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Origine : échange mails
En septembre 1818, trois ans après le congrès de
Vienne [1], un groupe d’amis se rencontre à Aix-la-Chapelle,
en territoire prussien. Ils y discutent de l’avenir de l’Europe
pour les quelques décennies à venir. Il s’agit
du roi Frédérick-Guillaume III de Prusse, de l’empereur
François d’Autriche et d’Alexandre III, le tsar
de toutes les Russies. L’empereur François est évidemment
accompagné de son conseiller Metternich. Assistent également
à la rencontre lord Castlereagh et le duc de Wellington qui
représentent la Grande-Bretagne, et le duc de Richelieu qui
occupe un strapontin pour la France. Tout le monde s’amusa
bien, ce fut un « charmant congrès » aux dires
de Metternich, dont les idées allaient dominer l’époque.
Après la tourmente de la Révolution française
et des guerres napoléoniennes, il fallait créer un
ordre nouveau fait de « sagesse, de raison, de justice et
de correction », fondé sur la paix à l’extérieur,
l’ordre à l’intérieur et reposant sur
la puissance du monarque et l’obéissance du citoyen.
Pour ècela, les monarques présents à la rencontre
se promirent aide et assistance. En réalité, dit Bakounine,
cette promesse signifiait qu’ils combattraient solidairement
et impitoyablement toutes les manifestations de libéralisme
en Europe en soutenant jusqu’au bout et par tous les moyens
les institutions féodales frappées et anéanties
par la Révolution, mais rétablies par la Restauration.
La charnière de cette politique est l’Autriche, un
Etat plurinational gouverné grâce à la police,
à l’armée et aux espions ; un Etat qui n’offrait
guère de perspective à l’innovation tant intellectuelle
que matérielle, où il n’y avait pas de procès
publics, où les journaux et les livres étaient censurés,
les écoles et les universités surveillées.
Dans Etatisme et anarchie, Bakounine cite les propres paroles que
l’empereur prononça au cours d’une audience accordée
aux professeurs du lycée de Laïbach :
« La mode est aujourd’hui aux idées nouvelles
(...), et je ne puis, et ne pourrai jamais m’en féliciter.
Tenez-vous en aux idées anciennes : elles ont fait le bonheur
de nos aïeux, pourquoi ne feraient-elles pas le nôtre
? Je n’ai pas besoin de sujets savants mais de sujets obéissants.
Les former, voilà votre devoir. Qui est à mon service
doit enseigner ce que j’ordonne ; que celui qui ne le peut
ou ne le veut s’en aille, sinon je le chasserai ... «
(IV, 291.)
Bakounine ajoute que l’empereur tint parole. Jusqu’en
1848 régna en Autriche un arbitraire sans limites ; un système
de gouvernement fut instauré qui « se donna pour tâche
essentielle d’endormir et d’abêtir les sujets
de sa majesté ». Toute vie politique avait cessé.
La vie littéraire était tombée au niveau d’ouvrages
d’amateurs. Les sciences naturelles, dit Bakounine, avaient
pris cinquante ans de retard sur le niveau atteint dans le reste
de l’Europe. L’agriculture, le commerce, étaient
« dans une situation comparable à celle de la Chine
».
« S’appuyant sur ce royaume, Mettemich s’efforça
trente années durant, de plonger toute l’Europe dans
une situation semblable. Il devint la clé de voûte,
l’âme, le guide de la réaction européenne
et son premier souci fut évidemment d’anéantir
toutes les tendances libérales qui se faisaient jour en Allemagne.
» (IV, 291.)
Le projet européen de Metternich réussit. Le congrès
d’Aix-la-Chapelle s’était déroulé
à sa plus grande satisfaction. Le système monarchique
restauré allait être efficacement défendu contre
la montée des puissances révolutionnaires. Pourtant,
la Révolution française et les guerres napoléoniennes
avaient jeté dans l’Europe des germes de dissolution.
En divers endroits on crie le mot Liberté. Et, alors que
la politique de Mettemich visait à créer un monde
où il n’y aurait plus de nations mais seulement des
Etats, « Liberté » signifiait avant tout indépendance
nationale. Cette question allait prendre un aspect d’autant
plus important en Allemagne qu’elle allait se doubler du problème
de l’unité nationale.
Les premiers combats de Bakounine se livreront au nom d’une
révolution démocratique à caractère
social, dans laquelle le combat pour l’émancipation
nationale des Slaves tient une place prépondérante.
Il n’est pas, en 1840, et de loin, l’anarchiste que
l’on connaît. En cette première moitié
du siècle, la lutte pour des réformes libérales
en Allemagne passe pour un excès abominable. Bakounine, comme
Marx, feront à leurs débuts partie de l’aile
la plus à gauche de ce mouvement de réformes.
L’histoire de l’Allemagne depuis la Restauration est
assimilée par Bakounine à l’histoire du libéralisme
allemand, divisé en plusieurs périodes qui marquent
les étapes de son évolution. En réalité,
on s’aperçoit qu’il s’agit des étapes
de la réalisation de 1"unité allemande sous la
férule de l’Etat prussien. De 1815 à 1870, la
Prusse va perfectionner son appareil administratif, financier et
militaire tout en empêchant l’essor d’une bourgeoisie
nationale autonome. Il y eut, dit Bakounine, un duel pendant cinquante-cinq
ans entre la monarchie et le parti libéral-patriote «
avec des résultats presque toujours semblables et toujours
extrêmement lamentables pour les libéraux allemands
».
La première période du libéralisme allemand
s’étend de 1815 à 1830 et se caractérise
par la « gallophobie des romantiques tudesques ». L’Allemagne
était alors, dit le révolutionnaire russe, la pierre
angulaire de la réaction européenne, dont l’inspirateur
était Metternich. Par Allemagne, il faut entendre ici l’ensemble
des pays de langue allemande. La Sainte-Alliance ayant donné
un caractère international à la réaction, les
soulèvements dirigés contre elle pendant cette période
le furent de même. C’était, de 1815 à
1830, la « dernière période historique de la
bourgeoisie » [2].
Avec la remise en place des institutions de l’Ancien régime,
la Restauration, en 1815, remet en cause les acquis de la Révolution.
Un foisonnement de sociétés secrètes répond
à la réaction monarchique. La liberté d’association
et de réunion n’existait nulle part. Une société
secrète découverte et anéantie était
aussitôt remplacée par une autre. De nombreuses tentatives
d’insurrection eurent lieu pour détrôner les
Bourbons. En Espagne, à Naples, au Piémont, en Belgique,
en Pologne, ainsi qu’en Russie, avec les Décembristes,
les soulèvements eurent un caractère très sérieux.
Beaucoup de sang fut versé. Mais que se passa-t-il pendant
ce temps-là en Allemagne, demande Bakounine ? On ne relève
deux « manifestations quelque peu marquantes de l’esprit
libéral ».
Revenus de la guerre contre Napoléon, les étudiants
étaient indignés de voir que les princes allemands
avaient oublié les promesses de libéralisation qu’ils
avaient faites au moment du danger. Les promesses de constitution
faites par Frédérick-Guillaume III ont été
oubliées. Les étudiants fondèrent des sociétés,
appelées Burshenschaften, afin de délivrer les universités
des vieilles associations d’étudiants réactionnaires.
