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Rouvrir la question carcérale
Grégory Salle

Origine : http://www.contretemps.eu/interventions/rouvrir-question-carcerale

« Je n’ai jamais cru que les hommes soient bons. Simplement qu’ils méritent d’être égaux. »
Jean-Claude Izzo, Chourmo

Une loi pénitentiaire vient d’être adoptée par voie parlementaire en France. Il ne s’agit pas ici d’en livrer une critique ; l’exercice est superflu tant elle est déjà partout décriée. On ne compte plus les expressions de dépit, y compris de la part des acteurs et observateurs les plus modérés. Nul besoin de s’en tenir aux médias minoritaires ou contestataires : les journaux les plus installés et les moins téméraires en sont d’accord  [i]. Après avoir été annoncée comme « grande » et « fondatrice » et présentée aujourd’hui par la ministre comme une « véritable avancée », la loi apparaît au mieux comme quasi insignifiante (un texte au rabais ou en trompe-l’œil, une immense déception, une occasion manquée selon diverses expressions), si elle n’est pas une régression sous couvert d’amélioration : un « grand bond en arrière » selon les termes du Syndicat de la Magistrature, un « détournement d’objet social » selon l’Observatoire international des prisons. La déconvenue, la consternation voire la colère qui résultent du décalage entre les attentes et le résultat sont d’autant plus fortes que le texte est le point d’aboutissement d’une séquence décennale au cours de laquelle les gouvernants ont joué au chat et à la souris avec la loi. En outre, il ne s’agit pas davantage de verser ici dans une critique confortable, du point de vue de l’observateur extérieur, d’une administration pénitentiaire qui n’a jamais été moins monolithique et dans laquelle on croise des gens remarquables, par leur profil, leurs aspirations ou leur dévouement.

Le propos est tout autre : après bien d’autres et sans prétention à l’originalité (mais en l’état actuel des rapports de forces sociaux et symboliques, une petite réactivation peut être bonne à prendre), rappeler que l’étendue et la profondeur de la question carcérale vont bien au-delà du juridisme humanitaire teinté de moralisme gestionnaire qui occupe, sinon sature le débat public en guise de conscience critique. Autrement dit, contribuer à remettre sur le tapis les problématisations sociologiques et politiques sans lesquelles la question carcérale est tronquée, ou plutôt mal posée. Le temps paraît lointain où la critique de la prison se constituait au croisement de la critique du capitalisme et de celle de l’État. Ici comme ailleurs, la ferveur philanthropique et la déploration compassionnelle sont généralement l’envers du consensus (faussement) dépolitisé. Tout se passe un peu comme si nous étions encore au XVIIIe siècle y compris en matière de la critique de la prison. À l’époque déjà, l’ « humanité » et la « mesure » étaient « partout présents dans les revendications pour une pénalité adoucie », et leur alliance le motif avenant d’une transformation de l’économie punitive ; rendre l’art de punir moins arbitraire était aussi une condition de son efficacité [ii]. Le travail de Michel Foucault est réputé avoir pesé d’un poids décisif dans nos représentations de la prison, si ce n’est dans les pratiques qui l’animent. Rien n’est moins vrai. Si son nom est évoqué ici et là, jusqu’à l’université d’été du MEDEF [iii] – ce qui en dit long sur l’état présent de confusion idéologique – Foucault est au contraire le grand absent des débats courants. Ils fonctionnent sur l’ignorance ou le déni de ses thèses. Les termes du débat sont tels que Surveiller et punir pourrait très bien ne pas avoir été écrit. Non seulement les nuances de sa pensée sont effacées, mais le cœur même de sa démonstration est passé sous silence : lieu de constitution d’une délinquance patentée à partir de la ségrégation et la stigmatisation d’une fraction déterminée des illégalismes, la prison est le pivot de leur gestion différentielle. On y reviendra.

En guise de points de repère, commençons par présenter brièvement les quatre types de critiques principaux que cette loi s’est attirée, dans l’espace public le plus visible, durant son élaboration chaotique et jusqu’à sa mouture finale  [iv].

La première porte sur les conditions du travail législatif. Elle mêle un réquisitoire contre les multiples atermoiements observables depuis une petite décennie (c’est-à-dire depuis l’annonce en novembre 2000, sous le gouvernement de la « gauche plurielle », d’une loi pénitentiaire réputée réconcilier la prison avec les principes de l’État de droit) à une dénonciation paradoxale – puisque le vocable de l’urgence inspire les exhortations à la réforme – de l’urgence parlementaire déclarée en février 2009. L’opposition à la procédure d’urgence s’explique par la crainte d’un bâclage législatif ; une crainte justifiée au vu du contenu du projet de loi présenté au Conseil des ministres en juillet 2008, jugé unanimement décevant, avant d’être sensiblement retouché par la commission des lois du Sénat [v]. De manière générale, l’emphase qui accompagnait les promesses initiales s’est peu à peu estompée, à l’instar des opérations de communication : le site officiel censé suivre pas à pas les développements législatifs n’a été actualisé que très irrégulièrement, et c’est à peine s’il l’a été depuis mars 2009 [vi]. Et dans les rapports de forces dont procède le processus législatif, comme ce fut le cas lors du premier coup d’essai manqué entre 2000 et 2002, les partisans d’une ligne sécuritaire finissent par l’emporter aux dépens des ambitions initiales.

