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Là où s'érigent la norme, la Nature, l'ordre,
les périphéries se peuplent d'individu-e-s insolent-e-s
et peu recommandables. Gynandres, andromorphes, gender-fuckers,
mu-tantes…
Créatures chimériques de la postmodernité,
de la « postmodernitude » branchée ?
Peut-« on » d'un simple discours rationaliste «
les » renvoyer aux placards — à pharmacie ? Certain-e-s
acquiescent vivement, bible, seringues et camisoles sous le bras.
Malheureusement pour eux / elles, il est trop tard : les queers
se sont déjà emparé-e-s de la parole ! Mais
qui sont-els ?
Ce qui suit est un très rapide survol de la militance et
de la théorie queer. Le terme lui-même tout d'abord
: littéralement, il signifie étrange, « louche
», mais c'est aussi une insulte lesbo/gay-phobe dont ont fait
les frais plusieurs générations de non-hétéros.
La réappropriation du mot par un ensemble de militant-e-s
à la fin des années 80, aux Etats-Unis, marque donc
un tournant générationnel dans le domaine des luttes
autour des sexualités. Aux revendications structurées
essentiellement autour des identités gay et lesbienne succède
un discours non identitaire, anti-assimilationniste et s'en prenant
non plus seulement à l'intolérance ou à l'hétérosexisme,
mais directement aux contraintes de la normalité.
Ce renouveau est en partie dû à l'effritement de la
politique communautariste, ses rapports de pouvoir internes entraînant
des divisions et de nouvelles marges : les « folles »
chez les gays, les S/M chez les lesbiennes, etc. ; tout ce qui ne
ressemblait pas à l'image du / de la citoyen-ne américain-e
respectable — blanc-he, en bonne santé, physiquement
« attirant-e » et bien intégré-e à
la société de consommation. Bien sûr, dans ces
rapports de pouvoir et ces luttes de représentativité,
les hommes et les femmes n'occupaient pas la même position
(car une femme est opprimée aussi en tant que femme) et les
débats qui les préoccupaient n'étaient pas
en tous points identiques. Bref, le sida étant passé
par là aussi, avec son lot de discours stigmatisant sur les
« populations à risque », des alliances se sont
créées autour d'un nouvel activisme insolent et protéiforme,
dont Act Up est assez représentatif.
C'est justement suite à une réunion d'Act Up New York
que fut créé Queer Nation en 1990, expression la plus
médiatisée de l'activisme queer. Ce dernier s'adresse
à toutes celles et à tous ceux qui se définissent
en dehors des normes identifiées de sexe/genre et de sexualité,
en contradiction avec elles, ou jouant sur le brouillage de ces
catégories sur lesquelles se fonde le système hétérosexuel.
Mais il y a de multiples manières d'être queer et aucun
critère particulier n'est central dans la définition
du mouvement : il ne peut y avoir de modèle défini
de l'« étrangeté » ou de l'« anormalité
».
Pour Queer Nation, il s'agit de mettre en évidence le fait
que la sexualité n'est pas juste une affaire privée
et que les normes hétérosexuelles sont omniprésentes
dans l'espace publique, que l'on parle d'espace physique ou médiatique,
idéologique. Son but est de rendre cet espace véritablement
démocratique (d'où la référence à
la nation), sans danger et source de plaisir pour tou-te-s. Sa tactique
est de visibiliser de vastes espaces de normalisation, de franchir
les frontières balisées ou invisibles (implicites)
entre le monde normal et le monde queer. Les militant-e-s de Queer
Nation s'exhibent donc dans des espaces où la sexualité
n'est a priori pas en jeu, comme les grands magasins le samedi après
midi. Ainsi, tout en mettant en évidence la dimension sexuelle
qui traverse ces lieux, els brouillent, ou transgressent, la distinction
entre univers queer et non queer. Le malaise et les réactions
provoqués mettent en évidence l'énergie dépensée
par la communauté normale pour préserver son espace,
consolider et surveiller ses enceintes en tenant à distance
les formes polymorphes de sexualité.