A la date du tricentenaire de la naissance de Luther, et du quatrième
anniversaire de la bataille de Leipzig, cinq cents étudiants
se réunirent à Wartbourg en réclamant l’unité
allemande et protestant contre le particularisme et l’absolutisme
des princes. Dans des discours vibrants, les orateurs déclarèrent
que leurs espoirs avaient été déçus.
L’atmosphère s’échauffe.
Le maître d’armes Ludwig Jahn, dirigeant des clubs
du Tumvater Jahn, procède à un autodafé de
livres contraires à l’« esprit allemand ».
Le code Napoléon figure en bonne place parmi les livres lancés
à la réfutation des flammes. Les princes allemands,
effrayés de ce tapage, lancèrent une campagne de répression.
Comment Bakounine analyse-t-il les revendications de ces étudiants
? Ils ne songeaient pas, dit-il, à lever une main sacrilège
sur un seul de leurs nombreux pères-souverains. Ils voulaient
simplement un parlement national placé au-dessus des Diètes
particularistes, et un empereur panallemand se situant au-dessus
des princes-souverains. En somme, ils voulaient à la fois
une confédération monarchique et un Etat puissant
et indivisible : une « absurdité manifeste ».
En fait, suggère Bakounine, cette absurdité n’est
qu’apparente. Elle provient d’un malentendu. Les Allemands
ne réclament pas en même temps l’unité
nationale et la liberté : « leur passion secrète,
leur unique objectif, était la formation d’un grand
Etat pangermanique ». On comprend donc que les Allemands n’aient
jamais voulu de révolution populaire : « ... la puissance
nationale ne peut dériver d’une révolution populaire,
mais elle peut découler d’une victoire remportée
par une classe quelconque sur le soulèvement du peuple »,
comme ce fut le cas en France.
Autrement dit, la constitution d’un Etat national unitaire
et centralisé n’est pas une tâche qui incombe
à la révolution populaire, c’est la tâche
de la bourgeoisie. Malheureusement, cette classe, en Allemagne,
n’a pas la volonté, le dynamisme de la bourgeoisie
française de 1789, aussi son programme sera-t-il réalisé
par l’Etat monarchique et sa bureaucratie.
En dehors des événements de Wartbourg, une seconde
série d’événements se sont produits en
Allemagne en cette année 1819, dit Bakounine. Un étudiant
exalté assassine l’écrivain et homme politique
August von Kotzebue, ancien conseiller du tsar pour l’Allemagne
[3]. Un jeune pharmacien tente d’assassiner von Ibell, conseiller
d’Etat réactionnaire de Nassau. Ces deux actes, dit
Bakounine, « étaient foncièrement ineptes, car
ils ne pouvaient avoir aucun effet utile » (IV, 301.). Mais
ce fut le signal de la réaction la plus violente. En réalité,
ces deux actes faisaient bien le jeu de Metternich, car ils lui
donnaient l’occasion de passer à l’action. Il
imposa les décrets de Karlsbad qui établirent une
véritable chape de plomb sur tous les Etats allemands. En
août 1819 la Prusse, l’Autriche, et d’autres Etats
décidèrent de former à Mayence une «
commission centrale » chargée d’enquêter
sur les « actes de haute trahison ».
« Une série de mesures édictées par
la Confédération germanique tordit le cou à
ces pauvres libéraux réduits à l’état
de serfs. On leur interdit les exercices de gymnastique et les chants
patriotiques ; on ne leur laissa que la bière. » (IV,
303.)
Alors, l’Allemagne se calma et, « onze années
durant, de 1819 à 1830, il n’y eut pas sur la terre
allemande la moindre trace de vie politique ».
Le sentiment national, très développé dans
la jeunesse allemande, avait, pour une grande part, vu le jour sous
l’occupation française. La jeunesse s’était
lancée avec enthousiasme dans la lutte contre Napoléon.
A la bataille d’Iéna (1806) le royaume de Prusse s’écroule.
Toute l’Allemagne est gouvernée par des préfets.
Ce n’est que par l’intervention du tsar que l’existence
politique du royaume de Prusse est préservée. Bakounine
souligne que dans cette situation critique, des patriotes allemands,
« instruits par les enseignements et l’exemple de la
Révolution française, comprirent que la Prusse et
l’Allemagne pouvaient être sauvées par de vastes
réformes libérales ». C’est alors que
Fichte, qui avait été chassé de l’université
d’Iéna et qui fut accueilli à Berlin, commença
ses cours par son fameux Discours à la Nation allemande,
dans lequel il annonçait la future grandeur de son pays.
A vrai dire, si on en croit Bakounine, il n’y eut jamais
de soulèvement national spontané contre les armées
françaises. Ce n’est que lorsque Napoléon fut
« battu à plate couture » et qu’il cessa
d’être un danger que les Prussiens d’abord, puis
les Autrichiens, se retoumèrent contre lui. Ce n’est
qu’à ce moment-là que le roi de Prusse lança
une proclamation appelant ses sujets à « s’insurger
légalement ».
« Ecoutant la voix de leur père souverain, les Allemands,
principalement la jeunesse prussienne, se soulevèrent et
formèrent des légions qui furent incorporées
à l’armée régulière. Mais un conseiller
secret du roi de Prusse, espion notoire et délateur officiel,
ne se trompait pas beaucoup lorsque, dans une brochure qui, publiée
en 1815, indigna les patriotes allemands, il déclara, niant
toute action spontanée de la nation dans la libération
: “Les citoyens prussiens ne prirent les armes que lorsque
leur roi leur en donna l’ordre ; il n’y eut là
rien d’héroïque ni d’extraordinaire, mais
simplement l’accomplissement du devoir de tout fidèle
sujet". » (IV, 290.)
L’auteur de cette brochure est Theodor Schmalz, recteur de
l’université de Berlin, un des plus réactionnaires
hommes politiques de son époque. Dans De l’Allemagne,
livre destiné à donner aux lecteurs français
une vision moins idyllique et subjective que celui de Madame de
Staël, Henri Heine ne parle même pas du soulèvement
national de 1813. Ce qu’il dit ailleurs de ce soulèvement
confirme le point de vue de Bakounine : les Prussiens ont attendu
que l’hiver russe eût jeté à terre la
Grande Armée pour oser l’attaquer.
A cette époque, en Allemagne, on se passionnait pour l’histoire
du pays, on exaltait l’âme allemande. La jeunesse, qui
avait quitté les champs de bataille, avait afflué
dans les universités et découvrait la philosophie
de Hegel ; les sociétés gymniques devenaient les foyers
d’un nationalisme primitif et romantique pour lequel l’exaltation
de la « virilité allemande » constituait la condition
du redressement national.
Ironisant sur les aspects les plus outrés de ce nationalisme
exacerbé, Bakounine dit que les manifestations du libéralisme
allemand ne dépassaient pas les limites de la « rhétorique
la plus naïve et en même temps la plus ridicule »
:
« C’était l’époque du sauvage teutonisme.
Fils de philistins et futurs philistins eux-mêmes, les étudiants
allemands se représentaient les Germains d’autrefois
tels que les décrirent Tacite et Jules César : des
descendants des guerriers d’Arminius, habitants primitifs
d’épaisses forêts. » (IV, 302.)
Comparé aux mouvements libéraux qui s’affirmaient
dans le reste de l’Europe, le libéralisme allemand
paraissait puéril et ridicule aux yeux de Bakounine. Même
dans ses manifestations les plus éclatantes il était
imprégné d’esprit d’obéissance
et de fidélité au souverain, marque de l’impuissance
de la bourgeoisie à réaliser un programme autonome.
