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Origine : échanges mails avec l'auteur
A Arna Mer Khamis
Moïse Saltiel,
Issa Wachil,
Wallid Atallah
Ce livre n’aurait pas pu voir le jour sans
l’amitié de Moïse Saltiel, sans nos longues conversations,
sans les documents qu’il m’a fournis et sans sa thèse,
non publiée, dont il m’a donné connaissance,
Sur la Palestine, terre nourricière, Israël, base militaire
(Paris, mai 1988).
Il y a cinquante ans s’est constitué,
sous les yeux du monde, un Etat, l’Etat d’Israël.
La chose peut sembler banale, mais elle ne l’est pas. L’observation
de ce phénomène aurait dû intéresser
les anarchistes ; pourtant, peu nombreux sont ceux qui ont compris
que quelque chose d’important se passait, c’est-à-dire
la possibilité de confronter la validité de leurs
théories avec la réalité ([1]. Bien sûr,
ce n’était pas la seule raison de s’intéresser
au phénomène, mais ç’en était
une parmi d’autres.
On pourra objecter que bien des Etats se sont constitués
pendant la période de la décolonisation, mais il s’agit
là d’un problème différent. Les Etats
issus de la décolonisation se sont constitués sur
la base de structures mises en place par et pour l’ancien
colonisateur, qui s’est retiré, ou à l’imitation
des structures étatiques du colonisateur. A bien des égards,
l’embryon d’Etat palestinien en constitution relève
de ce type d’Etat-là.
L’Etat d’Israël au contraire correspond
à peu près au modèle d’Etat constitué
progressivement en Occident. C’était l’intention
de ses promoteurs. Il constitue de ce fait un exemple pertinent
à partir duquel on peut analyser le processus de fondation
d’un Etat. La militante anarchiste Emma Goldman définissait
le sionisme comme « le rêve des capitalistes juifs du
monde entier pour un Etat juif avec tous ses attributs, tels que
le gouvernement, les lois, la police le militarisme et le reste.
En d’autres mots, une machine d’Etat juive pour protéger
les privilèges de quelques-uns contre le plus grand nombre
» [2].
Emma Goldman prend soin de préciser que les
sionistes ne furent pas les seuls soutiens de l’émigration
juive en Palestine, et que les masses juives de tous les pays, et
en particulier des Etats-Unis d’Amérique ont donné
de grandes quantités d’argent pour soutenir cette cause,
motivés par « l’espoir que la Palestine pourrait
être un asile pour leurs frères cruellement persécutés
dans presque tous les pays européens ».
Voici, très sommairement exposé, les
principales lignes de la théorie anarchiste de la constitution
des Etats :
1. Pour Bakounine, l’acte originel de formation
de tout Etat est la violence, la rapine et l’assujettissement
forcé des populations.
Les premiers Etats historiques ont été
constitués par la conquête de populations agricoles
par des populations nomades : « Les conquérants ont
été de tout temps les fondateurs des Etats, et aussi
les fondateurs des Eglises » [3]. L’Etat est «
l’organisation juridique temporelle de tous les faits et de
tous les rapports sociaux qui découlent naturellement de
ce fait primitif et inique, les conquêtes » qui ont
toujours « pour but principal l’exploitation organisée
du travail collectif des masses asservies au profit des minorités
conquérantes »[4]. La violence est donc l’acte
constitutif de la domination de classe, l’exploitation son
mobile [5]. Si chez Marx on arrive à l’Etat par l’apparition
des classes sociales et par le développement de leur antagonisme,
pour Bakounine les classes ne peuvent se constituer à l’origine
autrement que par un acte de violence ou de conquête qui coïncide
avec la formation de l’Etat. Bakounine suggère que
l’Etat est le résultat de l’appropriation du
pouvoir par un groupe déjà constitué et organisé.
C’est que le pouvoir est la condition de l’existence
d’une société d’exploitation : «
les classes ne sont possibles que dans l’Etat » [6].
« Ainsi se forment les classes étatiques dont l’Etat
sort tout fait [7]. »
2. La puissance de l’Etat et des classes dirigeantes
n’est pas fondée sur un droit supérieur, mais
sur une « force organisée » incontestablement
plus puissante, sur « l’organisation mécanique,
bureaucratique, militaire et policière ». Cette «
organisation mécanique » ne peut suffire à elle
seule, elle a besoin de se parer d’une légitimité.
Un groupe dominant ne peut maintenir sa domination qu’en étant
persuadé de son droit. La force seule ne suffit pas pour
pérenniser l’Etat, il lui faut une sanction morale,
juridique et religieuse. Cette sanction n’est pas seulement
destinée aux populations dominées, elle est destinée
également à légitimer à ses propres
yeux le droit du groupe dominant. « Une religion ou une autre
expliquera ensuite, c’est-à-dire divinisera, l’acte
de violence et de cette manière posera le fondement du droit
dit étatique [8]. » Si, dans le cas d’Israël,
la religion sert de légitimation préalable à
la fondation de l’Etat, on constate l’étroite
interdépendance, constamment soulignée par Bakounine,
du fait religieux et du fait étatique.
3. Le troisième volet de la théorie
bakouninienne est particulièrement intéressant, c’est
celui qui décrit le processus de dissolution du pouvoir.
Les « classes étatiques », tout
d’abord se consolident, et avec le temps « la majeure
partie de ces exploiteurs, soit par la naissance, soit par la situation
dont ils ont hérité dans la société,
commenceront à croire sérieusement au droit historique
et au droit de naissance ». Cette tendance se modifie progressivement
sous l’effet de plusieurs facteurs. Dans les premiers temps
de la vie d’une classe dominante, l’égoïsme
de classe est caché par « l’héroïsme
de ceux qui se sacrifient non pour le bien du peuple, mais au profit
et pour la gloire de la classe qui, à leurs yeux constitue
tout le peuple ». Mais cette période laisse la place
à des temps de plaisirs, de jouissance, de lâcheté
: « Peu à peu, l’énergie de classe tombe
en décrépitude et dégénère en
débauche et en impuissance ». A ce stade apparaît
une minorité d’hommes moins corrompus, des hommes actifs,
intelligents et généreux, qui « font passer
la vérité avant leurs propres intérêts
et qui songent aux droits du peuple réduits à néant
par les privilèges de classe ».
Il y a un phénomène de bascule entre
l’effondrement progressif du sentiment de légitimité
de la classe dominante et l’ascension du sentiment du droit
de la classe dominée. Dans sa lente prise de conscience de
son droit, le peuple s’appuie sur deux « livres de chevet
» : sa condition matérielle, l’expérience
de l’oppression ; et « la tradition, vivante, orale,
transmise de génération en génération
et devenant chaque fois plus complète, plus sensée
et plus vaste ». Lorsque le peuple prend conscience de son
oppression et parvient à formuler les causes de ses maux,
les représentations qu’il a transmises fournissent
la source de son droit, dont l’agent d’exécution
est la « force organisée », car « faute
d’organisation, la force spontanée n’est pas
une force réelle » [9].
Le présent travail n’a pas pour objet
d’être une défense et illustration de la théorie
anarchiste de l’Etat à travers l’exemple d’Israël,
et nous ne nous consacrerons pas à la tâche de montrer,
point par point, l’adéquation de la théorie
avec les faits. La théorie bakouninienne est une grille de
lecture parmi d’autres, celle de Marx ou de Max Weber, par
exemple, qui sont tout aussi pertinentes, et d’ailleurs pas
contradictoires.
Il nous a semblé cependant intéressant,
en préambule, d’exposer les grands traits de la théorie
anarchiste de l’Etat :
– parce que précisément on trouve
de nombreuses correspondances avec le processus de constitution
de l’Etat israélien ;
– et aussi parce qu’apparaissent avec
évidence les raisons pour lesquelles les libertaires peuvent
s’intéresser au phénomène.
Il est évident cependant que la question
ne se réduit pas à un débat académique,
et que dans le conflit qui s’est développé avec
l’installation de Juifs en Palestine, puis avec la création
d’un Etat qui se voulait celui de tous les Juifs, ce sont
des hommes et des femmes qui se confrontent et luttent pour leur
existence, ce sont aussi deux conceptions du droit et de la justice.
On ne peut donc pas rester indifférents.
Il est difficile de nier que la création
de l’Etat d’Israël se soit faite par la violence.
Il est d’ailleurs intéressant de constater à
quel point l’analyse bakouninienne est pertinente en ce qui
concerne la « sanction morale ». L’expulsion de
centaines de milliers de Palestiniens de leur terre aurait été
impossible sans un solide appareil idéologique justificatif,
qui a permis pendant longtemps de faire croire que cette violence
n’avait jamais eu lieu, qui a permis également de nier
l’existence même d’un peuple palestinien.
L’argument du droit historique évoqué
par Bakounine est particulièrement important dans la genèse
de l’Etat israélien. On peut constater également
l’évolution entre la période héroïque
et ascendante qui laisse ensuite la place à une période
où les énergies tombent et sombrent dans la «
décrépitude » : le mouvement des kibboutzim
est particulièrement révélateur à cet
égard : constitué par des pionniers pétris
d’idéal communautaire et égalitaire –
ce qui a grandement séduit nombre de libertaires –
il a sombré dans l’individualisme, la spéculation
financière et immobilière.
Conforme également à l’analyse
bakouninienne est le phénomène de chute – chute
toute relative, il est vrai, qui est encore loin d’être
un « effondrement » – du sentiment du droit, et
l’apparition de la conscience du droit de l’autre. La
société israélienne a produit de nombreux hommes
et femmes capables de faire « passer la vérité
avant leurs propres intérêts ».
La tendance dominante est de considérer que
l’Etat d’Israël est un cas à part, différent
des autres, que les critères d’analyse qui s’appliquent
à lui sont différents des critères qui s’appliquent
aux autres Etats. Cette attitude est contestée en Israël
même par des intellectuels tels Baruch Kimmerling et Gerchom
Sapir.
Refuser à Israël toute référence
à des critères d’analyse habituels permet de
situer le problème non plus sur un plan critique, politique,
économique, sociologique, etc., mais essentiellement moral.
Le soutien que l’ensemble des Etats occidentaux a longtemps
apporté à la politique de l’Etat d’Israël,
et celui que les Etats-Unis continuent de lui apporter inconditionnellement,
seraient en quelque sorte l’expiation – sur le dos des
Palestiniens, qui ne sont responsables en rien de l’Holocauste
– de nos fautes collectives. Selon cette thèse, l’Holocauste
légitime l’Etat israélien. Or, là encore,
c’est d’Israël même que vient la contestation
de cette attitude, avec notamment les travaux de Tom Segev, qui
montrent que les survivants de l’Holocauste ont tout d’abord
été très mal reçus en Israël :
ce n’est que plus tard que cette épouvantable tragédie
a été instrumentalisée pour les besoins de
la raison d’Etat.
L’une des références légitimantes
de l’Etat d’Israël est l’argument du droit
historique. Un peuple peut-il légitimement se réclamer
d’un droit vieux de 2 000 ans pour s’approprier une
terre qu’il n’occupait plus depuis tout ce temps, et
sur laquelle vivait une population autochtone ? Au bout de 2 000
ans, n’y a-t-il pas « prescription ? » Car les
Arabes qui occupaient ce qui est devenu l’Etat d’Israël
constituaient une population qui n’est en rien différente
de celle qui occupait la Palestine avant l’Exode. Ce sont
les mêmes populations, restées sur place, et qui ont
été, au gré de l’histoire, successivement
christianisées puis islamisées.
Si nous acceptons l’argument du droit historique,
quel que soit la durée écoulée, lorsqu’il
est appliqué à Israël, nous devons également
en accepter la validité dans tous les autres cas. Un droit,
fût-il « historique », ne peut être considéré
comme tel que s’il a une valeur universelle, sinon, il n’est
pas un droit mais un privilège. La reconnaissance de ce droit
aux seuls Juifs accréditerait l’idée que les
Juifs sont différents, qu’ils peuvent légitimement
bénéficier de prérogatives qui ne seraient
pas reconnues à d’autres, ce qui serait d’une
part contraire à toutes les traditions de notre culture,
et d’autre part grandement préjudiciable aux Juifs
eux-mêmes. Les fondamentalistes juifs, tels le Goush Emounim,
jouent à fond la carte de la légitimité religieuse,
dénonçant les aspirations à la « normalité
» comme une « illusion des sionistes laïcs »
: les Juifs ne peuvent pas être « normaux » car
l’« unicité éternelle » des Juifs
vient de leur alliance avec Dieu sur le mont Sinaï, ce qui
fait dire au rabbin Shlomo Aviner que « Dieu peut exiger des
autres nations qu’elles se soumettent à des codes abstraits
de “justice et de vertu”, mais ces codes ne s’appliquent
pas aux Juifs ».
Que signifierait la généralisation
du « droit historique » ? Tout d’abord il pourrait
s’appliquer au détriment de l’Etat d’Israël
lui-même : en effet, la lecture de la Bible fait clairement
apparaître que les Hébreux sont eux-mêmes les
occupants d’un territoire précédemment occupé
par un peuple qu’ils ont dominé, les Cananéens.
Par conséquent, s’il se trouvait aujourd’hui
une population qui pourrait revendiquer une filiation avec les Cananéens,
elle pourrait légitimement réclamer le territoire
d’Israël [10]. En effet, la logique du « droit
historique » fait que plus celui-ci est ancien, plus il est
valide. A cela, on dira que c’est Dieu qui a donné
Israël aux Hébreux, argument encore en vigueur aujourd’hui
chez les intégristes juifs qui accusent les laïcs israéliens
d’être des « judéo-cananéens ».
Un proverbe juif dit que certains Juifs ne croient pas en Dieu mais
ils croient qu’Il leur a donné la terre d’Israël.
La logique du « droit historique » est
une logique absurde, à laquelle les anarchistes ne sauraient
en aucun cas adhérer.
Ce que Bakounine disait du principe de nationalité
pourrait parfaitement s’appliquer au sionisme dans la forme
qu’il a prise aujourd’hui : rien n’est plus néfaste,
disait Bakounine, que de faire du « pseudo-principe de la
nationalité l’idéal de toutes les aspirations
populaires ». La nationalité est un fait historique,
limité à une contrée, qui certes a un droit
indubitable d’exister, « comme tout ce qui est réel
et sans danger ». L’essence de la nationalité
est le produit d’une époque historique et de conditions
d’existence ; elle est formée par le caractère
de chaque nation, sa manière de vivre, de penser, de sentir.
Chaque peuple, comme chaque individu, a le droit d’être
lui-même : « En cela réside tout le droit dit
national. » Mais il ne s’ensuit pas qu’un peuple,
un individu, ait le droit ou l’intérêt de faire
de sa nationalité, de son individualité, une question
de principe et qu’ils doivent « traîner ce boulet
toute leur vie » [11] : « Au contraire, moins ils pensent
à eux, plus ils s’imprègnent de la substance
commune à l’humanité tout entière, plus
la nationalité de l’un et l’individualité
de l’autre prennent de relief et de sens [12]. »
C’est sur la base de ces considérations
que nous devons aborder la question de l’existence de l’Etat
d’Israël :
1.– L’anarchisme ne consistant pas à
nier les faits, on ne peut que reconnaître l’Etat d’Israël,
dans le sens de « constater son existence ».
2.– Mais il y a un autre problème :
c’est celui de la reconnaissance dans le sens d’«
attribuer une légitimité » à l’Etat
d’Israël. Nous n’avons pas plus de raison de justifier
l’existence de l’Etat d’Israël que de justifier
l’existence de n’importe quel autre Etat. Tout Etat
est un instrument d’oppression, d’exploitation, de manipulation
des masses ; nous ne pouvons qu’en constater l’existence.
Notre non-reconnaissance de l’Etat d’Israël, dans
le sens de légitimation, n’est donc pas motivée
par le fait que ce sont des Juifs qui ont créé cet
Etat, mais parce que c’est un Etat, et qu’il n’y
a pas de raison que nous ayons pour d’Israël, ni même
pour un éventuel futur Etat palestinien, une complaisance
que nous n’avons pas pour les autres Etats.
3. – Mais en réalité, le vrai
problème n’est pas là, ce n’est pas le
problème de la reconnaissance de la légitimité
– juridique ou morale – de l’Etat d’Israël,
c’est le problème de la reconnaissance de la légitimité
du peuple israélien. La question de la légitimité
de l’Etat d’Israël n’a en réalité
pour nous aucune importance ; en revanche, il nous paraît
plus important de nous demander si le peuple israélien peut,
aujourd’hui, légitimement revendiquer cette terre d’où
il a chassé les Palestiniens.
Puisque la création de l’Etat d’Israël
est un phénomène historique qui doit être abordé
comme tel, on ne peut évacuer toute considération
concernant les perspectives historiques à long terme. Il
y a d’innombrables exemples de populations s’installant
sur le territoire d’autres populations et qui y sont restées
: Amérique, Australie, Nouvelle-Zélande. Ce sont des
faits accomplis, tragiques, qui jalonnent l’histoire de l’humanité.
Il y a aussi des exemples où une population de colons fortement
enracinée a dû partir : c’est le cas de l’Algérie.
La question est donc : est-il envisageable, cinquante
ans après, d’exiger l’expulsion des habitants
d’Israël ? Bien sûr que non. Seule une petite minorité
d’extrémistes palestiniens en sont encore là.
Il n’est pas plus réaliste d’exiger l’expulsion
des habitants d’Israël que d’exiger l’expulsion
des Européens d’Amérique, d’Australie,
de Nouvelle-Zélande. Mais il faut noter que ce sont là
des pays où l’installation des Européens s’est
accompagnée de la quasi-extermination des populations autochtones,
ce qui n’est pas le cas de la Palestine.
Si le projet sioniste n’exigeait évidemment
pas l’extermination des Palestiniens, il envisageait toutefois
leur expulsion en masse, appelée pour la circonstance «
transfert ». Michel Warschawski n’hésite pas,
quant à lui, à parler d’« épuration
ethnique » [13]. La première forme de résistance
des Palestiniens a donc été de s’accrocher résolument
à leur terre chaque fois qu’ils le pouvaient.
L’expulsion des pieds-noirs d’Algérie
est en partie la conséquence de la politique qu’ils
ont adoptée. Dans une large mesure, la survie à long
terme d’Israël dépend de l’attitude même
de la population israélienne et de son Etat. La question
de la survie d’Israël est à notre avis liée
à sa capacité à s’intégrer dans
la région, à se concevoir comme un pays du Proche-Orient.
Faute de pouvoir régler la question sous la forme de l’expulsion
massive des Palestiniens des territoires qu’ils convoitent,
les Israéliens n’ont pas d’autre choix que de
trouver une modalité d’intégration dans la région
; le problème est que les couches dirigeantes aussi bien
qu’une partie importante de la population refusent cette éventualité
:
a) Elles refusent catégoriquement d’accepter
l’idée qu’elles vivent au Proche-Orient.
b) Elles refusent d’envisager toute forme
de relation autre que de domination économique et politique
avec les voisins.
Les Israéliens de la deuxième ou troisième
génération ne peuvent pas être tenus pour responsables
d’une situation qu’ils ont trouvée acquise. C’est
pourquoi nous ne pouvons que reconnaître le droit des Israéliens
à vivre sur cette terre – d’une façon
générale, nous affirmons le droit pour quiconque de
vivre où il a envie –, mais c’est un droit que
leurs pères ont conquis par la violence. C’est pourquoi
cette reconnaissance implique que les Israéliens à
leur tour reconnaissent la violence qui a été faite
aux Palestiniens, au lieu de se retrancher derrière un droit
historique fallacieux, et reconnaissent aux Palestiniens le droit
à l’existence.
A ceux qui réfutent l’argument de légitimité
millénaire des Juifs à vivre en Palestine, l’anarchiste
Emma Goldman réplique que l’argument selon lequel les
Arabes y vivent depuis des générations n’est
pas plus valable, « à moins d’admettre le monopole
de la terre et le droit des gouvernements de chaque pays d’exclure
les nouveaux venus ». Le fait que des seigneurs féodaux
arabes aient vendu leurs terres aux Juifs sans que la population
le sache « n’est rien de nouveau » : « La
classe capitaliste partout possède, contrôle, dispose
de ses biens à sa guise. Les masses, qu’elles soient
arabes, anglaises ou autres, n’ont rien à dire sur
cette question » [14].
L’existence de l’Etat d’Israël
n’est pas un impératif moral, c’est un fait historique
comme un autre, dont l’avenir est largement entre ses propres
mains. Nous ignorons si dans cinquante ans il existera encore. L’approche
historique nous montre nombre d’Etats qui se sont constitués
par la conquête et qui ont disparu après quelques générations,
à commencer par les royaumes chrétiens de Palestine
au moment des croisades. Lorsque les enjeux stratégiques
qui justifient le soutien des grandes puissances à Israël
auront disparu, ou se seront modifiés, les fondements mêmes
de cet Etat risquent de se dissoudre.
Il semble cependant que le principal danger pour
Israël se trouve en Israël même. Des forces internes
à la société israélienne concourent
à sa disparition, largement alimentées par les politiques
de ses gouvernements.
Ce qu’est ce livre, et ce qu’il n’est
pas. Ce livre prétend être ni une histoire d’Israël
ni une histoire du conflit israélo-palestinien.
Les informations contenues dans ce travail sont
accessibles à tous et sont tirées de la presse, mais
aussi de contacts personnels avec des Palestiniens, des Israéliens,
des Arabes de différentes nationalités. Ce n’est
pas l’œuvre d’un « spécialiste »
du conflit israélo-palestinien, mais celle d’un militant
libertaire intéressé par les problèmes internationaux
dont le hasard de certaines rencontres – en particulier celle
d’Arna Mer-Khamis, pendant la guerre du Golfe – a fait
qu’il s’est intéressé à cette question
particulière.
Mais pourquoi s’intéresser au conflit
israélo-palestinien ?
Parce qu’il nous semble que ce conflit qui
oppose deux « micro-nationalités » de quelques
millions de personnes serait à peine mentionné par
les médias s’il n’était le centre de gravité
d’antagonismes internationaux qui dépassent largement
ses protagonistes directs.
Parce que ce conflit est l’illustration parfaite,
jusqu’à la caricature, d’un type de rapport instauré
entre métropoles industrielles et pays dominés.
Parce qu’il éclaire la façon
scandaleusement discriminatoire dont les problèmes de justice
sont traités par les puissances qui dominent la planète
: deux poids, deux mesures.
Parce qu’il est exemplaire de la façon
dont un combat juste, celui de la population palestinienne opprimée,
a pu être instrumentalisé au profit d’intérêts
de caste.
Parce qu’il montre comment les acquis de la
lutte de toute une population pendant plusieurs années –
l’Intifada – ont pu être cassés par la
frénésie de concessions sans contrepartie de la direction
palestinienne.
Nous partageons tout à fait l’opinion
de Christiane Passevant et Larry Portis :
« La Palestine est plus proche de l’Europe
qu’on ne l’imagine. En dépit de diverses propagandes
gouvernementales relayées par des médias soumis et
sans professionnalisme, la Palestine n’apparaît plus
si lointaine. En termes de rapports historiques, d’interactions
sociales et démographiques ou de simple distance, la Palestine
et les pays du Proche-Orient sont plus liés à l’Europe
que ne le sont les pays du continent américain ou de l’ex-Union
soviétique » [15].
Si ce livre ne prétend pas se substituer
aux travaux des spécialistes de la question, il est l’affirmation
qu’il n’est pas besoin d’être un spécialiste
pour essayer de comprendre. Il n’est rien d’autre qu’une
réflexion sur un conflit, l’application, à un
conflit complexe, d’une méthode d’approche –
en l’occurrence l’approche libertaire –, et c’est
là peut-être la seule « spécialité
» dont nous nous réclamons.
« Si d’emblée nous sympathisons
avec le peuple et les militants palestiniens, la sympathie ne constitue
pas une analyse et encore moins une position politique. Il s’agit
de comprendre la lutte de ce peuple opprimé, son identité
culturelle, sa volonté d’identification nationale et
ethnique. De même que ses aspirations étatiques représentées
par l’Organisation de libération de la Palestine. Quelle
position peuvent adopter les libertaires vis-à-vis de leur
rejet des structures étatique [16] ? »
On peut s’étonner de l’indigence
des informations qui sont publiées dans les médias
français sur la question israélo-palestinienne. Pourtant
les informations de manquent pas, à commencer par celles
qui sont publiées dans la presse israélienne elle-même.
Ceux qui ne lisent pas l’hébreu n’ont même
pas cette excuse, dans la mesure où Israel Shahak, pour ne
citer que lui, a fait pendant des années des comptes rendus
de la presse israélienne contenant de nombreuses citations
[17].
Notre ambition a été de tenter une
synthèse des questions soulevées par le conflit israélo-palestinien
en récusant catégoriquement tout argument de légitimation
religieuse, en affirmant d’une part la nécessité
d’appliquer une approche strictement matérialiste au
problème, d’autre part le refus catégorique
d’appliquer à l’analyse de la nature de l’Etat
d’Israël d’autres critères que ceux appliqués
à n’importe quel autre Etat – c’était
d’ailleurs le projet sioniste que de créer pour les
Juifs un Etat « comme n’importe quel Etat »...
Le 30 octobre 1991 s’ouvre à Madrid
des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens.
L’événement est sans précédent.
Pour la première fois, les acteurs du conflit, Palestiniens
et Israéliens, se rencontrent et discutent. Mais nombre d’incertitudes
pèsent sur le processus de paix engagé à Madrid.
A n’en pas douter, la poursuite et l’intensification
de la politique israélienne de colonisation sous le gouvernement
de Shamir, puis sous celui de Rabin qui lui succède, représente
la plus grave menace pour ces négociations ; plus encore,
elle est une cause d’aggravation du conflit et porte le germe
de nouveaux bouleversements qui ne feront que rendre encore plus
difficile la recherche de la paix
Depuis 1967, Israël a confisqué plus
de 50 p. 100 de ce qui restait des territoires palestiniens. Le
nombre de colons juifs dans les territoires occupés, Jérusalem-Est
comprise, dépasse aujourd’hui 250 000. A la faveur
de la vague d’immigration soviétique, les autorités
israéliennes ne cachent pas leur intention d’y doubler,
voire tripler la population juive. Des milliards de dollars sont
ainsi investis pour bouleverser les données démographiques.
Les négociations n’ont pas empêché le
gouvernement israélien de consacrer le quart de son budget
du logement pour 1992 à la création et à l’extension
des colonies de peuplement dans les territoires occupés.
A Jérusalem-Est, depuis l’occupation
de 1967, le gouvernement israélien a détruit ou confisqué
des centaines d’habitations et expulsé des milliers
de Palestiniens. Cette politique s’intensifia ensuite avec
l’implantation de nouveaux colons venus de l’ex-URSS.
L’objectif avoué était d’obtenir une population
majoritairement juive et de rendre ainsi irréversible l’annexion
illégale de la ville.
Tant l’Assemblée générale
que le Conseil de sécurité des Nations unies ont condamné
à maintes reprises la politique de colonisation d’Israël.
La résolution 446 du 22 mars 1979 du Conseil de sécurité,
notamment, considère que « la politique et les pratiques
israéliennes consistant à établir des colonies
dans les terres palestiniennes et dans les autres territoires arabes
occupés n’ont aucune validité en droit et font
gravement obstacle à l’instauration d’une paix
globale, juste et durable au Moyen-Orient ». On sait que les
résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU
ne sont appliquées que sélectivement.
Moins d’un an après le début
des négociations de Madrid, Itzhak Rabin gagne, le 23 juin
1992, les élections et devient Premier ministre d’Israël,
mais il garde le portefeuille de ministre de la Défense qu’il
avait détenu entre 1987 et 1990.
Haider Abdel Shafi, le président de la délégation
palestinienne aux négociations, rétorque à
ceux qui pensent que dorénavant les choses iront plus vite,
qu’il n’y a pas de différence notable entre la
politique de Shamir et celle de Rabin. De fait, les confiscations
de terres ne diminuent pas, la répression continue. Le 5
octobre 1992, quelques mois après le début des négociations,
Itzhak Rabin décrira dans un discours au Parlement israélien
le cadre d’un accord final avec les Palestiniens :
– Il n’est pas question de revenir aux
frontières d’avant le 4 juin 1967 : il s’agit
donc d’un rejet explicite des résolutions des Nations
unies n° 242 et 336 ;
– Rabin rappela que lors des élections
de 1992 qui l’ont porté au pouvoir, le parti travailliste
avait opté pour « un Etat juif et non pour un Etat
binational, ce qui arriverait si 2,2 millions de Palestiniens étaient
annexés à Israël », ce qui est une façon
de dire : on veut la terre des Palestiniens, pas les Palestiniens
;
– Israël gardera la zone appelée
Grand Jérusalem ;
– Les responsables palestiniens devront faire
la preuve de leur efficacité dans la lutte contre le terrorisme
(sous-entendu : islamique).
Les accords de Washington stipulent que pendant
une période intérimaire de cinq ans, entre mai 1994
et mai 1999, un autogouvernement palestinien sera être mis
en place ; la négociation sur le statut définitif
de la Cisjordanie et de Gaza devait être ouverte en mai 1996
et s’achever dans les trois ans. Les questions les plus difficiles,
telles que le statut de Jérusalem, le sort des réfugiés,
les colonies de peuplement, la définition des frontières,
la libération des prisonniers et la création d’un
Etat palestinien devaient être remises à plus tard.
Ces questions étant les plus importantes, on en vient à
se demander ce qui pouvait bien être négocié
en attendant.
La très médiatique Déclaration
de principes signée à Washington le 13 septembre 1993
pouvait ainsi laisser croire que, à terme, un Etat palestinien
serait créé ; les déclarations de Rabin faites
en octobre 1992 seront pourtant confirmées dès Oslo
II : les Palestiniens n’auront que quelques bantoustans contrôlés
par Israël [18].
I. – QUAND L’INTÉGRISME ISLAMIQUE
PREND LE RELAIS DU COMMUNISME
Noam Chomsky écrit que la plus grande menace
pour les intérêts américains sont les «
“régimes nationalistes” sensibles aux pressions
populaires en vue d’une “amélioration immédiate
du bas niveau de vie des masses” et “d’une diversification
de l’économie pour leurs propres besoins domestiques”
». Chomsky cite un groupe d’étude qui stigmatise
la menace communiste, laquelle consiste à réduire
la volonté et la capacité des pays pauvres à
« compléter les économies occidentales »,
c’est-à-dire... à être du tiers monde
[19] !
Les deux républiques arabes dont les principes
fondateurs – le baassisme – avaient été
l’indépendance nationale ont été liquidées,
de deux manières différentes. L’une, l’Irak,
a été détruite par les bombardements de la
coalition occidentale menée par les Etats-Unis, et subit
encore, sept ans après, un blocus qui équivaut à
un véritable génocide ; l’autre, la Syrie, a
tout simplement été absorbée dans le dispositif
impérialiste en s’alliant avec les Etats-Unis et l’Europe
dans la guerre qui a détruit l’Irak. L’histoire
dira lequel de ces deux pays a le sort le plus enviable. Ce double
destin est peut-être aussi l’illustration de l’échec
du nationalisme arabe, en ce sens qu’il montre que les rivalités
de ces régimes pour le leadership du monde arabe détruisent
toute capacité de ce dernier à résister à
la domination des grandes puissances. Les coups portés par
l’impérialisme occidental ne sont aussi forts que par
les contradictions internes au monde arabe. A contrario, ce constat
d’échec du nationalisme arabe explique peut-être
la force du fondamentalisme islamique dont le discours se veut universaliste,
en opposition au nationalisme.
Après la Première guerre mondiale,
l’impérialisme britannique dominait en Egypte, en Irak,
en Palestine. En Syrie et au Liban c’étaient les Français.
Dans les deux sphères d’influence, des mouvements prenaient
pour cible la domination étrangère : les revendications
nationales et les revendications sociales étaient difficiles
à séparer, dans la mesure où l’occupation
étrangère, les expulsions de paysans pauvres consécutives
à l’achat, par les organisations juives, des terres
qu’ils cultivaient, produisaient des modifications dans les
rapports de production dont les couches les plus défavorisées
faisaient les frais.
« Comme tous les autres obstacles au projet
sioniste, il fallait déblayer le terrain de ses indigènes,
et ce par les trois commandements du sionisme : rédemption
de la terre, à savoir achat des terres aux propriétaires
absentéistes avec comme condition l’expulsion des paysans
arabes ; conquête du travail, c’est-à-dire expulser
les travailleurs arabes du marché du travail, en particulier
en fondant la Histadrut dont l’objectif est de faciliter l’emploi
exclusif de la main-d’œuvre juive par des boycotts, des
subventions, des actes de violence ; acheter des produits juifs,
en boycottant (souvent en détruisant) les produits arabes
[20]. »
Des grèves secouèrent l’Egypte
pendant les années vingt et trente, des soulèvements
répétés eurent lieu dans les campagnes en Irak,
en Syrie, en Palestine. La grève générale des
Arabes palestiniens en 1936 eut son équivalent en Syrie,
contre la présence française. Cette grève générale
eut pour motifs à la fois l’opposition à l’occupation
britannique et l’expulsion de plus de 20 000 familles paysannes
de leur gagne-pain. La révolte prit tout d’abord la
forme de la désobéissance civique (le refus de payer
l’impôt), puis celle de l’insurrection armée.
En juillet 1936 la loi martiale est décrétée,
une répression sauvage se déchaîne. Au début
de 1938, les forces britanniques sont en train de perdre le contrôle
des événements, aussi font-elles appel aux milices
juives qui jouent un rôle croissant dans la répression,
les arrestations de masse, les exécutions. En 1939, ces forces
sionistes comptaient 14 000 hommes organisés en dix groupes
commandés par un officier britannique et un représentant
de l’Agence juive comme adjoint.
Pourtant, après la Seconde guerre mondiale
la décolonisation et la formation d’Etats aux frontières
artificielles ne résulta pas de la lutte des masses arabes
mais du bon vouloir des puissances occidentales. Les bourgeoisies
et les couches dominantes de ces nouveaux Etats se contentèrent
de la situation telle qu’elle était ainsi créée
et s’adaptèrent parfaitement au découpage des
frontières, tout artificiel qu’il fût. On parla
– beaucoup – de « l’unité arabe »,
qui resta cependant une velléité, car sa réalisation
aurait nécessité une lutte révolutionnaire
de longue haleine contre l’impérialisme, et les bourgeoisies
arabes conservatrices craignaient plus que tout l’irruption
des masses sur la scène politique, la mise en œuvre
d’une réforme agraire et, pour les monarchies du Golfe,
la contestation de la distribution de la rente pétrolière.
Une véritable complicité lia les classes dominantes
des pays arabes et celles des pays industrialisés, et Israël
rendait un fier service aux dirigeants arabes en se présentant
comme un ennemi commun à tous les Arabes, ennemi qu’on
pouvait montrer du doigt, évitant ainsi de désigner
le véritable ennemi, l’impérialisme contre lequel
elles ne voulaient pas se mobiliser. Pour cacher leur impuissance,
ces élites arabes se livrèrent même contre Israël
à des surenchères nationalistes délirantes
qui avaient pour but de masquer les vrais problèmes, les
revendications sociales et la lutte des classes dans les pays arabes
eux-mêmes. La lutte contre Israël renforça des
dictatures militaires dont la seule efficacité militaire
était le combat contre leurs propres populations. Il faut
ajouter que l’état de guerre permanent permit également
d’occulter efficacement les antagonismes sociaux en Israël-même.
Tant que dura l’opposition des deux grands
blocs, les Etats arabes avaient, les uns et les autres, joué
l’une des grandes puissances contre l’autre. Avec l’effondrement
du bloc soviétique, le relatif équilibre que ce jeu
permettait n’est plus possible. Le fondamentalisme islamique
a avantageusement remplacé le communisme comme épouvantail
à agiter devant l’opinion publique occidentale pour
justifier une politique internationale agressive. On sait très
bien, cependant, faire la différence entre le bon fondamentalisme
et le mauvais. Quand il s’agit des alliés des Etats-Unis
on évite de mettre en avant que ce sont des régimes
intégristes – comme l’Arabie saoudite, le Pakistan.
Les mauvais intégristes sont ceux qui ne veulent pas se plier
à la logique de la politique internationale de l’administration
américaine. La grille de lecture religieuse des tensions
internationales, faite par les Occidentaux, évite l’approche
en termes d’oppression, d’exploitation. Ainsi, le soutien
à la politique israélienne se justifiera par le fait
qu’Israël est une barrière efficace contre l’intégrisme,
ce qui évite encore de regarder de trop près la politique
israélienne... elle-même très largement dominée
par une logique intégriste.
La lutte contre le nationalisme des pays du tiers
monde et contre le communisme [21], à l’initiative
des Etats-Unis, se menait sur plusieurs fronts. En Afrique noire,
au Maghreb, au Proche et Moyen-Orient, en Asie, mais aussi dans
les républiques musulmanes d’URSS, l’expansion
du fondamentalisme islamique, grâce aux capitaux saoudiens,
mais aussi pakistanais, a été un élément
déterminant de cette politique. En Afrique noire et au Maghreb,
c’est l’hégémonie de l’impérialisme
français qui est directement menacée : en ce sens,
les intégristes musulmans font le jeu d’un impérialisme
contre l’autre.
L’Egypte et le Soudan sont les exemples les
plus frappants. C’est le régime pro-américain
de Nemeiry qui introduira la charria islamique dans le pays, provoquant
indirectement la guerre civile avec les populations noires, chrétiennes
et animistes, au Sud. Son successeur Hassan Tourabi, il est vrai,
ne suivra pas la même voie puisqu’il soutiendra l’Irak
pendant la guerre du Golfe, c’est donc un « mauvais
» islamiste ; aussi les Américains soutiennent-ils
maintenant les chrétiens, dont ils ont encouragé le
massacre en soutenant le régime intégriste...
La chute du prix du pétrole, consécutive
à la surproduction de... l’Arabie saoudite, n’a
pas seulement des répercussions sur les pays producteurs
eux-mêmes mais aussi sur les autres pays arabes dont de nombreux
ressortissants travaillaient dans les monarchies pétrolières
où l’emploi se ressert, situation qui peut produire
des explosions sociales dont les fondamentalistes tirent profit.
300 000 Irakiens et 700 000 Iraniens sont morts pendant la guerre
Iran-Irak, une guerre que les Irakiens menaient contre le (mauvais)
régime fondamentaliste iranien ennemi des Etats-Unis ; cela
n’empêchait pas les marchands d’armes américains
et Français de vendre des armes à l’Iran grâce
à la complicité d’Israël et de l’Arabie
saoudite.
L’impact de l’intégrisme se constate
par la modification de l’optique avec laquelle les faits sont
considérés. Il faut cependant dire que cette optique
n’affecte pas seulement les intégristes musulmans,
elle affecte aussi, parce que ça les arrange, les Occidentaux.
La révolution iranienne est une révolution religieuse.
La guerre du Liban est une guerre entre musulmans et chrétiens.
La guerre en Afghanistan a été menée au nom
de l’Islam. Au Sud du Liban occupé par Israël
il s’agit d’une résistance islamique. Les droits
des Palestiniens ne sont pas des droits nationaux mais des droits
islamiques. Le droit des Juifs sur le Grand Israël se légitime
par la Bible.
Il s’agit véritablement d’une
légitimation de la logique confessionnelle, puisque les conflits
politiques et sociaux sont réduits à une dimension
religieuse. De même, se trouve confirmé, aux yeux de
l’opinion publique internationale, l’idée que
le monde arabe est par nature voué aux conflits religieux.
On peut se demander si Israël, l’Arabie
saoudite et l’Iran ne constitueront pas à terme une
sorte d’entente implicite fournissant un modèle s’appuyant
sur des légitimités religieuses pour dominer la région.
D’OU VIENT LE DANGER INTEGRISTE ?
Les Arabes ont le sentiment que les puissances occidentales
s’efforcent de les empêcher de se développer
et de réaliser leur unité. C’est pourquoi le
soutien qu’a eu Saddam Hussein dans les populations arabes
n’avait pas tant sa source dans une approbation du dictateur
que dans les humiliations subies depuis des décennies –
depuis la création d’Israël. En effet, les Arabes
perçoivent Israël comme un Etat bâti sur une colonie
de peuplement qui serait la création de l’ancien ordre
colonial, un Etat déterminé à détruire
toute tentative des pays arabes de développer leur économie
ou leur système social ou de se doter d’une force militaire.
L’acharnement des Etats-Unis à repousser constamment
la levée du blocus contre l’Irak en est la démonstration.
Le rêve de Nasser d’édifier une
politique et une économie indépendantes, d’une
nation arabe forte et unie, avait échoué. Les quelques
tentatives de « socialisme » en Syrie, en Irak, au Yémen
du Sud, en Algérie, se sont enlisées dans un mélange
d’étatisme, de contrôle policier et de corruption.
Le réalisme et le libéralisme, prônés
par El Sadate, se posa alors en alternative. Les pétrodollars
provenant des monarchies pétrolières servirent à
encourager les évolutions politiques vers le libéralisme
économique, comme en Egypte, et renforcèrent les courants
islamistes conservateurs. En même temps, certains gouvernants
arabes, avec l’appui des Etats-Unis, jouèrent avec
le feu en utilisant les Frères musulmans dans la lutte contre
les organisations progressistes et laïques. Mais, en même
temps, le danger islamique servait opportunément de prétexte
aux pouvoirs en place pour empêcher toute évolution
démocratique, attitude qui en retour contribuait à
accélérer la croissance des mouvements islamiques...
L’autre facteur d’immobilisme dans les
pays arabes est l’« ennemi extérieur »
que représente Israël, et qui occupe la Cisjordanie,
Gaza, Jérusalem, le Golan et le Sinaï depuis 1967 ;
une partie du Liban en 1978 ; qui a attaqué l’Irak
en 1981 ; qui a envahi le Liban en 1982, bombardé la Tunisie
en 1985... Le formidable appareil d’encadrement, de contrôle
et de répression qui a ainsi été édifié
dans le monde arabe en relation avec cet état de guerre permanent
a permis de maintenir une certaine stabilité sociale au prix
d’un blocage de toute évolution politique. Cette logique
de guerre a permis aux gouvernements arabes de justifier le refus
de la démocratie et de construire d’énormes
appareils militaires et de contrôle des populations. Ainsi,
38 % de l’ensemble des recettes pétrolières
de la décennie 80 ont servi à couvrir les dépenses
militaires, contre 23,8 % aux projets de développement. Une
aubaine pour les marchands d’armes, qui ont largement profité
des tensions existant au Proche et au Moyen-Orient.
Les gouvernements arabes craignent l’implantation
durable des Etats-Unis sur la terre arabe. Aujourd’hui, la
« manne » pétrolière est encore de moins
en moins bien répartie. Israël reste intraitable sur
le Liban et la Palestine, malgré les « accords »
en cours de discussion. La dictature syrienne, alliée maintenant
aux Occidentaux, continue d’occuper 70 % du Liban. L’OPEP
avait tenté de faire pression en 1967 et en 1973 sur les
pays trop favorables à Israël, pour l’obliger
à restituer les territoires palestiniens, syriens et égyptiens
occupés. C’est à cette époque que les
Etats-Unis ont commencé à préparer et à
entraîner des troupes pour un débarquement dans la
péninsule arabique. En 1978, Israël occupe le Sud-Liban
et refuse de s’en retirer complètement.
En 1982 Israël envahit le Liban et se livre
à 3 mois de bombardements intensifs sur Beyrouth-Ouest. Les
gouvernements arabes réclament des sanctions économiques
contre Israël, mais reçoivent une fin de non-recevoir
absolue. Ce traitement de faveur de l’Occident à l’égard
d’Israël ne sera jamais démenti.
En mai 1989 l’OLP fait une concession et déclare
caduc l’article 17 de la charte palestinienne selon lequel
« le partage de la Palestine en 1947 et la création
d’Israël sont des décisions illégales et
artificielles quel que soit le temps écoulé, parce
qu’elles ont été contraires à la volonté
du peuple de Palestine et à son droit naturel sur sa patrie
». Israël ne bouge pas d’un pouce. Au contraire,
l’ouverture des frontières de l’URSS à
l’émigration juive provoque un afflux d’immigrants,
qui se trouvent contraints de rester en Israël car en même
temps les frontières des Etats-Unis se ferment à cette
même émigration. Les Israéliens espéraient
recevoir deux à trois millions de Juifs russes, ce qui devait
provoquer la rupture du statu quo démographique, ne laissant
aucun espoir aux Palestiniens. On se demande alors si Israël
ne réclamera pas, au nom des droits historiques, tout le
territoire palestinien : les deux rives du Jourdain (Cisjordanie
et Transjordanie), le Sud-Liban déjà revendiqué
en 1919, et pourquoi pas la Jordanie [22].
Le sentiment que l’application du droit international
était sélective était déjà solidement
implanté auprès des populations arabes. La guerre
du Golfe n’a fait que confirmer les choses et discréditer
toute prétention occidentale à fournir un modèle
politique ou social aux peuples du tiers monde.
L’ÉCHEC DES MODELES OCCIDENTAUX
Le fondamentalisme islamique ne se définissait
pas à l’origine comme un mouvement qui soutient les
revendications nationales, lesquelles sont assimilées, non
sans raison, à une invention occidentale. S’il se méfiait
de l’intérêt manifesté par les partis
nationalistes arabes à la cause nationale et notamment à
la lutte contre Israël, ce n’était pas seulement
parce le mouvement nationaliste palestinien se définissait
comme laïc et que les mouvements fondamentalistes avaient le
soutien matériel des monarchies pétrolières
peu enclines à remettre en cause l’ordre établi.
La méfiance envers les revendications nationales était
un élément essentiel du fondamentalisme.
Ainsi, Mohammed Ali Qotb, successeur de Sayyd Qotb,
grand leader des Frères égyptiens exécuté
sous Nasser, déclare en 1980 : « Les Arabes ou les
Musulmans qui se sont intéressés à la cause
palestinienne et en ont fait un axe d’affrontement avec le
sionisme, l’impérialisme et le capitalisme occidental
ont la vue et la mémoire bien courtes. Ils ont oublié
que la chute de l’Etat ottoman était l’objectif
politique principal pour la destruction de la Porte de l’Orient
et (...) l’agression contre le monde islamique [23]. »
L’idée qui est sous-tendue dans cette affirmation est
que les mouvements indépendantistes arabes qui ont contribué
à faire tomber l’empire ottoman – musulman –
ont fait le jeu de l’agression occidentale contre le monde
islamique. C’est, d’ailleurs, parfaitement vrai...
Après la décolonisation, les pays
musulmans se sont lancés dans des entreprises de modernisation
inspirées des modèles fournis par les pays industrialisés
: l’Union soviétique pour l’Egypte de Nasser,
la Syrie et l’Irak baassistes ; les pays capitalistes pour
la Tunisie ou l’Iran. L’échec général
de ces modèles favorisa le renouveau islamiste de la fin
des années soixante et provoqua le rejet d’une modernisation
fondée sur modèle occidental.
Le spectre islamiste brandi par les tenants de tous
les pouvoirs, au « Nord » comme au « Sud »,
doit être réinterprété à travers
le crible de la critique. Au « Sud », la menace islamiste
sert de paravent pour masquer les insurmontables problèmes
économiques et sociaux auxquels sont confrontés les
pays arabes et que les gouvernements sont incapables de surmonter.
Au « Nord », il sert aussi à masquer la responsabilité
des puissances occidentales dans la genèse de ces problèmes.
Combien d’« islamistes » emprisonnés, renvoyés
de leur travail – personne en Occident ne s’apitoiera
sur eux – ne sont en réalité que des militants
syndicalistes un peu trop gênants ?
Le fondamentalisme fournit aux populations appauvries
et angoissées des réponses toutes faites et claires
aux questions qu’elles se posent, et se présente comme
un remède miracle contre les maux de la société.
Le caractère global du discours fondamentaliste attire ceux
qui n’attendent plus de solution partielle [24].
L’objectif des mouvements fondamentalistes
est de conserver et de renforcer la société patriarcale
et de maintenir l’ordre social existant. La famille patriarcale
est l’unité de base de la société, avec
la propriété. On fait appel à un égalitarisme
de forme – tous les hommes étant égaux devant
Dieu – à condition d’être frugaux et détachés
des biens matériels, la régulation entre les revenus
ne se faisant pas par des moyens institutionnels, et encore moins
par une remise en cause de l’ordre social, mais par la charité
que les riches veulent bien accorder aux pauvres. Ce constat vaut
évidemment pour tous les fondamentalismes.
Car l’intégrisme islamique est loin
d’avoir le monopole du modèle patriarcal et autoritaire
de la famille. La hiérarchie des sexes est une « loi
naturelle » pour les catholiques. Dans l’Epître
aux Corinthiens, saint Paul déclare : « Le chef de
tout homme c’est le Christ, le chef de la femme c’est
l’homme (...) L’homme n’a pas été
tiré de la femme, mais la femme de l’homme ; l’homme
n’a pas été créé pour la femme
mais la femme pour l’homme. » L’autorité
appartient au mari dans la famille, et cette autorité est
le modèle de l’autorité étatique : «
La famille est le siège de la première autorité,
l’autorité du père de famille. L’Etat
doit donc protéger et soutenir l’autorité familiale.
» (« La fête du Christ-roi », Fideliter,
septembre-octobre 1988.)
L’occupation coloniale – et dans ce
concept nous incluons l’occupation israélienne de la
Palestine – par sa violence même, en étouffant
les identités nationales, a confirmé, voire étendu
les valeurs patriarcales et autoritaires dans la sphère de
la religion et de la famille, ce qui n’a pas peu contribué
à préparer le terrain à l’introduction
de l’intégrisme. On imagine aisément que les
tenants de ces rapports patriarcaux ne tiennent pas à ce
qu’une perspective sociale se dessine comme partie prenante,
ou, pire, comme substitut du combat national. A vouloir poser à
tout prix la religion comme donnée fondamentale de la lutte
et de l’existence nationales, on renvoie à après
la libération nationale la solution des problèmes
sociaux, et en particulier celle de l’oppression des femmes.
On oublie en effet que, avant même que l’assassinat
de femmes soit devenu monnaie courante en Algérie, de nombreuses
palestiniennes ont été assassinées par les
intégristes parce que leur action allait à l’encontre
du modèle patriarcal. « Le summum de la corruption
occidentale, aux yeux des intégristes, est incarné
par le féminisme et le mouvement de libération des
femmes, qui combinent les valeurs égalitaires et démocratiques
pour les appliquer aux femmes. Les femmes qui sont actives dans
ces mouvements sont corrompues, licencieuses. Ce sont des renégates
qu’il est permis de tuer, de même quiconque les soutenant.
» (Manar Hassan, Inprécor n° 366.) Les intégristes
musulmans déclarent tous que l’application des principes
islamiques à la femme a pour objet de garantir sa dignité
et ses droits.
Les intégristes catholiques pensent exactement
la même chose. Selon eux, les femmes « ne veulent donc
pas d’une “libération” [terme toujours
entre guillemets], d’une “pseudo-émancipation”
qui n’est d’ailleurs pas due à leur action mais
à “l’évolution des mœurs”,
aux changements économiques, au rôle néfaste
d’écrivains ou d’artistes, à la législation,
ou au complot contre la nation [25] ». En somme on l’oblige
à s’émanciper, à quitter cette situation
idyllique où la vie était harmonie et où la
femme s’occupait de sa famille.
A ceux qui prônent l’égalité
des sexes, l’intégriste musulman Soltani [26] réplique
que l’expérience montre « dans plus d’un
pays que la femme est incapable de diriger les affaires publiques
». « Ceux-là ne réussiront pas, dit le
Prophète, les gens qui ont mis une femme à leur tête.
L’islam tient compte du caractère et de la constitution
de la femme et lui a assigné des tâches spécifiques.
C’est en abandonnant ces tâches et en courant derrière
celles des hommes, que la femme musulmane a connu la décadence
et les sociétés islamiques le désordre et la
déperdition. » L’intégriste catholique
assigne également à la femme un rôle et des
tâches spécifiques à son « destin biologique
» : il faut, dit Marc Cabantous, « assurer l’épanouissement
des femmes en leur permettant d’accomplir leur destin biologique
dans la transmission de la vie et leur destin social dans l’éducation
des enfants » (loc. cit.). Et, de même que le cheikh
Soltani désapprouve que les femmes abandonnent leurs tâches
et courent « derrière celles des hommes », les
intégristes catholiques s’opposent à la remise
en cause des rôles et assimilent la libération de la
femme à une féminisation des hommes et à une
masculinisation des femmes : on assiste à une « attaque
contre la personne même de la femme (...) une transformation
considérable du rôle de la femme à l’intérieur
de la société. Nous assistons à une extraordinaire
masculinisation de la vie sociale et de la femme. » (Permanences,
août 1987, cité par Claudie Lesselier.)
La charte de Hamas, l’organisation intégriste
palestinienne, annonce que « le rôle de la femme musulmane
dans la guerre de libération n’est pas moins important
que celui de l’homme, car elle est une usine à hommes
». Le travail à la chaîne, en somme... La fonction
de la femme au foyer d’un combattant du Djihad est de «
tenir la maison et d’élever les enfants dans l’obéissance
aux commandements religieux ». Ces affirmations valent d’ailleurs
pour l’ensemble des mouvements intégristes, et pas
seulement musulmans. Ainsi, Dom Gérard, catholique intégriste,
rappelle-t-il dans une « Lettre aux jeunes mamans »
(Itinéraires, février 1988) « la mission de
porteuse d’hommes qui vous est échue (...), fonction
auguste à laquelle saint Paul attache une valeur rédemptrice
et qui approche à mon sens de la grandeur de l’état
religieux » [27] ... car, dit-il, la maternité est
un sacerdoce. La même idée est exprimée en termes
plus actuels par Marc Cabantous, pour qui il faut « assurer
l’épanouissement des femmes en leur permettant d’accomplir
leur destin biologique dans la transmission de la vie et leur destin
social dans l’éducation de leurs enfants » [28].
Ce rapide « état comparatif »
des intégrismes musulman et chrétien montre l’hypocrisie
de ces Occidentaux qui diabolisent le premier sans jamais dire un
mot du second. Certes, il y a une différence de degré
entre la pesanteur de la religion dans les Etats intégristes
musulmans et le poids relativement faible de l’intégrisme
chrétien, mais il convient de monter que cette différence
tient à peu de chose.
L’Etat israélien utilise le même
discours propagandiste dans la guerre démographique : «
Augmenter la natalité juive est un besoin vital pour l’existence
d’Israël, et une femme juive qui ne met pas au moins
quatre enfants au monde trahit sa mission », déclare
Ben Gourion [29].
L’approche essentiellement religieuse, voire
mystique, de l’occupation israélienne, justifiant la
colonisation de la Cisjordanie, sert essentiellement de doctrine
légitimante. Dès lors que c’est Dieu qui le
veut, qui le permet, aucun obstacle ne doit empêcher sa volonté
de se réaliser, ni le droit international, encore moins les
droits d’une population spoliée.
UTILISER LE RELIGIEUX A DES FINS POLITIQUES
L’apparition de l’intégrisme
comme mouvement politique a démontré son incapacité
à gérer les problèmes concrets de la population.
La seule intervention des fondamentalistes, lorsqu’ils contrôlent
une structure politique ou administrative est de faire des modifications
qui touchent le domaine religieux ou qui concernent le contrôle
idéologique des populations.
Ainsi, lorsque le roi Hussein de Jordanie, ne voulant
pas affronter les intégristes, en a nommé quelques-uns
ministres dans son gouvernement, ces derniers, en un an, se sont
faits tellement haïr de la population, notamment des classes
moyennes urbaines, que le roi n’a eu aucun mal à les
chasser. Ils avaient voulu interdire aux femmes de conduire, empêcher
les pères d’assister à la remise de diplôme
de leurs filles, etc. [30]. Dans deux municipalités arabes
d’Israël, Um al-Fahm et Kafr Qassem, les intégristes
ont gagné les élections de 1988. Ils ont fait si fort
que lors des élections suivantes, en 1992, ces bastions islamiques
ont été les seuls endroits où les suffrages
du parti communiste ont progressé, respectivement de 75 %
et 64 %...
La théocratie n’est pas dans la tradition
de l’Islam : elle est appliquée seulement au sein de
sectes extrémistes. L’islam sunnite, au contraire de
l’islam chi’ite, n’a pas de clergé, pas
d’Eglise, pas d’institution « autorisée
» à parler et agir au nom de l’islam.
Les théoriciens fondamentalistes tels que
Abdesselam Yassine, Rachid Ghannouchi, Rachid Benaïssa ne se
livrent pas à une exégèse fondamentale : «
leur information paraît plus idéologique que canonique
», dit Jacques Berque. Ces auteurs, en Occident, intéressent
plus les politologues que les orientalistes : l’islamisme
est en fait un mouvement qui utilise le religieux à des fins
politiques. L’islam en cela ne diverge pas de n’importe
quelle autre religion : les textes servent à justifier la
politique. L’appel du roi Fahd aux troupes étrangères
en 1990 a été condamné par les uns ou justifié
par les autres en se référant aux mêmes textes.
« L’expérience aura montré que, en terre
d’islam, toute démocratisation libère ipso facto
des courants politico-religieux qui cherchent à la détruire.
La neutralisation, par la force, de ces courants entraîne
à son tour l’arrêt du processus démocratique,
ce qui enferme la société musulmane dans la fatalité
de la répression. Elle ne pourra sortir de cette fatalité
que si l’islam est “dépolitisé”,
c’est-à-dire s’il ne sert pas de recours politique
dans la compétition pour le pouvoir. » (« Algérie
: le dérapage », Lahouari Addi, [professeur de sociologie
politique à l’université d’Oran], Le Monde
diplomatique, février 1992.)
Les Frères musulmans étaient parrainés
par les régimes arabes les plus opposés à Nasser
: Jordanie et Arabie saoudite. En Jordanie, le roi Abdallah considérait
que les Frères étaient un « mouvement attractif
pour la jeunesse » et contribuaient à « freiner
la propagation du communisme » [31]. Ainsi, l’influence
du nassérisme et, d’une façon plus générale,
du nationalisme arabe sur ceux qui sont hostiles à Israël
et à l’Occident pousse les Frères musulmans
dans le camp adverse. Un dirigeant des Frères palestiniens
vivant à Bahrein dans les années cinquante écrivit
que « les Frères se sont retrouvés isolés,
accusés, pourchassés du fait de leur hostilité
à Nasser. Ils n’ont pas tardé à s’opposer
au mouvement populaire, ce qui leur a fait rejoindre automatiquement
le camp du gouvernement [32] ».
L’évolution du fondamentalisme palestinien
fournit un exemple caractéristique d’implication progressive
dans la lutte politique.
On constate une éclipse des Frères
musulmans palestiniens dans les années années cinquante-soixante
et la plus grande partie des années soixante-dix, due à
deux événements : la fondation du Fatah en 1958, et
la répression sanglante des Palestiniens par Hussein de Jordanie
en 1970. Les Frères musulmans apportèrent leur soutien
au roi de Jordanie contre les forces communistes, baassistes, nationalistes
arabes et nassériennes. Lors du massacre des Palestiniens
par les forces jordaniennes (Septembre Noir, 1970), les Frères
musulmans soutinrent le trône hashémite.
A la fondation du Fatah, un document est présenté
par Khalil Al Wazir (Abou Jihad) à la direction des Frères
musulmans, appelant à créer une organisation parallèle
pour combattre Israël : « elle n’arborera pas les
couleurs islamiques dans ses signes ou (...) son aspect extérieur
», dit ce document, qui s’adresse aux Frères
musulmans pour leur demander de rejoindre l’organisation,
mais qui les appelle également à « se débarrasser
de leurs tenues partisanes et d’endosser des tenues palestiniennes
». L’organisation « établira des ponts
entre les Frères et les masses, et brisera le carcan de l’ostracisme
nassérien ».
Les premiers dirigeants du Fatah étaient
membres de l’organisation intégriste : Abou Jihad,
Salim Zaanoun, Salah Khalaf (Abou Iyad), Assaad Saftaoui, Arafat,
ce qui créa la confusion chez les Frères musulmans
égyptiens. Les fondateurs du Fatah durent établir
explicitement qu’ils avaient rompu leurs liens avec les Frères.
C’est qu’on ne pouvait pas, à l’époque,
à l’ombre de Nasser, fonder une organisation de combat
contre Israël sans prendre des distances par rapport à
son appartenance antérieure.
Les Frères musulmans refuseront de s’enrôler
dans le Fatah : « En supposant que l’organisation (Fatah)
puisse se développer et attirer de nombreux membres et sympathisants,
ce soutien populaire ne portera pas sur les Frères et l’Islam,
mais sur l’idée de la libération de la Palestine.
» La solution préconisée sera que « les
Frères redoublent d’efforts pour propager leur doctrine
et rehausser l’image de leur mouvement, car c’est lui
qui, lorsqu’il triomphera, (...) libérera la Palestine
». (Abdallah Abou Gaza, op. cit.)
Lorsque la lutte contre Israël était
menée par Nasser et sa mouvance, les Frères musulmans
refusaient d’y participer. Le déclin du nassérisme
les poussera à brandir à leur tour l’étendard
de la libération. La remontée de l’intégrisme
à partir de 1970 est la conséquence directe de l’échec
du nassérisme à conduire le réveil arabe. L’intégrisme
reprend à sa charge les problèmes non résolus
dans le monde arabe, mais, en Palestine, il n’est pas au rendez-vous.
Le Hamas ne sera fondé qu’en 1987, et attendra août
1988 pour diffuser son manifeste.
L’OLP avait accumulé toutes sortes
d’échecs qui l’avaient conduit à s’éloigner
des objectifs politiques et militaires qui avaient présidé
à sa fondation. Elle opère un tournant vers un règlement
politique alors que le contexte ne présente aucune garantie.
Pendant que la direction de l’OLP s’oriente vers une
solution diplomatique au conflit, se développe au Liban,
sous l’occupation israélienne, une résistance
croyante à partir de 1983 qui prend un caractère très
offensif, voire suicidaire. Cette résistance, qui eut un
grand impact, et qui prit pour cibles les forces d’occupation
israéliennes et la Force multinationale, donna une impulsion
au courant intégriste en Palestine.
La faillite du nationalisme palestinien avait créé
un vide que les Frères musulmans occupèrent rapidement
: lorsque les idéologies laïques, nationalistes, socialistes
ou libérales ont échoué, il reste l’intégrisme.
C’est ce qu’exprime une brochure des Frères musulmans
distribuée en Cisjordanie et à Gaza : « Les
courants qui ont démontré leur échec pendant
vingt ans sur la scène palestinienne ne peuvent plus désormais
prétendre au monopole de l’action palestinienne. »
(Cf. Le mouvement islamique en Cisjordanie et à Gaza, op.
cit.)
L’Intifada, qui a été un mouvement
de révolte spontané né du désespoir
politique et social, consacre en fait l’échec de l’OLP,
mais provoque la « palestinisation » des Frères
musulmans, qui pourtant ont un discours englobant la totalité
de l’Oumma, la communauté musulmane. Peu à peu,
le palestino-centrisme devient un cadre de référence
pour les intégristes dans l’appréhension des
problèmes et dans la conception de l’action. Sans cette
adaptation, les Frères musulmans n’auraient pu s’enraciner,
malgré leur activité institutionnelle dans les services
sociaux, les bibliothèques, les universités. La réaffirmation
de l’identité religieuse devient une forme de l’affirmation
de l’identité nationale.
La charte de Hamas, publiée en août
1988, peu après le début de l’Intifada, s’affirme
opposée à toute initiative et solution pacifiques
pour résoudre la question palestinienne, ainsi qu’à
toutes les conférences internationales, qui ne peuvent répondre
aux revendications ni restituer les droits historiques des Palestiniens
: les conférences internationales et autres initiatives ne
sont qu’une « perte de temps », dit la charte
: « Il n’y a de solution au problème de la Palestine
que par le Djihad. » « Le messager d’Allah [Mahomet]
a déjà parlé du temps où les musulmans
combattront les Juifs et les tueront... » Notons que si les
intégristes musulmans dénient toute légitimité
aux accords internationaux, leurs homologues juifs pensent strictement
la même chose.
Une telle dérive « politique »
du mouvement islamiste est remarquable alors que les Frères
musulmans égyptiens, plus « orthodoxes », pourrait-on
dire, ne remettent pas en cause l’OLP ni Arafat. Le patriotisme
devient une partie de la doctrine religieuse de Hamas, alors que
Seyyid Qotb récusait la question de l’appartenance
nationale et la considérait comme un blasphème relevant
de l’idéologie de la Jahiliyya (période de «
paganisme » pré-islamique).
Ainsi, l’intégrisme islamique dans
le contexte du monde arabo-musulman est-il devenu un authentique
mouvement politique dont la particularité est simplement
d’utiliser la grille de lecture religieuse dans sa représentation
du monde et de l’Autre.
« La finalité de l’islamisme
est explicitement politique, dit Mohammed Harbi. Il peut s’analyser
comme une idéologie engendrée par le processus de
modernisation et de sécularisation et non pas s’inscrire
seulement dans une logique religieuse. » (L’islamisme
dans tous ses Etats, éditions Arcantère, p. 3.) Encore
qu’il faille nous garder, précise Mohammed Harbi, d’unifier
arbitrairement les islamismes et d’en faire les acteurs d’un
complot orchestré.
QUAND ISRAËL FAVORISE LE HAMAS
Pratiquement inexistant il y a dix ans dans une
population peu sensible aux sirènes islamistes et très
scolarisée, avant que les autorités israéliennes,
à l’époque de l’Intifada, n’aient
fermé les universités et rendu impossible une scolarité
normale dans les écoles, le groupe Hamas s’est développé
inexorablement au fil des années avec l’aggravation
de la situation des populations vivant dans les territoires occupés,
avec l’accroissement des destructions de maisons, des confiscations
de terres et des maisons, de l’arrachage des oliviers et des
arbres fruitiers, avec l’absence de perspective politique
négociée face à un gouvernement israélien
qui cherchait de toute évidence à gagner du temps
pour faire venir un maximum d’émigrés de l’ex-URSS
et accélérer l’implantation de colons dans les
territoires occupés.
L’existence d’un mouvement islamiste,
dont tous les observateurs un tant soit peu impartiaux, y compris
en Israël même, reconnaissent qu’elle a été
largement favorisée par la politique israélienne elle-même,
fait tout à fait le jeu du pouvoir occupant. En effet, personne
ne pouvait ignorer que les options politiques des différents
partis composant l’OLP étaient laïques, ou en
tout cas multiconfessionnelles, ce que l’Etat israélien
n’est pas, loin s’en faut [33].
La radicalisation des Palestiniens est la conséquence
directe de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de
Gaza depuis 30 ans, qui a abouti à la confiscation de plus
de la moitié des 5 850 km² de terres qui leur revenaient
selon le droit international.
Alors que l’OLP, en 1988 et 1989, renonce
au terrorisme et reconnaît l’Etat hébreu (résolutions
242 [[34]] et 338), Hamas réclame la restitution de la totalité
des territoires occupés par les Juifs depuis la fondation
de l’Etat d’Israël en 1948. Il y a sans doute une
corrélation de dates entre les concessions d’Arafat
et la publication de la charte du Hamas, en août 1988, dans
laquelle le mouvement intégriste déclare œuvrer
à « déployer la bannière d’Allah
sur chaque parcelle du sol de Palestine », et à ce
que « l’établissement de l’Etat islamique
soit proclamé du haut de ses mosquées ».
On peut s’interroger sur les raisons qui poussent
Arafat à faire à Israël cette fantastique concession
unilatérale de la reconnaissance, sans aucune contrepartie,
alors que se déroule dans les territoires occupés
une insurrection populaire de « basse intensité »
qui est en train de faire basculer l’opinion publique internationale
en faveur des Palestiniens.
En effet, dans toute épreuve de force susceptible
de déboucher sur une négociation, il convient de déterminer
ce que l’adversaire veut le plus, de lui en donner le moins
possible, ce qui n’est réalisable que lorsqu’on
a le plus d’atouts dans sa manche. Or, Arafat avait un atout
formidable, dont il n’a pas voulu : l’Intifada ; et
d’emblée, gratuitement, il a donné à
son adversaire ce qu’il voulait le plus : la reconnaissance.
Dès lors, l’OLP ne présentait plus aucun intérêt
pour Israël, c’était un mouvement sans substance,
ce n’était plus un adversaire, dans la mesure où
c’était un adversaire qui n’avait plus rien a
donner ni plus rien à opposer.
