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Au début de tout ça...
Queer, c’est une création américaine datant
de la fin des années 80. Queer, ça comprend d’une
part un mouvement politique (‘Queer politics’) et d’autre
part une base pour des réflexions politiques (‘Queer
theory’). ‘Queer theory’ analyse le mouvement
mais effectue aussi un travail indépendant.
Le mouvement queer est le résultat de tendances et réflexions
diverses. Les effets sociaux dus à l’épidémie
du sida représentaient un motif déclencheur. A cette
époque, les mouvements réactionnaires se mettaient
à utiliser le sida pour attiser des préjugés
homophobes en l’associant exclusivement à l’homosexualité.
Celle-ci devait ainsi redevenir une maladie dont la juste punition
devait être le sida. Les malades et les infectéEs ont
été abandonnéEs. Parfaitement ignoré
par le gouvernement Reagan et son administration, le problème
du sida ne réussissait pas à débloquer les
fonds nécessaires pour la recherche et les soins. Faute d’assurance-maladie
fixée par la loi américaine, beaucoup de gens ne pouvaient
pas se permettre de suivre une thérapie. D’autres s’appauvrissaient
en payant cher les traitements ou bien par incapacité de
travail. Appartenant traditionnellement à des couches sociales
plutôt pauvres, les gens de couleur étaient spécialement
touchés, mais aussi les blancs de la classe moyenne.
Cependant le groupe des concernéEs par l’épidémie
perturbait la communauté gay préoccupée par
la recherche de sa vérité. Jusqu’à présent,
la communauté gay n’avait pas vraiment sympathisé
avec les prostituéEs ou les consommateurRices de drogues
qui maintenant étaient fortement représentéEs
au sein du grand groupe des concernés. De toute manière,
le virus ne fait pas de différence entre l’intérieur
et l’extérieur du placard. Cette situation a généré
une "politique de la colère" très provocatrice.
Fondé en 1987, Act up (AIDS Coalition To Unleash Power) attirait
avec ses actions spectaculaires l’attention médiatique
sur la situation des homos séropos et malades.
Afin de transmettre le message préventif du safer sex de
manière appropriée, il fallait une remise en cause
des identités. Ainsi les garçons pratiquant le sexe
avec d’autres garçons sans se considérer homos,
étaient aussi un groupe à risque, même si leur
culture proposait une autre conception de l’homosexualité.
En outre surgissait la nécessité de parler des pratiques
sexuelles ce qui faisait souvent rougir le public hétérosexuel.
La nouvelle critique face au concept d’identité communautaire
gay coïncidait avec un malaise général ressenti
par beaucoup de gays et de lesbiennes, un malaise dû à
l’institutionnalisation du mouvement gay. La ‘Gay Communauty’
voulait voir les gays et lesbiennes comme une ethnie à part
qui revendique l’égalité en droits, tout comme
d’autres minorités, notamment les noirs et les gens
de couleur. Mais dans tout ça, on se référait
tacitement au ‘mainstream’, le courant principal des
gays blancs de classe moyenne solvables et favorables à l’assimilation.
Ce courant marginalisait alors les gays et lesbiennes d’autres
ethnies ainsi que les Tantes, les Folles, les SM-istes et les prostituéEs.
En réponse à cela, les ‘Queer politics’
se sont efforcés de recentrer ces positions marginales. Leurs
moyens de lutte étaient des looks et comportements excentriques
ou des spectacles et des actions en publique comme par exemple les
‘kiss-ins’. Lors d’une telle action à New
York, la bourse a été occupée. Une banderole
dénonçait le pouvoir qu’exerçait l’industrie
pharmaceutique sur les personnes séropositives et les malades
du sida. Le nombre de gens qui descendaient maintenant dans la rue
augmentait, et c’est ces gens-là qui allaient former
un nouveau collectif nommé aussi ‘Rainbow Coalition’
(‘coalition de l’arc-en-ciel’). Ce symbole représentait
la diversité à l’intérieur du collectif
ainsi que celle de touTes les excluEs de la société.