Ce que Bakounine appelle un peu hâtivement la servilité
de la bourgeoisie allemande est l’expression de l’absence
de volonté politique de cette classe et de son impuissance
à constituer un Etat unitaire. Or, le désir de confier
à l’Etat la charge de réaliser l’unité
nationale est perçu par les gouvernements eux-mêmes,
par la Prusse et l’Autriche, comme de la révolte. Ces
deux Etats, en effet, sont en situation de concurrence ; aucun n’étant
en mesure de tirer à lui toute la couverture, chacun s’efforce
d’empêcher l’autre d’accéder au «
trône de Barberousse ». La répression, par chacun
des deux Etats concurrents, de leurs propres libéraux n’est
dont pas seulement causée par une opposition de principe
aux thèses libérales, mais aussi par le souci d’empêcher
l’opposition intérieure de se tourner vers l’Etat
concurrent pour réaliser l’unité nationale.
C’est cela, dit Bakounine, qui les pousse chacun de son côté
à « réprimer comme une manifestation du libéralisme
le plus extrême, le désir commun à tous les
Allemands de fonder un puissant Etat unitaire ». (IV, 303.)
La situation se complique encore par l’intervention étrangère
« Jusqu’à une date récente, c’est-à-dire
jusqu’à la guerre de Crimée, la politique de
la Russie consistait à entretenir systématiquement
la rivalité entre l’Autriche et la Prusse (de manière
qu’aucune de ces deux puissances ne puisse l’emporter
sur l’autre), et à exciter en même temps la méfiance
et la crainte dans les petits et moyens Etats allemands, tout en
les protégeant contre l’Autriche et la Prusse. »
(IV, 296.)
C’est peu après la fête de Wartbourg qu’eurent
lieu les attentats contre Kotzebue et von Ibell. Les associations
patriotiques furent dissoutes ; de nombreux professeurs, dont Schleierinacher,
furent placés sous une très stricte surveillance.
Le professeur Amdt fut suspendu de ses fonctions. C’était
l’auteur d’un chant patriotique, « Où est
la patrie de l’Allemand », qui eut un énorme
succès et que Bakounine qualifie d’hymne pangermanique.
« La liberté, dit-il, n’inspire que très
médiocrement ces chanteurs du patriotisme allemand. On dirait
qu’ils n’en font mention que par décence. Leur
enthousiasme sérieux et sincère appartient à
la seule unité. » (VIII, 65.)
Par la répression et la censure, toutes les idées
subversives provenant de l’Ouest de l’Europe furent
arrêtées aux frontières. Il s’agissait
d’un véritable blocus des idées, qui dura jusqu’en
1830. Le calme revint très rapidement. Metternich avait gagné.
De Berlin à Naples, le bloc d’Europe centrale dont
il rêvait était devenu une réalité. Les
Burschenschaften se « soumirent sans murmure et onze années
durant, de 1819 à 1830 il n’y eut pas, sur la terre
allemande, la moindre trace de vie politique » [4]. (IV, 303.)
Wilhelm Müller, un historien libéral auquel Bakounine
se réfère souvent, s’étonne de la facilité
avec laquelle fut obtenu cet apaisement. Faut-il encore d’autres
preuves, dit-il, qu’en Allemagne le terrain ne convient pas
à la révolution ?
Les tendances générales de cette époque du
libéralisme allemand sont résumées de façon
saisissante dans Etatisme et anarchie :
« La gallophobie était devenue une épidémie
générale en Allemagne. La jeunesse universitaire se
mit à se vêtir comme ses ancêtres, à l’instar
de nos slavophiles des années 40 et 50, et à éteindre
sa juvénile ardeur en s’abreuvant de bière ;
d’autre part, les duels continuels, se terminant d’ordinaire
par des estafilades au visage, attestaient sa bravoure guernere.
Quant à son patriotisme et à son pseudo-libéralisme,
elle l’exprimait et le satisfaisait avec plénitude
en hurlant des chants patriotiques et guerriers ou l’hymne
national : “Où est la patrie allemande ?”, chant
prophétique de l’Empire germanique aujourd’hui
réalisé ou en train de naître, tenait bien entendu
la première place. » (IV, 302.)
En Allemagne, le romantisme et l’exaltation patriotique se
mariaient bien. Là comme ailleurs, le romantisme était
né d’une réaction contre l’esprit du XVIlle
siècle qui avait produit la Révolution française.
A la Raison et à la logique de l’époque classique
on donne la préférence à l’intuition
et à la passion. A l’homme social dont se préoccupaient
les philosophes des Lumières, les romantiques substituaient
l’individu isolé. Alors que les Encyclopédistes
dédaignaient le passé et se préoccupaient de
préparer un avenir meilleur, les romantiques se détournent
de la vulgarité du présent et se réfugient
dans un passé idéal.
Les adversaires de la Révolution considéraient donc
naturellement avec sympathie cette nouvelle école littéraire.
L’alliance entre la politique ancienne et la littérature
nouvelle semblait évidente, du moins au début. Mais
ces convergences ne durèrent pas. Les romantiques ne tardèrent
pas à exprimer des sympathies pour la Révolution.
Victor Hugo écrit en 1830 que « le romantisme, c’est
le libéralisme en littérature ». Pourtant, en
Allemagne le romantisme a un contenu différent. Il n’évolue
pas vers la contestation des institutions sociales. Il n’est
qu’un prolongement culturel de la Sainte-Alliance. Son rôle
réactionnaire atteint son apogée dans les années
40 sous le règne de Frédérick-Guillaume IV,
précisément aux débuts de l’activité
politique de Bakounine et de Marx.
Franz Mehring, le biographe de Marx, fait une analyse intéressante
du romantisme allemand dans son introduction aux oeuvres de Heine
:
« L’école romantique était née
comme une expression littéraire de la réaction féodale,
arme de l’Europe de l’Est contre l’assaut révolutionnaire
de la France ; sa naissance la condamnait à ne connaître
d’autre monde pour ses idéaux et ses rêves que
la “magie du clair de lune” du Moyen Age ; c’était
là sa nature intime et non un caractère fortuit, auquel
de bons conseils auraient pu la faire renoncer. Mais l’école
romantique ne se réduisait pourtant pas pour cela à
être un produit de la réaction féodale ; elle
était marquée de cette même double nature que,
en général, le mouvement des peuples qui a abattu
Napoléon ; elle a incarné, si restreinte qu’en
fût la portée et si déformée qu’en
fussent les conditions, une renaissance nationale ; et, dans cette
mesure même, elle a constitué un progrès décisif
sur la littérature classique [5]. »
Mehring conclut que ce n’était pas le peuple qui avait
vaincu à Leipzig et à Waterloo, mais les princes,
et que le romantisme, au service de ces derniers, dégénéra
complètement.
La genèse du romantisme en Europe, telle que la perçoit
Bakounine, mérite également d’être mentionnée.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, dit-il, la
philosophie avait élevé le drapeau de l’athéisme
et du matérialisme ; pourtant, deux hommes vont servir efficacement
les intérêts de l’obscurantisme dans sa version
laïque : Rousseau et Robespierre (Cf. VIII, 139). Rousseau
est le vrai créateur de « la réaction modeme,
il représente le vrai type de l’étroitesse et
de la mesquinerie ombrageuse, de l’exaltation sans autre objet
que sa propre personne, de l’enthousiasme à froid et
de l’hypocrisie à la fois sentimentale et implacable,
du mensonge forcé et de l’idéologisme moderne.
