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Origine : http://www.rezocitoyen.org/imprimersans.php3?id_article=88
Un cours d’histoire qui aide les enfants d’une classe
de CM1 à comprendre les mécanismes de la production
des richesses et de leur répartition selon les sociétés.
Un cours d’histoire qui aide à la compréhension
des mécanismes de la prise du pouvoir économique,
du pouvoir culturel et du pouvoir social.
Une mère, en désaccord, qui envoie le cahier d’histoire
de son enfant à l’inspecteur d’académie.
Envoi suivi, d’une convocation chez l’I.E.N (inspectrice
de l’éducation nationale) qui annonce d’emblée
à l’instituteur son intention de l’inspecter
pour "enseignement tendancieux de l’histoire".
Tout cela dans un contexte de plaintes contre x consécutives
à une grève de trois semaines menée par les
instituteurs de Loire Atlantique pour l’obtention, notamment,
de 500 postes et de 25 élèves par classe. Occupations
de l’inspection académique, du rectorat et du conseil
municipal. Deux plaintes contre x déposées par le
maire et la rectrice. Plaintes suivies de deux convocations au commissariat
adressées à un seul instituteur. Un commissaire empêché
de réaliser ces deux auditions par des manifestations devant
l’hôtel de police.
N’acceptant pas cette conception policière de l’évaluation,
l’instituteur en question, dans ce contexte, refuse de servir
de bouc émissaire.
UNE REPONSE...UN COLLOQUE, DANS UNE ECOLE PRIMAIRE A NANTES :
" COMMENT ENSEIGNER L’HISTOIRE ? "
avec des enseignants du primaire, du secondaire et du supérieur,
avec des chercheurs, avec des I.E.N
La domination du mythe et de l’imaginaire doit-elle l’emporter
sur la raison et le questionnement ?
UNE HISTOIRE AU SERVICE D’UN POUVOIR ou UNE HISTOIRE AU SERVICE
DU DROIT DE SAVOIR
"pour une science soucieuse de préserver le pouvoir
d’une minorité privilégiée,
ou pour une science qui assure le développement généralisé
de la connaissance"
Gilles Perrault, écrivain, ainsi que plusieurs enseignants
ont déjà répondu favorablement. Un groupe de
préparation s’est mis en place.
Quelques pistes de réflexions...Où en est l’enseignement
de l’histoire à l’école ? L’histoire
ne serait-elle que la conscience que les peuples prennent d’eux-mêmes,
comme si l’on écrivait que son histoire nationale ?
L’historien, à son insu, serait-il borné, par
l’optique de la société qui est la sienne ?
L’histoire doit-elle être assimilée aux souvenirs
nationaux, comme la chimie à l’alchimie ou l’astronomie
à l’astrologie ?
Vos commentaires seront les bienvenus. Le colloque devrait se tenir
d’ici environ deux mois. Vous êtes intéressé(e)
par l’idée de ce colloque, vous désirez être
informé(e) de sa préparation, remplissez le formulaire
cidessous.
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CI-JOINT, LA LETTRE ENVOYEE PAR L’INSTITUTEUR A L’I.E.N
Alain VIDAL Nantes, le 6 octobre 2002
instituteur, école de la Fraternité, Nantes
vidal.mothes (at) wanadoo.fr
Eliane LECOCQ
inspectrice de l’éducation nationale
circonscription Nantes Ouest
Jeudi 3 octobre, je suis dans votre bureau, vous m’avez convoqué
par courrier. Fin juin, une mère de ma classe de CM1 vous
a envoyé une lettre accompagnée du cahier d’histoire
de son enfant, cahier grand format où sont collés
des textes de ma composition, une centaine de pages au total. Elle
qualifie ces textes de tendancieux, vous aussi. L’entretien
dure environ une heure. Vous m’avez préparé
quelques documents censés m’aider à retrouver
le droit chemin. Vous m’annoncez votre intention de m’inspecter.
Tendancieux revient en permanence sur vos lèvres.
Tendancieux, pour vous, d’intituler un chapitre "De
l’antiquité au moyen-âge, de l’empereur
romain aux seigneurs féodaux, ou d’un seul grand chef
à plusieurs petits chefs". Tendancieux, pour vous, "Travail
non payé ou travail payé...mais qu’est-ce que
l’économie ?". Tendancieux, "Economie, économiser
ou...gaspiller". Tendancieux, "Si les gens arrêtaient
de travailler à la maison ( ménage, cuisine, courses...),
comment pourraient fonctionner les usines, les bureaux ou les écoles
?".