Le deuxième registre critique, dominant, porte justement sur le contenu de la loi. C’est une critique interne des dispositions juridiques, mettant en relief leurs manques, leurs insuffisances, les ambiguïtés calculées ou non, la timidité du texte voire ses reculs vis-à-vis de projets antérieurs ou de propositions de longue date. La comparaison avec des législations étrangères peut étayer une telle critique. Le texte apparaît ainsi en retrait vis-à-vis de la loi pénitentiaire allemande adoptée en… 1976 [vii]. Comme l’ont fait remarquer divers acteurs ou observateurs du monde carcéral, le texte n’est pas en mesure de rétablir effectivement les détenus dans leur condition de citoyen, ni même d’offrir les garanties nécessaires pour préserver leur dignité – ainsi les conditions des fouilles ou l’usage du mitard. Parmi d’autres aspects, l’abandon de l’encellulement individuel comme droit absolu (finalement réintégré in extremis dans le texte, avec une date d’exécution repoussée, ce qu’elle est de fait depuis la fin du XIXe siècle) et la mise en place de régimes différenciés ont été l’objet des critiques les plus vives, en tant que vecteurs d’arbitraire sous couvert d’ajustement raisonnable aux profils individuels et collectifs des détenus.

La troisième critique commune se situe dans l’écart, ou plutôt dans l’abîme qui sépare la pratique de la norme. Elle s’applique en général, assez banalement, à dénoncer la pénurie des moyens humains et financiers alloués à la concrétisation des déclarations d’intention [viii]. Plus profondément, elle souligne l’absence ou l’insuffisance de ce qui fonde sociologiquement l’effectivité du droit : l’existence de moyens institutionnalisés de sanction en cas de manquement aux impératifs affichés – de réinsertion par exemple. Elle pointe en tout cas du doigt l’écart qui ne manquera pas (et qui ne manquera jamais) d’être constaté entre le texte et son application, entre les promesses et les actes. En dépit de la maniabilité indiscutable de l’argument, puisqu’il est rigoureusement impossible de prouver l’adéquation de la règle et de son application, cette posture a le défaut de tomber dans le travers du juridisme, qui méconnaît le caractère sociologiquement normal de cet écart. Il est vrai que, par définition, le dispositif carcéral le porte à un point extrême de contradiction.

La quatrième, enfin, complète la critique du contenu juridique par celle du contexte social et politique. Elle réinscrit l’adoption de cette loi dans la configuration intellectuelle et institutionnelle générale, en insistant sur l’austérité croissante des doctrines et des pratiques pénales. Elle souligne ainsi, entre autres, les effets de la diffusion d’une idéologie sécuritaire, ceux résultant du renforcement de l’arsenal juridique et du durcissement des pratiques pénales, des peines plancher à la rétention de sûreté en passant par l’érosion des spécificités du traitement judiciaire des mineurs. De ce point de vue, tout concourt en effet à faire passer la loi pour une compensation, voire l’alibi d’une orientation pénale résolument punitive, quoique de façon très différenciée socialement, puisqu’elle vise avant tout les classes populaires. Bref, l’enjeu de cette mise en perspective est de faire voir l’incohérence, voire la duplicité, de l’action gouvernementale.

D’une loi pénitentiaire à une séquence sociopolitique

Ces points d’appui critiques sont assurément bienvenus et légitimes, et les combiner est nécessaire au regard des rapports de forces concrets déterminant la configuration sociopolitique actuelle. Il ne s’agit donc pas de déprécier les mérites de ces approches (surtout lorsqu’elles se traduisent par un militantisme de terrain plus que respectable) ou de les vouer à l’inanité. On peut en revanche relativiser leur portée, faire voir leurs points aveugles ou équivoques, dépasser le simple vœu d’un ajustement humanitaire à un seuil de dignité présumé convenable. La focalisation du débat sur la norme légale tend ainsi à reproduire une forme de fétichisme juridique. Quant à l’indignation devant l’entassement dans les maisons d’arrêt, elle correspond parfois à un projet de construction et de privatisation qui programme une extension indéfinie de la formule carcérale, tandis que le terme équivoque de surpopulation fait écran à l’argument du suremprisonnement. Bref, même quand elles entendent résister au réductionnisme sécuritaire, les formulations dominantes du problème contribuent à leur manière à rétrécir, voire à refermer la question carcérale. Sa charge politique est globalement évacuée au profit d’un point de vue moral qui individualise les rapports sociaux et aplanit les rapports de domination.

