment ne se traduisit jamais par des actes [12]. »

L’absence de réformes libérales provoqua un accroissement du nombre des opposants de toutes les nuances, de la bourgeoisie industrielle et commerçante de la Prusse rhénane qui ressemblait fort à celle de l’Angleterre et de France, aux radicaux constitués pour une bonne part d’intellectuels formés dans les universités à la philosophie hégélienne [13]. Les désirs contradictoires du roi semaient la confusion dans les esprits. « Ainsi, dit Bakounine, il voulait que régnât en Prusse la plus complète liberté, mais en même temps que le pouvoir royal absolu et son arbitraire sans limites. » (IV, 315.) En fait, ce que Frédérick-Guillaume IV entendait par « liberté allemande » n’était rien d’autre que l’obéissance enthousiaste au roi.

Brusquement, en février 1847, Frédérick-Guillaume décida la réunion des états provinciaux à Berlin, avec pouvoir de voter les impôts nouveaux et de présenter des pétitions. En dehors de cela, les états provinciaux avaient un rôle purement consultatif, sans périodicité précise. Le discours d’ouverture donnait le ton :

« Héritier d’une couronne que j’ai reçue intacte et que je dois et veux laisser intacte à mes successeurs, jamais je ne permettrai qu’une feuille écrite vienne s’interposer, pour jouer le rôle d’une deuxième providence, entre Dieu, notre seigneur du ciel, et ce pays, pour gouverner par ses paragraphes et pour remplacer par eux la sainte et antique fidélité ... »

La « feuille écrite » était évidemment la constitution réclamée par les libéraux. Le roi conclut son discours en disant que s’il avait pu songer que les participants pouvaient avoir eu le mauvais goût de vouloir « jouer le rôle de soi-disants représentants du peuple », il ne les aurait jamais convoqués. Un jeune féodal se distingua lors des débats par l’ardeur de ses protestations contre les idées nouvelles : Bismarck, qui devait devenir par la suite l’ennemi intime de Bakounine et représenter pour ce dernier la parfaite illustration de la réaction.

La majorité des états provinciaux repoussa les deux emprunts auxquels tenait le gouvernement, sur les chemins de fer et sur les banques hypothécaires. L’assemblée se sépara en juin 1847 sans avoir obtenu de résultat.

La révolution de 1848, qui balaya toute l’Europe, relança le débat que la bourgeoisie allemande n’avait pas su poser l’année précédente.


Notes

[1] En 1815, le congrès de Vienne avait fait de l’Allemagne, dans le cadre de la Sainte-Alliance formée sous la direction du tsar et de Mettemich, une Confédération germanique de trente-neuf Etats souverains, sous la direction d’une Diète fédérale constituée par les représentants de ces Etats, dont les deux principaux étaient évidemment la Prusse et l’Autriche.

[2] Dans le cadre conceptuel élaboré par Bakounine, une classe – en l’occurrence la bourgeoise – est une « classe historiques » tant qu’elle lutte encore pour l’hégémonie dans la société. Pour Bakounine, 1830 marque le terme de la période historique de la bourgeoisie parce que c’est à cette date qu’elle assoit définitivement son pouvoir. En d’autres termes, une classe est historique tant qu’elle est dans sa phase ascendante. Cela ne sîgnifie en aucun cas que la bourgeoisie commence dès lors à dépérir ou à s’affaiblir : elle entre simplement dans une période où elle n’a plus à conquérir mais à conserver les acquis. Elle n’en est au contraire que plus acharnée à combattre toute menace contre ces acquis.

[3] La répression contre la Burschenschaft consécutive à la Fête de Wartbourg poussa les éléments les plus actifs du mouvement à répondre par la formation d’une société secrète, la Bund des Unbedingten (Ligue des intransigeants), qui eut recours au terrorisme. Karl Sand, qui tua Kotzebue, était un des membres de cette ligue.

[4] Les Burschenschaften furent interdites par la Diète fédérale le 20 septembre 1819. Bakounine tend, semble-t-il à sous-estimer l’ampleur invraisemblable de la répression qui s’abattit sur le mouvement libéral en Allemagne.

[5] Cité par Gérard Bloch, introduction de La vie de Karl Marx, Franz Mehring, éditions Pie, p. 71.

[6] On a du mal aujourd’hui à imaginer à quel point l’arrogance nobiliaire a pu être encore ancrée dans les esprits de bon nombre d’aristocrates, bien des années après la Révolution française. A peu près à la même époque où le prince de Windischgraetz donne sa définition de l’homme, le marquis de Saint-Astier saisit, indigné, le bras du promeneur qui l’accompagne, quand il voit un commissionnaire, arrêté au coin d’une rue : « Voyez, voyez ce coquin qui lit. » Cité par Laurent Louessard, La révolution de juillet 1830, Spartacus. (Cf. également, Radio Libertaire, interview dans le « Magazine Libertaire » du 21 avril 1991.)

[7] L’insurrection polonaise du 29 novembre 1830 fut écrasée par l’entrée des troupes russes à Varsovie en septembre 1831. Mehring écrit dans son Histoire de la social-démocratie allemande : « Le convoi funèbre des réfugiés polonais à travers l’Allemagne devint un véritable convoi triomphal. Tous les cercles bourgeois sentaient instinctivement que la lutte héroïque des Polonais contre le superdespote russe était également dirigée contre les sous-despotes allemands. »

[8] Bakounine écrit ces lignes en 1874, après la constitution de l’Empire allemand à la suite de la guerre franco-prussienne.

[9] Cf. E.N. Anderson, Nationalism and the Cultural Crisis in Prussia, 1810-1815, p.270,1939.

[10] C’est ainsi que la Sainte-Alliance désignait les intellectuels de tendance libérale et nationale.

[11] La Pléiade, III, p. 339.

[12] Bismarck, Pensées et souvenirs, Calmann-Lévy, pp. 66-67.

[13] La structure économique et sociale de la Confédération, sans compter l’Autriche, était en gros la suivante : a) dans le Nord-Est se trouvaient des Etats agraires dans lesquels dominaient le système féodal et le despotisme ; b) en Prusse, les réformes introduites après l’écrasement de l’armée à Iéna avaient permis le développement du capitalisme dans l’industrie et dans l’agriculture ; c) l’influence française avait pénétré dans les Etats du centre et du Sud, essentiellement agricoles : pays de Bade, Wurtemberg, Hesse, Hanovre, Bavière, Saxe, dans lesquels régnaient un libéralisme modéré mais sans base sociale profonde ; d) c’est en Rhénanie et en Westphalie que l’influence française a été la plus profonde.