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Origine, site Econovateur : http://www.econovateur.com/rubriques/gril/lre150502.shtml
Livre, revue, expo Mai 2002 « La société
de consommation de soi », de Dominique Quessada – Éditeur
Verticales (Sciences Humaines)– 191 p – 1999 – 17,5
Euros
La société de consommation de soi
La publicité ne sert pas seulement à vendre des produits
: elle vise aussi de plus en plus à instaurer la société
de consommation en véritable projet politique de civilisation.
Et ce, à l'échelle de la planète entière.
Commentaire
Les craintes infondées du système pub
Il est un fait bien connu chez les publicitaires : à chaque
crise économique ou sociale un peu forte, les investissements
publicitaires s'effondrent temporairement.
Beaucoup d'interrogations et doutes existentialistes émergent
alors dans ces moments critiques chez les hommes de communication
: « les entreprises doivent comprendre que les investissements
« pub », doivent se maintenir », et surtout : «
ils doivent reconnaître notre rôle fondamental dans l'économie
», « c'est après tout nous qui assurons le maintien
du désir de consommation ».
Que le « milieu pub » se rassure : il est finalement parmi
les premiers secteurs économiques à redémarrer,
une fois les récessions passées. Ses arguments principaux
sont aussi tout à fait justes : la « machine pub »
est indispensable à l'économie de consommation.
Sans elle, l'économie toute entière s'écroulerait.
Et avec elle, les valeurs et croyances de la civilisation occidentale.
Répondre à des questions essentielles
Les us et méfaits de la publicité et de la société
de communication sont désormais bien commentés et répertoriés
dans des livres tels que « 14.99 » Euros (anciennement
99 francs) de Frédéric Beigbeder, « No logo »
de Naomi Klein, ou « Glamorama » de Bret Easton Ellis.
Il manquait cependant la « société de consommation
de soi », le livre de Dominique Quessada, pour répondre
à plusieurs questions de fond, peu abordées par les
ouvrages précédents : pourquoi et dans quelles conditions,
historiquement, la publicité actuelle est-elle apparue ? Quelles
en sont les conséquences profondes sur les sociétés
actuelles ? Y a-t-il des liens intimes et méconnus avec l'économie
libérale et nos principes démocratiques mêmes
? La publicité est-elle un fait historique temporaire et sans
grandes conséquences, ou, bien au contraire, la pièce
essentielle d'un « nouvel ordre » politique du monde en
pleine phase d'expansion hégémonique mondiale ?
Vers l'établissement d'un nouvel ordre du monde…
Le principal mérite de ce livre est de faire prendre conscience
d'une imbrication profonde entre publicité et système
économique néolibéral :
La société de consommation repose sur une idéologie
d'origine occidentale : la croyance matérialiste en l'accumulation
matérielle de moyens de puissance – par le biais de
la consommation – en vue d'une démultiplication de
cette puissance – consommer toujours plus. Il s'agit de contribuer
à la vente continuelle et croissante de biens et services.
C'est ce qui fait la particularité et l'originalité
du capitalisme, moteur économique de ce type de société.
Celui-ci s'adresse d'abord à l'individu, et à ses rêves
profonds et infantiles de valorisation de soi, et de satisfaction
de tous ses rêves et désirs. Il est à noter que
c'est, curieusement, un des paradoxes de la démocratie : l'individualisme
est d'origine démocratique. La démocratie, en favorisant
l'individualité diminue le lien social et favorise le laminage
culturel.
L'effet pervers le plus important de cette sécularisation des
pouvoirs divins par l'homme, est le transfert progressif du pouvoir
politique des États vers les entreprises, exprimé par
exemple, clairement et symboliquement, par la privatisation et la
marchandisation des pouvoirs publics.