Si on écarte la simple erreur de jugement
de la part d’Arafat, on ne peut que parvenir à la conclusion
que l’Intifada présentait plus de dangers que la reconnaissance
d’Israël. L’Intifada pouvait aboutir soit à
une révolte populaire de masse, soit à la prise en
main du mouvement d’indépendance par des hommes qui
auraient échappé au contrôle de la direction
de l’OLP en exil : cadres politiques de l’intérieur
ou fondamentalistes.
Deux mouvements intégristes musulmans ont
surgi dans les territoires occupés par Israël depuis
1967 : Hamas et le Jihad pour la libération de la Palestine.
Hamas a, tout d’abord, été encouragé
par les autorités israéliennes pour faire contrepoids
à l’influence de l’OLP. Dans les années
soixante-dix - quatre-vingts, les autorités militaires ont,
en de multiples occasions, relâché des militants liés
à Hamas, même quand ils étaient convaincus de
cacher des armes.
La tolérance envers Hamas était une
des conditions posées par les Iraniens lorsqu’ils achetaient
de l’armement américain par l’intermédiaire
d’Israël, dans le cadre de l’opération Irangate,
à l’occasion de laquelle des agents israéliens
ont convaincu Robert McFarlane de laisser Israël vendre illégalement
des armes à Téhéran et détourner une
partie des bénéfices pour soutenir la Contra contre
le gouvernement nicaraguayen [35].
En mai 1989, lorsque l’influence intégriste
se répandit en échappant au contrôle des Israéliens,
une vague d’arrestations s’abattit sur les dirigeants
de Hamas. Néanmoins, cela prit six mois, jusqu’en septembre
1989, pour que Hamas soit déclaré illégal par
les autorités israéliennes.
Comme le Jihad islamique pour la libération
de la Palestine, qui est divisé en deux, Hamas est abondamment
subventionné à la fois par les Etats du Golfe et par
l’Iran. En 1990, l’Arabie saoudite versa à ces
deux organisations 83 millions de dollars. Le Koweït également
versa de nombreux millions à ces deux groupes. Pinhas Inbari,
dans Al Hamishmar (20 décembre 1992), fait remarquer que,
curieusement, Israël s’en est pris aux dirigeants et
militants de Hamas proches de l’Arabie saoudite, mais épargna
ceux qui étaient proches de l’Iran, qui avait pourtant
mis sur pied une logistique et des camps d’entraînement
pour faciliter les actions de Hamas et du Jihad islamique.
Hamas a des représentants de sa direction
dans plusieurs capitales arabes et musulmanes, à Téhéran,
à Amman, à Damas, qui étaient présents
à Tunis le 21 décembre lors de la première
rencontre d’égal à égal entre Hamas et
l’OLP.
Le Hamas posait comme conditions à la collaboration
avec l’OLP le refus de la résolution 181 [36], 242
et 338, respectivement de 1947, 1967 et 1973 et la reconfirmation
de l’option militaire ; il réclamait 40 à 50
% des sièges au Conseil national palestinien et exigeait
que l’OLP se proclame organisation islamique. En outre, l’OLP
devait déclarer que la terre islamique palestinienne ne peut
être abandonnée ni divisée. Evidemment, les
« communistes athées » – le FPLP et le
PDLP – doivent être expulsés. « Le jour
où l’OLP fera de l’islam son mode de vie, nous
serons ses soldats, nous allumerons ses flambeaux. En attendant
ce jour – et nous prions Allah qu’il soit proche –
l’attitude du Hamas vis-à-vis de l’OLP est celui
d’un fils pour son père... » (Charte du Hamas-Palestine,
art. 27 [Titre IV].)
La direction de l’OLP a rejeté toutes
ces conditions mais a déclaré que Hamas et les autres
fondamentalistes sont « partie prenante du peuple palestinien
et en tant que tels ont leur place sous le parapluie de l’OLP
». Hamas s’est vu offrir 8 % des sièges du Conseil
national palestinien.
Cela est significatif car, au contraire de tous
les autres gouvernements arabes, l’OLP se considère
comme une entité multiconfessionnelle dans laquelle les musulmans,
les chrétiens et les juifs ont leur place et devraient être
représentés. Les chrétiens de différentes
dénominations constituent environ 20 % des Palestiniens (ils
constituent 13 % des arabes d’Israël). Seuls quelques
Juifs se déclarent officiellement comme « Palestiniens
juifs » et possèdent des cartes d’identité
de l’OLP, parmi lesquels Ilan Halevy, représentant
de l’OLP à l’Internationale socialiste et membre
de l’équipe de conseillers de l’OLP aux négociations
de paix.
D’autres Palestiniens juifs sont membres secrets
du CNP (en particulier des membres du FDLP et du FPLP), mais le
nombre total de militants juifs de l’OLP n’atteint probablement
pas la centaine. Néanmoins, leur existence, ainsi que le
nombre beaucoup plus significatif de chrétiens, est considéré
par la direction de l’OLP comme une carte idéologique
et politique qui pourrait être abandonnée seulement
en cas d’urgence extrême.
LE MOUVEMENT ISLAMISTE SE RETOURNE CONTRE
CEUX QUI EN ONT ASSURÉ LA PROMOTION
On n’a découvert que récemment
le « danger intégriste » dans les territoires
occupés. L’hypocrisie des négociations, lors
desquelles ce sont toujours les Palestiniens qui font des concessions
sans pour autant que cela modifie en rien les conditions de vie
des populations dans les territoires occupés, stimule la
propagande de Hamas dont les rangs gonflent considérablement.
L’ironie de l’histoire, comme nous l’avons vu,
est que ce sont les autorités israéliennes elles-mêmes
qui ont favorisé l’émergence des intégristes
musulmans.
Ze’ev Schiff et Ehud Ya’ari, deux journalistes
israéliens, écrivent ainsi :
« De la même manière que le président
Sadate avait encouragé l’émergence des associations
islamiques afin de damer le pion à la gauche égyptienne,
des membres de l’état-major israélien avaient
voulu se servir de la poussée intégriste à
Gaza pour affaiblir l’OLP. Sadate mourut de la main même
des pieux fanatiques qu’il avait aidés. Gaza connut
un sort voisin : le mouvement islamique se retourna précisément
contre ceux qui avaient cru intelligent d’en assurer la promotion.
» (L’Intifada, Stock.)
On peut difficilement imaginer que les millions
de dollars versés dans les caisses de Hamas par l’Arabie
saoudite et le Koweït, alliés inconditionnels des Etats-Unis,
aient pu l’être sans l’aval de ces derniers et
d’Israël.
Dans les années soixante-dix - quatre-vingts,
les autorités israéliennes avaient encouragé
les intégristes à s’emparer des postes de pouvoir
dans les institutions religieuses, ce qui avait provoqué
en conséquence leur développement sur le plan politique
et, par contrecoup, leur « palestinisation ». En effet,
les fondamentalistes musulmans n’étaient à l’origine
pas intéressés par la cause palestinienne, les revendications
nationales n’entrant pas dans leur champ d’action traditionnel.
L’islam se veut universaliste et les mouvements de libération
nationale ne sont pour les religieux islamiques qu’une importation
idéologique occidentale.
Les autorités israéliennes pensaient
s’appuyer sur ce désintérêt pour la lutte
des Palestiniens (« oubliant » que les fondamentalistes
entendaient quand même détruire l’Etat israélien)
; elles attendaient d’une confrontation avec l’OLP l’effondrement
de cette dernière. L’OLP reçut effectivement
un coup sévère dans la bande de Gaza, mais les Israéliens
finirent par se rendre compte que l’émergence d’une
force intégriste constituait un danger bien plus important.
Jusqu’alors, les Israéliens avaient passé sous
silence un aspect du programme de Hamas, la destruction d’Israël.
La montée en puissance des intégristes
fut cependant opportunément utilisée ensuite par les
Israéliens qui disposaient alors d’un épouvantail
qu’ils pouvaient brandir pour justifier leur politique de
répression : ainsi Israël n’était plus
engagé dans un conflit local avec une population dont il
occupait le territoire, mais se trouvait aux avant-postes de la
lutte du monde occidental contre l’intégrisme islamique...
Il ne faut pas s’étonner si les négociations
entamées à Madrid, qui se sont immédiatement
enlisées, se sont accompagnées d’une recrudescence
d’affrontements armés auxquels participaient les intégristes.
Les actions armées, les attentats intégristes ne sont
pas le résultat d’une stratégie cohérente
et à long terme, ce sont des actes « opportunistes
» dont la seule cohérence est la température
de l’opinion palestinienne, elle-même étroitement
dépendante de l’état d’avancement des
négociations.
Plusieurs soldats israéliens ont été
tués à Gaza au cours d’affrontements avec les
intégristes de Hamas. Ainsi, le dimanche 13 décembre
1992, un garde-frontière, le sergent-chef israélien
Nissim Toledano est enlevé : Hamas réclame la libération
du cheikh Ahmed Yassine, fondateur du mouvement et condamné
à vie par un tribunal militaire. Les autorités israéliennes
refusent, bouclent les territoires occupés, imposent le couvre-feu
général. L’armée passe à l’offensive
pour récupérer le soldat, qui est retrouvé
mort le lendemain. Les militants du groupe islamiste Hamas revendiquent
l’assassinat. Déjà, dans la première
semaine de décembre 1992, Hamas avait revendiqué la
mort de trois soldats israéliens tués à coups
de fusils-mitrailleurs, et d’un autre soldat tué quelques
jours plus tard.
En encourageant la montée d’un fondamentalisme
islamique chez les Palestiniens, le pouvoir en Israël contribuait
donc à diaboliser les Palestiniens et à justifier
leur politique aux yeux de l’opinion mondiale. Le journal
israélien Hadashot révèle ainsi le 15 décembre
1992 que le Shabak, le service secret israélien, avait fabriqué
des tracts signés Hamas qui dénonçaient l’attitude
de l’OLP dans l’Intifada (Yoram Binour, Hadashot, 15-12-1992).
On estimait en 1992 que s’il y avait des élections
en Palestine, Hamas remporterait 30 pour cent des voix.
L’assassinat du sergent-chef Toledano a eu
comme réponse l’expulsion de 415 Palestiniens (le 17
décembre 1992), membres ou sympathisants de Hamas, certes,
mais International Herald Tribune du 18 décembre 1992 dit
à leur sujet : « Il semblerait bien que la presque
totalité des déportés seraient des théoriciens,
des bailleurs de fonds et des dirigeants d’institutions islamiques.
En tout cas pas des bandits armés. » Les autorités
israéliennes tentèrent de faire prendre en charge
par les autres les problèmes qu’elles avaient elles-mêmes
créés ; Rabin suggéra en effet : « Si
un pays pouvait les accueillir pendant un temps jusqu’à
ce que l’exil expire, je pense que cela aiderait à
résoudre le problème. » International Herald
Tribune (31-12-1992), qui cite cette déclaration, précise
qu’ils pourront « faire la demande aux autorités
israéliennes de revenir chez eux dans deux ans »...
ce qui, évidemment, ne garantit pas que les autorités
israéliennes acceptent.
La décision de déportation a été
prise à la presque-unanimité, seul le ministre de
la Justice s’est abstenu. La Cour suprême a entériné
cette décision par 5 voix contre 2 abstentions. Les 415 Palestiniens,
qui se trouvaient mains liées et yeux bandés dans
des autobus, ont été transférés de nuit
à la frontière du Sud-Liban contrôlée
par Israël.
L’affaire de l’expulsion des 415 Palestiniens
suscita évidemment un malaise chez les négociateurs.
Fayçal Husseini, un dirigeant (et notable) palestinien de
l’intérieur, déclara que les négociateurs
palestiniens ne retourneraient pas à Washington tant que
les déportés ne seraient pas rentrés. Mais
les « Frères arabes » qui participaient aussi
aux négociations furent moins catégoriques : les Syriens,
les Jordaniens, les Egyptiens, qui ont des enjeux territoriaux ou
stratégiques dans ces négociations, firent savoir
qu’ils viendraient. Ainsi se révéla un des aspects
pervers de ces négociations, qui isolent les Palestiniens
des autres Etats arabes dont le soutien (beaucoup plus théorique
que réel, d’ailleurs) avait eu jusqu’alors une
valeur au moins symbolique. Chaque Etat concerné dans le
conflit cherche à tirer des négociations le maximum
d’avantages, sans aucun égard pour la « cause
palestinienne ».
En avril 1993, lorsque s’ouvrit la 9e session
de la conférence, les territoires occupés étaient
bouclés par l’armée israélienne à
la suite d’une « vague d’attentats perpétrés
contre des Israéliens », selon les termes officiels.
L’ouverture de la conférence, qui devait commencer
le 20 avril, fut repoussée d’une semaine. Lorsque,
le 26, la délégation palestinienne au grand complet
se présenta à Washington malgré le non-retour
des déportés, les territoires occupés se mirent
en grève générale pour protester.
.
II. – ISRAËL : LES DOSSIERS DONT ON PARLE PEU
A. – LA QUESTION DÉMOGRAPHIQUE
La démographie en Israël est un enjeu
stratégique, c’est sans doute le premier de tous les
problèmes auxquels les autorités ont à faire
face. Les données démographiques relèvent presque
du secret d’Etat. Le professeur David Grosman révèle,
dans une lettre du 24 novembre 1992 à Ma’ariv, qu’il
y a en Israël une double comptabilité en ce qui concerne
la démographie : les statistiques officielles pour le grand
public et les statistiques réelles pour les décideurs.
Il y avait 480 000 Juifs dans la Palestine mandataire
de 1946. Au fil des années sont venus s’ajouter plus
d’un million d’immigrants d’Europe et d’Amérique.
Après 1990, environ un demi-million d’immigrants, surtout
de l’ex-Union soviétique sont arrivés.
Israël : un projet pour les ashkénazes
Le projet sioniste initial ne concernait pas les
Juifs orientaux. Lorsque des pogroms éclatent pendant la
seconde guerre mondiale en Syrie et en Irak, rien n’est envisagé
pour les faire venir en Palestine, dont les frontières étaient
pourtant perméables. Alors que Ben Gourion et le président
Weizman pensaient que des millions de Juifs d’Europe et d’Amérique
émigreraient en Israël dans les années quarante
– Weizman fait même état du chiffre de cinq millions
dans une lettre [37] –, entre mai 1948 et janvier 1950, seuls
210 000 Juifs européens et américains émigrent,
parmi lesquels 50 000 Juifs bulgares ou originaires des Balkans,
catalogués pour les besoins de la cause Juifs européens.
Pendant la même période, 130 000 Juifs orientaux immigrent.
L’existence même du nouvel Etat d’Israël
semblait dès lors menacée par un déficit démographique
auquel les autorités ont pallié en faisant appel au
million de Juifs orientaux. En 1953, 720 000 personnes avaient immigré,
dont seulement la moitié d’ashkénazes. L’ensemble
de ces immigrants était une population jeune, dont 84 % avaient
moins de cinquante ans (Yedioth Haharonoth, 18 juin 1986). Ben Gourion
se réjouissait de l’immigration de Juifs européens,
qui allait, selon lui, « délevantiser » la population
israélienne constituée en majorité de Juifs
orientaux.
Les ashkénazes auraient dû rester le
groupe le plus nombreux en Israël, mais deux phénomènes
ont réduit le pourcentage de leur population par rapport
aux deux autres groupes démographiques, les Juifs orientaux
et les Palestiniens :
– une très forte émigration
de ses jeunes en âge de procréer ;
– la forte croissance naturelle, surtout durant
les deux premières décennies de l’Etat, des
Juifs orientaux et des Palestiniens autochtones.
Un haut fonctionnaire de l’Agence juive, J.
Zerubavel, fait en 1951 une déclaration étonnante
: « Nous serons appelés à envisager un problème
tout à fait nouveau dans la vie publique juive, à
savoir, le problème des Juifs orientaux », dit-il ;
« on ne s’est jamais attaqué à ce problème
; en tout cas il n’a jamais reçu une sérieuse
attention », ce qui confirme la thèse du désintérêt
initial envers les Juifs orientaux. « Le mouvement sioniste
doit assumer la tâche de sauver le million oublié »
(souligné par l’auteur) [38].
Des centaines d’émissaires furent envoyés
auprès des Juifs de la diaspora pour les inciter à
venir s’installer en Israël. Beaucoup d’entre eux
finirent par s’installer dans les pays où ils étaient
envoyés... Les Juifs orientaux seuls répondirent de
façon significative à l’appel : c’est
que le contexte économique et social, plus que les motivations
religieuses ou idéologiques, est l’élément
déterminant du choix du départ.
Entre 1948 et 1953, s’est installée
en Israël :
0,04 % de la population juive des Etats-Unis ;
2,6 % d’Europe occidentale ;
11,5 % d’Europe orientale ;
17 % du Maghreb ;
28 % d’autres pays du Moyen-Orient.
On constate donc une relation entre la part de l’immigration
et le contexte socio-politique du pays d’origine. Dans les
pays à tradition démocratique, à haut niveau
de vie, les Juifs vivant dans des conditions sociales, économiques
et intellectuelles favorables n’émigrèrent jamais
en masse, sauf quelques éléments extrémistes,
dont beaucoup revinrent peu après dans leur pays d’origine.
Roger Ascot les appelle les « Israéliens du dimanche
», d’autant plus intransigeants qu’ils ne feront
pas la guerre, « sinon par [leurs] frères israéliens
interposés » [39].
Les Juifs ashkénazes qui émigrèrent
venaient pour l’essentiel de pays subissant une crise grave.
On constate également la quasi-disparition de la diaspora
des pays du monde arabe : sur une population de 800 000 en 1948,
on ne compterait plus, aujourd’hui, que 10 000 Juifs dans
ces pays ; la politique de l’Etat d’Israël par
rapport à la question palestinienne ne doit pas mettre les
Juifs des pays arabes dans une situation particulièrement
facile... Aujourd’hui, les Juifs orientaux et leur descendance
forment plus de la moitié de la population d’Israël.
Des communautés juives plusieurs fois millénaires,
comme celles d’Irak ou du Yémen, ont pratiquement disparu,
et leurs membres ont été transformés en prolétaires
en Israël. Michel Warschawski évoque « le droit
que s’octroie le sionisme de manipuler les communautés
juives de la diaspora. En effet, s’il s’agit de communautés
dégénérées [sic], c’est le devoir
du sionisme de les extraire de leur environnement malsain, sans
tenir compte de leur volonté propre. Ainsi des agents sionistes
mettront des bombes dans les synagogues de Bagdad et négocieront
un marchandage sordide avec Nuri Said, dans le but de hâter
le transfert des Juifs iraqiens vers Israël, ou il sera expliqué
aux Juifs du Yémen que les avions venus les chercher sont
les “aigles des aigles” du messie dont parle le prophète
» [40].
Les diasporas juives en Iran, en Inde, en Turquie
et en Afghanistan qui, en 1948, avaient une population totale d’environ
200 000, n’en comptaient plus que 50 000 en 1984, pour la
plupart des personnes âgées. Leur contribution potentielle
à la croissance de la population d’Israël est
nulle. S’ils quittent leur pays, ils vont aux Etats-Unis,
comme c’est le cas des Juifs iraniens. Les dirigeants israéliens
ont coutume d’évoquer les conditions de vie arriérées
des Juifs orientaux comme motivation de leur départ. En réalité,
une forte proportion des Juifs irakiens et iraniens appartenaient
aux différentes couches de la bourgeoisie, grande, moyenne
ou petite. Leur installation en Israël a été
la cause d’une forte chute de leur niveau de vie.
Selon qu’on était un Juif oriental
ou un Juif ashkénaze, on reçevait un accueil différencié,
dont les conséquences se font encore lourdement sentir dans
la politique israélienne aujourd’hui : les descendants
de ces immigrants conservent la mémoire de cette discrimination
et leur sanction se manifeste par leur comportement électoral.
Pendant la période mandataire, c’est-à-dire
l’occupation britannique de la Palestine, les Juifs orientaux
ne reçurent qu’au compte-gouttes des certificats d’immigration
de l’Agence juive, sauf dans certains cas particuliers : lorsqu’il
s’agissait de faire venir des Juifs yéménites
pour remplacer les salariés agricoles arabes dans les vergers
d’agrumes des moshavots ; lorsqu’il a fallu faire venir
des dockers juifs de Salonique pour remplacer les dockers arabes
de Haïfa et de Jaffa, lors de l’ouverture du port de
Tel-Aviv et lors de la grève générale des Palestiniens
en 1936. Après la création de l’Etat d’Israël,
ils fourniront une main-d’œuvre sous-payée pour
coloniser les terres ingrates délaissées par les kibboutzim,
pour travailler dans les industries avides de main-d’œuvre,
dans les grands chantiers, les vergers d’agrumes des capitalistes
juifs, et pour fournir les soldats dont avait besoin la politique
d’expansion du nouvel Etat. Michel Warschawski parle de la
« falsification de l’histoire juive » qui anéantit
« la mémoire et l’identité culturelle
des diverses immigrations juives ».
A la fin de 1988, le chiffre officiel de la population
d’Israël était de 4,5 millions, dont 3,7 millions
de Juifs, et 0,8 million de Palestiniens. La balance migratoire
était négative. Le nombre de personnes quittant Israël
était supérieur de 1 000 à celui des personnes
qui s’y installaient (Israel’s Central Bureau of Statistics).
Seule la politique visant à faire venir en masse les Juifs
soviétiques a pu contrebalancer cette tendance, mais cette
population était composée en grande partie de personnes
âgées.
Perspectives démographiques
Quelles sont les perspectives d’augmentation
de la population israélienne par un appel à la diaspora
? Le nombre de Juifs de la diaspora susceptible de s’installer
en Israël est aujourd’hui très réduit,
qu’il s’agisse des Juifs d’Europe et d’Amérique,
ou des Juifs d’Europe de l’Est. Les diasporas juives
dans les pays arabes et musulmans ont, quant à elles, pratiquement
disparu.
Les diasporas suivent une évolution peu encourageante
dans la perspective d’un projet démographique pour
Israël. On constate une réduction sensible du nombre
de Juifs de la planète, due à l’assimilation,
à l’accroissement du nombre des célibataires,
aux mariages de plus en plus tardifs, à l’accroissement
des divorces, aux mariages mixtes, à l’abaissement
du nombre moyen d’enfants par couple très inférieur
à 2,1. Cette tendance était particulièrement
manifeste pour les Juifs soviétiques, dont 2,24 millions
étaient déclarés en 1959 et 1,8 million en
1979 [41]. Le nombre de Juifs soviétiques mariés à
des non-Juifs, ainsi que leurs enfants, était de 1,3 à
1,5 million. Dans les années quatre-vingts, un tiers des
Juifs soviétiques auraient contracté des mariages
mixtes. La diminution de la population juive dans l’ex-URSS
était due, à part égale, aux mariages mixtes
[42] et à une faible natalité. La population juive
de la diaspora, qui était de 10 millions en 1983, devrait
tomber à 8 millions en l’an 2000 et à 6 millions
en 2025, si les tendances actuelles se poursuivent [43]. On parle
même d’« Holocauste démographique ».
On parle peu des Israéliens qui émigrent
de leur pays. En effet, un phénomène migratoire inverse
se constitue, dont les chiffres sont peu accessibles car ils constituent
pour l’Etat d’Israël une donnée stratégique
vitale. Ce sont surtout des membres des couches aisées de
la population, d’origine ashkénaze, qui constituent
80 % des diplômés des universités. Les jeunes
ashkénazes éduqués, Israéliens de souche,
ayant une formation susceptible de leur assurer du travail en Europe
ou aux Etats-Unis, constituent la majorité des émigrants
israéliens. Cette émigration accentue le vieillissement
de la population ashkénaze. La fuite de diplômés
n’a pas beaucoup de conséquences sur le « stock
disponible » dans la mesure où l’immigration
de Juifs soviétiques fait d’Israël le pays dont
la proportion de diplômés est la plus élevée
du monde – et aussi sans doute celui où la proportion
est la plus grande de docteurs, ingénieurs et savants qui
gagnent leur vie comme balayeurs...
Sur les 9 000 immigrants juifs venus des Etats-Unis
(et un petit nombre du Canada) entre 1975 et 1977, seuls 5 400 étaient
encore en Israël en 1978, soit 60 % du total, selon Haaretz
du 2 février 1978. Le ministre chargé de l’immigration,
Yaacov Tzour, a déclaré à la Knesset en 1986
(Haaretz, 10 juin 1986) que seulement 50 000 Juifs des Etats-Unis,
soit 1 %, se sont définitivement installés en Israël
depuis sa création. En revanche, on estime qu’entre
400 000 et 600 000 Israéliens résident légalement
ou illégalement aux Etats-Unis, qui ont absorbé, entre
1970 et 1985, environ 10 % de la population juive d’Israël
et un pourcentage encore plus élevé de ses jeunes.
Le nombre de citoyens israéliens installés aux Etats-Unis
est un sujet d’âpres débats. Shmouel Lahis, ex-directeur
général de l’Agence juive, affirmait en avril
1990 que le nombre d’émigrants israéliens aux
Etats-Unis était de 500 000 (7). Il fut contraint au début
des années quatre-vingts à démissionner de
ses fonctions parce qu’il avait alors avancé le chiffre
de 400 000, contesté par les autorités israéliennes.
Certaines estimations vont jusqu’à un million.
Aujourd’hui ce sont donc paradoxalement les
diasporas juives des pays occidentaux – surtout les Etats-Unis,
le pays le plus peuplé de Juifs de l’après-guerre
– qui sont devenues les centres d’accueil de centaines
de milliers d’Israéliens, alors que dans le projet
sioniste, elles devaient être le principal fournisseur d’immigrants.
Une telle évolution a des effets dramatiques
sur la situation en Israël. En effet, le vieillissement relatif
de la population sera pris en charge par les populations qui restent,
c’est-à-dire pour l’essentiel par les jeunes
générations de Juifs orientaux, dont les conditions
de vie, l’accès à l’éducation sont
très inférieurs à ceux des ashkénazes.
La forte natalité de cette communauté, dans les premières
années de la création de l’Etat, a incité
le pouvoir à encourager une vigoureuse politique de réduction
des naissances (qui restent malgré tout nettement supérieures
à celles des ashkénazes), ce qui va accroître
encore plus la charge supportée par les jeunes générations
de Juifs orientaux. Le déficit démographique impose
aux autorités israéliennes des stratégies parfois
étonnantes pour y faire face. Dans le passé on a fait
venir en masse les falashas, Juifs éthiopiens, qui subissent
aujourd’hui une discrimination raciale extrême. Maintenant
il est envisagé de faire appel à... des Hindous qui
seraient les descendants de communautés juives de l’Antiquité.
N’importe qui, sauf des Palestiniens.
Conflits ethniques ou conflits de classe
?
Au début des années soixante eurent
lieu en Israël des émeutes de Juifs orientaux, commencées
dans le quartier de Wadi Salib, à Haïfa, en 1959, mais
qui s’étaient étendues à tout le pays.
Les autorités politiques prirent conscience que cette catégorie
de la population avait une croissance naturelle de quatre fois supérieure
à celle des ashkénazes. Un comité fut créé
en 1962 chargé de proposer des mesures de contrôle
de la natalité. Son rapport dit en conclusion que «
trop d’enfants chez des Juifs d’un niveau socio-économique
bas aggrave les problèmes sociaux à l’intérieur
de la communauté juive ». Par Juifs d’un niveau
socio-économique bas, il faut évidemment entendre
les Juifs arabo-orientaux. « Trop d’enfants dans la
communauté arabe », dit encore le rapport, «
constitue un danger de mort pour la communauté juive ».
On ne pouvait pas mieux admettre que tensions ethniques et conflits
de classe étaient en l’occurrence une seule et même
chose.
Les autorités vont promouvoir une baisse
substantielle de la natalité dans les deux communautés,
sépharade et arabe, et une augmentation non moins substantielle
dans la communauté ashkénaze. Une campagne de propagande
fut menée pour décourager la natalité chez
les familles considérées comme retardataires du point
de vue culturel et à faibles revenus et à l’encourager
dans les familles aisées, cultivées et enracinées.
Dans un article paru dans Haaretz, le 14 septembre 1966, «
La nouvelle génération de 1966 », Shabtaï
Teveth, le biographe de Ben Gourion, exhorte les femmes ashkénazes
à mettre au monde plus d’enfants, car c’est «
le seul espoir d’accroître de façon significative
les éléments originaires d’Europe et d’Amérique
parmi la population juive et la jeune génération ».
Que les choses soient dites aussi crûment peut paraître
étonnant. Par analogie, on peut se demander quelles seraient
les réactions si un homme politique français faisait
campagne pour promouvoir la natalité dans les départements
du nord du pays parce qu’il y a trop de Français méditerranéens
?
Un arsenal de mesures fut mis en place pour réduire
la natalité chez les Juifs orientaux et les Palestiniens
d’Israël, et pour l’encourager chez les Juifs ashkénazes.
On enseigna les méthodes de contraception aux femmes juives
d’origine orientale. On restreignit l’attribution de
logements sociaux aux jeunes couples de Juifs orientaux. Les salaires
de ces derniers furent maintenus à un bas niveau. En revanche
on offrit des appartements relativement spacieux aux classes moyennes,
en grande majorité ashkénazes. Les partis religieux,
alors tous ashkénazes, se virent attribuer dans les grandes
villes terrains et crédits pour construire des logements
pour leurs adeptes, qui se marient jeunes et ont de grandes familles.
Ces mesures réduisirent efficacement les
naissances chez les Juifs orientaux et les accrurent sensiblement
chez les Ashkénazes. Mais les mesures discriminatoires n’eurent
aucun effet chez les Palestiniens d’Israël : la natalité,
par une sorte de réaction inconsciente (pas toujours, d’ailleurs...)
et collective, fut le premier moyen de résistance.
La politique démographique israélienne
semble se caractériser par une double injonction contradictoire
:
– accroître la population juive du pays
;
– empêcher l’accroissement de
la population juive orientale.
La contradiction réside dans le fait qu’empêcher
l’accroissement de la population des Juifs orientaux équivaut
à empêcher l’accroissement de la population juive...
L’application de la seconde injonction constitue une sérieuse
entrave à l’application de la première, qui
pourrait sembler, vu les enjeux, prioritaire.
Une analyse des raisons profondes qui provoquent
une forte natalité – la pauvreté et la destruction
des solidarités sociales [44] – montre qu’une
politique d’amélioration des conditions de vie, d’habitat
et d’instruction – seuls véritables facteurs
de baisse de natalité – aurait pu être menée,
notamment grâce aux milliards de l’aide américaine
et de la diaspora.
En fait, l’establishment ashkénaze
craignait autant d’être débordé par les
Juifs orientaux que par les Palestiniens ; aussi sa politique fut-elle
non pas de permettre aux familles de Juifs orientaux d’élever
leurs familles dans de bonnes conditions, de leur fournir une instruction
équivalente à celle des jeunes ashkénazes,
mais d’encourager l’immigration des Juifs d’Europe
et d’Amérique et de favoriser les naissances chez les
Juifs ultra-orthodoxes, en grande majorité ashkénazes.
La fermeture, en 1990, des frontières des Etats-Unis aux
émigrants Juifs de Russie, ne leur laissant d’autre
choix qu’Israël, a dû être considéré
comme un fait extrêmement positif par le pouvoir.
En ce qui concerne les Palestiniens autochtones,
ils étaient en 1948 environ 870 000 vivant sur le territoire
d’Israël, délimité en 1949 par le traité
de Rhodes. Après l’expulsion de plus de 700 000 personnes,
seuls 160 000 Palestiniens restèrent dans le nouvel Etat.
Du fait de leur forte croissance naturelle, ils étaient officiellement
à la fin de 1993 près d’un million sur un total
de 4,48 millions d’Israéliens, soit 18,3 %. La population
des Palestiniens se situerait aujourd’hui à plus de
20 % de la population totale. En 1967, lors de l’annexion
de Jérusalem-Est, 60 000 Palestiniens furent rattachés
à l’Etat d’Israël, mais sans devenir citoyens
: on avait annexé la terre, mais pas les habitants.
Bilan
Si l’objectif initial du projet sioniste a
échoué – la création d’un Etat
constitué de Juifs ashkénazes –, le bilan démographique
de la politique de l’Etat d’Israël reste positif
en ce sens qu’il a rassemblé les trois quarts des Juifs
du monde arabe et islamique. La situation née de la crise
israélo-palestinienne leur interdit tout retour dans leur
pays d’origine, si tant est que la 2e ou la 3e génération
en ait envie, et leur sous-qualification professionnelle leur interdit
l’émigration vers les pays occidentaux, sauf à
y grossir le flot des immigrants des pays du tiers monde.
Ces Juifs représentent aujourd’hui
60 % de la population juive d’Israël, mais une proportion
beaucoup plus élevée de ses jeunes, du fait de la
fertilité de cette communauté. Cette population est
appelée, dans son immense majorité, à rester
sur place et constitue le « noyau dur » de la société
israélienne de demain. Il serait illusoire cependant de déduire
de cette prédonminance démographique des juifs orientaux
en Israël un élément favorisant le rapprochement
avec les Palestiniens, contrairement à ce que certains points
de vue un peu démagogiques laissent entendre, en se fondant
sur l’idée que les « juifs arabes » seraient
arabes de culture ou arabes de confession juive.
De 1978 à 1987, il y a eu chaque année
un solde migratoire négatif pour Israël [45]. 160 000
résidents ayant quitté le pays ne sont pas rentrés
pendant cette période, alors que le nombre d’immigrants
n’était que de 100 000. Mais il faut aussi tenir compte
de la nature de ces flux. En effet, ceux qui partent sont des jeunes
ayant suivi des études supérieures et obtenu une formation
qualifiée, en âge d’avoir des enfants ; leurs
motivations sont essentiellement pragmatiques : ils veulent quitter
un environnement difficile, peu sûr, qui contraint à
un service militaire de trois ans et à des périodes
militaires annuelles, alors que ceux qui arrivent sont des jeunes
religieux dogmatiques, sans profession définie, dispensés
de service militaire et possédant souvent une famille nombreuse.
Ce sont eux qui vont coloniser les territoires occupés.
On constate un vieillissement de la population des
Juifs de la diaspora, pour l’essentiel ashkénazes.
Leur croissance naturelle est nulle ou négative et ne suffit
pas à assurer le renouvellement de la population. Aux Etats-Unis,
où se trouve la plus forte communauté juive de la
planète, le nombre de naissances par femme est passé
de 3,2 en 1957 à 1,4 en 1971. Ce phénomène
apparaît en Israël également, mais moins prononcé
et si le vieillissement n’est pas plus important chez les
ashkénazes, c’est dû à l’importante
natalité des quelque 100 000 séminaristes.
Après les périodes de forte immigration
du début des années cinquante, la balance migratoire
en Israël était, elle aussi, devenue négative
de 1985 à 1988 : les départs n’étaient
pas compensés par les arrivées. Lorsque l’URSS
autorisa l’émigration des Juifs en 1990 et que 200
000 d’entre eux arrivèrent dans une première
vague, les autorités israéliennes s’attendirent
à en voir venir des centaines de milliers, voire un million.
Trois ans plus tard, le mouvement s’arrête mais les
réémigrations continuent.
Dans un article publié dans Foreign Affairs
[46], Yitzhak Shamir reconnaît que, pendant ses premières
années, Israël a absorbé et intégré
1,2 million de Juifs ; mais, dit-il, « contrairement à
la perception commune, la majorité de ces immigrants n’étaient
pas des survivants de l’Holocauste, mais des Juifs des pays
arabes, indigènes de la région ». Presque 800
000 d’entre eux vinrent en Israël, dit-il, « et
actuellement, plus de la moitié de la population d’Israël
est d’origine moyen-orientale ou nord-africaine ». Eli
Eliachar, le chef du parti des Juifs orientaux à la Knesset
de 1949, estimait au début de années quatre-vingts
que cette population représentait 70 % de la population totale
juive d’Israël.
A la fin de 1993, la population d’Israël
était estimée officiellement à 5,5 millions.
Les Juifs orientaux étaient environ 2,25 millions, les Juifs
ashkénazes, y compris les Juifs sépharades des Balkans,
1,35 million et les Palestiniens autochtones un million. «
Démographiquement, écrit Maurice Jacobi, la population
d’Israël est celle d’un pays arabe de confessions
musulmane, juive, chrétienne, druze ou autres, politiquement
dominée par une minorité de 2 millions de colonisateurs
ashkénazes d’Europe et d’Amérique, fondateurs
de l’Etat, détenteurs de tous les pouvoirs [47]. »
La population ashkénaze, minoritaire et vieillissante, détient
néanmoins, cinquante ans après la création
de l’Etat, l’essentiel du pouvoir politique, militaire,
économique et culturel.
Dans les faits, Israël serait donc déjà
un Etat arabo-oriental, où 70 % de la population juive, musulmane
ou chrétienne est originaire du Proche ou du Moyen-Orient.
Ces populations sont jeunes et ont une forte croissance démographique.
Les Juifs ashkénazes, qui sont à l’origine de
la création de l’Etat, ne représentent plus
que 30 % environ de sa population, par ailleurs vieillissante. Si
les tendances actuelles se confirment, c’est-à-dire
un faible accroissement naturel et une émigration annuelle
constante des jeunes équivalant au double de la croissance
naturelle, ils ne représenteront plus qu’une faible
partie de la population totale.
On a vu que démographie et politique sont
étroitement liées. Dans une certaine mesure, le clivage
gauche-droite en Israël exprime moins des options politiques
que des solidarités de groupe, de croyance ou d’appartenance
ethnique. Selon Uri Avnery, un journaliste israélien, «
la “gauche” regroupe la grande majorité des Juifs
d’ascendance européenne (dits ashkénazes), plus
aisée économiquement et mieux formés culturellement,
les Juifs libéraux séculiers (laïques et athées),
ainsi que les citoyens arabes. La “droite” est composée
de la majorité des Juifs d’ascendance orientale (appelés
sépharades), victimes de discriminations économiques
et sociales, moins scolarisés, mais aussi de toute la gamme
des Juifs religieux, des électeurs du Parti national religieux,
y compris les colons extrémistes des territoires occupés,
aux ultra-orthodoxes [48]. »
Une véritable révolution politique
est prévisible, qui consistera à remettre le pouvoir
à la majorité juive orientale, mais une telle perspective
pose à terme deux problèmes :
– les relations que ce nouveau pouvoir entretiendra
avec les puissances occidentales ;
– la politique qu’il mènera envers
les Palestiniens.
Sur cette seconde question, en effet, nous sommes
devant un paradoxe. A priori on pourrait penser que les Juifs orientaux,
par leurs traditions, sont plus à même de comprendre
les Palestiniens et à accepter un compromis.
Trois faits interviennent qui empêchent ce
compromis :
– la destruction de la culture d’origine
de cette communauté, dont les jeunes générations
ont été élevées dans la haine des Arabes
;
– les couches les plus modestes de la population
ont été encouragées, par des mesures fiscales
et sociales, des loyers plus bas, etc., à se loger dans les
colonies de peuplement des territoires occupés ; ces populations,
en majorité composées de Juifs orientaux, ne sont
évidemment pas disposées à quitter leurs logements
;
– le parti travailliste, qui a longtemps dominé
la vie politique du pays, a été l’initiateur
des mesures discriminatoires dont ces populations ont fait l’objet
et elles en ont gardé la mémoire. Aussi les Juifs
orientaux soutiennent-ils par tradition la droite. Pendant sa campagne
électorale, l’attitude de Shimon Pérès,
candidat à la succession de Rabin, n’a pas contribué
à modifier la tendance et le fait que le nouveau patron du
parti travailliste, Ehud Barak, ait publiquement demandé
pardon aux Juifs orientaux n’a sans doute pas changé
grand-chose à la situation, tout le monde ayant vu là
une initiative louable, mais opportuniste.
Le mythe de l’échange des populations
L’un des mythes sur lesquels les autorités
israéliennes se fondent est celui d’un échange
de populations qui serait intervenu entre Israël, d’une
part, et les pays arabes de l’autre.
S’il y a bien eu des accords entre les autorités
sionistes et certains Etats, comme la Bulgarie, le Yémen,
l’Irak et les Etats d’Afrique du Nord, ces accords consistaient
soit dans le paiement aux gouvernements de ces pays d’une
dîme par tête d’immigrant juif, soit d’une
cession aux classes dirigeantes de ces pays des biens des Juifs
partis pour Israël. Dans tous les cas, ces « transferts
» se faisaient par-dessus la tête des transférés,
dans le cadre d’une politique visant à compenser le
déficit d’immigration de Juifs ashkénazes peu
enthousiastes à venir s’installer en Israël, par
la venue plus ou moins contrainte et provoquée de Juifs sépharades
ou de Juifs arabes.
Socialement parlant, les Juifs orientaux dans leurs
pays d’origine faisaient partie de la moyenne ou de la petite
bourgeoisie – c’était particulièrement
le cas des Juifs d’Irak. En Israël ils ont été
transformés en prolétaires, en petit personnel d’encadrement
des travailleurs Palestiniens et en soldats indispensables à
la mise en œuvre de la politique d’expansion territoriale
de l’Etat.
En ce qui concerne les Palestiniens, ils ont été
simplement expulsés lors des guerres de 1948 et de 1967,
leurs biens immobiliers et leurs terres confisqués. Il serait
d’ailleurs intéressant de savoir à qui ont profité
les villas et les appartements de prestige des riches Palestiniens
de Jérusalem et de Haïfa, les plantations d’agrumes,
les terres fertiles et les ressources hydrauliques des Palestiniens
expulsés : sans doute les classes dirigeantes du Yishouv
plutôt que les immigrants juifs du Yémen, du Maroc
ou d’Irak. Nissim Rejwan, dans Jerusalem Post International
du 15 février 1986, révèle que lorsque Shlomo
Hillel, président de la Knesset d’origine irakienne,
suggéra dans les années cinquante de transférer
une partie des biens des Palestiniens aux immigrants irakiens en
contrepartie des biens immobiliers qu’ils avaient perdus en
Irak, Ben Gourion s’en débarrassa en le nommant ambassadeur.
En tout cas, s’il y a bien eu une certaine forme de transfert
de biens, ce ne sont pas les Juifs orientaux qui en profitèrent...
Il n’est pas exagéré de dire qu’il s’agit
d’une véritable rapine effectuée par la classe
dirigeante d’un Etat, rapine légitimée par l’argument
de l’échange des populations et de leurs biens immobiliers
et fonciers.
Un des principaux pays d’accueil des Palestiniens
expulsés se trouva être l’Etat palestinien avorté,
dont une partie du territoire allait être occupée par
la Jordanie et une autre partie, la Bande de Gaza, par l’Egypte.
Même Israël, qui avait occupé le reste de l’Etat
palestinien avorté, se transforma en pays d’accueil,
car on ne permit pas aux Palestiniens qui se trouvaient alors en
Galilée, par suite des actes de guerre, de retourner dans
leurs foyers. Même après la fin des hostilités,
la création de nouveaux déracinés se poursuivit,
comme ce fut le cas des villageois d’Ikrit et de Biram, à
qui on avait demandé de quitter momentanément leurs
foyers et qui n’eurent plus le droit d’y revenir. Les
kibboutz et les moshav se partagèrent leurs terres. C’est
en 1950 que les habitants de la ville de Majdal furent expulsés
dans la Bande de Gaza. La Guerre des six jours effaça les
frontières entre Israël et les autres territoires de
la Palestine mandataire. Le travail de dépossession des terres
de ses habitants débuta et s’est poursuivi sans relâche
depuis 1967, afin que les habitants de Cisjordanie et de la Bande
de Gaza ne soient plus attachés à leurs terres. Les
travaux de Meron Benvenisti, directeur du West Bank Database Project,
donnent une idée de la dépossession foncière
accomplie jusqu’en 1987.
Sur les 4,5 millions de Palestiniens de 1981, 1,84
million vivaient dans le Grand Israël et environ 2,6 millions
en diaspora. Ce sont les pays limitrophes du Grand Israël qui
ont accueilli plus des deux tiers de la population de cette diaspora,
soit au total 1,8 million de personnes. La Jordanie, à elle
seule, donna l’asile à 44 % des Palestiniens expulsés,
mais ne fournit pas un seul immigrant juif. Les trois pays limitrophes
– la Syrie, le Liban et l’Egypte – accueillirent
600 000 Palestiniens, mais ne fournirent que 85 000 immigrants à
Israël. Les trois pays du Maghreb – le Maroc, l’Algérie
et la Tunisie – ont fourni la moitié de tous les immigrants
juifs originaires des pays arabes, soit en tout 600 000, mais n’accueillirent
presque pas de Palestiniens sur leurs territoires.
Si on excepte les Etats-Unis, qui ont accueilli
environ 100 000 Palestiniens et quelques autres Etats occidentaux
qui en ont accueilli 140 000, le reste de la diaspora palestinienne
a été accueillie par les Etats arabes producteurs
de pétrole. Environ 600 000 Palestiniens se sont installés
dans ces pays, soit 23 % de la diaspora palestinienne de 1981. Près
de 12 % de la diaspora palestinienne vivait au Koweït, près
de 10 % en Arabie saoudite et dans les émirats du Golfe.
Mais les pays qui ont le plus contribué à l’immigration
juive d’Israël n’ont presque pas accueilli de Palestiniens.
L’Irak, pays d’où sont originaires 270 000 Juifs,
n’a accueilli que 21 000 Palestiniens. La Libye, qui a fourni
78 000 immigrants juifs et leurs descendants, n’a accueilli
que 24 000 Palestiniens. Les deux Yémens, qui ont contribué
à accroître la population d’Israël de 165
000 personnes, n’ont pas accueilli de Palestiniens.
Il est clair qu’il n’y a pas eu d’échange
de populations et de leurs biens entre Israël et les Etats
arabes situés entre l’Atlantique et le Golfe Persique.
Le transfert des Juifs des pays arabes en Israël avait comme
but principal de fournir au nouvel Etat les colons de terres marginales,
les ouvriers manuels de l’industrie, du bâtiment et
des plantations ainsi que les simples soldats indispensables aux
forces armées. La population palestinienne totale est estimée
à 5,5 millions en novembre 1988. D’après Benvenisti,
la population des territoires occupés était fin 1987
de 1,73 million et dans ce qui correspondrait au « Grand Israël
» on comptait 2,53 millions d’Arabes. La diaspora palestinienne
serait donc actuellement de trois millions, vivant dans les pays
n’ayant presque pas fourni d’immigrants à Israël.
Les nouveaux immigrés en Israël
« Après avoir pendant des années
dénigré les travailleurs palestiniens vivant à
côté et avoir diminué de façon drastique
le nombre de ceux qui sont autorisés à entrer dans
le pays, Israël découvre les conséquences inattendues
de l’alternative. Le pays importe maintenant des centaines
de milliers de célibataires d’Asie, d’Afrique,
des pays arabes, d’Europe de l’Est et même d’Amérique
du Sud pour travailler dans les champs et construire les logements
» peut-on lire dans International Herald Tribune du 20 août
1996.
Cent mille travailleurs immigrés –
ouvriers chinois dans le bâtiment, ouvriers agricoles thaïlandais
dans les territoires occupés, domestiques philippines et
autres africains et asiatiques – ont pris la place des Palestiniens.
Ces étrangers – ayant des contrats temporaires ou venus
illégalement – ont constitué une véritable
enclave dans la ville, dans le Sud de Tel-Aviv, dont ils ont chassé
les habitants. Il y a même eu une manifestation de coolies
chinois protestant contre leurs conditions de vie sous-humaines...
Outre les problèmes liés à l’alcoolisme
et à la prostitution, le pays doit faire face au fait que
les travailleurs font venir leurs femmes ou se marient avec des
israéliennes, envoient leurs enfants à l’école
et ne montrent aucun désir de partir...
Les partis religieux voient d’un très
mauvais œil ce flux incontrôlé de populations
qui menacent la définition même de l’Etat d’Israël
comme Etat juif. En août 1996, le nouveau gouvernement Netanyahou
recommanda de réduire dans un délai d’un an,
de 103 000 à 83 000 le nombre annuel de permis légaux
de travail. Entre 100 et 150 000 étrangers dont le visa touristique
a expiré devraient être renvoyés chez eux
« Le revenu par habitant en Israël est
de 16 000 dollars, plus que celui de certains pays européens.
Une partie de la richesse provient des 3,2 milliards de dollars
d’aide annuelle des Etats-Unis. Au milieu d’une telle
prospérité, les jeunes Israéliens ne veulent
pas travailler pour le salaire minimum dans les restaurants ou la
construction. Les ressources nécessaires pour traquer les
travailleurs illégaux et les renvoyer chez eux, pour ne pas
parler des nouvelles charges sociales, ont tout à coup réhabilité
la main-d’œuvre palestinienne aux yeux de nombre d’Israéliens
[49]. » Le nombre de Palestiniens travaillant en Israël
est tombé de 180 000 en 1989 à environ 32 000 en 1996.
L’avantage des Palestiniens, dit-on, est qu’ils
n’ont que très peu envie de vivre avec les Israéliens.
« Les Palestiniens ne créent pas le même genre
de problème, parce qu’ils rentrent chez eux à
la fin de la journée » note un fonctionnaire du ministère
du travail cité par International Herald Tribune. On suggère
aussi qu’un Palestinien qui peut nourrir sa famille sera peu
enclin à se faire sauter avec une bombe.
Les entrepreneurs du bâtiment font pression
pour faire venir des travailleurs étrangers parce qu’ils
ne peuvent pas dépendre des Palestiniens qui sont régulièrement
bouclés dans la bande de Gaza ou sur la rive Ouest à
chaque incident. Ils se sentent peu touchés par les menaces
du gouvernement de faire augmenter les salaires dans le bâtiment
pour rendre le travail plus attractif aux Israéliens, car
l’augmentation du prix de la construction produira une inflation
que le gouvernement veut précisément éviter...
Le bouclage des territoires coûterait environ
un million de dollars par jour à l’industrie du bâtiment,
selon le Jerusalem Post, dans un article significativement intitulé
« Le bouclage des territoires et les prix de l’immobilier
» (Sélection hebdomadaire, 14-20 avril 1993). Malgré
les demandes pressantes des employeurs du bâtiment, les réductions
d’effectifs palestiniens sont devenues irréversibles.
Même les syndicats se mettent de la partie : « Le secrétaire
du syndicat des ouvriers du bâtiment, Shlomo Dahan, a demandé
expressément à M. Shohat [ministre des Finances] de
ne pas céder face à cette requête [d’augmenter
le nombre de Palestiniens travaillant en Israël] et de ne pas
autoriser le retour de milliers de Palestiniens sur les chantiers.
M. Dahan explique que c’est là une occasion unique
pour le pays de procéder à une “israélisation”
du secteur de la construction et qu’il serait stupide de ne
pas la saisir à cause des premières difficultés
rencontrées. » (Jerusalem Post, loc. cit.)
Ce vaillant syndicaliste déclara dans le
quotidien Haaretz du 1er janvier 1992 que « les travailleurs
des territoires devraient être les premiers à partir
». Si, effectivement, les travailleurs palestiniens sont «
partis », ceux qui les ont remplacés créent
encore plus de problèmes. La revendication de Shlomo Dahan,
peu empreinte d’internationalisme prolétarien, d’«
israéliser » le secteur de la construction n’a
apparemment pas été entendue par les entrepreneurs,
qui se moquent complètement de la nationalité ou de
la religion de leurs ouvriers du moment qu’ils peuvent les
exploiter tranquillement et ils se garderont bien d’embaucher
des ouvriers israéliens si c’est pour les payer plus.
On peut aisément imaginer les réactions que provoqueraient
de telles déclarations dans la bouche d’un syndicaliste
français.
Les travailleurs étrangers ont tout de même
un « créneau » dans la mesure où nombre
d’habitants des quartiers aisés et riches de Tel-Aviv
ne veulent pas confier les tâches de personnel de maison à
des Palestiniens. Les travailleurs étrangers vivent dans
des conditions épouvantables, certains sont entassés
à 15 dans une chambre dans des bâtiments à moitié
achevés, selon International Herald Tribune. L’organisation
The Worker’s Hotline [50] s’efforce de dénoncer
cette situation, sans succès. Certains employeurs confisquent
les passeports des travailleurs étrangers quand ils arrivent
légalement et, lorsque la fin du contrat approche, ils les
licencient sans les payer et les remplacent. « Ils ont recours
à des agences de sécurité pour les expulser
et ce n’est pas fait en douceur. Il y a habituellement des
coups et c’est toujours sans verser le dernier salaire »
déclare Hanna Zohar, de Worker’s Hotline.
L’existence de l’Etat d’Israël
est fondée sur une contradiction fondamentale : créé
à l’usage exclusif d’une communauté sur
la base de la religion, il ne doit son identité et sa légitimité
interne qu’à cette religion. Une « loi du retour
» édictée en 1950 permet à tout Juif
de la planète d’être citoyen de cet Etat sans
jamais y avoir vécu, sans que personne de sa famille ait
même foulé cette terre depuis deux mille ans. Cette
même loi dénie tout droit à des millions de
Palestiniens expulsés, dont les ancêtres ont toujours
vécu sur cette terre.
La loi du retour est destinée à fournir
à l’Etat la population dont il a besoin pour justifier
à ses propres yeux et aux yeux de l’opinion mondiale
son existence. La politique démographique de cet Etat a été
de convaincre les Juifs de la planète à immigrer,
ce dont ils n’ont pas montré un enthousiasme débordant,
à tel point qu’il a été envisagé
de faire venir, par une démarche tout à fait artificielle,
de prétendus Juifs d’Inde ou d’Asie du Sud-Est,
alors que la population autochtone expulsée se voit interdire
tout retour, tout cela parce que l’accroissement naturel de
la population juive ne permettra pas à cette population de
rester majoritaire dans son propre Etat après 2010 : à
cette date, les Arabes dépasseront la majorité numérique
dans l’ensemble qu’Israël contrôle politiquement
[51]. Le caractère artificiel d’une telle société,
qui ne peut se maintenir dans la forme qu’elle a choisie que
par une immigration constante, appelée de toute façon
à se tarir, saute aux yeux.
B. – LA TERRE
Israël est sans doute le seul pays dont les
frontières ne sont pas officiellement délimitées.
Golda Meir, l’ancien Premier ministre, disait : « Nos
frontières seront là où nous nous installerons...
» Lorsqu’on regarde une pièce de monnaie israélienne,
on voit une carte d’Israël assez surprenante. On s’aperçoit
que les frontières du pays débordent sur le Liban,
la Jordanie, l’Egypte, la Syrie et l’Irak. C’est
un cas unique. On imagine aisément le remue-ménage
que provoquerait une situation analogue si n’importe quel
autre pays faisait figurer sur sa monnaie une expression aussi évidente
de ses ambitions territoriales [52]...
L’achat des terres
Dans un premier temps les immigrants juifs en Palestine
étaient de vieux Juifs pieux venus y prier et terminer leurs
jours. A partir de 1896 l’Association juive de colonisation
s’intéresse à l’installation de Juifs
en Palestine et par conséquent à l’achat de
terres. Entre 1880 et 1910 la population juive de Palestine augmente
de 55 000 personnes. Les frictions avec la population autochtone
commencent aussitôt, car les Juifs ignorent les coutumes arabes,
notamment l’utilisation par les bergers des terres communes
(le Musha) [53] et considèrent leurs incursions comme des
atteintes au droit de propriété.
Les modes d’acquisition des terres par les
Juifs furent variés et causèrent de nombreux conflits.
Des propriétaires vendaient leurs terrains à des prix
avantageux aux nouveaux immigrants, provoquant l’expulsion
des paysans qui les cultivaient. Les usuriers qui récupéraient
les terres des paysans endettés les revendaient aux Juifs.
Dès 1886 des paysans palestiniens expulsés attaquent
des colonies juives. Les autorités ottomanes et les Palestiniens
instruits comprirent vite que les sionistes cherchaient à
établir un Etat juif en Palestine. Protestations, campagnes
de pétitions parviennent parfois à ralentir l’immigration
juive.
Le sionisme se constitue en mouvement organisé
en 1897 à Bâle ; un programme est adopté dans
lequel on peut lire que « le but du sionisme est de créer
pour le peuple juif un foyer en Palestine, garanti par la loi »,
réalisé par le moyen de colonies d’agriculteurs
et d’artisans. Théodore Herzl pensait qu’il fallait
œuvrer de manière plus systématique et organisée.
Le Trust colonial juif et la Commission de colonisation sont créés
en 1898, le Fonds national juif en 1901, la Compagnie de développement
des terres de Palestine en 1908.
La seconde vague d’immigration (aliya) entre
1904 et 1907 se fait de façon plus organisée. Surtout,
le contexte idéologique a complètement changé,
comme l’atteste Ben Gourion : « Parmi les premières
déceptions, il y eut le spectacle des Juifs de la première
aliya, vivant maintenant comme des effendis, tirant leurs revenus
de plantations et de champs cultivés par de la main-d’œuvre
embauchée, ou de métiers du genre de ceux par lesquels
nous ne réaliserons jamais de réhabilitation nationale
[54]. » L’objectif de cette seconde aliya était
de créer une communauté indépendante du point
de vue économique, culturel, linguistique et, surtout, «
capable de se défendre », c’est-à-dire
un embryon d’Etat. Une véritable lutte s’engagea
contre les propriétaires terriens juifs qui préféraient
la main-d’œuvre arabe à celle, sans expérience,
des Juifs. Jusqu’alors les paysans palestiniens qui cultivaient
les terres que les propriétaires avaient vendues aux Juifs
étaient embauchés comme ouvriers agricoles ; désormais
on empêche leur embauche, ce qui accroît le ressentiment.
Les sionistes n’entendaient en aucune manière
s’accorder de la présence des Palestiniens. Eli Eliachar
raconte [55] que lorsque, en 1921, des notables Juifs orientaux
se proposèrent comme médiateurs entre les sionistes
et les notables palestiniens, leur proposition fut catégoriquement
rejetée. Selon Eliachar les Juifs autochtones soutenaient
l’idée que les Juifs de Palestine devaient s’intégrer
à la région, ce qui n’était pas du tout
le projet des sionistes. Ces derniers se sont également opposés
à l’existence d’un système éducatif
commun pour Juifs et Palestiniens. Une médiation proposée
par les Juifs autochtones, après la création de l’Etat
d’Israël, afin de trouver une solution pacifique au problème
palestinien, aurait également reçu une fin de non-recevoir
catégorique.
L’empire Ottoman, qui domine la Palestine,
enregistre en endettement important et tente d’accroître
et de rationaliser les rentrées fiscales en intensifiant
l’exploitation de la paysannerie et en réorganisant
la production agricole. Il élimine les collecteurs d’impôts
pour mettre en place un accès plus direct de l’Etat
aux rentrées fiscales et encourage la constitution de grands
domaines. Une loi de 1858 classe la terre en cinq catégories
et impose aux paysans et aux propriétaires qu’ils enregistrent
les terres au cadastre.
Méfiants, les paysans considéraient
d’un mauvais œil cet enregistrement car ils y voyaient,
à juste titre, un moyen pour l’Etat d’augmenter
les impôts, puisque l’Etat saurait très précisément
ce que chacun possédait ou cultivait... Pour se dérober
à l’enregistrement, ils eurent recours à divers
procédés : fausses déclarations, déclarations
de terres au nom de potentats locaux et de chefs de clans dont ils
espéraient des allégements fiscaux grâce à
leur influence, déclarations partielles de terres, voire
sous de faux noms ou de personnes décédées.
Des terres de villages entiers se trouvèrent ainsi déclarées
sous quelques noms ; l’Etat ottoman fit ensuite vendre aux
enchères les terres qui n’avaient pas été
déclarées et qui échurent à quelques
riches familles, accroissant encore la concentration. L’Etat
abolit également les terres musha.
Une autre loi, de 1869, autorise la possession par
des étrangers de terres en Palestine, facilitant le travail
des agences sionistes. En 1920, une loi imposée par la puissance
mandataire, la Grande-Bretagne, élargit le droit de vente
des terres quelle que soit leur classification, même réputées
inaliénables, telles les terres wakf, c’est-à-dire
qui font partie des biens religieux et dont le produit était
destiné aux œuvres de bienfaisance. Une autre loi, en
1926 permet l’expropriation de terres nécessaires à
des fins d’utilité publique, les paysans n’ayant
droit qu’à une indemnisation. Enfin, une loi permet
à l’armée d’acquérir des terres
à des fins militaires ; ces terres étaient souvent
vendues ou cédées par la suite à des organisations
sionistes. Cette loi est encore fréquemment utilisée
en Cisjordanie.
La législation ottomane, puis britannique,
facilita le transfert des terres aux mains du mouvement sioniste.
Jusqu’en 1936, la provenance des terres ainsi achetées
était pour :
52,6 % des propriétaires absentéistes,
c’est-à-dire qui vivaient ailleurs, souvent fort loin
et qui pour la plupart n’avaient même jamais vu ces
terres ;
24,6 % provenaient de grands propriétaires
résidents, des familles libanaises surtout (Sursuq, Tayyan,
Tuéni, Madawar, etc.), mais aussi des propriétaires
palestiniens, surtout chrétiens (Kassar, Roch, Khoury, Hanna,
etc.). Certaines terres furent vendues par des notables musulmans.
13,4 % du gouvernement mandataire, de l’église
ou des compagnies étrangères ;
et seulement 9,4 % des paysans eux-mêmes.
Dans presque 90 % des cas, par conséquent,
les paysans avaient été contre leur gré expulsés
de leur moyen d’existence.
Ce processus de concentration du capital foncier
a eu plusieurs conséquences :
– l’accroissement du nombre de paysans
sans terre, qui représentaient 29,4 % des familles paysannes
en 1930 ;
– la diminution sensible de la taille moyenne
des exploitations de la paysannerie palestinienne ;
– l’exode des paysans repoussés
vers les régions montagneuses du centre, qui sont encore
aujourd’hui les lieux de concentration de la population palestinienne
que les autorités israéliennes ne veulent pas annexer
et auxquelles elles sont disposées à accorder une
forme d’autonomie.
En 1936, la Caisse nationale juive avait acquis
2,6 % de la surface du territoire palestinien ; en termes de terres
cultivables cela fait beaucoup plus, puisque la moitié de
la Palestine est occupée par le désert du Neguev ;
un quart du territoire est occupé par les plaines côtières,
fertiles, où le mouvement sioniste achète les terres
aux propriétaires absentéistes, et la vallée
du Jourdain ; le quart restant est occupé par les montagnes,
où se concentre l’essentiel de la population palestinienne.
Les révoltes des années 1936-1939
eurent pour origine l’appauvrissement de la paysannerie palestinienne,
appauvrissement dû surtout à l’ensemble de la
politique menée par l’occupant britannique, aux taux
d’intérêt exorbitants de 30 % qui créaient
une spirale dont les paysans ne pouvaient pas sortir, à l’acquisition
de terres par le mouvement sioniste, à l’extension
de l’activité de ce dernier dans tous les secteurs
économiques aux dépens de l’économie
palestinienne.
Malgré cela, un rapport de l’ONU de
1947 révèle que les Palestiniens détenaient
encore à cette date 93 % des terres du pays, ce qui dément
l’argument de l’achat des terres pour légitimer
l’occupation juive sur la totalité de la Palestine.
La politique de la terre
Dans le territoire même d’Israël,
les lois préexistantes à la constitution de l’Etat
seront maintenues en place et utilisées pour exproprier les
paysans palestiniens de leur terre. Selon les circonstances, les
autorités israéliennes eurent recours aux lois ottomanes,
jordaniennes ou britanniques et lorsque cela ne suffit pas, elles
en créèrent de nouvelles. On estime que le processus
d’éviction des Palestiniens citoyens de l’Etat
d’Israël est aujourd’hui pratiquement achevé.
Après la guerre de 1967 et l’occupation de la Cisjordanie,
jusqu’alors aux mains des Jordaniens, la même politique
d’éviction sera mise en œuvre dans ce territoire
occupé. Mais outre l’annexion de terres en Cisjordanie,
les autorités israéliennes étendront un système
de domination « vertical » sur l’économie
palestinienne. Elles organisent la dépendance totale de l’économie
des territoires occupés. La Cisjordanie est isolée
du reste des pays arabes et du monde. Un ensemble extrêmement
complexe de lois assure l’hégémonie politique
et économique sous la double forme de la dislocation et de
l’intégration :
– La dislocation se fait sous la forme de
l’appropriation des terres permettant l’installation
de colonies de peuplement, du contrôle des ressources en eau,
de la mise en place d’un système monétaire et
bancaire qui aboutissent à la fuite de l’épargne
et à la baisse des investissements. A quoi on peut ajouter
une politique fiscale arbitraire qui aggrave la non-compétitivité
de l’économie palestinienne par rapport à l’économie
israélienne. D’une façon générale,
tout est mis en œuvre pour que l’économie palestinienne
ne puisse à aucun moment concurrencer l’économie
israélienne.
– L’intégration de l’économie
palestinienne des territoires occupés est l’image classique
de l’économie coloniale : emploi massif par l’occupant
d’une main-d’œuvre bon marché ; obligation
de rapports bilatéraux qui interdisent aux producteurs palestiniens
d’avoir des relations commerciales avec un autre partenaire
économique qu’Israël ; spécialisation de
l’économie dominée en fonction des seuls besoins
de la puissance occupante.
La politique israélienne dans les territoires
occupés a cependant cette caractéristique qu’elle
ne cherche pas à intégrer la population palestinienne
dans un rapport économique de domination mais à vider
le territoire de sa population. Le colonialisme classique vise à
garantir un maximum d’avantages à la puissance dominante
mais ne nie pas le droit d’existence à la population
dominée. La politique israélienne, quant à
elle, ne cherche pas seulement l’exploitation maximale des
ressources et de la population palestiniennes mais à créer
des conditions de vie suffisamment insupportables pour provoquer
l’évacuation de la population autochtone. Les Israéliens
veulent les territoires occupés, mais pas la population qui
y vit.
Le droit comme instrument de conquête
Dans cette perspective, le droit est extensivement
utilisé pour tenter de décourager la population palestinienne
et la forcer à partir. En effet, le statut de la terre en
Palestine est régi par plusieurs niveaux juridiques correspondant
aux dispositions prises par les différents régimes
politiques qui ont dominé le pays.
Les autorités israéliennes sont soucieuses
de se présenter comme un Etat de droit et affirment que les
confiscations qu’elles effectuent respectent le droit et respectent
les lois qui sont appliquées localement et internationalement.
Jean-Paul Chagnollaud dit à ce sujet :
« Quelle que soit la nature d’un conflit,
le droit considéré en lui-même détient
toujours une part irréductible de légitimité
qu’il est tactiquement essentiel de mettre de son côté
; de plus, porter un débat de ce type sur le terrain juridique
permet de surmonter plus aisément les questions difficiles
et embarrassantes sur la véritable nature de ces appropriations
en les recouvrant de la neutralité (apparente) et de la respectabilité
(formelle) de la norme juridique. S’interroger sur ce que
le droit peut dire, revient en fait à décider de ce
qu’on va faire dire au droit [56]. »
En 1936, des lois d’urgence avaient été
édictées par les autorités britanniques pour
réprimer la révolte qui s’étendait dans
les campagnes palestiniennes entre 1936 et 1939. De nouvelles lois
d’urgence complétèrent en 1945 celles de 1936,
mais visaient les organisations politiques et militaires sionistes.
Les avocats sionistes contestèrent ces lois qui dépouillaient
les citoyens de leurs droits fondamentaux, réglementaient
la liberté de circulation, de presse, de parole, permettaient
aux autorités d’expulser un individu, de confisquer
ou détruire ses biens. Ces lois ne seront pas abolies après
la création de l’Etat d’Israël et sont encore
utilisées contre les Arabes israéliens et dans les
territoires occupés.
Israël a cependant apporté sa propre
contribution à l’appareil juridique destiné
a s’approprier la terre. L’ordonnance n° 125, par
exemple, permet au commandant militaire de déclarer par décret
tout territoire ou endroit zone close. Toute personne entrant dans
cette zone sans permission est accusée de contravention aux
lois et expulsée. Après les guerres de 1948 et de
1967, les autorités israéliennes ont ainsi pu vider
des villages et des régions entières de leur population
autochtone et interdire aux rescapés de l’exode de
revenir. L’application de cet article 125 est laissée
à la seule appréciation du commandant militaire et
la procédure en est aussi rapide que brutale pour ceux qui
en sont les victimes. La majorité des confiscations intervenues
entre 1949 et 1953 se fondaient sur cet article.