» Il est en apparence l’écrivain le plus démocratique
du XVIIIe siècle, mais en lui couve le « despotisme
impitoyable de l’homme d’Etat ». Il est le prophète
de l’Etat doctrinaire, comme Robespierre en est le grand prêtre.
C’est au nom de l’être suprême, le «
Dieu abstrait et stérile des déistes », que
Robespierre guillotina les hébertistes, puis le génie
lui-même de la Révolution, Danton, « dans la
personnalité duquel il assassina la République ».
Dès lors, le triomphe de la dictature de Bonaparte était
devenu inévitable. Alors, la « réaction idéaliste
chercha et trouva des serviteurs moins fanatiques, moins terribles,
mesurés à la taille considérablement amoindrie
de la bourgeoisie de notre siècle à nous ».
En France, ce furent Châteaubriand, Lamartine et Victor Hugo,
et à leur suite « toute la cohorte mélancolique
et sentimentale d’esprits maigres et pâles qui constituent,
sous la direction de ces maîtres, l’école du
romantisme moderne. En Allemagne, ce furent les Schlegel, les Tieck,
les Novalis, les Wemer, ce fut Schelling, et tant d’autres
encore dont les noms ne méritent pas même d’être
nommés. » (VIII, 140.)
« La littérature créée par cette école
fut le vrai règne des revenants et des fantômes. Elle
ne supportait pas le grand jour, le clair-obscur était le
seul élément où elle pût vivre. Elle
ne supportait pas non plus le contact brutal des masses ; c’était
la littérature des âmes tendres, délicates,
distinguées, aspirant au ciel, leur patrie, et vivant comme
malgré elles sur la terre. Elle avait la politique, les questions
du jour, en horreur et en mépris ; mais lorsqu’elle
en parlait par hasard, elle se montrait franchement réactionnaire,
prenant le parti de l’Eglises contre l’insolence des
libres penseurs, des rois contre les peuples, et de toutes les aristocraties
contre la vile canaille des rues. » (VIII, 139-140.)
Au milieu des nuages dans lesquels vivait cette école,
conclut Bakounine, on ne pouvait distinguer que deux points réels
: le développement rapide du matérialisme bourgeois
et le déchaînement effréné des vanités
individuelles. Si on peut difficilement qualifier Victor Hugo d’esprit
maigre et pâle, la description que donne Bakounine du romantisme
est intéressante en ce sens qu’elle traduit parfaitement
ce qu’il pensait de l’intelligentsia allemande et d’une
façon générale des libéraux allemands,
qui se révélèrent, au moment de l’action,
en 1848, comme de « fieffés réactionnaires ».
On retrouve aussi dans ce passage un écho de son analyse
de la pensée de Hegel qui, « n’atteignant pas
le ciel et ne touchant pas la terre », rendait ses adeptes
inaptes à la vie. On remarque cependant que Hegel n’est
pas mentionné explicitement : la philosophie hégélienne
tient en effet une place tout à fait à part dans le
jugement que porte Bakounine sur la pensée allemande.
Dans toute l’Europe – sauf en Allemagne, précise
le révolutionnaire russe – la bourgeoisie représente
le génie révolutionnaire de l’histoire depuis
la Renaissance et la Réforme. Le génie de la bourgeoisie
est précisément d’avoir su développer
ses idées au nom de l’humanité entière,
et d’avoir su également s’appuyer sur «
le bras puissant du peuple », ce que, on verra, n’a
jamais pu ni même voulu la bourgeoisie allemande.
Après la Révolution, la bourgeoisie française
se scinda. Il se constitua un puissant parti d’acquéreurs
de biens nationaux qui s’appuya non plus sur le prolétariat
des villes mais sur la paysannerie, qui était devenue pour
une grande part propriétaire. Ce parti, aspirant à
la paix, à l’ordre public, soutint tout naturellement
Bonaparte. La Restauration, en ramenant la monarchie légitime,
la puissance de la noblesse et de l’Eglise, rejeta la bourgeoisie
vers la révolution, mais vers un « révolutionnarisme
quelque peu réchauffé », précise Bakounine.
Après 1830, la grande bourgeoisie remplace définitivement
la noblesse au pouvoir et se tourne de nouveau vers la religion.
Ce ne fut pas, de sa part, « une simple singerie des moeurs
aristocratiques, c’était une nécessité
de position ».
En aidant la bourgeoisie à renverser une fois de plus la
noblesse, le prolétariat avait rendu un dernier service à
ses exploiteurs. Maintenant, il fallait se débarrasser de
l’alliance du peuple et remettre ce dernier à sa place.
Pour imposer sa domination, la bourgeoisie avait besoin de «
la reconnaissance morale de son droit », pour reprendre une
expression de Bakounine. Plus que jamais, la bourgeoisie triomphante
sentit que « la religion était absolument nécessaire
pour le peuple » (VIII, 142).
En Allemagne la situation était différente. Les rapports
entre les classes y étaient tout à fait originaux.
Bakounine montre fort bien qu’il y a un chevauchement entre
le système féodal et le système capitaliste.
La noblesse n’a pas de puissance séparée de
l’Etat, elle n’en est que le serviteur privilégié.
Il s’agit d’un Etat despotique qui opprime la bourgeoisie
mais qui « mène une politique nécessairement
favorable au développement des intérêts bourgeois
et de l’économie moderne » (VIII, 155). Si l’Etat
moderne signifie un Etat gouverné par les bourgeois, dit
Bakounine, alors l’Allemagne n’est pas moderne. En fait,
le révolutionnaire russe montrera que l’exercice du
pouvoir par la bourgeoisie ne constitue pas une condition indispensable
de sa domination économique et sociale, que les schémas
de la Révolution française ne sauraient être
mécaniquement appliqués à la révolution
allemande.
Le premier coup porté 4 la Sainte-Alliance eut lieu en 1830.
Le roi de France est chassé de son trône. La révolution
éclate en Belgique et en Pologne. L’Italie s’agite.
La guerre civile fait rage en Espagne. L’Allemagne se réveille.
Les chancelleries allemandes s’inquiètent. Bakounine
souligne la fragilité de l’édifice politique
qui régnait à l’époque dans les pays
allemands. Malgré tous les signes extérieurs de force
militaire, les gouvernements manquaient de foi en eux-mêmes
: ils savaient que les Allemands aspiraient au changement, qu’ils
s’étaient sentis dépossédés de
leurs revendication à un Etat unitaire et à une patrie.
C’est alors que commence la deuxième période
du libéralisme allemand (1830-1840) selon la classification
de Bakounine, au cours de laquelle les Allemands « cessent
de manger du Gaulois ».
Cette période va voir s’accroître les germes
de dissolution dans la société allemande et la «
désaffection envers leurs gouvernements », que Bakounine
avait signalée en 1842 dans La Réaction en Allemagne.
A cela, il voit, en 1872, deux raisons :
l.- Alors que la Révolution de Juillet avait anéanti
les vestiges de la domination féodale et cléricale
en France, et qu’en Angleterre les « réformes
libéralo-bourgeoises » triomphaient, la bourgeoisie
voit ses positions s’affirmer partout en Europe, sauf en Allemagne.
Le parti féodal y est au pouvoir et détient «
tous les postes élevés et une grande partie des postes
subalternes » dans l’administration et dans l’armée.