Tendancieux, aussi je suppose, "Trois richesses qui donnent
du pouvoir : le capital économique, le capital culturel et
le capital social", pour expliquer la montée en force
de la bourgeoisie au moyen-âge, les marchands tirant leur
fortune du travail, insuffisamment rétribué, des paysans
et des petits artisans, et transformant ce capital économique
en capital culturel études pour les enfants, manuscrits,
collection d’ œuvres d’art...) en capital social
( relations ouvrant des portes dans le monde des affaires).
Cela, un écolier peut le comprendre, de questionnement en
questionnement, à l’aide de ces questions qui forcent
les portes d’une histoire encore largement empreinte d’images
d’Epinal et de gens qui naîtraient génétiquement
plus intelligents que d’autres, accédant au pouvoir
au moyen de leur seul travail et de leur courage .
Tendancieux, peut-être aussi, d’expliquer aux enfants
comment aujourd’hui, certains accumulent un pouvoir économique
considérable en soustrayant à l’administration
des impôts des sommes fabuleuses qui se retrouvent cachées
dans ces modernes cavernes d’Ali Baba que sont les paradis
fiscaux.
Tendancieux, je suppose, d’expliquer aux enfants que ce capital
économique frauduleusement acquis, est transformé
en partie en capital culturel et en capital social, générateurs
de pouvoirs accrus sur les autres.
Tendancieux, pourquoi pas, qu’à ma demande, un juge,
vice-président du tribunal de Nantes, soit venu dans ma classe
illustrer très professionnellement et très pédagogiquement,
chiffres en main, la grande délinquance économique
et financière et ses effets sur notre vie de tous les jours
: pénurie de crèches, d’infirmières,
d’enseignants...de par l’argent détourné
des caisses de l’état.
Tendancieux, comme vous me l’avez fait remarquer, vous et
cette mère d’élève, d’expliquer
aux enfants comme aux parents, les raisons de la grève pour
les 500 postes qui, pourtant, concernent au premier chef des familles
soucieuses de la réussite scolaire de leurs enfants.
Tendancieux, pour cette mère, d’avoir parlé
du 11 septembre en classe, alors que le ministre appelait à
trois minutes de silence. Silence que j’ai rempli de discussions,
et dont je me suis expliqué dans une lettre envoyée
à Georges Bush et à Jacques Lang. Lettre qui a été
lue en Amérique du nord, sur les ondes de "Radio Canada",
et qui m’a valu un abondant courrier.
Méfiez-vous, on vous fait intervenir en terrain miné,
pour exécuter les basses œuvres. Terrain miné,
en effet, parce que je suis le seul enseignant de Loire Atlantique
à avoir reçu une convocation au commissariat pour
deux plaintes contre x émanant, entre autres, de la rectrice,
après ma participation, au côtés de nombreux
enseignants, à l’ouverture en force des portes du rectorat
lors de la grève pour les 500 postes. Le commissaire n’a
toujours pas réussi à me faire pénétrer
dans son commissariat pour m’auditionner. Aujourd’hui,
il semble évident que l’IA, lui même missionné
par le recteur, vous instrumentalise en vous demandant de venir
soi-disant m’inspecter. Vous n’avez pas l’impression
que dans cette histoire, je sers de bouc émissaire à
travers lequel on veut intimider ce formidable mouvement social
que fut la grève des instituteurs, mouvement qui, j’espère,
se remanifestera bientôt ? N’avez-vous pas l’impression
que l’on vous demande de jouer le rôle d’un commissaire
politique ?
Au delà de mon enseignement de l’histoire et de l’éducation
civique qui pose un débat que j’appelle de mes vœux,
il semble évident que ce simulacre d’inspection n’est
avant tout qu’un prétexte, un message envoyé
à tous mes collègues, du genre : "Calmez-vous
! Mettez vos revendications sous le boisseau, ou alors demain, un
inspecteur pourra toujours trouver dans votre classe quelque chose
qui ne plaît pas. A bon entendeur, salut !". J’en
parle d’autant plus aisément que j’ai déjà
connu le harcèlement pédagogique.
