|
Vers une déconstruction de la norme
La représentation de la norme au sein de la communauté
gaie et lesbienne est l'objet de cet article et, nous le voyons
bien, au lendemain du P.A.C.S, l'enjeu militant auquel nous devrons
faire face dans ce nouveau millénaire.
Réflexion et travail au cœur de notre population qui
se fragilise sur le plan idéologique, dérape trop
souvent et produit des espaces d'exclusion. Nouvelles solidarités
? Ami(e), Ennemi(e) ? Les espaces de rencontres ne sont pas neutres,
qu'ils soient commerciaux, associatifs, sauvages ou communautiques
(réseaux).
On reproche souvent au milieu commercial (presse incluse) de véhiculer
une image du Mec exemplaire (donc désiré) excluant
nombre d'entre nous.
En réaction à cette représentation normative,
des sous-cultures gaies s'affirment. Si leurs pratiques et comportements
(genre, sexualité etc.) fondent leur identité, leur
visibilité (associations ou commerces spécifiques)
est essentielle pour légitimer leur existence au sein de
la population gaie et lesbienne.
Initialement taxés d'être " à la marge
de la marge " nombre de tendances trouvent une réalité
au sein de commerces gay ou d'associations telles : les Gais Nounours
(Bears), les Gay Skinheads, les Maudites Femelles (Lesbiennes SM),
l'A.S.M.F., les Gay Moto Clubs, le Clan Master, pour ne citer qu'eux.
Pour regrouper cette altérité de conduites et de genres,
déconstruire le pouvoir de la norme et représenter
cette mosaïque identitaire, nous proposons une entrée
conceptuelle : le Queer*.
• Référence : Differences (a journal of feminist
cultural Studies) Queer Theorie, Lesbian and Gay Sexualities Teresa
de Lauretis, 1991 •
Les Tendances :
L'émergence d'une multiplicité de tendances esthétiques
dans l'univers homosexuel masculin rend nécessaire une réflexion
sur l'idée de norme esthétique dominante et provoque
aujourd'hui un débat : es-tu conforme à l'étalon
ou engagé dans un processus minoritaire ?
Illustrons de façon schématique notre propos :
Le look " Kiki " ayant enterré depuis longtemps
celui de clone " butché ", serait-il doublé
par le pseudo-skin " tatoué & piercé "
déjà totalement boosté par la vague "
frapette " (mi petite frappe / mi-tapette) qui remplace depuis
peu le BBd : Boy's Band Décoloré, alors que le jeune
bear reprend du poil de la bête... (oui... bon, facile, certes...
?
L'étalon, face à des processus minoritaires
Le concept, qui semble associé au problème de norme,
serait donc celui d'étalon. Que les petits passifs ne rêvent
pas trop : ce terme sera malheureusement pris en son sens premier
à savoir comme un archétype ou modèle-type
s'appliquant à un groupe de référence.
Si l'étalon est vide de sens...
Déjà, affirmons que l'étalon n'existe qu'en
tant que consensus majoritaire.
Il s'agit bien d'un profil moyen auquel adhère un maximum
de personnes : ni toi ni moi n'en seront la parfaite réplique
: l'étalon reste un archétype tout à fait théorique
et virtuel.
Les propos du philosophe Gilles Deleuze sur l'idée de majorité*
: " la majorité c'est personne - la minorité
c'est tout le monde " conforte notre intuition : tout étalon
de référence est bien vide de sens et, le plus vide
de tous, sera, bien entendu, le plus général, à
savoir l'étalon hétérosexuel : l'Homme, adulte,
mâle, géniteur, citoyen des villes.
Les gays ne pouvant que partiellement entrer dans cette définition
possèderaient donc une subversivité naturelle puisqu'ils
créent des processus minoritaires, c'est à dire, selon
Deleuze, des processus de devenir.
* Référence : L'ABECEDAIRE de Gilles Deleuze , coffret
vidéographique - si un extrait te branche, tu devras télécharger
les dernières version de Real-Audio (version 8) et avoir
un débit de qualité (Numéris, ADSL, Câble).
Nous n'avons que deux voies sur notre serveur - ré-édite
tes tentatives si notre provider te refuse l'accès.