Par ailleurs, l’arc-en-ciel symbolisait aussi une attitude
provocatrice contre la culture du ‘gay mainstream’ (‘courant
gay principal’, ndlt.).
V u les nouvelles responsabilités à assumer au niveau
des soins, les liens sociaux à l’intérieur de
la communauté gay se voyait alors mise à l’épreuve.
La confrontation permanente avec la maladie et le marasme physique
menaient à la dénonciation de l’idolâtrie
des modèles idéalisés de la beauté physique
gay. En tombant malades, de nombreux gays et lesbiennes se croyant
socialement bien intégréEs, se voyaient soudain de nouveau
exposéEs à l’homophobie et la lesbophobie de la
société hétéro: les partenaires se faisaient
refuser l’accès au chevet de la/du malade; le deuil des
survivants était méprisé; vu sa stigmatisation,
la maladie était niée. [...] Même si l’épidémie
n’a pas fait autant de victimes chez les lesbiennes, celles-ci
souffraient tout autant de la phobie croissante. Depuis les années
85, dans un climat économique de crise, des mouvements réactionnaires
tentent de faire basculer les lois anti discriminatoires acquises
dans quelques-uns des Etats américains. C’est entre autre
ce problème-là qui a fait que de nombreuxSes activistes
se sont distanciéEs de la politique séparatiste des
années 70 afin de trouver de nouvelles formes de collaboration
entre les différentes luttes.
Mais d’où vient donc l’expression ‘queer’?
Elle a été choisie parce qu’en anglais, elle
désigne de manière flexible les personnes qui ne correspondent
pas à la conception morale américaine du monde de
la famille blanche, chrétienne et hétérosexuelle.
‘Queer’ est en effet une injure qu’on pourrait
traduire par ‘pervers’ ou ‘anormal’. Le
fait de se donner cette autodéfinition implique ainsi une
attitude militante provocatrice et agressive. Si l’on utilise
le mot ‘queer’ en français, l’expression
perd alors les implications mentionnées, son côté
métaphorique. ‘Queer’ ne signifie donc pas simplement
‘gay et lesbien’ mais regroupe divers combats contre
l’ordre social des sexes et des sexualités, de l’homme,
de la femme, des personnes homosexuelles, hétérosexuelles,
transsexuelles, travesties, des tantes, des folles et des personnes
sans sexe défini. Par conséquent, le but du mouvement
queer ne réside pas dans l’assimilation par la société
majoritaire mais plutôt dans une attaque contre le centre
de celle-ci. En tant que système de pouvoir, l’hétérosexualité
est alors prise entre deux feux par la critique queer puisque non
seulement ce système standardise les corps et leurs rapports
mais il prétend en plus que cet ordre imposé est naturel
car existant depuis toujours. Ainsi les estropiéEs et les
êtres fous doivent être considéréEs comme
"victimes" de cette standardisation au même titre
que les gays, les lesbiennes, les transsexuelLes et les intersexuelLes.
Vous direz peut-être que la notion de queer reste trop vague
pour servir de perspective politique. Mais il faut tenir compte
du fait qu’il s’agit d’une politique d’alliance
qui ne vise nullement à niveler les identités diverses
qu’elle regroupe. Prenons en considération aussi le
fait que le fonctionnement du système responsable n’est
pas du tout vague en ce qui concerne ses mécanismes d’exclusion
sociale. Le charme du pouvoir hétérosexuel réside
justement dans le fait que ce pouvoir s’étend à
travers des domaines qui, a priori, n’ont rien à voir
les uns avec les autres et surtout pas avec la sexualité:
le privé et le public, "la nation" et "la
race", la nature et la culture, la vérité et
le secret, la femme et l’homme, la mère et l’enfant,
le désir et l’identité.