Entendons-nous bien. Le souci d’une législation judicieuse et progressiste est légitime. Si l’existence d’une loi pénitentiaire n’est pas en tant que telle un signe de progrès, si elle peut fort bien remplir le rôle d’une manœuvre dilatoire ou d’un substitut à une intervention matérielle, on ne peut se contenter à l’inverse d’en discréditer l’existence en faisant d’elle une manœuvre de diversion (quoiqu’elle puisse aussi endosser ce rôle) ou la réduire à la pure insignifiance, au changement de surface bien fait pour que rien ne change en réalité. Malgré l’évidence des effets de domination inscrits dans le droit (sans doute passé un peu rapidement du statut de poison à celui d’antidote dans la panoplie des mouvements sociaux), ce serait jouer une mauvaise carte que de disqualifier les revendications d’ordre juridique comme étant forcément les manifestations d’une fausse conscience aliénée par l’idéologie libérale. La loi peut servir de point d’appui à des réclamations juridiques mais aussi à des revendications politiques. Mieux vaut alors qu’il soit le plus solide possible, et de ce fait la piètre qualité de la loi n’est pas un élément anodin. C’est pourquoi derrière l’apparente uniformité des discours d’acteurs occupant des positions distinctes et a priori portés par des intérêts divergents sinon antagoniques, on ne saurait déduire l’imposition triomphale d’une doxa prise dans les ornières du juridisme. Ces discours doivent être replacés dans leur contexte d’énonciation. La référence au droit pour les associations de défense des libertés publiques n’a ainsi pas le même sens, ni symbolique ni stratégique, que celle des gouvernants. Bref, la lutte juridique est un registre incontournable, en lien avec d’autres, comme le registre de l’attachement (les conséquences parfois dramatiques sur les familles, punies par ricochet) ou celui de l’inefficacité (la prison comme fabrique à délinquance) [ix].

Reste que l’enjeu de la qualité des normes juridiques ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Une analyse de la loi appelle nécessairement une approche dialectique, capable de saisir tant ses conditions de possibilité et de réalisation que la totalité (juridique, mais aussi sociale, politique, etc.) à laquelle elle s’intègre, mais aussi son devenir ou, si l’on veut, les usages qui vont en découler. Limitons-nous ici à prendre un peu de recul sur la séquence décennale dans laquelle s’inscrit cette législation. Cette séquence offre un cas d’étude exemplaire dans sa singularité (par le détail des péripéties, la liste des protagonistes et leurs types d’interventions, la configuration carcérale et politique, etc.) et dans son exemplarité (en elle se concentre, dans les discours au moins, toute l’histoire de la prison pénale). Théâtre d’une prolifération de discours publics sur la prison, elle est aussi particulièrement trouble politiquement. Avec une loi préparée et votée sous la majorité actuelle, elle s’achève ainsi où elle avait commencé en 2000, c’est-à-dire à droite, avec le livre de Véronique Vasseur, et l’affaire retentissante produite par l’emballement médiatique et politique qui a saisi son témoignage en tant que médecin-chef de la Santé. Candidate UMP aux élections législatives puis municipales en 2007, V. Vasseur a en effet eu l’occasion de mettre les choses au point quant à son positionnement [x]. Son livre, déjà, a dû une grande partie de son succès à son innocuité politique.

Mais c’est tout au long de la séquence que le rôle moteur de la droite révèle l’ambiguïté politique des revendications à redonner aux détenus leur dignité et à la peine de prison son sens supposé perdu ou manquant. C’est par exemple un député de la majorité (UMP, puis UDF, puis Nouveau Centre) qui s’est attelé dès 2004 à la mise au point d’une charte pénitentiaire destinée à être intégrée à la Constitution de la Ve République. De même, des groupes de réflexion sur la prison se créent sous la houlette de personnalités aussi peu suspectes de menées subversives que Christine Boutin ou Albin Chalandon, instigateur de la privatisation des prisons en 1986-1987 lorsqu’il fut ministre de la Justice. Son projet initial – une privatisation intégrale, ensuite vidée partiellement de sa substance, mais habilement soldée par une loi sur le « service publique pénitentiaire » – est emblématique du rôle historique de la droite, qui fut plus souvent qu’à son tour en première ligne des initiatives en la matière depuis les années 1980. Certes, il y a là une dimension stratégique dans la compétition électorale, le souci de ne pas céder à la gauche un thème dans lequel se joue la défense de l’humanisme. Mais pas seulement ; c’est plus profondément qu’il y a quelque chose qui cloche.