Bakounine évoque l’arrogance de cette aristocratie
et rappelle le mot du prince de Windischgraetz : « L’homme
commence au baron. » [6] (IV, 304.)
La contradiction fondamentale de la situation est que l’aristocratie,
politiquement prépondérante, a en face d’elle
une bourgeoisie nettement supérieure « tant du point
de vue de la richesse que par son degré de culture ».
Pourtant, malgré quelques timides tentatives, la bourgeoisie
ne parvient pas à secouer le joug de la noblesse.
2.- La deuxième cause de la désaffection vient de
l’incapacité des gouvernements à réaliser
l’unité nationale, « à ce que l’Allemagne
s’unifiât dans un Etat fort ». Tous les patriotes
allemands « se sentaient blessés dans leurs intérêts
politiques et bourgeois ». Les gouvernements allemands, dit
enfin Bakounine, « n’avaient plus la confiance de leurs
sujets ». (IV, 304.) Ce n’est donc pas en Allemagne,
mais en Belgique, qu’eut lieu le basculement le plus important
de l’équilibre des forces international. Mais ce basculement
n’aurait pas été possible, on le verra, sans
la Pologne.
Lors du congrès de Vienne, la Belgique, c’est-à-dire
les anciens PaysBas espagnols, puis autrichiens, plus l’ancienne
principauté de Liège, ont été rattachés
aux Pays-Bas septentrionaux pour former le Royaume des Pays-Bas.
Le 25 août 1830, une émeute éclate à
Bruxelles, qui tourne à l’insurrection et fait tâche
d’huile. Les autorités, affolées, sont paralysées.
La population s’arme et s’organise. Un fait mérite
d’être souligné concernant le déroulement
de cette révolution : les éléments bourgeois
se substituent immédiatement, pour ainsi dire sans à-coup,
sans « période de transition », aux fonctionnaires
royaux, dans l’administration et les instances du pouvoir.
Il ne s’agit cependant pas d’une révolution pacifique.
Des armées hollandaises sont envoyées, qui sont tenues
en échec par les insurgés. Le 25 septembre, un gouvernement
provisoire est formé.
A bien des égards, il s’agit d’une révolution
exemplaire. Mais exemplaire aussi est le fait qu’en dernière
instance, elle ne doit son succès qu’à une conjoncture
internationale extrêmement favorable en même temps que
fugace. L’une des combinaisons les plus subtiles du congrès
de Vienne est renversée. A l’initiative de l’Angleterre,
un congrès se tient à Londres où sont représentées
les puissances participantes du congrès de 1815.
En réalité, les Belges sont largement redevables
de leur indépendance aux Polonais. La révolution qui
a éclaté en Pologne paralyse momentanément
la Russie, la Prusse et l’Autriche, qui s’étaient
partagé ce malheureux pays. L’Autriche, de plus, était
fort occupée par les troubles qui se déroulaient en
Italie. C’est donc à contre-coeur que Mettemich avait
dû reconnocitre l’indépendance de la Belgique.
Il se rattrapa en menant une action extrêmement énergique
en Italie, où des soulèvements avaient eu lieu dans
les Etats pontificaux. Mais, surtout, la réaction s’abattit
en Allemagne même où on tenta par tous les moyens d’extirper
toute trace de libéralisme. Heinrich Heine, un des plus grands
poètes allemands, dut s’exiler à Paris. Ses
oeuvres furent interdites en Allemagne. La presse et l’université
furent sévèrement contrôlées. Arrestations,
bannissements se succédèrent. En 1833, le tsar, l’empereur
d’Autriche et le roi de Prusse se rencontrèrent et
réaffirmèrent leur attachement aux principes de la
Sainte-Alliance.
La révolte polonaise avait suscité de grands espoirs
chez les libéraux allemands [7].
« Qu’elle triomphât, dit Bakounine, et la monarchie
prussienne, coupée de son rempart du Nord-Est, obligée
de restituer sinon la totalité, du moins une grande partie
de ses provinces polonaises, aurait dû chercher un autre point
d’appui en Allemagne même ; et comme elle n’aurait
pu encore l’acquérir par la conquête, il lui
aurait fallu s’attirer l’indulgence et la sympathie
du reste de l’Allemagne au moyen de réformes libérales
et appeler hardiment tous les allemands sous le drapeau impérial...
En un mot, dès ce moment se serait accompli, fût-ce
par d’autres voies, ce qui s’est réalisé
maintenant [8], mais, peut-être, sous les formes plus libérales.
Au lieu que la Prusse absorbe l’Allemagne, comme c’est
le cas aujourd’hui, l’impression aurait pu être
que l’Allemagne avait absorbé la Prusse. » (IV,
305.)
Malheureusement, les Polonais furent vaincus, Varsovie tomba et
avec elle les espoirs des patriotes allemands. La répression
reprit de plus belle contre les démocrates.
C’est à ce moment-là, dit Bakounine, que, «
rassemblant toutes leurs forces, ceux-ci se livrèrent à
une manifestation sinon très violente, du moins extrêmement
bruyante, connue dans l’histoire contemporaine sous le nom
de la Fête de Hambach » : nous sommes en mai 1832 ;
vingt mille personnes venues de presque tout le pays manifestent
pour une Allemagne unifiée et démocratique. Pourtant,
de l’avis de l’anarchiste, le mouvement était
voué à l’échec. A la Fête de Hambach,
ont été prononcées des « paroles de colère,
de rage, de désespoir », mais il n’y avait derrière
elles « ni volonté, ni organisation, et, dès
lors, ni force ».
Néanmoins, cette manifestation eut un certain nombre de
conséquences :
l.- Les paysans du Palatinat bavarois se révoltèrent
en réclamant la terre et la liberté. Cette révolte
« effraya terriblement non seulement les conservateurs, mais
aussi les libéraux et les républicains allemands,
dont le libéralisme bourgeois est incompatible avec un véritable
soulèvement populaire. Mais, à la satisfaction générale,
cette nouvelle tentative de révolte paysanne fut écrasée
par les troupes bavaroises. » (IV, 305.) Conformément
au schéma établi, la bourgeoisie une fois de plus
se retrancha derrière la force armée du pouvoir nobiliaire
sans avoir la force d’imposer ses propres revendications,
et surtout, sans avoir l’audace d’utiliser l’impulsion
de la révolte paysanne.
Cependant, les bourgeois allemands ne furent pas tout à
fait aussi inactifs ou indifférents que ne le dit Bakounine.
En Allemagne du Sud, une importante agitation eut lieu contre les
décrets de Karlsbad, en vue d’obtenir un accroissement
des pouvoirs des diètes provinciales et la liberté
de la presse. Le centre de ce mouvement, qui touchait surtout la
petite-bourgeoisie, se trouvait dans le Palatinat rhénan
de Bavière, où le droit français était
en vigueur, et où la misère, consécutive à
l’effondrement des prix des produits agricoles, faisait des
ravages aussi bien dans les rangs de la petite-bourgeoisîe
que de la paysannerie. C’est le Franconien Wirth qui fut à
l’initiative de la Fête de Hambach. Il se déplaçait
sans cesse d’une ville à l’autre, imprimant avec
une presse à main un journal, la Deutsche Tribune. Il créa
une Association de presse (Pressverein), dont le but était
« l’organisation d’un Reich allemand unifié,
avec une constitution démocratique ».
