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Avertissement
Mail de Loïc Wacquant septembre 2010
Merci de retirer toute mention de l'ouvrage PUNIR LES PAUVRES de
votre site: il s'agit d'une version contrefaisante, version truquee
et tronquee de mon travail publiee sans contrat ni bon a tirer par
Agone, contre ma volonte explicite et expresse. Cet ouvrage est
une tromperie; ce n'est pas le mien; il ne figure pas a ma bibliographie,
merci de ne pas me l'attribuer. Vous pouvez lire la version complete
et conforme de mon travail en anglais, PUNISHING THE POOR, Duke
University Press, 2008.
Cordialement,
Loïc Wacquant
Professor, University of California, Berkeley
Chercheur, Centre de sociologie européenne, Paris
http://sociology.berkeley.edu/faculty/wacquant/
Department of Sociology
University of California-Berkeley
Berkeley CA 94720 USA
fax 510/642-0659
Origine le journal suisse Le Courrier
http://www.lecourrier.ch/modules.php?op=modload&name=NewsPaper&file=article&sid=3601&mode=thread&order=0&thold=0
http://www.lecourrier.ch/print.php?sid=3601
MONA CHOLLET
Paru le Mardi 02 Mars 2004
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CONFÉRENCE -
Travail précaire, incarcération massive et ségrégation
ethnique:
à partir du cas étasunien, le sociologue français
montre un même mécanisme à l'oeuvre dans tous
les pays développés.
Dans les années nonante, le sociologue français Loïc
Wacquant, disciple de Pierre Bourdieu, pratique la boxe dans un
club du ghetto noir de Chicago où il est le seul Blanc. Tous
ses camarades d'entraînement ont fait de la prison («tu
n'en as pas fait, toi?» lui demande l'entraîneur un
brin surpris). L'un d'entre eux, devenu son ami, lui explique que
l'économie de la rue lui permet d'échapper à
ce qu'il appelle les «boulots d'esclave» (slave jobs)
– c'est-à-dire les emplois dérégulés
de l'économie des services.
Début 1998, il est arrêté en possession de
moins de cinq grammes de drogue. Wacquant, qui enseigne désormais
à Berkeley, prend l'avion d'urgence pour venir témoigner
à son procès. Son intervention vaut à son ami
de n'écoper que de... six ans de prison: c'est le minimum
que le juge doit lui infliger en raison du système de «peines
plancher» pour les récidivistes. Sorti il y a quelques
semaines, il écrit dans une lettre: «Maintenant, les
slave jobs, je suis obligé de les prendre. Sinon je risque
de ne plus revoir mes gosses.» En raison de ce système
qui fait sans cesse monter les enchères, il risque en effet
la prison à vie à la moindre infraction.
L'expérience du club de boxe est un condensé de tous
les éléments qui vont inspirer à Loïc
Wacquant les thèses développées dans Les prisons
de la misère puis dans Punir les pauvres, qui paraît
ces jours-ci. Il y montre comment, aux Etats-Unis, «la main
droite de l'Etat jugule les désordres créés
par sa main gauche»: d'un côté, on sape les aides
sociales et on flexibilise le marché du travail; de l'autre,
on incarcère massivement: le taux d'emprisonnement ne cesse
de grimper (depuis le milieu des années septante, la population
carcérale a doublé tous les dix ans) alors même
que le taux de criminalité stagne ou baisse.