Aux Etats-Unis, la famille hétérosexuelle constitue
le foyer de la "nation". Ainsi la famille assure la reproduction
et la pureté de la "nation". C’est par provocation
qu’en 1990, l’organisation ‘Queer Nation’
a été fondée. L’un des slogans scandés
lors des manifestations de ‘Queer Nation’ disait: "We’re
here, we’re queer! Get used to it!" ("Nous sommes
là et nous sommes queer! Habituez-vous-y!"). En 1992,
une autre organisation a vu le jour, celle des ‘Lesbian Avengers’
(‘les vengeresses lesbiennes’). Leurs actions publiques
étaient aussi spectaculaires, notamment leurs manifestations
devant les écoles où elles demandaient aux élèves
ce qu’on leur apprenait sur les lesbiennes.
La suite à tout ça...
Dans le contexte de la prétendue dédramatisation de
la crise du sida et de la prétendue tolérance de l’administration
Clinton, le mouvement queer est devenu moins important, du moins
aux Etats-Unis. Parmi les groupes queer mentionnés, la plupart
ont cessé d’exister. Beaucoup de transsexuelLes et
des dits ‘gender non-conformists’ allaient se retrouver
dans le mouvement transgenre. IlsElles se sont retiréEs du
mouvement queer pour se soustraire au risque d’une dominance
lesbi-pédale trop focalisée sur la sexualité
au détriment des questions de genre1.
Entre-temps, ‘queer’ est partiellement devenu un phénomène
de mode (surtout aux Etats-Unis, ndlt). L’utilisation du terme
‘queer’ se limite alors souvent à la désignation
superficielle de certains modes de vie subculturels. Vu comme modes
de vie extravagants et comme ‘lifestyles’, ‘queer’
est devenu commercialisable. "Au niveau du discours, on continue
à séparer le politique du sexuel. Selon le discours
bourgeois et libéral, les ‘possibilités de choisir’
sont individuelles et privées [...]. La sexualité
comme marque et expression du soi n’est pas mise en cause
puisque la logique de la commercialisation s’étend.
Et l’hétérosexualité devient simplement
un peu plus contradictoire dans ce contexte."2 Cependant l’homosexualité
reste un phénomène de luxe. Pendant les périodes
de stabilité économique, elle est tolérée.
Mais en période de crise, elle peut réveiller facilement
les vielles homophobies/lesbophobies à cause des clichés
de décadence et d’exubérance, même si
ces derniers ne correspondent que rarement aux réalités
lesbi-pédales.
Queer dans l’Union Européenne, qu’est-ce
que ça peut donner?
L’Europe occidentale dispose heureusement d’un système
d’assurances-maladie relativement performant. Ici nous n’avons
pas connu les mêmes catastrophes concernant le VIH et le sida
qu’aux Etats-Unis. Contrairement à d’autres pays
de l’UE et notamment la France, le parlement allemand a débloqué
assez rapidement des fonds. Il s’est décidé
pour un concept de prévention au lieu d’un concept
d’isolement avec internement initialement discuté.
En outre, la recrudescence des discours nationalistes en Allemagne
s’inscrit dans des traditions de pureté plutôt
nationale que sexuelle et a ainsi mené non pas à des
campagnes homophobes mais plutôt à des campagnes xénophobes
et racistes tout aussi écœurantes. Nous avons dû
l’apprendre encore récemment.
En conséquence, l’importation de ‘queer politics’
dans le contexte de l’UE ne s’est pas faite de la même
manière partout vu les différentes conditions. La
mise en pratique de ‘queer politics’ en Europe n’a
pas acquis la même place qu’aux Etats-Unis. L’expression
‘queer politics’ chez nous aujourd’hui est utilisée
surtout pour des organisations subculturelles mixtes (lesbi-pédales)
dont les revendications sont plus souvent commerciales que politiques.