Dans l’intervalle entre l’affaire Vasseur (2000) et la loi pénitentiaire (2009), une multitude d’événements a relancé la question carcérale, des rapports d’enquêtes parlementaires de 2000 à la nomination d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté en 2008, en passant par des États généraux de la condition pénitentiaire en 2006, sans compter des mouvements sociaux d’une rare ampleur de la part des personnels, travailleurs sociaux comme surveillants. Cette séquence est d’une telle richesse (et en même temps d’une telle pauvreté, puisque dominent des discours usés jusqu’à la corde) qu’elle appelle une analyse fouillée. Pour l’heure, signalons seulement l’étroitesse de la base sur laquelle la question carcérale y a été posée, malgré les efforts de voix minoritaires. On pouvait observer au démarrage de la séquence un paradoxe. Non seulement on « découvrait » ce qu’on savait fort bien, mais le débat portait sur ce sur quoi tout le monde est d’accord et ne fait donc pas vraiment débat, à savoir les avanies notoires de la condition carcérale : violences, promiscuité, arbitraire, surpopulation, etc [xi]. Un tel consensus, réclamé s’il n’est pas déjà établi [xii], n’a cessé ensuite de traverser la période. Pourtant, on peut aisément arguer que ce dont la prison est en manque, c’est au contraire de conflit, c’est-à-dire de politique, au sens évidemment le moins institutionnel du terme.

L'éviction de l’héritage critique

Ce qui est à la fois discret et flagrant, c’est la quasi-éviction de l’héritage critique radical, au sens où il prend les choses à leurs racines. Même son acquis minimal, qui consiste à toujours référer la prison à autre chose qu’à elle-même (l’état du marché du travail, les inégalités socio-économiques, les antagonismes de classes, l’iniquité des procédures judiciaires, le fonctionnement des institutions d’encadrement des classes populaires, les conditions d’exercice de la souveraineté étatique, etc.) se perd ou se dilue dans la vision interne focalisée sur les affres de l’expérience carcérale. Somme toute, la part des considérations sociopolitiques dans la problématisation officielle et ordinaire de la prison est devenue très faible. Cette situation reflète en partie le déclin, sur la longue durée historique, des enjeux, autrefois brûlants, de la « détention politique », liée à l’existence d’un horizon révolutionnaire. Elle est aussi l’effet d’une droitisation spectaculaire du centre de gravité intellectuelle et des mutations corrélatives dans la façon de poser les problèmes sociaux : substitution du paradigme de l’exclusion au schéma de l’exploitation, mirage de la disparition des conflits de classes, perception croissante de la régulation juridique comme panacée, etc. Les associations militantes, qui ont déjà fort à faire quant au quotidien intra-muros, peuvent difficilement mettre en avant ce rôle de politisation, d’autant que leur force sociale est faible et leurs ressources limitées [xiii]. Les formes d’expression et d’action collectives du militantisme sur le terrain carcéral ont elles aussi considérablement changé en quatre décennies.

Au final, ce qui se présente comme la question carcérale n’en est plus qu’un fragment, passé au filtre de l’anthropologie libérale. Il n’est pas jusqu’à l’invocation du « sens de la peine » qui ne soit déformée par le prisme d’une lecture étroitement individualiste. Soit la seule prise en considération de l’individu pourvu de droit (et des atteintes qu’il subit en prison), au détriment des rapports sociaux et des relations de pouvoir matérielles et symboliques. De l’héritage sociologique, attaché à penser le monde de façon relationnelle et à déconstruire ce qui présente sous la fausse apparence de l’évidence, il ne reste guère plus qu’un supplément d’âme sur l’extrême dénuement matériel des sortants, et ce sans même reconsidérer sérieusement le sens de la « réinsertion » dans une société marquée par la désagrégation du salariat et la précarisation croissante des conditions élémentaires d’existence, une fraction croissante des classes populaires étant réduite à la survie. Quid des fonctions sociales remplies par la prison, de son rôle dans l’économie punitive et le contrôle social ? Quid de la réflexion sur la contingence de nos représentations en matière de punition, sur les divisions symboliques et pratiques qui organisent la pénalité [xiv] ? Difficile d’énoncer une critique conséquente de la prison si l’on oublie qu’« il faut s’interroger sur ce qui mérite effectivement d’être puni. Que penser des partages aujourd’hui admis entre ce qui est sanctionnable par la loi et ce qui ne l’est pratiquement pas. Tant de précautions pour que les "mœurs" ne soient pas "outragées" ni les "pudeurs" perverties ; et si peu pour que l’emploi, la santé, le milieu d’existence, la vie ne soient pas mis en danger… » [xv].

Car il y a bien des manières de problématiser la prison ; et l’on croise parfois, même dans la presse « sérieuse », de puissants effets de contraste : « La prison est bien le sale petit secret de la société française, la clé, et non la marge des rapports sociaux les plus présentables. Ce qui se concentre ici en un tout compact, ce n’est pas un tas de barbares ensauvagés comme on se plaît à le faire croire, mais bien l’ensemble des disciplines qui trament, au-dehors, l’existence dite "normale". Surveillants, cantine, parties de foot dans la cour, emploi du temps, divisions, camaraderie, baston, laideur des architectures : il faut avoir séjourné en prison pour prendre la pleine mesure de ce que l’école, l’innocente école de la République, contient, par exemple, de carcéral. Envisagée sous cet angle imprenable, ce n’est pas la prison qui serait un repaire pour les ratés de la société, mais la société présente qui fait l’effet d’une prison ratée. La même organisation de la séparation, la même administration de la misère par le shit, la télé, le sport et le porno règne partout ailleurs avec certes moins de méthode [xvi]. »

