La psychanalyse est mise en procès ces derniers temps. On l’accuse
d’être obsolète, basée sur des données
frauduleuses et incompétente à répondre aux besoins
de l’homme d’aujourd’hui; bref d’être
un musée poussiéreux qu’on s’obstinerait à
garder au coeur de la ville. Mon intention dans le présent article
est de participer au débat en replaçant, en première
et deuxième parties, ces accusations dans le contexte sociétal
de la postmodernité dont elles émanent. Je crois que le
seul méfait dont puisse être reconnue coupable la psychanalyse
contemporaine, c’est celui d’être restée à
l’écart de la place publique et de s’être laissée
massivement méconnaître. Aussi, je me propose de contribuer
à faire réparation en présentant en quatrième
partie quelques travaux de la clinique psychanalytique contemporaine
non sans, auparavant en troisième partie, avoir illustré
par un cas de figure particulier combien les visions postmoderniste
et psychanalytique de l’homme d’aujourd’hui se rejoignent.
LA PSYCHANALYSE EN PROCES
La psychanalyse dérange. Dès sa création à
Vienne, au début du siècle, ses principales découvertes
apparaissaient subversives en regard des valeurs de l’époque.
La notion du déterminisme de l’inconscient s’avérait,
par exemple, une blessure narcissique inacceptable pour les philosophes
et les scientifiques, axés qu’ils étaient sur les
valeurs positivistes de la maîtrise de la réalité
par la conscience. De même, la découverte du rôle
de la sexualité dans le développement psychique était
reçue comme une hérésie parce qu’elle attaquait
de front les valeurs morales du temps. Ce vent de résistance
et de subversion traversa les continents, si bien qu’en 1909,
sur le bateau qui l’amenait aux États-Unis prononcer ses
célèbres conférences à la Clark University,
Freud disait à ses compagnons de voyage à propos des américains
: "Je leur apporte la peste". Vers la fin de sa vie, en 1932,
il confiait à Eitongon : "Ma méfiance envers l’Amérique
est insurmontable". Il s’agissait là de fulgurantes
prémonitions autant que de réactions subjectives. L’histoire
montre, en effet, que dès le début, une ambivalence réciproque
exista entre Freud et les américains; ceux-ci accueillirent la
psychanalyse avec enthousiasme mais ne l’intégrèrent
jamais en profondeur ni dans sa totalité. (Vignault, 1993)
Fait intéressant sur les plans historique et épistémologique,
on assiste actuellement dans l’Amérique du Nord de cette
fin de siècle, tant au Canada qu’aux États-Unis,
à une recrudescence des critiques négatives à l’égard
de la psychanalyse. Celle-ci dérange encore, semble-t-il. Bien
que souvent superficielles et mal étayées (Letendre et
Panaccio, 1996; Brunet, 1996), ces attaques font l’objet d’une
diffusion médiatique qui, elle, est à prendre au sérieux
car elle revêt celles-ci d’une apparence de crédibilité
par l’attention même qu’elle leur porte.
Les critiques peuvent être regroupés en quatre thèmes
(Brunet, 1996) que chapeaute toujours l’idéal de scientificité.
La première critique veut que la psychanalyse soit une théorie
non scientifique, selon les critères de la méthode expérimentale,
parce qu’elle ne peut être réfutée, ses expériences
cliniques s’avérant non reproductibles compte tenu de la
dimension intersubjective de la relation transféro-contretransférentielle.
Or, Kuhn (1983), Lakatos et Feyerabend (1979) ont pourtant déjà
clairement réfuté ces arguments poppériens. De
plus, "...la non-objectivité et la non-reproductivité
de toute observation scientifique, y compris celles des "sciences
dures", ont été démontrées comme étant
inéluctables depuis les travaux d’Heisenberg" (Brunet,
1996). La deuxième critique concerne ce que Freud nommait "le
vil plomb de la suggestion" par opposition à "l’or
pur de l’interprétation". La psychothérapie
psychanalytique rendrait le patient suggestible et démuni de
sens critique devant les interprétations de l’analyste.