Année 95-96, à l’école Buffon (ZEP de
Colombes), avec Annie Mothes, elle aussi institutrice, nous organisons
un voyage en Andalousie, à Grenade, aboutissement d’un
projet mené en classe : "Des écoliers à
la recherche de racines communes". Au dernier moment, on nous
annonce que ce voyage, pourtant soutenu par deux historiens professeurs
d’université, n’étant pas conforme aux
programmes, doit être annulé. Finalement, nous sommes
partis comme prévu, le projet devenant magiquement conforme
après que je me sois trouvé dans l’obligation
d’ effectuer une grève de la faim de neuf jours me
valant le soutien de nombreux autres historiens.
L’année suivante, nous continuons le projet avec "Gerbert
d’Aurillac le passeur de chiffres arabes" et de nouveau,
nous tombons sous le coup d’une interdiction de partir avec
nos classes à Aurillac. Votre collègue IEN, pourtant
agrégé d’histoire, prétendant ne pas
comprendre ce concept de passeur de chiffres...
L’autorisation de voyage a finalement été prise
au ministère, au cours d’une réunion d’inspecteurs
généraux, et après qu’une cinquantaine
de personnes, des chercheurs de l’école des hautes
études en sciences sociales (EHESS), Gilles Perrault, écrivain
historien, un IEN et une inspectrice générale acquis
à notre cause, aient parrainé le projet .
De ces deux années, un livre en est sorti, "Gerbert
d’Aurillac, le passeur de chiffres arabes" qui a reçu,
en 1997, le prix spécial du jury au festival international
de géographie de Saint Dié. Un festival qui regroupe
chaque année des milliers de géographes et d’historiens...
Je pense à tout cela lorsque, pour m’aider à
bien enseigner, vous me tendez une plaquette du ministère,
"l’Histoire à l’école primaire"
(direction des écoles, journées des inspecteurs de
l’éducation nationale, 16 octobre 1996), avec un discours
de François Chamoux, membre de l’académie des
"inscriptions et belles lettres" qui déclare devant
un parterre d’IEN :
"Il y a une vertu pédagogique dans les images d’Epinal.
Or le sentiment de solidarité nationale ne repose pas sur
la démonstration rationnelle : il tire sa force de la charge
passionnelle qui s’accumule peu à peu dans l’être
humain. On agit rarement par calcul, mais le plus souvent par habitude
ou par élan de cœur. Les motifs sont d’ordre intellectuel
; ils découlent de l’analyse lucide...en revanche les
mobiles sont d’ordre affectif et se montrent des moteurs autrement
puissants... tous ceux qui font profession de diriger des groupes,
petits ou grands, savent que pour obtenir un résultat , il
faut faire appel aux sentiments élémentaires...
Dans un monde...agité de convulsions multiples...la réalité
nationale, incarnée par les institutions républicaines,
reste pour nos compatriotes, la manifestation la plus tangible du
pacte civique, hors duquel l’individu ne trouve point de salut".
Comment peut-on mettre, à ce point, hors du champ de la critique
une institution ?
Le texte de cet académicien dont vous me conseillez de suivre
la démarche me rappelle fâcheusement ce que déclarait
le descendant d’un marchand négrier de Nantes à
propos de la force de l’habitude de ses ancêtres, :
"L’éducation et l’habitude avaient produit
en leur âme une sorte d’irresponsabilité par
impuissance de conscience".
Et puis, quelle similitude entre François Chamoux et les
instructions de Ernest Lavisse, historien et collaborateur de Jules
Ferry : "N’enseignons point l’histoire avec le
calme qui sied à l’enseignement de la règle
des participes ; il s’agit ici de la chair de notre chair
et du sang de notre sang...puisque la religion ne sait plus avoir
prise sur les âmes, cherchons dans l’âme des enfants
l’étincelle divine ; animons là de notre souffle.
Les devoirs, il sera d’autant plus aisé de les faire
comprendre que l’imagination des élèves, charmée
par des peintures et par des récits, rendra leur raison enfantine
plus attentive et plus docile." L’éducation patriotique
doit l’emporter sur l’instruction, l’affect sur
l’intellectuel, sur la raison...les mobiles sur les motifs.
Pour ma part, je préfère m’en tenir à
la leçon de Condorcet qui, ulcéré, il y a plus
de deux cents ans, à la tribune de l’assemblée
nationale, proposait aux gros planteurs esclavagistes de ne plus
parler que de "la déclaration des droits de l’homme...blanc".
De Condorcet qui, au contraire de Jules Ferry, au contraire de
Ernest Lavisse, au contraire de François Chamoux, maître
à penser pour IEN en recyclage, considérait qu’
"il serait coupable de vouloir s’emparer de l’imagination
des enfants", l’instruction relevant pour lui de la rationalité
et de la domination de l’intellect sur l’imaginaire.