Pendant cette même période, les autorités
israéliennes ont mis en place un dispositif juridique destiné
à légaliser les confiscations de ce qui restait encore
aux arabes restés à l’intérieur de l’Etat
d’Israël :
– La Knesset vote en 1949 une loi qui considère
que tout propriétaire d’une parcelle de terre à
l’intérieur du territoire attribué à
Israël, qui, entre le vote par l’ONU du partage de la
Palestine le 29 novembre 1947 et la proclamation de l’indépendance
d’Israël le 19 mai 1948, était citoyen ou résident
d’un pays arabe autre que la Palestine, ou qui a quitté
son lieu de résidence et a séjourné dans une
région tenue par des forces qui ont lutté contre Israël,
est déclaré « absent », ses droits civiques
sont abolis et ses propriétés sont confisquées.
Le tiers de la population arabe de l’Etat d’Israël
était concerné par cette loi.
– La confiscation des biens du wakf musulman,
c’est-à-dire des biens appartenant à Dieu, selon
la religion musulmane et dont les revenus sont affectés à
des œuvres charitables. Ces biens qui ont été
transférés à l’Administrateur des biens
des propriétaires absents constituent une fortune considérable
car les terres du wakf représentaient de 6,25 % de la superficie
de la Palestine.
– 1953 : la « loi sur l’acquisition
des terres et l’autorisation des opérations d’indemnités
». Le ministre des Finances est autorisé pendant une
année, à partir de la promulgation de la loi, à
confisquer toute terre qui, à la date du 1er avril 1952,
n’était pas détenue par son propriétaire
ou qui est nécessaire au développement, à la
colonisation, à la sécurité.
– L’utilisation de vieilles lois ottomanes
comme la loi sur les terres incultes permet de nationaliser des
terres non cultivées pour justifier des expropriations.
– Après la guerre de 1967 le commandement
militaire israélien de la Cisjordanie publie la proclamation
n° 2 concernant l’administration par les forces militaires.
Israël n’a pas l’intention d’annexer les
territoires occupés et se contente de promulguer des ordonnances
militaires qui tiennent lieu de lois sans modifier la base juridique
jordanienne des territoires. En effet, l’annexion pure et
simple signifiait la reconnaissance de la présence d’un
million et demi de Palestiniens à qui il aurait fallu accorder
un statut, des droits.
– Les confiscations dans les territoires occupés
ont tout d’abord concerné les terres incultes qui n’étaient
pas susceptibles d’être revendiquées par des
propriétaires arabes. L’ordonnance n° 59 confisque
les biens ayant appartenu à la Jordanie, qui administrait
ces territoires. Toutes les terres qui ne sont pas enregistrées
sur les registres cadastraux deviennent domaine de l’Etat.
– L’Etat applique en 1967 les mêmes
lois par lesquelles il a confisqué les terres arabes en 1949.
Un décret du 23 juillet 1967 considère que les terres
de toute personne absente le jour de l’occupation en 1967
deviennent propriété de l’Etat.
– Les autorités israéliennes
ont souvent recours à la loi jordanienne sur l’expropriation
des terres à des fins d’utilité publique pour
saisir des parcelles nécessaires à la construction
de routes ou pour tout autre usage au profit des colonies.
– Appropriation indirecte : le gouverneur
militaire peut proclamer « secteur fermé » des
zones dans lesquelles il est interdit d’entrer et d’où
il est interdit de sortir sans autorisation préalable. Toute
la vallée du Jourdain est ainsi déclarée zone
fermée.
Colonisation de la Cisjordanie
Faute de pouvoir évacuer par la force la
population palestinienne, la stratégie israélienne
consiste à disperser des colonies de peuplement sur les territoires
convoités, qui constituent autant d’abcès de
fixation. L’existence de chacune des colonies constitue un
enjeu vital et l’évacuation d’une seule d’entre
elles constituerait une menace pour l’ensemble du projet.
Au lendemain de la guerre de 1967, le gouvernement de Levy Eshcol
n’avait pas de politique claire en matière d’implantations
de colonies de peuplement dans les territoires occupés. Cependant,
le courant principal du parti travailliste insistait sur le caractère
juif de l’Etat et s’opposait à l’intégration
des Palestiniens, considérant que la seule option qui restait
à ces derniers était de s’intégrer dans
l’Etat jordanien.
Le premier fait accompli fut l’annexion de
la partie Est de Jérusalem et la région de Latroun.
Cette annexion avait nécessité la destruction de trois
villages palestiniens proches de la ligne de cessez-le-feu entre
Israël et la Jordanie. Une colonie a été créée,
Kfar Etzion, entre Jérusalem et Hébron, près
de la ligne verte. Peu après est créée à
Hébron la colonie de Kiryat Arba, à l’initiative
du rabbin intégriste Levinger. L’initiative est soutenue
à la fois par les partis religieux nationalistes et par des
responsables du parti travailliste.
Pendant toute la période où les travaillistes
furent au pouvoir, la politique d’implantation israélienne
dans les territoires occupés fut définie par le plan
Allon, qui fournit en la matière un cadre de référence
clair. Sans entrer dans le détail du plan, celui-ci prévoyait
une concentration de colonies le long de la frontière jordanienne
dans la vallée du Jourdain et la création d’une
enclave arabe – dans une région à forte concentration
de population palestinienne – reliée à la Jordanie
par un corridor, l’enclave arabe étant elle-même
bordée par un réseau de colonies juives.
La judaïsation de Jérusalem était
également un enjeu capital, auquel le parti travailliste
s’est consacré avec attention. L’annexion de
la partie arabe de la ville elle-même n’était
qu’un élément d’un plan d’ensemble
beaucoup plus grand. Onze quartiers et faubourgs résidentiels
juifs ont été construits dans la ville et autour d’elle
entre 1967 et 1973, et 19 entre 1973 et 1977. Des sommes considérables
ont été consacrées à la construction
de routes, à l’extension des réseaux électriques
et hydrauliques.
Lorsque le Likoud arrive au pouvoir en 1977, il
ne fait qu’hériter d’une machine parfaitement
huilée qu’il va perfectionner. Il va accroître
les confiscations de terres et accentuer la colonisation. Le plan
Sharon succède au plan Allon.
Ariel Sharon, le responsable du comité interministériel
chargé des colonies de peuplement, a adopté un projet
de « double colonne vertébrale » mis au point
par un certain professeur Abraham Fokhman. Ce projet, adopté
en 1978, sera appelé plan Sharon. Il s’agit :
– d’établir, dans un délai
de vingt ans, deux lignes de colonies de peuplement s’étendant,
l’une le long de la plaine littorale, l’autre des hauteurs
du Golan au Nord jusqu’à Charm el-Cheikh au Sud ;
– de constituer six grands centres urbains
au cœur même de la Cisjordanie ;
– d’encercler la population palestinienne
par des colonies civiles et militaires en isolant les secteurs urbains
palestiniens tels que Naplouse, Ramallah, Bethléem, Jéricho
et Hébron ;
– d’accroître la segmentation
des centres à forte population palestinienne en créant
trois routes Est-Ouest reliant les colonies juives entre elles et
avec Israël.
Un mois après la signature des accords de
camp David entre Israël et l’Egypte, un plan directeur
pour le développement de la colonisation en Cisjordanie 1979-1983,
dit projet Drobless, prévoit l’établissement
de près de 70 colonies de peuplement en cinq ans, l’augmentation
de la population des colonies à 120-150 000 habitants, l’abandon
des colonies existantes dans le Sinaï égyptien. Cette
politique de colonisation devait être réalisée
méthodiquement et prévoyait :
– la création de vingt-deux blocs denses
réunis entre eux et formant de grands centres urbains ;
– la création d’une bande continue
de colonies autour de la chaîne de montagnes de Cisjordanie
afin d’encercler les zones peuplées par la «
minorité » palestinienne ;
– la création de colonies juives au
sein même des zones habitées par les Palestiniens.
L’idée générale est que
chaque implantation de colons juifs nécessite une zone de
sécurité beaucoup plus large et que plus il y a d’implantations,
moins il restera de surface pour les Palestiniens. L’exemple
le plus caractéristique de cette politique de provocation
est Hébron, où 450 fanatiques juifs au milieu d’une
ville de 120 000 Palestiniens occupent, avec la zone de sécurité,
pratiquement 20 % de la surface de la ville. On peut citer aussi
les colonies d’Ariel et de Maaleh Adumim qui sont implantées
au cœur de zones arabes.
D’une façon générale,
les colonies sont considérées comme une partie intégrante
du système de défense israélien : pendant les
périodes calmes, elles assurent une présence et un
contrôle, pendant les périodes de crise elles servent
de point d’appui à la répression contre les
Palestiniens.
Pour compléter ce dispositif, le gouvernement
israélien envisageait au début des années quatre-vingts
de porter à 165 le nombre des colonies en Cisjordanie –
Jérusalem et la vallée du Jourdain non comprises –
afin d’accueillir 1,3 million d’habitants. L’éparpillement
des colonies devait à terme permettre de réclamer
une continuité territoriale entre les zones de peuplement
juif et d’accentuer la « bantoustinisation »,
c’est-à-dire la séparation des zones de population
palestinienne entre elles. C’est exactement la politique qu’applique
actuellement Netanyahou.
Les terres qu’il n’était pas
possible de s’approprier dans l’immédiat étaient
déclarées parcs naturels. Tandis que les travaillistes
avaient établi 86 colonies en dix ans, sous le gouvernement
du Likoud, entre 1977 et 1984, 115 colonies ont ainsi été
constituées : 42 à Naplouse, 23 à Hébron,
15 dans la vallée du Jourdain, 19 à Jérusalem,
16 à Ramallah. La politique du fait accompli vise à
créer une situation telle qu’il devient impossible
d’envisager la séparation des colonies des territoires
occupés.
Le gouvernement Shamir tentera d’accélérer
le processus d’occupation jusqu’à son départ
en 1992. En 1985 Israël avait confisqué 51 % de la superficie
totale de la Cisjordanie ; en 1991, 66 %, soit une augmentation
de 30 % de la superficie initialement occupée en 1985.
Cependant, Shamir ne suivit pas la même voie
que ses prédécesseurs : il entreprit d’accroître
la densité de la population occupant des colonies déjà
existantes, afin de loger l’afflux des immigrés venant
des pays de l’Est. Le nombre de nouvelles colonies constituées
fut relativement faible. Huit des onze colonies implantées
sous Shamir l’ont été pendant la première
année des négociations de paix. A la fin de l’année
1992, le nombre des colons dans les territoires occupés était
estimé à 200 000.
Il y a une logique perverse dans la politique d’implantation
de colonies organisée par les gouvernements israéliens
successifs. En effet, on installe des colonies de peuplement, c’est-à-dire
des femmes et des enfants, en bordure, voire à l’intérieur
même de zones à fort peuplement palestinien, pour défendre
la sécurité d’Israël, ce qui implique l’implantation
de nouvelles colonies, etc. Ilan Halevy cite les propos d’un
Israélien sur cette situation absurde :
« Chaque fois que nous conquérons et
occupons un nouveau territoire, nous ne le faisons pas à
cause de notre appétit pour les terres, mais parce que l’ennemi
menace nos maisons, nos femmes et nos enfants. Nous devons donc
repousser cet ennemi en repoussant sans cesse les limites des frontières
qui protègent nos maisons. Puis, après que nous soyons
devenus, contre notre gré, propriétaires de nouveaux
territoires, nous ne pouvons supporter la vue d’une terre
non habitée par des Juifs. Nous amenons nos femmes et nos
enfants sur la nouvelle ligne de front et là, ils sont menacés
par les tirs ennemis ; lorsque ces ennemis nous frappent, à
nouveau nous n’avons pas le choix, nous sommes obligés
d’élargir notre territoire. Et ainsi, avec l’aide
de Dieu, nous arriverons à nous établir non seulement
sur le mont Arasa, au nord de la Turquie, à l’emplacement
où s’est échouée l’Arche de Noé,
mais également au Yémen, patrie bien-aimée
de notre roi Salomon, le sage bien connu [57]. »
A propos des kibboutzim
La création de kibboutz a été,
sur le plan pratique, un des modes d’implantation de la population
juive en Palestine, ; elle a également été,
sur le plan idéologique, un moyen efficace de légitimation
de cette implantation auprès de l’opinion occidentale
de gauche. Les militants qui ont constitué le mouvement des
kibboutz étaient inspirés par la tradition socialiste
européenne, par une culture, une expérience venue
du mouvement ouvrier européen. Elément mythique de
la colonisation juive de la Palestine, le kibboutz, sorte de commune
égalitaire fondée sur des idéaux socialistes,
a fourni à des générations de militants de
gauche pro-israéliens, y compris dans le mouvement anarchiste,
un argument légitimant la colonisation de la Palestine. Pendant
longtemps, on parla de « l’expérience socialiste
israélienne » au même titre que le l’expérience
yougoslave ou soviétique. Mais tout communautaires qu’ils
fussent, les kibboutzim exploitaient des terres qui pour l’essentiel
avaient été confisquées aux Palestiniens.
Les choses étaient cependant moins angéliques
que la gauche européenne ne l’a cru. La population
des kibboutzim représente un peu plus de 2 % de la population
d’Israël. Mais les kibboutz ont accaparé plus
de la moitié des terres les plus fertiles du pays qui appartenaient
aux paysans palestiniens expulsés. Sachant par ailleurs que
les kibboutzim consomment plus de la moitié des eaux agricoles
du pays, à des prix largement subventionnés, la part
du « miracle » agricole israélien doit être
relativisée. Pendant la guerre de 1948, les kibboutzim, toutes
tendances politiques confondues, prirent une part active dans l’expulsion
des Palestiniens de leurs villes et villages.
Or le mouvement des kibboutz subit une grave crise
qui a très longtemps été occultée. L’Institut
de sociologie du mouvement kibboutznik unifié a publié
en 1994 une étude qui révèle la profonde crise
subie par le mouvement kibboutzim.
La crise du mouvement ne date certes pas de la publication
de ce rapport mais pour la première fois elle la met en évidence
de façon officielle. « Après des dizaines d’années
de secret, de cachotteries et d’efforts pour repousser toute
tentative journalistique de fourrer son nez dans ce qui se passe
réellement à l’intérieur des kibboutzim,
la direction du mouvement a enfin décidé de mettre
son cœur à nu. » (Amnon Barzilaï, Haaretz,
cité par Courrier international, 6-12 oct. 1994.)
Le mouvement kibboutz forme, dans le pays, un lobby
important qui a eu les faveurs des gouvernements successifs et qui
obtenait de nombreuses subventions. Selon le professeur de sciences
politiques Shlomo Avineri, le kibboutz est devenu l’un des
secteurs les plus conservateurs de la société israélienne
; ce qui en faisait autrefois un modèle social et national
s’est brisé.
Le mouvement a réalisé de mauvaises
affaires sur le marché boursier dans les années quatre-vingts
et a englouti des millions de shekels (1 shekel = 1,85 F). Pour
faire face à leur énorme endettement, de nombreux
kibboutzim ont transformé des terres cultivables en patrimoine
immobilier coûteux et en zones de prestige.
Les valeurs égalitaires qui ont caractérisé
le kibboutz disparaissent. On constate notamment la disparition
de l’égalité des sexes, qui était l’un
des fondements du mouvement : les femmes sont écartées
de toute position de pouvoir. Si la désertion des kibboutzim
est le phénomène le plus grave, touchant 55 % des
personnes nées au kibboutz, le pourcentage des filles qui
partent est de moitié supérieur à celui des
garçons.
Si la crise du mouvement n’est pas récente,
il conviendrait de mener une réflexion sur son utilité
économique. L’idée de kibboutz est en effet
associée à celle d’un groupe de pionniers qui,
par leur travail acharné et dans des conditions difficiles,
ont « fertilisé le désert ». En fait,
la plupart des kibboutzim sont implantés sur des terres agricoles
précédemment exploitées par les Palestiniens,
qui sont d’excellents agriculteurs. On a souvent pris garde
de raser jusqu’à leurs fondations les maisons des villages,
dont la deuxième ou troisième génération
de kibboutzniks ignore même souvent l’existence [58].
Dans un pays qui lui-même est totalement dépendant
des subventions extérieures – aux traditionnels 3 milliards
de dollars d’aide officielle américaine s’en
ajoutent beaucoup d’autres [59], l’agriculture israélienne
est largement dépendante des subventions, directes ou indirectes,
ce qui en relativise largement l’aspect « miraculeux
». Lorsque l’eau est payée largement en dessous
de son prix de revient, il n’y a pas de miracle. Un sociologue
israélien, M. Seltie, pouvait ainsi s’interroger :
« Si on fournit à un kibboutz du Néguev de l’eau
apportée par la conduite nationale pour un septième
ou un huitième de son prix de revient, pourquoi se priverait-on
de l’utiliser pour l’irrigation du coton, qui dans le
Néguev exige une allocation d’eau par hectare double
de celle nécessaire sur la plaine côtière, et
pourquoi économiserait-il de l’eau pour ses jardins
ou sa piscine ? »
Plusieurs types de colonisation
Le terme de « colonisation recouvre
des réalités multiples.
1. Les colons animés par des raisons essentiellement
idéologiques. Le mouvement Goush Emmounin, constitué
de religieux d’extrême droite, réclame l’annexion
de la totalité des territoires occupés. Ils sont largement
représentés dans les conseils régionaux de
colons. Leur influence politique s’exerce par l’intermédiaire
d’un groupe de pression constitué en 1985 dans le parlement
israélien.
2. Les « banlieusards ». Ils ont commencé
à investir les territoires occupés à partir
de 1980 pour des raisons économiques. 70 % de la population
juive des territoire occupés y est pour des raisons économiques.
L’afflux d’immigrants soviétiques a créé
une grave crise du logement et une augmentation sans précédent
du prix des loyers. Le coût extrêmement élevé
de l’immobilier en Israël ont poussé à
la colonisation résidentielle des territoires palestiniens.
Les prix du terrain étaient bas, les loyers aussi. Des avantages
fiscaux étaient attribués aux entreprises et aux citoyens
juifs d’Israël pour qu’ils construisent et achètent
dans les territoires occupés. Les acquéreurs pouvaient
obtenir des prêts publics avantageux, les étudiants
pouvaient jouir de meilleures bourses, les entreprises, les enseignants,
les travailleurs sociaux pouvaient déduire de leurs impôts
une part de leurs bénéfices ou de leurs revenus. Ces
dispositions avaient favorisé dans les années quatre-vingts
l’expansion de la colonisation. Un sondage paru dans Yediot
Aharonot le 3 février 1993 révèle que 33 %
de ces colons seraient d’accord pour partir s’ils étaient
correctement indemnisés. En 1995 une centaine de colons de
Cisjordanie contactèrent le Meretz, un parti de gauche qui
n’a habituellement pas les faveurs des colons, pour leur demander
de négocier leur installation dans les frontières
d’avant 1967, avec une compensation monétaire. Cette
initiative fut reçue avec la plus extrême violence
par les organisations de colons : mise en quarantaine, menaces,
mise en circulation de listes de noms...
A leur arrivée au pouvoir en juillet 1992,
les travaillistes avaient supprimé les mesures incitatives.
Netanyahou, évidemment, les a rétablies le 13 décembre
1996, en décidant d’attribuer aux 127 colonies de Cisjordanie
– 135 000 habitants, auxquels il faut ajouter les 160 000
de Jérusalem-Est – le statut de « zone prioritaire
de développement ».
La démarcation entre colons « idéologiques
» et « banlieusards » s’estompe dans la
mesure où ces derniers s’organisent pour défendre
leurs intérêts et empêcher le démantèlement
des colonies. En février 1989 des centaines de colons de
la cité-dortoir d’Ariel, dans le district de Tulkarem,
investissent la ville de Bidya et y sèment la terreur, détruisant
habitations et véhicules avant d’être dispersés
plusieurs heures après le début de leur raid. Un député
de la Knesset et membre du Mouvement des droits civiques, Dedi Zucker
avait, dès 1983, publié un rapport dans lequel il
établissait que les violences des colons étaient «
des actes délibérés dans l’intention
d’étendre des régions déjà contrôlées
par des Juifs ». Le député ajoute que les colons
« se considèrent comme le bras armé de l’Etat
avec pour objectif d’établir l’ordre, de punir
et d’imposer des sanctions ».
C. – L’EAU
Après la démographie et la terre,
l’eau constitue un des problèmes stratégiques
vitaux pour l’Etat d’Israël et nous verrons que
cette question explique pourquoi il lui est impossible de restituer
les territoires occupés. Ces trois questions sont d’ailleurs
étroitement imbriquées, une politique d’immigration
massive des Juifs d’Union soviétique nécessitant
plus d’espace pour les loger et une plus grande quantité
d’eau pour la population. En fait, les Israéliens consomment
plus d’eau que leurs ressources renouvelables, ce qui, en
l’absence de toute volonté politique d’en rationaliser
l’usage, impose une politique d’appropriation de l’eau
des pays voisins.
Un gaspillage institutionnalisé
Les réserves d’eau d’Israël
et des territoires qu’il occupe sont surexploitées
et dilapidées. Un gaspillage institutionnalisé permet
de fournir aux besoins domestiques, à l’agriculture
et à l’industrie une quantité d’eau dans
des conditions qui ne sont pas celles d’un pays du Proche-Orient.
La pénurie d’eau, qui ira s’aggravant si la même
politique est maintenue, est largement provoquée par les
prix à la consommation pour l’agriculture inférieurs
aux prix de revient et qui encouragent le gaspillage.
Plus des deux tiers de l’eau est consommée
par l’agriculture et plus de la moitié des eaux agricoles
est utilisée par les kibboutzim, c’est-à-dire
2 % de la population israélienne, qui contrôlent de
façon presque absolue les ressources aquifères des
plaines intérieures, du Jourdain et du lac de Tibériade,
les sources de Beit Shaan et tous les forages réalisés
aux alentours.
Le prix de vente de l’eau à l’agriculture
est trois fois inférieur à son prix de revient...
Si l’eau était vendue à l’agriculture
à son vrai prix, incluant les frais d’amortissement
des installations, le gaspillage des nappes phréatiques serait
sensiblement réduit. Or, on ne prend pas en considération
le coût des investissements et leur amortissement ; même
les frais d’exploitation journaliers de l’eau ne sont
pas totalement pris en compte. L’Etat, sous forme de subventions,
paye la différence entre les frais d’exploitation quotidiens
et le prix payé par l’agriculteur. Lorsque, en 1988,
les autorités ont voulu augmenter le prix de l’eau
de 40 % pendant les mois d’été, la pression
des kibboutzim, des propriétaires absentéistes de
vignes irriguées, les riches propriétaires de terres
moshavéennes près des grandes agglomérations
ont empêché cette augmentation. Ce sont les consommateurs
domestiques et dans une moindre mesure les industriels, qui compensent
en partie ce déséquilibre des prix.
Pendant la seconde moitié des années
quatre-vingts, Israël a connu une très grave crise hydraulique
; le niveau des nappes phréatiques était tellement
descendu que des dizaines de forages ont été salinisés
par aspiration de l’eau de la Méditerranée.
Toutes les ressources en eau du pays sont exploitées, il
y a un déficit de 600 millions de mètres cubes. En
outre, l’Etat d’Israël n’a plus la capacité
d’accroître ses ressources par la force, comme en 1967,
en 1978 et en 1982 aux dépens des pays voisins.
Il existerait des moyens pour empêcher le
gaspillage de l’eau, mais cela implique la mise en œuvre
d’une politique d’investissement ambitieuse et à
long terme, alors que l’Etat semble plus soucieux de développer
la colonisation des territoires occupés.
La partie Nord d’Israël n’est pas
un pays sec, il y tombe entre 500 et 1 100 mm d’eau par an.
Les précipitations tombant sur le pays représentent
10 milliards de mètres cubes, dont seulement un milliard
alimente les nappes phréatiques. Cela laisse aux experts
un vaste champ d’intervention pour récupérer
l’eau. Le stockage des précipitations hivernales, la
récupération des eaux de ruissellement qui se perdent
dans la Méditerranée, la construction de barrages
pourraient permettre, avec la vente de l’eau à son
vrai prix, d’en économiser de grandes quantités.
Mais il faudrait également reconsidérer
certains choix économiques, tels que la culture du coton,
qui nécessite de grandes quantités d’eau. Pour
l’instant, les autorités israéliennes semblent
estimer plus facile d’effectuer une rapine à grande
échelle sur les eaux des pays voisins.
Plus les autorités attendent, plus les investissements
nécessaires à une politique rationnelle de l’eau
seront grands, mais également plus ils apparaîtront
secondaires face aux dépenses immédiates nécessaires
au simple renouvellement du réseau hydraulique déjà
existant, qui vieillit et qui, de ce fait, provoque une déperdition
importante de l’eau qu’il transporte... et plus les
autorités seront tentées de faire face au problème
en adoptant la solution de facilité consistant à capter
des quantités toujours plus grandes d’eau chez les
voisins.
L’eau, un problème stratégique
On ignore souvent que le premier conflit qui a opposé
l’Etat d’Israël et un pays arabe s’est déroulé
en 1953 avec la Syrie. Israël tente alors de mettre en place
un plan destiné à détourner les eaux du Jourdain
pour irriguer le désert du Néguev. Après une
plainte des Syriens auprès du Conseil de sécurité
de l’ONU, les Etats-Unis menacent de suspendre leur aide économique
et militaire de 50 millions de dollars par an.
Après ce premier conflit, plusieurs plans
sont proposés pour régler le problème du partage
des eaux, qui prévoient une coopération israélo-arabe
pour l’exploitation des eaux du Jourdain et une répartition
selon un système de quotas. Les pays arabes refusent car
ils pensent que c’est là un moyen donné à
Israël pour contrôler l’eau. Israël refuse
car le projet n’inclut pas les eaux du fleuve libanais, le
Litani.
En acceptant de discuter de la question, les Etats
arabes reconnaissent, pour la première fois, l’existence
de fait d’Israël. Aucun accord n’étant possible,
Israël poursuit la réalisation de ses projets hydrauliques,
qui permettront l’irrigation du désert du Néguev,
au Sud, grâce à une énorme canalisation alimentée
par d’énormes turbines construites sur le lac de Tibériade,
au Nord du pays. Il est significatif que la première opération
terroriste du Fath contre Israël, le 1er janvier 1965, est
une tentative de sabotage de l’aqueduc national israélien.
Pour contrer les conséquences de la politique
israélienne de captation des eaux, les Arabes décident
détourner la rivière Banyas vers la Syrie et la Jordanie
ainsi que de construire deux réservoirs artificiels sur le
cours du Yarmouk, afin d’empêcher les eaux des sources
du Jourdain d’arriver jusqu’au lac de Tibériade,
qui alimentait les canalisations israéliennes vers le Néguev.
Israël bombarde les ouvrages syriens sur le Banyas en mars
et en mai 1965, puis le barrage syro-jordanien sur le Yarmouk en
avril 1967.
La guerre israélo-arabe de 1967 mettra fin
aux controverses par l’occupation israélienne des sources
hydrauliques du Golan : contrôle des affluents Al-Dane et
Banyas et autres ressources : 200 millions de mètres cubes
par an.
L’occupation de la rive droite du Jourdain
permet d’accroître la quantité d’eau pompée.
Le volume d’eau tiré du Jourdain par Israël est
en moyenne de 520 millions de mètres cubes par an, auxquels
il faut ajouter les 80 millions pompés sur le cours du fleuve
entre le lac de Tibériade et la mer Morte.
En 1978 l’occupation du Sud-Liban permet aux
Israéliens de s’emparer des fleuves Litani et Wazani.
Le Litani a un débit moyen de 987 millions de mètres
cubes par an ; les Israéliens entendent en capter la moitié
pour la faire déverser dans le lac de Tibériade. Les
sources de ce fleuve sont à 3 km de la frontière Nord
d’Israël. On comprend que cette région du Liban
occupée par Israël constitue un enjeu stratégique
vital.
Une arme contre les Palestiniens
Entre 35 et 40 % des ressources d’eau d’Israël
proviennent des trois nappes aquifères de Cisjordanie occupée.
Dès le début de l’occupation
de cette région, en 1967, les ressources en eau de Cisjordanie
– ainsi que celles de Gaza – sont déclarées
« ressources stratégiques sous contrôle militaire
», ce qui permettra aux colons israéliens de faire
pousser du gazon tandis que les paysans palestiniens se verront
interdire de forer des puits. Israël entreprend de réduire
la consommation palestinienne. Le pompage de l’eau du Jourdain
par les Palestiniens est interdit pour des raisons de « sécurité
». Les agriculteurs palestiniens ne peuvent plus irriguer
une grande partie des terres, extrêmement fertiles, situées
le long du fleuve.
Une ordonnance limite à 100 mètres
la profondeur des forages effectués par les Palestiniens,
tandis que les colons peuvent forer jusqu’à 600 mètres.
Des puits palestiniens sont souvent asséchés à
cause des forages des nouveaux puits des colonies israéliennes
avoisinantes. Cent cinquante hectares de bananes et 500 hectares
de cultures potagères ont été asséchés
dans le village de Owja, au Nord de Jéricho, parce que les
colons de Gilgat et Yitav avaient creusé trois puits, asséchant
la source qui fournissait l’eau au village.
Le prix de l’eau est en outre quatre fois
plus élevé pour les Palestiniens que pour les Israéliens.
A la fin des années quatre-vingts, un million de Palestiniens
se voyaient attribuer 137 millions de mètres cubes d’eau,
tandis que 100 000 colons juifs en avaient 100 millions de mètres
cubes. Un Palestinien de Cisjordanie ne consomme que le sixième
de l’eau utilisée par un colon. La population palestinienne
subit donc un rationnement généralisé, dont
les conséquences sont une situation sanitaire déplorable
et l’effondrement de l’économie agricole, dans
la mesure où 25 % des terres agricoles irrigables sont effectivement
irriguées (alors qu’à l’intérieur
du territoire d’Israël 95 % des terres irrigables le
sont). L’augmentation de la population palestinienne va rendre
la situation encore pire, puisque les plans israéliens ont
gelé la quantité d’eau qui leur sera disponible.
Le conflit israélo-palestinien est fondé
sur l’occupation par Israël de territoires revendiqués
par les Palestiniens. Ce conflit est en réalité secondaire
si on adopte une perspective régionale dans laquelle Israël
occupe des territoires et capte les eaux d’Etats voisins :
Liban et Syrie pour les territoires et l’eau, Jordanie pour
l’eau. Pour ces Etats, le règlement du conflit avec
les Palestiniens n’est pas une priorité et il n’est
pas exclu que les négociations commencées en 1991
à Madrid, qui sont strictement bilatérales, aboutissent
à des accords sur l’eau dont les Palestiniens feraient
les frais, en dépit du soutien des prétendus «
frères arabes ».
La Jordanie est sans doute l’Etat qui serait
le plus tenté par la signature d’un accord sur cette
question. Le Jourdain, dont les eaux sont convoitées par
les deux pays, constitue une frontière commune avec Israël.
En 1991, 30 % de ses terres agricoles sont restées en friche
faute d’eau. Ses ressources en eau sont très limitées
ainsi que les possibilités de les augmenter. La construction
du barrage d’Al-Wihda, sur le Yarmouk permettrait d’accroître
ses ressources, mais Israël refuse que ce barrage soit construit
si un accord définitif sur le partage des eaux de cette rivière
et du Jourdain n’est pas signé.
Le barrage d’Al-Wihda, dont le projet date
de 1953, permettrait de retenir 225 millions de mètres cubes
d’eau par an et d’irriguer 3 500 hectares supplémentaires
dans la vallée du Jourdain. Une centrale électrique
de 8 MW fournirait de l’électricité à
la Syrie. Ce projet est bloqué par les Israéliens
et les Américains, les bailleurs de fonds internationaux,
Banque mondiale et USAID en tête, refusant tout financement
tant qu’un accord sur le partage des eaux du Yarmouk n’a
pas été signé avec Israël.
Le problème est que le Yarmouk est aussi
un fleuve frontière entre la Jordanie et la Syrie et tout
ouvrage sur ce cours d’eau nécessite l’accord
de cette dernière, qui n’est pas pressée, car
Damas réclame la restitution préalable du Golan. En
somme, pour construire un barrage sur le Yarmouk, la Jordanie doit
attendre que Damas et Tel-Aviv régularisent leur relation.
A l’évidence, le conflit israélo-arabe
est directement lié à la politique régionale
de l’eau et dépasse le simple conflit israélo-palestinien.
La restitution du Golan aux Syriens signifie la restitution de 200
millions de mètres cubes d’eau par an (22 % de la consommation
d’Israël). La restitution des territoires libanais occupés
signifie la restitution de 480 millions de mètres cubes,
si le projet de captation est mené à son terme. Israël,
la Jordanie et la Cisjordanie sont totalement dépendants
des eaux du Jourdain. Les nappes phréatiques de Cisjordanie
(335 millions de mètres cubes par an) et les affluents du
Jourdain représentent 35 % à 40 % des ressources en
eau d’Israël. Selon un rapport des Nations unies, 67
% de la consommation en eau d’Israël vient des territoires
annexés après 1948.
Est-il envisageable, du point de vue de la puissance
occupante, de se séparer d’une telle quantité
d’eau ?
D. – UNE DÉMOCRATIE MODERNE
À SUBSTRAT BIBLIQUE
L’historien Elie Barnavi définit Israël
comme « une démocratie parlementaire moderne à
substrat biblique » [60]. Le 14 février 1949 l’Assemblée
constituante tient sa première session. Une Loi de transition
devait fixer les structures de l’Etat jusqu’à
ce que l’assemblée élabore une constitution.
Cette constitution ne verra jamais le jour, à cause de l’opposition
de partis religieux, qui sont les partenaires incontournables de
toute coalition gouvernementale. En effet, le système électoral
qui a été adopté est la proportionnelle stricte
à partir de listes présentées par les partis,
le pays tout entier étant considéré comme une
seule circonscription électorale. Ce régime place
les petits partis, surtout religieux, en situation d’arbitre.
Pour ces partis, la constitution de l’Etat d’Israël
existe déjà, c’est la Torah.
L’ambiguïté de la situation réside
dans le fait que, d’une part, le projet sioniste, d’essence
fondamentalement laïque, auquel les religieux se sont farouchement
opposés, a été porté par des pionniers
socialistes et athées, mais que d’autre part l’Etat
d’Israël se veut l’Etat des Juifs.
Il n’y a pas en théorie de religion
d’Etat, la loi considérant toutes les religions comme
égales. Un ministère des cultes est chargé
d’assurer la bonne marche des services religieux dans les
différentes communautés. Pourtant les transports en
commun sont paralysés le jour du Shabbat, les télégrammes
ne parviennent pas à leurs destinataires, les usines ferment,
sauf exception ; les règles alimentaires doivent être
respectées dans les institutions publiques, alors que les
deux tiers de la population juive ne pratique pas.
L’investissement du religieux dans la vie
publique va plus loin : le statut personnel des citoyens, qu’ils
soient croyants ou athées, est régi par des cours
religieuses. « Tout ce qui concerne le mariage ou le divorce
des Juifs en Israël, nationaux ou résidents, est exclusivement
de la compétence des tribunaux rabbiniques » stipule
une loi de 1955. De même « les mariages et divorces
des Juifs s’effectueront en Israël en vertu de la loi
établie par la Torah ». Deux ans plus tard, une loi
confère aux juges des tribunaux religieux le statut de fonctionnaires
de l’Etat.
Les naissances, les mariages, les décès,
tous les actes officiels de la vie sont monopolisés par le
grand-rabbinat ultra-orthodoxe. Les actes de naissance portent obligatoirement
la mention de la religion de l’enfant, même si les parents
sont athées. La carte d’identité fait mention
de la religion et de l’appartenance ethnique de l’intéressé.
Certaines dispositions particulièrement rétrogrades
restent théoriquement en vigueur : un bâtard de mère
juive et toute sa postérité ne peuvent se marier.
L’union d’un Juif et d’un non-Juif est impossible,
le non-Juif doit nécessairement se convertir – et la
conversion dure deux ans, sauf si on « s’arrange »
avec les autorités religieuses. Un homme n’a pas pu
être enterré à côté de sa femme
parce qu’il n’était pas Juif. Une veuve sans
enfant doit épouser le frère de son mari, à
moins que celui-ci ne lui rende sa liberté par une cérémonie
humiliante. Il faut une intervention de la Cour suprême –
accusée par les orthodoxes d’être un «
organe non juif » à cause de ses positions en faveur
de la laïcité – pour que ces cas particuliers,
certes peu nombreux, soient réglés. Les couples de
confession différente procèdent au « mariage
privé » que la Cour suprême enregistre systématiquement,
ou vont se marier à Chypre. Parfois les cas délicats
sont résolus « par des arguties juridiques, souvent
sans panache, dont use le Grand Rabbinat pour “résoudre”
les cas politiquement délicats », dit Elie Barnavi.
Curieusement, c’est la création même
de l’Etat qui a transformé le judaïsme en Eglise
et les rabbins en fonctionnaires. « Et c’est l’existence
de l’Etat qui a posé l’ensemble du problème
de l’identité nationale juive en termes neufs »,
dit E. Barnavi.
150 000 Israéliens qui déclarent être
juifs ne le sont pas assez aux yeux du grand rabbinat pour se marier.
Ils se voient donc refuser certains avantages sociaux des couples
mariés. Le 11 février 1997, la deuxième chaîne
de télévision révéla que deux journalistes
se faisant passer, l’un pour un Juif, l’autre pour son
épouse non Juive, avaient versé 80 000 F au rabbin
Michaël Dushinsky, haut fonctionnaire du ministère des
affaires sociales, pour obtenir la « conversion » en
urgence de la jeune femme, conversion qui, par la voie normale,
aurait demandé deux à trois ans... L’enquête
révéla que Dushinsky et un autre « docteur de
la foi », le rabbin Benyamin Bar-Zohar, avaient converti de
cette façon au moins une dizaine de personnes. Après
l’émission, plusieurs dizaines de personnes se sont
manifestées pour témoigner qu’elles avaient
vécu la même expérience. Ce phénomène,
selon le Jerusalem Post, semble largement répandu [61]...
Le Jérusalem Post révéla le
14 février que les candidatures à la conversion des
personnes qui résident dans des kibboutzim laïcs ou
qui refusent d’envoyer leurs enfants dans les écoles
ultra-orthodoxes sont systématiquement rejetées par
le grand rabbinat. Sans doute le rabbin Dushinsky se trouvera quelque
raison théologique pour expliquer son geste. Une forme d’opposition
à l’Etat laïc en décomposition, peut-être.
Du coup, un certain nombre de restaurateurs décident
de s’organiser pour dénoncer ce « pur racket
», selon les termes du magazine Jerusalem Report, que constitue
l’obtention de l’estampille casher, strictement casher
ou srupuleusement casher, coûtant de 800 à 5 000 francs
par mois. Tous les jours une nuée de rabbins et d’étudiants
de yeshivot (écoles religieuses) s’abattent sur les
hôtels, restaurants, cantines, usines agro-alimentaires pour
vérifier le respect des règles de la cashrout. Ils
mettent des amendes à des établissements ouverts le
samedi dans des villes aussi séculières que Tel-Aviv,
Beer Sheba ou Kfar Saba.
Selon la stricte conformité aux prescriptions
divines, les plats doivent être préparés par
des mains juives et même les fourneaux doivent être
allumés par des mitrons juifs... ce qui empêche les
restaurateurs d’exploiter de la main-d’œuvre étrangère.
Certains hommes en noir se sont mis en tête de contraindre
les restaurateurs à faire leur marché chez des cultivateurs
considérés comme strictement casher, notamment dans
une colonie juive de la bande de Gaza. D’autres inspecteurs
avaient menacé de retirer leur licence casher aux restaurateurs
qui laisseraient leur clientèle fêter la Saint-Sylvestre.
L’activité du département Cashrout est, dénonçait
le Jerusalem Report en février 1993, « un véritable
racket d’Etat dont le chiffre d’affaires dépasse
200 millions de dollars par an ». Est-ce un hasard ? Il se
trouve que le rabbin Dushinsky – encore lui – est le
patron de ce département Cashrout.
Au-delà du caractère parfois anecdotique
de l’emprise du religieux sur la vie quotidienne de la population,
cette emprise revêt un véritable politique : les orthodoxes
religieux proposent un modèle de société qui
s’affronte à la société civile israélienne.
Les ultra-orthodoxes affirment que l’Etat
n’a aucune légitimité : la loi divine, exprimée
il va de soi par les rabbins, est seule légitime. Ils condamnent
la « “morale” molle de la culture occidentale
» [62]. Leur projet est de créer, par les implantations
de colons dans les territoires occupés, « un modèle
réduit d’Israël tel qu’il devrait être.
Nous bâtirons un édifice spirituel complet, comprenant
une éducation juive, une culture juive, un système
judiciaire juif, une économie juive et une morale sociale
et publique prenant sa source dans la Torah » [63]. Un rabbin,
Yaïr Dreyfus, se plaint que la paix avec les Palestiniens amènera
le ministère de l’Education à multiplier les
rencontres entre Juifs et Arabes, « comme faisant partie intégrante
de la formation des jeunes en Israël. De là à
l’assimilation et à la perte définitive de l’identité
juive, il n’y a qu’un pas ». La seule façon
de rester Juifs est donc dans la séparation totale avec le
monde extérieur.
Un Etat d’un type nouveau, « palestino-cananéen
» (par opposition à l’Etat judéo-sioniste)
est en train de se former. « Ceux qui conduisent ce processus
ne sont plus dignes d’être défendus ».
Les dirigeants nationaux-religieux vont devoir comprendre que désormais
« nous sommes une opposition, non à un gouvernement,
mais à un Etat. Finie la soumission allant de soi à
ses décrets. Voici venu le temps de la dure lutte contre
la nouvelle entité palestino-cananéenne » [64].
Ces rabbins expliquent aux jeunes qu’ils forment
que l’Etat et l’armée laïques se décomposent.
Ils font un véritable travail d’infiltration dans l’armée.
« Ils préparent les jeunes à être des
chefs militaires. Selon une véritable division du travail,
ils répartissent les élèves des écoles
talmudiques dans les commandos ou les unités d’élite,
jusqu’aux postes d’officiers. Au moment de faire mon
service, je voulais entrer dans les parachutistes. Mais mon école
m’a aiguillé vers les commandos de l’unité
d’élite Golani. On me destinait à une fonction
précise. Et j’y suis allé, bien sûr [65].
» C’est un lieutenant-colonel de réserve de l’armée
israélienne qui s’exprime ainsi. Il avait mis Itzhak
Rabin en garde contre ce mouvement.
Les rabbins ultra-orthodoxes lancent des «
prescriptions », ou décrets, appelant à la désobéissance
civile. Parmi ces prescriptions, les colons sont invités
à préférer la mort plutôt que d’évacuer
une colonie ; concernant le commandement « tu ne tueras point
», il convient également de distinguer entre le «
sang juif » et le « sang goy » ; l’absolution
est donnée à tout Juif ayant porté atteinte
aux biens d’un Arabe ; les meurtriers de Palestiniens, qualifiés
d’« oppresseurs », seront purifiés ; il
est interdit, le jour du Shabbat, de prodiguer des secours médicaux
à un Palestinien, etc. [66]. Le rabbin Israël Ariel,
de l’Institut du Temple, qui cherche à construire le
troisième temple, a ouvertement déclaré que
le commandement « Tu ne tueras point » ne s’applique
pas aux Arabes... Le rabbin Dov Lior, de la colonie de Kiryat Arba,
près de Hébron, a écrit : « S’il
est possible de faire des expérimentations sur des êtres
humains déficients qui ont été condamnés
à mort par un Etat de droit, il faut le faire [67]. »
La dernière trouvaille de certains Israéliens
est la constitution de trois Etats : l’un pour les Palestiniens,
un autre pour les Juifs laïcs et un troisième pour les
ultra-religieux. Ils s’appuient sur un précédent
historique, quand les héritiers de David et de Salomon, ne
pouvant se mettre d’accord, ont créé les royaumes
juifs d’Israël et de Judée et ont partagé
la terre sainte avec les Philistins. La revendication émane
aujourd’hui non pas des religieux, mais des laïcs «
qui en ont assez de la violence et de l’intolérance
de leurs frères orthodoxes [68] ».
Yoram Peri dans Davar (25 mars 1994) écrit
que « un sérieux danger existe que la division entre
deux cultures politiques juives israéliennes irréconciliables
puisse se développer en une cassure avec une exaspération
mutuelle suffisante pour susciter une petite guerre civile. Cette
guerre civile opposera “Israël” et la “Judée”
».
Baruch Kimmerling, quant à lui, écrit
dans Haaretz (21 janvier 1994) que l’évacuation de
certaines colonies pourrait se heurter à la résistance
armée de certains colons juifs des territoires occupés,
« au point de se développer en une véritable
guerre civile ». « Dans de telles circonstances, des
colons ainsi que leurs partisans en Israël, tous armés
jusqu’aux dents, et bien organisés, combattront à
la fois les Palestiniens (ce qu’ils font déjà)
et les autorités israéliennes (...). Il n’y
a aucune certitude que dans de telles circonstances, toute l’armée
soutiendra jusqu’au dernier homme le gouvernement élu.
»
Un rabbin, Ovadia Yossef, déclara que ceux
qui désacralisent le sabbat, en conduisant une voiture, par
exemple, « seront tués ». Des fan clubs de Baruch
Goldstein, l’homme qui a massacré vingt-neuf musulmans
dans une mosquée, et de Yigal Amir, celui qui a assassiné
Rabin, se sont constitués dans des écoles religieuses.
Un sondage a révélé en décembre 1997
que 47 % des Israéliens pensent que l’opposition entre
laïcs et religieux conduira à la guerre civile...
Une organisation s’est créée,
Am Hofshi, créée par Arnon Yekutieli, conseiller municipal
et membre du Meretz, pour défendre les intérêts
des laïcs. Les adhérents n’appartiennent pas seulement
au Meretz mais au parti travailliste et même des personnalités
du Likoud qui en ont assez des orthodoxes ont adhéré.
Dans l’accord de coalition de juin 1996 entre Benjamin Netanyahou
et les partis orthodoxes, le candidat s’était engagé
à faire adopter une loi garantissant le monopole des orthodoxes
en matière de conversion, de mariage, de divorce et excluant
les représentants des autres courants des conseils religieux
locaux, provoquant l’indignation des communautés juives
non orthodoxes, majoritaires notamment aux Etats-Unis. Une telle
loi créerait une crise sans précédent entre
Israël et la diaspora.
La tension entre laïcs et religieux s’est
accrue avec la publication, en janvier 1998, par l’Institut
de Jérusalem pour les études sur Israël, d’une
étude socio-économique qui révèle que
60 % des hommes ultra-orthodoxes ne travaillent pas et ne cherchent
pas d’emploi, contre 10 % dans le reste de la population et
que la plupart, même les plus vieux, se font passer pour «
étudiants religieux » – dans les pays musulmans
on appelle cela des talibans – et bénéficient
d’allocations publiques. Les subsides sociaux représentent
12 % des revenus des citoyens des familles non orthodoxes, alors
que les familles en moyenne deux fois plus nombreuses des «
hommes en noir » (400 000 personnes) reçoivent 51 %
de subsides.
L’antagonisme entre laïcs et orthodoxes
s’est considérablement accru avec l’arrivée
au pouvoir de Netanyahou. Un nombre croissant de jeunes ultra-orthodoxes
échappent au service militaire, révèle le ministère
de la défense. Les trois partis religieux tiennent entre
leurs mains la survie même du gouvernement et imposent leurs
volontés pour financer leurs institutions. L’éducation
publique est contrôlée par un ministre ultra-orthodoxe,
le logement public est dirigé par un vice-ministre ultra-orthodoxe.
La coercition religieuse s’accroît avec la « police
du Shabbat » qui distribue de fortes amendes aux commerçants
juifs qui restent ouverts le samedi.
Les perspectives sont sombres et, en Israël
ou dans les territoires occupés, une évolution identique
se dessine. Les méthodes d’implantation des fondamentalistes
juifs et celles de Hamas sont étrangement identiques, et
consistent à élargir leur base sociale et leur influence
idéologique par des services sociaux et éducatifs
que les autorités civiles sont incapables d’assurer
ou refusent d’assurer, néolibéralisme aidant.
Alors que le gouvernement et les autorités locales –
comme partout ailleurs – réduisent les crédits
sociaux et suppriment les repas chauds pour les enfants pauvres
dans les écoles publiques, les écoles des fondamentalistes
assurent ce service aux enfants, leur offrent des cours supplémentaires
et des transports. Ainsi le nombre d’écoles religieuses
grandit constamment et celles-ci attirent même les enfants
de familles laïques. On constate dans la population un retour
à la foi qui prend des proportions considérables.
Israel Shahak écrivait en avril 1994 : «
Il est symptomatique de l’effroyablement pauvre qualité
de l’information rapportée sur les affaires israéliennes
(encore plus pauvre que celle concernant les Territoires), qu’aucun
des faits discutés dans ce rapport [“L’influence
des idéologies xénophobes sur les Juifs israéliens”]
ou dans le rapport 136 [“Va-t-il y avoir une guerre civile
entre Juifs israéliens ?”], n’ait filtré
jusqu’à présent jusqu’au “experts
en affaires israéliennes” ou jusqu’aux médias,
y compris la presse de qualité. Au lieu de cela, aussi bien
les experts et les médias ne se préoccupent que des
banalités diplomatiques sur le “processus de paix”.
Je réaffirme que pour les Israéliens (mais aussi pour
tous les Moyen-Orientaux) rien ne peut être plus important
que le conflit qui s’annonce entre partisans et adversaires
juifs de l’intégrisme religieux. »
.
III. – AUTONOMIE ET AUTORITÉ
DRÔLE D’AUTONOMIE
Après la guerre du Golfe, le Nouvel Ordre
mondial de Bush entendait aboutir à une solution pacifique
du conflit israélo-palestinien et prétendait être
une dénonciation de la politique de deux poids deux mesures.
Tout cela, de façon formelle bien sûr.
En effet, si les puissances industrielles ont été
le moteur de la guerre du Golfe, celle-ci n’aurait probablement
pas pu avoir lieu sans la participation, ne serait-ce que symbolique,
de nombreux Etats du tiers monde. Cette participation n’a
pu être obtenue que par des pressions inouïes, notamment
économiques sur des pays gravement endettés. Cela
a été le cas de l’Egypte en particulier, mais
aussi de nombreux pays africains. Lorsque, en 1990, le président
égyptien voulut proposer une médiation pour empêcher
une guerre avec l’Irak, l’éditorialiste du Washington
Post écrivit : « Ayant d’abord tenté de
jouer les médiateurs, le président Hosni Moubarak
semble maintenant vouloir gagner du temps. Washington est en droit
d’attendre mieux de la part d’un pays qui accepte chaque
année des Etats-Unis 2 milliards de dollars... » (Cité
par International Herald Tribune, 10 août 1990.) Ceux des
Etats qui se sont montrés réticents l’ont payé
chèrement après la guerre : c’est le cas de
la Yougoslavie et de l’Inde.
L’application sélective du droit international
avait été tellement grossière, tellement évidente,
les résolutions de l’ONU avaient été
tellement bafouées par les uns – Israël notamment
– et leur application avait été si rigoureusement
exigée aux autres, que, la guerre finie, il a fallu redresser
un peu la barre, au moins formellement, pour calmer l’opinion
publique dans les pays du tiers monde.
C’est dans ce contexte qu’il faut placer
les initiatives de l’administration américaine en faveur
de négociations israélo-palestiniennes.
Saddam Hussein avait exigé de lier le règlement
de la crise issue de l’occupation du Koweït par ses troupes
et le règlement de la question palestinienne. Il ne se faisait
probablement pas d’illusions, et son souci réel de
la cause palestinienne était tout relatif, mais l’argument
avait du poids auprès de l’opinion arabe, et c’était
là l’objectif recherché. En effet, cela faisait
quarante ans que des résolutions de l’ONU reconnaissent
aux Palestiniens le droit de déterminer leur propre sort
sur au moins une partie du territoire qu’ils occupaient avant
1948, droit qui est bafoué par l’occupation israélienne.
En posant cette revendication, Saddam Hussein ne faisait qu’utiliser
une situation de fait et mettre le doigt sur les contradictions
de la politique des grandes puissances.
On entend souvent parler du soutien des «
frères arabes » à la cause palestinienne. Bien
rares sont les Palestiniens qui y croient, tout au moins dans les
conversations privées. Par « frères arabes »,
faut-il entendre les populations des pays arabes ? Dans aucun de
ces pays les populations n’ont la possibilité de se
manifester et d’influer réellement la politique des
Etats. Faut-il entendre les Etats arabes ? Mais ces Etats sont comme
tous les autres, ils sont régis par la raison... d’Etat.
Aucun n’a vraiment intérêt à l’instauration
d’un Etat palestinien. Tous utilisent la cause palestinienne
en soutenant ou manipulant les fractions palestiniennes en fonction
de leurs intérêts dans les rapports de force locaux.
Ainsi Saddam Hussein avait ligoté l’OLP en contribuant
à suspendre le dialogue américano-palestinien. Le
débarquement sur les plages israéliennes en mai 1990
d’un commando d’Aboul Abbas a été commandité
par Bagdad. Cette expédition avait mis fin à la stratégie
diplomatique de l’OLP. Ceux qui avaient pensé que Saddam
Hussein se faisait le champion de la cause palestinienne auraient
pu se rappeler les assassinats, commandités par Bagdad, de
leaders palestiniens par le groupe terroriste d’Abou Nidal,
basé en Irak.
Les « lettres de garantie » américaines
La guerre du Golfe terminée, M. Baker fera
sept voyages au Moyen-Orient avant de réussir à convoquer,
à Madrid, une conférence, en novembre 1991, conférence
à laquelle accepteraient de participer les protagonistes
du conflit.
Des « lettres de garantie » définissaient
le cadre dans lequel les négociations allaient avoir lieu
; les négociateurs palestiniens se raccrochaient désespérément
à elles, car c’étaient les seuls éléments
concrets auxquels ils pouvaient se référer pour faire
valoir leur légitimité diplomatique.
Quel était le contenu de ces lettres de garantie
?
1. Le rejet de toute conférence internationale
au profit de conversations bilatérales. Autrement dit, les
négociateurs israéliens ne se trouvent jamais face
à l’ensemble des protagonistes du conflit. Les discussions
avec un seul protagoniste à la fois permettent en outre la
mise sur pied d’accords sur le dos des autres protagonistes.
2. Les Etats-Unis et la Russie, qui parrainent l’initiative,
ne devront plus intervenir dans les débats après avoir
présidé la séance d’ouverture. Leur seule
intervention sera d’ordre formel, pour fixer les lieux et
dates des pourparlers.
3. Les Nations unies et la CEE sont exclues des
négociations. Cela signifie qu’il n’y a ni groupe
de pays ni institution internationale pour servir d’arbitre
dans les négociations, auxquelles d’ailleurs les plaignants,
c’est-à-dire les Palestiniens et les Etats dont les
territoires sont occupés par Israël, ne peuvent même
pas se présenter groupés.
4. Les Palestiniens ne sont acceptés que
dans le cadre d’une délégation jordano-palestinienne.
Seuls les représentants des territoires occupés sont
admis.
– L’OLP est théoriquement exclue,
puisque ce serait reconnaître le fait national palestinien
[69] ;
– pas de représentants de Jérusalem,
le statut de cette ville n’étant pas négociable
puisque c’est la capitale éternelle d’Israël
;
– pas de représentant de la diaspora
palestinienne, car ce serait admettre le droit au retour ;
– enfin, le but des négociations est
clairement défini : arrangement intérimaire d’autogouvernement
pendant cinq ans ; au bout de trois ans, négociations sur
le statut des territoires occupés. (Et pendant ce temps,
la colonisation pourra continuer...)
En théorie, ces « lettres de garantie
» étaient une garantie émise par les Etats-Unis
à l’égard des parties en présence dans
la négociation. En réalité, il saute aux yeux
qu’elles ne font que reprendre toutes les exigences d’Israël,
de même qu’elles ne sont que l’expression du rapport
des forces réel dans la négociation. Les dirigeants
palestiniens ont évidemment protesté auprès
du gouvernement israélien, mais ils sont malgré tout
obstinément accrochés aux négociations.
De la conférence de Madrid, en novembre 1991
à celle de Washington, neuf sessions se sont déroulées
sans qu’aucun résultat n’apparaisse. Pendant
20 mois de rencontres, tous les espoirs se sont effondrés.
L’élection d’un premier ministre travailliste
n’a rien changé, qui a reconduit purement et simplement
la même délégation israélienne que sous
Shamir.
Lors d’une conférence de presse organisée
par l’association Justice et Paix en Palestine, au début
de l’été 1993, avec un membre de la délégation
palestinienne aux négociations, nous avons eu une confirmation
de ce que nous savions déjà :
– la répression dans les territoires
occupés ne s’est pas ralentie avec les négociations,
elle s’est aggravée ; jamais il n’y a eu autant
de tués et de blessés ;
– les destructions de maisons de Palestiniens,
les expulsions de terres n’ont jamais été aussi
nombreuses ;
– la colonisation n’a pas été
ralentie : 13 000 unités de logement étaient prévues
grâce à la distinction subtile faite entre colonies
« politiques » et colonies « stratégiques
». Les Etats-Unis ont évidemment fini par accorder
le prêt de 10 milliards de dollars, sans garantie ni intérêt
que le gouvernement israélien demandait, et sans aucun contrôle
sur son utilisation.
Une colonie de peuplement n’est pas un kibboutz,
avec toute la mythologie qui va avec. C’est tout simplement
une implantation d’habitations – appartements ou maisons
individuelles – sur des terres palestiniennes expropriées.
Plusieurs systèmes juridiques coexistent en Palestine : les
système ottoman, britannique, israélien. Les autorités
israéliennes, faisant appel selon les cas à l’un
ou l’autre système, trouvent toujours un prétexte
pour justifier l’expulsion. Les motivations des colons sont
rarement religieuses ou idéologiques : en effet, des prix
nettement inférieurs, des incitations pécuniaires
encouragent de nombreuses familles à s’installer dans
les colonies, car elles y bénéficient de logements
nettement plus spacieux et de conditions de vie nettement supérieures
à celles qu’elles auraient à l’intérieur
de la ligne verte [70].
Lorsqu’on demande aux responsables palestiniens
: pourquoi continuer de négocier, puisque la répression
s’est accrue, puisque les conditions de vie ont empiré
depuis le début des négociations ? ils répondent
invariablement : le fait de se trouver à la table des négociations
est déjà un progrès et il ne faut à
aucun prix la quitter.
Lorsqu’on demande si le fait que les négociations
soient bilatérales ne fait pas craindre qu’Israël
s’entende avec l’un ou l’autre protagoniste du
conflit aux dépens des Palestiniens, on s’entend répondre
que là réside une des raisons pour lesquelles les
Palestiniens ne doivent à aucun prix quitter la table des
négociations, que leur présence à cette table
est une garantie que les autres Etats arabes et Israël ne signent
pas d’accord séparé contraire aux intérêts
palestiniens... Si par exemple Israël parvenait à résoudre
son « dossier » difficile avec la Syrie, les négociations
avec les Palestiniens perdraient beaucoup de leur impact.
Et les « lettres de garantie » sont
constamment évoquées comme un document fondamental,
incontournable. Or, lors d’une rencontre entre la délégation
palestinienne et le Département d’Etat, à la
veille de la reprise de la dixième session, Danny Ross –
qui faisait office de factionnaire de service en l’absence
de ses patrons partis assister à une conférence internationale
sur les droits de l’homme, à Vienne – a simplement
enregistré les doléances de la délégation
palestinienne, mais il a quand même pris la peine de transmettre
à la délégation le point de vue du Département
d’Etat : « Les Américains ne se sentent plus
engagés par les lettres de garantie adressées à
l’aube de la rencontre de Madrid. »
Clivages entre l’exil et l’intérieur
?
Il ne faut pas se laisser abuser par le discours
apparemment unanime des dirigeants palestiniens. Il y a, au sein
de la population palestinienne, les mêmes clivages que dans
n’importe quelle société divisée en classes.
Et c’est probablement là qu’il faut chercher
la clé de ce qui se passe depuis la fin de la guerre du Golfe.
L’Intifada, commencée le 8 décembre
1987, était un authentique mouvement populaire dont l’origine
se trouve dans le désespoir le plus absolu de la population
des territoires occupés, et dans l’absence totale de
perspectives politiques à leur situation. Ce mouvement, au
début, échappait complètement au contrôle
de la direction de l’OLP, et si les Palestiniens de l’intérieur
continuent de se référer à elle, c’est
pour le symbole qu’elle représente. Progressivement
s’est créé le clivage habituel entre la direction
en exil d’une organisation et le mouvement de résistance
qui continue à l’intérieur. Les stratégies,
les enjeux peuvent diverger. Le danger principal est l’apparition
d’une direction de rechange à l’intérieur
capable de se substituer à celle en exil et susceptible de
développer des stratégies contraires aux intérêts
de la bourgeoisie palestinienne qui dirige de Tunis. Des tensions
n’ont d’ailleurs pas manqué d’apparaître
entre l’une et l’autre direction.
Arafat est obligé périodiquement de
rappeler que c’est lui qui parle au nom de l’OLP. Au
mois d’août 1993, trois membres de la délégation
palestinienne – et pas des moindres : Fayçal Husseïni,
Hanane Ashraoui et Saeb Erekat – l’avaient ouvertement
défié, menaçant de démissionner après
qu’il leur ait ordonné de défendre des positions
auxquelles ils étaient opposés. Selon le magazine
Time (Lisa Beyer, « Out of the Shadows », p. 32, 23
août 1993), Arafat les aurait convoqués à Tunis
et leur aurait ordonné de « se comporter comme des
employés ou de rentrer chez eux ». « Les dissensions
se font de plus en plus nombreuses au sein même de la direction
de l’OLP. Des voix se font entendre qui mettent en cause directement
Yasser Arafat. Manque de démocratie, gestion financière
incontrôlable, “le Vieux” n’est plus épargné
par les critiques qui, jusqu’alors ne s’adressaient
qu’à ses proches. Plus surprenant encore, la plupart
des “contestataires” sont issus de l’entourage
direct du leader de l’OLP. » (Annie Fiore, Rêves
d’indépendance, chronique du peuple de l’Intifada,
L’Harmattan.) En fait, les clivages entre la direction de
Tunis et les militants de l’intérieur, créés
par les accords et par la façon dont les accords ont été
discutés et signés, ne sont pas tant verticaux, qu’horizontaux,
c’est-à-dire qu’ils s’expriment à
la fois à Tunis et dans les territoires occupés.
Le problème est que le patron n’a plus
les moyens de payer ses employés... au sens le plus littéral
du terme : L’OLP est en situation de quasi-faillite. Les monarchies
pétrolières, sanctionnant les positions qu’Arafat
a prises pendant la guerre du Golfe, ont cessé d’approvisionner
l’organisation palestinienne [71]. En outre, les revenus des
nombreux Palestiniens expulsés du Koweït – on
parle de 300 millions de dollars – et qui alimentaient à
la fois les familles restées au pays et les caisses de l’OLP,
ne sont plus disponibles. Arafat est littéralement dépendant
de bailleurs de fonds de moins en moins nombreux ; il est acculé
à négocier... et à faire des concessions [72].
L’Intifada était un moyen de lutte
efficace : elle coûtait à l’Etat israélien
des sommes colossales. Elle avait sur la population israélienne
des effets dissolvants, en sapant le moral des soldats et notamment
des réservistes qui étaient tenus de faire des périodes
tous les ans dans les territoires occupés. Elle était
efficace sur le plan médiatique, auprès de l’opinion
publique internationale. Et elle avait un effet positif en structurant
la société civile palestinienne par la constitution
de réseaux d’entraide, d’auto-organisation. Mais
aussi, elle présentait l’inconvénient d’avoir
éclaté en dehors – et contre – tout contrôle
de la direction en exil.
Les négociations ont littéralement
abouti à casser l’Intifada comme mouvement de masse.
Il ne s’agit pas de dire que les négociations sont
en soi condamnables, mais elles n’ont de sens qu’avec
un rapport de forces qui permet une véritable discussion.
Cependant, l’Intifada risquait à terme de délégitimer
l’OLP en suscitant progressivement une direction palestinienne
à l’intérieur dont la stratégie et les
objectifs pouvaient diverger de ceux de la direction en exil.
Les négociations ont traîné
en longueur pendant deux ans sans résultat. Pendant ce temps,
la situation financière de l’OLP a empiré. Aussi
longtemps que l’OLP conservait des cartes dans son jeu –
l’Intifada, une force armée et de l’argent –
les Etats-Unis et Israël ont catégoriquement refusé
de la laisser participer directement aux négociations de
Madrid, bien que l’OLP n’en ait accepté le principe
que sous la pression d’Arafat. Le Premier ministre israélien
de l’époque, Yitzhak Shamir, n’avait aucune intention
d’entamer un processus de paix, et n’a accepté
de négocier que sous la pression de l’administration
américaine. Ce n’était un secret pour personne
que les Palestiniens de l’intérieur avec lesquels les
Israéliens négociaient étaient « conseillés
» par les dirigeants de Tunis.
Pendant même que les Palestiniens s’efforçaient
d’obtenir que l’OLP soit officiellement admise à
la table de négociations, le nouveau Premier ministre israélien,
Rabin, déportait 415 islamistes au Liban, bouclait la rive
Ouest et la bande de Gaza (forçant au chômage des milliers
de Palestiniens), ordonnait à l’armée de tirer
sur les jeteurs de pierres et envoyait des escadrons de la mort
tuer des adolescents qui manifestaient.
Lorsque Rabin arriva au pouvoir pendant l’été
1992, il reprit la politique du Likoud consistant à ne pas
reconnaître l’OLP et à tenter de favoriser une
direction locale avec laquelle il pourrait signer un accord séparé
de capitulation. En fin de compte il est parvenu indirectement à
ses fins, en ce sens qu’aujourd’hui l’autorité
de la direction de l’OLP est largement contestée et
que les conditions israéliennes ont toutes été
satisfaites : le pouvoir armé des Palestiniens a été
liquidé, aucune décision des autorités palestiniennes
ne peut être prise sans l’accord des Israéliens,
aucune souveraineté palestinienne sur la terre et sur l’eau,
pérennisation du contrôle israélien sur les
pentes de la montagne de la rive Ouest et sur la vallée du
Jourdain, l’encerclement de toute ville arabe par des implantations
de colons ou des camps militaires israéliens qui resteront
sur place après la signature des accords, contrôle
total sur le territoire appelé le Grand Jérusalem,
représentant 20 % de la rive Ouest, annexé en 1967,
et sur lequel les Israéliens s’implantent frénétiquement,
en dépit des accords.
Peu à peu un glissement est apparu dans l’attitude
des autorités israéliennes. Alors que dans un premier
temps il était hors de question de négocier directement
avec Arafat, ce dernier est devenu le seul interlocuteur. Deux séries
de faits, qui ont évolué parallèlement, peuvent
expliquer cela.
a) La remise en cause progressive de l’autorité
d’Arafat, de plus en plus contesté ; la disparition
de tous les éléments qui pouvaient peser en faveur
des Palestiniens dans le rapport de force (liquidation de l’Intifada,
rejet de l’action armée, etc.) ; la perte de tout soutien
financier des Etats arabes font que, affaiblie, la direction de
l’OLP devient de ce fait même un interlocuteur valable,
c’est-à-dire prêt à un maximum de concessions.
Les deux années de temporisation après le début
des négociations de Madrid ont peut-être précisément
servi à cela ;
b) En même temps, il est apparu que les négociateurs
palestiniens de l’intérieur percevaient avec plus d’acuité
les objectifs réels des autorités israéliennes,
et étaient moins enclins à faire des concessions,
ce qui les disqualifiait comme interlocuteurs. Il fallait donc s’en
débarrasser, et en janvier 1993, Shimon Pérès,
rejoint ensuite par Rabin, décida qu’il serait plus
facile d’arriver à un accord avec Arafat qu’avec
les Palestiniens de l’Intérieur. C’est ainsi
qu’Arafat fut transformé du jour au lendemain de terroriste
en héros de la paix.