Or, bien qu’aucune psychothérapie, quelque soit son orientation
théorique, soit totalement dénuée de suggestion,
ne serait-ce que par le désir de guérir que le patient
lui adresse, la psychanalyse a pourtant été reconnue comme
la première thérapeutique à se donner pour objectif
la liberté de l’individu -ce qui lui a d’ailleurs
valu sa réputation de subversive au début du siècle-
s’éloignant ainsi d’un but qui ne viserait qu’une
meilleure adaptation à la société (Lear, 1995,
in Brunet, 1996). La troisième critique, quant à elle,
attaque l’efficacité thérapeutique de la psychanalyse
sur un sujet précis. Elle vise le réveil de souvenirs
d’agression sexuelle infantile chez le patient durant le traitement,
et présente deux points de vues contradictoires. En effet, d’une
part, les tenants du "false memory syndrome" (Letendre et
Panaccio, 1996; Brunet, 1996) accusent la psychanalyse de créer
chez le patient de faux souvenirs qui ne seraient, en fait, que le fruit
de suggestions implantées chez le patient par son analyste. D’autre
part, les tenants des bienfaits liés au fait que la psychothérapie
peut réveiller des souvenirs effacés d’agression
sexuelle, accusent Freud de lâcheté pour avoir abandonné
sa Neurotica -théorie voulant que les abus sexuels survenus durant
l’enfance soient à la base des troubles névrotiques
chez l’adulte. On accuse Freud de lâcheté parce que
cet abandon jetterait du discrédit sur la thèse de l’effet
pathogène des traumatismes sexuels infantiles. Or, Freud, faut-il
le préciser, n’a pourtant jamais abandonné complètement
sa Neurotica; il n’a fait qu’en révoquer l’universalisme
en tant que cause à l’origine de toute psychopathologie.
À côté de la démonstration de l’effet
déterminant de la réalité extérieure sur
le psychisme, il a mis en évidence l’effet tout aussi déterminant
de la réalité psychique, des fantasmes inconscients. Je
reviendrai d’ailleurs plus loin sur la prise en compte par la
psychanalyse contemporaine des effets psychiques des traumatismes. Enfin,
la quatrième critique invalide la théorie psychanalytique
en tant que science parce qu’elle serait construite sur des données
falsifiées. On accuse Freud, pour avoir parfois changé
d’idée ou pour être revenu sur des erreurs qu’il
avait commises antérieurement, d’avoir falsifié
ses données; ce qui est maintenant convenu d’appeler l’affaire
Masson est un exemple de ces accusations. Or, ces dernières,
y compris celles de Masson, ont pour caractéristique de se discréditer
elles-mêmes en citant Freud hors contexte et en faisant preuve
d’ignorance à l’égard de l’évolution
chronologique de ses travaux.
L’existence même de ces critiques, quelque soit leur valeur,
montre bien cependant que la psychanalyse dérange encore aujourd’hui.
Pourquoi ? J’ai tenté de chercher réponse dans le
contexte sociétal d’où émergent ces critiques.
CONTEXTE SOCIÉTAL : LA POSTMODERNITÉ
La culture ambiante est intériorisée par l’individu
à travers le filtre de sa subjectivité, de son histoire
personnelle. De la même façon, la psychanalyse, en tant
qu’institution, est traversée par la culture dont font
partie ses membres et ne peut prétendre à un regard extérieur
sur les phénomènes sociétaux. Elle essaie cependant
d’en comprendre le sens. J’ai cherché des éléments
de réponse chez les auteurs postmodernistes. Je présenterai
donc ici certains écrits sociologiques et philosophiques sur
la théorie postmoderniste -théorie cherchant à
expliquer les changements récents survenus dans les sociétés
occidentales- que j’annoterai de quelques commentaires.
Origine de la postmodernité
Le mouvement postmoderniste est apparu progressivement, à partir
des années soixante, en réaction à l’échec
du modernisme à tenir ses promesses d’universalisme humanitaire.
Le passage des sociétés occidentales à l’âge
des technosciences et des mass média, de même que l’avènement
d’une économie postindustrielle, serait à la base
de la mutation culturelle qui a permis d’accéder à
la postmodernité, soit à "une mutation importante
de notre manière d’être" (Maffesoli, 1990),
à "une période de transition comme l’a été
la Renaissance entre le Moyen-Age et la Modernité" (Boisvert,
1995).