Les « Queer Nights Out » sont une autre façon
de perturber le cours paisible des pratiques et représentations
normalisées. En s'introduisant dans des bars et lieux de
consommation straight, les activistes de Q. N. dénoncent
la ségrégation. Mais els ne le font pas par la protestation
: els se contentent de se comporter tout « naturellement »
comme els le feraient dans des lieux gay ou lesbiens, par exemple.
Els tendent ainsi à imposer à la vue de tou-te-s un
autre univers affectif ordinaire. « Sortir du placard sans
rentrer au ghetto », pourrait être la devise de ce type
d'actions. Elles permettent, là encore, de passer outre les
garde-fous hétérosexuels en bousculant au passage
les positions de tolérance : le mode de vie queer et ses
plaisirs échappent tout à coup à la domestication,
ils s'imposent de manière improvisée (hors du cadre
policé des Prides annuelles) sur les scènes mêmes
où se déroule habituellement le spectacle hétérosexuel
normal. Les activistes de Q. N. mettent en évidence la fragilité
des frontières érigées et le « risque
» d'imprégnation généralisée de
la société qu'els représentent ; ce faisant,
els inversent l'usage ordinaire du pouvoir en montrant que l'intégrité
de l'espace social et culturel de la « majorité »
est aussi soumise à la bonne volonté — contrainte
— des transgenres, lesbiennes, bisexuel-le-s, gays, etc. de
rester invisibles…
Parallèlement, un courant queer s'est développé
dans les universités américaines et représente
à présent un véritable champ académique.
L'objet de la théorie queer est l'étude critique des
processus de construction identitaire autour des questions sexuelles.
Ce qui implique, en fait, une approche décentrée et
déconstructive des catégories présentées
comme évidentes dans le système de savoir et de pouvoir
hétérosexuel. Les théoricien-ne-s queer montrent
que ce système est structurant y compris pour les minorités
insurgées que sont censées représenter les
identités lesbienne et gay. Ces dernières se définissent
bel et bien par rapport à un référent central
qui est l'hétérosexualité et son découpage
binaire du monde — mode de pensée qui n'est alors pas
remis en cause directement. C'est le propre de tout processus d'identification
que d'impliquer une altérité subordonnée. Ainsi,
dans l'opposition hétéro / homo, seul le second terme
suscite interrogations théoriques, éthiques, juridiques
et médicales. A l'inverse, la dimension contingente de l'hétérosexualité
est systématiquement occultée. Ainsi, dans le concept
d'« orientation sexuelle » l'hétérosexualité
représente le référent neutre par opposition
à l'homosexualité comme différence problématique.
Outre le fait qu'elle occulte ou dénigre le plus souvent
la bisexualité, la référence centrale à
cette notion d'« orientation sexuelle » au sein des
minorités sexuelles pose d'autres problèmes très
concrets. Ainsi, la relégation au second plan des différences
telles que le sexe, l'origine ethnique, la classe socio-économique
; comme si toutes ces caractéristiques n'étaient que
des couches successives et secondaires autour du noyau identitaire
« homo ». Cela prend alors la forme d'une nouvelle normativité
sexiste, raciste et classiste (entre autres), par occultation (ou
par rejet pur et simple), qui a tout de commun avec celle de la
société hétéronormée. Il ne s'agit
pas de figer de nouvelles identités (sous-cultures) mais
bien de montrer les différentes dimensions de pouvoir qui
traversent la vie des individu-e-s, et d'exposer les implications
multiples de chaque positionnement social.
Dans un même temps, les auteur-e-s du champs queer tentent
de démontrer le caractère construit et toujours intrinsèquement
hiérarchisé de ces différences et oppositions
binaires, comme dans le cas des sexes. La division de l'humanité
en deux catégories distinctes, hommes et femmes (mais l'humanité
= l'Homme), ne va pas de soi, y compris sur un plan physiologique
ou anatomique. La logique de complémentarité reproductive
réduit un nombre infini de variables (hormones, protéines,
chromosomes etc. aux possibilités de corrélation multiples)
à un système classificatoire dichotomique qui relève
directement du politique, et dans lequel on remarque une extrême
confusion entre les organes sexuels (désignés comme
tels) et reproductifs, les zones érogènes et l'orientation
du désir. Alors, que dire des implications sociales, matérielles
et idéologiques — la misogynie est sans doute le préjugé
le mieux partagé —, du fait d'être désigné-e
femelle ou mâle à la naissance ?