Les négociations, dans leur forme actuelle,
ont été imposées aux autres composantes de
l’OLP par Arafat. Le FPLP et le FDLP ne font plus partie de
l’exécutif de l’OLP. La mise à l’écart
des Palestiniens de l’intérieur dans toute prise de
décision s’est faite progressivement, tandis que par
un mouvement inverse Arafat s’imposait comme seul interlocuteur.
C’est que, en même temps que le discours israélien
officiel était de ne pas négocier directement avec
l’OLP, avaient lieu des négociations secrètes
entre Arafat et Rabin qui aboutirent aux accords Gaza-Jéricho,
négociations dont les Etats-Unis aussi bien que la délégation
palestinienne elle-même furent exclus... Fin août 1993,
Shimon Pérès, ministre israélien des Affaires
étrangères, rend publique l’existence de ces
négociations.
Ce processus n’a été possible
que par la capitulation à la fois politique et militaire
de l’OLP ; il aboutit à la création de zones
administrées par l’OLP et implique la soumission de
cette dernière au contrôle israélien. Arafat
est devenu aujourd’hui le protégé d’Israël
au même titre qu’auparavant il l’avait été
tour à tour de Nasser, d’Al Assad, d’Hussein
de Jordanie ou de Saddam Hussein.
Et cela n’est pas une formule de style. La
fermeture périodique et le filtrage des passages entre Israël
et les territoires occupés, empêchant les Palestiniens
d’aller travailler en Israël, est révélatrice
d’une véritable collaboration entre les deux parties.
Pour obtenir un permis d’entrée en Israël, on
doit d’abord se rendre au bâtiment de l’autorité
palestinienne à Gaza. On reçoit alors un permis et
on se rend à Eretz Checkpoint (point de contrôle) sous
contrôle israélien. Les opposants aux accords Gaza-Jéricho
n’obtiennent pas le permis (Cf. « Gaza Changes Hand
», Roni Ben Efrat, Challenge, July-August 1994).
Un autre exemple est révélateur, celui
des prisonniers palestiniens (au nombre de 12 000). Un comité
a été mis en place pour discuter de leur sort, alors
que le problème aurait pu être partie intégrante
de la négociation globale. 600 prisonniers ont été
libérés, parmi lesquels très peu des personnes
âgées, femmes, jeunes en dessous de dix-huit ans ou
malades dont on attendait la libération. En fait, n’ont
été libérés que les prisonniers à
qui ne restaient que très peu de peine à subir : certains
ont même été retenus quelques jours de plus
pour pouvoir faire partie du lot ! Rabin a clairement indiqué
qu’il n’était pas question de libérer
les opposants à l’accord Gaza-Jéricho. Les dirigeants
palestiniens sont dans la situation d’entériner le
point de vue que quiconque désapprouve la vision israélienne
de la solution du conflit est un adversaire commun des deux signataires
de l’accord. Autrement dit, les deux parties qui ont signé
l’accord Gaza-Jéricho doivent collaborer pour combattre
leur opposition palestinienne commune. C’est précisément
ce qui se passe. A l’intérieur des prisons mêmes
a été mise en place une discrimination criante dans
le sort des détenus selon leur position par rapport à
l’accord. Les délégués de prisonniers
qui ne sont pas du Fatah (la tendance Arafat), notamment ceux du
FPLP et du FDLP ne sont pas reconnus par les autorités. Jacques
Kupfer, ex-chef du Betar, dirigeant de la branche française
du Likoud, se trompe lourdement lorsqu’il évoque les
« pseudo-policiers arabes censés coller des contredanses
à des ânes en stationnement illicite ». Les policiers
palestiniens maintiennent efficacement l’ordre de la paix
des vainqueurs.
Les accords d’Oslo divisent clairement les
tâches : aux Palestiniens revient le contrôle sur l’éducation,
la santé, les services sociaux, le tourisme : pour cela,
l’Autorité palestinienne aura le droit de lever des
impôts... sur une population privée d’emplois,
ce qui se traduira par une aggravation de sa situation.
l’Autorité palestinienne n’aura
pas le droit de légiférer, de planifier ou de construire
; aux Israéliens revient le contrôle sur l’industrie,
l’agriculture, le commerce extérieur, les douanes,
et les impôts indirects... et l’eau. En d’autres
termes les Palestiniens n’auront aucun contrôle sur
le territoire. Ce sont les Israéliens qui contrôleront
les secteurs les plus déterminants de l’économie
palestinienne.
Arafat et Rabin ont obtenu le soutien de l’Occident
et celui des dirigeants arabes, trop heureux à la fois de
signer des paix séparées et de nouer des rapports
commerciaux avec Israël. Shimon Pérès demande
une aide internationale pour la reconstruction de la Palestine,
ce qui revient à dire que les contribuables des trente Etats
contributaires de l’aide, surtout européens, d’ailleurs,
vont payer les dégâts faits par les gouvernements israéliens
successifs à la société palestinienne et compenser
(un peu) l’absence totale d’investissements d’infrastructure
depuis trente ans. A titre d’exemple, il y avait en 1967 dans
la bande de Gaza 800 lits d’hôpitaux pour 360 000 Palestiniens,
il y en a toujours 800 aujourd’hui pour 800 000 Palestiniens.
Les Israéliens s’introduisent dans
la « reconstruction » en tant que « partenaires
cachés » pour les opérations de banque, les
investissements étrangers, etc., ce qui revient à
dire que les fonds internationaux seront affectés à
des projets qui ne concurrenceront pas l’économie israélienne.
La direction de l’OLP a en effet donné
son accord sur un certain nombre de points incontournables :
– contrôle de l’économie
palestinienne par la Banque mondiale ;
– soumission du budget de la zone autonome,
de son système bancaire et de sa planification aux besoins
d’Israël ;
– abandon de l’idée d’une
monnaie indépendante.
Autrement dit, Arafat a entériné le
fait que l’économie palestinienne allait être
contrôlée par Israël, à la fureur de certaines
fractions de la bourgeoisie jordanienne qui remplissaient ce rôle
jusqu’à présent.
Pour être sûr de son coup, Arafat s’est
arrangé pour que les fonds alloués à la reconstruction
palestinienne ne passent que par l’administration qu’il
contrôle, tout en s’évertuant d’obtenir
l’arrêt des financements provenant des organisations
non gouvernementales occidentales, qui soutenaient de nombreux projets
et institutions dans les territoires occupés. Bien que cela
ne soit pas un succès total, le gros des financements passe
maintenant par les canaux centralisateurs de l’OLP. Parallèlement,
Arafat a coupé les financements internes traditionnels par
l’OLP de nombreuses institutions qui ne sont pas, ou pas complètement
contrôlées par les arafatistes, ce qui affaiblit à
la fois le poids des grandes familles de l’intérieur
et des forces politiques indépendantes.
« Coupée de la nouvelle réalité
sociologique et psychologique des territoires occupés, [la
direction de l’OLP] continue de fonctionner selon le mode
traditionnel et s’appuie sur les grandes familles féodales
dans ses alliances politiques. Ainsi, la composition de l’équipe
de négociateurs, tout en représentant un savant dosage
des différentes composantes de la société politique
et religieuse palestinienne, laisse dans l’ombre la partie
la plus active des Palestiniens, à savoir la population des
camps et accorde une part sur-dimensionnée aux grandes familles
traditionnelles (Husseïni, Nusseîbe, Abu Middain) dont
le pouvoir n’est plus ce qu’il a pu être. Les
Palestiniens ne sont pas le seul peuple dont la population et la
direction politique sont séparés. Depuis 1948 et à
la différence d’aujourd’hui, les décisions
politiques se prenaient à l’extérieur, tout
comme le combat militaire se menait à l’extérieur
: rien ne permet d’affirmer que les acteurs de l’Intifada
soient prêts à se laisser déposséder
du pouvoir de décider de leur avenir. Ces nouvelles frustrations
viennent s’ajouter à celles directement provoquées
par la répression. (...) Il est encore prématuré
d’évoquer l’éventualité d’une
rupture entre les populations des territoires occupés et
la direction de l’OLP à l’extérieur, tout
au plus une distanciation douloureuse est-elle en train de se créer.
» (Annie Fiore, Rêves d’indépendance, Chronique
du peuple de l’Intifada, L’Harmattan.)
Un accord de dupes
La signature des accords Gaza-Jéricho n’a
rien été d’autre qu’un coup médiatique
sans signification réelle. La bande de Gaza est un petit
bout de terrain qui n’est qu’un énorme bidonville
ayant la plus forte densité de population de monde : 360
kilomètres carrés, 900 000 habitants, huit camps de
réfugiés totalisant plus de 360 000 habitants.
Les militaires israéliens eux-mêmes
demandaient depuis des années que le gouvernement abandonne
aux Palestiniens ce territoire devenu ingérable. En réalité,
l’autonomie de Gaza consiste à donner à son
voisin un cheval malade afin qu’il paie le vétérinaire.
Quant à Jéricho, Israël accorde aux Palestiniens
30 km² sur lesquels ils auront le droit d’avoir une administration
locale. On appelle cela un bantoustan.
International Herald Tribune du 14 décembre
1992 cite cinq ministres du gouvernement de Rabin qui demandent
un retrait unilatéral de la bande de Gaza. Maurice Jacobi,
dans Témoignage chrétien du 19 décembre 1992,
écrit : « La situation explosive dans la bande de Gaza
est telle que les dirigeants israéliens ont perdu tout espoir
de réussir à y maintenir “la loi et l’ordre”.
Les gouvernements successifs d’Israël ont eux aussi envisagé
un retrait. Pour s’y préparer et isoler la bande de
Gaza du reste du monde arabe, ils ont établi à quelques
kilomètres de la frontière égyptienne un bloc
de colonies juives du “Bloc de Katif”, allant de la
Méditerranée à la frontière de la bande
de Gaza. » Quelqu’un a même envisagé la
possibilité d’entourer complètement la bande
de Gaza d’une clôture électrique...
Maurice Jacobi cite également l’éditorial
du 9 décembre du quotidien israélien Haaretz : «
Il y a lieu de se demander combien de temps encore allons-nous sacrifier
les meilleurs de nos fils sur l’autel d’une politique
erronée. Le gouvernement doit réaliser que nos jours
de domination de la bande de Gaza sont comptés. Le manque
à gagner de notre volonté à ne pas vouloir
accepter cet état de chose est de loin beaucoup plus important
que les bénéfices que nous pourrons tirer de notre
présence ininterrompue dans la bande de Gaza. » Notons
au passage que l’éditorialiste de Haaretz n’est
pas le moins du monde motivé par des considérations
de droit ou de justice mais par des préoccupations de coût,
en vies humaines (israéliennes) et en argent (en manque à
gagner).
Quant aux accords de coopération économique
dont la presse a tant parlé, et qui sont censés réduire
le fossé entre les deux communautés, parlons-en. Il
s’agit d’accords entre des entrepreneurs israéliens,
détenant une grande majorité des parts, et quelques
palestiniens, pour produire, avec une main-d’œuvre à
très bon marché, des biens Made in Palestine qui permettront
aux produits israéliens de pénétrer l’énorme
marché des pays arabes. Les avantages seront considérables
pour Israël, et les Palestiniens auront droit à quelques
miettes. Seuls une poignée de capitalistes palestiniens tireront
quelque avantage de la situation.
On a beaucoup parlé de la cérémonie
si émouvante de Washington [73]. On a peu parlé du
voyage que Rabin a fait le lendemain en Indonésie, pour signer
des contrats très lucratifs. Ce voyage dans un pays musulman
aurait été impossible sans la petite cérémonie
de la veille. Depuis, le Maroc a accru ses échanges avec
Israël. Les Etats du Golfe n’attendaient qu’un
prétexte pour pouvoir enfin commercer avec Israël. L’Arabie
saoudite a acheté pour 10 000 dollars de billets pour un
dîner du congrès juif américain, le 9 décembre
1993, histoire de montrer sa bonne volonté...
Mais le lendemain de la signature des accords, le
gouvernement israélien lançait une série de
raids dans Gaza et sur la rive Ouest. Des maisons continuaient à
être détruites, des terres confisquées. La colonisation
continuait, elle s’accroissait même.
La réaction des Etats arabes à une
telle politique reste molle. Le 25 janvier 1994 on apprend dans
Yediot Ahronot qu’Israël achète 90 % de son pétrole
dans les pays arabes, et que l’approvisionnement lui apparaît
suffisamment sûr pour annuler les contrats d’achat de
pétrole avec le Mexique. Le 8 février 1994 Haaretz
rapporte qu’un gros industriel israélien avait déclaré
au Wall Street Journal que « le commerce entre Israël
et les Etats arabes se monte à 500 millions de dollars par
an », ce qui est une sous-estimation importante car dès
1993 il s’élevait à 1,4 milliard. Il semble
même qu’Israël importe et revend du pétrole
irakien [74]...
Arafat, traité jusqu’à une date
récente de terroriste avec lequel aucune discussion n’était
possible, est devenu le seul interlocuteur à la fois pour
les puissances occidentales et pour les autorités israéliennes
dans la mise en place de ce qu’on ne peut qu’appeler
des bantoustans palestiniens.
Arafat retarda son arrivée dans les territoires
devenus « autonomes » parce qu’il n’avait
pas reçu l’argent promis, ce qui donne leur vrai sens
aux accords d’Oslo. Ce versement reste en même temps
très limité et tout à fait symbolique : 42
millions de dollars sur les centaines de millions prévus,
qui serviront à la mise en place d’une bureaucratie
n’ayant aucun plan de développement.
La direction palestinienne a cédé
sur tous les plans lors des pourparlers économiques qui ont
eu lieu à Paris avant l’accord du Caire du 4 mai. A
Oslo bien avant, ils avaient déjà abandonné
toute chance de développer une économie indépendante
lorsqu’ils avaient abandonné la souveraineté
sur les territoires, d’autant que la nouvelle autonomie palestinienne
est soumise aux exigences de la Banque mondiale, qui s’est
débrouillée pour se faire accorder le contrôle
de la planification de l’économie des zones autonomes.
Le ministre des finances nommé par Arafat est un conservateur
bien vu par la Banque mondiale et le FMI, c’est aussi un membre
d’un des plus importants clans (Hamulot) palestiniens.
Les 510 millions de dollars affectés en 1994,
par exemple, ont été destinés à des
infrastructures : un port à Gaza, et un réseau routier
qui dans bien des cas fait double emploi avec les routes de contournement
israéliennes réservées aux Juifs. On ne recule
pas cependant devant l’affectation de fonds importants dans
l’établissement d’une police pléthorique.
Il n’est pas question d’investir de
l’argent dans de petites entreprises car celles-ci ne sont
pas susceptibles d’apporter des profits suffisamment rapides
aux investisseurs. Ne parlons pas de coopératives... Prenant
comme référence incontournable les dogmes du FMI,
on ignore que l’industrialisation n’est pas forcément
le chemin le plus court vers le développement, lorsqu’elle
n’est pas maîtrisée localement, lorsqu’elle
prétend se faire à une échelle qui empêche
toute maîtrise locale.
Qui contrôlera les fonds de l’aide internationale
? Fin 1993, la Jordanie exigea que soient mises en place les mesures
décidées précédemment concernant l’établissement
de succursales de banques jordaniennes sur la rive Ouest et à
Gaza. Un accord a été négocié avec la
banque israélienne Bank Leumi Leisrael, financée par
l’Organisation sioniste mondiale, selon lequel une banque
israélo-palestino-marocaine serait créée dans
les territoires occupés.
Quelle peut être l’indépendance
d’un territoire qui reste sous la domination de l’ancien
occupant ? Il s’agit plutôt d’une nouvelle forme
d’organisation de la dépendance : en effet, les Palestiniens
doivent adapter leur politique fiscale aux besoins israéliens
:
– l’import-export, même en provenance
du monde arabe, est limité par Israël ;
– la force de travail reste totalement dépendante
des emplois en Israël ;
– la police palestinienne maintient un ordre
qui correspond aux besoins de l’ancien occupant.
L’argent d’Arafat servira non pas à
investir dans des infrastructures mais à payer la police
et l’appareil bureaucratique venu de Tunis. Arafat semble
tellement certain de recevoir de l’argent qu’il a fait
appel aux services d’une société d’investissement
US, Morgan Stanley, pour gérer les finances de l’autonomie.
Il fait preuve d’une effarante naïveté lorsqu’on
songe que l’histoire de l’aide internationale est celle
d’une longue suite de promesses jamais tenues. Israël
ne laissera pas un dollar aux Palestiniens si cela va à l’encontre
de ses intérêts. L’argent servira à bâtir
un appareil qui renforcera les échelons les plus élevés
de la société palestinienne avec, en haut de la pyramide,
les membres de la bourgeoisie palestinienne pro-Arafat, les grandes
familles, la classe moyenne de Jérusalem, Gaza ou de la rive
Ouest.
La diaspora palestinienne a créé,
en marge de la bourgeoisie palestinienne traditionnelle de l’intérieur,
une couche d’hommes d’affaires avec laquelle il faut
compter. Ces hommes d’affaires ont soutenu Arafat, mais commencent
à émettre des critiques sur la manière dont
sont conduites les négociations. Ils espéraient plus
de dividendes sonnants et trébuchants de la paix, et remettent
en cause la façon dont l’aide internationale est contrôlée.
Perspectives
L’occupation des territoires en 1967, les
accords de Camp David en 1977, l’expulsion des Palestiniens
de Beyrouth en 1982 sont des étapes qui culminent avec la
signature de l’accord de Washington le 13 septembre 1993 et
qui expriment la victoire de l’establishment israélien
sur les Palestiniens.
La bourgeoisie israélienne va pouvoir s’approprier
et gérer selon ses propres intérêts une bonne
partie du butin de « l’aide à la reconstruction
» palestinienne. Elle a obtenu la fin du boycott des pays
arabes et va pouvoir s’introduire sur l’énorme
marché arabe dans tout le Moyen-Orient et, au-delà,
sur le marché des pays musulmans non arabes. C’est
ce que révèle clairement l’annexe III de l’accord,
qui stipule l’établissement d’un fonds de développement
israélo-palestinien, qui doit devenir plus tard une banque
de développement du Moyen-Orient afin de soutenir les marchés
de la région, assurer le commerce du pétrole, du gaz,
la coopération dans le domaine agricole, etc., le tout dans
un contexte où les Palestiniens n’ont aucune souveraineté
réelle...
« Nous assistons à un changement stratégique
important dans le rapport entre le capital palestinien et Israël.
Les territoires occupés sont en train d’être
transformés en pont vers les marchés arabes, et c’est
là l’objectif principal d’Israël en y développant
sélectivement une infrastructure. Israël utilisera le
nouveau partenariat avec les Palestiniens pour pénétrer
les marchés arabes. Dans leur rôle, les capitalistes
palestiniens doivent devenir des partenaires minoritaires pour les
Israéliens, et ils tireront profit des services qu’ils
rendront aux capitalistes israéliens. Les consommateurs arabes
sont très sensibles au label “Made in Israël”.
Maintenant que les produits israéliens auront le label “Made
in Palestine”, ce problème peut être surmonté.
Un tel arrangement aboutira à un produit du savoir-faire
israélien manufacturé par une main-d’œuvre
palestinienne bon marché. Cette division du travail favorise
les investisseurs israéliens, laissant aux partenaires palestiniens
des profits marginaux. » (Majed Sbeih, « Economy of
Autonomy », Challenge n° 22, nov.-déc. 1993)
Majed Sbeih, dans l’interview citée,
précise que les accords d’Oslo vont créer une
bourgeoisie parasitaire qui profitera de sa situation d’intermédiaire
entre le marché arabe et le capital israélien : elle
s’engagera dans des opérations spéculatives
qui produisent des profits rapides mais sont dépourvues de
tout investissement productif. Cette nouvelle couche aura tout intérêt
à renforcer la dépendance et à ne laisser aucune
place au développement industriel.
L’afflux de sommes importantes au titre de
« l’aide économique » peut avoir des effets
extrêmement pervers sur une société économiquement
sous-développée, en favorisant une bureaucratie disproportionnée
qui utilisera l’argent à ses fins propres au détriment
des investissements d’infrastructure ou productifs. Dans la
pratique, on assiste à la fin d’un rapport colonial
classique et à la mise en place d’un néocolonialisme,
exactement de la même façon que ce processus a pu se
développer en Afrique. Désormais, ce seront les autorités
locales qui feront le sale travail du maintien de l’ordre.
Les autorités israéliennes vont constamment insister
qu’Arafat tienne bien en main les opposants aux accords. La
police palestinienne sera transformée en une sorte d’armée
supplétive sur le modèle du Sud-Liban, chargée
de maintenir l’ordre israélien dans des bantoustans.
L’opinion publique des pays industrialisés,
conditionnée par la vision « Walt Disney – CNN
» de la politique, est peu disposée à accepter
l’idée que ces accords ne sont pas une bonne chose.
C’est que pour elle, l’alternative à ces accords
ne peut être que le terrorisme aveugle, et, après tout,
même s’ils ne sont pas parfaits, c’est déjà
un début... Notre intention n’est pas de dénoncer
le fait que les deux adversaires négocient, loin de là,
mais de tenter de mettre en évidence le contexte, les forces
réelles en présence et les enjeux cachés ou
masqués derrière de fausses bonnes intentions. Voir
deux adversaires se serrer la main est certes une chose émouvante,
mais cela ne doit pas nous aveugler ni nous rendre naïfs :
ils peuvent en effet très bien se serrer la main parce qu’ils
s’accordent sur le fait qu’ils ont un adversaire commun.
Ce que nous écrivions dans le Monde libertaire
du 9-15 septembre 1993 reste plus que jamais d’actualité
: « Ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est
la tentative d’Arafat d’assurer sa survie politique
à tout prix alors qu’il est de plus en plus contesté
par la masse des Palestiniens, et pas seulement les fondamentalistes.
C’est aussi la tentative du gouvernement israélien
de se garantir un interlocuteur dans une situation où précisément
la tendance est à la remise en cause, par les Palestiniens,
de la politique de la direction de l’OLP. Arafat et Rabin
ont tous deux intérêt à ce que ce ne soit pas
un soulèvement populaire dans les territoires occupés
qui oriente les négociations. »
DES ÉLECTIONS PALESTINIENNES AUX
ORDRES
Les élections palestiniennes se sont déroulées
dans un contexte où l’OLP comme organisation de combat
est pratiquement vidée de sa substance et remplacée
par une administration très largement dépendante du
contrôle israélien. Elles ont eu lieu dans un climat
de médiatisation extrême et ont été qualifiées
de « relativement démocratique » par les 1 500
observateurs internationaux qui étaient sur le terrain. Plusieurs
irrégularités sont constatées à travers
les quinze circonscriptions électorales de Gaza et de Cisjordanie,
mais, selon la formule consacrée, elles n’ont pas remis
en cause la régularité du vote.
La seule menace à laquelle Arafat a eu à
faire face venait du docteur Haïdar Abdel-Shafi, ancien chef
de la délégation palestinienne aux pourparlers de
Madrid en 1991, devenu depuis un opposant – modéré
il est vrai – aux accords d’Oslo, et qui bénéficie
d’une grande popularité chez les Palestiniens et du
soutien du FPLP et du PDLP.
Le docteur Abdel-Shafi était candidat au
poste de président du Conseil législatif. Pour contrer
sa candidature, Arafat a suscité la candidature d’un
de ses plus proches collaborateurs, Abou Alaa, ministre de l’économie,
qui, avec le soutien du président de l’autorité
et de l’appareil du Fatah n’a pas eu de mal à
l’emporter. C’est là une première tentative
de contrôle du conseil législatif qui montre les limites
de la démocratie palestinienne.
830 000 Palestiniens ont donc voté le 20
janvier 1996. Etaient cependant exclus du suffrage ceux de la diaspora
et les réfugiés des camps, c’est-à-dire
les deux tiers des Palestiniens.
Le taux de participation a été de
85 %, malgré l’appel au boycott de Hamas ; 63,8 % des
inscrits ont voté pour la présidence et pour les 88
membres du conseil législatif de l’Autorité
nationale. Arafat a été élu président
de cette assemblée à 88 % des voix. Sa seule concurrente,
Samikha Khalil, n’a eu que 10 %. 75 % des voix se sont portées
sur le Fatah.
Si la campagne électorale a été
courte, les élections elles-mêmes n’ont été
que l’issue d’un processus soigneusement préparé.
La direction de l’Autorité palestinienne, constituée
de cadres de l’OLP et de dirigeants arrivés d’exil,
avait mis en place depuis deux ans des mesures sévères
de restriction de la liberté d’expression, en particulier
– mais pas seulement – pour les milieux islamistes,
même modérés. Les fonds internationaux collectés
pour les Palestiniens passent par l’Autorité ou sont
sous son contrôle. Les partisans d’Arafat contrôlent
tous les instruments financiers. Les fonds qui allaient aux nombreuses
organisations non gouvernementales qui travaillaient de façon
indépendante doivent passer d’abord par l’Autorité
palestinienne. Le Fatah, l’organisation d’Arafat au
sein de l’OLP, est soumise au contrôle d’un appareil
d’où les militants les plus jeunes ont été
écartés et qui est dominé par les piliers les
plus résolus de l’appareil.
Les élections en Cisjordanie et à
Gaza ont donné une large majorité à Arafat,
mais elles constituaient moins un plébiscite pour le président
de l’OLP, de plus en plus contesté, que le double constat
de l’absence d’autre perspective et de la rapide maîtrise
des « trucs » qui font le charme de la démocratie
représentative, notamment le charcutage des circonscriptions
électorales, certaines d’entre elles ayant deux fois
plus d’électeurs que d’autres, pour le même
nombre de sièges. Ce sont là des banalités
auxquelles les citoyens des pays à tradition « démocratique
» ancienne sont habitués depuis longtemps – en
tout cas pour ceux qui sont un tant soit peu au courant des mécanismes
du système qu’ils cautionnent régulièrement
par leurs votes.
Au moins les trois quarts des candidats dits «
indépendants » étaient des militants arafatistes.
Des candidats se sont vu proposer de l’argent pour retirer
leur candidature : une trentaine d’entre eux se sont ainsi
retirés. D’autres ont subi des intimidations. Hanane
Ashraoui elle-même, célèbre militante palestinienne
de l’intérieur, une des rares authentiques candidatures
indépendantes élue dans cette élection, a été
harcelée par la police israélienne et l’armée
pendant qu’elle faisait campagne à Jérusalem-Est.
Néanmoins, on a pu dire que ces élections ont été
« raisonnablement démocratiques ».
Monopolisation des médias, arrestations de
journalistes – le président de l’« Autorité
palestinienne » a déjà montré qu’il
n’aime pas du tout les journalistes qui ne disent pas ce qu’ils
devraient dire – atteintes à la liberté de la
presse ont ponctué une campagne électorale dont Le
Monde a pu dire qu’« elle aura sans doute été
l’une des plus brèves – quatorze jours –
dans l’histoire de la démocratie. Brièveté
qui ne pouvait que profiter au parti le mieux implanté, le
plus riche et le mieux organisé, c’est-à-dire
le Fatah ». (19 janvier 1996.)
Ces élections devaient élire le Conseil
législatif permettant aux Palestiniens de Cisjordanie et
de Gaza de gérer leurs propres affaires... à condition
qu’on entende par là les problèmes de santé,
d’éducation, de voirie, de finances, et non ceux de
la défense, de la monnaie ou des affaires étrangères.
Toutes les données de ces élections ont été
établies par les autorités israéliennes de
même que les attributions des instances qui en sont issues.
L’opposition palestinienne refusa de participer
au scrutin. Ces élections sont « préfabriquées
en faveur des candidats d’Arafat » déclare Daoud
Talhami, porte-parole du FDLP.
Quant aux dossiers en suspens, concernant les négociations
en cours avec Israël, ils seront négociés non
pas avec l’autonomie palestinienne mais avec l’OLP,
c’est-à-dire Arafat lui-même.
L’élément le plus frappant de
cette élection reste cependant la neutralisation de Hamas.
Au printemps précédent l’élection, des
discussions commencèrent entre le Fatah et Hamas, à
l’occasion desquelles l’organisation islamiste suspendit
ses attentats-suicides en Israël. Arafat proposa aux islamistes
de participer aux élections. Le Hamas exigea 40 % des postes
dans la bureaucratie et aux gouvernement ; Arafat ne leur en accorda
que 15 %, selon les rumeurs. En même temps, Arafat joua sur
la division entre la tendance de Hamas basée à l’étranger
et celle de l’intérieur. Il fit régulièrement
interdire l’hebdomadaire des islamistes et arrêter le
rédacteur en chef. Pendant l’été le secrétaire
général de Hamas, Abu Marzook, est arrêté
aux Etats-Unis bien qu’aucune charge ne pèse sur lui
dans ce pays. En automne, le dirigeant du Jihad islamique Fathi
Shaqaqi est assassiné par le Mossad à Malte. Les éléments
les plus actifs de Hamas sont constamment harcelés, arrêtés,
interrogés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza par les
forces de sécurité palestiniennes, la Mukhabarat qui,
en collaboration étroite avec le Shabak israélien,
prévint plusieurs attentats en Israël. Début
janvier, l’ennemi public israélien numéro un,
Yehia Ayyash, dit « l’Ingénieur » est assassiné
à Gaza par des agents israéliens.
Les faits contredisent de toute évidence
les accusations répétées des autorités
israéliennes concernant l’incapacité de l’Autorité
palestinienne à contrôler les islamistes en particulier
et les opposants en général. Toute opposition est
en effet soigneusement muselée. Des militants pour les droits
civiques, même ceux d’organisations reconnues par l’Autorité
palestinienne, ont été tabassés et persécutés
par l’un des sept à huit services de sécurité
et de police créés par Arafat, qui travaillent en
étroite collaboration avec les Israéliens.
L’action combinée des forces de police
d’Arafat, des services secrets israéliens et des autorités
américaines ont manifestement réussi à affaiblir
les islamistes palestiniens. Après les élections,
un accord est trouvé aux termes duquel Hamas est autorisé
à ouvrir un bureau d’information et à publier
de nouveau son journal à Gaza. Hamas s’engage à
« ne pas entreprendre d’activités qui pourraient
embarrasser l’Autorité palestinienne », en clair
les attentats.
L’AUTORITÉ PALESTINIENNE TRÈS...
AUTORITAIRE...
Contrairement à l’idée reçue,
ni l’OLP, ni les autres partis, ni le Conseil national palestinien
n’étaient des structures démocratiques. Les
hommes politiques palestiniens issus de l’exil n’ont
aucune expérience de la démocratie.
Depuis l’instauration d’une «
Autorité palestinienne », on constate de nombreux exemples
de violation des droits de l’homme, lesquels sont accentués
par les pressions israéliennes pour que l’autorité
palestinienne lutte contre le terrorisme. Arafat a réussi
à museler le parlement et ignore ses décisions. Grâce
à son contrôle des médias, la population ignore
ce que fait le Conseil législatif. Cette situation est favorisée
par l’absence de véritables partis d’opposition
laïques, ce qui crée un véritable vide politique
: il n’y a rien entre l’Autorité palestinienne
et les islamistes. La plupart des partis d’opposition d’obédience
marxiste, sont fragilisés par la chute du communisme. Formés
dans l’exil, ils ne sont pas capables de tenir un discours
et de faire des propositions qui touchent les gens dans leur vie
quotidienne.
Le FDLP (Front démocratique pour la libération
de la Palestine) et FPLP (Front populaire de libération de
la Palestine) semblent avoir perdu tout contact avec la réalité
du terrain et n’ont aucune influence à Gaza et en Cisjordanie.
Ces partis se contentent de dénoncer Arafat et les accords
inconditionnellement. Or, aujourd’hui, dans la situation lancée
par la signature des accords, il ne suffit plus de dénoncer
ces derniers, il faut faire des propositions crédibles, apporter
des réponses concrètes aux problèmes quotidiens,
notamment en matière économique et sociale, ce que
l’opposition laïque ne semble pas capable de faire.
Quant à l’opposition islamiste, très
implantée dans les territoires occupés, elle n’a
pas été capable de faire échec aux négociations.
La dernière chose que les Palestiniens souhaitent est le
retour des militaires israéliens dans les 6 % de territoire
qu’ils ont évacués. Lorsque Netanyahou accuse
Arafat de donner le « feu vert » aux terroristes islamistes,
le journaliste Dany Rubinstein réplique que le feu vert ne
fut pas donné par Arafat mais par la rue palestinienne exaspérée
par la politique israélienne. De fait, il y a une corrélation
très précise entre les dispositions de l’opinion
palestinienne, que Hamas perçoit très bien, et les
attentats islamistes. Une enquête réalisée en
juillet 1997, après l’attentat sur le marché
Mahané Yéhuda, révèle que 28,3 % des
Palestiniens sont favorables aux opérations suicides, ce
qui révèle une hausse de 5 % par rapport aux réponses
données en mai. « Un tel pourcentage, dit Agnès
Pavlovsky, montre à l’évidence que la notion
de vengeance, incarnée par le Hamas, motive désormais
une partie conséquente de l’opinion palestinienne [75].
» Une telle attitude traduit beaucoup plus l’exaspération
de la population devant l’absence de résultat des négociations
qu’une adhésion aux thèses de Hamas.
Les islamistes constituent en fait la seule véritable
opposition organisée, structurée. Ils ont mis sur
pied des infrastructures qui proposent à la population écrasée
par la misère des prestations presque gratuites : services
médicaux, éducatifs, sportifs. Ils subventionnent
les besoins des plus démunis, auxquels ils allouent des sommes
souvent supérieures à celles de l’Autorité
palestinienne. Enfin, les islamistes ont une politique active d’implantation
de masse : ils pratiquent de l’entrisme dans les syndicats,
les associations.
D’une façon générale,
Arafat accrédite l’opinion israélienne selon
laquelle tous les opposants à l’accord seraient des
terroristes et des fondamentalistes, qu’il faut réprimer,
alors que nombre d’entre eux sont des laïcs partisans
d’une solution pacifique, mais qui désapprouvent les
concessions permanentes sans contreparties.
Les ministres d’Arafat sont pour moitié
des membres de la bureaucratie de l’OLP venue de Tunis et
pour moitié des membres des élites traditionnelles
et des grandes familles de Cisjordanie ou de Gaza. Arafat s’appuie
sur les grands propriétaires fonciers, qui le financent,
et qui ont toujours joué un rôle déterminant
dans l’histoire de la Palestine. Ce sont ces élites
qui servent de lien entre le pouvoir et la société.
« Héritiers des grandes familles constituées
aux XVIIe et XVIIIe siècles, ils appartiennent à la
société tout en étant reconnus par le pouvoir.
Ils lui servent d’intermédiaires et pour la population,
de délégués qui lui permettront d’obtenir
des avantages ou des services, par exemple des postes, des subventions
[76]... »
En dehors des grandes familles, la population palestinienne
est composée d’un petit nombre d’entrepreneurs
et d’une petite classe moyenne ; le reste de la population
est constitué d’une grande majorité de gens
pauvres et sans terre dépendants des employeurs israéliens.
L’un des pivots du régime est constitué
par les 33 000 membres de la police, dont une partie vient de l’exil,
une autre partie étant constituée par d’anciens
militants de l’Intifada qui ont été intégrés
à l’appareil de répression, les multiples services
de renseignements... Il y a aussi les 39 000 fonctionnaires de l’autorité
payés par l’aide internationale. Ces personnes constituent
une clientèle complètement dépendante d’Arafat.
Le Fatah lui-même, le parti d’Arafat,
connaît une crise d’identité et ne veut pas être
assimilé à l’autorité palestinienne,
devenue une institution bureaucratique. En novembre 1994 ont eu
lieu à Ramallah les premières élections internes
au Fatah. Les partisans d’Arafat perdirent les élections
et les nouveaux élus, issus de l’Intifada, ont été
préférés à ceux choisis par le président
de l’Autorité ; aussi le processus fut-il interrompu
dans les autres villes – on trouve là encore le phénomène
de coupure entre l’intérieur et l’exil.
Le 18 novembre 1994 des affrontements entre la police
palestinienne et des intégristes de Hamas font douze morts.
De Tunis où se trouvait encore le siège légal
de l’OLP, des dignitaires de l’organisation –
Farouk Kaddoumi, « ministre » des affaires étrangères,
Abou Alaa, « ministre » de l’économie,
et Abou Mazen, signataire des accords d’Oslo –, publient
au nom de l’OLP un communiqué condamnant le «
massacre » et mettant en cause Arafat.
Ces faits, et bien d’autres, montrent que
le chef de l’OLP subit des critiques parfois très dures
et doit faire face à la contestation au sein même de
son mouvement. Arafat y fait face de la façon la plus autoritaire,
en s’appuyant sur les éléments de sa garde prétorienne,
qui dissuadent les Palestiniens de parler à la presse ou
aux diplomates étrangers. Des opposants sont tabassés
par des « inconnus » à la moindre incartade,
enlevés à leur domicile et « interrogés
» ; des journalistes locaux sont emprisonnés, bref
une atmosphère lourde règne dans les enclaves autonomes.
Ainsi, l’Autorité palestinienne fit
fermer le quotidien An-Nahar, fin juillet 1994. Des hommes masqués
entrèrent dans les locaux du journal à Jérusalem-Est
et informèrent l’éditeur que l’Autorité
palestinienne interdisait la distribution du journal en Cisjordanie,
dans la bande de Gaza et à Jérusalem-Est. Aucune explication
officielle n’a été donnée. Personne ne
sait qui a pris la décision. Un communiqué de presse
de la sécurité intérieure déclara que
An-Nahar était fermé parce que c’était
un journal jordanien. L’Autorité palestinienne dira
que le problème était seulement technique, que le
journal avait besoin de renouveler sa licence. Outre que l’Autorité
palestinienne n’a aucune autorité pour prendre de telles
décisions, le ministre de la Justice affirme que la demande
de licence est issue des lois existantes, y compris des lois militaires
israéliennes de 1967, dont il est pour le moins curieux que
l’Autorité palestinienne se réclame en la matière.
Dans la mesure où l’Autorité palestinienne déclare
que la licence, qui avait expiré, avait été
délivrée par l’administration israélienne,
cela place la première comme exécuteur des décisions
officielles de la seconde...
An-Nahar et El Qods, un autre journal de Jérusalem-Est,
sont systématiquement saisis par la police « autonome
» à leur entrée à Gaza et les papiers
d’identité des distributeurs palestiniens confisqués.
Hanane Ashraoui, présidente de la Commission
des droits du citoyen palestinien, dénonce « une atmosphère
d’intimidation » à Gaza et à Jéricho.
« Plusieurs journalistes de Gaza, dont Taher Shriteh, qui
collabore avec les correspondants du Monde depuis des années
et qui fut emprisonné de nombreuses fois par les Israéliens,
ont été arrêtés, détenus pendant
plusieurs jours et relâchés après avoir signé
l’engagement de soumettre à l’Autorité
palestinienne toute information controversée. » (Le
Monde, 3 décembre 1994.)
On peut aussi citer le cas du docteur Eyad Sarraj,
un psychiatre de Gaza qui se trouve à la tête de la
Commission palestinienne indépendante pour les droits de
l’homme, et qui a été emprisonné plusieurs
fois parce qu’il avait dénoncé le caractère
oppressif de l’Autorité palestinienne. Il parlait d’arrestations
arbitraires, de torture qui créaient dans la population un
sentiment de « peur insurmontable ». Arrêté
le 18 mai 1996, il est relâché le 26 après l’intervention
de nombreux groupes de défense des droits de l’homme.
Alors, le docteur Sarraj fit l’erreur d’écrire
une lettre à Arafat, s’excusant de lui avoir causé
un tort personnel, mais réitérant ses accusations
de « corruption, de favoritisme et de torture dans les prisons
». Le 9 juin la police l’arrête encore, le tabasse
sérieusement et le met en confinement. Il est libéré
le 26 juin. Un porte-parole d’Arafat déclara qu’il
avait été interrogé pour avoir lancé
des « accusations mensongères contre le sentiment national
général et offense au président ».
Human Rights Watch, une organisation de défense
des droits de l’homme, publia un rapport le 3 octobre 1997
dénonçant les services de sécurité de
l’Autorité palestinienne pour leur usage de l’intimidation
et de la torture envers les suspects, entraînant le mort de
quatorze personnes en 1994. « Les trois premières années
de l’autonomie palestinienne ont été caractérisées
par des abus et des centaines de détentions arbitraires commis
par les innombrables services de sécurité, en violation
des droits élémentaires du détenu » indique
le rapport. Les personnes arrêtées ne comparaissent
jamais devant un tribunal et celles qui le sont font l’objet
d’un jugement expéditif. Le rapport s’en prend
aux Etats-Unis et à Israël qui « font pression
sur l’Autorité palestinienne afin qu’elle réprime
le violence anti-israélienne sans pour autant se soucier
des méthodes utilisées ». Les méthodes
expéditives de la police palestinienne sont considérées
comme un moindre mal tant que les opposants aux accords sont réprimés,
même ceux qui souhaiteraient le faire dans un cadre légal
et sans violence. Les autorités israéliennes sont
d’autant moins à même de reprocher à l’Autorité
palestinienne ses méthodes qu’elles ont légalisé
la torture.
Selon les ministres eux-mêmes participant
aux conseils hebdomadaires de l’Autorité, il n’y
a pas de mise aux voix, pas de procès-verbal, pas de débat.
Pourtant, même s’il ne dispose d’aucun pouvoir
effectif, le conseil législatif est une institution unique
dans le monde arabe, capable d’émettre des critiques
contre les méthodes de l’Autorité palestinienne.
Plusieurs députés du Fatah ont rédigé
un rapport sur la corruption (357 millions de dollars auraient été
détournés en un an...), qui n’a cependant été
suivi d’aucun effet. Le Conseil législatif a demandé
la démission de l’ensemble du gouvernement. Les parlementaires
reconnaissent qu’ils ne disposent pas des moyens pour obliger
la direction palestinienne à faire appliquer les lois qu’ils
votent. De nombreux élus revendiquent pour le Conseil le
droit de jouer un rôle direct dans les négociations
sur le statut finale de la Cisjordanie et de Gaza. Cette revendication
ne fait pas l’affaire des autorités israéliennes,
car elles signifient un transfert de la légitimité
nationale de l’OLP vers un organe élu plus représentatif
de la population. Or les accords d’Oslo désignent l’OLP
comme interlocuteur, non le Conseil législatif. D’une
certaine façon, il s’agit d’une négociation
dans laquelle c’est la puissance occupante qui a désigné
son interlocuteur...
On sait que Yasser Arafat est malade, mais la question
de sa succession est un sujet tabou. En principe des élections
auront lieu deux mois après son décès, s’il
meurt pendant son mandat, l’intérim étant assuré
par le président du Conseil législatif, mais la probabilité
est grande que le pouvoir réel sera assuré par les
services de sécurité, tout-puissants, avec un personnage
connu comme caution démocratique.
La corruption est dans doute un facteur aussi important,
sinon plus, que le blocage des négociations pour expliquer
la sympathie de l’opinion palestinienne envers les islamistes.
.
IV. – LA POLITIQUE ISRAÉLIENNE
Les grands projets politiques n’ont souvent
pas besoin d’être longuement analysés, parce
que leurs auteurs exposent sans détour leurs intentions réelles.
C’est particulièrement vrai dans deux textes qui exposent
le projet sioniste, l’un datant de 1923 dont l’auteur
est Wladimir Jabotinsky, l’autre écrit par un ancien
fonctionnaire du ministère israélien des affaires
étrangères nommé Oled Yinon et datant de 1982.
« LE MUR D’ACIER »
C’est le titre d’un livre écrit
par le fondateur du sionisme dit « révisionniste »,
c’est-à-dire un sionisme d’extrême droite
qui rejetait la façade libérale et sociale du sionisme
originel. Voici ce qu’il dit :
« Il ne peut être question d’une
réconciliation volontaire entre nous et les Arabes, ni maintenant
ni dans un futur prévisible. Toute personne de bonne foi,
mis à part les aveugles de naissance, a compris depuis longtemps
l’impossibilité complète d’aboutir à
un accord volontaire avec les Arabes de Palestine pour la transformation
de la Palestine d’un pays arabe en un pays à majorité
juive. Chacun d’entre vous a une compréhension globale
de l’histoire de la colonisation. Essayez de trouver un seul
exemple où la colonisation d’un pays s’est faite
avec l’accord de la population autochtone. Ça ne s’est
produit nulle part.
« Les autochtones combattront toujours obstinément
les colonisateurs – et c’est du pareil au même
qu’ils soient civilisés ou non. Les compagnons d’armes
de Hernan Cortez ou de Francisco Pizarre se sont conduits comme
des brigands. Les Peaux-Rouges ont combattu avec ferveur et sans
compromis les colonisateurs au bon cœur comme les méchants.
Les indigènes ont combattu parce que toute forme de colonisation
n’importe où à n’importe quelle époque
est inacceptable pour le peuple indigène.
« Tout peuple indigène considère
son pays comme sa patrie, dont il veut être totalement maître.
Il ne permettra pas de bon gré que s’installe un nouveau
maître. Il en est ainsi pour les Arabes. Les partisans du
compromis parmi nous essaient de nous convaincre que les Arabes
sont des espèces d’imbéciles que l’on
peut tromper avec des formulations falsifiées de nos buts
fondamentaux. Je refuse purement et simplement d’accepter
cette vision des Arabes palestiniens.
« Ils ont exactement la même psychologie
que nous. Ils considèrent la Palestine avec le même
amour instinctif et la ferveur véritable avec laquelle tout
Aztèque considérait Mexico ou tout Sioux sa prairie.
Tout peuple combattra les colonisateurs jusqu’à ce
que la dernière étincelle d’espoir d’éviter
les dangers de la conquête et la colonisation soit éteinte.
Les Palestiniens combattront de cette façon jusqu’à
ce qu’il n’y ait pour ainsi dire plus une parcelle d’espoir.
« Peu importe les mots que nous utilisons
pour expliquer notre colonisation. La colonisation a sa propre signification
intégrale et inévitable qui est comprise par tous
les Juifs et tous les Arabes. La colonisation n’a qu’un
but. C’est dans la nature des choses. Changer cette nature
est impossible. Il était nécessaire de mener la colonisation
contre la volonté des Arabes palestiniens et cette nécessité
existe aujourd’hui de la même manière. Même
un accord avec les non-Palestiniens est une lubie du même
type. Pour que les nationalistes arabes de Bagdad, de La Mecque
et de Damas acceptent de payer un tel prix, il faudrait qu’ils
refusent de maintenir le caractère arabe de la Palestine.
« Nous ne pouvons offrir aucune compensation
contre la Palestine, ni aux Palestiniens ni aux Arabes. Par conséquent,
un accord volontaire est inconcevable. Toute colonisation, même
la plus réduite, doit se poursuivre au mépris de la
volonté de la population indigène. Et donc, elle ne
peut se poursuivre et se développer qu’à l’abri
du bouclier de la force, ce qui veut dire un Mur d’acier que
la population locale ne pourra jamais briser. Telle est notre politique
arabe. La formuler de toute autre façon serait de l’hypocrisie.
« Que ce soit au travers de la déclaration
Balfour ou au travers du mandat, l’exercice d’une force
étrangère est une nécessité pour établir
dans le pays les conditions d’un pouvoir et d’une défense
par lesquels la population locale, quels que soient ses désirs,
soit privée de la possibilité d’empêcher
la colonisation, par des moyens administratifs ou physiques. La
force doit jouer son rôle – brutalement et sans indulgence.
De ce point de vue, il n’y a pas de différence significative
entre nos militaristes et vos végétariens. Les uns
préfèrent un Mur d’acier fait de baïonnettes
juives, les autres un Mur d’acier constitué de baïonnettes
anglaises.
« Au reproche habituel selon lequel ce point
de vue est immoral, je réponds “absolument pas”.
C’est notre morale. Il n’y a pas d’autre morale.
Aussi longtemps qu’il y aura la moindre étincelle d’espoir
pour les Arabes de nous résister, ils n’abandonneront
pas cet espoir, ni pour des mots doux ni pour des récompenses
alléchantes, parce qu’il ne s’agit pas d’une
tourbe mais d’un peuple, d’un peuple vivant. Et aucun
peuple ne fait de telles concessions sur de telles questions concernant
son sort, sauf lorsqu’il ne reste aucun espoir, jusqu’à
ce que nous ayons supprimé toute ouverture visible dans le
Mur d’acier [77]. »
Ce texte a le mérite d’être extrêmement
explicite, et il est frappant de constater qu’il n’y
transparaît aucun mépris pour les Palestiniens. Ce
sont des adversaires qu’il faut battre et Jabotinsky le dit
sans hypocrisie, ce qui ne sera pas le cas des dirigeants israéliens
après la fondation de l’Etat, qui nieront l’existence
même d’un peuple palestinien, ce que ne fait pas du
tout Jabotinsky. La lecture de ce texte ne laisse par ailleurs aucune
ambiguïté sur le caractère colonial du projet
sioniste.
Oled Yinon est lui aussi dénué de
toute hypocrisie et expose son projet très clairement. Son
texte a été publié en février 1982 ;
Israël envahissait le Liban en juin.
« STRATEGIE POUR ISRAEL »
La politique israélienne se caractérise
par un certain nombre de constantes, qu’elle soit menée
par la droite ou par la gauche. On a coutume de penser que cette
politique est motivée par la nécessité de survivre
face à un environnement hostile. En réalité
cela va beaucoup plus loin, comme le révèle un article,
intitulé « La stratégie pour Israël pour
les années quatre-vingts », écrit par Oled Yinon,
ancien fonctionnaire du ministère israélien des affaires
étrangères [78], et publié par le département
de la Propagande de l’Organisation sioniste mondiale, de Jérusalem.
Cet article a le mérite de dire les choses explicitement
et d’éclairer singulièrement la stratégie
de l’Etat israélien dans la région. Si certains
points de cette stratégie, élaborée au début
des années quatre-vingts, sont aujourd’hui dépassés,
on y voit comment, soutenus par la puissance formidable de l’impérialisme
américain, les nationalistes israéliens les plus extrémistes
entendent, de ce petit Etat de 5,5 millions d’habitants [79],
déstabiliser l’ensemble du monde arabe. On voit aussi
à quel point la stratégie expansionniste d’Israël
s’appuie sur les contradictions internes du monde arabe, que
l’article révèle très clairement.
D’abord un constat : le monde islamique est
incapable de résoudre ses problèmes fondamentaux et
par conséquent ne peut être une véritable menace
pour Israël à long terme ; il l’est cependant
à court terme, en raison de sa puissance militaire. A long
terme, le Moyen-Orient ne pourra pas survivre dans ses structures
actuelles sans passer par des transformations révolutionnaires.
« Le monde arabe n’est qu’un château de
cartes construit par des puissances étrangères (...)
au mépris des aspirations des autochtones. »
Les divisions confessionnelles, sociales et politiques,
linguistiques et ethniques du monde arabo-musulman sont passées
en revue pour souligner l’incapacité des gouvernements
à faire face à une crise interne. « Telle est
la triste situation de fait, la situation troublée des pays
qui entourent Israël. C’est une situation lourde de menaces,
de dangers, mais aussi riche de possibilités, pour la première
fois depuis 1967. » Ces chances, qui n’ont pas été
saisies dans le passé, peuvent se représenter «
dans une ampleur que nous ne pouvons pas imaginer aujourd’hui
». Il s’agit, évidemment, de l’expansion
territoriale. En effet, la politique de paix, la restitution des
territoires « sous la pression des Etats-Unis, excluent cette
chance qui s’offre à nous », dit Yinon. «
Depuis 1967, les gouvernements successifs d’Israël ont
subordonné nos objectifs nationaux à d’étroites
urgences politiques, à une politique intérieure stérilisante
qui nous liait les mains aussi bien chez nous qu’à
l’étranger. »
L’Egypte
Parmi les objectifs prioritaires mentionnés
par notre stratège, il est « d’importance vitale
pour nous de regagner le Sinaï, avec ses ressources, exploitées
et potentielles » (il s’agit évidemment du pétrole).
« C’est pour nous un objectif politique prioritaire,
que les accords de Camp David et les accords de paix nous empêchent
de poursuivre », accords de paix que l’auteur qualifie
plus loin de « malencontreux ».
Il faut donc « reprendre le Sinaï en
tant que réserve stratégique, économique et
énergétique à long terme »... La voie
directe, c’est-à-dire l’occupation pure et simple,
n’est pas possible, à moins que l’Egypte «
fournisse à Israël un prétexte » pour le
faire. Il faut donc employer la voie indirecte, en profitant de
l’effritement économique du pays et de ses tensions
intérieures. « L’Egypte, dans sa configuration
intérieure actuelle, est déjà moribonde, et
plus encore si nous prenons en compte la rupture entre chrétiens
et musulmans, qui va croissant. Démanteler l’Egypte,
amener sa décomposition en unités géographiques
séparées : tel est l’objectif politique d’Israël
sur son front occidental, dans les années quatre-vingts.
» Si l’Egypte se désagrège, la Libye,
le Soudan ne pourront plus se maintenir, et même des pays
plus éloignés ; ils « accompagneront l’Egypte
dans sa chute et sa dissolution. On aura alors un Etat chrétien
copte en Haute-Egypte, et un certain nombre d’Etats faibles,
au pouvoir très circonscrits, au lieu du gouvernement centralisé
actuel ; c’est le développement historique logique
et inévitable à long terme, retardé seulement
par l’accord de paix de 1979. »
Le Liban et la Syrie
Yinon n’en reste pas à l’Egypte,
évidemment. En effet, selon lui « la décomposition
du Liban en cinq provinces préfigure le sort qui attend le
monde arabe tout entier, y compris l’Egypte, la Syrie, l’Irak
et toute la péninsule arabe ; au Liban, c’est déjà
un fait accompli. La désintégration de la Syrie et
de l’Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes,
comme au Liban, est l’objectif prioritaire d’Israël,
à long terme, sur son front est ; à court terme, l’objectif
est la dissolution militaire de ces Etats. [Commentaire : que signifie
“dissolution militaire d’un Etat” ? Son écrasement
par des opérations militaires ?] La Syrie va se diviser en
plusieurs Etats, suivant les communautés ethniques, de telle
sorte que la côte deviendra un Etat alaouite chi’ite
; la région d’Alep, un Etat sunnite ; à Damas,
un autre Etat sunnite hostile à son voisin du nord ; les
Druzes constitueront leur propre Etat, qui s’étendra
sur notre Golan peut-être, et en tout cas dans le Haourân,
et en Jordanie du Nord. Cet Etat garantira la paix et la sécurité
dans la région, à long terme ; c’est un objectif
qui est dès à présent à notre portée.
»
L’Irak
« En Irak, 65 % de la population [les chi’ites]
n’ont aucune part aux décisions politiques ; le pouvoir
est aux mains d’une classe gouvernante représentant
20 % de la population, plus une forte minorité kurde dans
le nord du pays. N’étaient son régime fort,
son armée et sa richesse pétrolière, le sort
de ce pays serait analogue à celui du Liban hier, de la Syrie
aujourd’hui. Les germes de dissension interne et de guerre
civile apparaissent déjà, surtout depuis la prise
du pouvoir en Iran par Khomeiny, en qui les chi’ites voient
leur chef naturel. »
L’Irak est « un terrain de choix pour
l’action d’Israël ». Il est riche en pétrole
et en proie à de graves dissensions internes. « Le
démantèlement de ce pays nous importe plus encore
que celui de la Syrie. L’Irak est plus fort que la Syrie ;
à court terme, le pouvoir irakien est celui qui menace le
plus la sécurité d’Israël. » C’est
pourquoi l’auteur appelle de ses vœux une guerre entre
l’Irak et la Syrie, ou entre l’Irak et l’Iran,
qui désintégrera l’Etat irakien. « Tout
conflit à l’intérieur du monde arabe nous est
bénéfique à court terme, et précipite
le moment où l’Irak se divisera en fonction de ses
communautés religieuses, comme la Syrie et le Liban. »
Trois Etats pourront ainsi se constituer autour des villes principales
de Bagdad, Mossoul et Bassorah.
La Jordanie
La Jordanie est un « objectif stratégique
à court terme » (apparemment, tout est un objectif
stratégique à court terme). Lorsque se terminera le
« trop long règne du roi Hussein », le pays se
désintégrera, sera remplacé par un pouvoir
palestinien et ne constituera plus une menace pour Israël (pourquoi
? mystère...). La tactique d’Israël sur le plan
militaire ou diplomatique doit être de liquider le régime
jordanien et de « transférer le pouvoir à la
majorité palestinienne ».
« Ce changement de régime en Jordanie
résoudra le problème des territoires Cisjordaniens
à forte population arabe ; par la guerre ou par les conditions
de paix, il devra y avoir déportation des populations de
ces territoires, et un strict contrôle économique et
démographique – seuls garants d’une complète
transformation de la Cisjordanie comme de la Transjordanie. A nous
de tout faire pour accélérer ce processus et le faire
aboutir dans un proche avenir. »
Il faut donc rejeter le plan d’autonomie et
toute proposition de compromis, de partage des territoires. «
Il n’y aura de véritable coexistence pacifique dans
ce pays que lorsque les Arabes [Yinon parle sans doute des Palestiniens]
auront compris qu’ils ne connaîtront ni existence ni
sécurité qu’une fois établie la domination
juive depuis le Jourdain jusqu’à la mer. Ils n’auront
une nation propre et la sécurité qu’en Jordanie.
»
L’idée selon laquelle la Jordanie était
le pays dans lequel devaient naturellement s’installer les
Palestiniens a longtemps été pour les autorités
israéliennes le point central de la solution du problème
des réfugiés qui s’obstinaient à réclamer
le droit au retour. Dans un sens ils n’avaient pas tort, dans
la mesure où 65 % de la population jordanienne est d’origine
palestinienne. L’éventualité d’une déportation
massive des Palestiniens vers la Jordanie a été sérieusement
envisagée. Evidemment, le roi Hussein de Jordanie a vécu
dans la terreur que cette solution soit mise en œuvre, car
elle signifiait la liquidation de son régime, et toute sa
politique a consisté à essayer de l’empêcher.
Au début de la guerre du Golfe, le Wall Street Journal écrivait
: « Dans une interview, il y a six semaines, le roi Hussein
de Jordanie était visiblement traumatisé parce qu’il
envisageait la possibilité d’une guerre au Proche-Orient,
à l’instigation d’Israël. Israël, disait-il,
cherche un prétexte pour renverser son royaume et le transformer
en une patrie pour les Palestiniens qui seraient chassés
d’Israël afin de faire place aux Juifs soviétiques.
Il disait que les risques de guerre étaient plus grands que
jamais depuis les trente-sept ans de son règne. » (The
Wall Street Journal, 16 août 1990, « Jordan’s
King Is Played for a Fool ».
Le problème des « Arabes autochtones
» ne recevra de solution que lorsqu’ils reconnaîtront
que la présence d’Israël dans les zones de sécurité
jusqu’au Jourdain « et au-delà » constitue
une nécessité vitale pour les Israéliens, «
dans l’ère nucléaire que nous allons vivre ».
Il faut que la population israélienne, à cause du
danger nucléaire, soit dispersée : la Judée,
la Samarie, la Galilée – c’est-à-dire
les territoires occupés – « sont nos seules garanties
d’existence nationale ». (Yinon n’envisage pas
que c’est Israël qui est un danger pour les autres pays
de la région, car c’est le seul à détenir
l’arme nucléaire.) Il faut que les Juifs s’implantent
de façon majoritaire dans les zones montagneuses, coloniser
tout le versant de la montagne qui s’étend depuis Birsheba
jusqu’en Haute-Galilée (c’est-à-dire le
Golan, pris à la Syrie), « coloniser la montagne qui
jusqu’à présent est vide de Juifs ».
Ce texte appelle plusieurs commentaires. Il reprend
une argumentation qui revient systématiquement dans la presse
israélienne, selon laquelle les gouvernements israéliens
successifs ont lié la politique de leur pays aux intérêts
étrangers ; les puissances occidentales, et en particulier
les Etats-Unis, empêcheraient Israël d’avoir une
politique de défense efficace et entraveraient son action.
Pour Yinon, les accords de Camp David sont une erreur car ils empêchent
Israël de réaliser son projet de division du monde arabe
et d’extension territoriale. Il « oublie » qu’Israël
ne peut survivre que grâce aux 3 milliards de dollars de dons
annuels accordés par le gouvernement américain : la
part d’Israël représente 50 % du total de l’aide
américaine au tiers monde... Il « oublie » que
les « malheureux » accords de camp David ont neutralisé
l’Egypte en tant que protagoniste du conflit israélo-arabe,
ce qui a permis à Israël d’intégrer les
territoires occupés et d’attaquer le Liban avec le
soutien accru des Etats-Unis. L’analyste israélien,
Avner Yaniv, cité par Chomsky, écrit que la mise à
l’écart de l’Egypte eut pour effet de «
laisser le champ libre à Israël pour mener des opérations
militaires contre l’OLP au Liban et poursuivre le peuplement
de la Cisjordanie » [80].
Yinon reste cependant cohérent avec ses propres
positions. Il reconnaît que le projet d’expansion territoriale
d’Israël nécessiterait une profonde transformation
de la structure politique et économique du pays. Il faut
liquider l’économie centralisée d’Israël
et créer une réelle économie de marché,
ce qui permettrait, dit-il, « de nous affranchir de notre
dépendance à l’égard du contribuable
américain » et développer une infrastructure
productive indépendante. Ces idées correspondent tout
à fait aux options de Netanyahou, fervent libéral.
Israël est le seul Etat inconditionnellement
pro-occidental – par intérêt autant, sinon plus
que par idéologie – au Moyen-Orient. Et le seul intérêt
qu’ont les Américains au Moyen-Orient est le pétrole.
Il ne faut, à notre avis, voir nulle part ailleurs le lien
qui unit l’Etat hébreu aux Etats-Unis. Le lobby pro-israélien
a beau être invoqué par ses adversaires qui le présentent
comme un épouvantail, ou par ses propres membres qui vantent
sa puissance, il y a peu de chance que les stratèges américains
continueraient à soutenir cet Etat s’ils n’y
avaient pas intérêt. En 1956, le président Eisenhower
avait mis à exécution ses menaces de coupure de crédits,
menace qui avaient été immédiatement suivies
d’effet. Si, aujourd’hui, l’administration américaine
n’emploie pas la même méthode pour régler
la question palestinienne, ce n’est pas au « lobby juif
» qu’il faut l’imputer, mais à une volonté
politique. Israël, selon David Niles, l’associé
du président Truman, est « une sorte de porte-avions
stationnaire pour la protection des intérêts américains
en Méditerranée et au Moyen-Orient ». L’expression
d’un secrétaire à la Défense, Melvin
Laird, est peut-être plus triviale, mais tout aussi imagée
: Israël joue le rôle de « flic en patrouille ».
Le règlement politique de la question palestinienne
ne présente aux yeux de l’administration américaine
aucun intérêt, dans la mesure ou ce conflit entretient
la division dans le monde arabe, encourage les achats d’armes
et garantit le contrôle occidental sur l’approvisionnement
en pétrole et sur la rente pétrolière.
LE CRIME CAPITAL DE RABIN
Dans les années soixante-dix, un auteur israélien,
Marc Hillel, écrivait que Israël était en «
danger de paix », signifiant par là que la paix avec
les Arabes était plus dangereuse pour la cohésion
de l’Etat juif que la poursuite indéfinie de l’état
de guerre et le maintien d’une mentalité d’assiégés
dans la population.
Alain Dieckhoff dit la même chose : «
Depuis le plan de partage de 1947 et la création de l’Etat
d’Israël, en 1948, la société israélienne
avait trouvé sa cohésion face à la menace extérieure.
» Mais on pourrait dire la même chose des Etats arabes.
On peut imaginer les effets pervers que peut provoquer une période
ininterrompue de cinquante ans de menace extérieure sur une
population. Grâce aux « nouveaux historiens »
israéliens, on sait aujourd’hui qu’Israël,
dans les premières années de la fondation de l’Etat,
avait refusé à plusieurs reprises des ouvertures venant
des pays arabes : la priorité était à l’annexion
de territoires expurgés de leurs habitants arabes. Shamir
avait déclaré un jour qu’entre Yasser Arafat
et Fayçal Husseini, le plus dangereux était le second.
Arafat représentait aux yeux de l’opinion publique
israélienne le terroriste intransigeant œuvrant de l’étranger
à la destruction d’Israël, tandis que Husseini
était le bourgeois palestinien modéré de Jérusalem
prêt à négocier – perspective inacceptable.
On imagine à quel point les contradictions
internes de la société israélienne ont dû
être contenues, réprimées par le sentiment de
menace extérieure permanente. La perspective d’une
paix avec les voisins arabes peut créer une sensation de
vide, de panique. Les couches dominantes de la société
israélienne peuvent également craindre une brusque
libération des contradictions jusque-là contenues
: « Un processus qui conduirait à la paix ferait apparaître
les contradictions internes de cette société »,
dit encore Alain Dieckhoff [81].
Rabin a contribué à modifier cette
attitude, et c’est sans doute pour cela qu’il a été
assassiné. Il a commencé à faire accepter l’idée
de paix auprès de l’opinion publique israélienne.
Son meurtrier, Yigal Amir, l’accusait de trahison. Rabin avait
livré le Grand Israël à l’ennemi, il prônait
le « mélange » avec les citoyens arabes du pays
et était responsable de la « dégénérescence
» d’Israël. Avant le meurtre, Amir avait déclaré
à un policier du service d’ordre que la moitié
des manifestants étaient des Arabes, ce qui était
loin d’être le cas.
Avec Rabin, « la droite israélienne
comprend que le Grand Israël est condamné », dit
Amnon Kapeliouk dans Rabin, un assassinat politique. Rabin était
un pragmatique qui avait saisi les limites au-delà desquelles
l’Etat d’Israël ne pouvait plus aller dans l’effort
de répression et d’oppression. Il avait cassé
le mythe du Grand Israël allant du Jourdain à la Méditerranée.
C’était un nationaliste au sens moderne du mot. Son
nationalisme n’était pas tribal ou ethnique mais fondé
sur une nation constituée de citoyens. Méthodiquement,
froidement, il essayait simplement de faire en sorte qu’il
y ait le moins possible de Palestiniens dans l’Etat d’Israël.
Israël comme nation incluait un million d’Arabes
israéliens. Rabin n’était pas parvenu à
cette conclusion de gaieté de cœur, mais c’était
un moindre mal. Lorsque le 5 octobre 1995 est voté au Parlement,
à 61 voix contre 59, l’accord avec l’OLP prévoyant
le redéploiement de l’armée et l’extension
de l’autonomie palestinienne, ce sont les votes des députés
arabes qui ont fait pencher la balance, à la fureur de la
droite et des orthodoxes. Pour la première fois sans doute,
ce n’était pas une arithmétique ethnique qui
avait joué, mais une arithmétique démocratique
au sens le plus banal du mot. Pour la première fois, les
Palestiniens d’Israël se voyaient reconnaître un
droit national sur la terre d’Israël, puisqu’ils
avaient participé à un vote qui pouvait aboutir à
une modification de ses frontières. Pour la première
fois, était reconnu que les droits des Juifs n’y étaient
pas exclusifs. Là se trouve le crime capital d’Itzhak
Rabin.
Pourtant, Amir, l’assassin de Rabin, n’avait
pas compris que ce dernier ne cédait en réalité
presque rien aux Palestiniens. Un porte-parole de l’organisation
pacifiste la Paix maintenant, déclara dans un entretien à
la radio israélienne que « sur le terrain, la politique
actuelle [celle de Rabin] est équivalente à celle
que menait le Likoud » [82]. En effet, la colonisation se
poursuivait frénétiquement pendant les négociations
et atteignait en 1995 un niveau record : 6 000 logements sans compter
les milliers d’appartements autour de Jérusalem.
Le général Ariel Sharon, membre du
Likoud et un des organisateurs de l’invasion du Liban en 1982,
disait : « Certaines personnes à l’étranger
pensent que Rabin a beaucoup cédé aux Palestiniens.
Il n’en est rien. Il fait ces choses avec ruse [83]. »
Avant d’être le successeur de Shamir
et de reprendre le dossier des accords de paix, Itzhak Rabin a d’abord
été l’un des principaux artisans de la conquête
de terres palestiniennes en 1967, le partisan de la répression
à outrance de l’Intifada. Converti par pragmatisme
à la paix, il a fait tout ce qu’il pouvait pour que
ce soit une paix israélienne, en retardant systématiquement
l’application des mesures partielles signées, en remettant
à plus tard chaque point qui aurait pu amener à des
concessions de sa part. Il a aussi été celui qui a
continué, pendant les négociations, l’implantation
de colons juifs dans les territoires occupés.