Deux effets imprévus du modernisme seraient au coeur de la culture
postmoderne.
La consommation de masse
D’une part, l’apparition de la consommation de masse a provoqué
une montée de l’hédonisme et le culte du plaisir
est devenu une valeur centrale. Cette consommation de masse a eu pour
effet d’assouplir les règles sociales car, dans une logique
de l’assouvissement, pour provoquer une vague de consommation
appuyée sur le réflexe de choisir, il faut bien encourager
l’individualisation et la prise de responsabilité (Boisvert,
1995). La mode est maintenant à la vénération des
différences et du particularisme; on exige une protection toujours
plus grande de la vie privée (le phénomène du cocooning)
et le droit d’exprimer librement ses propres opinions. La psychanalyse,
par son souci de la liberté individuelle et son refus des points
de vues normatifs, fait partie de cette tendance actuelle.
L’essor des technosciences
D’autre part, l’essor des technosciences -dont font partie
les neurosciences servant de support scientifique à certaines
critiques à l’endroit de la psychanalyse- qui devait, selon
les prévisions modernistes, contribuer à créer
un paradis humaniste a eu pour effet, au contraire, de détruire
ce fantasme humaniste. Il l’a fait au profit d’un "rationalisme
technicien" qui permet maintenant à l’homme de détruire
la planète -l’exemple classique est la pollution généralisée
qui s’en prend même à la couche d’ozone de
la stratosphère- mais aussi de prolonger la vie, grâce
au perfectionnement incessant de la médication, et de changer
sa propre nature par la manipulation génétique d’embryons
humains (Vatimo, 1987). L’homme des technosciences (un "homme-dieu"
?) a acquis le droit de vie et de mort sur son environnement et en est
devenu le centre absolu. Face à de tels bouleversements, le pragmatisme,
plutôt que les valeurs métaphysiques de type humaniste,
est devenu une valeur culturelle essentielle et la seule norme qui semble
lui être compatible est le credo de la réussite. C’est
d’ailleurs, de façon plus précise, au nom de ce
pragmatisme lié à l’essor des technosciences que
sont formulées, selon moi, les attaques actuelles contre la psychanalyse.
Est-ce le caractère profondément humaniste de cette théorie
qui paraît suspect parce que "passé de mode"
? Il est vrai que Freud était un homme de son époque et
que certaines parties de son oeuvre sont marquées par le contexte
sociétal du début du siècle. Mais là où
le bât blesse, c’est que ces attaques ont pour caractéristiques,
d’une part, de réduire la psychanalyse au modèle
freudien, ignorant ses développements contemporains et, d’autre
part, de ne pas tenir compte de l’utilisation de plus en plus
répandue qui est faite par les autres approches psychothérapiques
de ces développements théoriques, de même que du
succès que la clinique psychanalytique rencontre dans le traitement
de certains patients actuellement dits difficiles par les principales
approches cliniques.
La culture postmoderne : caractéristiques
C’est ainsi dans le contexte des effets imprévus du modernisme
que la culture postmoderne s’est mise en place. Ere de transition
que certains qualifient de période de confusion, elle se caractérise
au quotidien par la non-uniformité, le pluralisme, l’éclectisme
: "Il n’y a plus à être "progressiste"
ou "réactionnaire" car nous vivons plusieurs temps
en même temps" (Scarpetta, 1985).
La fin des grandes vérités : émergence
d’un nouveau type d’individualité
La dissolution de la modernité, à travers tant les événements
historiques (la disparition de l’URSS, par exemple) que la dérive
des produits de la culture moderne (technologie, médias...) a
profondément changé notre façon de voir et de comprendre
le monde qui nous entoure. Elle a aussi mis de l’avant une philosophie
de vie qui se fonde davantage sur la proximité et le quotidien.