Dans cette optique, ce sont sans doute les queers qui, dans l'analyse
comme sur le terrain, laissent le plus de place à des minorités
qui sont habituellement traitées comme des bêtes curieuses
ou bien reléguées aux notes de bas de page : transsexuel-le-s
et transgenres, avec toutes les variations possibles.
Bref, la queerness ce n'est vraiment pas normal, et c'est
pénible à définir et à s'approprier
: ce n'est pas un look, ni même une pratique sexuelle, encore
moins une identité. C'est la volonté de rejeter le
sentiment protecteur de cohésion identitaire au profit d'une
déstabilisation des repères mêmes qui fondent
l'hégémonie de l'hétéronormalité…
tout en reconnaissant les implications de chacun-e par rapports
aux divers référents sociaux (et non naturels) qui
font qu'il existe des centres et des marges, des oppresseurs et
des opprimé-e-s.
Quelques liens queers:
It's time to end the gay rights movement as we know it
http://www.suba.com/~outlines/broadside/index.html
En anglais. Excellent site queer au sens politique du terme : radicalement
critique mais constructif, diversifié et argumenté.
On y trouve des textes et infos sur le sida, les femmes, les minorités
ethniques, la pauvreté et les problèmes rencontrés
par les jeunes (queer ou straight).
Act Up New York
http://www.actupny.org
En anglais. Un site exemplaire en matière d'infos et d'activisme
concernant le sida. Des dizaines de documents alliant connaissances
précises et pragmatisme sur la prévention, les traitements
mais aussi les aspects juridiques, l'histoire, etc. : efficace !
Queer War Society
http://www.geocities.com/CapitolHill/Lobby/6371/intro.html
En anglais. Site anarcho-queer décapant où l'on trouve
pas mal de textes, dont certains classiques du mouvement queer depuis
son début. En revanche, le thème du sida est traité
de manière assez marginale.
Theory, gender and identity resources
http://www.theory.org.uk/resources.htm
En anglais. Le principal site de Theory.org.uk (dont l'objet est
l'étude des médias et de la communication), consacré
à la théorie queer, à ses idées et auteur-e-s
clés : des résumés, des articles, des refs
bibliographiques… Il s'agit d'un grand site à accès
multiples mais très pratique grâce à une présentation
originale et très belle. Els proposent même des cartes
récapitulatives à se mettre dans la poche ! Ca vaut
le détour, c'est certain. Hélas, trois fois hélas
: quasi rien sur le sida…
Lesbian Avengers
http://www.lesbian.org/chicago-avengers
En anglais. Les Lesbian Avengers sont un groupe activiste non violent
pour la visibilité des femmes lesbiennes, bisexuelles et
transgenres. Il s'agit du site de Chicago, mais il en existe aussi
à San Francisco, Atlanta et Boston entre autre. Malheureusement,
leurs sites ne sont pas toujours très à jour
ZOO
http://perso.club-internet.fr/domarco/SQIndex.htm
En français. Le site de présentation générale
du Zoo, une partie de la mouvance queer à la française,
militante et intello, s'adressant à toutes les espèces
en voie d'apparition. Là encore des idées radicales
mises en actes et en séminaires. Il semble que le site n'ait
pas été mis à jour depuis 99. La suite se trouve
sur une autre page, ouvrant notamment sur un forum consacré
au « dégel du genre », ainsi que sur des contacts
internationaux non spécifiquement queer :
http://perso.club-internet.fr/natamauv/Zoo.html
Malheureusement, là encore pas de nouvelles très fraîches,
à moins qu'els ne se soient encore échappé-e-s
: faites nous savoir si vous avez retrouvé leurs traces sur
la toile!
Origine : http://www.multisexualites-et-sida.org/presentation/queer.html
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