Pour comprendre comment Itzhak Rabin a pu être
assassiné par un membre de la communauté juive d’origine
yéménite, un retour en arrière s’impose.
Le projet sioniste d’Etat juif en Palestine
était un projet essentiellement ashkénaze, c’est-à-dire
qui concernait les Juifs d’Europe. Les premiers dirigeants
sionistes s’attendaient à voir déferler en Israël
les Juifs d’Europe (Cf. chapitre II, A). HHhhhhLe déficit
de population du nouvel Etat risquait de tourner à la catastrophe.
Avant la création de l’Etat d’Israël, les
Juifs orientaux n’étaient pas considérés
comme bienvenus par les sionistes. Lorsque des pogroms éclatent
en Irak, au début des années vingt, puis en 1942,
les Juifs de ce pays se voient refuser l’entrée en
Palestine par l’Organisation sioniste mondiale. En 1948, le
ministère israélien de l’Intérieur fait
cesser toute immigration de Juifs arabo-orientaux et déclare
: « Il faut se rappeler que le sionisme a été
créé pour résoudre les problèmes des
Juifs d’Europe » (Yemini B.D. « Ils ne conviennent
pas au rêve sioniste », Politica, mai 1988 [en hébreu].
– Cité par Maurice Jacobi [84].)
Les sépharades ne seront les bienvenus que
plus tard, lorsque le problème démographique imposera
à l’Etat israélien l’importation de Juifs
orientaux. « La plupart des Juifs irakiens, dont la situation
était dans l’ensemble satisfaisante, hésitaient
à répondre aux appels pressants des émissaires
d’Israël à immigrer. Début 1951, l’explosion
d’une bombe à Bagdad fait deux morts et plusieurs dizaines
de blessés. Après quoi 100 000 Juifs irakiens décident
de gagner la Terre promise. L’attentat, non revendiqué,
a parfois été attribué à des agents
israéliens. Ce que le gouvernement israélien a toujours
nié formellement [85]. »
Il y eut une exception en 1936 : lorsque les Palestiniens
organisèrent une grève générale, on
permit à 15 000 Juifs yéménites de venir remplacer
les ouvriers palestiniens dans les orangeraies des propriétaires
juifs. Aujourd’hui, les Juifs orientaux représentent
une large majorité de la population d’Israël.
Le changement de la politique du gouvernement israélien
a été imposé en 1949 par l’absence d’enthousiasme
des Juifs d’Europe et d’Amérique à émigrer
en Israël, et par le besoin de fournir, d’une part, à
l’armée, la masse des soldats nécessaires à
la politique militaire du pays, d’autre part à l’économie,
le petit personnel d’encadrement d’un prolétariat
constitué essentiellement de Palestiniens (et aujourd’hui
de plus en plus constitué de ressortissants du tiers monde,
Philippins, etc.).
Ces Juifs orientaux, dont le mode de vie était
trop proche de celui des Arabes, étaient venus avec leur
clergé. Leurs rabbins prônaient pour la plupart la
coexistence avec les musulmans. Ils constituaient donc pour des
hommes comme Ben Gourion et les autres dirigeants sionistes un obstacle
à la transformation de ces nouveaux immigrants en chair à
canon pour les projets expansionnistes de l’Etat. La plupart
de ces rabbins furent donc démis de leurs fonctions, et ceux
qui furent maintenus – payés avec un salaire inférieur
de moitié à celui des rabbins ashkénazes –
furent placés sous l’autorité du ministère
des Cultes dirigé par des rabbins ashkénazes fanatiques
et ultra-nationalistes. Une nouvelle génération de
rabbins d’origine orientale fut ainsi formée à
la haine des Palestiniens, avec plein salaire, cette fois.
Le quadruplement du territoire israélien
en 1967, après la guerre des Six Jours, va poser le problème
de l’occupation de l’espace ainsi acquis, dans la perspective
de son futur rattachement à Israël. Le mouvement des
kibboutz était en crise, les pionniers ne se bousculaient
pas. L’installation de milliers de Juifs arabo-orientaux sur
les terres fertiles conquises aux Palestiniens en Cisjordanie n’était
pas envisageable. Une nouvelle formule fut trouvée : on implanta
des colons ashkénazes fanatiques religieux, dont le projet
n’était pas la production agricole, mais l’occupation
de la terre et le contrôle de la population palestinienne.
Quelques étapes marquent cette évolution
:
– 1968 : colonisation, par les travaillistes,
de l’ancien quartier juif de Hébron et création
de l’implantation ultra-orthodoxe de Kiryat Arba. C’est
là que vivait Baruch Goldstein, qui massacra le 25 février
1994 vingt-neuf musulmans au tombeau des Patriarches. Bien d’autres
implantations de ce type existent en Cisjordanie.
– La création de colonies ultra-orthodoxes
se multiplia considérablement à partir de 1977 après
l’accession au pouvoir par le Likoud de Menahem Begin, puis
de Yitzhak Shamir. Les colons, armés, font régner
la terreur chez les Palestiniens.
Alors que les kibboutz contribuaient au moins pour
une part à l’alimentation de la population israélienne,
les colons d’aujourd’hui sont dans une position totalement
parasitaire : ils ne travaillent pas et ne vivent que grâce
à l’argent occidental, principalement américain.
Le mouvement des kibboutz avait traditionnellement
fourni à l’armée son personnel d’encadrement,
ses cadres techniques, ses pilotes, ses généraux.
Cette tendance a complètement disparu aujourd’hui.
Ceux qui vont remplir cette fonction, ce sont désormais les
jeunes séminaristes fanatiques.
Ces colons devinrent très vite une force
politique autonome, indépendante du jeu politique, soumise
aux rabbins ultra-orthodoxes opposés au processus de paix,
et pour laquelle la légitimité religieuse l’emporte
sur la légitimité politique issue des élections.
La plupart de ces colons sont de jeunes séminaristes
dont la croissance en Israël est impressionnante : ils étaient
moins de 10 000 en 1948, et plus de 100 000 aujourd’hui. Dispensés
du service militaire de trois ans auquel sont astreints les autres
citoyens israéliens, ils vivent néanmoins armés
dans les territoires occupés. Ils peuvent cependant étudier
dans des « séminaires d’arrangement » avec
l’armée, qui lient pendant cinq ans l’étude
des textes sacrés à un entraînement militaire
intensif. Il n’y a aucun contrôle sur ce qui se passe
dans ces séminaires. Dans le programme de ces séminaires
figure notamment l’histoire militaire et l’idéologie
d’extrême droite avec une prédilection pour les
Combattants pour la liberté d’Israël (le Lehi,
plus connu sous le nom de groupe Stern) dont Yitzhak Shamir fut
un des dirigeants.
Les loubavitch, la secte la plus puissante et la
plus riche du judaïsme hassidique, et qui fournit aux colonies
de Gaza et de Cisjordanie argent et immigrants, s’introduisaient
dans les casernes pour inciter les soldats à refuser tout
ordre de démantèlement de certaines colonies juives.
Itzhak Rabin, apprenant cela, leur avait interdit l’entrée
des casernes en dehors des périodes de fêtes. Lorsque
Shimon Pérès se présenta aux élections,
après la mort de Rabin, ils dépensèrent des
millions de dollars pour le déstabiliser. On est loin de
l’apolitisme que ce mouvement professe.
Yigal Amir, l’assassin de Itzhak Rabin, était
un des séminaristes évoqués précédemment,
dont la structure mentale et le projet de société
diffèrent peu de ses collègues talibans d’Afghanistan.
L’université de Bar Ilan à Ramat
Gan est un des principaux foyers de l’orthodoxie en Israël,
de l’endoctrinement et de la propagande en faveur d’un
Etat théocratique dans lequel seuls les Juifs mâles
auront les droits que peut accorder un tel Etat à ses citoyens,
les femmes étant reléguées à la cuisine
et au lit. Plusieurs projets de « Constitution orthodoxe »
ont été étudiés à Bar Ilan, et
des séminaires ont été organisés pour
déterminer si Rabin et ses collaborateurs devaient être
considérés comme « persécuteurs de Juifs
» dont la mort devait être sanctionnée par quelque
décret talmudique. Yigal Amir a étudié dans
cette université.
Les véritables meurtriers de Rabin sont les
rabbins qui ont incité le jeune séminariste au meurtre.
L’arrestation d’un rabbin n’est évidemment
pas concevable. Le gouvernement Pérès aurait dû
alors affronter à la fois un soulèvement des colons
des implantations ultra-orthodoxes et l’opposition des unités
combattantes de l’armée, elles-mêmes largement
constituées de colons fondamentalistes : on voit à
quel point les intégristes juifs forment un élément
déterminant de l’appareil de contrôle israélien
sur les populations palestiniennes.
Les médias ont largement répercuté
des déclarations d’Israéliens choqués
par l’assassinat de Rabin, parce que, disent-ils, la tradition
veut qu’« un Juif ne tue pas un Juif ». L’idée,
en elle-même assez curieuse, voudrait par conséquent
que les Juifs soient foncièrement différents des autres,
et fait bon marché de l’histoire, riche en luttes sanglantes
entre factions juives rivales. On passera sur l’implicite
d’une telle idée : si un Juif ne doit pas tuer un Juif,
qu’en est-il pour les non-Juifs ?
Il va de soi que de telles déclarations ne
sont pas fondées. L’histoire de la création
de l’Etat d’Israël – comme celle de tout
Etat – est parcourue d’assassinats politiques, notamment
de dirigeants Juifs eux-mêmes :
– 1924. – Jakob Israel de Haan, porte-parole
d’un petit parti religieux ultra-orthodoxe, est tué
en sortant d’une synagogue de Jaffa Street, à Jérusalem-Ouest.
Les assassins ne furent jamais pris. On pense qu’ils agissaient
sous les ordres de la Haganah, organisation paramilitaire précurseur
de Tsahal, l’armée israélienne. Les dirigeants
de l’establishment sioniste considéraient que de Haan
était dangereux parce qu’il s’opposait à
la croissance du mouvement sioniste en Palestine.
– 1933. – Haïm Arlosoroff est tué
à côté de sa femme sur une plage de Tel-Aviv
le 16 juin 1933. C’était un membre travailliste de
l’exécutif sioniste chargé du département
politique. Arlosoroff tentait de faire émigrer les Juifs
d’Allemagne et de faire transférer en Palestine une
partie de leurs biens. Les suspects, désignés par
les travaillistes, étaient deux membres d’une organisation
nationaliste d’extrême droite opposée à
ses vues modérées. Ils furent acquittés par
un tribunal britannique. Un des inspecteurs qui enquêta sur
le meurtre déclara avant de mourir que le parti travailliste
savait que l’extrême droite n’était pas
impliquée dans le meurtre, suggérant qu’il s’agissait
d’un règlement de comptes interne au parti de Ben Gourion.
– 1943. – Eliahu Giladi, un «
tueur charismatique » (International Herald Tribune du 7-11-95)
du petit groupe clandestin des Combattants pour la liberté
d’Israël, plus connu sous le nom de « groupe Stern
», préparait l’assassinat de David Ben Gourion
et d’autres leaders sionistes modérés. Giladi
fut tué d’une balle dans le dos sur une plage du sud
de Tel-Aviv par un de ses collègues. Le meurtre avait été
ordonné par le leader du groupe et par le proche ami de Giladi,
Yitzhak Shamir [86], qui devait devenir Premier ministre et qui
reconnut, dans ses Mémoires, le rôle qu’il avait
joué. Certains disent même que c’est lui qui
avait appuyé sur la détente. Les partisans de Ben
Gourion coopérèrent avec les autorités britanniques
pour pourchasser les membres du groupe Stern pendant la Seconde
guerre mondiale.
– 1948. – Ben Gourion, Premier ministre
du nouvel Etat hébreu, ordonna à Itzhak Rabin, jeune
militaire, de tirer sur l’Altalena, un bateau qui apportait
des armes au groupe dissident de Menahem Begin. Le combat dura dix
heures sur la plage de Tel-Aviv et quinze personnes furent tuées
avant que les forces de Begin ne se rendent.
– 1983. – Bien d’autres actes
de violence eurent lieu. Le plus traumatisant fut le meurtre d’un
partisan de la paix, Emil Grunzweig, tué par une grenade
lancée dans la foule lors d’une manifestation contre
la politique du gouvernement israélien au Liban.
– 1995. – On pourrait également
mentionner la liesse que déclencha l’assassinat de
Rabin dans les milieux intégristes Juifs.
La guerre des Six jours avait déclenché
l’extrémisme nationaliste en Israël. Les Juifs
religieux virent la main de Dieu dans la libération d’Israël
de ses ennemis arabes, dans la restauration de l’unité
de Jérusalem et dans la conquête de la rive Ouest,
la terre biblique de Judée et de Samarie où le judaïsme
a ses racines.
Après la guerre se développa le mouvement
qui établit plus de 100 colonies avec plus de 120 000 colons.
Une nouvelle sorte de fanatisme apparut, qui mélangea la
ferveur messianique et le nationalisme de telle façon que
même Shamir finit par trouver cela dangereux.
Des fanatiques apparurent, tels le rabbin Meir Kahane,
qui prêchait la haine des Arabes mais qui gardait ses discours
les plus violents contre les Juifs eux-mêmes. Tout Juif qui
s’opposait à la souveraineté d’Israël
sur la terre biblique était un traître et méritait
la mort.
Certains politiciens israéliens ne cachent
pas leur admiration pour les extrémistes religieux, d’autres
réclament simplement leurs voix. Rabin les haïssait
et ne s’en cachait pas. Selon lui, ils étaient non
seulement une menace pour le processus de paix, mais aussi pour
le pays lui-même.
Avant l’Intifada, les colons avaient tenté
d’obtenir un droit de regard sur toute décision relevant
de la sécurité. Ils voulaient en fait pouvoir dicter
à l’armée les opérations à mener
dans les territoires occupés. Rabin ne voulait même
pas en entendre parler. Les relations entre colons et Rabin ont
toujours été extrêmement mauvaises. Les colonies
de peuplement étaient pour Rabin une charge supplémentaire
en matière de sécurité.
Les colons le considéraient comme un traître
parce qu’il envisageait de se retirer de certaines parties
de la rive Ouest, que Dieu avait donnée à Israël.
Des rabbins extrémistes l’accusaient d’être
un assassin pour vouloir faire la paix avec les Palestiniens.
Le 5 novembre 1995, un mois avant l’assassinat
de Rabin, une manifestation d’une incroyable violence se déroule
sur la place de Sion, à Jérusalem. Un photomontage
du Premier ministre circule, montrant ce dernier en uniforme de
SS.
Le chef du Likoud, Benyamin Netanyahou, déclare
lors de cette manifestation : « Aujourd’hui le traité
défaitiste nommé Oslo II a été présenté
à la Knesset. La majorité juive d’Israël
n’a pas ratifié ce traité. Nous allons nous
battre pour faire tomber ce gouvernement. Ce traité est un
cauchemar. C’est une menace immédiate pour notre sécurité.
Rabin humilie la nation en acceptant le diktat du terroriste Arafat.
» A la Knesset il dira le même jour : « Rabin
n’aime pas son pays, il ne considère pas Israël
comme sa patrie ; il vend son pays comme une marchandise. »
En mars 1995, Netanyahou avait déclaré lors d’une
interview télévisée que Rabin et Arafat avaient
tous deux autorisé le Hamas à assassiner des Juifs
en Cisjordanie afin de les pousser à évacuer cette
région.
Après le meurtre, Benyamin Netanyahou, leader
de l’opposition de droite, déclara que Rabin avait
été tué par un fou. Voire. L’acte de
l’assassin était dans la logique du discours de la
droite – pas seulement de l’extrême droite –
depuis des mois. Ce meurtre se situe aussi dans la logique de la
droite qui veut que les idées politiques soient commandées
par Dieu : « J’ai agi selon la volonté de Dieu,
je n’ai pas de regrets, déclara l’assassin à
la police. »
Rabin était le ministre de la défense
qui avait ordonné de casser les bras et les jambes des Palestiniens
qui jetaient des pierres. Mais il avait sans doute compris que le
recours permanent à la force pour maintenir une population
en sujétion contribuait à corrompre Israël.
Depuis un moment, déjà, des observateurs
avaient fait remarquer la déchéance morale qui résulte,
chez les soldats, d’actes de violence continue exercés
à l’encontre de populations civiles. Un groupe de réservistes
fut ainsi reçu un jour par le président israélien
Chaïm Herzog. Ces hommes venaient de servir en Cisjordanie
et racontèrent que l’occupation les forçait
à la violence, « et à travers eux la société
israélienne tout entière », et qu’elle
« risquait de se faire au prix de leur propre humanité
» : ces hommes considéraient que « l’oppression
faisait payer un tribut bien lourd à ceux qui en étaient
les exécutants ». (...) « Mais le sentiment le
plus poignant, disent les deux journalistes qui relatent le fait,
c’était leur crainte de sombrer dans une espèce
de torpeur morale [87]. »
Rabin était moins un « partisan de
la paix » qu’un politicien réaliste qui avait
compris que la société israélienne avait atteint
sa limite dans l’effort d’occupation et dans la répression
qu’elle imposait aux Palestiniens. En cela, il a un point
commun avec Gorbatchev. Ce n’est pas un hasard si c’est
l’ancien chef du KGB qui a mené la transformation du
pays, car il était bien placé pour avoir les vraies
informations sur la situation. Il en est de même pour Rabin,
qui était en même temps le seul à pouvoir limiter
la casse en donnant l’illusion qu’il faisait des concessions,
sans pratiquement rien céder.
L’OPERATION « RAISINS DE LA
COLERE »
Les événements qui se sont déroulés
au Sud-Liban peu après l’assassinat de Rabin, lors
de l’intérim de Shimon Pérès, ont remis
une fois de plus sur le devant de la scène le problème
des relations d’Israël avec le Liban et, plus discrètement,
derrière le Liban, avec la Syrie.
Les faits eux-mêmes se réduisent à
peu de chose, même si les conséquences en sont tragiques.
Le Hezbollah, organisation islamiste pro-iranienne militairement
organisée, lance des roquettes sur le territoire israélien.
L’armée israélienne riposte selon le principe
résumé par Barton Gellman dans International Herald
Tribune du 17 avril 1996 : « Dix yeux pour un œil ».
Une roquette du Hezbollah endommage un câble fournissant de
l’électricité à une synagogue de Kiryat
Shemona. L’aviation israélienne détruit une
centrale électrique qui fournit l’électricité
à la plus grande partie de Beyrouth. « Cette grande
disproportion d’échelle est typique de la tendance
qui se fait jour dans l’opération Raisins de la colère
» dit Gellman, qui précise que 9 000 résidents
de Kiryat Shemona ont « fui vers des quartiers temporaires
hors de portée des tirs de roquettes du Hezbollah »
tandis que 400 000 Libanais ont quitté leurs foyers.
Après plus d’une semaine de bombardements
israéliens, les missiles du Hezbollah continuent de tomber
sur le Nord de la Galilée. Lionel Jospin, qui a apporté
son soutien à Israël « après les incessantes
pressions que subissent ses régions frontalières »,
oublie de préciser que les régions d’où
partent les roquettes constituent 12 à 15 % de territoires
libanais précisément occupés par l’armée
israélienne, et que c’est là une des raisons
des attaques du Hezbollah.
La question est : pourquoi ces attaques ont-elles
eu lieu à ce moment-là, rompant un cessez-le-feu qui
avait été négocié en 1993 ?
Le fait qu’Israël était en période
électorale n’est sans doute pas étranger aux
tirs du Hezbollah ni à la disproportion de la riposte. Shimon
Pérès, successeur de Rabin après l’assassinat
de ce dernier, devait se présenter devant les électeurs
israéliens. Or Pérès se trouvait dans une situation
délicate. Appliquant la stratégie du pire, les islamistes
du Hamas comme ceux du Hezbollah avaient intérêt à
discréditer la politique des « négociations
» alors en cours avec les Palestiniens et à susciter
l’arrivée au pouvoir de la droite, voire de l’extrême
droite israélienne, elle aussi opposée aux négociations.
Accusé de mollesse par l’opposition
après une série d’attentats meurtriers du Hamas,
Pérès était contraint de montrer à l’électorat
qu’il était capable de fermeté. Pourtant, en
1978, puis en 1981-1982, l’objectif de l’opération
« La paix en Galilée » avait mobilisé
l’armée israélienne et l’aviation dans
des opérations de grande envergure (30 000 morts au Liban
en 1981-82) sans réduire le Hezbollah.
En 1993, Rabin avait fait pilonner le Sud du Liban
par l’artillerie et l’aviation pendant une semaine.
Le cessez-le-feu négocié par l’intermédiaire
des Etats-Unis et de la Syrie avait abouti à un accord du
Hezbollah de ne plus bombarder le nord d’Israël en échange
de l’arrêt des tirs israéliens contre des cibles
civiles.
Dans la mesure où la Syrie est aujourd’hui
une puissance dominant le Liban, on peut en effet se demander si
la disproportion de la réplique israélienne ne contenait
pas un message adressé à la Syrie, qui tente elle
aussi de récupérer des territoires – les hauteurs
du Golan – occupés par Israël, et dont les négociations
piétinaient. Or, il se trouve que le Sud du Liban et le Golan
constituent un enjeu stratégique identique et vital : l’eau
(cf. chapitre II, C).
En effet, les hauteurs du Golan, appartenant à
la Syrie et occupées par Israël, sont un énorme
réservoir d’eau ; quant au sud du Liban, lui aussi
occupé, il est traversé par le fleuve Litani. On comprend
donc que le contrôle du Sud du Liban constitue un enjeu vital.
L’armée syrienne
Les spécialistes israéliens considèrent
que la Syrie a pratiquement atteint la parité militaire avec
Israël. Ron Ben-Yishay dans Yediot Ahronot (16 septembre 1995)
affirme que tant que l’armée syrienne dépendait
de l’URSS pour son approvisionnement, elle n’avait aucune
chance d’atteindre la parité stratégique avec
Israël parce que la politique soviétique consistait
à ne pas modifier le statu quo en faveur d’Israël.
Le renforcement de l’armée syrienne date de la guerre
du Golfe, grâce à la récupération d’une
quantité considérable d’armes irakiennes, à
des achats d’armes à des Etats européens et
à des crédits considérables fournis par l’Arabie
saoudite, crédits qui continuent d’affluer, à
la fureur des autorités israéliennes. En effet, le
renforcement de la puissance militaire syrienne rend Hafez el-Assad
encore plus intraitable dans la négociation sur la restitution
du Golan.
Aluf Ben, dans Haaretz (août 1995) rapporte
que Pérès s’est plaint des Saoudiens à
Warren Christopher mais constate que sa plainte n’a pas eu
beaucoup d’effet : « L’Arabie saoudite est le
seul Etat de la région dont les liens directs avec Washington
ne sont pas conditionnés à une consultation préalable
avec Israël. »
Le fait est que, l’argent saoudien aidant,
les armements dont disposent les Syriens sont bien meilleurs que
lorsque le pays dépendait des fournitures soviétiques.
Selon Ben-Yishay, la Syrie dispose notamment de missiles sol-sol
qui peuvent être équipés de têtes chimiques,
devant lesquels Israël est pratiquement sans défense,
et qui annulent l’option israélienne consistant à
foncer à travers les hauteurs du Golan jusqu’à
Damas en moins de 24 heures. Toute tentative d’Israël
de détruire une partie de la force militaire et de l’infrastructure
civile syriennes par une attaque aérienne, comme en octobre
1973, se heurterait à une réplique qui ferait autant
de dégâts en Israël. « Actuellement, l’armée
syrienne est capable de stopper une attaque israélienne simultanément
sur deux fronts, dans les hauteurs du Golan et au Liban »,
dit Ben-Yishay. Si Israël garde une supériorité
en termes de qualité de son équipement et d’entraînement
de ses troupes, « pour la première fois dans l’histoire
du Moyen-Orient un Etat, en l’occurrence la Syrie, est capable
de se défendre effectivement contre une attaque israélienne
».
Le Hezbollah
Depuis plusieurs années, Israël est
engagé dans une véritable guerre, au Sud-Liban, contre
le Hezbollah, et les choses vont plutôt mal pour Tsahal. Une
véritable censure s’est abattue sur la presse israélienne
pour l’empêcher de faire état de la situation
réelle dans laquelle se trouvent les troupes d’occupation
au Sud-Liban. Les correspondants de guerre israéliens n’ont
pas le droit de parler aux soldats qui servent dans la « zone
de sécurité ». La seule chose qu’on ne
peut pas censurer, ce sont les cérémonies pour les
soldats tués, et ils sont nombreux.
Deux correspondants, Yossi Walter de Maariv et Ron
Ben-Yishay de Yediot Ahronot, ont visité une unité
dans une forteresse de la partie Nord de la zone de sécurité
et en ont rapporté un certain nombre d’impressions
édifiantes.
Les forces israéliennes sont sur la défensive,
littéralement bloquées dans des zones fortifiées
assiégées. En revanche, les combattants du Hezbollah
sont très mobiles et sont en mesure de pilonner à
volonté les fortifications israéliennes et les convois
militaires.
Les qualités militaires du Hezbollah semblent
faire sur les soldats et officiers israéliens une forte impression,
à la fois en tant que combattants individuels et en tant
qu’organisation. Les soldats israéliens, qui ont été
endoctrinés par la propagande raciste sur la couardise naturelle
des Arabes, sont rapidement traumatisés par les performances
des combattants du Hezbollah, l’efficacité de leur
organisation. Pour justifier cette situation, les Israéliens
en sont réduits à expliquer que les soldats du Hezbollah
ont été formés par les officiers iraniens,
eux-mêmes formés par les Israéliens du temps
du Shah...
On peut dès lors facilement imaginer ce que
cette situation peut avoir de dissolvant pour « l’Armée
du Sud-Liban », pro-israélienne, que les autorités
d’occupation sont constamment obligées de soutenir
par des promesses et par leur argent, provoquant une corruption
généralisée.
En conclusion, on peut dire que le facteur nouveau
dans la région est l’équilibre de la terreur
entre la Syrie et Israël, ce qui désavantage considérablement
ce dernier. On a du mal a imaginer le traumatisme que cette situation
doit provoquer sur la population israélienne, habituée
à une écrasante supériorité technologique
et militaire sur ses voisins arabes. L’existence d’un
mouvement comme le Hezbollah, puissamment armé et organisé,
constitue en outre une énorme épine dans le pied d’Israël,
dont la Syrie tire un avantage tactique considérable.
On ignore le chiffre réel des pertes israéliennes
au Sud-Liban, mais il est important, la notion de « pertes
importantes » étant relative à ce que l’opinion
publique est disposée à accepter. Cette partie de
territoire arabe occupé sera peut-être la seule qu’Israël
évacuera à la suite de la résistance armée
de la population qui y vit. Les négociations entre Israël
et la Syrie sont bloquées depuis l’arrivée au
pouvoir de Netanyahou. Cependant, le blocage de la situation met
la Syrie dans une position favorable en ce sens plus le temps passe,
plus la situation se pourrit au Sud-Liban. Dans l’hypothèse
de négociations avec la Syrie, on peut envisager une hypothèse
: un accord, aux dépens de la population du Sud-Liban; aux
termes duquel Israël restituerait le Golan mais récupérerait
le contrôle du fleuve Litani. Si cette hypothèse se
vérifiait, il ne serait pas surprenant de voir un jour l’armée
syrienne participer avec l’armée israélienne
au désarmement du Hezbollah.
.
V. – LES ÉLECTIONS EN ISRAËL ET LA POLITIQUE
DE NETANYAHOU
Les élections du 29 mars ont désigné
pour la première fois le Premier ministre israélien
par une élection directe. La loi qui a permis cette innovation
donne à Netanyahou des pouvoirs plus importants. Une fois
que le Premier ministre a choisi un cabinet, il le propose au Parlement,
qui l’accepte ou non. En cas de refus, le Premier ministre
dissout le Parlement et convoque de nouvelles élections,
ce qui fait dire à un commentateur qu’un parlement
qui est en désaccord avec le Premier ministre commet un suicide...
Si le système Rabin de gouvernement était autoritaire,
les vraies décisions se prenant en très petit comité,
ce système restait relativement informel ; avec Netanyahou,
la centralisation du pouvoir devient institutionnelle.
La première décision du Premier ministre
fut de créer un Conseil national de sécurité
sur le modèle américain. L’objectif est de réduire
le pouvoir de l’armée, qui est un véritable
Etat dans l’Etat. Un Conseil économique est aussi créé,
dirigé par le gouverneur de la Banque d’Israël,
et qui constitue un véritable gouvernement parallèle
personnel, court-circuitant l’autorité des ministres
politiques qu’il a nommés, c’est-à-dire
des gens issus des partis d’extrême droite et ultra-orthodoxes
avec lesquels Netanyahou a dû s’allier pour constituer
un gouvernement. Un comité interministériel de privatisations
est également annoncé – Netanyahou est un fervent
libéral – présidé par le Premier ministre
lui-même, et qui devrait comprendre les ministres des finances,
de la justice et le gouverneur de la banque centrale.
Les ultra-orthodoxes tiennent les ministères
de l’Education, de l’Intérieur, des Transports,
du Travail, des Affaires sociales, et un premier vice-ministre pour
le Logement. Le ministre de la Justice, également un sioniste
religieux proche du Bloc de la foi, est sous le coup d’une
enquête de police pour subornation de témoin...
Pour la petite histoire, le Parti démocratique
arabe (deux élus), et le Hasash (ex-communiste, trois élus)
avaient déposé une motion de censure, en mai 1995,
alors que les travaillistes étaient au pouvoir, pour protester
contre la confiscation de terres arabes à Jérusalem-Est.
La droite et l’extrême droite avaient annoncé
qu’elles voteraient la motion de censure pour mettre le gouvernement
en minorité et provoquer des élections anticipées.
Un député palestinien de la Knesset, chef du Parti
démocratique arabe, Abdel Wahab Daraouché, révéla
qu’il avait reçu un coup de fil du directeur de cabinet
de Yasser Arafat pour lui demander de retirer la motion de censure
: « Malgré toute son indignation devant ces confiscations
de terres, révéla le député, le chef
de l’autorité ne souhaite pas la chute de M. Rabin.
Il veut continuer avec lui les négociations de paix. »
Le Parti travailliste devait dans une large mesure son pouvoir à
l’électorat arabe, ce qui mettait en rage la droite
et l’extrême droite israélienne, qui reprochaient
à Rabin de faire la politique des Arabes. La section française
du Likoud reprochait en particulier au gouvernement Rabin d’être
« islamo-marxiste »...
Rabin et Pérès menaient la même
politique que la droite, mais ne disaient pas ouvertement que la
colonisation était leur objectif. Après l’assassinat
de Rabin, Pérès n’a pas réussi à
en convaincre les électeurs, qui lui ont fait défection,
le 29 mai : il manquait au candidat à la succession de Rabin
29 500 voix. Entre 8 et 10 000 Arabes d’Israël votèrent
blanc et beaucoup d’entre eux votèrent contre Pérès,
ce qui est la conséquence directe de l’opération
catastrophique des Raisins de la colère, lors de laquelle
420 000 Libanais durent fuir leurs foyers. 5,4 % d’Arabes
ont même adopté la politique du pire en votant pour
les partis juifs orthodoxes favorables à l’expulsion
des Palestiniens d’Israël.
Shimon Pérès souffre en Israël
d’un « 0 de légitimité » auprès
d’une partie importante de la population, du au fait que la
gauche n’est majoritaire dans le pays que grâce au vote
des Arabes israéliens, qui sont 900 000. Son échec
est largement dû à son incapacité à trouver
de nouveaux électeurs et à fixer le vote arabe, qui
a sanctionné l’opération Raisins de la colère.
Mais l’échec de Pérès
s’explique aussi par d’autres raisons, qui tiennent
aux contradictions internes de la société israélienne
dont le candidat travailliste semble ne pas avoir tenu compte. La
plupart des commentateurs attribuent cet échec à l’indifférence
du candidat envers les Juifs orientaux, majoritaires dans le pays
mais très largement exclus des centres de pouvoir détenus
essentiellement par les Juifs d’Europe centrale [88].
Les problèmes des Juifs orientaux ont été
négligés par les travaillistes pendant la campagne
électorale, et ils tenaient une faible place sur les listes
électorales du parti travailliste. Bien que peu enclins à
l’orthodoxie, les Juifs orientaux sont attachés aux
traditions, et le parti de droite, le Likoud, avec son programme
nationaliste, joue sur le registre émotionnel auquel cette
communauté est très sensible.
Abdel Wahab Daraouché avait commenté,
de façon sans doute prophétique : « ... si la
droite revenait au pouvoir, nous serions sans doute prisonniers
pour très longtemps à Gaza et Jéricho... »
(Patrice Claude, Le Monde, 19 mai 1995.)
LA « DOCTRINE NETANYAHOU »
Netanyahou mène une politique conforme aux
thèmes qu’il avait développés pendant
sa campagne électorale. Son parti, le Likoud, qui a gagné
à 0,9 % des voix près, a moins de voix que le parti
travailliste et n’a pas la majorité au Parlement. Netanyahou
doit s’appuyer sur les petits partis juifs orthodoxes qui
ont 25 députés sur 120. De fait, sa marge de manœuvre
est très étroite. Mais pour tout dire, il n’a
pas besoin qu’on le force dans cette voie.
La « doctrine » de Netanyahou repose
sur quelques idées-forces simples :
– le peuple juif a un droit imprescriptible
et éternel sur Eretz Israël, le Grand-Israël de
la Méditerranée au Jourdain ;
– les opposants à l’occupation
des territoires sont motivés par la haine anti-juive ;
– Israël défend les intérêts
de tous les pays démocratiques en s’opposant au terrorisme
islamique ;
– la création d’un Etat palestinien
est une menace mortelle pour Israël.
En 1995, il avait publié un livre dans lequel
il condamnait l’abandon des valeurs fondamentales du sionisme,
la décadence de la gauche et la catastrophe des accords d’Oslo.
Le livre est truffé d’idées reçues, d’«
analyses » d’un simplisme confondant : on apprend ainsi
que les accords d’Oslo conduisent à « l’encerclement
d’Israël par une ceinture de bases terroristes islamiques
dont le seul et unique objet est l’anéantissement de
l’Etat d’Israël ».
La droite israélienne, laïque ou religieuse,
rejette les accords d’Oslo, le principe de « la terre
contre la paix ». Elle refuse en particulier d’appliquer
les accords concernant la ville d’Hébron, qui devait
être évacuée le 30 mars 1996.
Le gouvernement de Netanyahou cherche tout simplement
à liquider l’ensemble du « processus de paix
». Le traité qui consacre le partage de la Palestine
est une affreuse trahison : c’est cette même idée
qui avait poussé Yigal Amir à assassiner Rabin. Les
documents signés à Oslo n’ont aucune valeur
pour bon nombre de nationalistes israéliens. Parler de respect
des accords ou de droit international n’a par conséquent
aucun sens pour eux, et à commencer par Netanyahou, qui a
été élu pour que les droits des Palestiniens
ne soient pas reconnus. Les élections ont révélé
qu’une bonne moitié des électeurs israéliens
est opposée au « processus de paix », approuve
la ligne dure du Premier ministre et l’éventualité
d’une confrontation permanente avec les Palestiniens [89].
Les références politiques de Netanyahou
ne se limitent cependant pas aux maîtres à penser du
révisionnisme sioniste, elles sont également inspirées
de la pensée ultra-libérale dominante à la
mode Reagan, qui vise à la privatisation de pratiquement
toutes les ressources nationales, la liquidation de toute protection
sociale et l’intégration du pays dans le rêve
américain, au point de faire virtuellement d’Israël
le 51e Etat des Etats-Unis. Netanyahou est très lié
à l’aile la plus droitière du Parti républicain,
notamment avec Jack Kemp, le candidat républicain à
la vice-présidence. Sa campagne électorale a été
soutenue financièrement par des businessmen américains
et canadiens qui étaient loin d’être tous Juifs
: le Canadien Conrad Black, par exemple, est propriétaire
du Daily Telegraph de Londres et du Jerusalem Post, dont l’ex-rédacteur
en chef, David Bar-Ilan, est un des trois plus proches conseillers
de Netanyahou. « Cela crée une situation sans précédent
en Israël : pour la première fois, le gouvernement est
sous le contrôle direct de cercles d’affaires étrangers
ou multinationaux, non sous celui des élites locales de l’armée,
de la sécurité ou du secteur des affaires ou industriels,
comme c’était jusqu’alors le cas [90]. »
Parmi les hommes d’affaires très proches
de Netanyahou, on peut citer également le milliardaire juif
américain de Miami, financier du Likoud, Irving Moskovitz,
qui a généreusement soutenu sa campagne électorale,
ainsi que celle du maire de Jérusalem, Ehud Olmert, membre
du Likoud. Moskovitz est un chaud partisan de la colonisation. Il
est l’un des principaux financiers de Ateret Cohanim, une
association de colons religieux qui a pour objectif de réduire
le plus possible la présence arabe et qui rachète
des maisons arabes de Jérusalem-Est. Il a soutenu financièrement
le creusement du tunnel sous l’esplanade des mosquées
à Jérusalem, ainsi que l’implantation de 132
maisons pour des colons israéliens dans le quartier palestinien
de Ras al-Amoud.
Les milieux d’affaires israéliens avaient
dans l’ensemble soutenu Shimon Pérès lors des
élections. Un placard publicitaire en faveur de Pérès,
signé par de grands noms de l’industrie israélienne,
était paru dans deux quotidiens. Le grand patronat au complet
l’avait applaudi lors d’une réunion. En revanche,
les organisateurs de la campagne de Netanyahou échouèrent
lamentablement pour se rallier le patronat.
C’est que Shimon Pérès a un
projet global, mieux, une vision, qui tend à insérer
Israël dans le Proche-Orient – en lui donnant le meilleur
rôle évidemment – projet qui séduit beaucoup
d’entrepreneurs de son pays. Il avait exposé ses vues
dans un ouvrage publié en 1993, Le temps de la paix (éditions
Odile Jacob). Pour ne pas effrayer son électorat, il n’a
peut-être pas, dans sa campagne de 1996, exposé toutes
ses vues sur la question, telle que l’idée d’une
confédération avec la Jordanie. Mais il envisage un
Proche-Orient doté d’institutions régionales
susceptibles d’attirer des flots de capitaux pour exploiter
les ressources régionales, en particulier l’eau. La
perspective de créer une sorte de marché commun régional
dominé économiquement et technologiquement par Israël
était très séduisante, et allait dans le sens
de l’évolution entreprise depuis la signature des accords.
Dans une interview à L’Expansion, en
1991 [91], Pérès se déclare prêt, dans
un premier temps, à « geler la création et le
développement des implantations en Cisjordanie et dans la
bande de Gaza ». En échange, il se déclare persuadé
que « les pays arabes accepteraient de mettre fin au boycottage
économique contre notre pays ». Ensuite, il faudrait
aborder les problèmes communs : l’eau, la pollution,
le développement des transports terrestres. « Pourquoi,
ajoute Pérès, ne pas jeter ensuite les bases d’une
vie économique en commun ? » Cette vie commune «
passe par la création d’un marché commun. Il
nous faut suivre l’exemple de la CEE : créer graduellement
un marché commun entre les pays, réduire les protections
douanières, disperser les nuages de guerre et surtout, créer
un sentiment général de sécurité pour
les investisseurs locaux et étrangers ».
Une répartition des rôles dans ce nouveau
Proche-Orient façon Pérès est proposée
: « Avec le pétrole saoudien, la main-d’œuvre
égyptienne, l’eau turque et les cerveaux israéliens,
le Moyen-Orient devrait décoller. » On ignore quel
rôle Pérès attribue aux Palestiniens car il
n’en parle pas.
Depuis l’arrivée au pouvoir des travaillistes,
en somme presque depuis le début du « processus de
paix », Israël a connu un véritable boom économique,
dû principalement à la fin du boycott des pays arabes.
Des marchés jusque-là fermés comme la Chine
et l’Inde se sont ouverts. La bourse de Tel-Aviv attire des
investisseurs étrangers, encouragés par la paix et
par le bon marché d’une main-d’œuvre israélienne
par ailleurs qualifiée. Des firmes de brokers américaines
et britanniques ont acheté pour plus de 600 millions de dollars
d’actions israéliennes en 1995, symptôme de stabilité
financière.
La croissance a été de 6 % l’an
entre 1992 et 1996 et la hausse des exportations de 11 %. L’abaissement
des dépenses militaires consécutives aux négociations
de paix, passées de 30 % du budget en 1982 à 7 % en
1995, a beaucoup contribué à l’expansion de
l’économie israélienne. Les investissements
étrangers ont été multipliés par quinze
en cinq ans, le taux de chômage est tombé de 11,8 %
en 1992 à 6,3 %. Toute l’infrastructure du pays a subi
une véritable mutation : construction de routes, amélioration
du réseau téléphonique.
Israël s’affirme comme pôle régional
de la finance, de la haute technologie et de l’ingénierie
: technologie, semi-conducteurs, impression numérique, logiciels,
instruments médicaux, pharmacie, biotechnologie, qui sont
des sous-produits de l’industrie militaire. Ces secteurs ont
connu une expansion très importante, doublant leur chiffre
d’affaires entre 1990 et 1995.
De cette expansion, seuls profitent quelques milliers
de banquiers, hommes d’affaires, avocats, conseillers, partisans
pour des raisons évidentes de la paix. La contrepartie de
cette situation est un formidable accroissement des inégalités.
Premières victimes, les 200 000 travailleurs immigrés,
dont la moitié sont clandestins, venant d’Europe de
l’Est, d’Asie, d’Afrique ; ensuite, les Arabes
(dont 38,5 % vivent au-dessous du seuil de pauvreté), les
Juifs d’Ethiopie, les vieux et les nouveaux immigrants (dont
25 % vit au-dessous du seuil de pauvreté). Un sociologue
israélien, Schlomo Swirsky, déclare qu’Israël
« devient une société à la saoudienne,
où une petite minorité garde tout pour elle »
(Business Week, 28 août 1995). Le traitement des dirigeants
d’entreprises a augmenté de 15 % en un an, tandis que
les salaires des travailleurs non qualifiés baissait de 7
%.
Les Juifs orientaux, majoritaires, souffrent d’une
inégalité persistante. Tandis que 7 % d’enfants
de familles orientales ont fait seize années d’études,
le taux monte à 26,2 % pour les enfants de familles de Juifs
d’Europe ou d’Amérique. Pour ce qui concerne
les activités scientifiques, universitaires ou de direction,
le taux est respectivement de 7,8 et 25,1 %. Ces inégalités
se retrouvent évidemment au niveau du chômage et des
revenus. Dans une large mesure, on peut dire que les tensions de
classe et les tensions ethniques se recoupent [92].
Là-dessus, arrive au pouvoir un homme qui
mène une politique de tension systématique avec les
Palestiniens, qui suscite la méfiance au sein de l’armée
elle-même [93], qui suscite la grogne et la méfiance
dans les Etats arabes [94], la réprobation générale
des puissances industrielles, y compris de l’allié
américain. Les Palestiniens menacent de reprendre la lutte
armée. En septembre 1996 l’Egypte menace d’annuler
la troisième conférence économique israélo-arabe
prévue pour novembre au Caire. Les donateurs internationaux,
inquiets de la tournure que prennent les événements,
s’émeuvent. Enfin, dans sa propre majorité parlementaire,
des voix s’élèvent pour reprocher à Netanyahou
que le prix à payer pour l’arrêt du processus
de paix est trop lourd. La bourse s’effondre et les investissements
étrangers se tarissent...
L’arrivée au pouvoir de Netanyahou
a grandement accentué les tensions sociales en Israël.
Les privatisations en cours ont suscité des grèves.
Sont ou seront touchés l’industrie du pétrole
(Oil Refineries), des armes (Israel Aircraft Industries et Israel
Military Industries), les télécoms (Bezeq), la chimie
(Israel Chemicals), la construction (Housing and Development for
Israel), les transports aériens (El Al) et maritimes (ZIM
Israel Navigation) de l’alimentaire (Osem) et des banques.
Ces privatisations aiguisent évidemment les appétits
des investisseurs étrangers.
De nouvelles entreprises se sont montées
dans lesquelles les conditions de travail et de salaire des travailleurs
subissent une terrible régression : pas de contrat collectif,
salaire minimum, et paiement par le travailleur lui-même de
la sécurité sociale et des retraites.
Fin juin 1996 – c’est-à-dire
il est vrai, avant les élections américaines –
Netanyahou réserva un accueil très abrupt à
Warren Christopher, secrétaire d’Etat américain
venu en visite en Israël. L’attitude du Premier ministre
israélien pouvait s’expliquer par la proximité
des élections américaines, qui rendaient le candidat
Clinton prudent et soucieux de ne pas heurter l’électorat
juif. Incidemment, la prudence de Clinton était sans fondement
car, en visite aux Etats-Unis aussitôt après son élection,
Netanyahou y soutint littéralement la campagne du candidat
républicain.
Le « sommet » du 2-3 octobre 1996 organisé
à Washington avec Netanyahou, Arafat et le roi de Jordanie
pour tenter de ramener le Premier ministre israélien à
plus de réalisme se solda par un échec complet. Netanyahou
ne cède sur rien. Manifestement, il tablait sur un succès
républicain aux élections.
ISRAËL : UN ENJEU INTERNATIONAL
Ce serait une erreur d’imaginer que la politique
étrangère américaine est inconditionnellement
attachée au soutien à Israël. Ce soutien est
motivé par des considérations stratégiques
et économiques selon lesquelles Israël n’est qu’un
moyen. Noam Chomsky a certainement raison lorsqu’il dit :
« ... les Etats-Unis pourraient lâcher Israël,
à un moment donné, si les planificateurs américains
estiment qu’il en va de leur intérêt. En pareil
cas, le lobby juif serait aussi ininfluent qu’il ne l’était
en 1956, lorsque le président Eisenhower et Dulles, à
la veille d’une élection présidentielle, ordonnèrent
à Israël de se retirer du Sinaï [95] » [en
menaçant de couper toute aide économique à
Israël]. En 1991, George Bush avait lui aussi su faire pression
sur le gouvernement Shamir en refusant la garantie du gouvernement
américain à un certain nombre de prêts bancaires
destinés à Israël (qui serviront à financer
un accroissement de la colonisation des territoires occupés...).
Toutefois, il faut garder plusieurs points à
l’esprit :
– L’intérêt stratégique
de l’alliance avec Israël est tel que cela fournit aux
gouvernements israéliens une très grande marge de
manœuvre, quelle que soit la politique qu’ils mènent,
l’intervention de l’administration américaine
se limitant à promouvoir ou à soutenir tel ou tel
candidat à la direction du pays. Le candidat Rabin contre
Shamir, puis le candidat Pérès contre Netanyahou,
ont été activement soutenus, à tel point qu’en
1992, Rabin, gêné par la sollicitude de l’administration
US, a tenu à rejeter les marques de soutien trop ostensible
des Etats-Unis.
– Si l’alliance avec Israël était
en grande partie fondée sur la situation créée
par l’opposition des deux grands blocs politiques : Etats-Unis
- Union soviétique, il serait illusoire de penser que l’effondrement
de l’URSS a rendu cette alliance moins utile. Privés
de guerre froide, les Etats-Unis instaurent une logique de guerre
nouvelle en substitution à l’ancienne, en changeant
l’orientation de celle-ci : d’Est-Ouest, elle devient
Nord-Sud. Cette logique de guerre substitue à un conflit
global avec l’ancien ennemi communiste une multiplication
de conflits locaux avec le tiers monde. Elle permet en outre de
conjurer le spectre de la récession par la fuite en avant
dans le domaine militaire. Le spectre de l’islamisme a avantageusement
remplacé le danger communiste.
– L’étroitesse des liens entre
Israël et les Etats-Unis ne concernent pas seulement l’administration
américaine mais aussi certaines fractions du capital américain
dont les intérêts peuvent entrer en concurrence avec
ceux de la politique étrangère de Washington : ceux
qui sont susceptibles d’acheter à bas prix les secteurs
que Netanyahou entend livrer au privé, l’électricité,
les télécommunications (Bezek, déjà
à demi privatisées), les transports aériens
(Elal), etc. Ainsi, le capital américain peut très
bien soutenir un autre candidat que celui que l’administration
américaine soutient, ce qui a précisément été
le cas. Aujourd’hui la situation n’est plus du tout
la même qu’en 1956. La politique de l’Etat d’Israël
s’est largement autonomisée par rapport à celle
de l’administration américaine. C’est le vœu
d’une partie de la classe dominante, exprimé par Oled
Yinon (Cf. supra, chapitre IV), et en particulier de la droite.
A.M. Rosenthal se fait l’écho de ce point de vue dans
International Herald Tribune du 19 juin 1996 : « Le temps
est venu pour Israël de se rendre et de rendre aux Etats-Unis
un grand service : accepter moins, ou pas du tout d’aide américaine.
» L’auteur préconise « une rapide privatisation
de l’économie, la baisse du déficit du commerce
extérieur, la vente des terres appartenant à l’Etat
et la réduction de l’intervention du gouvernement dans
les affaires ».
Aujourd’hui la sécurité d’Israël
n’est menacée par aucun de ses voisins. Ce n’est
qu’un stratagème de la droite israélienne que
de le faire croire. L’importance stratégique de ce
pays pour la politique étrangère américaine
n’est plus la même que du temps de la guerre froide.
On a l’impression que, dorénavant,
les seules raisons qui motivent le soutien américain sont
des raisons électorales, qui ne tiendront pas longtemps si
l’ensemble de la politique américaine au Proche-Orient
devait être remise en cause.
Le rôle de « flic en patrouille »
assumé par Israël a peut-être commencé
à perdre sa justification dès lors que le «
flic en chef » – Netanyahou – met en œuvre
une politique qui va à l’encontre des intérêts
fondamentaux de son commanditaire et que l’ensemble du monde
arabe se détourne de la diplomatie américaine. Lorsque,
pour la première fois, Netanyahou se voit signifier, le 14
novembre 1997, que la politique d’Israël porte «
atteinte aux intérêts américains dans la région
» [96], il faut considérer la menace comme sérieuse.
Plusieurs mois après les élections
on constate que la position du Premier ministre israélien
a peu évolué, pressions de l’administration
américaine ou pas. La seule limite que Netanyahou pourra
rencontrer est la capacité des gouvernements occidentaux
à gober son discours lénifiant, dirigé vers
l’extérieur, favorable à la paix, pendant que
dans les actes il accroît la colonisation et l’occupation
à l’intérieur. Si les gouvernements européens
étaient vraiment décidés à faire quelque
chose, ils pourraient par exemple annuler l’accord d’association
passé entre l’Union européenne et Israël,
ouvrant les marchés européens aux produits israéliens...
Evoquant le programme sans concession du nouveau Premier ministre
israélien, l’éditorial du Monde du 29-30 septembre
déclare que Netanyahou « sait admirablement l’enrober
dans quelques sucreries rhétoriques sur son attachement au
processus de paix. Seuls quelques nigauds de chancellerie, vrais
ou faux, disent encore s’interroger sur les intentions réelles
du chef de la droite nationaliste ».
Netanyahou parle de réciprocité, de
négociation. Les Palestiniens ont reconnu la souveraineté
d’Israël sur les trois quarts de la Palestine, accepté
la présence de 200 000 colons juifs sur le dernier quart
restant (y compris Jérusalem-Est), et permis à Israël
d’étendre ses relations commerciales sur le marché
arabe. Les Palestiniens n’ont plus rien à offrir, Arafat
leur a tout donné sans rien en échange que des bantoustans
et un sentiment d’humiliation grandissant.
Shamir déclarait ouvertement, après
avoir quitté le pouvoir, qu’il s’était
engagé dans les négociations de Madrid avec la ferme
intention de les faire durer dix ans pendant qu’il installait
des colons dans les territoires occupés. Lorsque les travaillistes
lui succédèrent, Rabin et Pérès avaient
déclaré qu’ils ne poursuivraient pas la colonisation,
mais ils ont installé 50 000 colons dans les territoires
occupés – le quart du total des colons – et y
ont consacré plus d’argent que le gouvernement de droite
ne l’avait fait pendant une période équivalente
lorsque celui-ci était au pouvoir.
Tandis que les gouvernements précédents,
de Shamir (Likoud) et de Rabin-Pérès (travaillistes),
menaient une politique d’expansion en douce, Netanyahou est
contraint de le faire ouvertement, parce que l’extrême
droite et les fondamentalistes, sans lesquels il ne peut se maintenir,
et, d’une façon générale, les électeurs
du Likoud, attendent de lui des signes ostensibles d’agression.
Il s’agit de « montrer qui est le maître ».
Après la rencontre Netanyahou-Arafat à Washington
le 3-4 octobre 1996, Limor Livnat, ministre de la communication
déclara à la télévision : « Le
Premier ministre est allé à Washington pour sauver
le processus de paix sans rien concéder. C’est fait.
» (Le Monde, 4 octobre 1996.) Sauver un processus de paix
sans rien concéder, cela veut dire entériner une conquête.
Netanyahou s’oppose explicitement à
un Etat palestinien, à la division de Jérusalem et
à la restitution du Golan, et exprime clairement sa volonté
de continuer les implantations, ce qui dans la pratique ôterait
aux Palestiniens tout prétexte à continuer de négocier,
si la fraction dirigeante de l’« entité autonome
», par ailleurs complètement dépendante des
fonds occidentaux, ne devait sa légitimité internationale
qu’au fait qu’elle continue de négocier envers
et contre tout.
Ainsi, tandis que les dirigeants palestiniens continuaient
de négocier en espérant obtenir un jour un semblant
d’Etat, le pouvoir israélien continuait de rogner des
territoires, d’installer des colons, de détruire ou
de s’approprier des maisons de Palestiniens, d’exproprier
des paysans pour construire des « routes de contournement
» et d’agrandir le « Grand Jérusalem »
aux dépens des Palestiniens.
Netanyahou est lui aussi, d’une certaine façon,
coincé entre les exigences de sa politique intérieure,
qui l’obligent à être agressif, et celles de
sa politique extérieure, qui le poussent à négocier.
L’expérience a montré que le nouveau «
joker » dans le jeu, les fondamentalistes musulmans, sunnites
(Hamas) ou chi’ites (Hezbollah, soutenus par la Syrie et instrument
de la politique de celle-ci) pouvaient constituer un « empêcheur
d’occuper tranquillement ». Netanyahou agit comme s’il
n’avait affaire qu’aux Palestiniens, en oubliant qu’Israël
est un territoire implanté au milieu du monde arabe. Alors
que ses prédécesseurs avaient, sans presque rien concéder
aux Palestiniens, réussi à commencer à insérer
le pays dans la région, Netanyahou va créer délibérément
une situation de conflit permanent.
LA QUESTION DE JÉRUSALEM
Jérusalem est jusque vers 1850 une ville
délimitée par les anciennes murailles, entourée
de villages. Peu à peu ces villages se sont transformés
en quartiers, constituant la ville moderne. Différentes communautés
vivaient alors dans ces quartiers neufs, y compris une communauté
juive à Yemin Moshe, au-delà de la porte d’Hébron
(porte de Jaffa pour les Européens). Vieille ville et nouvelle
ville se sont structurées sur des bases communautaires, formant
des quartiers autonomes : musulmans du Soudan ou du Maroc, chrétiens
d’Ethiopie ou d’Arménie, Juifs orientaux, etc.
La situation de ville-pélerinage pour trois religions donne
à Jérusalem un caractère cosmopolite.
La zone du Grand Jérusalem constituait un
corps séparé dans le projet de partage de l’ONU
en 1947. La ville devait être sous tutelle internationale
et administrée par les Nations unies. L’ensemble constitué
par la vieille ville et la nouvelle ville aurait été
une enclave internationale à l’intérieur du
territoire de l’Etat arabe : « Les Etats indépendants
arabe et juif ainsi que le régime international particulier
prévu pour la ville de Jérusalem [...] commenceront
d’exister en Palestine deux mois après que l’évacuation
des forces armées de la puissance mandataire aura été
achevée et, en tout cas, le 1er octobre 1948 au plus tard.
» (Résolution 181, 1re partie, section A, point 3.)
La troisième partie, section A de la résolution
précise : « La ville de Jérusalem sera constituée
en corpus separatum sous une régime international spécial
et sera administrée par les Nations unies. Le Conseil de
tutelle sera désigné pour assurer, au nom de l’Organisation
des Nations unies, les fonctions d’autorité chargée
de l’administration. » Le Conseil de tutelle est ainsi
chargé d’élaborer, dans les cinq mois, un statut
de la ville qui devra être en vigueur pendant dix ans. Les
frontières de la ville sont précisées dans
la résolution, qui développe également des
points sur l’autonomie locale, l’organisation législative,
les droits individuels, les relations avec les Etats juif et arabe,
la sécurité.
L’occupation de Jérusalem-Ouest en
1948 est suivie de sa condamnation par l’Assemblée
générale de l’ONU, le 11 décembre (résolution
194) ; le 28 juin la région de Jérusalem-Est est intégrée
à l’Etat d’Israël. L’assemblée
générale, de nouveau, condamne (4 juillet et 14 juillet
1967) ainsi que le Conseil de sécurité (21 mai 1968,
3 juillet 1969, 25 septembre 1971, 30 juin 1980, etc.). Tout cela
n’impressionne guère les autorités israéliennes,
qui décrètent le 30 juillet 1980 : « Jérusalem
entière et réunifiée est la capitale d’Israël
», ce qui provoque une résolution de protestation du
Conseil de sécurité (20 août 1980), non suivie
d’effet, évidemment.
Le plan de l’ONU de 1947 n’était
pas admissible pour les sionistes extrémistes de l’Irgoun
et du groupe Stern, dirigés respectivement par Menahem Begin
et Yitzhak Shamir.
Après le retrait des forces britanniques
et lors de la guerre de 1948, l’objectif des Israéliens
sera d’occuper militairement des dizaines de quartiers et
de villages palestiniens et un couloir reliant la ville sainte au
territoire israélien. C’est ce que fera l’organisation
militaire du mouvement travailliste, la Haganah, dès le 15
mai 1948. C’est dans cette perspective également qu’eut
lieu le massacre de Deir Yassine, qui se trouve précisément
dans la banlieue de Jérusalem. La souveraineté israélienne
va s’exercer sur les deux tiers de la ville arabe moderne
et des villages de la périphérie ; seule la vieille
ville et les lieux saints échapperont à l’occupation
jusqu’en 1967.
Le nouvel l’Etat d’Israël n’était
pas le seul à avoir des ambitions territoriales. Les dirigeants
sionistes et le roi Abdallah de Jordanie étaient convenus
d’un accord aux termes duquel la Jordanie occupa une partie
des terres que le plan de partage avait accordé aux Palestiniens,
la Cisjordanie, qui fut ensuite annexée en 1950. L’Egypte
occupa une autre partie du territoire que le plan de partage de
l’ONU avait réservé aux Palestiniens, le territoire
de Gaza.
En juin 1967, la vieille ville est occupée,
puis annexée à Israël. Le territoire est annexé,
mais pas la population, à qui on autorise d’élire
un maire israélien aux élections municipales, mais
pas de participer aux élections législatives. Malgré
des persécutions innombrables – fiscales, immobilières,
policières –, les habitants s’accrochent.
La ville de Jérusalem elle-même est
peu étendue. Après avoir annexé la ville, les
autorités israéliennes vont en étendre les
limites le plus possible. Dans un premier temps il s’agira
de grignoter peu à peu du terrain aux dépens des Palestiniens,
par n’importe quel moyen, d’y implanter une population
juive majoritaire, d’annexer les zones non habitées
ou peu habitées qui se trouvent entre les villages avoisinants
: le « Grand Jérusalem » devient un concept extensible
au fur et à mesure de besoins d’extension de la politique
d’implantation israélienne. « Dès 1967,
l’objectif était d’annexer le maximum de territoires,
avec le minimum d’habitants, ce que l’on voit clairement
si on étudie la carte des limites municipales telles qu’elles
ont été définies en 1967 » dit Jan de
Jong, géographe du Centre palestinien d’information
et de recherche géographique. Ainsi, les limites administratives
de Jérusalem déterminées par les autorités
représentent maintenant environ 20 % de la Cisjordanie, dans
lesquelles le gouvernement Shamir a commencé à implanter
les immigrants Juifs d’Union soviétique.
Malgré les injonctions de l’administration
américaine qui n’accepta d’accorder à
Shamir un prêt de 450 millions de dollars que si les Juifs
soviétiques n’étaient pas installés à
Jérusalem, Shamir ne céda pas. C’est que la
question de l’unification de la ville sous autorité
israélienne n’est pas négociable, et le point
de vue est partagé par l’ensemble des formations politiques,
de gauche comme de droite, même celles qui sont opposées
à l’occupation des territoires en Cisjordanie.
Sarah Kaminker, une urbaniste israélienne,
explique les choses très clairement : « Le scénario
a été établi en 1967 : faire de Jérusalem
une ville unifiée, mais dans laquelle la grande majorité
de la population doit être israélienne. Ce fut un succès
: la ville est désormais basée sur un seul groupe
de population, avec des minorités isolées et dispersées.
» (Libération, 11 mai 1995.) Alors qu’il n’y
avait pas d’habitant israélien en 1967, ils dépassent
aujourd’hui les Palestiniens dans la partie orientale, arabe,
de la ville.
Dans cette stratégie de grignotage, les confiscations
des terres ont joué un rôle clé depuis 1967.
Un tiers des terres palestiniennes ont été saisies,
sous divers prétextes, par l’administration israélienne
pour construire des logements, dont aucun n’a servi aux Palestiniens.
Les Palestiniens de Jérusalem sont contraints
de recourir à des constructions « illégales
» pour agrandir des logements qu’on leur interdirait
de toute façon d’agrandir. Les autorités israéliennes
ordonnent des destructions sans mise en garde, sans ordre préalable
d’interruption de construire, sans plainte judiciaire. Certaines
destructions sont ordonnées alors que le dossier est en cours
de régularisation, voire parfois déjà approuvé.
Le maire de Jérusalem, Ehoud Olmert (droite nationaliste,
élu en novembre 1993) a signé 39 ordres de destruction
en mai 1995, un record. Cette politique de judaïsation forcenée
de la ville est faite sous la direction de son maire et du maire
adjoint, Shmouel Meir, qui dirige le Forum pour Jérusalem,
connu sous le nom de Commando juif. Le Forum pour Jérusalem
s’était donné pour mission d’arrêter
les démarches du Gouvernement travailliste à Jérusalem,
et le processus de paix en général. Shmouel Meir affirma
ainsi que « L’interruption des confiscations n’arrêtera
pas la judaïsation de la ville. Nous œuvrons sur le long
terme, il ne faut pas s’inquiéter de telle ou telle
mesure. Notre Forum travaille clandestinement parce que nous avons
un gouvernement hostile à Jérusalem. Jusqu’à
ce que le gouvernement change, il faut veiller aux intérêts
du peuple juif à Jérusalem. C’est notre travail.
Nous judaïsons la ville dans tous les sens : achat de maisons,
activité politique, activité auprès des Juifs
du monde entier. » (Courrier international, 22-28 juin 1995.)
De fait, la politique d’expulsion ou de destruction
s’accompagne d’achats de maisons palestiniennes ou de
terrains, souvent grâce à des intermédiaires
arabes qui revendent aux Israéliens les biens ainsi acquis
parfois à des prix exorbitants. Une telle politique n’est
possible que grâce au soutien actif d’une partie de
la diaspora et de riches hommes d’affaires. La venue au pouvoir
de la droite accélérera ce processus.
Huit nouveaux quartiers ont surgi tout autour de
la ville arabe, une véritable ceinture de béton. L’une
des méthodes d’annexion insidieuse consiste à
décréter « zone verte », c’est-à-dire
inconstructibles, certaines terres arabes. En théorie, les
zones vertes sont destinées à garantir aux Palestiniens
la possession de leurs terres. En fait, cela consiste à «
y empêcher les constructions jusqu’à ce que la
municipalité en ai besoin pour des logements juifs »
déclare Sarah Kaminker.
Les travaillistes s’étaient engagés
à ne plus exproprier de nouveaux terrains à Jérusalem-Est
pour y installer des colons juifs. Netanyahou a décidé
ne pas appliquer cet engagement.
En réalité, si le gouvernement travailliste
avait mis quelques restrictions à la confiscation de terres
palestiniennes à Jérusalem, en fait ces confiscations
n’avaient pas cessé.
Netanyahou déclara en août 1996 : «
Un gouvernement dirigé par nous n’appliquera pas les
accords signés par le gouvernement d’Itzhak Rabin »
(Libération, 2 juin 1996), ce qui démontre une volonté
délibérée de dislocation méthodique
du processus de paix. Ainsi, le 27 août 1996, les Palestiniens
apprennent la démolition d’un immeuble de plusieurs
étages construit avec des dons internationaux pour héberger
une crèche, un centre pour handicapés, une maison
de retraite dans la partie arabe de Jérusalem. La judaïsation
forcée de la partie arabe de Jérusalem vise explicitement
à vider la ville de ses habitants arabes.
Le même jour encore est annoncée par
le ministre de la défense la construction, en territoire
occupé, de 1 800 logements réservés aux citoyens
israéliens juifs. Ce projet est présenté comme
l’« extension naturelle » d’une colonie
proche de Ramallah, le centre administratif et économique
de l’autonomie palestinienne en Cisjordanie occupée.
« Coïncidence fâcheuse, c’est
le même jour que Paris a rendue publique au quai d’Orsay
l’invitation officielle adressée par le gouvernement
français au ministre des affaires étrangères
israélien, David Lévy, chargé notamment d’obtenir
des pays occidentaux qu’ils regardent ailleurs tandis que
l’annexion illégale et forcée de la ville sainte
s’accélère sur le terrain. Les Palestiniens,
qui ne peuvent pas s’établir dans la partie juive (ouest)
de la ville, sont, avec cent soixante cinq mille âmes, désormais
minoritaires dans la partie est. » (Patrice Claude, Le Monde,
29 août 1996.)
Le gouvernement a également autorisé
fin août 1996 la construction de plusieurs centaines de logements
sur le Golan, annexé à la Syrie en 1980. Tout cela
n’empêche pas Netanyahou de répéter à
satiété : « Je suis prêt à discuter.
» Sur quoi ?
Les Palestiniens de Jérusalem ont eu la possibilité,
qu’ils ont largement refusée, de devenir citoyens israéliens.
Cela équivalait en effet à une reconnaissance de l’annexion.
Ils se sont contentés du statut de « résident
de Jérusalem ». Aujourd’hui, le nombre de Palestiniens
de Jérusalem qui demandent la citoyenneté israélienne
s’accroît : plus de mille demandes ont été
acceptées en 1994. Cette évolution inquiète
les dirigeants palestiniens car elle est révélatrice
de la perte de toute illusion sur l’issue des négociations.
En outre, elle affaiblit la position des dirigeants palestiniens
dans les négociations, et accroît la fermeté
des autorités israéliennes.
En réalité, ce sont les autorités
israéliennes qui devraient s’inquiéter, à
long terme. En effet, le principal problème de l’Etat
d’Israël est d’ordre démographique. Le rythme
d’accroissement de la population palestinienne d’Israël
est beaucoup plus important que celui de la population juive. L’intégration
de Palestiniens en Israël risque d’accélérer
ce processus, qui aboutira dans cinquante ans à une situation
où les Juifs en Israël seront minoritaires.
L’attitude de l’administration américaine
devant le processus de grignotage des terres palestiniennes est
significative. En mai 1995, sous le gouvernement Rabin, les autorités
israéliennes ont confisqué 53 hectares à Jérusalem-Est.