Ainsi, la désillusion à l’égard de l’avant-garde
moderne et les valeurs hédonistes se conjuguant, on assiste aujourd’hui
à un scepticisme grandissant à l’égard du
statut d’expert, de l’autorité politique, des grands
discours idéologiques et leurs promesses utopiques. Un exemple
en est la désillusion blasée qu’a provoqué,
à travers le Canada, le dévoilement des scandales commis
au Rwanda par les Casques Bleus canadiens, ce corps d’élite
formé spécialement pour remplir une mission de paix dans
le cadre de l’armée de l’ONU, fleuron de la démocratie
occidentale. Devenu ainsi sceptique à l’endroit des discours
d’autorité, l’homme postmoderne affiche maintenant
un nouveau type d’individualisme et décide lui-même
de ce qui est bon pour lui, se souciant moins de ce que les experts
ont à dire sur le sujet. Vient renforcer cet individualisme issu
du scepticisme le fait que l’omniprésence des mass médias,
au lieu de produire l’universalisme que le monde moderne en escomptait,
a plutôt mis en relief le pluralisme des visions du monde, des
points de vue, des interprétations d’un événement.
On voit donc aussi apparaître dans la culture postmoderne un processus
de démocratisation des critères de vérité.
La vérité absolue cède sa place aux vérités,
toutes plus diverses et "vraies" les unes que les autres (Campeau,
1989). On peut se demander ici si ce nouveau type d’individualisme
renforcé par la relativisation de la vérité ne
facilite pas parfois la publication des critiques mal étayées
à propos la psychanalyse.
Si l’homme postmoderne ne croit plus aux grandes religions politiques,
idéologiques, à quoi croit-il, s’il croit encore
? À des "petites" vérités qu’il
choisit plutôt qu’aux grandes qu’on lui avait imposées.
C’est ainsi qu’il devient végétarien, culturiste
ou ...adepte d’une théorie psychologique et donne temporairement
sens à sa vie. On assiste à l’avènement d’un
"hypermarché des styles de vie" (Lipovetsky, 1987),
image qui représente bien la banalisation égalitaire des
différentes valeurs dont est porteuse la "fin des grands
récits". Il n’existe, en effet, plus de normativité
stricte qui exigerait une ligne de conduite unique. (Il est intéressant
de noter ici qu’en ce sens, la psychanalyse est résolument
postmoderne par son refus d’un point de vue normatif.) Les normes
sont désormais déportées dans la sphère
individuelle : tout va vers "l’expressivité individuelle
déréglée", ce qui fait place à une
plus grande importance accordée aux divers types d’économie
psychique auxquels s’intéresse la psychanalyse contemporaine;
j’y reviendrai plus loin. Cette tendance annoncerait la fin des
sacrifices pour une grande cause et le début d’une ère
d’incertitude et de démocratie (Lipovetsky, 1987).
Pensée de l’errance et attitude pragmatique face
au savoir
La proéminence du doute dans la réflexion postmoderne
vient par ailleurs invalider la notion moderne de progrès, de
dépassement. Avec le doute, en effet, croissent la réévaluation
et la volonté d’appréhender autrement un phénomène.
La pensée postmoderne ne cherche plus à explorer le nouveau
à tout prix; elle est, au contraire, "la volonté
d’explorer les zones de coexistence [...] de les faire s’interpénétrer,
réagir, de jouer de leur métissage, d’opérer
des connexions, des anachronismes délibérés."
(Scarpetta, G., 1985). La leçon du nazisme hitlérien sur
l’aspiration à la pureté aurait donc porté
fruit, à quelques exceptions (très actuelles) près...
Le postmodernisme vient ainsi briser notre notion du temps linéaire,
de l’histoire unifiée par la notion du progrès.
C’est la fin du "syndrome du dépassement" (Vatimo,
1990). Le mouvement postmoderne ne croit plus, en effet, à un
point de vue suprême, global, capable de supplanter tous les autres.
Il intègre, au contraire, le passé pour mieux affronter
le présent et s’accompagne d’une pensée "de
la proximité", axée sur le quotidien des individus
: c’est "la philosophie du matin" inspirée, selon
plusieurs, de la pensée nietzschéenne de "l’éternel
retour du même" (Boisvert, 1995). Il est important de mentionner
ici que ce type de pensée, en ce qu’il se rapproche davantage
du style de fonctionnement des processus primaires et des effets produits
par la technique de l’association libre, ne peut laisser la psychanalyse
indifférente.