La dernière flambée du mouvement paysan se produisit
dans le grandduché de Hesse, où le « bain de
sang de Sôdel » et la répression militaire sauvage
de paysans sans défense, qui s’étaient soulevés
contre la misère qui les écrasait, provoqua la protestation
des libéraux de la Hesse. Citons le pasteur Weidig, appartenant
à la tendance droitière germanochrétienne,
qui fut le seul des dirigeants du mouvement en Allemagne du Sud
à ne pas capituler devant la répression décheinée
par la Diète fédérale à la suite de
la Fête de Hambach. En 1834, Weidig s’associa à
un étudiant de vingt ans, Georg Büchner, admirateur
de la Révolution française, et publia une feuille
révolutionnaire, Der Hessische Landbote (Le Messager rural
de la Hesse), qui appelait les paysans à se soulever contre
leurs mocitres, et qui portait en exergue le mot d’ordre de
1793, « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières
! ». Un des membres de leur conspiration les trahit. Büchner
put s’enfuir et mourut de maladie en 1837 ; Weidig, torturé
en prison, se suicida.
2.- Soixante-dix étudiants armés s’attaquèrent
à la garde du palais de la Confédération germanique
à Francfort. « Cette entreprise était inepte,
dit Bakounine, car c’est à Berlin ou à Vienne
qu’il eût fallu frapper » (IV, 306). Et même,
soixante-dix étudiants étaient loin de suffire pour
« briser la puissance de la réaction allemande ».
En plus, le gouvernement, prévenu, avait laissé l’affaire
suivre son cours, « afin d’avoir un bon prétexte
pour anéantir les partisans de la révolution et les
aspiration révolutionnaires en Allemagne ».
La réaction la plus noire s’abattit alors sur le pays.
« Ce fut une véritable satumale pour les fonctionnaires
allemands et les manufactures de papier, dont une énorme
quantité fut noircie à cette occasion ». Une
commission centrale fut créée, chargée de coordonner
la répression et l’échange d’informations
concernant les éléments subversifs. Arthur Lehning,
dans une note à Etatisme et anarchie, donne des précisions
sur l’efficacité de la coopération des différents
Etats allemands dans ce domaine : « La création d’un
“bureau d’informations” pour tous les Etats du
Deutsche Bund était une idée de Metternich. Il l’avait
déjà émise avant l’attentat de Francfort.
Le bureau n’était pas organisé comme une centrale
policière munie de pleins pouvoirs, mais comme une police
secrète chargée de suivre les activités des
révolutionnaires et d’en informer les gouvernements.
“On ne pend pas les voleurs avant d’avoir mis la main
dessus”, écrivait Metternich. Les opérations
du Bureau devaient, selon les instructions de Mettemich, s’étendre
au-delà des frontières allemandes, notamment en France,
centre des comploteurs en Suisse, centre des réfugiés
; en Belgique, terre d’asile des Polonais...) Les informations
recueillies par une multitude d’agents secrets étaient
envoyées à Vienne et à Berlin où des
commissions spéciales nommées par les gouvernements
devaient prendre, en se basant sur ces renseignements, des mesures
policières ou juridiques. » (IV, 428-429.)
Toute la fleur de l’Allemagne libérale fut arrêtée,
emprisonnée. Nombreux furent ceux qui restèrent prisonniers
jusqu’en 1840, certains même jusqu’en 1848. Après
la Fête de Hambach, prit fin tout mouvement politique en Allemagne.
« Un silence de mort succéda, qui se prolongea sans
la moindre interruption jusqu’en 1848. En revanche, le mouvement
se transposa dans la littérature. » (IV, 306.)
Selon la classification établie par Bakounine, c’est
au début de la troisième période du libéralisme
allemand qu’il commence lui-même à entrer en
scène, en publiant son essai, La Réaction en Allemagne.
Après la mort de Hegel, en 1831, son école philosophique
devait prendre une extension considérable et marquer complètement
son époque. Bakounine évoque dans Etatisme et anarchie
cette période d’exaltation hégélienne
qu’il a vécue à Berlin dans les années
40. l’Allemagne est alors en pleine mutation. L’industrie
commence à se développer et, avec elle, le prolétariat.
Si la Prusse a jusqu’à présent refusé
de prendre la tête du mouvement pour l’unité
allemande, c’est parce qu’elle refusait de le faire
au prix d’une concession au libéralisme. Cependant,
la Prusse n’a pas renoncé à la primauté
matérielle et morale sur les autres Etats allemands. Pour
cela, elle se servit de deux moyens, dit Bakounine : l’Union
douanière et l’université de Berlin.
Sous l’influence du conseiller Altenstein, le seul libéral
dans l’entourage de Frédérick-Guillaume III,
furent rassemblés à Berlin « tous les hommes
de progrès et les personnalités les plus représentatives
de la science allemande » (IV, 307). Ainsi, pendant que dans
tous les pays germaniques sévissait la réaction la
plus noire, « Berlin devint le centre, le foyer rayonnant
de la vie scientifique et spirituelle de l’Allemagne ».
Hegel laissait derrière lui une pléiade de jeunes
professeurs, d’éditeurs de ses oeuvres, d’exégètes
et d’adeptes. Une multitude d’esprits, allemands ou
non, convergèrent sur Berlin.
« Ceux qui n’ont pas vécu cette époque
ne pourront jamais comprendre combien était fort le culte
de ce système philosophique dans les années 30 et
40. On croyait que l’Absolu recherché de toute éternité
était enfin découvert et expliqué et qu’on
pouvait se le procurer en gros et en détail à Berlin.
» (IV, 307.)
Engels évoquera cette période en des termes presque
identiques dans Ludwig Feuerbach et la fin de la philosophie classique
allemande :
« On conçoit mal quelle énorme influence ce
système de Hegel ne pouvait manquer d’exercer dans
l’atmosphère teintée de philosophie de l’Allemagne.
Ce fut une marche triomphante qui dura plusieurs dizaines d’années
et ne s’arrêta nullement à la mort de Hegel.
Au contraire, c’est précisément de 1830 à
1840 que "l’engouement hégélien" régna
le plus exclusivement, contaminant plus ou moins même ses
adversaires. »
Le parti réactionnaire prussien, qui avait repris le pouvoir
en 1815, était sérieusement à court d’assise
idéologique, et Hegel avait grandement contribué à
lui en fournir une. Schopenhauer écrivit à son sujet
: « Installé par le détenteur du pouvoir dans
le rôle de grand philosophe patenté, Hegel n’était
qu’un charlatan illettré et écœurant, qui
eut l’incroyable audace d’écrire des insanités
que ses adulateurs, approuvés par tous les imbéciles,
ont proclamé géniales. Ainsi épaulé
par les dirigeants, Hegel a réussi à corrompre toute
une génération. » Ailleurs, Schopenhauer dit
encore : « Les gouvernements mettent la philosophie au service
de leurs intérêts d’Etat ; quant aux intellectuels,
ils en font commerce. » Pour l’anecdote, cette phrase
est extraite de l’introduction au Monde comnie volonté
et comme représentation, le dernier livre que Bakounine eut
entre ses mains avant de mourir, et à propos duquel il se
plaignit du pessimisme de son auteur.