Un projet de résolution, très modéré,
du Conseil de sécurité a été bloqué
par un veto américain, le 17 mai. L’ambassadeur américain
aux Nations unies, Madeleine Albright, expliqua que le veto ne signifiait
pas une approbation de l’expropriation, mais constituait une
opposition à l’immixtion du conseil de sécurité
dans le « processus de paix » au Proche-Orient. En d’autres
termes, l’ONU ne doit pas se mêler de ça, seuls
les Etats-Unis peuvent avoir leur mot à dire. Le statut de
Jérusalem doit faire l’objet de négociations
bilatérales entre les deux parties sans ingérence
de la communauté internationale, ce qui est une façon
de dire : avec la seule ingérence des Etats-Unis, qui sont
un soutien inconditionnel d’Israël. La seule réaction
des autorités palestiniennes a été de demander
que soient réaffirmés les termes de la « lettre
de garantie » que les Américains avaient signée
en octobre 1991 au moment de la conférence de Madrid, promettant
aux Palestiniens que le processus de paix s’appuierait sur
les résolutions du Conseil de sécurité. Les
Palestiniens s’accrochent à la « lettre de garantie
» que les Américains ont dénoncée, laquelle
fait référence à une légalité
internationale qui n’est jamais respectée par Israël,
manque de respect que les Etats-Unis refusent systématiquement
de condamner...
L’ambassadeur israélien s’est
évidemment félicité de ce veto, et a rappelé
les propos qu’Itzhak Rabin avait tenus la semaine précédente
lors d’une visite à Washington : « La politique
de tous les gouvernements d’Israël a été
et est : Jérusalem unifiée sous la souveraineté
d’Israël, capitale d’Israël et cœur du
peuple juif pour toujours. »
Pour la forme, l’ambassadeur israélien
a rappelé que le gouvernement Rabin avait pris l’engagement,
le 15 mai, de mettre fin aux expropriations à Jérusalem-Est,
engagement manifestement contraire aux actes de ce même gouvernement...
Le gouvernement Rabin avait concédé aux Palestiniens
de ne pas vraiment créer d’implantations nouvelles,
mais il se réservait le droit d’étendre celles
qui existaient déjà. Plusieurs dizaines de colonies,
jusqu’au cœur même de la Cisjordanie, furent ainsi
autorisées à s’agrandir. De confiscation en
annexion, la « capitale éternelle » d’Israël
s’étend jusqu’à presque toucher Ramallah
au Nord, Bethléem au Sud et Jéricho à l’Est.
On voit que les positions du gouvernement travailliste de Rabin
n’étaient guère différentes dans la pratique
de celles de Netanyahou aujourd’hui.
C’est l’intervention des représentants
palestiniens à la Knesset qui a empêché ce projet
de confiscation de réussir.
Le statut de Jérusalem comme capitale unifiée
de l’Etat d’Israël a été un thème
central de la campagne de Netanyahou. Il convient de rappeler que
c’était aussi un des axes de la campagne du travailliste
Pérès. Jérusalem constitue un enjeu symbolique
aussi bien pour les Israéliens que pour les Palestiniens.
« Le résultat de cette élection a été
le premier pas vers une note de réalisme devant les espérances
grandissantes des Arabes palestiniens » écrit William
Saffire dans International Herald Tribune du 3 juillet 1996.
« Aucun processus qui soulève chez
les Arabes de faux espoirs concernant la division de Jérusalem
ne peut amener la paix quand il est certain que sa conclusion détruira
ces espoirs. Inviter les Palestiniens à entretenir ce rêve
impossible, c’est provoquer le ressentiment... »
Les Palestiniens disposent à Jérusalem
d’un centre culturel, la Maison d’Orient, qui est aussi
le siège officieux de l’OLP dans la partie arabe de
la ville, où les hommes d’Etat étrangers de
passage étaient systématiquement invités sous
le gouvernement travailliste. Pour le gouvernement israélien,
ces visites constituent une légitimation des Palestiniens
à cette partie de la ville. C’est pourquoi le ministre
français des Affaires étrangères de Jacques
Chirac s’est vu interdire l’accès de ce lieu
par les autorités palestiniennes lors de sa visite le 22-23
octobre 1996 [97]. William Saffire affirme que le deuxième
pas vers le retour au réalisme, auquel va s’atteler
Netanyahou, consiste à mettre fin à cette «
diplomatie rampante » des Palestiniens concernant la Maison
d’Orient, consistant à inviter les ministres des Affaires
étrangères à visiter de « symbole informel
de souveraineté naissante ». « Des visites d’un
tel niveau à la tête de pont de l’Organisation
de libération de la Palestine à Jérusalem seront
maintenant activement découragées », dit-il.
Sur le plan du droit international, Jérusalem-Est
est un territoire occupé par Israël depuis 1967 au même
titre que la Cisjordanie ou la bande de Gaza. C’est pourquoi
les ambassades se trouvent à Tel-Aviv, y compris celle des
Etats-Unis. Or M. Saffire nous expose que le troisième pas
vers un retour au réalisme est dans l’installation
de l’ambassade américaine à Jérusalem,
comme le stipule une loi américaine, votée en janvier
1996 mais que Clinton refuse de signer. Cette loi stipule que l’ambassade
américaine doit être installée à Jérusalem
d’ici au 31 mai 1999. « En s’inclinant devant
les Arabes [Saffire évite systématiquement de parler
de Palestiniens [98]] qui insistent sur le fait que la revendication
de Jérusalem n’est pas valide, des générations
d’arabistes du Département d’Etat ont injustement
insulté notre allié. » Désormais, avec
la nouvelle loi, les Etats-Unis ne considèrent plus la position
arabe sur le statut de Jérusalem comme une question ouverte,
dit encore Saffire. En d’autres termes, ce monsieur considère
comme un fait évident qu’une loi américaine,
même non contresignée par le président, prévaut
sur le droit international qui, en dépit de tout, considère
encore la présence des Israéliens à Jérusalem-Est
comme un acte d’occupation militaire. C’est un peu comme
si le Congrès des Etats-Unis décidait que Maubeuge
serait la capitale de la France.
Selon la déclaration de principe israélo-palestinienne
du 13 septembre 1993, signée à la Maison-Blanche,
le sort de Jérusalem sera discuté à l’occasion
de pourparlers qui porteront sur le statut définitif des
territoires occupés ; rien ne sera fait entre-temps dans
la partie arabe de la ville qui pourrait modifier la situation actuelle.
La réalité a largement démenti ces prises de
position : démolitions de bâtiments, retrait de cartes
de résidents, interdiction de se rendre à la Maison
d’Orient, et ouverture d’un accès à un
tunnel archéologique.
Le long du Mur des Lamentations se trouve une galerie
souterraine de 488 mètres qui mène au mont du Temple,
où se trouve l’esplanade des mosquées. Depuis
1968, des religieux juifs ont creusé le long du Mur des Lamentations
pour excaver le chemin d’Hérode, provoquant les protestations
des autorités musulmanes, car si on touche à ces galeries
on touche aux structures de base du mont du Temple où se
trouve l’esplanade des mosquées. La crainte des musulmans
de voir les Juifs miner les fondations du mont du Temple est renforcée
par le fait que ces dernières années cinq complots
d’extrémistes juifs visant à faire sauter l’esplanade
des mosquées ont été déjoués
[99].
Rabin avait décidé de ne pas ouvrir
l’entrée de ce tunnel parce qu’il savait que
c’était jouer avec le feu. Les rapports des services
secrets et de la police soulignaient bien le danger de toute intervention
sur les lieux saints. Même Moshe Dayan et Menahem Begin avaient
refusé de risquer une confrontation avec les musulmans sur
cette question.
La décision de Netanyahou de remettre en
cause le statu quo s’inscrit dans la perspective de la célébration
du troisième millénaire de Jérusalem, mais
elle est aussi une provocation destinée à réaffirmer,
au mépris total des Palestiniens arabes, la souveraineté
israélienne et juive sur la ville.
Shimon Pérès avait déclaré
sur CNN le 26 septembre 1996 que « ce tunnel attendait depuis
deux mille ans, il pouvait attendre encore un peu. » Malgré
les 83 morts (67 Palestiniens et 16 Israéliens) provoqué
par les émeutes consécutives à la décision
du Premier ministre, ce dernier affirme : « Je ne regrette
pas du tout ma décision d’ouvrir ce tunnel »
(Le Monde, 29-30 septembre 1996) Il ajoute encore : « ...
je n’ai aucune raison de retarder notre souveraineté
sur Jérusalem. Parce que l’ouverture pratiquée
n’est rien d’autre que l’expression de notre souveraineté
sur la capitale éternelle d’Israël. » (Ibid.)
Netanyahou n’a tenu aucun compte des mises
en garde des services de sécurité contre les conséquences
possibles de l’ouverture du tunnel et de la reprise des travaux
; il a en outre sous-estimé la capacité de réaction
des Palestiniens, à un moment où par ailleurs les
démolitions de maisons palestiniennes ont repris et la colonisation
du quartier musulman gagne du terrain chaque jour. L’embrasement
qui a eu lieu le 25 septembre 1996 dans les territoires occupés
était parfaitement prévisible. Il n’a été,
selon Ami Ayalon, chef du Shabak, la sécurité intérieure,
que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase : en
trois mois, il y a eu quelques rencontres sans signification autre
que médiatique entre Israéliens et Palestiniens, tandis
que la colonisation juive reprenait, ainsi que la confiscation des
terres pour étendre les colonies existantes, la construction
de routes réservées aux Juifs, la destruction de bâtiments
palestiniens, l’installation de colons juifs dans la partie
arabe de Jérusalem. Et lorsque Ayalon évoque la crise
économique terrible dans les territoires occupés et
le sentiment de frustration des Palestiniens, Netanyahou répond
cyniquement : « Frustration ? Moi aussi il m’arrive
d’être frustré. Qu’est-ce que ça
a à voir avec la situation actuelle ? ... Il faudra qu’ils
s’y habituent car il y aura beaucoup de frustration dans ce
processus... »
Aucun des engagements pris par le gouvernement travailliste
n’a été appliqué : redéploiement
militaire hors de Hébron (retard de six mois), passage réservé
pour permettre aux Palestiniens de passer de Cisjordanie à
Gaza (retard de deux ans), libération des prisonniers.
Alors que les premiers morts étaient annoncés,
Netanyahou, en visite à Paris, se déclare «
plein de respect pour les Lieux saints musulmans aussi bien que
chrétiens à Jérusalem », mais, reçu
par la branche française du Likoud [100] à l’Aquaboulevard
de Paris, il déclare le 25 septembre que « les droits
d’Israël sont inscrits dans la Bible, et non dans les
déclarations de l’ONU ». En cela, Netanyahou
fait bien partie de ceux qui refusent d’aborder le problème
israélo-palestinien en termes concrets, de détermination
de frontières, d’arrangements de sécurité,
de partage des ressources naturelles, mais qui la réduisent
à de prétendus commandements de Dieu. Une telle approche
ne peut que conduire l’ensemble de la région à
la catastrophe.
La dynamique enclenchée par les travaillistes
avait contribué à un début de normalisation
de la présence d’Israël dans la région.
Netanyahou la remplace par une logique d’affrontement.
En décembre 1996, une nouvelle mèche
explosive est allumée par Netanyahou. La Commission de planification
urbaine, où siègent les représentants de la
municipalité et de plusieurs ministères, approuve
la construction d’une colonie juive de 132 maisons en plein
cœur du quartier arabe de Ras al-Amoud, au pied du mont des
Oliviers. C’est la première fois qu’une résidence
réservée aux Juifs est construite en plein cœur
d’un village palestinien populeux. Ce projet, tout comme celui
du tunnel, avait été bloqué par le précédent
gouvernement. Une implantation juive de plus s’ajoute ainsi
à la dizaine de quartiers neufs qui ont peu à peu
encerclé la partie arabe de Jérusalem, où se
trouve désormais une majorité de Juifs. Cette nouvelle
implantation se situe au cœur d’une zone déjà
habitée par 11 000 Palestiniens. Le Centre israélien
d’informations alternatives a qualifié de « nettoyage
ethnique » la politique du gouvernement à Jérusalem-Est,
en limitant à 25 % au maximum la présence palestinienne
dans la capitale unifiée.
En mars 1997, Netanyahou remet ça avec un
autre projet de colonie à Jérusalem-Est. L’implantation
de Har Homa (djebel Abou Ghneim pour les Palestiniens) est déclarée
illégale dans un projet de résolution des Nations
unies. L’administration américaine une fois de plus
affirme que « l’ONU n’est pas l’enceinte
appropriée pour débattre des questions bilatérales
entre Palestiniens et Israéliens » (Le Monde, 7 mars
1997). Les Américains refusent de participer aux réunions
d’experts pour la rédaction finale du projet de résolution,
qui sera votée le 13 mars sans que les Américains
y opposent leur veto.
Malgré les avertissements des services de
sécurité, le gouvernement israélien décide
le 14 mars de lancer le projet. Il s’agit de la onzième
colonie juive dans la partie arabe occupée de Jérusalem.
Face à ces initiatives, Arafat appelle au calme, exclut toute
manifestation de masse, et en appelle à l’aide de la
« communauté internationale », ce qui n’empêche
pas Netanyahou de déclarer, à propos de l’attentat
de Tel-Aviv qui a fait quatre morts en mars 1997, que le chef de
l’autorité palestinienne aurait « donné
son feu vert aux pires organisations terroristes de la terre pour
reprendre les attentats-suicides, les explosions d’autobus
et les massacres de masse. » Cette déclaration est
d’une mauvaise foi d’autant plus grande que les autorités
palestiniennes ont réprimé avec une extrême
sévérité les mouvements fondamentalistes islamiques,
mis des centaines de militants en prison, faisant le travail que
faisaient auparavant les services répressifs israéliens.
Les provocations israéliennes ne peuvent pas ne pas susciter
des réactions violentes que la police palestinienne ne peut
pas toutes contrôler ; ensuite, Netanyahou n’a aucun
mal à mettre ces actions sur le compte de l’autorité
palestinienne. Abou Alaa, président de l’assemblée
législative palestinienne, déclare : « ... Y
a-t-il une plus grande violence que celle qui consiste à
envoyer des bulldozers défoncer, sous la protection de la
force armée, une terre occupée par un autre peuple
? La violence, c’est Israël qui la précipite.
» Les affrontements avec l’armée israélienne
ont fait, à la fin mars, trois cents blessés.
Alors que Netanyahou s’exclamait, le 18 mars
au début des travaux : « Aujourd’hui, nous exauçons
la prière de générations juives : nous construisons
à Yeroushalaïm ! », un éditorialiste de
Yediot Ahronot déclarait que le djebel Abou Ghneim «
n’est pas et n’a jamais été une partie
de Jérusalem, c’est un morceau de Cisjordanie assez
éloigné » de la ville sainte, qui, de fait,
se trouve à six kilomètres au sud de la ville. Hillel
Bardin demandait également dans une tribune libre parue dans
Haaretz : « Quelles sont exactement les limites de la ville
pour laquelle nous prions depuis des générations ?
Comment nous sommes-nous débrouillés pour convaincre
notre peuple que des morceaux de territoire aussi lointains que
Har Homa font partie de notre capitale éternelle ? »
« Après 1967, nous avons annexé vingt-huit villages
palestiniens nouvellement conquis, nous avons multiplié la
superficie de Jérusalem-Est par douze, triplé celle
de Jérusalem “réunifiée”, avalé
tous les terrains arabes alentour, que nous convoitions, et nous
avons baptisé le tout : Yeroushalaïm. » Gidéon
Lévy, dans le même journal, écrit : «
Le Neguev israélien est vide, la population de la Galilée
est clairsemée, mais c’est justement là, dans
la partie la plus litigieuse du pays, celle qui appartient à
un autre peuple, sur les restes de la terre que nous lui avons volée
– et uniquement là – qu’il faut construire,
creuser, terrasser à outrance. » (Citations du Monde,
30-31 mars 1997.)
Netanyahou affirmait au président Moubarak
qu’il ne s’agissait que d’une « simple question
de logement ». Il ne manque pas d’endroits pour construire
à Jérusalem-Ouest. L’enjeu est tout autre. Il
s’agit d’une stratégie parfaitement délibérée
d’encerclement des zones d’habitation palestiniennes
autour de Jérusalem afin de rendre la situation irréversible,
alors que les négociations sur le statut définitif
de la ville devaient commencer fin mai. Il s’agit d’isoler
définitivement la partie orientale de Jérusalem du
reste de la Cisjordanie. Des colonies juives situées en Cisjordanie
mais proches de Jérusalem – Guivat Zeev au Nord, Maale
Adoumim à l’Est, Goush Etzion au Sud avec leurs dizaines
de milliers d’habitants, « seront bientôt, elles
aussi, annexées à la capitale et baptisées
“nouveaux quartiers juifs de Yeroushalaïm”. Ainsi,
en appliquant l’outil de la “sainteté administrative”
à des territoires arabes capturés, aurons-nous réussi
à les rendre non négociables à non propres
yeux. » (Hillel Bardin, loc. cit.)
Des milliers de familles palestiniennes, vivant
à l’étroit, n’ont pas pu obtenir de permis
pour agrandir ou améliorer leurs habitations. Beaucoup d’autres,
trop pauvres, sont contraintes de s’exiler en dehors des limites
municipales de la ville, dont l’accès est par ailleurs
interdit, depuis mars 1993, aux Palestiniens qui n’ont pas
de permis spécial. De ce fait, ces familles perdent le droit
d’y revenir. Même les certificats de résidence
ne sont pas une garantie car ils sont révocables à
tout instant sous n’importe quel prétexte. Depuis l’accession
au pouvoir de Netanyahou, le rythme des révocations a subi
une « inquiétante accélération »,
selon Lea Tsemel, une avocate israélienne.
HEBRON
Hébron est une ville palestinienne du sud
de la Cisjordanie, qui abrite le tombeau des Patriarches, Abraham,
Isaac et Jacob, vénérés par les trois religions
monothéistes. Hébron est la ville où Abraham
s’est installé à son retour d’Egypte :
c’est donc un symbole de la « légitimité
historique » des Juifs. La revendication juive sur Hébron
s’appuie également sur un passage de la Torah qui raconte
qu’Abraham y aurait acheté, il y a 3 500 ans, une caverne
pour ensevelir sa femme Sarah. Enfin, Hébron aurait été
pendant sept ans la capitale de la Judée du roi David...
Ce lieu saint est composé d’une synagogue
et d’une mosquée. Il existait à Hébron
une vieille communauté juive. Lors du soulèvement
palestinien de 1929, soixante-sept habitants juifs ont été
massacrées [101].
Aucun juif n’a jamais prié dans la
mosquée avant l’occupation de 1967. C’est Moshe
Dayan, alors ministre de la Défense, qui a proposé
d’en transformer une partie en synagogue... Au début,
une petite partie de la mosquée – déjà
toute petite – fut attribuée aux Juifs, puis avec l’augmentation
de la colonisation ils s’en sont progressivement approprié
une plus grande partie. Aucune preuve n’existe qu’Abraham
et Sarah soient enterrés à Hébron. Le seul
des documents originaux constituant la Genèse qui lie les
patriarches à Hébron a été écrit
après le retour des Juifs de l’exil babylonien, mille
ans après la mort d’Abraham [102].
Après la conquête de la Cisjordanie
en 1967, le gouvernement travailliste a permis l’installation
de fanatiques du Bloc de la foi dans le centre d’Hébron
et la construction, à ses portes, du quartier juif de Kiryat
Arba. 450 Juifs vivent aujourd’hui dans une ville palestinienne
de 120 000 habitants.
Le gouvernement travailliste était parvenu
à un accord avec l’autorité palestinienne sur
Hébron : les 450 colons juifs pouvaient rester, ainsi que
des soldats chargés de les protéger. L’armée
israélienne devait se retirer d’environ 80 % du territoire
municipal d’Hébron, tandis que les 20 % restants demeuraient
sous le contrôle des colons juifs. Itzhak Rabin s’était
engagé à assurer la protection des colons, mais il
était exaspéré par les extrémistes d’Hébron
: « Essayez d’imaginer une situation où 120 000
Juifs habitant dans une ville seraient empêchés de
faire des choses à cause de 450 non-Juifs. Que diraient-ils
alors ? » (Libération, 16-17 septembre 1995.) Les impératifs
de la protection des 450 Juifs d’Hébron imposent des
interdictions de circuler pour les Palestiniens qui rendent l’accès
à la ville très difficile : fermetures de rues, de
marchés, fouilles de riverains, plaques de béton,
barrages multiples, tourniquets métalliques obligent les
habitants à faire d’interminables détours. Le
marché au légumes a été fermé
après le massacre perpétré en 1994 par Baruch
Goldstein.
Netanyahou veut maintenant agrandir la colonie pour
que « la communauté juive puisse vivre et se développer
dans une sécurité complète ». Les Palestiniens
sont invités à renoncer à la quasi-totalité
du centre historique de la ville.
Hébron est apparu sur la scène médiatique
le 25 février 1994 lorsque le docteur Baruch Goldstein, membre
du groupuscule raciste Kach, massacra 29 musulmans au caveau des
Patriarches.
C’est à Kiryat Arba que vivait Baruch
Goldstein, élevé depuis au rang de saint homme et
qui est maintenant révéré comme un modèle
et un héros. D’une façon générale,
les ultra-orthodoxes affectionnent de s’installer par la force
dans les endroits de forte densité de population musulmane,
comme à Hébron, mais aussi à Elon Moreh, près
de Naplouse.
Goldstein est le modèle du fanatique religieux.
Elevé à Brooklyn dans la plus pure tradition rigoriste,
il étudie dans les écoles talmudiques, puis passe
son diplôme de médecin. Il participe à la Ligue
de défense pour la protection des Juifs à New York,
créée en 1968 par le rabbin Meir Kahane (qui sera
assassiné en 1990), et qui prône l’élimination
radicale des ennemis et une idéologie raciste. Goldstein
émigre en 1982 en Israël et vit dans la colonie de Kiryat
Arba dont les membres se considèrent comme les émules
du rabbin Meir Kahane.
Se considérant comme des missionnaires sionistes
et des pionniers, ils livrent une véritable guerre aux «
nouveaux cananéens », les Palestiniens. Ils font des
raids dans les villages, les camps palestiniens, détruisent
les cultures, arrachent les arbres. De 1987 à 1991, ils ont
assassiné 42 Palestiniens ; pour la seule année 1989
ils ont blessé grièvement 86 personnes, selon le Centre
d’information palestinien des droits de l’homme. Bt’selem,
une organisation israélienne de défense des droits
de l’homme, a recensé 39 colons meurtriers entre décembre
1987 et décembre 1993 : trois ont comparu devant un tribunal
; la plus forte sanction a été trois ans de prison,
dont la moitié a été effectuée.
L’accord de Washington signé le 13
septembre 1993 entre Arafat et Rabin est considéré
par les fondamentalistes juifs et les colons comme une trahison.
Le 5 décembre 1993, le Conseil des colonies proclame la désobéissance
civile dans l’intention de saboter le processus de paix, et
organise dans les territoires occupés une campagne de violences.
La tension monte entre Palestiniens et colons. Seize Palestiniens
sont tués de septembre 1993 à février 1994.
A Hébron, la terreur règne : des commandos mettent
des maisons à sac, les incendient, défilent dans les
quartiers arabes, dans les souks, insultent les passants, les passent
à tabac, détruisent les réserves d’eau.
Les soldats ne réagissent jamais à cette violence,
qui est toujours présentée comme « défensive
».
Lors du massacre du 25 février 1994 à
Hébron, l’armée s’est montrée une
fois de plus complice. Un porte-parole officiel annonça le
2 mars que 30 Palestiniens avaient été tués
dans la mosquée, qu’aucun soldat israélien n’était
responsable de morts dans la mosquée elle-même mais
qu’ils en avaient tué 5 après le massacre. Cependant,
peu avant un porte-parole militaire avait annoncé 44 morts
tandis que les sources palestiniennes en annonçaient 58.
Selon une enquête militaire, les soldats israéliens,
entendant les coups de feu, auraient cru que Goldstein était
attaqué et auraient tiré dans la mosquée (Haaretz,
27 février 1994). Bt’selem, l’organisation israélienne
des droits de l’homme, et le Centre d’information palestinien
pour les droits de l’homme citent les noms de 58 personnes
tuées dans la mosquée et ses alentours immédiats
et de 13 personnes tuées par les soldats lors d’incidents
survenus dans la journée [103].
Dès les premiers tirs les soldats empêchaient
les gens qui se trouvaient à l’intérieur de
s’échapper, en leur tirant dessus. Ils ont empêché
toute aide extérieure. Les blessés n’ont pu
être évacués que 50 minutes plus tard.
Les accords Oslo II du 24 septembre 1995 prévoyaient
un retrait partiel des troupes israéliennes en avril 1996.
En décembre les Palestiniens décident d’arrêter
temporairement les négociations avec les Israéliens
jusqu’à ce que soient appliqués les engagements
pris par le précédent gouvernement concernant l’évacuation
d’Hébron, la création d’un aéroport
et d’un port de haute mer à Gaza et l’ouverture
de communications entre Gaza et la Cisjordanie, la libération
des prisonniers, au nombre de 6 000.
Pendant la première semaine de décembre,
à deux reprises, les étudiants entrent dans le campus
de l’université d’Hébron fermée
par l’armée depuis mars 1996 : de violents heurts s’ensuivent.
Le 11 décembre 1996, un commando du Front
populaire de libération de la Palestine assassine une mère
et son fils de la colonie de Beit El. Cinq colons sont blessés.
Aux obsèques, Netanyahou déclare : « Le peuple
juif construira et vivra ici. »
Netanyahou aussitôt accuse l’Autorité
palestinienne de ne pas avoir prévu l’attaque. La ville
proche de Ramallah est coupée du monde et soumise pendant
trois jours à un sévère couvre-feu, qui est
levé quand la police palestinienne arrête trois membres
du FPLP. Ils seront condamnés l’un à la prison
à vie, les deux autres à 25 ans de prison. Le 17 décembre,
le quotidien de Ramallah, Al Ayyam, publie un article critiquant
vivement les meurtres de Beit El, déclarant que seule une
action de masse, comme celle de l’Intifada, pourrait être
utile aux Palestiniens. « Le ministre palestinien de la Justice,
Freih Abu Meidan définit la tuerie des colons de Beit El
comme “un cadeau de Noël pour Netanyahou”, justifiant
sa politique de colonisation. En effet, la “riposte sioniste”
à l’attaque de Beit El fut exigée par les colons
sous la forme de mille appartements supplémentaires à
construire sur des terres arabes annexées. » (Israel
& Palestine Political Report, March/April 1997, p. 14.)
Le Premier ministre applique une tactique simple
mais efficace :
– chaque attentat, chaque tragédie
causés par l’occupation israélienne elle-même
est retournée contre les Palestiniens sous forme d’aggravation
de l’occupation et l’extension des zones colonisées
;
– chaque attentat est l’occasion de
reculer les échéances en les conditionnant à
une répression accrue de l’autorité palestinienne
contre les terroristes, répression déjà considérable
dont souffre l’ensemble de la population palestinienne. Netanyahou
se plaint à la fois du nombre trop élevé de
policiers palestiniens et de l’insuffisante répression
contre les terroristes.
Mais il est hors de question que les autorités
israéliennes prennent le moindre engagement pour garantir
la sécurité des Palestiniens contre les attaques des
colons. En janvier 1998 Netanyahou refuse de signer un accord de
sécurité négocié entre palestiniens
et israéliens sous la supervision de la CIA parce que le
document osait demander qu’Israël s’engage également
à lutter contre ses propres extrémistes. « On
ne met pas les Israéliens et les terroristes palestiniens
sur le même plan », s’était-il indigné.
Baruch Goldstein, qui avait massacré vingt-neuf musulmans
à Hébron, n’était donc pas un terroriste.
De fait, le gouvernement s’appuie sur des
prétextes sécuritaires pour modifier certaines mesures
de l’accord de « redéploiement ».
Le ministre des Infrastructures, Ariel Sharon, envisage
d’agrandir la zone d’implantation des Juifs afin de
réaliser une continuité territoriale entre les six
parcelles de colonies d’Hébron et la grande implantation
de Kiryat Arba, à l’Est de la ville.
Netanyahou se trouve dans une situation difficile
vis-à-vis de ses électeurs fondamentalistes : il n’a
pas réussi à faire fermer la Maison d’Orient
à Jérusalem ; il a été contraint de
rencontrer Arafat, malgré ses déclarations contraires
; il a confirmé le principe du retrait des troupes d’Hébron.
Les colons, certains religieux et la droite commencent à
le critiquer. Cependant, le Parti national religieux, d’extrême
droite, qui est au gouvernement, a fini par accepter le principe
du retrait d’Hébron. Le fondateur du Bloc de la foi,
Moshé Levinger, qui a reconnu avoir assassiné un commerçant
palestinien, s’est lui aussi incliné. On verra dans
quelles circonstances ces humanistes ont accepté de se plier.
Les accords qui sont finalement signés concernant
Hébron sont, à très peu de chose près,
strictement les mêmes que ceux qui avaient été
finalement prévus, mais avec sept mois d’atermoiements
et beaucoup de morts lors de nombreux affrontements armés.
L’accord de redéploiement d’Hébron
avait tout d’abord été conclu en septembre 1995
à la Maison-Blanche, sous le patronage de Clinton, et prévoyait
le retrait des soldats israéliens de 80 % de la ville, pour
la fin mars 1996. En février une vague d’attentats
islamistes et l’approche des élections du 29 mars incitent
Pérès, avec l’accord d’Arafat, à
repousser la mise en œuvre des accords signés. Pérès
perd les élections. Après les élections de
mars 1996, malgré l’absence totale d’attentats,
le gouvernement Netanyahou multiplie les provocations : relance
de la colonisation, blocage de la libre circulation des biens et
des personnes entre les enclaves urbaines autonomes de Gaza et de
Cisjordanie, renégociation d’accords déjà
signés.
Alors que les travaillistes considéraient
la présence de colons juifs dans Hébron comme une
nuisance temporaire ou comme un atout dans les négociations,
le gouvernement actuel entend y maintenir définitivement
les ultra-orthodoxes. Il s’agit donc d’assurer à
cette petite colonie sa survie.
Après les affrontements armés à
Jérusalem sur la question du « tunnel », en septembre
1996, les négociations, à la ferme instigation des
Etats-Unis, sont reprises mais butent sur l’exigence israélienne
du droit, pour l’armée, d’opérer librement
dans ce qui doit devenir la partie autonome de la ville, aussi bien
pour exercer un droit de poursuite que pour y réaliser des
actions préventives dont l’opportunité sera
évidemment du seul ressort des autorités israéliennes.
La position israélienne se fonde sur le principe
de séparation des populations qu’Arafat dénonce
comme « dangereux, agressif et raciste [104] ». Les
colons, armés, seront protégés en permanence
par 1 600 soldats juifs tandis que le reste de la ville aura au
plus 400 policiers palestiniens. Mais il y a d’autres exigences.
Les 20 % de la ville qui restent sous autorité israélienne
contiennent une population de 20 000 Palestiniens. Ces derniers
n’auront le droit de construire dans un rayon de 150 mètres
de la « zone d’implantation juive » qu’avec
l’autorisation de l’Etat israélien : pas de bâtiment
de plus de 3 mètres de haut à moins de 50 mètres
de la ligne de séparation ; pas d’édifice de
plus de 6 mètres de haut à moins de 150 mètres.
Ce plan est vigoureusement rejeté par les colons qui craignent
que le départ partiel des soldats ne compromette leur projet
de judaïser l’ensemble de la ville d’Hébron.
Le 1er janvier 1997, un soldat israélien extrémiste,
dans l’espoir de torpiller l’accord, tire sur la foule
sur le marché d’Hébron, blessant sept Palestiniens,
dont un gravement. Le 9 janvier, un attentat non revendiqué
fait treize blessés à Tel-Aviv.
Le 17 janvier 1997 a lieu la « remise des
clés » à Hébron. Des renforts de soldats
israéliens ont pour mission de contenir tout débordement.
Le « redéploiement » doit avoir lieu dans les
dix jours qui suivent la signature. L’autorité palestinienne
détient les pouvoirs civils, « sauf ceux liés
aux Israéliens et à leurs propriétés
». Les zones tampon restent sous contrôle israélien.
Des barrages palestiniens trient les entrées. Le caveau des
Patriarches reste sous le contrôle israélien. La rue
Al Shuhada, au centre de la ville, doit être rouverte dans
les quatre mois. Un mur sera construit le long de cette rue pour
protéger les bâtiments des colons. La première
phase du redéploiement doit avoir lieu dans la première
semaine de mars. Une « note pour mémoire » fait
mention d’un « repli autour des colonies » et
d’« emplacements militaires spécifiés
», lesquels emplacements ne sont pas spécifiés
du tout, ce qui peut être interprété très
extensivement par les autorités israéliennes ; comme
la « lettre d’assurance » signée pour l’occasion
par Warren Christopher dit que « Israël est libre de
définir unilatéralement l’étendue des
territoires transférée pour sa sécurité
», on devine aisément quelle interprétation
sera donnée à l’étendue de ces zones.
Le doute s’évanouit définitivement lorsque Netanyahou,
commentant le délai fixé à la mi-1998 –
au lieu de septembre 1997 comme précédemment convenu
– pour évacuer les zones rurales, déclare :
« Nous allons mettre à profit l’intervalle que
nous avons obtenu dans le nouvel accord pour atteindre nos objectifs
: maintien de l’unité de Jérusalem, garantie
de la profondeur territoriale nécessaire à la sécurité
de l’Etat, défense des droits des Israéliens
à s’installer partout sur leur terre. Aux Palestiniens,
nous proposerons une autonomie sans souveraineté... »
Déjà, avant son élection, Netanyahou
déclarait : « Il n’est pas question d’accorder
aux Palestiniens la possibilité de créer un Etat.
Tout au plus leur offre-t-on une certaine forme d’autonomie.
» Et après l’élection, il réitérait
: « Je leur offrirai la possibilité de gérer
leur vie quotidienne, sauf pour les questions de sécurité
et les affaires extérieures qui resteront entre nos mains.
Nous allons fermer tous les bureaux de l’OLP dans notre capitale
unifiée, Jérusalem. (...) L’autonomie que je
leur propose est généreuse... » (Le Monde, 1er
juin 1996.)
Bien que Netanyahou ait annoncé en privé
aux colons qu’il n’entendait transférer que 10
% de la Cisjordanie aux Palestiniens, nombre de colons et certains
membres du gouvernement accusent Netanyahou de trahir l’idéal
du Grand Israël en rétrocédant aux Palestiniens,
avec l’accord sur Hébron, 0,5 % de territoire cisjordanien
de plus. Le ministre de la recherche a démissionné,
sept autre ministres désapprouvent l’accord. Le vote
de l’accord à la Knesset, le parlement israélien,
a été un événement exceptionnel dans
la mesure où une partie de la droite nationaliste et des
religieux ont voté pour.
L’explication du ralliement de ces députés
se trouve sans doute dans l’arrangement conclu entre Netanyahou
et trois autres personnages, le ministre de la Justice Tzahi Hanegbi,
le directeur de bureau du Premier ministre Avigdor Liebermann et
le chef du Shass, le parti des Juifs orientaux orthodoxes, Arieh
Deri. Tout ce petit monde aurait conspiré pour faire nommer
un avocat obscur, Roni Bar-On, comme conseiller gouvernemental à
la justice. Deri aurait promis le soutien de son parti dans le vote
sur le redéploiement de Hébron si le nouveau conseiller
faisait enterrer sa propre inculpation pour corruption... Le procureur
général annonça le 20 avril sa décision
de ne pas poursuivre le Premier ministre, le ministre de la Justice
et le directeur de cabinet, tous trois ashkénazes, par manque
de preuves, mais Deri est inculpé de chantage, ce qui va
renforcer la conviction des Juifs orientaux que le rabbin séfarade
Deri [105] sert de bouc émissaire dans l’affaire. En
fait, Netanyahou n’a pas eu besoin d’alliances compliquées
pour faire accepter la signature de l’accord sur Hébron
à la Knesset, dans la mesure où le parti travailliste
l’approuvait.
L’accord sur Hébron entre parfaitement
dans le cadre ainsi défini par Netanyahou. Il est exigé
de l’autorité palestinienne qu’elle « lutte
efficacement » contre le terrorisme, mais rien ne fait obligation
à Israël d’empêcher les attaques de colons,
et le nombre de policiers palestiniens ne devra pas dépasser
celui fixé par l’accord d’Oslo ; l’autorité
palestinienne devra même empêcher la « propagande
hostile » aux accords, mais rien n’empêche la
manifestation de l’hostilité des Israéliens.
Netanyahou a fini par signer cet accord alors qu’il
s’était engagé auprès de ses électeurs,
et des partis ultra-orthodoxes grâce auxquels il a pu constituer
une majorité, de ne jamais le faire. En ne signant pas il
s’était mis dans une position difficile sur le plan
international ; en signant il se met dans une position difficile
sur le plan intérieur. Sa coalition bat de l’aile et
nombre d’Israéliens se demandent pourquoi il a fallu
quatre mois pour signer un accord qui ressemble tant à celui
qui avait été préparé par les travaillistes.
En signant, il s’engage à poursuivre une négociation
aux termes de laquelle il devra céder encore du territoire,
« pas plus de 10 % » selon Netanyahou, et à légitimer
le processus d’Oslo qu’il avait dénoncé
en bloc.
.
VI. – LA PALESTINE
1947 : L’EXODE DES PALESTINIENS
L’un des mythes fondateurs de l’Etat
d’Israël est l’idée que la Palestine était
une terre sans habitants, que les Juifs ont acheté la terre
qu’ils occupent donc légitimement. Plus personne aujourd’hui,
à part quelques abrutis de propagande, ne pense que la Palestine
n’était peuplée que de quelques bédouins
épars. Les historiens israéliens eux-mêmes évaluent
le nombre des Palestiniens qui ont fui entre 1947 et 1949 entre
900 000 et 1 300 000. Par ailleurs, ce sont les statistiques israéliennes
elles-mêmes qui chiffrent entre 6 et 9 % la proportion de
terres achetées par les Juifs, le reste ayant donc été
approprié par la force. Un rapport de l’ONU datant
de 1947 estime que les Palestiniens possédaient alors 93
% de la terre. Le mythe de « l’achat des terres par
les Juifs » tombe.
Un autre de ces mythes est que les Palestiniens
se sont enfuis d’eux-mêmes, ou ont été
encouragés par les Etats arabes à s’enfuir (ce
qui contredit d’ailleurs la thèse d’un pays vide
d’habitants) et que les Juifs n’ont eu qu’à
occuper une terre abandonnée. Là encore, ce sont des
historiens et des journalistes israéliens qui remettent aujourd’hui
en cause ces mythes et qui révèlent notamment dans
quelles conditions de violence contre les Palestiniens les Juifs
se sont installés en Palestine.
Un véritable travail de révision de
la guerre de 1948 est à l’œuvre. Ce travail est
effectué par des auteurs israéliens qui ont été
pour la plupart publiés tout d’abord dans les pays
anglo-saxons. Benny Morris, reporter au Jerusalem Post avant de
devenir historien, est la figure dominante de ce courant qu’on
appelle la Nouvelle Histoire. Il a ouvert la voie en 1988 en publiant
un article dans une revue juive américaine, Tikkun. Son principal
ouvrage est The Birth of the Palestinian Refugee Problem (Cambridge
University Press, 1988). Il faut citer aussi Collusion across the
Jordan : King Abdullah, the Zionist Mouvement and the Partition
of Palestine, d’Avi Shlaïm (Columbia University Press,
New York, 1988).
Tom Segev publie en hébreu le Septième
million (éditions Liana en français) dans lequel il
raconte l’accueil peu enthousiaste reçu par les survivants
de l’Holocauste en Israël ; il réfute l’idée
que le génocide ait à l’origine fondé
la légitimité de la création de l’Etat
d’Israël. Ces auteurs, auxquels il faut ajouter Motti
Golani, Ze’ev Sternhell (qui récuse l’appellation
de « nouvel historien »), Ilan Pappe, etc., s’opposent
aux « historiens orthodoxes ». Tom Segev déclare
simplement : « Nous ne sommes pas des nouveaux historiens
israéliens, mais tout simplement les premiers. Avant nous,
il n’y avait que de la mythologie... » (Le Monde de
livres, 26 janvier 1996.) (Cf. « Les nouveaux enjeux de l’historiographie
israélienne », CNRS, décembre 1995, n° 12,
BP 547, Jérusalem, Israël.)
Depuis la fin des années quatre-vingts, certains
« trous noirs » de l’histoire d’Israël
commencent à s’éclairer, grâce à
des chercheurs, des universitaires, des journalistes israéliens.
La guerre du Liban, puis l’Intifada ont grandement marqué
les esprits. L’ouverture, vers le milieu des années
quatre-vingts, d’un certain nombre d’archives israéliennes
de la guerre de 1948 a aussi joué dans cette évolution.
Parmi ces trous noirs, la question de l’exode des Palestiniens
pendant et après la guerre de 1948 figure en bonne place.
« Ce ne sont pas les Juifs qui ont chassé
les Arabes, c’est le Haut Comité arabe qui a appelé
les Arabes de Palestine à quitter le pays, et à y
revenir avec les armées arabes victorieuses. (A Haifa et
dans beaucoup d’autres localités, les Juifs ont demandé
à leurs voisins arabes de rester – sans grand succès.)
Le problème des réfugiés n’est donc pas
né parce que les Juifs ne voulaient pas vivre avec les Arabes.
C’est uniquement le climat créé par la guerre
qui a suivi et par la volonté des Arabes de rayer de la carte
le jeune Etat d’Israël, qui a amené beaucoup de
Palestiniens à penser ne plus pouvoir vivre avec les Juifs,
et certains Juifs à estimer ne plus pouvoir vivre avec les
Palestiniens. »
Cette opinion, émise par Simon Wiesenthal
[106], est celle qui est communément admise. Communément
admise aussi est l’idée que les autorités israéliennes
n’ont jamais ménagé leurs efforts pour conclure
la paix avec leurs voisins arabes. Les guerres successives, le problème
insoluble des réfugiés, la course aux armements au
Proche-Orient ont toutes été de la responsabilité
des Arabes.
Le problème des réfugiés
Au 30 juin 1996 3 308 133 réfugiés
étaient recensés, dont 1 040 706 vivent dans cinquante
camps. A ceux-là il conviendrait d’ajouter plusieurs
centaines de milliers de personnes déplacées pendant
la guerre de juin 1967.
La répartition des réfugiés
:
– Jordanie : 1 358 706 dont 242 922 dans des
camps
– Cisjordanie : 532 438 dont 147 302 dans
des camps
– Gaza : 716 930 dont 378 279 dans des camps
– Liban : 352 668 dont 182 731 dans des camps
– Syrie : 347 391 dont 89 472 dans des camps
« Même avec les meilleures intentions
du monde, le plus pacifiste des sionistes n’arrive pas à
admettre que les Palestiniens sont un peuple unique. Que les exilés
sont les frères, les cousins, les oncles et les neveux de
ceux qui sont à l’intérieur. Que l’injustice
faite en 1948 et renouvelée en 1967 a brisé des familles.
Que ces familles existent encore. Qu’elles veulent revenir.
Que ceux qui sont dedans les attendent et les espèrent. »
(Marion Sigaut, Libres femmes de Palestine, Les
Editions de l’Altelier/les Editions ouvrières, p. 156.)
Les Etats arabes avaient rejeté le plan de
partage de la Palestine voté par les Nations unies en novembre
1947 et s’étaient opposés par la force à
son application lors de la première guerre israélo-arabe
de 1948, preuve, s’il en est, de leur responsabilité
dans la crise palestinienne. Le fait que cette attitude des Etats
arabes puisse être compréhensible n’est même
pas évoqué. L’installation de dizaines de milliers
de colons sur une terre qu’ils n’avaient jamais habitée,
et aboutissant à la constitution d’un Etat contre l’avis
des populations autochtones n’est même pas envisagée
comme une initiative susceptible de provoquer une réaction
desdits autochtones.
Or, il se trouve que les Palestiniens eux-mêmes
ont très peu participé aux combats qui se sont déroulés
entre le vote de la résolution 181 créant un Etat
palestinien et un Etat juif (29 novembre 1947) et la proclamation
de l’indépendance d’Israël (14 mai 1948).
David Ben Gourion lui-même le reconnaît : « Les
masses paysannes [palestiniennes] ne participèrent pas aux
émeutes » écrit-il le 15 décembre 1947.
Trois mois plus tard il écrit de nouveau : « Les Arabes
[palestiniens] dans leur grande majorité ne cherchent pas
la guerre avec nous. » Dans certaines régions, les
chefs arabes avaient signé des pactes avec leurs voisins
Juifs pour éviter une conflagration générale
[107]. Or l’armée clandestine juive (Haganah) et les
groupes terroristes juifs d’extrême droite (l’Irgoun
de Menahem Begin et le groupe Stern) menèrent une stratégie
de conquête : Ben Gourion écrit ainsi dans son journal
au début de 1948 : « Au cours de l’assaut, nous
devons être prêts à porter le coup décisif,
à savoir : détruire l’agglomération ou
bien expulser ses habitants pour prendre leur place. » (Y.
Nimrod, op. cit. p. 92.) Le village palestinien de Deir-Yassin,
dans la banlieue de Jérusalem, avait passé un pacte
de non-agression avec le village juif de Guivat-Chaoul. Il fut attaqué
par le groupe Stern et l’Irgoun le 10 avril 1948 : 254 personnes,
pour la plupart des femmes et des enfants, furent massacrés.
D’autres « hauts faits d’armes » restent
inaccessibles aux chercheurs, parce que leur divulgation porterait
atteinte à l’intérêt national. C’est
le cas de plusieurs massacres commis en 1948, au sujet desquels
un journaliste du Jerusalem Post voulait, en octobre 1986, consulter
les archives. Un certain nombre de dossiers détenus par les
archives d’Etat sont interdits à la consultation, constate
Tom Segev : « Expulsion des habitants », « Transfert
des habitants », « Destruction des villages arabes »
(Jerusalem Post, 30 mai 1985).
D’autres massacres commencent à être
connus, comme ceux, commis en octobre 1948, de Nasr-ed-Dine près
de Tibériade et de Douaima près d’Hébron,
où des journalistes de Hadashot ont découvert une
fosse commune contenant un nombre indéterminé –
plusieurs centaines, selon l’ancien maire du village –
de corps de villageois abattus par des militaires du 89e bataillon.
(Cf. Hadashot 24 et 26 août 1984.)
Ces massacres avaient pour but évident de
terroriser la population et de l’inciter à fuir : «
... les chefs juifs locaux répandirent des rumeurs selon
lesquelles ils attendraient d’importants renforts pour se
lancer à l’assaut des villages arabes. Ils ajoutaient
un “bon conseil” : partez dès maintenant. Résultat
: des dizaines de milliers de paysans prirent la fuite [108] . »
De 1951 à 1956 les massacres – désignés
sous le terme d’opérations punitives – continuèrent
contre des villages palestiniens à Gaza et en Jordanie. Le
plus connu est celui perpétré par le bataillon 101,
dans le village de Kybia, le 12 octobre 1953, où quarante-six
civils furent assassinés chez eux en pleine nuit. L’historien
Benny Morris révèle que Ben Gourion lui-même
supervisait ces opérations, et qu’il fit maquiller
la tuerie de Kybia en « vengeance privée » de
citoyens israéliens.
Mais, quel que soit leur nombre, les massacres commis
par l’armée ou par des groupes armés «
dissidents » peuvent laisser subsister un doute sur la volonté
politique des autorités juives de vider le territoire de
ses habitants palestiniens. Le doute disparaît à la
lecture de certaines archives. Tom Seguev révèle que
Ben Gourion, dans les années 30, évoqua le «
transfert », c’est-à-dire l’expulsion massive
des Palestiniens, mais qu’il avertit ses compagnons de ne
pas en parler en public [109]. Moshe Sharett, ministre des Affaires
étrangères du jeune Etat d’Israël, écrivit
: « Les réfugiés trouveront leur place dans
la diaspora. Grâce à la sélection naturelle,
certains résisteront, d’autres non (...). La majorité
deviendra un rebut du genre humain et se fondra dans les couches
les plus pauvres du monde arabe [110]. »
Le journal Hadashot du 11 janvier 1985 évoque
le « Plan D » préparé par le colonel Igal
Yadin en mars 1948, qui prévoyait la destruction des villages
qu’on ne pouvait occuper, l’occupation de la localité
suivie de l’expulsion de sa population.
Il n’est cependant pas nécessaire de
consulter les archives pour se convaincre de la volonté délibérée
d’une grande partie des couches dirigeantes et de la population
de « transférer » les Palestiniens : c’est
un débat ouvert qui revient fréquemment dans les médias
israéliens, à tel point que Le Monde, dans son éditorial
du 25 mai 1990, écrivait : « Chose naguère impensable,
beaucoup évoquent le “transfert” des Arabes –
autrement dit leur déportation définitive –
comme une éventuelle solution politique. » L’éventualité
d’un « transfert » – euphémisme pour
déportation – des Palestiniens est une préoccupation
permanente des dirigeants d’Israël ; le seul frein à
la mise en place d’une telle politique se trouve dans l’impact
qu’elle aurait sur le plan international.
L’un des principaux idéologues du «
sionisme social », Berl Katznelson, déclarait en 1987
: « Le transfert des Palestiniens a soulevé chez nous
des discussions. Cela est-il admissible ? Sur ce point, ma conscience
est tout à fait tranquille. Mieux vaut un voisin éloigné
qu’un proche ennemi... J’ai cru et je crois encore que
les Palestiniens devraient être transférés en
Syrie et en Irak [111]. » Il est évidemment hors de
question de demander aux Irakiens et aux Syriens leur avis.
Une telle approche du problème contient comme
prémisse une vision indéfiniment militaire des rapports
avec les pays voisins.
Ariel Sharon, lorsqu’il était commandant
militaire du secteur Nord d’Israël, envisageait d’expulser
toute la population arabe de la Galilée hors d’Israël
[112]. Aussitôt après la guerre des Six-Jours en 1967,
le gouvernement israélien se réunit pour déterminer
le sort des Palestiniens des territoires nouvellement occupés.
Begin proposa de transférer les camps de réfugiés
dans le Sinaï ; Pinhas Sapir proposa de les transférer
en Syrie et en Irak, position soutenue par Aba Eban. Igal Allon
déclara qu’on devait les transférer dans des
nouvelles implantations du Sinaï, ou les convaincre d’émigrer
à l’étranger. D’après Allon, «
on ne faisait pas assez pour convaincre les Arabes de tout quitter
» (Melman Yorsi, Haaretz, 2 septembre 1990).
D’autres dirigeants tels que Michaël
Dekel, alors vice-ministre de la défense, allèrent
jusqu’à exiger des puissances occidentales qu’elles
se chargent du sale boulot du transfert des Palestiniens d’Israël
hors de chez eux : « Pour empêcher la région
de se transformer en un baril d’explosifs, les pays occidentaux
et les Etats-Unis ont le devoir politique et moral de se charger
du transfert de la population arabe de la Cisjordanie vers le royaume
hashémite de Jordanie, qui est leur patrie. » (Libération,
30 juillet 1987.) Là encore, on décide pour les Palestiniens
ce qui doit être leur « patrie » une fois qu’ils
ont été expulsés, sans évidemment demander
aux Jordaniens leur avis.
Ce comportement se trouve justifié par le
professeur Sami Smooha, qui considère que « Israël
n’est pas un Etat démocratique dans le sens accepté
du terme », ce qui le place en dehors des critères
d’analyse auxquels sont normalement assujettis les Etats et
les sociétés humaines. Israël serait donc hors
norme, ce qui n’est évidemment pas acceptable.
Les autorités israéliennes répètent
inlassablement que ce sont les dirigeants Arabes qui ont incité
les Palestiniens à l’exode ; elles affectent ainsi
de ne pas se sentir responsables de la situation des réfugiés.
L’historien Benny Morris affirme n’avoir jamais trouvé
trace des appels des dirigeants arabes encourageant les Palestiniens
à quitter leurs foyers. La BBC, les renseignements israéliens,
les services diplomatiques américains et britanniques rédigeaient
de nombreux rapports sur ce qu’ils entendaient sur les radios
arabes, or aucun ne fait état d’appels aux Palestiniens
à quitter leurs villages, et les Israéliens n’ont
pas fait usage, sur le moment, de cet argument.
Un rapport de la section arabe du département
politique de l’Agence juive daté du 1er mars 1948 révèle
les efforts déployés par le Haut comité arabe,
un organisme représentatif de la communauté palestinienne,
pour mettre fin à la fuite des civils. Un rapport de la Haganah
(30 juin 1948) constate, à propos de la première vague
de l’exode – 400 000 personnes avant le 1er juin –
que « 70 % des réfugiés avaient abandonné
leur maison à la suite d’actes d’hostilité
de l’Irgoun et du groupe Stern ». A la fin de l’année,
300 000 autres personnes les avaient rejointes. Des villes entières,
250 villages, furent vidés de leurs habitants. Dans des proportions
moindres, le processus continua jusqu’en 1950. Itzhak Rabin
reconnaît dans ses mémoires que, sur ordre de Ben Gourion,
l’armée a chassé 50 000 Palestiniens de Lydda
et de Ramleh en juillet 1948 (New York Times, 23 octobre 1979).
L’exode des Palestiniens est présenté
par Moshe Sharett, le 15 juin 1948, comme « un phénomène
magnifique dans l’histoire du pays et, d’un certain
point de vue, plus splendide que la création d’Israël
(...). Il ouvre des possibilités immenses pour résoudre
de façon radicale et permanente le problème le plus
difficile auquel notre Etat doit faire face. » (La Documentation
d’Israël, Vol. I, p. 163.) « Quel beau tableau
» s’exclamait Ben Gourion en constatant l’exode
des Palestiniens d’Haïfa (selon son biographe Michel
Bar-Zohar) et, à Nazareth, constatant que des habitants palestiniens
n’avaient pas fui, il demande avec irritation au général
Haïm Laskov : « Qu’est-ce qu’ils font encore
là ? »
D’immenses surfaces de terres furent abandonnées
et récupérées par l’Etat, les kibboutzim
ou des particuliers.
La préméditation de l’expulsion
des Palestiniens va plus loin encore, dans le fait que les autorités
du nouvel Etat hébreu se sont refusées à délimiter
les frontières du pays. Ben Gourion s’y était
opposé, de façon à laisser ouvertes la possibilité
d’extensions territoriales futures. Ainsi, la guerre de 1948
permit à l’Etat d’Israël d’agrandir
considérablement le territoire : alors que le plan de partage
primitif accordait aux Juifs 55 % du territoire de la Palestine,
ils en occupaient 80 % après l’armistice de 1949.
La révision de l’histoire de la guerre
de 1948 par les historiens israéliens ne fait qu’expliciter
ce que tout le monde dans le pays savait depuis longtemps.
« Tout le monde savait qu’il y avait
eu des pillages, que les Arabes avaient été expulsés,
qu’on avait rasé des villages. Cela a d’ailleurs
eu lieu en 1967 encore. Les archives des partis politiques, des
kibboutzim ont toujours été accessibles. En outre,
il suffisait de lire les théoriciens du courant principal
du sionisme : Berl Katznelson, Haïm Arlosoroff, Aharon David
Gordon pour se rendre compte que leur pensée était
bel et bien une idéologie de la “terre et des morts”
et que tous refusaient de reconnaître des droits aux Palestiniens.
En Israël, ce sont des choses que tout le monde connaît
depuis ses dix-huit ans, âge où commence le service
militaire. Tout le monde sait que les Arabes de Lod et de Ramleh
ont été acculés à l’exode par
les troupes israéliennes en 1948. Moshe Dayan ne s’en
cachait pas. » (Ze’ev Sternhell, Le Monde, loc. cit.)
L’attitude des « nouveaux historiens
» ne rencontre pas, comme on peut le deviner, l’unanimité
dans la population israélienne. Certains auteurs, comme Aaron
Meged, évoquent leur « instinct suicidaire »
et leur reprochent de servir l’objectif de destruction de
l’Etat d’Israël. Pendant longtemps et encore aujourd’hui
dans une large mesure, la science sociale israélienne décrivait
une société conceptuellement sans arabes, hermétique
aux influences de la situation réelle du pays né de
plusieurs conflits avec les voisins arabes. Jusqu’à
une date récente, le mot même de « Palestinien
» n’était jamais employé. Baruch Kimmerling,
sociologue et maître de conférences à l’université
hébraïque de Jérusalem, dit à ce propos
:
« Les historiens et les chercheurs en sciences
sociales de qui on exige la fourniture au “peuple” d’une
histoire parcellaire, fabriquée, déformée et
principalement fondée sur des mythes – celle que Meged
appelle de ses vœux – abusent et de leur rôle scientifique,
et de leur fonction sociale et intellectuelle. » (Haaretz,
Tel-Aviv, cité par Courrier international 10-16 nov. 1994.)
Les historiens israéliens de la nouvelle
génération n’ont pas pour objectif de délégitimer
le droit de la population juive à vivre sur la terre d’Israël
mais « d’analyser l’effet produit par des problèmes
de légitimité de ce type sur la société,
et comment celle-ci les gère », dit encore B. Kimmerling.
Il se peut que l’apparition d’un courant
d’historiens susceptibles de remettre en cause l’histoire
officielle n’a été possible, cinquante ans après
les événements, que parce que le délai passé
permet suffisamment de recul pour ne pas mettre en danger la légitimité
de l’existence d’Israël. C’est ce que dit
Tom Segev dans Haaretz : le débat, dit-il, « ne déborde
pas de la légitimité admise. Aucune nouvelle tendance
historiographique ne remet en question le droit d’Israël
à exister ». Segev dit aussi, très justement,
que tous les faits soulevés par les « nouveaux historiens
» étaient connus, et que tout ou presque avait déjà
été dit : « ... il n’y a aucune position,
conception ni argument dans les propos des nouveaux historiens qui
n’ait, d’ores et déjà, été
publié. Une partie avait été, à juste
titre, oubliée. Le reste a été passé
sous silence, injustement. Mais, plus ou moins, tout a été
dit. »
Les historiens de la nouvelle génération
se heurtent aux mandarins conservateurs qui s’en tiennent
à une histoire idéologique et justificatrice. Ces
derniers les accusent d’être des traîtres. Les
conservateurs craignent par-dessus tout que soit appliquée
à l’histoire d’Israël une approche scientifique,
comparatiste. « La seule société qui n’ait
pas été étudiée ainsi, c’est la
société judéo-israélienne, dit Baruch
Kimmerling, et cela ne doit rien au hasard. Si l’on s’était
laissé aller à une étude comparative étendue,
avec la profondeur historique qui convient, la société
israélienne serait tombée dans la catégorie
des sociétés d’immigration type Amérique
du Nord ou du Sud, Australie, Afrique du Sud, Algérie, etc.,
ainsi qu’elle est présentée dans les œuvres
de deux sociologues israéliens “critiques” :
Gerchom Sapir et moi-même. »
LA CHARTE DE L’OLP : UN REPOUSSOIR
TRES UTILE
La charte de l’OLP a été rédigée
en 1964 au moment de la création de l’organisation,
et durcie en 1968 après la guerre des Six-Jours. Israël
exigea l’abrogation de quelques articles dont les principaux
sont les articles 9, 15 et 19 :
« Art. 9. – La lutte armée est
la seule voie pour libérer la Palestine ; elle est donc une
stratégie et non une tactique. »
« Art. 15. – La libération de
la Palestine (...) est destinée à repousser hors de
la grande patrie arabe l’envahisseur sioniste et impérialiste
et à purifier la Palestine de sa présence. »
« Art. 19. – La partition de la Palestine
opérée en 1947 et la création d’Israël
sont nulles et non avenues. »
En avril 1996 le Conseil national palestinien a
annulé toutes les clauses contraires aux accords d’Oslo.
Arafat avait consulté les Américains et le gouvernement
travailliste israélien. Bill Clinton et Shimon Pérès
n’avaient rien trouvé à redire aux modifications
apportées.
Il est significatif que cette charte soit plus connue
des Israéliens que des Palestiniens. Son importance tient
essentiellement à l’intérêt qu’y
manifestent les autorités israéliennes, dont les services
d’information ont dépensé beaucoup d’argent
pour diffuser le document à des dizaines de milliers d’exemplaires,
afin de monter aux opinions israélienne et internationale
l’extrémisme des intentions palestiniennes. De la même
manière, les autorités serbes avaient elles aussi
largement diffusé la Déclaration islamiste d’Izetbegovic,
rédigée en 1974, dont très peu de Bosniaques
musulmans connaissaient le contenu.
Figurant en bonne place dans les programmes scolaires
israéliens, la charte de L’OLP est ainsi beaucoup mieux
connue des écoliers israéliens que de leurs homologues
palestiniens.
Ainsi, l’université palestinienne de
Bir Zeit, en Cisjordanie, consacre ses cours de science politique
au discours d’Arafat à l’ONU en 1974, aux accords
de Camp David, à la déclaration de Balfour, aux œuvres
des grands penseurs sionistes comme Herzl, Jabotinsky, Ben Gourion,
etc., mais pas à la charte de l’OLP. Il ne s’agit
pas d’occulter un document « compromettant » :
la charte est perçue comme un document caduc, qui ne correspond
plus à la situation actuelle. En outre, les articles anti-Israéliens
de la charte ont été annulés par les décisions
postérieures du Conseil national palestinien, qui tient lieu
de « Parlement » de l’OLP : décision du
CNP d’Alger en 1988 avec la reconnaissance des résolutions
de l’ONU. En annexe aux accords d’Oslo figure une lettre
d’Arafat à Rabin qui stipule que « les articles
de la charte palestinienne qui nient le droit à l’existence
d’Israël (...) n’ont plus aucune valeur ».
Les réserves concernant l’opportunité
de l’abrogation de la charte – en dehors de quelques
irréductibles – ne portent pas sur le fond mais sur
la tactique. Ces réserves sont surtout formulées par
ceux qui suggèrent qu’Israël pourrait également
tenir les engagements pris et non tenus, comme la libération
des femmes emprisonnées. (Il est d’ailleurs invraisemblable
que la libération des femmes et des enfants n’ai pas
constitué un préalable non négociable à
tout début de négociation.)
On suggère également que l’amendement
de la charte ne devrait pas être unilatéral et qu’il
n’y a pas de raison que les Palestiniens reconnaissent l’Etat
d’Israël sans que ce dernier ne reconnaisse un Etat palestinien.
On peut considérer qu’Arafat a fait une erreur magistrale
en ne liant pas la reconnaissance par les Palestiniens de l’Etat
d’Israël à la reconnaissance par Israël d’un
Etat palestinien.
L’OLP, selon une partie importante de la population
palestinienne, ne doit pas abandonner les clauses de sa charte qui
affirme les droits des Palestiniens à une terre, et transformer
le mouvement de libération nationale en appareil administratif
fonctionnant sous les ordres d’Israël. L’OLP ne
doit pas abandonner la revendication à une terre sans qu’Israël
ne reconnaisse les droits des Palestiniens à l’autodétermination.
Le problème en réalité n’est
pas celui de l’amendement de la charte mais de la rédaction
d’une nouvelle. En effet, la charte primitive ne mentionne
même pas la création d’un Etat palestinien souverain
avec Jérusalem comme capitale... Une telle disposition apparaîtrait
inévitablement dans une nouvelle charte... ce que les autorités
israéliennes ne souhaitent pas.
Netanyahou utilise constamment l’argument
des « obligations palestiniennes » et de la charte pour
poser des conditions inacceptables à la poursuite du processus
de paix. Lors de sa visite à Washington en janvier 1998,
Netanyahou entendait faire signer un communiqué déclarant
d’intérêt vital pour Israël la plus grande
partie de la Cisjordanie, mais il avait aussi une liste de 27 pages
d’« obligations palestiniennes » qui conditionneraient
la poursuite du processus de paix. Mais surtout, le document présenté
par Netanyahou demande l’amendement de la charte palestinienne.
Il exige que le Conseil national palestinien abroge 28 des 34 articles
de sa charte, déjà amendée avec l’approbation
de l’administration américaine.
En somme la puissance occupante entend faire savoir
que le territoire qu’elle occupe lui est nécessaire
et que les autorités du pays occupé ont des devoirs
à son égard mais pas de droits. Qu’est-ce qu’il
reste à négocier dans ces conditions ?
Un éditorialiste israélien, Hemi Shalev,
écrivit à ce sujet dans le quotidien Ma’ariv
: « Quiconque rédige un document énumérant
cinquante clauses et sous-clauses qu’il juge avoir été
violées par l’autre partie n’a pas l’intention
habituellement de prolonger plus longtemps une union harmonieuse
avec cette même partie. » (Cité par Libération,
15 janvier 1998.)
Les conditions posées par Netanyahou révèlent
à l’évidence sa mauvaise foi. En échange
d’un retrait militaire dont ni l’ampleur ni la date
ne sont précisées, l’Autorité palestinienne
est sommée de « renvoyer de leur poste, poursuivre
et punir » neuf dignitaires religieux, livrer 34 prisonniers,
réduire les effectifs de police, confisquer les armes détenues
illégalement – mais il n’est pas question de
sévir contre les intégristes juifs des colonies qui
harcèlent la population palestinienne, de faire juger par
l’Autorité palestinienne ceux qui assassinent des Palestiniens.
DEUX TERRORISTES EXEMPLAIRES
Aboul Abbas (Mohamed Zeidan Abbas), fondateur du
Front de libération de la Palestine. Ses guérilleros
débarquent le 30 mai 1990 sur la plage de Netsanim, entre
Ashkelon et Ashod, et ouvrent le feu sur des soldats. Yasser Arafat
s’étant refusé à condamner cette opération,
les Etats-Unis rompent les pourparlers officiels entamés
avec l’OLP. Aboul Abbas reconnaît aujourd’hui
que son intention était de stopper le début de dialogue
qui s’était instauré.
Aboul Abbas est très lié avec le régime
irakien. Ses hommes feront la police au Koweït, pour le compte
de l’Irak, pendant la guerre du Golfe.
C’est un commando du FLP qui a pris le contrôle
du bateau de croisière Achile Lauro, et a assassiné
un passager juif américain, Leon Klinghoffer. La victime,
69 ans, se déplaçait en chaise roulante et a été
abattue de plusieurs balles dans le dos. Aboul Abbas, qui s’est
reconverti au « processus de paix », est revenu dans
la bande de Gaza en mai 1996. Il envisage de faire revenir ses combattants
au pays. Pour les intégrer dans la police palestinienne.
Les Palestiniens n’ont qu’à bien se tenir...
__________________
Abou Nidal, un des chefs « historiques »
du Fatah, en a été exclu, puis a été
condamné à mort par l’organisation en 1974.
Il était le représentant de l’OLP à Bagdad
depuis 1970. Le journaliste anglais Patrick Seale a écrit
une biographie de ce personnage (Abu Nidal, A Gun For Hire, Hutchinson
Books), auteur de 280 assassinats, pour l’essentiel des modérés
de l’OLP. P. Seale note que toutes les opérations d’Abou
Nidal présentaient cette curieuse caractéristique
de servir le gouvernement israélien, qui d’ailleurs
n’a jamais cherché à abattre ce terroriste...
UNE ECONOMIE DOMINÉE
De la création de l’Etat d’Israël
à la guerre de 1967, la Cisjordanie était rattachée
au royaume hashémite, qui avait favorisé l’implantation
des entreprises en Jordanie, y attirant ainsi capitaux palestiniens
et main-d’œuvre [113].
A partir de 1967 et l’occupation israélienne,
la Cisjordanie a été isolée du reste du monde
arabe et a subi une politique de destruction progressive de son
économie qui l’a rendue entièrement dépendante
de l’occupant. Elle a été soumise à un
ensemble de lois et d’ordonnances militaires qui ont littéralement
assujetti la région.
La domination économique, dont la force militaire
a toujours été l’agent d’exécution,
s’est faite :
– par la destruction, sous forme d’expropriation
des terres, par l’installation de colonies de peuplement,
le contrôle des ressources en eau ;
– par l’intégration forcée
: récupération des marchés locaux, utilisation
d’une main-d’œuvre palestinienne sous-payée.
Les mécanismes par lesquels les autorités
israéliennes ont assujetti l’économie palestinienne
sont excessivement complexes et relèvent d’une perversité
difficilement imaginable. Le contrôle de l’occupant
s’exerce sur ce qui peut ou ne peut pas être produit,
vendu, distribué, planté ou transporté. Ainsi
l’ordonnance n° 1147 du 30 juillet 1985 statue quel type
d’arbre fruitier peut être planté et en quelles
quantités. Elle interdit de faire pousser certaines plantes
pour ne pas concurrencer les producteurs israéliens.
L’ordonnance n° 818 (22 janvier 1980)
restreint la production de fleurs afin de ne pas concurrencer le
monopole israélien de la production de fleurs à l’exportation.