TRANSPOSITION FRANÇAISE
Et ce modèle s'exporte: Les prisons de la misère
a été traduit en treize langues, ce dont l'auteur
n'est pas sûr qu'il y ait lieu de se réjouir. Il y
a quelques jours, débarquant à Paris, il tombe, dans
Le Monde du 26 février, sur ces deux titres: «M. Sarkozy
insiste auprès des députés de l'UMP pour durcir
les peines contre les multirécidivistes»; et, juste
en dessous: «François Fillon veut contrôler davantage
les demandeurs d'emploi». A l'école Normale Supérieure,
où il donnait une conférence vendredi dernier, un
auditoire archibondé l'accueille comme une rock star: «Je
me doute que ce n'est pas pour ma personne que vous êtes là,
mais parce que les thèmes que je traite sont hélas
d'actualité...» Difficile, en effet, lorsqu'il évoque
la «loi sur le travail et la responsabilité individuelle»
paraphée en 1996 par le président Clinton, qui transformait
le welfare en workfare, de ne pas penser au passage du Revenu minimum
d'insertion (RMI) au Revenu minimum d'activité (RMA) opéré
par le gouvernement Raffarin. Là où Clinton disait
vouloir «mettre fin au welfare comme way of life», Raffarin
martèle la nécessité de «redonner aux
Français le goût du travail». Dans les deux cas,
on insiste «sur les obligations des pauvres envers l'Etat
et non plus l'inverse». La loi Perben II de réforme
de la justice, très contestée, s'occupe quant à
elle de durcir l'Etat pénal.
DIVISION ETHNIQUE
Qu'est-ce qui disposait les Etats-Unis à devenir le laboratoire
de cet Etat d'un nouveau genre, libéral pour les gros, et
paternaliste pour les petits, qu'il soumet à une tutelle
agressive? D'abord, explique Loïc Wacquant, le fait qu'ils
aient au départ un système de protection sociale faible
et un marché du travail flexible. Mais un troisième
facteur a joué un rôle décisif: la division
ethnique. Outre qu'elle rend la classe ouvrière moins résistante
à la dérégulation, elle empêche toute
identification: l'aide sociale est perçue comme allant aux
Noirs; sa bénéficiaire typique, dans les représentations
collectives, est la jeune mère célibataire noire,
victime de sa propre indolence, et dont la sexualité débridée
menace les saines valeurs familiales. Elle est le pendant privé
du membre de gang qui fait régner la terreur dans la sphère
publique. Après le combat des Noirs pour l'égalité
dans les années soixante, les Blancs ont rétabli la
distance en fuyant vers les banlieues et en se dotant de leurs propres
écoles. Ils ne veulent plus que leurs impôts servent
à payer des prestations perçues de surcroît,
dans une criminalisation du combat pour les droits civiques, comme
une récompense à des émeutiers.
PARADOXE
L'incarcération massive n'est pas non plus leur problème:
«Si le taux d'emprisonnement des Blancs était équivalent
à celui des Noirs, il deviendrait la priorité absolue
de tous les politiciens!» Les prisonniers sont exclus des
droits civiques, parfois à vie: «Si Al Gore n'avait
pas été le vice-président d'un gouvernement
ultrarépressif, les choses auraient peut-être tourné
différemment pour lui lors de l'élection de 2000...»
Y a-t-il une comparaison possible avec l'Europe? Beaucoup se récrient
à cette idée. Grave erreur: «Dans la plupart
des pays d'Europe, la sur-représentation carcérale
des étrangers postcoloniaux – et je ne parle même
pas des nationaux d'origine postcoloniale! – est supérieure
à celle des Noirs aux Etats-Unis...» La classe politique
française, avec la loi contre le voile à l'école,
est d'ailleurs en train «de fabriquer la division ethnique
dont elle prétend se défendre».
Le plus ironique, c'est qu'aux Etats-Unis, on commence à
se rendre compte de l'impact dévastateur de cette politique:
«L'ancien chef de la police de New York est aujourd'hui chef
de la police de Los Angeles, et il n'applique absolument pas la
tolérance zéro! Le monde entier se rue sur ce modèle
juste au moment où les Etats-Unis le remettent en cause...»
Note : xxxxx, Punir les pauvres, éd. Agone. Les prisons de
la misère, éd. Raisons d'agir. Corps et âme, carnets
ethnographiques d'un apprenti boxeur, éd. Agone.
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