Méfiez vous quand même de ne pas être obligée,
un jour, d’avoir à effectuer une inspection posthume
de Condorcet ...
Fort heureusement, les IEN "se précèdent"
et ne se ressemblent pas toujours. Il y en a tout de même
de très clairvoyants. Pour preuve, en 1992, très intéressée
par ma démarche en histoire, votre collègue IEN de
Colombes tient à faire connaître à son inspection
générale un document dont je suis l’auteur.
Document, dans lequel j’explique aux enfants que, "de
la hache de pierre à l’ordinateur en passant par la
machine à vapeur, en fonction des progrès de la technique
puis des sciences, les hommes produisent et répartissent
les richesses en raison des rapports de force qui président
aux relations entre les différents groupes sociaux. La loi
étant le plus souvent l’expression de ce rapport de
force." C’est encore le sens de ma démarche qu’on
qualifie, aujourd’hui, de tendancieuse.
En 1993, devant le succès d’estime remporté
par le projet "Buffon, un savant , une école, des enfants"
dont j’étais, avec Annie Mothes, l’un des initiateurs
et dont l’inauguration eut lieu en présence, notamment,
du directeur des écoles André Legrand, proche collaborateur
du ministre, on va même jusqu’à m’accorder
pour l’année 93-94, une décharge d’une
journée par semaine pour approfondir cette démarche
historico-technologique. Je travaille alors avec une équipe
de scientifiques chargée de mettre en place "la grande
galerie de l’évolution" au muséum d’histoire
naturelle. On peut voir la trace de cette activité dans la
liste des noms qui figurent dans le hall d’entrée de
cette galerie. A noter qu’en 1999, lors de ma dernière
inspection portant sur une séquence d’histoire, à
aucun moment il n’a été question d’enseignement
tendancieux.
Voilà, j’avoue être un peu las, mais c’est
la vie. Néanmoins, je continuerai à œuvrer pour
que la raison prime sur l’emportement et les règlements
de comptes larvés. Il est évident que de profondes
divergences, pour ne pas dire plus, perdurent au sein de la hiérarchie
de l’éducation nationale, mais en aucun cas je n’accepterai
d’en faire les frais.Si refuser de faire appel à l’émotion,
à l’affect, au détriment de la raison, c’est
être tendancieux... alors, il faut me dire ce qu’est
un enseignement qui fait appel à la charge passionnelle,
à l’habitude, aux mobiles d’ordre affectif et
aux sentiments élémentaires comme on le préconise
aux IEN.
Pour toutes ces raisons, ce simulacre d’inspection est inacceptable
et je ne m’y prêterai pas. Quant à une évaluation,
tout à fait d’accord, mais à situation exceptionnelle,
moyen exceptionnel. Je propose la tenue d’un colloque de réflexion
qui pour une fois ne se déroulerait pas sous les lambris
d’un ministère ou ceux de l’institut, mais à
l’école primaire de la Fraternité dans laquelle
j’exerce à Nantes.Tout un week-end, des enseignants,
des historiens, des spécialistes de sciences de l’éducation,
des IEN... pourraient échanger, discuter de manière
contradictoire et lancer un débat véritablement national
en invitant le corps enseignant à s’emparer des armes
de la critique. Critique qui ne saurait faire oublier la critique
des armes. Et qu’en histoire, la domination de l’intellect
et de la raison l’emporte sur le mythe et sur l’imaginaire.
Des historiens m’ont déjà donné leur
accord de principe pour participer à ce colloque.
N’oublions jamais que, vis à vis de tous les jeunes,
nous avons le devoir de répondre concrètement à
cette question lancinante qui hante notre présent, cette
question laissée sans réponse de fond à l’époque,
parce que la haine l’emportait sur la raison, parce que des
adultes élevés dans le mythe de la force et de la
revanche haineuse, partaient la fleur au fusil servir de chair à
canon au nom d’intérêts qui n’étaient
pas ceux du plus grand nombre. Cette question ensevelie sous une
"religion" qui, comme le disait Jules Ferry, doit être
"la religion de la patrie, une religion qui n’a pas de
dissident", cette question terrible qui, faute de dissidents
en nombre suffisant, risque de nous plonger tous dans la barbarie..
.POURQUOI ONT-ILS TUE JAURES ?
Je vous quitte, en espérant votre participation à
ce colloque.
Alain VIDAL
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