Soixante ordonnances déterminent les droits de douane et
les taxes pour toute exportation et toute importation venant de
ou en direction des territoires occupés. En 1989, Itzhak
Rabin déclarait : « Aucun permis ne doit être
délivré pour le développement de l’agriculture
ou de l’industrie qui pourrait faire concurrence à
l’Etat d’Israël. » (Jerusalem Post, 29 mars
1989.)
Tout cela est évidemment contraire aux principes
du libéralisme et de la libre concurrence que les Etats-Unis
s’efforcent de faire appliquer par ailleurs...
L’ordonnance n° 31 du 27 juin 1967 donne
au commandant israélien de la région tout pouvoir
en matière de douanes et taxes.
« Il y a aussi la question des taxes. Ils
prennent des enfants, les arrêtèrent, pour un jour,
même. Ils vont chercher la famille et s’ils ne peuvent
pas payer il ne sort pas. Toutes sortes de taxes. Si vous devez
payer des taxes sur les taxis, ils appellent cela les taxes de pierres,
taxe d’Intifada, toutes sortes de noms. Personne ne sait ce
qu’on exige de lui qu’il paie. Taxes de guerre du Golfe.
Amendes pour siffler et crier sur les toits des maisons. Taxes quand
ils viennent dans les magasins du centre du village. Comment collecte-t-on
les taxes dans les territoires occupés ? La police secrète,
l’armée des frontières, et des soldats. Vingt
personnes avec des armes viennent demander au propriétaire
du magasin de payer les taxes. On connaît le résultat.
Quand ils arrivent, il ferme la boutique et s’en va. S’il
ne le fait pas il risque de se faire briser ses biens, de faire
fermer son magasin, parce que si vous imaginez vingt soldats venant
collecter les taxes, la question n’est pas celle des taxes...
C’est un cercle vicieux de pressions, auquel je peux donner
un nom, celui de ghetto. Ghetto. » (Interview d’Arna
Mer Khamis, Radio Libertaire, 6 juillet 1991. Cf. Annexe II.)
Aucune production des territoires occupés
ne peut être exportée directement, un permis d’exportation
est requis pour toutes les marchandises, qui doivent nécessairement
transiter par Israël. Des tarifs douaniers et la TVA sont imposés
sur toutes les marchandises palestiniennes qui entrent ou qui transitent
par Israël. L’exportation d’un produit sans permis
est un délit (ordonnance n° 49 du 11 juillet 1967). «
L’administration civile agricole israélienne ne délivre
pas de permis jusqu’à ce qu’elle reçoive
des instructions du Haut conseil du marketing. Normalement les autorités
israéliennes informent l’officier du marketing dans
le gouvernement militaire des Territoires occupés du montant
hebdomadaire des produits pouvant entrer en Israël, qui à
son tour délivre les permis dans les différents districts
en Cisjordanie. La politique israélienne a ainsi placé
les Territoires occupés sous dépendance. L’exportation
des produits pharmaceutiques palestiniens (une des plus importantes
industries en Cisjordanie) est très strictement contrôlée.
» (Wallid Atallah, « La situation économique
en Palestine occupée », mémoire du collège
coopératif de Montrouge)
Deux ordonnances, n° 149 (22 octobre 1967) et
n° 530 (13 décembre 1973) imposent de mettre un label
israélien sur les produits palestiniens et interdit l’inverse.
L’ordonnance n° 158 (19 novembre 1967)
interdit la construction de puits, d’une citerne pluviale
ou d’une mare de collecte des eaux sans permis. L’officier
responsable peut refuser un permis, le révoquer ou le changer
sans justification. Depuis 1967, aucun permis de forer n’a
été délivré aux Palestiniens par les
autorités d’occupation. Alors qu’en Israël
45 % des surfaces sont irriguées, seules 3,9 % des surfaces
le sont dans les Territoires occupés. Si, pour les Palestiniens,
l’accès à l’eau se réduit constamment,
les agriculteurs israéliens des colonies ont vu le leur augmenter.
Israël consomme largement plus d’eau que ses ressources
renouvelables, ce qui impose une politique de captation de l’eau
des pays avoisinants. Les implantations israéliennes bénéficient
de six fois plus d’eau par habitant que les Palestiniens,
qui de surcroît la paient plus cher.
La stratégie israélienne vise plusieurs
effets :
– réduire la production palestinienne
pour ouvrir un marché aux produits israéliens ;
– empêcher la concurrence des produits
palestiniens ;
– appauvrir la population palestinienne pour
la forcer à partir.
L’agriculture palestinienne est le principal
secteur productif en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ; ce secteur
représente en 1992 40 % du produit intérieur brut
et emploie un tiers de la main-d’œuvre. Les incessantes
confiscations de terres et destructions d’arbres fruitiers,
sans parler des jours de couvre-feu, visent à décourager
l’économie palestinienne.
En 1991, l’ONU estimait que 65 % des terres
de Cisjordanie avaient été confisquées et 42
% dans la bande de Gaza. En cinq ans, de décembre 1987 à
août 1992, 362 948 dunums de terres ont été
confisqués et 143 622 arbres arrachés.
L’une des méthodes de confiscation
des terres par les autorités d’occupation a été
de remettre en vigueur une vieille loi ottomane de 1858 qui permet
la confiscation d’une terre si elle n’est pas cultivée.
L’un des effets de l’Intifada a été que
de nombreux Palestiniens ont remis leurs terres en culture. Cultiver
la terre pour nourrir ses enfants au lieu de les laisser partir
est perçu par le gouvernement israélien comme l’acte
le plus subversif. La limitation extrême des autorisations
pour les Palestiniens à entrer travailler en Israël
a accru cette tendance à se recentrer sur le travail de la
terre ou sur les entreprises locales.
De nombreux obstacles créés par les
autorités d’occupation visent à rendre les produits
palestiniens non rentables et non compétitifs avec les produits
israéliens. Ces obstacles peuvent être administratifs,
fiscaux, douaniers. Le relèvement des taxes en 1992 a rendu
non rentable une bonne partie de la production palestinienne. Les
dispositifs fiscaux mis en place incitent les agriculteurs palestiniens
d’agrumes à approvisionner en fruits payés à
des prix très bas les usines israéliennes de jus,
laissant les marchés de fruits aux producteurs israéliens.
Les agriculteurs palestiniens ne pouvaient, jusqu’à
une date récente, obtenir de permis d’exporter que
pour le monde arabe et l’Europe de l’Est (qui boycottaient
les produits israéliens). Le transport des produits agricoles
dépend de compagnies israéliennes, qui se soucient
peu de préserver la bonne qualité des produits transportés.
Les exportations palestiniennes vers Israël
sont contingentées pratiquement au jour le jour, en fonction
des fluctuations du marché. Les producteurs palestiniens
se retrouvent ainsi fréquemment avec une récolte invendable
sur les bras. Les couvre-feux coïncidaient parfois étrangement
avec des périodes de récoltes, qui étaient
ainsi ruinées.
Les Palestiniens sont contraints de passer par deux
compagnies pour exporter leur production : Agrexco pour les fruits
et légumes, Citrus Board pour les agrumes. Est-il besoin
de préciser que les agriculteurs israéliens, eux,
sont largement subventionnés.
L’industrie palestinienne était handicapée
par des taxes prohibitives prélevées sur les artisans
et les entreprises industrielles. Ces taxes étaient fondées
sur des évaluations forfaitaires et arbitraires des revenus
et collectées lors de véritables raids armés.
Le contrôle de l’administration israélienne privait
l’industrie palestinienne de toute possibilité de recherche
et limitait son accès à la technologie par sa soumission
aux importateurs israéliens de matériels.
« Il se confirme actuellement que les Territoires
palestiniens occupés sont appelés à se consolider
comme lieu de délocalisation de certaines activités
productives israéliennes. Soit par l’installation,
déjà largement entamée, d’établissements
israéliens dans les Territoires palestiniens occupés,
soit par l’encouragement à la création locale
de petites et moyennes entreprises de sous-traitance (même
avec des aides financières), les segments intensifs en travail
de la production israélienne, qui employaient en priorité
des Palestiniens dans les années passées, sont en
train de s’installer sur place. Les étapes de finition
intensives en technologie sont toujours réalisées
en Israël, qui renforce ainsi sa compétitivité
internationale en profitant des salaires inférieurs versés
aux Palestiniens. Parallèlement, le nombre de ceux-ci travaillant
en Israël se réduit. » (Wallid Atallah, loc. cit.)
L’industrie et la construction représentent
à peine 20 % du PIB palestinien. Il y avait en 1992 plus
de 4 000 PME et PMI privées en Cisjordanie et dans la bande
de Gaza employant plus de 20 000 personnes, sur une population de
2 millions. Le bâtiment, qui représente à lui
seul près de 13 % du PIB, est le seul qui a connu une croissance
certaine.
La plupart des exportations industrielles palestiniennes
sont en fait des productions effectuées par des sous-traitants
palestiniens d’entreprises israéliennes, qui profitent
des bas salaires, des subventions gouvernementales et d’une
main-d’œuvre peu exigeante en matière de droits
sociaux. Alors que 90 % des importations de la bande de Gaza et
de la Cisjordanie provient d’Israël, Israël écoule
20 % de ses exportations dans les territoires occupés.
Le contrôle total de l’occupant sur
toute activité financière avec le monde extérieur,
les flux de monnaie étrangère, les transactions financières,
l’exportation et l’importation de monnaie, des mouvements
de capitaux, voire la possession de monnaie étrangère
par un résident des Territoires occupés, le système
de crédit, l’accès aux marchés extérieurs,
la circulation des biens entre Gaza et la Cisjordanie, ajoutés
à une fiscalité prohibitive, empêchent toute
relance véritable de l’économie palestinienne.
La signature des accords de Washington le 13 septembre 1993 et la
rétrocession à l’« autonomie palestinienne
» de 7 enclaves urbaines représentant 3 % des territoires
occupés en 1967 [114] n’ont pratiquement rien changé
à la situation. L’affectation des fonds internationaux,
à 80 % européens, destinés à ladite
« autonomie » est étroitement contrôlée
par les autorités israéliennes.
La construction d’un aéroport et celle
d’un port étaient prévues à Gaza. Ces
infrastructures, financées par les Européens, sont
terminées mais leur mise en service dépend du bon
vouloir des autorités israéliennes qui trouvent toujours
un prétexte pour retarder la chose. Lorsque le représentant
européen a menacé de reconsidérer le versement
des fonds à l’Autorité palestinienne, Netanyahou
a haussé les épaules et déclarant que cela
ne pénaliserait que les Palestiniens...
Le marché du travail est presque entièrement
dépendant d’Israël. La ruine de milliers de petits
paysans et la faiblesse de l’industrie ont conduit un tiers
de la population active palestinienne à chercher du travail
en Israël. A partir de 1988, les règles régissant
la circulation des Palestiniens en Israël et l’obtention
des permis de travail se sont constamment durcies. L’arrivée
massive de Juifs soviétiques, l’augmentation importante
du chômage en Israël, l’appel à des travailleurs
immigrés du tiers monde, la chute de l’investissement
dans la construction ont considérablement réduit les
possibilités d’emploi pour les Palestiniens. L’Organisation
internationale du travail indique, dans une publication du 1er octobre
1993, que le chômage touchait 50 % de la population palestinienne.
En 1991 le nombre de Palestiniens travaillant en
Israël était d’environ 100 000, mais ce chiffre
a considérablement baissé. Réduit de moitié
après la guerre du Golfe, il baisse constamment depuis. Le
nombre de chômeurs palestiniens a augmenté d’un
tiers entre 1988 et 1992. Le New York Times du 15 septembre 1993
estimait que 45 000 résidents des Territoires occupés
travaillaient en Israël. La perte journalière représente
2 millions de dollars par jour. Les 30 000 Palestiniens expulsés
du Golfe représentent pour l’économie des Territoires
occupés une perte de 300 millions de dollars par an.
Le rapport de la Banque mondiale pour 1994 révèle
que le PIB par habitant et par an a diminué d’un tiers
entre 1987 et 1992, passant de 1 500 à 1000 dollars.
Si les autorités israéliennes agissent
vis-à-vis de l’extérieur comme si le problème
de la paix était résolu, signent des accords commerciaux
avec les pays musulmans, appelent les investisseurs étrangers,
l’économie palestinienne reste largement la vassale
d’Israël encore aujourd’hui. Les entraves restreignant
la liberté de l’économie palestinienne sont
encore pratiquement toutes maintenues.
NATIONALISME ET QUESTION SOCIALE
Le nationalisme palestinien est né sans doute
de la conjonction de la révolte des réfugiés
dans les camps de Jordanie, du Liban et de Syrie, avec les aspirations
de la petite bourgeoisie palestinienne cherchant une place au soleil
que ni Israël ni les autres Etats arabes n’étaient
disposés à lui accorder.
Yasser Arafat, apparenté à une grande
famille de la bourgeoisie palestinienne, les Al-Husseini, avait
fait ses études au Caire, obtenu un diplôme d’ingénieur
des travaux publics. Il partit travailler au Koweït où
il fonda sa propre société de travaux publics. Il
fonda le Fatah – Mouvement de libération nationale
de la Palestine – en 1959. D’emblée, les limites
du champ d’action d’Arafat sont tracées, ce que
lui reprocheront d’autres militants palestiniens comme Georges
Habache et Nayef Hawatmeh, qui s’étaient organisés
dans le Mouvement nationaliste arabe.
Le Fatah se manifesta pour la première fois
le 1er janvier 1965 par une tentative d’attentat. En fait,
l’objectif de l’organisation d’Arafat était
moins de mener une lutte armée de longue haleine contre Israël
que de se faire reconnaître comme organisation nationaliste
par les Palestiniens et les Etats arabes.
L’OLP fut créée en 1964, non
par les Palestiniens, mais, lors d’une réunion du sommet
de la Ligue arabe, tenue à Alexandrie, par les dirigeants
arabes : Nasser, Ben Bella, Bourguiba, le roi Fayçal d’Arabie.
Ayant pignon sur rue, bénéficiant des fonds et du
soutien des pays arabes, mais aussi étroitement contrôlée
par eux, l’OLP va avoir à sa tête, dans un premier
temps, un certain Ahmed Choukeiri, un personnage corrompu, lié
à l’Arabie saoudite. La défaite arabe de 1967
va changer les donnes en déconsidérant les régimes
arabes auprès des Palestiniens. 280 000 réfugiés
supplémentaires vont grossir les rangs de ceux qui s’entassent
déjà dans les camps de Jordanie, de Syrie ou du Liban.
Le nationalisme palestinien reçut une forte impulsion à
ce moment-là. En février 1969 Arafat est élu
président du comité exécutif de l’OLP.
Créée au départ par les régimes
arabes pour garder le contrôle du nationalisme palestinien,
l’OLP est désormais dirigée par un homme qui
bénéficie d’une réelle popularité
auprès des masses palestiniennes. Le 21 mars 1968, des feddayins
palestiniens du Fatah avaient tenu en respect une colonne militaire
israélienne pendant douze heures. La « bataille de
Karameh » avait soulevé l’enthousiasme de la
population palestinienne et substantiellement agrandi les rangs
du Fatah. Arafat disposait donc d’une certaine liberté
d’action face aux bailleurs de fonds de l’organisation.
L’organisation que dirige Arafat n’est
pas un bloc monolithique, c’est un conglomérat d’organisations
autonomes constituant une sorte de « Front ». L’unité
d’action y est toute relative. Arafat est en effet constamment
tiraillé entre la nécessité de maintenir une
unité de façade à l’organisation, ce
qui lui interdit de condamner certains attentats commis par des
groupes membres de l’OLP, et la nécessité de
garantir aux monarchies du Golfe que le nationalisme palestinien
ne débordera pas sur un nationalisme arabe contraire à
leurs intérêts. En outre, l’OLP est aussi un
enjeu politique pour les Etats arabes qui tentent constamment d’y
susciter des groupes servant de relais à leurs propres intérêts.
La Syrie, par exemple, créera sa propre organisation palestinienne,
la Saïka. En 1974, l’Irak soutiendra le front du refus
et abritera le groupe terroriste d’Abou Nidal qui organise
des assassinats de cadres modérés de l’OLP.
Saddam Hussein réussira plus tard à ligoter l’OLP
en contribuant à suspendre le dialogue américano-palestinien.
Le débarquement sur les plages israéliennes, en mai
90, d’un commando d’Aboul Abbas a été
commandité par Bagdad. Cette expédition mit fin à
la stratégie diplomatique de l’OLP.
L’OLP est aussi étroitement dépendante
des Etats arabes qui lui fournissent une base. Expulsé de
Jordanie après les massacres de Septembre noir, l’organisation
se replie au Liban. Mais après l’invasion de ce pays
par Israël en 1982, l’OLP est expulsée de Beyrouth
et privée d’une base géographique et militaire
qui lui permettait une certaine autonomie de décision. L’organisation
dépend du bon vouloir des pays qui l’accueillent ;
en 1983 l’OLP s’affronte avec le régime syrien.
Après le Liban, l’OLP se réfugie à Tunis,
mais son quartier général est bombardé par
les Israéliens en 1985. L’Egypte, liée par les
accords de Camp David, ne peut ni ne veut l’accueillir. l’Irak
met à sa disposition des bureaux, des avions, des casernes
pour ses soldats, une station de radio. Quand éclate le conflit
du Golfe, Arafat est contraint de s’aligner sur Saddam Hussein.
Après la guerre de 1967, puis de nouveau
après celle de 1973, un accord tacite liait le monde arabe
: la rente pétrolière sert de système de sécurité
sociale aux pays arabes pauvres et à forte démographie,
elle sert également à soutenir l’effort de guerre
contre Israël ; en contrepartie les républiques arabes
ne tentent pas de déstabiliser les pétromonarchies
ni de remettre en cause leur statut superprivilégié,
comme Nasser avait tenté de le faire avec son expédition
au Yémen en 1963. Cet accord valait aussi pour l’OLP,
subventionnée par les pétromonarchies à condition
que le nationalisme palestinien reste strictement cantonné
à la Palestine et ne déborde pas vers une remise en
cause de l’appropriation de la manne pétrolière.
Les défaites successives des armées
arabes en 1948, 1956, 1967, 1973 avaient quelque peu déconsidéré
les régimes en place auprès d’une masse toujours
plus grande de réfugiés palestiniens dont la présence
dans les camps de Jordanie, de Syrie, su Liban était un témoignage
de l’oppression impérialiste. Ces réfugiés
deviennent progressivement un facteur de déstabilisation
pour les régimes arabes en place, dans la mesure où
ils créent un mouvement de sympathie auprès des populations
pauvres des pays d’accueil. Par-dessus les frontières,
ils apportent aux populations arabes un message de révolte.
C’était un contexte idéal pour créer
un mouvement nationaliste à l’échelle de toute
la région et faire voler en éclats les dictatures
et les monarchies qui sont la base du dispositif impérialiste
au Proche-Orient.
La solidarité des masses arabes avec la «
cause palestinienne » pouvait déboucher sur une remise
en cause du pouvoir et des privilèges des grands propriétaires
fonciers (y compris palestiniens) et de la rente pétrolière
des monarchies du Golfe.
C’est le pouvoir du roi Hussein de Jordanie
qui s’est trouvé le premier menacé. Malgré
les assurances d’Arafat qui affirmait que son seul objectif
était la lutte contre Israël, Hussein prit les devants.
En septembre 1970 les troupes jordaniennes, au termes de terribles
combats, qui firent des milliers de victimes, liquidèrent
les milices palestiniennes. Quelques jours plus tard, on vit Arafat,
souriant, échanger une poignée de main de réconciliation
avec Hussein. C’est que dans les camps de Jordanie il y avait
les milices du Fatah, mais aussi celles, plus radicales, du FPLP
de Georges Habache et du FDPLP de Nayef Hawatmeh, qui contestaient
l’autorité d’Arafat. Les troupes jordaniennes
surent faire la différence entre les unes et les autres.
En fait, après Septembre noir, la position de Yasser Arafat
se trouva raffermie au sein de l’OLP, mais aussi vis-à-vis
des dirigeants des Etats arabes, pour qui sa présence, à
la tête de l’organisation palestinienne, garantissait
que celle-ci ne dériverait pas vers un nationalisme arabe
qui déstabiliserait la région.
Si l’OLP tient pendant un certain temps un
discours d’un nationalisme très radical – révolution
palestinienne, lutte armée, anti-impérialisme, anti-sionisme
– excluant toute reconnaissance de l’Etat d’Israël,
ce radicalisme verbal recouvrait mal un besoin de reconnaissance
internationale. Après la guerre de 1973, les Etats arabes
reconnurent l’OLP comme seul représentant du peuple
palestinien, et les pays non alignés se rallièrent
à cette position. Arafat fut invité à l’ONU
en tant qu’observateur. C’est à cette époque
que les dirigeants de l’OLP déclarent renoncer au terrorisme
international et envisagent de créer un Etat palestinien
« sur toute parcelle de territoire palestinien qui serait
libérée ». Pendant des années, Arafat
va donner des gages de sa capacité à maintenir le
mouvement dans les strictes limites du micro-nationalisme palestinien.
Cinq ans après Septembre noir, un scénario
presque identique se reproduit au Liban. La présence de nombreux
réfugiés palestiniens mêlés à
la masse des Libanais pauvres créait une situation potentiellement
explosive. A partir de 1973 les grèves et les manifestations
se succèdent. Dans certains quartiers pauvres, la population
s’arme, mais on ne distingue plus les feddayin des Libanais.
La troupe intervient contre les grévistes et contre les camps
palestiniens. En février 1975 l’armée tire sur
une manifestation de pêcheurs et fait onze morts.
En avril 1975 la droite libanaise déclenche
une contre-révolution préventive. Elle se heurte à
une véritable insurrection populaire. La direction de l’OLP
s’efforça là encore de maintenir l’organisation
dans les strictes limites du nationalisme palestinien. Arafat déclara
en juin 1975 : « Tout ce qui se passe au Liban est injustifiable.
La révolution palestinienne sait pour sa part que le véritable
champ de bataille se trouve en Palestine et qu’elle ne peut
tirer aucun bénéfice d’une bataille marginale
qui la détournerait de son véritable chemin. »
Si le combat des pauvres du Liban n’était pas celui
de l’OLP, la droite libanaise, elle, massacrait indistinctement
opprimés libanais et palestiniens. Il fallut l’intervention
de la Syrie, en 1976, pour que la droite libanaise l’emporte.
Evoquant les « conflits “secondaires”,
politiques ou régionaux, entre Etats ou à l’intérieur
des Etats », le rédacteur du Dossier Palestine expose
que « la révolution palestinienne, qui n’a cessé
d’être attirée dans ces conflits par le contexte
arabe, aussi bien étatique que populaire, n’a su y
survivre que grâce à sa capacité à s’en
extraire, ou en tout cas à maîtriser leurs effets sur
son cours propre » [115].
L’OLP avait deux faces contradictoires. Dans
les camps elle était représentée par des feddayin
armés symbolisant les masses palestiniennes mobilisées,
et à ce titre elle pouvait constituer un modèle pour
les masses populaires du monde arabe. Elle était aussi un
appareil politique soutenu par les régimes qui pouvaient
être menacés par la mobilisation populaire.
En 1977, après trente ans de pouvoir, les
travaillistes cèdent la place à la droite en Israël.
Si la signature du traité de Camp David avec l’Egypte
aboutit à l’évacuation du Sinaï, elle garantit
également Israël contre tout danger de nouvelle guerre
avec les Etats arabes et laisse « le champ libre à
Israël pour mener des opérations militaires contre l’OLP
au Liban et poursuivre le peuplement de la Cisjordanie »,
selon les termes de Noam Chomsky.
En 1978 Israël intervient une première
fois au Liban pour créer une « zone de sécurité
» au Sud, puis en juin 1982 la guerre est déclenchée
contre le Liban, qui mène l’armée israélienne
jusqu’à Beyrouth. Cette guerre se distinguait des autres
par le fait qu’elle n’était pas destinée
à obtenir une victoire rapide et un retour immédiat
des soldats, c’était une guerre d’occupation.
De la frontière Sud à Beyrouth, le pays est systématiquement
bombardé, causant des destructions massives et faisant entre
20 et 30 000 morts.
L’objectif déclaré de l’intervention
était de chasser l’OLP du Liban, ce qui convenait par
ailleurs aussi bien aux dirigeants libanais que syriens. Les troupes
de l’OLP finirent par embarquer pour la Tunisie sous la protection
d’un contingent international. L’autre objectif échoua
: la mise en place d’un régime contrôlé
par Israël, ce qui contrariait les intérêts syriens.
Un dirigeant de milice d’extrême droite, Béchir
Gemayel, fut élu président sous la protection israélienne,
mais il fut tué quelques jours plus tard. Son frère,
Amine, le remplaça mais prit ses distances avec Israël.
L’expédition libanaise fut suivie d’une grande
mobilisation en Israël contre la guerre, en particulier après
les massacres de Sabra et Chatila, en septembre 1982, perpétrés
par des miliciens de la droite libanaise, sous l’œil
complice de l’armée israélienne.
La guerre du Liban permit de marquer les limites
de la capacité d’intervention israélienne à
l’extérieur, mais aussi celles de l’investissement
des grandes puissances dans le conflit israélo-arabe : le
contingent international qui s’installa après l’évacuation
de l’OLP ne résista pas à quelques attentats
– fort meurtriers, il est vrai – contre ses casernes,
et se retira.
Mais c’est surtout l’Intifada qui révéla
les limites de l’intervention militaire israélienne.
Le 7 décembre 1987, un camion militaire israélien
heurte un taxi collectif et fait trois morts. C’est la goutte
qui fait déborder le vase. Un véritable soulèvement
populaire commence dans tous les territoires occupés. Itzhak
Rabin est ministre de la Défense, et décide de «
mater la subversion ». Plus qu’une révolte nationale,
l’Intifada est une révolte sociale. Le chef de cabinet
de Rabin, Eytan Haber, raconte que Rabin avait consulté un
rapport fait par deux officiers qui avaient interrogé plusieurs
centaines de prisonniers sur les raisons du soulèvement.
« Il s’est avéré que leur principal motif
de révolte était non pas des aspirations nationales,
mais les humiliations quotidiennes, constantes et ignobles que les
israéliens leur ont fait subir sous l’occupation. La
plupart ont mis l’accent sur le comportement des soldats israéliens
au barrage d’Erez, entre la bande da Gaza et Israël.
La description était traumatisante. J’ai montré
ce rapport à Rabin et je lui ai dit : regarde comment nous
nous détruisons nous-mêmes [116]. » L’Intifada
a révélé au monde les conditions épouvantables
dans lesquelles vivaient les Palestiniens dans les territoires occupés.
La dégradation morale des soldats chargés
de la répression finit même par préoccuper les
autorités israéliennes. Mille cinq cents militaires,
la plupart vétérans ou officiers, refusèrent
de servir dans les territoires occupés ; 150 firent même
de la prison. Là où la diplomatie, les guerres, les
manœuvres diverses des directions politiques avaient échoué,
un mouvement populaire de masse avait réussi : l’occupant
commençait à plier. L’Intifada avait un effet
dissolvant sur la société israélienne. Elle
coûtait très cher à l’occupant. Elle avait
réussi à faire basculer l’opinion publique internationale
en faveur des Palestiniens. Elle avait révélé
les énormes capacités d’initiative et d’auto-organisation
de la société palestinienne sous l’occupation.
C’étaient là des atouts majeurs dans la perspective
d’une négociation...
CAPITULATIONS SANS CONTREPARTIES
Selon Edward W. Said [117], l’accord du 13
septembre 1993 a été une « capitulation infligée
aux Palestiniens ». « En échange d’une
poignée de main, ceux-ci voyaient soudain la plupart de leurs
droits mis en suspens. » « L’accord est un acte
de reddition du peuple palestinien, une sorte de traité de
Versailles. »
Déjà, lors de la guerre du Golfe,
les « désastreuses prises de position de l’OLP
(...) lui firent perdre encore du terrain », dilapidant les
effets positifs de l’Intifada.
« La reconnaissance du droit d’Israël
à exister implique une série de renoncements de la
part des Palestiniens : renonciation à la charte de l’OLP,
à la violence et au terrorisme et à toutes les résolutions
de l’ONU, à l’exception des 242 et 338, qui ne
disent pas un mot des Palestiniens. » (...)
« L’Intifada n’incarnait pas le
terrorisme et la violence, mais le droit de résister. L’OLP
y a renoncé, bien qu’Israel continue d’occuper
la Cisjordanie et Gaza. Dans le document signé du 13 septembre
1993, la sécurité d’Israël est la considération
dominante, alors qu’il n’y est pas question du sort
des Palestiniens victimes des incursions israéliennes. »
Le jour même de la poignée de mains
de Washington, Rabin tient une conférence de presse dans
laquelle il réaffirme la souveraineté israélienne
sur le Jourdain, Jérusalem, les colonies de peuplement et
le contrôle des routes. Une telle attitude aurait dû
suffire pour dénoncer immédiatement l’accord.
« Rien, dans l’accord, dit encore Edward W. Said, ne
suggère que les Israéliens vont renoncer à
leurs actes de violence contre les Palestiniens ou qu’ils
indemniseront les victimes de leur politique depuis quarante-cinq
ans, comme l’Irak a dû le faire après son retrait
du Koweït. »
Au début de la constitution de l’Etat
d’Israël, les Palestiniens refusaient l’idée
de réparations pour ne pas avoir à légitimer
la confiscation de leurs biens et leur expulsion. Mais le contexte
ayant changé, lorsqu’on négocie il est de coutume
de mettre tous les atouts dans la balance ; or, jamais depuis le
début des négociations Arafat n’a évoqué
la possibilité de réparations pour les dizaines de
milliers de morts sous les bombes dans les camps, les écoles,
les hôpitaux du Liban, pour la spoliation des terres et des
biens, la destruction de près de 400 villages et les 800
000 réfugiés. En faisant preuve d’un peu d’imagination,
Arafat pourrait annoncer que les immeubles des colonies de peuplement
de Cisjordanie seront récupérés après
leur évacuation, à titre de réparations. Cela
contribuerait peut-être à tempérer l’ardeur
des colons à s’y installer...
De fait, Edward W. Said a raison de dire que «
tout se passe comme si les Palestiniens, loin d’ëtre
les victimes du sionisme, en étaient les agresseurs invités
à faire acte de contrition. »
Le cadre des accords signés entre Israël
et l’OLP est aujourd’hui caduc. L’OLP a reconnu
l’Etat d’Israël sans exiger en contrepartie la
reconnaissance par Israël du droit des Palestiniens à
un Etat. L’accord de Washington marque en fait la reconnaissance
par Arafat de l’ensemble du réseau de colonies juives
dans les territoires occupés. Arafat a signé un accord
qui laisse tout aux Israéliens sauf les villes palestiniennes,
dont ils ne veulent de toute façon pas assurer l’administration.
Toutes les résolutions de l’ONU reconnaissant
aux Palestiniens le droit à un Etat, à la terre, reconnaissant
l’existence d’un peuple palestinien, au droit au retour
des réfugiés furent abandonnées. La résolution
181 de 1947 qui prône le partage de la Palestine en deux Etats,
l’un juif, l’autre arabe, est abandonnée. Les
Etats-Unis sont revenus sur les engagements qu’ils avaient
pris pendant la guerre du Golfe d’abandonner le principe de
deux poids deux mesures.
Si l’OLP « n’a jamais brillé
par sa logistique et ses capacités de gestion », comme
le suggère Georges Corm [118], il apparaît qu’elle
n’a pas brillé non plus par sa stratégie ni
par l’ampleur de sa vision du problème. L’examen
des dispositions du traité de Taba, dit Oslo II, montre l’étendue
de la capitulation de la direction palestinienne. Au lendemain de
la signature de ce traité, le 28 septembre 1995 à
Washington, le ministre travailliste de la police Moshe Shahal déclarait
: « Arafat a été contraint de signer à
la Maison Blanche un accord qui inclut la reconnaissance de facto
et de jure du réseau des colonies juives dans les territoires
(...) Si Oslo I a donné aux Palestiniens dans la période
intérimaire tout sauf les colonies, Oslo II a renversé
ce qui avait été accepté et laissé tout,
à l’exception des villes palestiniennes, aux mains
d’Israël. »
Cet accord stipule que la Cisjordanie sera divisée
en trois zones.
– La zone A : les principales villes palestiniennes,
Jénine, Naplouse, Tulkarem, Kalkilya, Ramallah, Bethléeem,
la plus grande partie d’Hébron, mais pas Jérusalem-Est.
– La zonde B : une douzaine de poches rurales
séparées les unes des autres, éparpillées
sur tout le territoire de la Cisjordanie, contenant la quasi-totalité
des villages.
Les zones A et B représentent à peine
30 % de la Cisjordanie, mais contiennent 90 % de la population de
cette région. Il apparaît clairement que Oslo II applique
le principe selon lequel les Israéliens veulent le territoire
des Palestiniens mais pas la population. En plus, l’Autorité
palestinienne, sur ces deux zones, n’exercera qu’un
contrôle restreint.
– La zone C : il s’agit de tout le reste,
c’est-à-dire 70 % du territoire de la Cisjordanie qui
a été vidé de ses habitants palestiniens, et
qui est occupé par des colonies juives, civiles et militaires.
Depuis 1993, c’est-à-dire sous Itzhak Rabin, déjà,
d’intenses travaux d’infrastructure ont été
réalisés, notamment des routes de contournement permettant
de relier les colonies juives sans traverser les enclaves palestiniennes.
Jan de Jong, un géographe néerlandais,
résume parfaitement la question :
« Ainsi la zone C acquiert la cohésion
structurelle qui est en train de se déliter dans les territoires
épars régis par l’Autorité palestinienne.
Car, entre ces territoires, la libre circulation des biens et des
personnes dépendra exclusivement de l’accord de l’armée
israélienne qui patrouillera sur les “routes de sécurité”.
« C’est ici qu’apparaît
l’un des aspects fondamentaux d’Oslo II. Israël
est parvenu à se débarrasser des Palestiniens sans
avoir pour autant à subir un affaiblissement de son contrôle
sur la Cisjordanie. L’Etat hébreu et les Palestiniens
sont séparés, et, désormais, 1 500 000 Palestiniens
s’autogouverneront sur environ le tiers de la Cisjordanie,
et se retrouveront enserrés dans le réseau des colonies
dont la population est dix fois moins importante (si l’on
exclut les colons de Jérusalem-Est) que celle des Palestiniens,
mais accapareront deux fois plus de terres.
« Les Palestiniens ont perdu une bonne part
du poids politique qui découlait du fait qu’ils résidaient
à l’intérieur d’un territire que la communauté
internationale reconnaissait être, dans sa totalité,
occupé. Après Oslo II, Israël peut discuter du
sort de la zone C sans avoir à traiter du sort de la population
palestinienne autochtone, à présent reléguée
dans la zone autonome [119]. »
La relégation des Palestiniens dans les zones
A et B équivaut littéralement à la création
de bantoustans et à la mise en œuvre d’une politique
d’apartheid. La population de ces zones va atteindre quatre
millions de personnes en 2010, soit 2 000 habitants au kilomètre
carré. Il est difficilement imaginable qu’une situation
aussi explosive puisse être indéfiniment contenue.
Pourtant la direction de l’OLP continue d’envisager
des concessions. En mars 1996 Abou Mazen, le négociateur
palestinien, signait un document stipulant qu’Israël
garderait les implantations où vivent 70 % des colons juifs,
laissant le reste à Cisjordanie à une Autorité
palestinienne ayant les apparences d’un Etat, Jérusalem
restant sous souveraineté israélienne, tandis qu’une
banlieue située à l’est de la ville servirait
de capitale aux Palestiniens. Ainsi, la direction palestinienne
accepterait l’idée que l’existence de colonies
sous autorité israélienne n’est pas incompatible
avec un compromis territorial. Pourtant, la politique israélienne
d’annexion d’un maximum de territoires contenant un
minimum de Palestiniens est évidente depuis longtemps. Trente
pour cent de la Cisjordanie contient 90 % de la population palestinienne.
C’est cela, tout au plus, que l’Autorité palestinienne
finira par récupérer, c’est-à-dire des
enclaves sans continuité territoriale.
D’autant que les dirigeants palestiniens envisagent
un projet qui permettrait de se passer d’une grande couverture
territoriale, et se tournent vers l’exemple des petites cités-Etats
du Sud-Est asiatique telles que Singapour, dont le seul capital
est une population s’adonnant à un travail qualifié
dans des industries de pointe. Il se trouve que c’est précisément
ce créneau que veut occuper Israël, et imaginer que
l’Etat hébreu laissera les Palestiniens lui faire concurrence
relève de la plus complète naïveté. En
tout état de cause les compétences de l’Autorité
palestinienne en matière de gestion et d’organisation
ne plaident pas en faveur d’une telle évolution.
.
PERSPECTIVES
Madeleine Albright, secrétaire d’Etat,
fait sa première visite au Proche-Orient, le 9 septembre
1997, après plusieurs mois d’arrêt des négociations
de paix entre Israéliens et Palestiniens. L’élection
de Netanyahou au gouvernement en Israël a enclenché
une dynamique de conflit avec les Palestiniens, avec la construction
d’une nouvelle colonie dans la partie arabe de Jérusalem,
l’affaire du « tunnel », avec la relance de la
colonisation juive à Gaza et en Cisjordanie, les confiscations
de terres, les démolitions de maisons palestiniennes, etc.
La diplomatie US tourne au ralenti. Albright tente
d’empêcher l’embrasement des tensions dans une
région stratégique pour les intérêts
américains. Mais en même temps, Washington empêche
systématiquement toute condamnation de la politique de Netanyahou
; ne jamais faire pression sur Israël pour infléchir
sa politique.
Si Albright échoue, dit Hémi Shalev
dans Yédiot Aharonot, « il est probable que le prochain
attentat conduira à une confrontation violente et générale
avec les Palestiniens, et même probablement à une guerre
régionale globale ». Cette opinion n’est pas
marginale, elle est partagée par la quasi-totalité
des observateurs israéliens.
Dans la foulée des accords d’Oslo et
du retour d’Arafat à Gaza, une Conférence économique
du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord fut mise sur pied
dans la perspective de création d’une sorte de zone
de prospérité allant de l’Atlantique (Maroc)
au Golfe. Une dizaine de chefs d’Etat, des centaines d’hommes
politiques et une nuée de businessmen s’enthousiasmaient
pour le projet. Le Qatar était l’organisateur de la
dernière conférence, tenue du 16 au 18 novembre 1997
à Doha, la capitale de l’émirat. Cette conférence
– parrainée par les Etats-Unis – devait servir
à légitimer l’existence et le rôle d’Israël.
En outre, le sommet était un enjeu important pour les Etats-Unis
car il devait montrer que la diplomatie américaine n’avait
pas sombré avec le processus de paix.
Or, les chefs d’Etat de la quasi-totalité
des pays arabes ont annoncé longtemps à l’avance
qu’ils ne participeraient pas au sommet : l’Egypte,
l’Arabie saoudite, le Maroc, Bahreïn, les Emirats arabes
unis, la Syrie, le Liban. Ceux qui s’y sont rendus n’ont
été représentés que par des hauts fonctionnaires
: Tunisie, Yémen, et même le Koweït, pourtant
le « protégé » des Etats-Unis.
C’est une magistrale claque pour la diplomatie
américaine.
L’essentiel de la thèse officielle
israélienne pour justifier sa politique repose sur des arguments
de défense. Il faut à l’Etat hébreu une
« profondeur stratégique » suffisante. Les Scuds
irakiens, pourtant de faible portée, tombant sur Israël
ont réduit cette thèse à rien. Israël
possède de nombreuses armes atomiques mais leur utilisation,
à cause des courtes distances, porterait inévitablement
atteinte à la population israélienne. L’évolution
des rapports de force interdit pratiquement toute attaque contre
la Syrie, sous peine de représailles sévères.
En 1985 Israël a dû abandonner le Liban occupé
devant les pertes que lui occasionnait le Hezbollah, et se trouve
en fait sur la défensive dans la partie du Sud-Liban encore
occupée. Il n’y a plus de solution militaire.
Malgré le processus de paix enclenché
avec les accords de Madrid, la paix ne semble pas être une
perspective proche. Même pendant les négociations,
les autorités israéliennes continuaient la colonisation
des territoires occupés.
La création d’un Etat palestinien signifierait,
dans le meilleur mais le plus improbable des cas, la création
d’un Etat de 5 900 km² sans continuité territoriale
et dont les deux tiers seraient occupés par des implantations
coloniales juives, des routes à usage exclusif des Israéliens
contournant les localités palestiniennes et saucissonnant
le pays en portions séparées les unes des autres,
des terrains militaires, et sans terres agricoles ni ressources
acquifères. Aujourd’hui, l’autorité palestinienne
contrôle 6 % de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, et
le gouvernement Netanyahou ne semble pas disposé à
en restituer plus.
Les deux options qui se dessinent actuellement en
Israël sont fondées :
– l’une sur la contrainte politique
permanente contre les Palestiniens, une spirale sans fin d’oppression
dont l’issue ne peut être que violente, car la population
des territoires occupés ne lâchera pas le terrain et
son développement démographique ne peut conduire qu’à
l’explosion ;
– l’autre sur une intégration
économique d’Israël dans un Proche-Orient dominé
par l’Etat hébreu, qui semble à première
vue plus « raisonnable », mais dans laquelle les Palestiniens
n’auront guère de place. Une frange de la bourgeoisie
israélienne, moins soucieuse de conquête territoriale
que de conquête de marchés, semble attirée par
cette option.
Il s’agit là, on l’aura deviné,
des principales orientations du Likoud et du parti travailliste.
Le paradoxe de l’Etat d’Israël
est que Théodore Herzl, le fondateur du sionisme, entendait
écarter de l’Etat juif « les velléités
théocratiques » des chefs religieux, alors que sa seule
légitimation est religieuse, au point que même les
sionistes laïcs lui empruntent ses thèmes. La laïcisation
de la société israélienne est un danger pour
l’Etat : cessant d’être l’Etat des Juifs
pour devenir celui des citoyens, le projet sioniste perdrait toute
validité. Pour l’instant, l’échec du sionisme
en tant que construction d’un esprit collectif se manifeste
par le repli identitaire de la population au sein de sa communauté
religieuse, de sa communauté d’immigration. Baruch
Kimmerling pense que si une guerre civile survient en Israël,
elle ne viendra pas de l’opposition entre partisans du retrait
des territoires occupés et opposants, ou de l’opposition
entre la gauche et la droite : « La principale question sur
laquelle une guerre civile pourrait survenir concerne les règles
du jeu qui définit notre identité collective. »
(Haaretz, 21 janvier 1994.)
Les débats sur les pourcentages de territoire
palestinien dont Israël devrait se retirer ont quelque chose
de pathétique. Six à neuf pour cent selon les les
autorités israéliennes, 15 % selon les Américains.
L’Autorité palestinienne, quant à elle, en est
réduite à demander l’évacuation de 30
% du territoire palestinien. Imagine-t-on le général
Giap demandant aux Américains de se retirer de 30 % du Viet-Nam
!
A long terme, la frénésie des autorités
israéliennes à occuper, à créer une
situation irréversible – et dans une large mesure,
elles ont réussi – fournit peut-être la clé
des évolutions à long terme dans la région,
car l’irréversibilité peut être une arme
à deux tranchants.
Aujourd’hui le problème pour les Palestiniens
de Cisjordanie et de la bande de Gaza se pose en termes de revendication
nationale, qui est une revendication compréhensible, dans
le contexte, mais quelque peu obsolète quand les grandes
tendances de notre époque sont à la constitution de
vastes blocs dans lesquels les Etats sont réduits au rôle
de région.
Le projet sioniste est fondé sur l’existence
séparée des Juifs et des Arabes. Il implique deux
territoires précisément délimités dans
lesquels les deux communautés doivent vivre sans contacts.
La condition d’une existence séparée des Juifs
est l’existence d’un espace dans lequel se réalise
l’existence séparée des Palestiniens –
un espace cohérent. La politique de Netanyahou équivaut
à refuser cet espace aux Palestiniens, et à les confiner
dans des bantoustans. C’est ce qui ressort de ses prises de
position lors de sa rencontre avec Bill Clinton le 20 janvier 1998.
Les « intérêts vitaux et nationaux en Judée-Samarie
» établis dans un document préparatoire impliquent
qu’Israël conserve les deux tiers de la Cisjordanie.
Le détail des territoires qu’Israël entend conserver
est effarant :
– une bande de plusieurs kilomètres
de large à l’Ouest de la Cisjordanie ;
– une bande de 10 à 20 km selon les
endroits, à l’Ouest, le long du Jourdain ;
– une zone entourant la région de Jérusalem
;
– les zones occupées par les 140 colonies
juives (zones qui sont en constante expansion) ;
– les infrastructures, routes, sources d’eau,
installations électriques ;
– les sites militaires ;
– les zones autour des routes nécessaires
à la sécurité générale et à
celle des colonies ;
– les sites historiques.
La droite israélienne ne se rend pas compte
que sa frénésie de territoires conduit inévitablement
à une forme d’existence commune qui ne peut que créer
– à l’échelle de l’histoire –
les germes de dissolution de la société israélienne
telle qu’elle existe aujourd’hui. En refusant un espace
cohérent et délimité aux Palestiniens, elle
se condamne à vivre avec eux.
Il ne sera pas possible de confiner la population
palestinienne dans 6 %, 10 % ou 20 % de la Cisjordanie. Comme en
Afrique du Sud, les bantoustans exploseront. Sachant que les Palestiniens
ne lâcheront pas le terrain et que leur démographie
est nettement supérieure à celle des Israéliens,
la coexistence sur le même territoire de deux populations,
dont l’une a un statut inférieur, se posera un jour
inévitablement en termes de revendication à l’égalité
des droits, c’est-à-dire à la citoyenneté.
En ces temps de mondialisation, le principe de réalité
rattrape l’idéologie. Alors qu’en 1998 devaient
avoir lieu d’importantes festivités marquant la commémoration
du cinquantième anniversaire de la création de l’Etat
d’Israël, l’ambiance est à la morosité.
Les crédits destinés à cet événement
ont été constamment rognés pour cause de récession,
et la préparation des festivités est marquée
par des querelles politiques, des rivalités de personnes,
le « népotisme », le « favoritisme »,
et de « coûteuses malversations » dénoncées
par le journal Maariv. Bref tout sauf l’union de la «
classe politique » face à un événement
qui devrait se dérouler sous le signe de l’unité
nationale, certains membres de la communauté sépharade
reprochant par ailleurs aux concepteurs des commémorations
de faire la part trop belle à l’histoire et à
la culture ashkénazes. Alors que le processus de paix est
arrêté, que le chômage bat des records, que la
croissance est égale à zéro, que les tensions
entre laïcs et religieux s’accroissent, 70 % des Juifs
israéliens préféreraient que l’argent
des commémorations du cinquantenaire de leur Etat aille à
la lutte contre le chômage.
ANNEXE I
PRINCIPALES DATES
1947
29 novembre. – La résolution 181 des
Nations unies crée un Etat palestinien et un Etat juif sur
le territoire correspondant aujourd’hui à Israël
et les territoires occupés. Les Juifs, qui possèdent
6 % des terres, représentent 30 % de la population, obtiennent
55 % du territoire. « Les Etats indépendants arabe
et juif ainsi que le régime international particulier prévu
pour la ville de Jérusalem [...] commenceront d’exister
en Palestine deux mois après que l’évacuation
des forces armées de la puissance mandataire aura été
achevée, et en tout cas, le 1er octobre 1948 au plus tard
[...] » (1re partie, § 1.)
1948
14 mai. – David Ben Gourion proclame la création
de l’Etat d’Israël, quelques heures avant la fin
du mandat britannique.
15 mai. – Début de la première
guerre israélo-arabe, opposant l’Etat hébreu
aux armées égyptiennes, syriennes, transjordaniennes
et irakiennes. Israël s’empare de plus de la moitié
du territoire alloué aux Palestiniens, l’autre partie
(la Cisjordanie) étant annexée par la Jordanie.
1949
Janvier. – Signature de l’armistice
qui consacre l’annexion des trois quarts du territoire de
la Palestine mandataire (précédemment sous mandat
britannique).
11 mai 1949. – Israël est admis aux Nations
unies.
13 décembre . – Ben Gourion annonce
le transfert de la capitale à Jérusalem.
1950
24 avril. – Le roi Abdallah de Jordanie annexe
la Cisjordanie. L’Egypte contrôle la bande de Gaza
1956
29 octobre. – Israël, la France et la
Grande-Bretagne attaquent l’Egypte, qui a nationalisé
le canal de Suez.. Début de la campagne du Sinaï. Les
derniers points occupés par l’armée israélienne
en Egypte seront évacués le 1er mars 1957.
1964
29 mai. – Création à Jérusalem
de l’OLP.
1965
1er janvier. – Première opération
de sabotage des commandos du Fath à l’intérieur
du territoire israélien.
1967
1er juin. – remaniement ministériel
à Jérusalem. Le général Dayan devient
ministre de la défense.
5 juin. – Guerre des Six-Jours. Début
de la troisième guerre israélo-arabe. Israël
attaque l’Egypte. Occupation du Sinaï, du Golan, de la
Cisjordanie, de Gaza et de Jérusalem-Est. Défaite
des armées arabes.
28 juin. – La Knesset (parlement) vote l’annexion
de la partie jordanienne de Jérusalem. La Cisjordanie est
occupée ainsi que la bande de Gaza.
29 août-1er septembre. – Sommet arabe
de Khartoum réclamant l’évacuation de tous les
territoires arabes occupés par Israël et refusant toute
négociation.
22 novembre. – Le Conseil de sécurité
de l’ONU adopte la résolution 242 pour le règlement
de la crise israélo-arabe (Cf. encadré). Cette résolution
contient une ambiguïté selon qu’on se réfère
au texte anglais ou français. Elle prévoit l’évacuation
par Israël « de » (texte anglais) ou « des
» (texte français) territoires occupés en échange
de la reconnaissance de tous les Etats de la région.
1969
2 janvier. – Raid israélien de représailles
contre l’aéroport de Beyrouth. La France impose un
embargo sur les livraisons de tous les matériels militaires
à destination d’Israël.
1er - 4 février. – Yasser Arafat est
élu président du comité exécutif de
l’OLP.
23 juillet. Début d’une guerre d’usure
sur le canal de Suez.
21 juillet. – Le Caire, puis Jérusalem
acceptent le plan Rogers pour une paix « Juste et durable
» au Proche-Orient.
1970
7 août. – Le cessez-le-feu sur le canal
de Suez met fin à une guerre d’usure israélo-égyptienne
qui durait depuis la guerre des Six-jours.
Septembre. – « Septembre noir »
: Le roi Hussein écrase militairement l’OLP qui constituait
un Etat dans l’Etat en Jordanie, où vit la plus forte
communauté israélienne en exil. L’OLP perd une
base arrière et se transplante au Liban.
1972
5 septembre. – Attentat du commando palestinien
« Septembre noir » contre l’équipe olympique
israélienne à Munich. Onze athlètes sont tués.
1973
10 avril. – Raid à Beyrouth d’un
commando israélien qui tue trois dirigeants palestiniens.
6-24 octobre. – Guerre du Kippour. L’Egypte
et la Syrie attaquent Israël qui réplique victorieusement.
Israël rend une petite partie du Sinaï à l’Egypte
et du Golan à la Syrie.
22 octobre. – Résolution 338.
1974
1er juin. – L’OLP accepte l’idée
d’une entité palestinienne sur « toute partie
libéré du territoire ».
13 novembre. – Premier discours d’Arafat
devant l’assemblée générale des Nations
unies qui reconnaît le droit des Palestiniens à «
la souveraineté et à l’indépendance nationales.
L’OLP est accueillie comme membre observateur.
1975
13 avril. – Début de la guerre civile
au Liban. L’armée syrienne interviendra l’année
suivante.
1977
17 mai. – Fin de la longue domination travailliste
avec la victoire de Menahem Begin.
19-21 novembre. – Le président égyptien
Anouar al-Sadate se rend à Jérusalem.
1978
14 mars. – Tsahal envahit le Sud-Liban à
la suite d’une action de commando palestinien en Israël.
17 septembre. – Signature, à Washington,
des accords de Camp David entre Israël, l’Egypte, les
Etats-Unis. Ils prévoient la restitution totale du Sinaï
à l’Egypte et l’autonomie administrative de la
bande de Gaza et de la Cisjordanie. Ces accords sont rejetés
par L’OLP et les pays arabes.
1979
26 mars. – Traité de paix entre Israël
et l’Egypte.
1er avril. – Proclamation de la République
islamique en Iran.
1980
Juillet. – Israël proclame Jérusalem
« capitale entière et réunifiée de l’Etat
d’Israël ».
Décembre. – Israël annexe le Golan.
1981
6 octobre. – Assassinat d’Anouar al-Sadate.
1982
25 avril. – Fin de l’évacuation
du Sinaï par Israël.
6 juin. – Cinquième guerre israélo-arabe.
Israël lance au Liban l’opération Paix en Galilée
destinée à chasser les organisations palestiniennes
de Beyrouth. Siège de Beyrouth. Les Israéliens entrent
à Beyrouth-Ouest.
21 août. – L’OLP entame sous la
protection d’une force multinationale, l’évacuation
de Beyrouth.
14-17 septembre. – Assassinat du président
libanais Béchir Gemayel. Des factions libanaises soutenues
par Israël massacrent les réfugiés palestiniens
des camps palestiniens de Sabra et Chatila.
1983
Mai-décembre. – De violents affrontements
avec des dissidents de l’OLP soutenus par l’armée
syrienne poussent Arafat à quitter le Liban.
1985
Juin. – Israël se retire du Liban, sauf
une « zone de sécurité » au Sud.
Printemps. – Début de la « guerre
des camps » au Liban menée par la milice chiite Amal
contre les Palestiniens.
24 septembre. – Raid israélien contre
le quartier général de l’OLP à Tunis,
faisant 70 morts.
1986
L’OLP accepte la résolution 242 de
l’ONU impliquant la reconnaissance d’Israël.
15 octobre. – Premier attentat, à Jérusalem,
revendiqué par un groupe musulman, le Djihad islamique, scission
des Frères musulmans.
1987
20-26 avril. – réunification de l’OLP
au 18e conseil national palestinien à Alger.
9 décembre. – Début de l’Intifada
dans les territoires occupés.
1988
4 mars. – Premier tract signé Hamas
à Gaza, dénonçant « l’occupation
par les sionistes », les « Juifs nazis », les
athées, la franc-maçonnerie, les communistes et les
« solutions capitulardes à la Camp-David ».
31 juillet. – La Jordanie renonce à
la souveraineté sur la Cisjordanie au profit de l’OLP.
14-15 novembre. – L’OLP renonce au terrorisme
au 19e conseil national palestinien à Alger (« Nous
renonçons totalement et absolument à toutes les formes
de terrorisme, qu’il soit individuel, de groupe ou d’Etat.
» . Il accepte les résolutions 242 et 338 (reconnaissance
de l’Etat hébreu comme base d’un règlement
avec Israël dans le cadre d’une conférence internationale).
Il fait référence à la résolution 181
de 1947 partageant la Palestine en deux Etats. Il évoque
le « droit de toutes les parties à exister en paix
et en sécurité, y compris l’Etat de Palestine,
Israël et leurs voisins. » Arafat proclame la création
d’un Etat indépendant en Palestine.
1989
Mai. – Yasser Arafat déclare caduc
l’article 17 de la charte de l’OLP qui déclare
que « le partage de la Palestine en 1947 et la création
d’Israël sont des décisions illégales et
artificielles quel que soit le temps écoulé, parce
qu’elles ont été contraires à la volonté
du peuple de Palestine et à son droit naturel sur sa patrie.
»
6 juillet. – Le Djihad islamique revendique
l’attentat contre un bus de la ligne Jérusalem - Tel-Aviv
: 14 morts.
1990
2 août. – L’Irak envahit le Koweït..
1991
Arafat soutient Saddam Hussein pendant la guerre
du Golfe. Le dictateur irakien propose de se retirer du Koweït
si Israël quitte les territoires occupés.
26 octobre. – Ouverture d’une conférence
de paix à Madrid sous l’égide des Etats-Unis
et de la Russie. L’OLP est exclue de cette conférence.
1992
23 juin. – Elections législatives en
Israël. Le parti travailliste d’Itzhak Rabin accède
au pouvoir.
17 décembre. – 415 Palestiniens jugés
pro-Hamas sont expulsés au Sud-Liban.
1993
27 août. – Accord de principe sur l’autonomie
palestinienne dans la bande de Gaza et à Jéricho,
à la suit de négociations secrètes à
Oslo.
9 septembre. – Reconnaissance mutuelle d’Israël
et de l’OLP.
13 septembre. – Signature par Shimon Pérès
et Abbou Mazen, à Washington, de l’accord « Gaza-Jéricho
d’abord », sous le parrainage des Etats-Unis, de la
Russie. Rabin et Arafat se serrent la main.
13 octobre : la déclaration de principe entre
en vigueur. A Taba, en Egypte, Israël et l’OLP entament
des négociations sur le retrait de l’armée israélienne
de la bande de Gaza et de l’enclave de Jéricho (Oslo
I).
24 octobre. – Imad Akhel, chef présumé
des commandos Azzedine al-Kassem du Hamas est tué à
Gaza par l’armée israélienne.
1994
25 février. – Un colon religieux extrémiste,
Baruch Goldstein, assassine 29 musulmans dans la mosquée
du caveau des Patriarches d’Hébron. Les Palestiniens
suspendent les négociations.
6 avril. – Attentat du Hamas à Afoula
faisant 7 morts.
13 avril. – Attentat dans un autobus à
Hadéra : 6 morts.
29 avril. – signature à Paris d’un
accord économique de libre échange entre OLP et Israël.
4 mai. – signature au Caire d’un accord
sur les modalités de l’autonomie à Gaza et Jéricho.
18 mai. – la police palestinienne prend en
charge la sécurité à Gaza et Jéricho.
L’armée israélienne achève de se déployer
autour des colonies juives de Gaza.
1er juillet. – Arafat arrive à Gaza
après 27 ans d’exil.
9 octobre. – Capture du caporal Waxman par
un commando du Hamas qui exige la libération de son chef,
le cheikh Yassine.
12 juillet. – Arafat s’installe à
Gaza.
13 juillet. – date, repoussée, des
élections palestiniennes pour un conseil de l’autonomie,
qui devait être précédée d’un retrait
de l’armée israélienne des villes de Cisjordanie.
29 août. – Israël transfère
aux Palestiniens de Cisjordanie la responsabilité de l’éducation,
de la santé, des affaires fiscales, du tourisme et des affaires
sociales.
17 octobre. – Traité de paix entre
Israël et la Jordanie.
19 octobre. – Attentat du Hamas contre un
autobus à Tel-Aviv : 22 morts.
26 octobre. – Traité de paix entre
la Jordanie et Israël à Arava.
1995
17 mai. – L’ONU condamne l’expropriation
de terres arabes par Israël à Jéricho-Est. Washington
oppose son veto.
24 juillet. – Après un attentat-suicide,
la Cisjordanie et Gaza sont bouclés.
1er juillet 1995. – accord sur les élections
palestiniennes et le redéploiement militaire israélien
en Cisjordanie.
28 septembre. – Signature des accords dits
Oslo II à Taba, en Egypte. C’est un accord israélo-palestinien
sur l’autonomie interne et partielle, strictement contrôlée
et délimitée territorialement par Israël.
4 novembre. – Assassinat du Premier ministre
israélien Itzhak Rabin par un extrémiste juif, Ygal
Amir. Shimon Pérès assure l’intérim.
Novembre-décembre. – retrait des troupes
israéliennes de six villes palestiniennes, sauf Hébron.
1996
20 janvier. – Yasser Arafat élu président
de l’Autorité palestinienne. Ses partisans remportent
les deux tiers de 80 sièges au Conseil palestinien.
25 février. – Vague d’attentats
du Hamas à Jérusalem, Tel-Aviv, Ashkelon qui déstabilisent
le gouvernement Pérès. Bouclage des territoires occupés.
18 avril. – Opération Raisins de la
colère contre le Sud-Liban. Tsahal bombarde le camp de l’ONU
de Cana : 200 morts parmi les réfugiés. Cessez-le-feu
le 27.
24 avril. – Le Conseil national palestinien
retire de sa charte les articles hostiles à l’existence
d’Israël.
27 avril. – Cessez-le-feu au Sud-Liban.
5 mai. – Ouverture officielle des négociations
sur le statut définitif des territoires occupés.
29 mai. – La coalition de droite et des partis
ultra-religieux formée autour de Benjamin Netanyahou remporte
les élections israéliennes.
27-29 septembre. – Affaire du tunnel de l’esplanade
des mosquées. Graves violences faisant 76 morts.
8 octobre. – Première visite d’Arafat
en Israël à l’invitation de Ezer Weizman, président
de l’Etat d’Israël.
19-25 octobre. – Jacques Chirac fait une tournée
au Proche-Orient. Se prononce pour le retrait d’Israël
des territoires occupés et pour la création d’un
Etat palestinien.
1997
15 janvier. – Accord sur le retrait de l’armée
israélienne des 4/5 de la ville d’Hébron.
25 février. – Netanyahou annonce la
construction d’une onzième colonie juive sur la colline
de Har Homa dans la partie arabe occupée de Jérusalem.
28 mars. – Début de la construction
de la colonie de peuplement de Har Homa (djebel Abou Ghneim) à
Jérusalem-Est.
20 mars. – Annonce par le gouvernement israélien
d’une nouvelle implantation juive à Jérusalem-Est.
21 mars. – Attentat suicide à Tel-Aviv
: quatre morts, 40 blessés.
23 mars. – Suspension par Netanyahou des négociations
avec Arafat.
31 mars. – Les pays arabes suspendent leur
participation aux négociations multilatérales.
Mai. – Série de rencontres entre Arafat,
Weizman, Netanyahou, Hussein de Jordanie, Moubarak. L’ambassadeur
américain à Tel-Aviv déclare que « le
cœur d’Oslo est cassé ».
16 juillet. – Israël rejette «
catégoriquement » le vote, par l’assemblée
générale des Nations unies, à l’unanimité
moins 3 voix (Israël, Etats-Unis et Micronésie) d’une
résolution condamnant la colonisation des territoires occupés.
30 juillet. – A la suite d’un double
attentat-suicide à Jérusalem, faisant 15 morts, les
Israéliens reportent la reprise des négociations bilatérales
et boucle les territoires occupés.
4 septembre. – Attentat dans la rue Ben Yéhouda
à Jérusalem : quatre morts, 200 blessés.
9 septembre. – Albright en tournée
au Proche-Orient dénonce la colonisation des territoires
occupés.
11 septembre. – Madeleine Albright, secrétaire
d’Etat américain, entame une tournée au Proche-Orient
pour tenter de renouer le dialogue.
25 septembre. Le mossad tente d’assassiner
en Jordanie le directeur du bureau politique en exil de Hamas.
1er octobre. – Sous la pression de la Jordanie,
Israël libère le cheikh Mohamed Yassine, chef spirituel
de Hamas.
3 novembre. – Reprise des négociations,
qui de concluent sans résultat.
ANNEXE II
INTERVIEW D’ARNA MER-KHAMIS
Arna Mer Khamis est Israélienne. Elle est
née en 1932 en Galilée. Elle fait partie des Jeunesses
sionistes combattantes jusqu’en 1948. Lors de l’expulsion
des Palestiniens en 1948 elle rejoint le parti communiste, qu’elle
quitte en 1968 au moment du coup de Prague.
Dans le cadre d’une association qu’elle
avait fondée, In Defense of Children Under Occupation, elle
tenta de pallier les déficiences du système éducatif
en créant des maisons pour enfants, en formant des jeunes
femmes à des méthodes éducatives pour encadrer
les enfants. Arna est décédée en 1995
L’Intifada a-t-elle eu des effets pervers
sur la société israélienne ?
Arna. – En introduction, je pense qu’il
est important de rappeler que l’Intifada est le résultat
de vingt années d’occupation israélienne, aussi
il est impossible de parler des conséquences et des effets
de l’Intifada sur la société israélienne
seulement à partir des trois ou quatre années d’Intifada.
L’occupation, depuis 1967, a aggravé le conflit entre
Juifs et Arabes. Ce conflit n’est pas nouveau, il a commencé
en 1948 ; aussi, lorsque nous parlons de ses conséquences
sur la société, nous devons aller en arrière
pour comprendre comment nous sommes parvenus à cette situation,
dont je vais parler plus loin, liée aux événements
de 1948. Le conflit entre les Juifs et les Arabes est un très
grave conflit, avec tout au long de ces années, des rivières
de sang qui ont agrandi la haine.
La relation entre Arabes et Juifs ne commença
pas avec les Palestiniens des territoires occupés. En Israël
même, il y a aussi des Palestiniens. Ainsi, la question des
rapports avec les Arabes n’est pas nouvelle pour la société
israélienne.
Pendant plus de quinze ans, de 1948 à 1966,
les Arabes palestiniens dans les frontières d’Israël
étaient sous domination militaire, la même domination
que subissent les Palestiniens depuis l’occupation de 1967.
La société israélienne se développa
sur des bases de haine, déshumanisant les Arabes dans la
vie pratique pendant quinze ans de domination militaire, de domination
militaire très stricte à l’encontre des Arabes
israéliens en Israël. La société israélienne
ne se battait pas pour l’égalité pour ces gens,
qui sont les mêmes gens qu’en 1967._ Maintenant, l’occupation
de 1967 a vu une nouvelle génération de soldats. Ce
sont les fils de ceux de 1948. C’est une nouvelle génération
qui a été élevée et nourrie avec les
mêmes concepts et la même idéologie_qu’en
1967, qui a été nourrie de l’expérience
de leurs parents dont le comportement lors de l’occupation
de 1967 reflète ce qu’est la société
israélienne.
L’Intifada a seulement exposé tous
les comportements cachés qui n’étaient pas exprimés
de façon aussi concentrée ; maintenant, on voit le
comportement des soldats, qui est représentatif de la société
israélienne. Et pour décrire le comportement des soldats
israéliens, je dois le caractériser non pas à
travers des tests ou des théories mais à travers la
pratique quotidienne d’individus, de groupes de soldats qui
servent dans les territoires occupés. Et quel est ce comportement
? Je dois dire une chose : si de jeunes soldats - et ils sont jeunes,
ils ont 18 ou 20 ans - transforment leur relation avec la partie
la plus faible de la société - les enfants - cette
relation consiste en ceci : les soldats battent et les enfants sont
battus. Cela consiste à battre les enfants de différentes
manières - non pas tirer sur eux : je ne parle pas des gaz,
je ne parle pas des instruments qu’utilise l’armée,
je ne parle pas des arrestations, je parle du comportement de l’individu-soldat
qui exprime par ses mains, son bâton, par ses bottes, des
choses qui n’appartiennent qu’à lui, et qu’il
a la possibilité de ne pas utiliser, et qu’il choisit
d’utiliser, parce que c’est là ce que je définis
comme une personnalité sioniste, ce qui signifie que cela
fait partie de son éducation, c’est une partie constitutive
de l’individu, haïssant, en colère, et qui a la
possibilité d’exprimer sa colère sur la partie
faible de la société, et dans notre cas, ce sont les
enfants palestiniens sous occupation israélienne.
La participation des enfants a commencé dès
le début de l’Intifada, les soldats n’avaient
aucun moyen de répondre, ils n’avaient même pas
des bâtons et quand ils en ont eu, ils les ont utilisés
sauvagement. Il semble que la tactique de l’Intifada résulte
du fait qu’il n’y avait aucune autre perspective pour
les Palestiniens. Ils ont essayé le terrorisme, qui a échoué.
Il semble que les Israéliens étaient très informés
sur ce qui se passait dans les organisations palestiniennes. Ces
jeunes enfants se rendirent progressivement compte que la violence
armée n’avait pas d’issue. Le fait de jeter des
pierres n’était-il pas un acte de désespoir
consécutif à l’absence totale de perspective
?
Arna. – Je vais essayer de répondre.
D’abord je n’accepte pas votre terminologie. Même
les journalistes israéliens l’ont écrit. Si
vous posez la question autrement, peut-être pourrais-je y
répondre, et dans ce cas je ne nierai pas le fait dans ma
réponse. La terreur qui fut utilisée ou subie par
les Palestiniens est la terreur israélienne ; il n’y
a pas de pire terreur que l’occupation, et il n’y a
pas de pire occupation que l’occupation israélienne.