...Existe-t-il un devenir gay ? Avoir un devenir
reviendrait donc à créer par nature des styles et
des attitudes s'écartant de la norme-étalon. Notre
communauté semble très douée dans ce jeu de
rôles, de look in progress quasi permanent substituant les
unes aux autres, dès qu'elles sont instituées, ses
représentation dominantes.
La question serait de savoir si cette " subversive attitude
" relève d'une réelle conscience politique ou
d'un symptôme d'hystérie* propre à la culture
gaie, véritable défi & refus d'adaptation à
la norme sociale.
Il est évident que l'homosexuel normé nous réfutera
qu'il est vraiment " comme tout le monde " en nous assénant
un discours uniformisant et castrateur, retour de bâton de
tout mouvement d'assimilation et de revendication de l'égalité
de droit. Nous avons soulevé cette question dans notre dossier
sur le PaCS et creusé la question dans celui sur l'homophobie.
Nombre de solidarités, de rapports fraternels ou sororels,
partent de nos racines : de ces moments douloureux et solitaires
où notre différence propre (de Pd, de Gouines, de
Transgenre, de bisexuels etc.), synonyme d'exclusion, finit par
s'assumer et, une fois épanouie, devient source et lieu de
rencontres.
Le combat contre l'homophobie est bien celui du droit à la
différence et dépasse les intérêts de
la population homosexuelle. Il se retrouve fortement ancré
dans le mouvement et la théorie Queer, basés sur la
déconstruction du genre, et regroupe tous ceux et celles
qui se posent en différence avec la norme hétéro
ou homo-sexuelle, c'est à dire contre la domination masculine.
Il nous semble utile de souligner le mépris qui s'affiche
ouvertement dans notre communauté envers ceux qui ne sont
pas dans la norme homo-centrée, c'est à dire ceux
qui ne sont pas beau, qui ne sont plus jeune, qui ne sont pas assez
Mec, et je passe sur propos tenu envers les lesbienne et les transgenres
qui ne fréquentent d'ailleurs plus vraiment le milieu gay.
Référence : L'hystérie, le sexe et le Médecin
, Lucien Israël, Psychanalyste. Édition Masson 1983
Loin du Profil de l'étalon gay...
Mais revenons à notre sujet et, avec humour, tachons maintenant
d'établir le profil du pédé moyen véhiculé
dans la presse gaie, pour ne citer qu'elle.
Tout d'abord nous pouvons supposer qu'il reste un être de
sexe masculin, plutôt mâle, de type urbain, politiquement
situé à gauche, plutôt parisianiste que tiers-mondiste,
préférant les sorties au cocooning, ayant des partenaires
multiples, une attitude plutôt safer-sex, une certaine tendance
au culte du le Phallus.
Il prend soin de son physique (peau, musculature etc.), ressentant
depuis peu quelques révoltes contre sa pilosité naturelle.
Toujours enclin à suivre les courants à la mode (tant
esthétiques que culturels), du point de vue sexuel, il rêve
beaucoup et tente de satisfaire son profond désir d'être
: non seulement actif-passif, mais, évidemment, TTBM, mais
se retrouve en fait à mater des gogos ou les porno-stars
des Falcon'studios face au désespoir certain d'être
si imparfait.
Bref, même si cette description très schématique
ne fait pas l'unanimité et porte à sourire, la majorité
d'entre nous y trouvera quelques repères, sur ce qu'il est,
n'est pas, désirerait, refuserait d'être...
... As-tu un devenir ?
Le petit jeu que nous te proposons maintenant est donc de "
mesurer " ton écart à cet étalon gai idéalisé
(que nous avons clairement défini) pour savoir si tu te situes
dans un quelconque processus de devenir (qu'il soit génial
ou tragique : qu'importe !).
Pour cela, nous avons tracé des échelles d'ordonnancement
de quelques caractères pertinents des modes de vie gais :
situe ton comportement sur chacune de ces échelles et trace
ton profil personnel en reliant les points les uns aux autres verticalement.
Tu peux alors comparer ton profil à celui de l'étalon
gai que nous te proposons à la lecture de notre magazine.
Plus ton profil s'écarte de l'étalon, plus tu engendres
un processus minoritaire c'est à dire processus d'altérité.