Et pourtant, nous avons connu en Europe des groupes militants et
des actions comparables à celles des ‘queer politics’
des Etats-Unis: à Berlin, on créait ‘Queer Action’
en analogie avec ‘Queer Nation’. Aux niveau des luttes
sida, ‘Act up’ et les ‘SPI’ (‘Sœurs
de la perpétuelle indulgence’) représentent
des phénomènes importés semblables. Les ‘sœurs’
ont inscrit dans leur livret de famille qu’elles s’engagent
à être indulgentes pour toujours envers les p’tits
VIHs afin de les libérer de toute culpabilisation. Bien que
ça reste un dogme indigeste pour les cathos, les ‘sœurs’
s’efforcent sérieusement de faire reconnaître
leur congrégation par sa Sainteté le Pape. [...] C’est
en fringues peu viriles qu’elles vont dans le milieu gay où
elles font des collectes d’argent ainsi que de la prévention.
N’oublions pas la ‘Tunten-Terror-Tour’3 il y a
quelques années. Et aussi le ‘char des rats’4
à Berlin lors du CSD’97 (‘Christopher-Street-Day’
_ ‘Lesbian and Gay Pride’). Et aussi les ‘Queer
Adventure Tours’5 organisés par les ‘Queerulanten’6
de Berlin. (Et aussi en 95 la ‘International Queer Liberation
Tour’7.)
Puisqu’elles ont comme but de rendre visibles des réalités
de vie normalement rendues invisibles, les actions ‘queer
politics’ se font souvent sous forme de spectacles très
provocateurs. La parodie et le travestissement sont des méthodes
courantes pour ébranler la puissance des idées normatives
de la société. (Cependant de nos jours, le carnaval
des CSDs ne peut pas être considéré comme une
action ‘queer politics’.) C’est pour ça
que ‘queer politics’ n’a pas grand-chose à
voir avec une organisation des masses; il peut plutôt être
vu comme une guérilla de communication. ‘Queer’,
ça n’a pas de programme de parti, ce qui serait d’ailleurs
en contradiction avec les structures d’alliance et de collectifs.
‘Queer’, ça ne représente pas une politique
de représentantEs mais ça réagit plutôt
sur la base du vécu de chacunE. ‘Queer’, ce n’est
surtout pas une nouvelle doctrine de la grâce! Queer, on ne
l’est pas, sauf si on le fait!
Notes:
1 Le ‘genre’est le rôle social (p.ex. ‘femme’)
qu’un enfant apprend à jouer. Ce rôle avec toutes
ses implications est attribué par la société
normative selon le sexe biologique. La société ne
fait d’ailleurs pas de différence entre le sexe biologique
et le sexe social (=genre) puisqu’elle prétend que
tout ça est ‘naturel’. (ndlt.)
2 Corinna Genschel: "Umkämpfte sexualpolitische Räume.
Queer als Symptom" in: Sabine Hark, Stefan Etgeton: Freundschaft
unter Vorbehalt. Chancen und Grenzen lesbisch-schwuler Bündnisse,
Berlin 1997, page 91
3 tournée surtout à travers l’Allemagne d’anarkopédales
travesties avec des action politiques, ndlt.
4 Ce char anarkopédal s’efforçait de salir avec
de la boue la nouvelle capitale purificatrice. Le char a été
exclu officiellement de la manif et les flics sont intervenus. Appelés
en urgence, une centaine de punX l’ont défendu et le
tout a fini en baston avec les flics.
5 C’est des voyages organisés pour aller à des
manifs (notamment antifas) un peu partout depuis Berlin.
6 groupe ‘antifa’ berlinois ‘queer’, issu
de l’ancien groupe ‘Schwule Antifa’ (antifa gay),
ndlt.
7 C’était une tournée de pédales, lesbiennes
et transgenres à travers plusieurs pays d’Europe occidentale
et orientale (sauf la France) avec des actions politiques, des spectacles
et des soirées. (ndlt.)
Les traductrices de BangBangDataUnltd. tiennent à remercier
Nuttella de Lirio qui a envoyé le texte ci-dessus à
BB, de leur avoir facilité le travail. Le texte sus-mentionné
est disponible en version originale allemande sur demande chez BangBangDataUnldt:
bangbang1969@free.fr
Origine : http://bangbang1969.free.fr/pageshtml/bangbang1/Queer.htm
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