Si l’université de Berlin, îlot de libéralisme
dans un régime despotique, contribuait à donner une
assise à la monarchie prussienne, c’était là
un processus parfaitement contrôlé. Le roi Frédérick-Guillaume
III, dans une directive officielle, avait fait savoir que les sciences
abstraites n’intéressaient que le monde universitaire
; on ne peut les ignorer complètement, mais « il importe
toutefois de les enfermer dans des limites convenables » [9].
C’est cependant par son action économique que le royaume
de Prusse va renforcer considérablement sa puissance en Allemagne.
« Auparavant, dit Bakounine, l’Allemagne avait autant
de douanes et de règlements douaniers différents les
uns des autres qu’elle comptait d’Etats. Cette situation
était effectivement intolérable et condamnait l’industrie
et le commerce allemands au marasme. » (IV, 314.)
En 1836, seules quelques villes libres et quelques duchés
se trouvaient en dehors de l’union douanière –
le Zollverein – ainsi que l’Autriche, qui avait négligé
toutes les occasions de s’adapter à l’évolution
économique, et qui était restée très
en retard. Ce retard économique, cette exclusion de l’union
douanière, entraîneront inévitablement, souligne
Bakounine, l’exclusion de l’Autriche de la scène
politique allemande.
Bien qu’à l’origine l’idée de l’union
douanière ne vint pas de Prusse mais de la Bavière
et du Wurtemberg, la Prusse s’en empara. La dispersion des
ses territoires avait nécessité, dès 1816,
la suppression de la douane sur tout le territoire de la monarchie.
En 1842, onze Etats allemands associés dans l’union
douanière étaient régis par une législation
uniforme sur l’exportation et l’importation. L’Autriche,
qui représentait alors la première puissance allemande,
demeura à l’écart du mouvement : l’union
douanière était, aux yeux de Metternich, une tentative
de jacobiniser l’Allemagne. Les autorités prussiennes,
au contraire, y voyaient une étape vers une l’Allemagne
unie sous la direction de la Prusse.
Bakounine souligne à juste titre que l’exclusion de
l’Autriche répondait parfaitement à l’intérêt
majeur de la Prusse, « car cette exclusion tout d’abord
seulement économique entraîna ensuite son éviction
politique » (IV, 314). En 1850, le poids politique de l’Etat
prussien était devenu suffisamment grand pour interdire l’entrée
de l’Autriche dans l’union, intrusion qui aurait disputé
à Berlin l’hégémonie sur l’Allemagne
du Nord. Bakounine fait cette observation tout à fait pertinente
que le gouvernement prussien vise l’hégémonie
par des moyens qui paraissent « incomparablement plus rentables
et adéquats que les réformes libérales »
: il met en œuvre des mesures économiques grâce
auxquelles il s’assure le soutien du capital industriel et
financier, la prospérité de l’un et l’autre
« appelant nécessairement une vaste centralisation
politique » (IV, 314).
L’union douanière va aussi à l’encontre
des intérêts des princes allemands, dont les domaines
sont parfois enclavés dans le domaine prussien, comme la
principauté d’Anhalt. Aussi, le Zollverein suivra-t-il
tout d’abord une orientation protectionniste pour ménager
les souverains allemands dont les revenus sont constitués
pour une part importante des droits de douane, quand ce n’est
pas carrément de la contrebande aux dépens de la Prusse.
Ce n’est qu’à partir de 1840 que la Prusse s’oriente
ouvertement contre les intérêts des princes en défendant
l’extension des chemins de fer. L’administration napoléonienne
avait commencé à développer les routes, mais
ce n’est qu’à grand-peine que l’entrepreneur
Borsig avait créé l’industrie berlinoise, faute
de voies convenables pour acheminer le matériel.
Les libéraux prussiens, qui aspiraient à des réformes,
savaient qu’ils n’avaient rien à attendre de
Frédérick-Guillaume III, et attendaient l’avènement
de son fils, le futur Frédérick-Guillaume IV, qui
monta sur le trône en 1840. Il est difficile, dit Bakounine,
de donner une caractéristique à cette troisième
période du libéralisme allemand, car elle est «
riche en tendances, en écoles, idéaux et concepts
qui se développent sous les formes les plus diverses, mais
elle est dans une égale mesure pauvre en événements.
Elle est tout entière remplie par l’esprit fantasque,
et les écrits incohérents du roi Frédérick-Guillaume
IV... » Ami des lettres et des arts, causeur intarissable,
séduisant, le nouveau roi manque de bon sens, fait des promesses
irréalisables, qu’il nie ensuite en toute bonne foi
avoir faites, se grise de mots : « Mi savant, mi poète,
atteint d’impuissance physiologique et de surcroît ivrogne,
protecteur et ami des romantiques itinérants et des “pangermanisants”,
il fut, dans les dernières années de sa vie, l’espoir
des patriotes allemands. Tout le monde espérait qu’il
donnerait la Constitution. » (IV, 315.)
Le roi haïssait la France, la Révolution française
et la philosophie du XVIIIe siècle rationaliste. Entouré
de théoriciens du romantisme, il était passionné
par le Moyen Age, l’Etat chrétien d’Otton le
Grand et par Frédérick Barberousse. En outre, c’était
un adepte de la philosophie historique du droit que Bakounine dénonce
dans La Réaction en Allemagne et que Marx et Engels dénonçaient
également à la même époque. Les premiers
actes du roi soulevèrent les espoirs des libéraux
: amnistie des « démagogues » [10], punis après
1819 et 1830. Les patriotes se félicitaient de sa haine de
la France. Les protestants étaient enchantés des effusions
piétistes de ses discours. Les catholiques étaient
charmés de ses bonnes dispositions envers Rome. Mais les
bonnes paroles dont le roi avait saoulé tout le monde ne
reçurent que peu d’application. Ses actes révélaient
en réalité des préoccupations contraires aux
promesses faites, puisqu’il appela Schelling à Berlin
pour détruire l’influence de Hegel, dont on avait fini
par pressentir que la pensée, derrière une forme conservatrice,
décelait des germes d’une critique radicale.
« Vaniteux, ambitieux, inconscient, tourmenté et en
même temps incapable de se contenir et d’agir, Frédérick-Guillaume
IV était tout bonnement un épicurien, un noceur, un
romantique ou un despote extravagant installé sur le trône.
Comme un homme incapable d’accomplir quoi que ce soit, il
ne doutait de rien. Il lui semblait que le pouvoir royal, à
la mission divine duquel il croyait sincèrement, lui donnait
le droit et la force de faire absolument tout ce qui lui venait
à l’esprit et, contre toute logique et contre les lois
de la nature et de la société, de réussir l’impossible,
de concilier quand même l’inconciliable. » (IV,
315.)