Si c'est le cas, tu es quelqu'un de courageux : tu élabores
un " devenir " (à la Deleuze), et je t'entends
déjà murmurer " je suis unique au monde "...
Premier exemple : le Pédé depuis peu bucolique mais
tiers-mondiste depuis toujours, lobotomisé par excès
de poppers et d'exctasy, excessivement mâle mais désespérément
passif, ayant une toute petite queue mais terriblement musclé,
cloné skin à fond mais totalement soumis, fétichiste
du Latex, aura, certes, un fort devenir suivant Deleuze mais probablement
une destinée assez tragique s'il ne sait manipuler sa différence
comme une attitude légitime et subversive (je trompe le monde...).
Second exemple : le Pédé très urbain, considérant
que le vaste monde se termine aux périphérique, lisant
Jean Genêt en écoutant Portishead sur les plages naturistes,
imberbe et finement musclé à la peau mate ou caroténisée,
actif dominant et plutôt bien pourvu, séduit par le
concept de frappette , préférant donc au Gay Tea Dance
les après-midi " Black, Blanc, Beur " des Folies
Pigalle, est manifestement sur la voie d'un devenir moins extrême,
et moins radical, que le précédant mais nettement
plus confortable...
Tout cela est totalement schématique et guère sérieux
mais le schéma est un outil méthodologique des représentations
: ici du désir d'objet (et non d'un objet de désir).
Q comme Queer
Tout d'abord le nom d'un l'ouvrage de référence français
: Q Comme Queer est publié par l'association ZOO, à
partir de ses séminaires de recherche (1996-2000), dirigés
par Marie-Hélène Bourcier. Vous le trouverez facilement
aux Mots à la Bouche.
Le mouvement Queer conteste le construction sociale dominante. La
base du discours n'est plus l'identité unique, qu'elle soit
gaie ou lesbienne, mais la diversité par rapport à
la question du genre et du sexe.
Sur le plan politique Actup (Aids coalition to unleash Power) et
Queer Nation (1990) sont nés aux états-unis. Le mouvement
Queer conteste ou plutôt se confronte au mouvement réformiste
/ assimilationniste, mais son impact est surtout culturel et intellectuel.
Sur le plan plan théorique le Queer d'attaque à toute
formes de représentations dominantes : qu'il s'agisse de
celles des hommes, des femme, des gays, des lesbienne, des bisexuels.
L'idée est de déconstruire les représentations
et les catégories, de transgresser les images, de s'intéresser
aux marges, aux différences, d'interroger les images, l'art,
la mode, l'expression artistique ou cinématographique.
Du point de vue académique, l'impact Queer est important,
rejoint le courant post-moderniste. Les courants philosophiques
rattachés au Queer réfèrent à Foucault,
Dérida, Gilles Deleuze. Le QUeering est une théorie
du Pouvoir, de la réaction / relation au pouvoir. Beaucoup
de femmes au niveau académique et universitaire s'investissent
sur la Question Queer.
Les textes de Judith Butler sur la performativité fondent
le discours actuel. Elle travaille sur construction performative
du genre, mais Butler se définit comme féministe et
non comme Queer.
Savoir = pouvoir
Le Queer c'est aussi la guerre des Images - Il existe un cinéma
Queer (voir Go Fish de Rose Troche, 1993 dans la sélection
Millénium de notre rubrique Cinéma), des vidéo
et des films produits par les militants de la Lutte contre le Sida.
C'est aussi à ce titre que l'association ZOO a défendu
le film " Baise Moi ", lors de sa censure, l'an passé.
Bibliographie
Halperin David. Saint Foucault, Coll. Les grands classiques de l'érotologie
moderne, Ed. EPEL,2000,160p
Bourcier M.H (dir.). Queer Zone, politiques des identités
sexuelles, des représentations et des savoirs, Paris, Collection
Le Rayon/Modernes, 2001, éd Ballan., 310p
Bourcier Marie-Hélène (dir.). Q comme Queer, Lille,
GKC, Collection gai-Kitsch-Cam, 1999, 128p.
Lestrade Didier. ACT-UP: UNE HISTOIRE. L'histoire du mouvement en
France, Denoël Impact.
Wittig, Monique. La pensée straight, Questions féministes,
N°7, 1980 p45-53.
Origine : http://www.gayways.to/Queer.htm
|