Aussi l’Intifada est une réaction de chaque individu,
enfant, femme, intellectuel, ouvrier qui représente un cri
: partez, nous ne pouvons plus vous supporter,_Israéliens,
au niveau humain le plus élémentaire. Par conséquent,
la réaction - pierres, morceaux de fer, quoi que ce soit
- est la réponse à la violence des soldats israéliens
depuis 1967 et à la politique violente depuis 1948. Je ne
sais pas si, au lieu de pierres, la terre de Palestine était
pleine de pistolets et de fusils, ceux ci ne seraient pas utilisés,
parce qu’on est arrivé à un point où
il est impossible de continuer à supporter la situation.
C’est véritablement une révolte du peuple.
J’ai lu quelque part que la bande de Gaza
était un terrain d’expérimentation de mesures
administratives et répressives contre la population...
Arna. – Si vous voulez faire une liste des
formes d’oppression, vraiment je crois qu’un livre ne
suffirait pas. J’appelle ça une occupation très
sophistiquée utilisant tous les moyens. Vous disiez que la
police secrète connaissait tout ce qui se passait dans l’organisation.
Ils savent beaucoup, je ne peux pas mesurer combien ils savent,
mais ils savent une chose : ils connaissent la culture, la psychologie,
et peut-être d’autres secrets de l’organisation.
Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’Israël
rassemble des informations. Le combat des Israéliens contre
les Palestiniens, je dois le dire encore une fois, ne date pas d’aujourd’hui.
Ils savent beaucoup parce qu’ils ont étudié
cela comme une arme, et ils l’ont utilisé déjà
en 1948, où ils ont réussi avec toute cette information
à transférer la majorité des Palestiniens de
chez eux, non par un massacre total, mais par un massacre partiel
: ici en tuant seulement dix personnes dans un village, ailleurs
en disant à d’autres : vous quittez vos villages pour
seulement trois semaines ; différentes sortes de moyens servent
leurs but. Le but était de transférer les Palestiniens
et ils ont réussi. Aussi leur expérience, bien sûr,
est utilisée tout le temps et elle est utilisée maintenant.
Et quels moyens utilisent-ils maintenant ? Je ne parle pas des taxes
et impôts, je parlerai d’autres méthodes qui
ont été récemment exposées dans les
médias. La question des groupes de tueurs dans l’armée
israélienne a été révélée
à la télé israélienne et dans les journaux,
et c’était un gros scandale. Il s’agit de groupes
de tueurs qui ont un entraînement spécial, ils se déguisent
selon les circonstances et les besoins. Ce qui est nouveau pour
moi, et je suppose que c’est nouveau pour les Palestiniens,
ce sont ces groupes spéciaux entraînés pour
cela. Depuis trois ans ils se couvrent le visage, attendant en groupe,
et tuent et provoquent. Ils utilisent des vêtements complètement
théâtraux, ils arrivent en voiture, ils utilisent les
voitures des Palestiniens -- quiconque a une voiture peut être
menacé de se la faire confisquer, que les gens soient dedans
ou non, ils la prennent. Cela commença au début de
l’Intifada, alors ils ont pris, deux, trois voitures, et le
conducteur en informa immédiatement le village ou les autres
villages, de différentes manières. L’une des
manières était de taper sur les poteaux électriques.
La voiture arriva dans le camp de réfugiés de Jenin.
Dans la voiture deux personnes devant, l’une avec la barbe,
portant une jellabah, derrière deux femmes, avec un bébé,
rouge à lèvres, les cheveux couverts ; ils atteignent
un point où se trouvaient six garçons, l’un
d’eux recherché, connu par les services secrets, la
Shabak, et il est attrapé, il sera tué. Najib. Le
garçon recherché s’appelle Najib. Quand cet
homme barbu à côté du conducteur descend de
la voiture, Najib le reconnut et il se mit à crier Erreur
! Source du renvoi introuvable. Cet homme était connu comme
membre de la Shabak, il était appelé Erreur ! Source
du renvoi introuvable.. Il ôta sa fausse barbe et se mit à
courir après Najib. Aussitôt arriva l’armée,
par l’autre côté, ils ont fermé la rue,
et ce tueur, Nir, arriva et le tua. Il aurait pu l’attraper,
ce n’était pas un problème. C’est là
l’une des méthodes.
Il y a aussi la question des taxes. Ils prennent
des enfants, les arrêtèrent, pour un jour, même.
Ils vont chercher la famille et s’ils ne peuvent pas payer
il ne sort pas. Toutes sortes de taxes. Si vous devez payer des
taxes sur les taxis, ils appellent cela les taxes de pierres, taxe
d’Intifada, toutes sortes de noms. Personne ne sait ce qu’on
exige de lui qu’il paie. Taxes de guerre du Golfe. Amendes
pour siffler et crier sur les toits des maisons. Taxes quand ils
viennent dans les magasins du centre du village. Comment collecte-t-on
les taxes dans les territoires occupés ? La police secrète,
l’armée des frontières, et des soldats. Vingt
personnes avec des armes viennent demander au propriétaire
du magasin de payer les taxes. On connaît le résultat.
Quand ils arrivent, il ferme la boutique et s’en va. S’il
ne le fait pas il risque de se faire briser ses biens, de faire
fermer son magasin, parce que si vous imaginez vingt soldats venant
collecter les taxes, la question n’est pas celle des taxes...
C’est un cercle vicieux de pressions, auquel je peux donner
un nom, celui de ghetto. Ghetto.
Quelles ont été les conséquences
de la fermeture des écoles ?
Arna. – Quand on parle de fermeture des écoles,
en entend par là une mesure technique. Les écoles
sont fermées. Aussi, après une année, une année
et demie de fermeture, on rouvre les écoles. Et alors ? Une
année sans école. Mais en réalité, si
vous considérez combien de jours ces écoles ont été
ouvertes ou combien de jours on a pu enseigner dans ces écoles
de manière tranquille, vous parvenez rapidement à
cette conclusion : dans une année, qui est la quatrième
année d’Intifada, qui est la meilleure année,
dans l’ensemble il y a eu trois mois d’enseignement.
Pour cent soixante dix-huit jours, il y a des endroits où
on a enseigné 50 p. cent d’autres 55, d’autres
48 p. cent. Par exemple, dans le camp de réfugiés
de Jenin, les écoles secondaires, ou l’école
de garçons, appelée Salaam, ou Haifa, ils n’ont
pas atteint trois mois d’enseignement. Aussi, si vous considérez
le tout, une année et demie de fermeture totale, et trois
autres années, combien avez vous de mois d’enseignement
? En étant large, je dirais une année. La revendication
était que les soldats laissent les écoles tranquilles.
Si les soldats ne se trouvaient pas près des grilles il n’y
aurait aucun problème avec les enfants. Mais le problème
n’est pas que les enfants jettent des pierres et qu’il
y a des affrontements. Quand les soldats arrivent le matin et que
les enfants vont à l’école, quand ils voient
les soldats, les voitures qui s’arrêtent, ils sont en
fureur, et ils s’enfuient. Bien sûr, il y en a qui jettent
des pierres, mais l’expérience de quatre années
de vie avec les soldats israéliens a rendu les enfants effrayés,
ils sont effrayés, ils s’enfuit, ce n’est pas
une blague, un jeu, parce que quand la voiture arrive près
de l’école, les soldats en prennent un au hasard, ils
fouillent son sac, ils le collent au mur, ou ils le provoquent avec
des propos sexuels très violents, et quand ils réussissent
à provoquer, et ils en ont l’opportunité, ils
entrent dans l’école, et c’est arrivé
plus d’une fois, ils tirent des gaz lacrymogènes, et
ce n’est pas seulement cela, ces gaz deviennent chaque fois
pires, ils entrent même dans les classes, qui peut les en
empêcher ? Alors, si vous demandez cela à n’importe
qui, on vous dira que la fermeture des écoles fait partie
d’une politique délibérée, qui utilise
tous les moyens.
Pour la première fois il y a eu une campagne
internationale contre la fermeture des écoles. Parce que
l’opinion publique, particulièrement l’opinion
européenne, est importante. Le premiers ennemi des autorités
israéliennes, ce sont les Palestiniens. Le second, c’est
l’opinion publique internationale. Il est très important
de ne pas parler de politique générale, mais de montrer
les faits, la vraie image, qui est si claire, de montrer la vie
quotidienne, dont les écoles font partie.
D’après le rapport d’une commission
appelée Justice et paix, en 1987-88 les écoliers ont
raté 43 % cent de l’année scolaire, et pratiquement
la totalité de l’année 88-89. Le risque est
que les jeunes enfants ne pussent pas apprendre à lire, ce
qui concerne 120 000 enfants entre 6 et 10 ans, et c’est précisément
l’âge où on acquiert certains réflexes
et savoirs qui sont fondamentaux pour apprendre à lire. Dans
vingt ans il risque d’y avoir une génération
entière d’enfants qui seront handicapés.
Arna. – Nous avons été les premiers
à regretter que ces conclusions ont mis tant de temps à
être publiées. Ce n’est pas après vingt
ans qu’une génération sera illettré,
c’est maintenant. Quatre ans, c’est le tiers de la vie
consciente d’un jeune adulte. C’est maintenant que la
génération est illettrée. Je vous donnerai
un exemple. A six ans, quand l’enfant est entré dans
sa première année d’école, celle ci était
fermée. A sept ans il commence sa seconde année d’école,
mais celle-ci est fermée la moitié de l’année.
A huit ans, il entre dans sa troisième année d’école,
et il n’a pas fait même l’expérience de
l’utilisation d’un crayon. Et nous, les thérapeutes,
les enseignants, nous savons ce que signifient les années
préparatoires pour un enfant. Nous devons nous souvenir qu’il
n’y a pas même un système de jardins d’enfants.
Il y a des jardins d’enfants, mais ce n’est pas systématique,
il y en a partiellement dans les camps de l’UNRA, pas pour
tous les enfants, il y a des jardins d’enfants privés,
mais ce n’est pas obligatoire, alors où sont les discours
sur le fait que l’occupation a amené le progrès
et la démocratie aux Palestiniens ? Quand notre enfant est
en troisième année, il n’a pas exercé
les muscles de ses doigts, il a été à l’école
pendant trois mois ; et je n’exagère pas, il a déjà
neuf ans et il est en quatrième année.
Nous avons été très impliqués
avec tous les parents, avec les enseignants, avec toute la population
palestinienne - et je le suis en tant qu’enseignante d’éducation
spécialisée et en tant que thérapeute. Leurs
enfants sont illettrés, mais la différence est que
nous avons immédiatement pensé que s’il est
impossible de remplacer l’école, on peut minimiser
les dégâts qui ont été faits, ne serait-ce
que pour un enfant, on doit le faire. C’est cette idée
qui nous a amenés à traduire en pratique toutes ces
statistiques que vous avez mentionnées. Et quand les écoles
ont été fermés, la réaction naturelle
des Palestiniens a été de créer une alternative
qu’on appelle enseignement populaire. Bien sûr, c’était
organisé spontanément par des volontaires dans les
foyers, les mosquées, les clubs, en utilisant toutes les
possibilités, mais la réaction des autorités
militaires a été de menacer de faire sauter les maisons
à l’explosif, de menacer les filles qui enseignaient,
de menacer des les arrêter. Ce n’est pas une loi qui
interdit d’enseigner en dehors de l’école : vous
devez comprendre que dans les territoires occupés il n’y
a pas de loi, n’importe quelle loi peut exister, il n’y
a qu’une loi, celle du gouvernement militaire, il n’y
a pas de loi, il y a des ordres, ce qui signifie que si vous faites
cela, vous serez expulsé de l’école. Si un enseignant
de l’école gouvernementale, dont la situation est un
peu différente de celle de l’UNRA dans les écoles
des camps de réfugiés, chaque enseignant, s’il
est arrêté, même pour 24 heures, ce qui arrive
tous les jours, il est automatiquement licencié, et il perd
tous ses droits, pas seulement son travail, mais ses droits à
la retraite ; ils neutralisent tous les enseignants, les empêchant
de participer à l’enseignement populaire. Il y a d’une
part la menace de l’armée, de l’autre la construction
d’un système alternatif d’enseignement, mais
pour cela on a besoin d’enseignants, aussi ils savaient très
bien ce qu’ils faisaient, et de fait tout le système
s’est effondré, il s’est crée un vide,
les enfants sont dans la rue.
Comment la population palestinienne s’organise-t-elle
sous l’occupation ?
Arna. – Il y a dans les villes des centaines
de milliers de travailleurs qui vivent du salaire d’un ouvrier,
aussi leur situation est presque la même que celle de ceux
qui vivent dans les camps de réfugiés. Qu’est-ce
que cela signifie ? Ce n’est pas un pas un paysan, il n’a
pas de terre, c’est un ouvrier qui travaille principalement
en Israël, aussi la question n’est pas seulement celle
des camps de réfugiés, c’est celle de tous les
travailleurs dans les territoires occupés qui vivent du salaire
quotidien de ceux qui travaillent en Israël, et que maintenant
on empêche d’aller travailler. Seuls quelques-uns le
peuvent.
Certains employeurs ne trouvent pas de spécialistes
dans le bâtiment, dans certaines professions, aussi on leur
donne une permission spéciale des autorités militaires
pour quelques individus. Si, avant la guerre du Golfe il y en avait
plusieurs centaines de milliers, aujourd’hui il s’agit
seulement de quelques milliers, deux ou trois mille.
La question est celle d’une grande population
sans revenu. Vous avez fait allusion aux jardins potagers près
des maisons ou d’autres sortes de projets. Ce n’est
pas une réponse, cela ne permet pas de résoudre la
profonde crise économique qui se traduit tous les jours,
à chaque moment, dans chaque maison. Aussi je ne veux pas
faire un tableau idéal et pastoral, et dire que dans chaque
maison, dans les camps de réfugiés il y a un jardin
et trois poules qui pondent des œufs. La question est qu’il
y a une grave situation économique dans les territoires occupés.
L’autre question la plus importante est celle des enfants.
Nous avons un proverbe en hébreu, je suppose qu’il
y a le même dans les autres langues, Erreur ! Source du renvoi
introuvable.. La question est : qu’est-ce qu’on peut
faire ? Est-il possible de bâtir un système parallèle
d’éducation ? Les autorités israéliennes
ne le permettront jamais. Ensuite ce n’est pas possible. Si
on veut avoir une image réelle de la situation sociale, psycho-politique,
on doit penser en termes de ghetto. Dans ce ghetto, que peuvent
faire les gens qui y habitent ? Il y a des initiatives, qui visent
à aider l’enfant à continuer à être
un enfant normal, mais on ne peut construire un système qui
permette à tous ces centaines de milliers d’enfants
d’assister à l’école à domicile.
Cependant, on peut faire des choses. Avec trois années d’expérience
dans une région, dans le camp de réfugiés de
Jenin, dans des villages et dans des quartiers de la ville, on a
pu donner aux enfants, à la maison, ou dans les rues, ou
chez des amis, en groupe, de différentes manières
l’expérience de l’action collective positive
par la créativité, en donnant à l’enfant
les moyens de canaliser son agressivité, en lui donnant plus
d’instruments pour diminuer le fossé entre son esprit
et la vie qu’il mène.
On le voit, dans les dessins des enfants, les histoires
qu’ils racontent ce sont les histoires de leurs vies, mais
ils n’ont pas les moyens, ils ne savent pas comment s’exprimer.
Lorsqu’ils dessinent un enfant ou un soldat, c’est du
niveau d’un enfant de quatre ans. L’enfant qui dessine
n’a pas même l’expérience graphique, il
n’a pas l’expérience des couleurs. On essaie
d’atteindre le maximum d’enfants avec de très
faibles moyens. Après trois ans d’expérience
nous sommes parvenus à la conclusion que le meilleur moyen
est de créer dans chaque quartier un foyer, un centre pour
les enfants qui concernerait un nombre maximum d’enfants,
qui aurait une approche individuelle et qui aiderait la famille
à développer les moyens d’enseigner à
l’enfant.
Ainsi, nous avons récemment expérimenté
dans un des quartiers de Jenin une bibliothèque pour les
enfants, une bibliothèque de jeux, accessible à l’enfant
sur place, comme un atelier, et il l’emporte chez lui et le
ramène pour en prendre un autre. Pas à pas.
Et des soins individuels pour des cas spéciaux.
De même, le centre sert ceux qui sont volontaires, les guides
d’enseignement, qui ne sont pas des enseignants, à
développer la façon d’approcher l’enfant.
Je ne prétends pas en faire des enseignants, je ne prétends
pas en faire des psychologues, c’est du travail de terrain
dont il se trouve que c’est mon métier, et dont j’ai
l’expérience depuis des années. J’ai la
chance que toute mon expérience, je peux la transmettre,
et je peux appliquer tous mes concepts et toutes mes positions politiques
en soutenant une partie des enfants palestiniens.
Les expositions de dessins d’enfants révèlent
le fossé entre le sujet et les dessins, c’est choquant,
et quand vous voyez comment les enfants utilisent les couleurs,
les crayons de couleurs... Ils n’utilisent que trois couleurs,
nous l’avons observé depuis des années : noir
rouge et vert, les couleurs du drapeau. Les dessins, quels qu’ils
soient, sont tous en trois couleurs. Nous avons essayé de
les habituer à toutes les couleurs, on a utilisé avec
eux la peinture à l’eau.
Bien sûr, ce sont des enfants normaux, ils
ne sont pas du tout anormaux, ils sont extrêmement normaux.
Bien sûr, on voit tout de suite l’aspect émotionnel
[dans leurs productions graphiques]. Ce ne sont pas des dessins,
il y a toutes sortes de couleurs, toute une excitation. Ce moyen
d’expression, qu’on peut utiliser avec beaucoup d’enfants
en même temps, est bon marché et peut être utilisé
profitablement avec de nombreux enfants.
L’apprentissage est individuel, ils ont des
cahiers à eux avec leurs dessins. Ils font ainsi l’apprentissage
de la créativité. Chaque enfant a un sac en plastique,
avec ses crayons, ses affaires, cela devient pour lui un objet de
fierté, comme les petits enfants lorsqu’ils vont à
l’école pour la première fois. L’enfant
a dix ans, mais il réagit comme un enfant de cinq. Il y a
des dépressions, pas profondes, je ne parle pas de dépressions
pathologiques ; ils les surmontent par une activité collective
limitée. C’est incroyable, ces groupes à la
maison qui ne répondent pas aux besoins d’une école,
mais qui répondent aux situations problématiques,
la dépression, l’agressivité, je peux citer
le cas d’un frère et d’une sœur, le frère
était très agressif, à tel point qu’un
jour il a pris un couteau... Il avait à l’époque
sept ans, sa sœur a un an de plus. Elle était tout le
temps fermée sur elle même, effrayée, je ne
dis pas que c’était dû entièrement à
l’Intifada, mais l’Intifada aggrave les faiblesses de
chacun. Quand on a commencé à travailler avec ce groupe,
cela se passait chez l’un d’eux avec, il y avait trois
autres enfants. Au bout de six mois, l’enseignant a déclaré
qu’il n’y avait plus aucun signe d’agressivité.
Il est possible de faire beaucoup de choses avec
peu de moyens. L’armée, jusqu’à présent
n’a pas touché à ce système, je ne sais
pas pourquoi, je suppose que c’est parce que c’est un
groupe d’Israéliens qui l’anime. Maintenant,
nous ouvrons une autre maison, et on rassemble de l’argent
pour démarrer une troisième. C’est très
modeste, sans grand moyen, mais c’est le seul endroit où
un enfant peut venir pour avoir un livre.
Y a-t-il eu des études sur les effets de
l’atmosphère de violence sur les enfants ?
Arna. – Je ne connais pas de recherches qui
aient été faites, mais je connais bien les enfants
de quatorze ou quinze ans. Beaucoup d’enfants de cet âge
ont quitté l’école par manque de motivation.
Même si l’école est ouverte aujourd’hui,
ils n’y vont pas. Beaucoup d’enfants de cet âge
sont arrêtés, à quinze ans c’est fréquent,
alors ils perdent un ou deux ans, ils sont arrêtés
8, 9 mois, un an, je ne connais pas les statistiques, je parle de
mon expérience sur le terrain, je connais les enfants, je
connais leurs noms ; quand ils sortent, après un an, ils
arrivent en huitième ou en neuvième année d’école,
puis ils deviennent des militants.
Le gosse est recherché, à quatorze
ans il est recherché, même s’il ne l’est
pas effectivement, mais il veut être recherché. Et
je ne parle pas de ceux qui ont seize ou dix-sept ans. A 17 ans,
on passe les examens. S’ils n’ont pas l’examen...
il faut comprendre, pour les Palestiniens la question des études
- je ne parle pas du savoir ou de l’éducation, je parle
de l’instruction et des examens, c’est dans la culture
des Palestiniens. Leur survie dans les pays arabes dépend
de leur profession, aussi c’est une partie de leur culture,
finir le lycée pour avoir l’examen. Quand on parle
d’examens, c’est très important, et ils le savent,
bien sûr. Aussi, quand c’est la période des examens
du baccalauréat, des dizaines de lycéens sont arrêtés
pour une journée, le temps de l’examen.
Il est impossible d’enseigner dans de bonnes
conditions. Il n’y a pas de laboratoires, et pourtant il y
a de la chimie au programme, des maths, de la physique. Le combat
pour terminer la dernière année de scolarité
est vraiment un but important. Cela ouvre la vie future. Mais aujourd’hui,
cela n’ouvre pas la vie future parce que les universités
ne fonctionnent toujours pas. Il y a des universités clandestines
bien sûr. Dans le camp de réfugiés de Jenin,
avant l’Intifada, 90 p. cent des enfants, garçons et
filles, finissaient l’école secondaire. C’est
un taux très élevé. 40 p. cent des élèves
des deux sexes continuaient de différentes manières
l’enseignement supérieur.
Aujourd’hui beaucoup d’enfants ne vont
même pas à l’école, ils ont peur d’aller
à l’école. Vous savez, à Jenin, les écoles
ne sont pas dans le quartier, elles sont à l’extérieur
de la ville. Pour aller à l’école il faut passer
par le centre de la ville avec le marché, les boutiques,
les soldats sur les toits des maisons, les enfants ont peur d’être
battus, les autorités israéliennes ont réussi
à bloquer la fréquentation scolaire.
ANNEXE III
RAPPEL DES PRINCIPALES RÉSOLUTIONS DE L’ONU
La conférence de Madrid d’octobre 1991
n’avait de sens pour les différentes parties arabes
concernées que si la légitimité des résolutions
242 (novembre 1967) et 338 (octobre 1973) du Conseil de sécurité
des Nations unies était reconnue, c’est-à-dire
« l’inadmissibilité de territoires acquis par
la guerre », ce qui entraînait le principe de l’échange
des territoires conquis contre la paix. Netanyahou récuse
l’idée que la conférence de Madrid impliquait
ce principe. En fait, le seul texte qui faisait référence
à ce principe était une « lettre d’assurance
» signée George Bush, mais qui a été
par la suite désavouée par l’administration
US. Netanyahou affirme quant à lui qu’Israël a
sa propre interprétation des résolutions concernées.
Israël occupe 94 % des territoires revendiqués par les
Palestiniens et qui leur sont dus, si les accords internationaux
étaient appliqués.
Netanyahou propose aujourd’hui aux Palestiniens
l’autonomie non pas comme une étape transitoire, comme
le prévoient les accords d’Oslo, mais comme une fin
en soi. Il se prononce « pour une autonomie palestinienne
amputée de certaines prérogatives qui pourraient mettre
en danger » Israël. Sur la question de l’Etat palestinien,
le Premier ministre estime qu’il faut faire preuve d’imagination
et chercher « une troisième voie » : «
dans des dizaines de pays, il existe des minorités qui exigent
leur indépendance et, si l’on cède, on brise
la stabilité du pays », dit-il. « C’est
pourquoi nous avons besoin d’un nouveau modèle qui
accorderait [aux Palestiniens] une autonomie de gestion dans certains
domaines et pas dans d’autres. » (Le Monde, 19-20 janvier
1997.)
Il n’a jamais été autant question
des résolutions de l’ONU que depuis la guerre du Golfe.
Les médias occidentaux ont largement répercuté
les exigences de respect de ces résolutions faites par les
Etats-Unis et les pays européens face à l’Irak.
L’opinion publique occidentale a peu à peu acquis le
sentiment que s’instaurait un droit international capable
de contraindre les Etats qui ne le respectent pas. Moins nombreux,
sans doute, sont ceux qui ént compris que ce droit international
était eminemment sélectif.
En effet, depuis cinquante ans, des résolutions
sont votées à l’ONU concernant la crise israélo-palestinienne,
qui ne sont jamais respectées :
La résolution 181 de l’Assemblée
générale de l’ONU (29 novembre 1947) décrète
le partage de la Palestine (67 % d’Arabes, 33 % de Juifs)
en un Etat palestinien (44 % du territoire) et un Etat israélien
(56 % du territoire).
La résolution 194 (III) (11 décembre
1948) de l’Assemblée générale de l’ONU
exige le retour des réfugiés palestiniens dans leurs
foyers s’ils le désirent, et leur accorde le droit
à des compensations pour ceux qui décident de ne pas
revenir.
« L’Assemblée générale,
« Ayant examiné de nouveau la situation
en Palestine, [...]
« 11. – décide qu’il y
a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent
de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre
en paix avec leurs voisins, et que des indemnités doivent
être payées à titre de compensation pour les
biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs foyers
et pour tout bien perdu ou endommagé lorsque, en vertu des
principes du droit international ou en équité, cette
perte ou ce dommage doit être réparé par les
gouvernements ou autorités responsables. »
La résolution 273 (III) (11 mai 1949) de
l’Assemblée générale de l’ONU admet
Israël comme membre de l’ONU. Cette admission avait été
rejetée deux fois pour non-application de la résolution
194, puis finalement acceptée après un long débat
: le représentant d’Israël avait fini par accepter
les résolutions 181 et 194 ; autrement dit, la reconnaissance
internationale d’un Etat palestinien a eu lieu en même
temps que la création de l’Etat d’Israël
par la résolution 181, qui a été reconnue en
1949 par Israël comme condition de son admission à l’ONU.
La résolution 242 du Conseil de sécurité
de l’ONU (22 novembre 1967) souligne « l’inadmissibilité
de l’acquisition de territoire par la guerre et la nécessité
d’œuvrer pour une paix juste et durable permettant à
chaque Etat de la région de vivre en sécurité
».
Pour cela l’article 2 de la Charte exige les
plints suivants :
« i) Retrait des forces armées israéliennes
des territoires occupés lors du récent conflit ;
« ii) Cessation de toutes assertions de belligérence
ou de tous états de belligérence et respect et reconnaissance
de la souveraineté, de l’intégrité territoriale
et de l’indépendance politique de chaque Etat de la
région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur
de frontières sûres et reconnues à l’abri
de menances ou d’actes de force ».
Le même article affirme en outre la nécessité
:
« a) De garantir la liberté de navigation
sur les voies d’eau internationales de la région ;
« b) De réaliser un juste règlement
du problème des réfugiés ;
« c) De garantir l’inviolabilité
territoriale et l’indépendance politique de chaque
Etat de la région, par des mesures comprenant la création
de zones démilitarisées ; ... »
La résolution 338 du Conseil de sécurité
appelle au cessez-le-feu et à l’application de la résolution
242 dans toutes ses parties.
« Le Conseil de sécurité
« 1. Demande à toutes les parties aux
présents combats de cesser le feu et de mettre fin à
toute activité militaire immédiatement, douze heures
au plus tard après le moment de l’adoption de la présente
décision, dans les positions qu’elles occupent maintenant
;
« 2. Demande aux parties en cause de commencer
immédiatement après le cessez-le-feu l’application
de la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité,
en date du 22 novembre 1967, dans toutes ses parties ;
« 3. Décide que, immédiatement
en même temps que le cessez-le-feu, des négociation
commenceront entre les parties en cause sous des auspices appropriés
en vue d’instaurer une paix juste et durable au Moyen-Orient.
»
I. – QUAND L’INTEGRISME ISLAMIQUE PREND
LE RELAIS DU COMMUNISME_ 7
D’OU VIENT LE DANGER INTEGRISTE ?_ 9
L’ÉCHEC DES MODELES OCCIDENTAUX_ 9
UTILISER LE RELIGIEUX A DES FINS POLITIQUES_ 11
QUAND ISRAËL FAVORISE LE HAMAS_ 13
LE MOUVEMENT ISLAMISTE SE RETOURNE CONTRE CEUX QUI
EN ONT ASSURÉ LA PROMOTION_ 14
. 15
II. – ISRAEL : LES DOSSIERS DONT ON PARLE
PEU_ 15
A. – LA QUESTION DEMOGRAPHIQUE_ 15
Israël : un projet pour les ashkénazes
15
Perspectives démographiques 17
Conflits ethniques ou conflits de classe ?_ 17
Bilan_ 18
Le mythe de l’échange des populations
20
Les nouveaux immigrés en Israël 21
B. – LA TERRE_ 22
L’achat des terres 22
La politique de la terre_ 23
Le droit comme instrument de conquête_ 24
Colonisation de la Cisjordanie_ 25
A propos des kibboutzim_ 26
Plusieurs types de colonisation_ 27
C. – L’EAU_ 28
Un gaspillage institutionnalisé_ 28
L’eau, un problème stratégique_
29
Une arme contre les Palestiniens 29
D. – UNE DEMOCRATIE MODERNE A SUBSTRAT BIBLIQUE_
30
. 32
III. – AUTONOMIE ET AUTORITÉ_ 32
DRÔLE D’AUTONOMIE_ 32
Les « lettres de garantie » américaines
33
Clivages entre l’exil et l’intérieur
?_ 34
Un accord de dupes 37
Perspectives 38
DES ÉLECTIONS PALESTINIENNES AUX ORDRES_
39
L’AUTORITÉ PALESTINIENNE TRÈS...
AUTORITAIRE... 40
. 42
IV. – LA POLITIQUE ISRAÉLIENNE_ 42
« LE MUR D’ACIER »_ 42
« STRATEGIE POUR ISRAEL »_ 43
LE CRIME CAPITAL DE RABIN_ 46
L’OPERATION « RAISINS DE LA COLERE »_
49
L’armée syrienne_ 50
Le Hezbollah_ 50
. 51
V. – LES ELECTIONS EN ISRAEL ET LA POLITIQUE
DE NETANYAHOU_ 51
LA « DOCTRINE NETANYAHOU »_ 52
ISRAËL : UN ENJEU INTERNATIONAL_ 54
LA QUESTION DE JÉRUSALEM_ 55
HEBRON_ 60
. 63
VI. – LA PALESTINE_ 63
1947 : L’EXODE DES PALESTINIENS_ 63
LA CHARTE DE L’OLP : UN REPOUSSOIR TRES UTILE_
66
UNE ECONOMIE DOMINÉE_ 68
NATIONALISME ET QUESTION SOCIALE_ 70
CAPITULATIONS SANS CONTREPARTIES_ 73
. 74
PERSPECTIVES_ 74
ANNEXE I 77
PRINCIPALES DATES_ 77
ANNEXE II 80
INTERVIEW D’ARNA MER-KHAMIS_ 80
ANNEXE III 85
RAPPEL DES PRINCIPALES RÉSOLUTIONS DE L’ONU_
85
Notes
[1] Les libertaires britanniques, pour des raisons
évidentes, puisque la Grande-Bretagne était la puissance
mandataire de la Palestine, se sont intéressés de
près à la question : cf. British Imperialism &
The Palestine Crisis, selections from the Anarchist Journal Freedom,
1938-1948, Freedom Press, 1989. 84b Whitechapel High Street, London
E1 7QX.
[2] British Imperialism & The Palestine Crisis,
selections from the Anarchist Journal Freedom, 1938-1948, op. cit.,
p. 25.
[3] Œuvres, Champ libre, tome II, p. 83.
[4] Œuvres, Champ libre, tome II, p. 84.
[5] « L’Etat, complètement dans
sa genèse, essentiellement et presque complètement
pendant les premières étapes de son existence, est
une institution sociale imposée par un groupe victorieux
d’hommes sur un groupe vaincu, avec pour seul objectif d’assurer
la domination du groupe victorieux sur les vaincus et de se garantir
contre la révolte de l’intérieur et les attaques
de l’extérieur. Téléologiquement, cette
domination n’avait pas d’autre objet que l’exploitation
économique des vaincus par les vainqueurs. » Cette
citation n’est pas de Bakounine mais de Franz Oppenheimer,
un sociologue allemand (1864-1943). F. Oppenheimer, The State (1914),
Black Rose Books, Montréal, rééedité
en 1975.
[6] Œuvres, Champ libre, tome II, p. 146.
[7] Bakounine, « La science et la question
vitale de la révolution » Œuvres, tome VI, p.
274. Cf. également Machiavel : « Il est vrai qu’il
n’y a jamais eu, chez aucun peuple, de législateur
extraordinaire qui n’ait recouru à Dieu, car autrement
ses lois n’auraient pas été acceptées.
» (Discours sur Tite-Live, I, p. 11.)
[8] Bakounine, « La science et la question
vitale de la révolution » Œuvres, tome VI, p.
274. Cf. également Machiavel : « Il est vrai qu’il
n’y a jamais eu, chez aucun peuple, de législateur
extraordinaire qui n’ait recouru à Dieu, car autrement
ses lois n’auraient pas été acceptées
; le bien, en effet, est souvent connu du sage, sans avoir en soi
des raisons évidentes pour convaincre les autres.»
(Discours sur Tite-Live, I, p. 11.)
[9] Œuvres, Champ libre, tome VI, p. 285.
[10] A vrai dire, les Juifs d’Israël
pourraient peut-être trouver un arrangement avec les éventuels
descendants des Cananéens, car ils leur seraient apparentés
par alliance : la Bible dit en effet que « les fils de Dieu
» (c’est-à-dire, symboliquement, les Hébreux)
ont épousé les « filles de l’homme »
(c’est-à-dire les Cananéennes)...
[11] Les réflexions de Bakounine anticipent
sur bien des points celles des marxistes autrichiens confrontés
trente ans plus tard au problème des nationalités.
Otto Bauer écrira ainsi dans une lettre à Pannekoek
: « L’ennemi qui doit être combattu à l’heure
actuelle, ce n’est pas la négation abusive mais l’affirmation
abusive du fait national... » (Bauer, lettre du 26 avril 1912,
archives Pannekoek, map 5/14, am.IIHS.)
[12] Bakounine, Etatisme et anarchie, éditions
Champ libre, T IV, p. 238.
[13] Michel Warschawski, « Etat, nation et
nationalisme. – Actualité du sionisme », L’Homme
et la Société n° 114, 1994, p. 28.
[14] British Imperialism... op. cit. p. 25.
[15] La main de fer en Palestine,Histoire et actualité
de la lutte dans les teritoires occupés, Christiane Passevant
et Larry Portis, Brochure anarchiste.
[16] Passevant/Portis, op. cit.
[17] Les traductions mensuelles de la presse israélienne
peuvent être obtenues à : Middle East Data Centre;
P.O. Box 337, Woodbridge, VA 22194-0227, USA. Les « Shahak
Reports » étaient publiés sur Internet Activists
Mailing List <ACTIV-L@MIZZOU1.BITNET>.
[18] Pendant l’été 1993 à
Oslo eurent lieu des négociations secrètes entre Israël
et l’OLP, qui ont abouti le 13 septembre à une déclaration
de principe sur l’autonomie palestinienne. Cet accord a été
suivi de deux autres, destinés à le mettre en œuvre
: l’accord du Caire, appelé Oslo I (4 mai 1994), sur
les modalités d’application de la Déclaration
de principes et qui marquait le début de la période
d’autonomie et l’instauration d’une autorité
palestinienne à Gaza et Jéricho ; et celui de Taba,
dit Oslo II (28 septembre 1994), qui marque l’extension de
l’autonomie et devait aboutir à l’évacuation
des grandes villes palestiniennes (sauf Hébron) par les troupes
israéliennes.
[19] Chomsky, « Après la guerre froide,
la guerre réelle », in : Le pétrole et la guerre,
éditions EPO.
[20] Michel Warschawski, op. cit.
[21] Le nationalisme dans le tiers monde et le communisme
se confondent souvent. Cela tient au fait que le « communisme
» lui-même (celui revendiqué par l’Union
soviétique), n’est qu’une forme de nationalisme
déguisé (à peine). Tous les mouvements communistes
du tiers monde qui ont pris le pouvoir, notamment en Chine et au
Viet-Nam, n’étaient en fait que des mouvements de libération
nationale, des mouvemennts nationalistes. L’impact du «
communisme » sur le tiers monde ne s’expliquait que
parce qu’il offrait des perspectives de libération
nationale. Le discours internationaliste de ces organisations n’était
qu’un fatras servant à voiler un programme et des objectifs
strictement nationalistes.
[22] Cf. l’article d’un député
israélien, Uri Avneri, « In Israel, Riskless Talk about
Jordan », International Herald Tribune, 7 septembre 1990.
[23] Zyad Abou Amrou, Le mouvement islamique en
Cisjordanie et à Gaza, Beyrouth 1989.
[24] « L’islam est une religion céleste,
qui existe par elle-même, autonome : la Chari’a est
parfaite et ne manque de rien pour que les lois des athées
la complètent. Celui qui prétend que l’islam
souffre d’un manque, qu’il est incapable de résoudre
des problèmes de l’époque actuelle..., celui-là
est un menteur et un incrédule, un apostat et un impie...»
Cheikh Abdellatif Ben Ali Al-Soltani, Le mazdakisme est à
l’origine du socialisme, cité dans L’Islam dans
tous ses Etats, éditions Arcantère, Mohammed Harbi,
coordinateur.
[25] Cité par Claudie Lesselier, «
Dieu, famille, patrie, les “intégristes” catholiques
et les femmes », in : Article 31 n° 1, Les Théocrates.
[26] Le mazdakisme est à l’origine
du socialisme. Livre du cheikh Abdellatif ben Ali Al-Soltani, écrit
en 1974 publié au Maroc. Manifeste du mouvement islamiste
en Algérie.)
[27] Cité par Claudie Lesselier, loc. cit.
[28] Cité par Claudie Lesselier, loc. cit.
[29] Cité par Simona Sharoni, « Sexe,
occupation militaire et violence contre les femmes en Israël
», L’Homme et la Société, n° 114.
[30] Manar Hassan, « Femmes et intégrisme
», Inprecor n° 366, février 1993.
[31] Iyad Bergouti, « Les armes et la politique
dans les territoires palestiniens occupés », Centre
Zahra d’études et de recherches, Jérusalem,
1990.)
[32] Abdallah Abou Gaza, Avec le mouvement islamique
dans les pays arabes, Koweït, 1986.
[33] Pour l’anecdote, le mariage civil n’existe
pas en Israël. Le mariage est un monopole religieux. Plutôt
que d’instaurer un mariage civil, le gouvernement vient de
décider de subventionner les couples qui partent à
l’étranger pour se marier civilement, situation qui
intéresse en particulier les couples non croyants et ceux
dont l’un n’est pas juif.
[34] Emile Habibi, un intellectuel palestinien de
nationalité israélienne, déclara à ce
propos que ceux qui refusent le compromis historique de deux Etats
« ont causé tant de malheurs, à commencer par
celui-ci : ils ont fait perdre au peuple palestinien vignt-huit
ans – les années d’occupation et de colonisation
israéliennes – en rejetant la résolution 242
du Conseil de sécurité adoptée après
l’agression de juin 1967 [la guerre des Six-Jours].)
[35] D’après Israel and Palestine Political
Report n° 178/179, décembre 1992.
[36] La résolution 181 de l’Assemblée
générale de l’ONU (29 novembre 1947) décrète
le partage de la Palestine (67 % d’Arabes, 33 % de Juifs)
en un Etat palestinien (44 % du territoire) et un Etat israélien
(56 % du territoire.
[37] Cf. Walter Laqueur, Histoire du sionisme, Calmann-Levy,
1973.
[38] J. Zerubavel « The immigration of Oriental
Jewy » dans Problems of Oriental Jewy, The Jewish Agency of
Palestine, Jerusalem, 1951.
[39] Roger Ascot, Le sionisme trahi ou les Israéliens
du dimanche, Balland.
[40] Michel Warschawski, « Etat, nation et
nationalisme. – Actualité du sionisme », L’Homme
et la Société n° 114, 1994, p. 31.
[41] Liast, I., Etude démographique des juifs
d’Union Soviétique, Haaretz, 18 mars 1983.
[42] Après 1970 le pourcentage des mariages
mixtes était de 78 % en Allemagne, de 61 % en Suisse et de
31 % au Canada (Schmeltz U.O. - Jewish survival. The demographic
factor. American Jewish Yearbook, 1981, pp. 61 -117.)
[43] Roberto Bachi, démographe, en se basant
sur une étude réalisée avec Ouziel Scheltz
et Sergio Della Pergola, Yedioth Hahronoth, 16 août 1993.
[44] Parlant de la politique du pouvoir envers les
juifs orientaux, Arieh Eliav, ancien député et ancien
secrétaire général du Parti travailliste d’Israël,
réconnaît qu’« une de nos erreurs fut la
“nucléarisation” des familles élargies
». Les autorités israéliennes ont écarté
les anciens, dépositaires de la mémoire collective
de leur communauté : « Nous avons transformé
ces vieillards, ces rabbins, ces sages, ces dirigeants naturels
de leur petite communauté en “inférieurs”
et improductifs », « nous leur avons arraché
presque de force un de leurs biens les plus précieux qu’ils
avaient apportés avec eux : la langue arabe » «
Nous avons coupé les Juifs orientaux de leur passé,
de leur origine et de leur prestige » « On arriva très
vite au mythe de l’“analphabétisme”, de
l’“arriération” des Juifs orientaux...
» (A. Eliav, « Les laissés-pour-compte »,
Les Temps Modernes, numéro spécial, Le Second Israël,
pp.18-23, 1979.)
[45] Israel Monthly Bulletin of Statistics, Vol.
39, May 88, pp. 10-13.
[46] « Israel at 40 : Looking Back, Looking
Ahead », Foreign Affairs, 1987/88.
[47] « Palestine-Israël : l’heure
de vérité ? », Silence n° 212-213, janvier
1997.
[48] « Les handicaps des pacifistes israéliens
», Uri Avnery, Manière de voir n° 37.
[49] Il faut savoir que les Palestiniens des territoires
occupés venant travailler en Israël ne bénéficiaient
d’aucun avantage social. Ou plus exactement ils paient des
cotisations sociales qui vont dans les caisses des organismes collecteurs
israéliens mais ne bénéficient d’aucune
prestation.
[50] “Kav La’oved” — Worker’s
Hotline, 78, Allenby St., Tel Aviv, POB 2319 Zip 61022. –
Tel. 03-5102266, Fax 03-5173081.
[51] Philippe Fargues suggère qu’il
y a un inconscient collectif qui pousse les familles palestiniennes
à faire de la résistance par la natalité :
en trois occasions, la fécondité palestinienne, déjà
forte, s’accrut encore lors de situations politiques charnières
: dans les années 30 pendant la gande révolte ; vers
1965 lorsque la résistance s’organise autour de l’OLP
; entre1988 et 1991 avec l’Intifada. « Démographie
de guerre, démographie de paix », Philippe Fargues,
in Proche-Orient, les exigences de la paix, éditions Complexe.
[52] David Ben Gourion déclara en 1938 que
« les frontières des aspirations sionistes incluent
le Liban-Sud, le sud de la Syrie, la Jordanie d’aujourd’hui,
toute la Cisjordanie, et le Sinaï. » Cité par
Israël Shahak, Journal d’études palestiniennes,
printemps 1981.
[53] Les terres musha appartenaient au village mais
étaient exploitées individuellement, une partie des
terres étant attribuée à chaque membre mâle
du village. Les terres étaient redistribuées tous
les deux ou cinq ans en fonction de l’évolution de
la population du village. Il était évidemment impossible
de vendre cette terre appartenant à la collectivité.
La croissance démographique provoquait une parcellisation
constante de la terre qui empêchait la constitution de grands
domaines.
[54] David Ben Gourion, Years of Challenge, Londres
1964.
[55] Eliahu Eliachar, Vivre avec les Palestiniens,
Jérusalem, 1975.
[56] Israël et les territoires occupés,
la confrontation silencieuse, L’Harmattan, Paris.
[57] Cité par Ilan Halévi, La colonisation
israélienne dans les territoires arabes occupés, Les
Arabes dans les territoires occupés par Israël, Colloque
de Bruxelles, Vie ouvrière, Bruxelles 1981, p. 98.
[58] Moshé Dayan déclara aux étudiants
de l’Institut de technologie israélien en 1969 : «
Nous sommes arrivés ici dans un pays peuplé d’Arabes,
et nous construisons ici un Etat hébreu, juif. A la place
des villages arabes, nous avons établi des villages juifs.
Vous ne connaissez même pas le nom de ces villages et je ne
vous le reproche pas, car les livres de géographie correspondants
n’existent plus. Et non seulement les livres, mais les villages
n’existent plus (...) Il n’y a pas une seule implantation
de colons qui n’ait été faite sur les lieux
d’un ex-village arabe. » Moshe Dayan, Ha’aretz,
4 avril 1969.
[59] En 1994 Israël a reçu 3 milliards
de dollars d’aide des Etats-Unis, 1 milliard pour acheter
des avions F 16, 2 milliards de garanties bancaires, environ 1 milliard
des organisations séculières juives, 1 milliard de
fonds des juifs orthodoxes de la diaspora, sans compter les collectes
pour les hôpitaux, pour reboiser, pour les universités,
les musées, etc.
[60] Elie Barnavi, Une histoire moderne d’Israël,,
Champs, Flammarion.
[61] Cf. « Le grand rabbinat contesté
», Le Monde, Dossiers et documents, juillet-août 1993,
p. 9. – Le Monde, « Israël découvre avec
indignation un marché noir de conversions au judaïsme
», Le Monde, 16-17 février 1997.
[62] Nadav Shagraï, du journal Ha’aretz
de Tel-Aviv, mentionne l’article d’Aziël Ariel,
« L’Argoudat Israël [mouvement des ultra-orthodoxes
non sionistes] avait-elle raison ? », paru dans Neqoudah,
revue des colons religieux nationalistes. – Cité par
Courrier international, 5-9 mars 1994.
[63] Ibid.
[64] Ibid. Un livre d’Amnon Kapeliouk montre
à quel point l’assassinat d’Itzhak Rabin s’intègre
dans la politique du fondamentalisme juif et de ce qu’il appelle
la délinquance idéologique : Rabin, un assassinat
politique, religion, nationalisme et violence en Israël, Le
Monde éditions.
[65] Cf. Cemil Cigerim dans Yediot Aharonot, Tel-Aviv,
cité par Courrier international, 7-13 décembre 1995.
[66] Ibid.
[67] Cité par Maxime Ghilan, Israel &
Palestine political Report, p. 15, janvier-février 1996.
[68] Time, 20 janvier 1997, p. 25.
[69] En réalité, de nombreux contacts
informels avaient eu lieu, depuis longtemps. Ces contacts aboutiront
à une situation où, au contraire, Arafat apparaît
comme le seul et incontournable interlocuteur, au détriment
de l’intérieur et des autres composantes de l’organisation.
[70] Un sondage du Jerusalem Post du 31-08-95 révèle
que 47 % des colons vivent dans les territoires occupés pour
des raisons économiques, 36 % pour des raisons religieuses
ou nationalistes, 15 % pour une combinaison de raisons.
[71] La façon dont les médias occidentaux
ont présenté les positions de l’OLP pendant
la guerre du Golfe est – faut-il s’en étonner
– très caricaturale. Le 11 août 1990, au sommet
du Caire, une résolution est votée affirmant l’inadmissibilité
de l’acquisition de territoires par la guerre et exigeant
le retrait inconditionne des troupes irakiennes du Koweït.
Comme cela se pratique couramment dans les instances internationales,
l’OLP, tout en signant la résolution, émet des
réserves concernant un paragraphe contenant une pure condamnation
de l’Irak sans proposition concrète et un paragraphe
légitimant l’appel aux troupes amaricaines. Les médias
diront que l’OLP a voté contre la résolution,
ce qui n’est pas le cas. On remarquera que « l’inadmissibilité
de l’acquisition de territoires par la guerre » est
également évoquée par la résolution
242 de l’ONU qui condamne l’occupation par Israël
de territoires palestiniens...
[72] Les critiques que nous formulons à l’égard
de la politique de Yasser Arafat ne nous font pas oublier qu’il
reste, pour l’ensemble de la population palestinienne, le
symbole de dizaines d’années de lutte. Les catégories
que nous utilisons pour décrire et définir sa politique
ne sont, pour les libertaires, pas différentes de celles
que nous utilisons pour n’importe quel homme d’Etat.
Mais il convient de garder le sens de la mesure. Arafat et sa politique
n’existent que comme image renversée de la politique
de l’Etat d’Israël. Arna Meir-Khamis nous déclarait
en 1991 : « La terreur qui fut subie par les Palestiniens
est la terreur israélienne ; il n’y a pas de pire terreur
que l’occupation, et il n’y a pas de pire occupation
que l’occupation israélienne. » Les orientations
présentes de la politique d’Arafat peuvent aussi être
analysées à travers une autre grille de lecture :
la direction de l’OLP est trop vieille pour recommencer la
lutte, elle est trop fatiguée, la plupart les cadres qui
auraient été capables de la remplacer ont été
assassinés, tels Abu Iyyad et Abu Jihad : le vide a été
fait autour d’un Arafat vieilli, fatigué, et qui cherche
désespérément à poser le pied sur un
bout de terre palestinienne indépendante, si petit soit-il,
avant de faire le grand voyage. On ne peut pas totalement écarter
cette hypothèse.
[73] Stan Cohen, membre du Comité israélo-palestinien
contre la torture, parle de « la version Walt Disney-CNN de
l’histoire montrée sur les écrans de télévision
du monde ». (Challenge n° 22.)
[74] La position d’Israël par rapport
à l’Irak oscille entre l’opposition viscérale
à un ennemi héréditaire et la crainte qu’«
une tentative d’introduire la démocratie en Irak ne
conduise à sa partition entre un Etat kurde dans le nord,
un Etat sunnite au centre et un Etat chiite au sud » (Avner
Tavori, Davar, 4 avril 1991). C’est cette dernière
éventualité qui est redoutée : « Si nous
ne soutenons pas Saddam Hussein, un vaste empire chiite s’étendant
de l’Iran aux territoires occupés deviendra une réalité
» (Avraham Burg, cité par Israel Shahak, «Recent
Israeli Policies toward the Middle East », 21 février
1994, Bitnet list server at Mizzou1, database output 11 octobre
1994.)
[75] Agnès Pavlovsky « Les bonnes œuvres
d’Allah », Croissance n° 409-410 nov.-déc.
1997.
[76] Jean-François Legrain, « Qui décide
en Palestine ? », Croissance, n° 409-410, nov.-déc.
1997.
[77] Cité par Ralph Shoenman, L’histoire
cachée du sionisme, Sélio, 1988.
[78] L’article, publié par la Revue
d’études palestiniennes, a été initialement
publié dans Kivunim [Orientations], n° 14, février
1982.
[79] 4,5 si on excepte le million d’Israéliens
d’origine palestinienne qui ne sauraient cautionner cette
politique.
[80] Chomsky, « Après la guerre froide,
la guerre réelle », in La guerre du pétrole,
éditins EPO.
[81] Israéliens et Palestiniens, l’épreuve
de la paix, Aubier.
[82] Cité par Alain Gresh, « Paix piégée
en Palestine », Manière de voir n° 29.
[83] Ibid.
[84] Nous sommes redevables à Maurice Jacoby
d’une grande quantité d’informations sur l’histoire
et la société israéliennes et palestiniennes.
Sa thèse de doctorat, inédite, Sur la Palestine, terre
nourricière, Israël, base militaire, a été
un mine d’informations. Maurice Jacoby écrivait des
articles publiés dans Témoignage chrétien.
Nous le remercions surtout pour les longues et fraternelles conversations
que nous avons eues ensemble.
[85] Amnon Kapeliouk, « En Israël, l’immigration
a changé de nature », Le Monde diplomatique, novembre
1997.
[86] Shamir était, sous le mandat britannique,
le numéro 2 d’un groupe terroriste d’extrême
droite, le groupe Stern, qui de surcroît, avait pris des contacts
avec l’Allemagne nazie en 1940-1941 pour combattre les Anglais.
Un des chefs de ce groupe, Yalin-Mor, écrit dans le livre
qu’il a consacré à l’histoire de ce mouvement
: « Notre devoir est de combattre l’ennemi – les
Britanniques – et il est permis de chercher l’aide de
l’ennemi de notre ennemi. » Heliezar Halevi, syndicaliste
travailliste connu, révèle dans l’hebdomadaire
Hotam de Tel-Aviv (19 août 1983) l’existence d’un
document signé par Shamir (qui s’appelait à
l’époque Yezernitsky) et par Abraham Stern, remis à
l’ambassade d’Allemagne à Ankara, à un
moment où l’extermination des Juifs ne cesse de s’intensifier
: « En matière de conception, nous nous identifions
à vous. Pourquoi donc ne pas collaborer l’un avec l’autre
? » dit ce document. Haaretz, dans son édition du 31
janvier 1983, révèle que cette lettre fut transmise
par l’ambassadeur d’Allemagne à ses supérieurs,
avec un mémorandum de l’agent des services secrets
nazis à Damas, Verner Otto von Heutig, qui rendait compte
de ses pourparlers avec les émissaires de Stern et de Shamir
: il y est dit que « la coopération entre le mouvement
de libération d’Israël et le nouvel ordre en Europe
sera conforme à l’un des discours du chancelier du
IIIe Reich dans lequel Hitler soulignait la nécessité
d’utiliser toute combinaison et coalition pour isoler et vaincre
l’Angleterre. »
Toutes les informations sur Shamir sont contenues
dans l’article d’Amnon Kapeliouk paru dans Le Monde
diplomatique, décembre 1983. Kapeliouk précise que
ces documents peuvent être consultés au Mémorial
de l’Holocauste (Yad Vachem) à Jérusalem, classés
sous le numéro E234151-8. Les pourparlers avec les nazis
sont confirmés par un des chefs historiques du groupe Stern,
Israël Eldad, dans le quotidien de Tel-Aviv Yediot, 4 février
1983.
Est-il besoin de souligner le courage intellectuel
de ces Israéliens qui dénoncent les errements passés
de leurs dirigeants, en livrant au public des vérités
embarrassantes, malgré le risque de voir ces informations
utilisées par la propagande antisémite.
[87] Ze’ev Schiff et Ehud Ya’ari, Intifada,
Stock, 1991, p. 196.
[88] A la fin de 1993, la population d’Israël
était estimée officiellement à 5,5 millions.
Les Juifs orientaux étaient environ 2,25 millions, les Juifs
ashkénazes, y compris les Juifs séfarades des Balkans,
1,35 million, et les Palestiniens autochtones 1 million. (Statistical
Abstract of Israel, 1989.)
Lors de la constitution de la liste des députés
du Likoud aux élections de 1992, David Levy, ministre des
Affaires étrangères, originaire d’Afrique du
Nord, fut relégué à la 13e place. Les dirigeants
ashkénazes du Likoud se moquèrent de lui : «
On a bien arrangé le “Marocain” ». Selon
le magazine Time du 20 avril 1992, David Levy déclara qu’il
en avait assez d’être surnommé “un singe
qui vient à peine de descendre des arbres” [à
cause de ses origines arabo-orientales]. Depuis, Levy a quitté
le Likoud et a fondé un mini parti qui a rejoint la coalition
de droite, grâce à quoi il s’est fait promettre
7 ou 8 ministères ainsi que 30 millions de dollars cash et
3 millions par mois pendant trois ans, pour son parti...
[89] Yigal Amir, le fondamentaliste qui a assassiné
Rabin, a été autorisé à voter en prison...
[90] Israel & Palestine Poilitical Report n°
197-198, sept.-oct. 1996.
[91] 31 octobre-13 novembre 1991.
[92] Nous employons à dessein le terme «
ethnique » dans la mesure où nombre de juifs ashkénazes
accréditent l’idée, attestée par d’innombrables
déclarations, souvent racistes, d’une différence
fondamentale entre les deux communautés. En 1949 on pouvait
lire dans Haaretz un article signé Ariel Gelblum qui mettait
en garde les dirigeants du pays contre les conséquences d’une
immigration massive des Juifs du Maghreb : « Nous nous trouvons
en présence d’immigrants d’une race qu’Israël
n’a, jusqu’à présent, pas connu : des
primitifs absolus, tout à fait ignares et sans éducation.
Ce qui est plus triste encore est leur incapacité intellectuelle
d’assimilation de toute notion spirituelle. En général
ils peuvent être classés un peu plus haut que le degré
intellectuel général des Arabes, des Noirs et des
Berbères de leurs pays respectifs. Dans tous les cas, ils
sont d’un degré intellectuel inférieur à
celui que nous connaissons chez les Arabes palestiniens ; ils ne
possèdent pas de racines dans le judaïsme, mais à
l’opposé, ils sont tout à fait à la merci
de leurs instincts primitifs et sauvages. Dans leurs domiciles,
ces Africains passent leur temps à jouer aux cartes, se saoulent
et la prostitution y prospère. Beaucoup parmi eux souffrent
de maladies occulaires et vénériennes. Ce sont des
paresseux chroniques, haïssant le travail, des voleurs avec
effraction. Avec ces éléments associaux, rien n’est
sûr. Le département d’absorption des jeunes immigrants,
organisme officiel, refuse de s’occuper d’enfants originaires
du Maroc. Quant aux kibboutzim, ils ne veulent même pas entendre
parler de l’intégration de ces enfants en leur sein.
»
Et le Dr Gelblum de continuer : « Nous sommes-nous
jamais demandés ce qui arriverait à l’Etat si
telle était sa population ? Un de ces jours d’autres
immigrants juifs de pays arabes viendront s’ajouter à
ces immigrants. Quel sera alors le visage et le niveau de l’Etat
d’Israël après l’absorption de ces populations
? Ces masses ignorantes, primitives et misérables vont nous
intégrer en leur sein et ce n’est pas nous qui réussirons
à les intégrer dans le nôtre. » (Haaretz,
22-28 avril 1949, traduction de Moïse Saltiel.)
[93] « Les relations entre le gouvernement
de M. Nétanyahou et l’armée sont marquées
par la suspicion, la méfiance et l’absence de respect
mutuel. La situation est sérieuse » déclare
le 16 octobre le professeur Zeev Maoz, directeur du centre Jaffee,
le plus célèbre institu privé d’études
et de recherches stratégiques. Les médias débattent
ouvertement de la possibilité d’un coup d’Etat
militaire, éventualité tout de même peu envisageable.
(Cf. Le Monde, 18 octobre 1996.)
[94] « Nous avons dû faire face à
un “J’accuse” général » déclara
David Lévi, ministre des Affaires étrangères,
au Monde le 3 février 1997.
[95] N. Chomsky, « Après la guerre
froide, la guerre réelle », in : La guerre du pétrole,
éditions EPO, Bruxelles.
[96] Le Monde, 15 novembre 1997.
[97] Les autorités israéliennes, et
en particulier la droite, voient d’un très mauvais
œil l’immixtion de la France dans les problèmes
du Proche-Orient. Après le massacre de 102 civils à
Cana par des artilleurs israéliens, un « arrangement
de cessez-le-feu » avait été mis en place. Netanyahu,
qui n’était alors que candidat, avait déclaré
que « la présence des Français dans le groupe
de surveillance de ce mauvais arrangement ne peut qu’amener
des ennuis à Israël. »
[98] Golda Meir niait l’existence d’un
peuple palestinien. En 1981, les membres d’une délégation
israélienne menant des discussions avec les Egyptiens refusèrent
de loger à l’Hôtel Palestine d’Alexandrie.
La censure militaire israélienne veillait à ce que
le terme « palestinien » ne soit jamais employé
: elle faisait ainsi remplacer « le maire palestinien de Naplouse
» par « le maire arabe... », etc. William Saffire,
plus royaliste que le roi, est très en retard sur l’évolution
subie par la société israélienne, qui a opéré
une profonde mutation sur ce registre et n’hésite plus
à employer le mot, depuis le début du « processus
de paix ». Dans un hebdomadaire israélien, Yoav Karni
écrit de W. Saffire qu’il « fait partie d’un
groupe d’éditorialistes et d’éditeurs
qui détiennent une énorme influence sur les médias
américains et qui sont prêts à défendre
automatiquement toute décision politique d’Israël,
sauf l’initiative de paix du gouvernement Rabin qu’ils
furent prompts à condamner et à enterrer. »
(Shishi, 28 janvier 1994.)
[99] Davar révèle le 27 février
1994 que l’objectif de l’« Underground juif »
qui avait tenté de faire sauter les mosquées du mont
du temple au printemps de 1984 était véritablement
cosmique : le Shabak – service secret israélien –
interrogea un des terroristes qui déclara que « la
destruction de ces temples aurait rendu furieux les centaines de
millions de musulmans du monde entier. Leur rage aurait sans doute
conduit à une guerre qui selon toute probabilité aurait
dégénéré en une guerre mondiale. Dans
une telle guerre l’échelle des pertes aurait été
suffisamment formidable pour promouvoir le processus de rédemption
des Juifs et de la terre d’Israël. Tous les musulmans
auraient alors disparu, ce qui signifie que tout serait prêt
pour la venue du Messie. »
[100] La communauté juive de France a été
très choquée par le fait que le Premier ministre israélien
Netanyahou, lors de sa visite en France, n’ait pas cru utile
de rendre visite au CRIF, qui représente l’ensemble
des organisations juives en France, alors qu’il participa
à un dîner-meeting avec la branche française
du Likoud, qui constitue la frange la plus extrémiste du
judaïsme français.
[101] Le 23 août 1929 de fausses rumeurs circulent
selon lesquelles des groupes sionistes allaient incendier la mosquée
d’Al Aqsa à Jérusalem. Une émeute provoquée
par des extrémistes musulmans éclate à Hébron.
Sur les 538 juifs qui vivent dans la ville soixante-sept seront
massacrés. Les autres seront cachés et protégés
par leurs voisins arabes. En 1997 une délégation des
survivants et d’héritiers de la communauté d’origine,
qui n’ont aucun lien avec les colons actuels, s’est
rendue à Hébron et a été reçue
par le maire palestinien. Certains d’entre eux ont même
déposé un recours en justice pour obtenir l’expulsion
des nouveaux colons...
[102] Genèse, XXIII, 19 : « Après
cela, Abraham enterra Sara, sa femme, dans la caverne de Macpéla,
vis-à-vis de Mambré, qui est Hébron, dans le
pays de Chanaan. » Le rédacteur assimile Mambré
(ou Mamre) à Hébron, alors que les deux localités
sont à quatre kilomètres l’une de l’autre.
Mais un peu plus haut (XXIII, 2), il est dit que « Sara mourut
à Qiriath-Arbé, qui est Hébron ». A l’époque
où le texte fut rédigé, la frontière
Sud de la nouvelle province juive établie par les Perses
n’atteignait pas l’importante cité d’Hébron.
En y établissant les tombeaux des patriarches, le rédacteur
fournissait alors une légitimité à la revendication
juive sur la cité. Déjà !
[103] Des enquêtes révèlent
que 6 % de la population israélienne approuvaient le massacre,
30 % le comprenaient, 36 % refusaient de le condamner et que 63
% le condamnaient. Mais dans cette enquête les citoyens arabes
d’Israël sont inclus, ce qui ramène la proportion
de Juifs israéliens refusant de condamner le massacre à
environ 40 %.
Dans la tranche d’âge 18-29 ans, 8 %
approuvaient, 35 % comprenaient, et seulement 56 % condamnaient.
Dans la tranche 50-65 ans les chiffres sont de 3,
18 et 78 %.
Les catégories socioprofessionnelles dont
les revenus se situent en dessous de la moyenne justifient le massacre
à raison de 7 % et le condamnent à raison de 51 %,
tandis que les catégories qui se situent au-dessus de la
moyenne le justifient à 4 % et le condamnent à 75
%. La même enquête révèle également
une énorme différence d’attitude entre les jeunes
juifs religieux et laïcs, les premiers ayant une attitude beaucoup
plus xénophobe. Le ministère de l’éducation
refusa de publier ces informations qui liaient l’attitude
par rapport au massacre au niveau social et aux choix religieux
des personnes qui répondaient à l’enquête.
(Cf. Yael Fishbein, Davar, 3 mars 1994.)
[104] Le racisme est devenu une attitude courante
chez nombre d’hommes politiques israéliens, à
tel point qu’ils ne se rendent pas compte de l’effet
que cela peut provoquer chez des observateurs étrangers.
En juillet 1967, quelques semaines après la guerre des Six-Jours,
David Hacohen, président de la Commisssion des affaires étrangères
de la Knesset, s’adressant à une délégation
de la Chambre des communes, à Londres, se mit à invectiver
les réfugiés palestiniens. Un député
britannique ne put se retenir de lui dire : « Je suis désolé
que vous utilisiez envers les Palestiniens les mêmes termes
que le nazi Julius Streicher utilisait envers les Juifs. N’avez-vous
rien appris ? » Et David Hacohen de répondre : «
Mais ce ne sont pas des personnes, ce ne sont pas des êtres
humains, ce sont des Arabes ! » (Parliamentary Debates, [Hansard]
ser.5, House of Commons, Vol 361, col. 502.)
[105] Arieh Deri, ex-ministre de l’Intérieur,
est sous le coup d’un interminable procès pour avoir
utilisé des fonds d’institution religieuse à
des fins personnelles.
[106] Simon Wiesenthal, Justice n’est pas
vengeance, éditions Robert Laffont, p. 242.
[107] Yoram Nimrod, Rencontre au carrefour –
Juifs et Arabes en Palestine pendant les dernières générations
(en hébreu), université de Haïfa, 1984, p. 91.
[108] Amnon Kapeliouk, « 1947-1949 : l’exode
provoqué des Palestiniens », Le Monde diplomatique,
décembre 1986.
[109] Selon Tom Segev, Haaretz, Tel-Aviv, cité
par Courrier international, 10-16 novembre 1994.
[110] Archives de l’Etat, ministère
des Affaires étrangères, dossiers « Réfugiés
», n° 2444/19.
[111] B. Katznelson, Shaam, p. 361, cité
dans Al Hamishmar, 27/01/87 (en hébreu).
[112] Benziman Ouzi, On ne s’arrête
pas à un feu rouge, 1986 (en Hébreu).
[113] Cf. Walid Atallah, « La situation économique
en Palestine occupée », mémoire, Collège
coopératif de Montrouge.
[114] Il s’agit de sept enclaves autonomes
urbaines, déclarées « zone A », sur lesquelles
s’exerce l’autorité palestinienne, qui ont été
accordées à Gaza et en « Judée-Samarie
» par Rabin et Pérès. Ce sont des confettis
territoriaux sans continuité ni lien direct entre eux, cernés
de barrages militaires. En langage courant, cela s’appelle
des bantoustans. Il s’agit de Jéricho, Djénine,
Kalkiliya, Tulkarem, Naplouse, Ramallah, Bethléem. Il y a
aussi une « zone B » sur laquelle l’autorité
palestinienne exerce des responsabilités « civiles
» limitées sur 27 % de la Cisjordanie. Il s’agit
de 400 villages palestiniens où la police d’Arafat
ne peut se rendre, le maintien de l’ordre étant assuré
par Israël. Les 70 % restants de la Cisjordanie, la «
zone C », sur lesquels les Palestiniens n’ont aucun
droit, comprennent les zones rurales non habitées déclarées
« terres d’Etat » par l’occupant en 1967,
sur lesquelles se trouvent 144 colonies juives, des camps militaires,
de champs de tir pour l’artillerie, des routes.
[115] Le dossier Palestine, La question palestinienne
et le droit international, La Découverte/documents, p. 258.
Ligue internationale pour le droit et la libération des peuples.
[116] Cité par Amnon Kapeliouk, op. cit.
p. 76.
[117] « Comment conjurer le risque d’une
permétuelle servitude », Manière de voir n°
34.
[118] « Ne pas tirer un trait sur le passé
», Manière de voir n° 34, p. 16.
[119] Jan de Jong, « Israël maître
de la Cisjordanie », Manière de voir n° 29.
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