Dans une lettre à Ruge datant de mai 1843, Marx avait lui
aussi analysé le comportement irrationnel du roi : «
... or pourquoi, dit-il, un individu tel que le roi de Prusse, à
qui rien n’indique qu’il soit mis en question, n’obéirait-il
pas à son seul caprice ? Et puisqu’il le fait, qu’en
résulte-t-il ? Des desseins contradictoires ? Soit, ce ne
serait rien. Des velléités stériles ? Pourtant,
elles sont toujours la seule réalité politique. (…)
Quelque inconscient, insensé et méprisable qu’il
soit, le caprice sera toujours assez bon pour gouverner un peuple
qui n’a jamais connu d’autre loi que le bon plaisir
de ses rois. Je ne dis nullement qu’un système stupide
et la perte de l’estime à l’intérieur
et à l’extérieur resteront sans conséquences
; je ne garantis pas, quant à moi, la sécurité
de la nef des fous ; mais je prétends que le roi de Prusse
sera un homme de son temps aussi longtemps que le monde absurde
sera le monde réel [11]. »
Il est significatif que l’opinion de Bismarck sur l’indécision
et le manque de réalisme du roi est dans l’ensemble
la même : chez Frédérick-Guillaume IV, dit-il,
le sentiment national était « plus vif, platoniquement
plus vif que chez son père. Mais les tendances romantiques
et moyenâgeuses et son peu d’envie de prendre des résolutions
nettes et fermes furent cause que ce sentiment ne se traduisit jamais
par des actes [12]. »
L’absence de réformes libérales provoqua un
accroissement du nombre des opposants de toutes les nuances, de
la bourgeoisie industrielle et commerçante de la Prusse rhénane
qui ressemblait fort à celle de l’Angleterre et de
France, aux radicaux constitués pour une bonne part d’intellectuels
formés dans les universités à la philosophie
hégélienne [13]. Les désirs contradictoires
du roi semaient la confusion dans les esprits. « Ainsi, dit
Bakounine, il voulait que régnât en Prusse la plus
complète liberté, mais en même temps que le
pouvoir royal absolu et son arbitraire sans limites. » (IV,
315.) En fait, ce que Frédérick-Guillaume IV entendait
par « liberté allemande » n’était
rien d’autre que l’obéissance enthousiaste au
roi.
Brusquement, en février 1847, Frédérick-Guillaume
décida la réunion des états provinciaux à
Berlin, avec pouvoir de voter les impôts nouveaux et de présenter
des pétitions. En dehors de cela, les états provinciaux
avaient un rôle purement consultatif, sans périodicité
précise. Le discours d’ouverture donnait le ton :
« Héritier d’une couronne que j’ai reçue
intacte et que je dois et veux laisser intacte à mes successeurs,
jamais je ne permettrai qu’une feuille écrite vienne
s’interposer, pour jouer le rôle d’une deuxième
providence, entre Dieu, notre seigneur du ciel, et ce pays, pour
gouverner par ses paragraphes et pour remplacer par eux la sainte
et antique fidélité ... »
La « feuille écrite » était évidemment
la constitution réclamée par les libéraux.
Le roi conclut son discours en disant que s’il avait pu songer
que les participants pouvaient avoir eu le mauvais goût de
vouloir « jouer le rôle de soi-disants représentants
du peuple », il ne les aurait jamais convoqués. Un
jeune féodal se distingua lors des débats par l’ardeur
de ses protestations contre les idées nouvelles : Bismarck,
qui devait devenir par la suite l’ennemi intime de Bakounine
et représenter pour ce dernier la parfaite illustration de
la réaction.
La majorité des états provinciaux repoussa les deux
emprunts auxquels tenait le gouvernement, sur les chemins de fer
et sur les banques hypothécaires. L’assemblée
se sépara en juin 1847 sans avoir obtenu de résultat.
La révolution de 1848, qui balaya toute l’Europe,
relança le débat que la bourgeoisie allemande n’avait
pas su poser l’année précédente.
Notes
[1] En 1815, le congrès de Vienne avait fait de l’Allemagne,
dans le cadre de la Sainte-Alliance formée sous la direction
du tsar et de Mettemich, une Confédération germanique
de trente-neuf Etats souverains, sous la direction d’une Diète
fédérale constituée par les représentants
de ces Etats, dont les deux principaux étaient évidemment
la Prusse et l’Autriche.
[2] Dans le cadre conceptuel élaboré par Bakounine,
une classe – en l’occurrence la bourgeoise – est
une « classe historiques » tant qu’elle lutte
encore pour l’hégémonie dans la société.
Pour Bakounine, 1830 marque le terme de la période historique
de la bourgeoisie parce que c’est à cette date qu’elle
assoit définitivement son pouvoir. En d’autres termes,
une classe est historique tant qu’elle est dans sa phase ascendante.
Cela ne sîgnifie en aucun cas que la bourgeoisie commence
dès lors à dépérir ou à s’affaiblir
: elle entre simplement dans une période où elle n’a
plus à conquérir mais à conserver les acquis.
Elle n’en est au contraire que plus acharnée à
combattre toute menace contre ces acquis.
[3] La répression contre la Burschenschaft consécutive
à la Fête de Wartbourg poussa les éléments
les plus actifs du mouvement à répondre par la formation
d’une société secrète, la Bund des Unbedingten
(Ligue des intransigeants), qui eut recours au terrorisme. Karl
Sand, qui tua Kotzebue, était un des membres de cette ligue.
[4] Les Burschenschaften furent interdites par la Diète
fédérale le 20 septembre 1819. Bakounine tend, semble-t-il
à sous-estimer l’ampleur invraisemblable de la répression
qui s’abattit sur le mouvement libéral en Allemagne.
[5] Cité par Gérard Bloch, introduction de La vie
de Karl Marx, Franz Mehring, éditions Pie, p. 71.
[6] On a du mal aujourd’hui à imaginer à quel
point l’arrogance nobiliaire a pu être encore ancrée
dans les esprits de bon nombre d’aristocrates, bien des années
après la Révolution française. A peu près
à la même époque où le prince de Windischgraetz
donne sa définition de l’homme, le marquis de Saint-Astier
saisit, indigné, le bras du promeneur qui l’accompagne,
quand il voit un commissionnaire, arrêté au coin d’une
rue : « Voyez, voyez ce coquin qui lit. » Cité
par Laurent Louessard, La révolution de juillet 1830, Spartacus.
(Cf. également, Radio Libertaire, interview dans le «
Magazine Libertaire » du 21 avril 1991.)
[7] L’insurrection polonaise du 29 novembre 1830 fut écrasée
par l’entrée des troupes russes à Varsovie en
septembre 1831. Mehring écrit dans son Histoire de la social-démocratie
allemande : « Le convoi funèbre des réfugiés
polonais à travers l’Allemagne devint un véritable
convoi triomphal. Tous les cercles bourgeois sentaient instinctivement
que la lutte héroïque des Polonais contre le superdespote
russe était également dirigée contre les sous-despotes
allemands. »
[8] Bakounine écrit ces lignes en 1874, après la
constitution de l’Empire allemand à la suite de la
guerre franco-prussienne.
[9] Cf. E.N. Anderson, Nationalism and the Cultural Crisis in Prussia,
1810-1815, p.270,1939.
[10] C’est ainsi que la Sainte-Alliance désignait
les intellectuels de tendance libérale et nationale.
[11] La Pléiade, III, p. 339.
[12] Bismarck, Pensées et souvenirs, Calmann-Lévy,
pp. 66-67.
[13] La structure économique et sociale de la Confédération,
sans compter l’Autriche, était en gros la suivante
: a) dans le Nord-Est se trouvaient des Etats agraires dans lesquels
dominaient le système féodal et le despotisme ; b)
en Prusse, les réformes introduites après l’écrasement
de l’armée à Iéna avaient permis le développement
du capitalisme dans l’industrie et dans l’agriculture
; c) l’influence française avait pénétré
dans les Etats du centre et du Sud, essentiellement agricoles :
pays de Bade, Wurtemberg, Hesse, Hanovre, Bavière, Saxe,
dans lesquels régnaient un libéralisme modéré
mais sans base sociale profonde ; d) c’est en Rhénanie
et en Westphalie que l’influence française a été
la plus profonde.
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