On voit bien tout ce qui sépare une telle démystification des critiques ordinaires de la prison, centrées sur son fonctionnement mais éludant volontiers ses fonctions. D’une part, elle n’a rien à voir avec la conception qu’on pourrait appeler idiopathique, en empruntant pour une fois au vocabulaire médical, soit la représentation de la prison comme un organe malade dans un corps social sain, dont un remède approprié permettrait la guérison. D’autre part, elle renverse aussi sa conception opposée, de type symptomatique : la prison symptôme de désordres, d’iniquités ou de pathologies, le miroir à la fois déformant et révélateur du dehors plutôt qu’une altérité absolue ou un ailleurs monstrueux. C’est en effet tout autre chose que reprendre la métaphore du reflet que de figurer le fonctionnement carcéral en matrice cachée (à la manière de Giorgio Agamben lorsqu’il fait du camp, et non de la cité, le paradigme contemporain de la politique) des rapports sociaux du dehors. On peut apprécier différemment la robustesse intellectuelle et la maniabilité politique de ces différentes représentations. Les exposer schématiquement permet seulement de donner un aperçu de la diversité des formulations possibles de la question carcérale. L’hégémonie d’une appréhension caritative fait que quelques énonciations brutales, comme l’idée que la prison forme avec la télévision le couple central de la régulation du néolibéralisme [xvii], sont volontiers dédaignées comme des raccourcis provocateurs. Une manière commode de dispenser d’aller gratter l’écorce des discours humanitaires et experts qui sont un carburant de la formule carcérale.

La gestion différentielle des illégalismes, ou : et si on revenait aux questions qui fâchent ?

Un concept permet de redéployer la question carcérale dans sa plénitude. C’est celui de gestion différentielle des illégalismes, créé par Michel Foucault, qui englobe et dépasse l’appréhension classique en termes de justice de classe [xviii]. Pour Foucault, le prétendu « échec » de la prison, fabrique de récidive et d’une délinquance attitrée, est l’envers aveuglant de sa réussite. Si cette institution perdure malgré l’évidence de sa faillite à l’aune de ses buts manifestes, c’est qu’elle remplit une fonction sociale positive (au sens où elle ne se définit pas en négatif par rapport à autre chose) qui excède les fonctions de dissuasion, de neutralisation et de mise à l’écart. Elle sert de socle à une gestion différentielle des illégalismes qui revêt une triple utilité économique et politique. On ne retient ici que deux éléments [xix]. D’une part, cristalliser les peurs sociales sur une cible aussi diffuse que concrète, la délinquance (notion criminologico-politique, plus que phénomène social) permet de faciliter le consentement de la population à une extension et un renforcement général du contrôle policier. D’autre part, les illégalismes ne sont nullement une cible unie : tolérés dès lors qu’ils sont rentables pour les classes dominantes, ils peuvent parfaitement être intégrés dans l’économie légale, quoique de façon camouflée ou détournée, ainsi par exemple avec le commerce des armes et des drogues. Ce qui entraîne une série d’implications, arbitrairement séparées et non exhaustives.

Premièrement, rompre avec le sens commun qui fait de la figure de l’État de droit l’horizon indépassable de la question carcérale. Même dans l’hypothèse illusoire où les pratiques en détention correspondraient exactement aux normes juridiques, la question carcérale serait loin d’être épuisée. Une telle correspondance est de toute façon impossible. Alain Brossat a montré en quoi cette problématisation était à la fois sociologiquement irréaliste (l’alignement du dispositif carcéral sur les normes générales de l’État de droit étant par définition irréalisable) et politiquement viciée (parce que méconnaissant les conditions d’exercice et de légitimité de l’exception souveraine) [xx]. Il ressort d’ailleurs de l’observation des effets de l’introduction du droit en détention que, bénéfique à maints égards, elle n’est nullement une solution en soi [xxi]. Elle aiguise des contradictions, crée des difficultés nouvelles, répare mais aussi accentue des injustices (ne serait-ce que par le caractère socialement différencié du recours au droit), entrave mais aussi facilite le contrôle carcéral. De plus, il est vain ou trompeur d’évoquer l’État de droit sans le caractériser, comme s’il s’agissait d’un modèle immuable, aux contours et au contenu déterminés une fois pour toutes. Nous vivons en l’occurrence, selon les termes de Jacques Rancière, dans des États de droit oligarchiques [xxii]. Il n’y a donc pas là de quoi nous prémunir contre, par exemple, l’avènement d’un État pénal libéral-paternaliste tel que décrit par Loïc Wacquant [xxiii]. De même, le modèle de l’État de droit apparaît tout à fait compatible, voire parfaitement ajusté, à l’idéal d’une prison post-disciplinaire, délestée de l’utopie de l’amendement des âmes et du redressement des corps, préposée à la gestion neutralisante de groupes décrétés à risques et indésirables.