Or, l'auteur rappelle que, avant d'être matériel, le
pouvoir est d'abord l'effet d'un agencement symbolique. Il n'y a
pas de pouvoir sans un système de croyance qui en fonde l'originalité
et la légitimité…
Cette idéologie, cette conviction particulière d'un
certain ordre des choses – dirigé et contrôlé
de plus en plus par le secteur marchand – ont besoin d'un système
intégrateur et conquérant. Celui-ci doit prouver sa
légitimité, et créer de l'ordre civil, avec un
langage persuasif, pour s'instaurer définitivement en un nouveau
système politique…
« L'auteur révèle les fonctions invisibles de
toute communication publicitaire »
Les rôles cachés de la publicité
À la lumière du chapitre précédent,
l'auteur révèle les fonctions invisibles de toute
communication publicitaire, au-delà de leur vocation première
de vente de biens de consommations :
– maintenir un idéal de vie fondé sur la consommation
permanente de biens matériels ;
– créer des besoins inutiles, et de la nouveauté
permanente pour augmenter la production et maintenir la machine économique
;
– vendre des produits standardisés à l'échelle
mondiale pour cause de coûts de production ET de propagation
culturelle ;
– établir une mythique du pouvoir par les marques (voir
paragraphe suivant) ;
– maintenir et gérer la cohésion du corps social,
par l'idéologie de la consommation ;
– contribuer à la propagation et à la domination
culturelle des valeurs occidentales sur le reste du monde.
Des éclairages différents sur les techniques
de communication actuelle
Cette prise de conscience de l'économie en tant que nouvel
ordre politique mondial amène à observer autrement les
pratiques actuelles de communication :
– L'importance désormais stratégique de la reconnaissance
d'une marque n'est pas seulement que commerciale :
– pour être accepté, ce pouvoir doit générer
un système de croyance – la société de
consommation – qui en fonde l'origine et la légitimité
; la marque est désormais le « signe » visible
et symbolique du nouveau lieu d'exercice du pouvoir politique que
sont les entreprises.
– Au travers d'une individualisation apparente de l'acte d'achat,
les marques assurent aussi une fonction supplémentaire de reconnaissance
sociale, d'identification à une collectivité : on se
sent de plus en plus rattaché à celle-ci, en premier
lieu par des valeurs de consommation – s'habiller en Gap ou
Lacoste – plutôt que que par des fondements culturels,
politiques…
– À travers l'augmentation des pratiques du marketing
direct (s'adresser directement à une personne) — et de
sa corollaire Internet, le « One to One » – l'auteur
constate que le rapport au social se fait dorénavant de plus
en plus au travers d'individus isolés. Ce qui est un signe
très révélateur : là ou la publicité
classique s'adresse à des groupes de gens unis socialement
par des liens et convictions, le marketing direct s'addresse avant
tout à un individu radicalement séparé d'un collectif…
– La communication institutionnelle révèle un
mode de fonctionnement méconnu : entretenir un « flou
» volontaire entre communication et information pour accroître
la conviction du message. Il s'agit, à travers une pseudo-objectivité
de langage, de présenter très souvent une parodie de
message de service public : il faut convaincre que l'entreprise est
mieux armée que l'État pour organiser la société,
parce que plus performante pour transformer la réalité.
Conclusion
La critique profonde et pertinente de la société de
consommation, et les liens « génétiques »
de la publicité avec celle-ci n'est pas nouvelle. Dès
1970, le sociologue Jean Baudrillard, dans son ouvrage « la
société de consommation » (1), a démontré
par exemple que le rôle de la publicité est de suggérer
que « l'on ne peut pas vivre sans acheter », en renforçant
ainsi le poids de l'achat de consommation et de la « dictature
des objets » sur l'individu.
Le livre de Dominique Quessada n'est pas aussi exempt de quelques
lacunes : il aurait été aussi intéressant et
objectif, au-delà d'une critique justifiée de la mondialisation
économique – anonymisation des individus, ratissage
des cultures, etc. – d'en voir aussi les aspects positifs
: elle représente aussi par exemple une chance unique de
faire communiquer et se comprendre les hommes des différentes
cultures de la planète, et de favoriser les métissages.
Dans ce cadre, les différentes approches actuelles pour instaurer
une communication différente auraient pu être commentées.
(2)
Mr Quessada aurait pu aussi dans un souci de réalité
concrète décrire les points de vue et actions pragmatiques
des associations « Anti-pub ».
Ce livre offre néanmoins une vision actuelle et acérée
des évolutions récentes de la société
de consommation et de ses liens avec la publicité, en nous
sensibilisant définitivement sur cette extrême originalité
de nos sociétés modernes : réussir le tour
de force de nous transformer en consommateur… de nous-même,
et d'en convaincre la planète entière.
- Sauveur Fernandez -
En savoir plus
(1) « La société de consommation » de
Jean Baudrillard, 318 pages, Gallimard (Folio).
– On peut aussi lire (ou relire) avec intérêt
sur le même thème, « la societé du spectacle
», de Guy Debord (1967), ou un roman « les choses »,
de Georges Perec (1965).
(2) Voir à ce sujet la communication responsable.
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