Deuxièmement, reposer inlassablement la question : qui va en prison (et donc, qui n’y va pas) et pourquoi ? Qui bénéficie et qui est desservi par la définition et la hiérarchisation actuelles des infractions ? Quelles sont les distinctions et distributions opérées tout au long de la chaîne pénale ? Bref, souligner les rapports inextricables entre le recrutement social des prisonniers et le fonctionnement de la pénalité (ses présupposés, ses filtres, ses partages, etc.). On ne peut pas se contenter de pointer la surreprésentation des classes populaires en prison en évoquant, avec une sorte de bienveillance compréhensive et sur le mode de la circonstance atténuante, les handicaps sociaux qui « expliqueraient » une propension à la « délinquance ». On néglige alors le filtrage opéré, y compris à infraction égale, par le système répressif, de la vigilance policière au prononcé des condamnations. S’il existe des conduites de classe, plus ou moins disposées à enfreindre les normes juridiques établies et à le faire de façon visible et aisément imputable (donc facilement étiquetées comme délinquantes), il existe aussi des infractions commises dans toutes les classes sociales (on peut penser, dans des genres différents, à la consommation de certaines drogues ou aux infractions sexuelles) pour lesquelles les élites ont des chances incomparablement plus élevées de passer à travers le tamis au bénéfice d’une tolérance sélective. On ne peut pas davantage omettre la contingence et le caractère évolutif de la délimitation et de la hiérarchisation des normes pénales. Quels actes, quels comportements sont punis dans notre société ? Selon quels niveaux d’intensité, avec quelle force de réprobation ? N’y a-t-il pas, à l’inverse, des comportements tolérés, sinon célébrés (pensons à certaines pratiques de prédation financière, qui pourraient très bien prendre place dans nos représentations comme une forme particulière du banditisme) qui produisent des dégâts sociaux considérables ? Aussi la question carcérale a-t-elle tout à voir avec la dépénalisation du droit des affaires et du droit du travail. La crise actuelle du capitalisme donne, au passage, une nouvelle saveur à la formule de Durkheim, qui n’avait rien d’un extrémiste, selon laquelle une « crise économique, un coup de bourse, une faillite même peuvent désorganiser beaucoup plus gravement le corps social qu’un homicide isolé… » [xxiv].

Troisièmement, réinscrire la place et le rôle de la prison dans la redistribution de l’économie punitive, à l’articulation des modèles de pouvoir souverain, disciplinaire et de contrôle. Contre la vision enchantée des peines « alternatives », dont il montre qu’elles composent plutôt un prolongement et un perfectionnement des dispositifs disciplinaires, Olivier Razac a mis en évidence la complémentarité fonctionnelle et symbolique entre les milieux dits ouvert et fermé. « On ne peut pas "préférer" le bracelet électronique à la prison parce qu’il s’agit de deux faces d’un seul et même dispositif, le dispositif carcéral. Vouloir développer les mesures alternatives à l’enfermement dans l’espoir de voir disparaître la prison est absurde. Où iront les condamnés qui ne respectent pas les contraintes qu’imposent ces mesures ? » [xxv]. Une manière de rappeler que, comme ce fut le cas autrefois pour la prison, cette évolution de la pénalité est moins l’effet d’un souci humanitaire que d’une mutation de l’économie politique, d’une « rationalisation » utilitariste des formes de pouvoir et modes de gestion de la population. De ce point de vue, les formes de punition et de contrôle non carcérales apparaissent quand la prison devient trop coûteuse, matériellement (en termes budgétaires) et symboliquement (en termes de légitimation), quand s’inventent grâce à la sophistication technologique des modalités techniques mieux adaptées. On en trouve parfois l’aveu de la bouche même des gouvernants [xxvi]. Bref, avoir comme horizon cette question : quelle est la rationalité de gouvernement dont procède (et que constitue en retour) la place respectivement assignée à la prison et aux formes connexes de contrôle et de punition ?

Quatrièmement, (se) demander : quel (droit à la) parole pour les détenus ? Quels canaux d’expression et possibilités d’échanges collectifs autres que ceux imposés par la réclusion commune ? Une exigence qui suppose de repousser et la diabolisation et l’idéalisation de la population carcérale [xxvii]. Gilles Deleuze remarquait que les prisons avaient besoin non de commissions d’experts, mais de groupes d’usagers ; il en faisait le point de passage du droit à la politique. Depuis, le terme a prospéré dans le jargon administratif, mais a été dévoyé dans un sens managérial, tandis que les détenus restent exclus des commissions d’experts et parlementaires. Le discours caritatif du souci pour les exclus, faisant d’eux les laissés-pour-compte de la société, s’oppose frontalement à la subjectivation politique telle que l’entend Rancière. Certes, dans la terminologie du philosophe, les détenus font bien figure d’incomptés, de sans-part par excellence. Mais la subjectivation susceptible de troubler l’ordre de la police (ordre qui est celui qu’on appelle, d’ordinaire, politique) ne correspond pas à une manifestation publique en forme de rappel d’existence et de sortie de l’ombre. Il ne s’agit pas seulement d’une visibilité ponctuelle réaffirmant aux yeux de tous l’existence sociale d’une catégorie bien identifiée, celle des prisonniers, qui réclamerait une place à prendre. Il s’agit au contraire de déranger les assignations d’identité et les classifications établies, de mettre en cause par exemple la violence symbolique qui procède d’une représentation homogénéisée des « détenus » comme catégorie unifiée. La subjectivation correspond alors à une déprise de l’identité de détenu, de condamné ou de délinquant, pour en faire valoir d’autres, ou pour brouiller la limite entre la norme et la déviance, entre l’innocence et la culpabilité. La valorisation tous azimuts de la figure de la victime, y compris à propos des détenus (comme victimes du fonctionnement social) est aussi un indice d’anémie politique.

Remettre au centre du débat la gestion différentielle des illégalismes, et au-delà reposer cet ensemble de questions avec entêtement, oblige parfois à marcher sur un fil ténu. Ainsi la question délicate des troubles mentaux : comment aborder lucidement la proportion inquiétante de détenus atteints par des altérations psychiques en détention, sans entériner automatiquement les conceptions admises de la maladie mentale, les catégories médico-psychologiques et assurer un triomphe du pouvoir psychiatrique ? En même temps, cela n’oblige aucunement à tomber dans un certain nombre d’écueils ou d’impasses, telle la dénonciation d’un « tout carcéral » largement imaginaire ou l’adoption d’un abolitionnisme incantatoire et stérile. Ce n’est pas non plus céder à quelque angélisme ignorant de réalités sociales traversées, à l’évidence, par un enchevêtrement d’injustices, de violences, de maux divers. La vigilance à l’égard du pouvoir de punir n’est pas la sensiblerie à l’égard de la punition et rouvrir la question carcérale peut se faire même sans illusion sur la vie des hommes en société. Le roman noir a souvent tenté d’exécuter cet exercice funambule entre horizon émancipateur et pessimisme anthropologique. Nous voilà ramenés à la citation en exergue.

  Notes

[i] Un exemple parmi bien d’autres, l’éditorial du Monde du 22 septembre 2009 (« Prisons, encore ») : « La loi pénitentiaire s’annonçait comme un progrès ; elle se solde par une immense déception. (…) un constat s’impose dès à présent, ni l’esprit ni la lettre de la loi ne sont à la hauteur de la situation catastrophique des prisons françaises. ».

[ii] M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard ("Tel"), 1993  [1975], p. 89, 109, 123 notamment.

[iii] « Surveiller et punir » fut en effet le titre de l’un des débats de l’université d’été du MEDEF qui a eu lieu les 2-4 septembre 2009. Le débat, auquel ont participé entre autres Michèle Alliot-Marie et Florence Aubenas (présidente de l’OIP) s’inscrivait dans une problématique plus large, « La liberté, seule valeur impérissable de l’histoire ». La liste des participants et la vidéo du débat sont visibles ici.

[iv] A l'initiative de parlementaires de l'opposition, celle-ci est l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel. Neuf organisations (syndicales et associatives) ont déposé un mémoire pour justifier son invalidation. La réponse est attendue pour la fin du mois de novembre.

[v] J. Bérard, G. Chantraine, 80 000 détenus en 2017 ? Réforme et dérive de l’institution pénitentiaire, Paris, éd. Amsterdam, 2008.

[vi] Voir http://www.loi-penitentiaire.justice.gouv.fr/.

[vii] Pour plus de détails, je me permets de renvoyer à mon livre La part d’ombre de l’État de droit. La question carcérale en France et en RFA depuis 1968, Paris, EHESS, 2009.

[viii] Précisons à cet égard qu’en termes relatifs (dans le temps et vis-à-vis des autres branches de l’État), l’administration pénitentiaire bénéficie d’une position privilégiée : entre 1998 et 2008, son budget propre a augmenté d’environ 80%. Ce qui n’enlève bien sûr rien aux débats concernant, notamment, la répartition de ce budget.

[ix] Lilian Mathieu distingue à propos de la double peine (La double peine. Histoire d’une lutte inachevée, La Dispute, 2006) trois grands registres de dénonciation, tiraillés entre attention aux cas singuliers concrets et exigence de généralisation pour constituer une cause publique : un registre juridique (pointant la distance entre des principes de justice et des normes de droit et les traitements réels infligés), un registre de l’attachement (signalant les répercussions fâcheuses sur les proches, punis par ricochet), un registre de l’inefficacité (soulignant les contradictions entre les objectifs affichés et les conséquences observables). Ces registres peuvent aisément être transposés à la prison. On pourrait en ajouter d’autres, comme le registre du dévoilement fonctionnel, c’est-à-dire l’idée que derrière ses fonctions affichées, la prison endosse des fonctions cachées (par exemple discipliner les classes populaires désobéissantes ou séditieuses, ou éponger les populations surnuméraires selon les normes économiques de production et/ou de consommation).

[x] « Par mes combats, beaucoup m'ont cataloguée à gauche et pensent que je m'engage à droite par opportunisme. Tout cela est faux. J'ai toujours été de droite » (Le Parisien, 9 juin 2007).

[xi] S. Dreyfus, « Penser l’ordre social comme désordre : illégalisme et révolte », Drôle d’époque, n° 8, 2001, p. 49-56 - texte téléchargeable ici.

[xii] Quête explicite dans un appel intitulé « La prison à la recherche d’un consensus », lancé le 1er septembre aux parlementaires.

[xiii] Voir notamment les sites de l’OIP et de Ban Public.

[xiv] Une remise en question des représentations qui concerne aussi celles relatives à sa critique, ou à sa pseudo-critique. Pensons par exemple à l’invocation rituelle de la figure mythique d’une « véritable » politique pénitentiaire (comme si celle-ci était inexistante ou factice), ou à la prégnance tenace de la distinction convenue entre prévention et répression (comme si la prévention n’était pas un ingrédient constitutif de la rationalité des sociétés de contrôle).

[xv] « Michel Foucault : il faut tout repenser, la loi et la prison » (1981), Dits et Écrits, II, Paris, Gallimard ("Quarto"), 2001  [1994], p. 1022.

[xvi] « Julien Coupat : "La prolongation de ma détention est une petite vengeance" », Le Monde, 25 mai 2009.

[xvii] F. Lordon, « Violences néolibérales », Mouvements, n° 23, 2002, p. 47-48. Dans les années post-1968, on pouvait aussi lire la proposition selon laquelle les peines pécuniaires étaient moins une sanction en soi qu’une taxe à payer par les classes aisées pour avoir le privilège de violer la loi, en même temps qu’une obole contribuant à financer des prisons réservées aux plus démunis.

[xviii] Le résumé le plus saisissant est peut-être dans M. Foucault, « Les mailles du pouvoir »  [1981], Dits et Écrits, II, Paris, Gallimard, 2001, p. 1014-1015. Citons à nouveau une réactivation récente de l’argument foucaldien : « Le partage ne passe donc pas, comme le voudrait la fiction judiciaire, entre le légal et l'illégal, entre les innocents et les criminels, mais entre les criminels que l'on juge opportun de poursuivre et ceux qu'on laisse en paix comme le requiert la police générale de la société. » (« Julien Coupat : "La prolongation de ma détention…" », art. cit.)

[xix] La troisième forme d’utilité mentionnée par Foucault prolonge la critique marxienne de l’ambiguïté politique d’un sous-prolétariat manipulable par la bourgeoisie dans les luttes de classes. Il pointe le fait que les délinquants patentés composent une « armée de réserve » mobilisable par les élites pour accomplir diverses basses besognes (comme servir de briseurs de grèves ou d’indicateurs pour la police) et plus généralement pour entretenir une division entre le peuple et la plèbe.

[xx] A. Brossat, Pour en finir avec la prison, La fabrique, 2001. De façon générale, eu égard à l’ambiguïté permanente de cette figure qui peut être à la fois défendue (contre des modèles comparativement fâcheux) et dénoncée (comme figure d’un consensus post-politique), cette question de l’État de droit divise la gauche : il y a là un enjeu politique crucial.

[xxi] A. Chauvenet, C. Rostaing, F. Orlic, La violence carcérale en question, Paris, PUF, 2008, p. 317-320.

[xxii] J. Rancière, La haine de la démocratie, Paris, La fabrique, 2005, p. 81.

[xxiii] L. Wacquant, « Insécurité sociale et surgissement sécuritaire », Contradictions, n° spécial, 2008, p. 1-17.

[xxiv] E. Durkheim, De la division du travail social, Paris, PUF, 1998  [1893], p. 38.

[xxv] O. Razac, Avec Foucault, après Foucault. Disséquer la société de contrôle, L’Harmattan, 2008, p. 139.

[xxvi] Ainsi, en 2005, le ministre de la Justice Pascal Clément s’est déclaré « particulièrement préoccupé par l’ampleur du recours à la détention provisoire, qui doit être contenue dans les limites strictement nécessaires, au regard notamment du principe de la présomption d’innocence. Par ailleurs, dès lors qu’elle se trouve injustifiée, elle représente un coût indéniable, tant pour la personne poursuivie que pour la collectivité, l’indemnisation étant systématique et d’un montant de plus en plus élevé ». Il exprime alors une nouvelle formulation du souci gouvernemental concernant la détention provisoire, assise sur le motif de l’épargne : les excès de la détention provisoire coûtent trop cher à l’État (Discours de Pascal Clément lors de l’installation de la Commission de suivi de la détention provisoire, 13 septembre 2005).

[xxvii] Celle-ci présente une double contradiction. D’une part, elle à la fois très homogène (du point de vue notamment de sa composition sociale et de genre, très majoritairement masculin) et très hétérogène, du point de vue par exemple des motifs d’incarcération. D’autre part, elle apparaît à la fois dénuée de toute propriété substantielle (les gens du dedans sont les mêmes que ceux du dehors) et marquée par des spécificités (un cumul extrême de contraintes et de stigmates).