Par ailleurs, dans la même ligne d’idée, l’attitude
face au savoir serait devenue beaucoup plus pragmatique. La multiplication
des grandes banques de données créées grâce
aux progrès de l’informatique a rendu facile l’accès
à l’information, de sorte que la puissance du savoir appartient
maintenant à celui qui sait comment aller chercher cette information
et lui donner une nouvelle signification. Autrement dit, le pouvoir
réside dans les connaissances et celles-ci s’achètent;
l’avenir réside donc dans la capacité de pouvoir
donner une valeur ajoutée aux connaissances existantes. C’est
ce qui fait dire à Lyotard (1979) que "la question du savoir
[et de la scolarisation des jeunes] à l’âge de l’informatique
est plus que jamais la question du gouvernement" .
Bref, retenons que, selon les auteurs postmodernistes consultés,
la culture postmoderne se serait étayée sur des dérivés
imprévus du modernisme, soit, entre autres, sur l’hédonisme
et l’individualisme promus par la consommation de masse, de même
que sur le pragmatisme contre-humaniste engendré par l’essor
des technosciences et qui sert, selon moi, de support scientifique à
certaines critiques actuelles contre la psychanalyse. Cette culture
postmoderne serait caractérisée au quotidien par l’éclectisme
et le pluralisme, c’est-à-dire, par une dissolution de
la notion de vérité absolue et des grands discours idéologiques
qui auraient été remplacés par une pensée
de l’errance axée sur la proximité et le quotidien
des individus, de même que par une attitude pragmatique face au
savoir.
L’individu postmoderne : caractéristiques
Quelle conception les penseurs postmodernistes se font-ils de l’individu
postmoderne, celui qui, entre autres, intéresse les cliniciens
parce qu’il vient consulter ou choisit pour métier de devenir
psy ? Selon ces penseurs, une nouvelle normalité sociale, plus
souffrante sur le plan identitaire, serait en voie de s’installer
et l’homme d’aujourd’hui présenterait des ressemblances
plus nombreuses avec un Hamlet qu’avec l’Oedipe de Freud.
Leurs observations rejoignent de près celles de la clinique psychanalytique
contemporaine.
Déstabilisation du moi
La fin des grandes vérités aurait eu un impact direct
sur l’individu postmoderne dont le "moi" se serait transformé
en "un miroir vide" et fragile. Pour avoir favorisé
une attitude anti-dogmatique, cet état de chose n’en aurait
pas moins généralisé une certaine forme de "névrose
collective", voire de "décadence morale" (Lipovetsky,
1983). Notons que la sociologie aborde ainsi de plain-pied, sur un plan
sociétal, les problématiques narcissiques identitaires
qui font actuellement l’objet de nombreux travaux en psychanalyse.
Cette "déstabilisation du moi" aurait engendré
un tel repli sur soi que tout ce qui entoure l’individu "se
désenchante, se vide de sa substance". (Est à remarquer
ici la ressemblance de cette description sociologique avec celle que
la psychanalyse donne de la dépression-limite.) L’individu
postmoderne est si déstabilisé et ressent un tel sentiment
d’insécurité qu’il serait constamment "obsédé
par des problèmes personnels, exaspéré par un système
répressif jugé cependant trop clément, habitué
qu’il est à être protégé, traumatisé
par une violence dont il ignore tout : l’insécurité
quotidienne résume sous une forme angoissée la désubstantialisation
postmoderne" (Lipovetsky, 1983). Afin de sortir de ce désespoir
-qui apparaît à certains comme le prix à payer pour
s’être libéré du dogmatisme- l’individu
postmoderne mettrait en place, entre autres, deux stratégies
: une forme de "dictature du sujet" (Lipovetsky, 1983) et
"le néotribalisme" (Maffesoli, 1988).
La dictature du sujet
Dans la "dictature du sujet", l’individu accapare toutes
les choses désubstantialisées qui l’entourent et
leur donne le sens qui lui convient. "Dans la postmodernité,
le sujet se fait donc l’inventeur de ses propres objets, objets
qui ne durent que le temps de la pulsion et qui s’évanouissent
par la suite. C’est ainsi que le postmodernisme réussit
à conjurer le nihilisme" (Boisvert, 1995). Mentionnons qu’on
trouve dans cette description une affinité avec la définition
que donne Freud de la stratégie psychotique de guérison
et avec celle que propose Winniccott à propos de l’objet
"créé".
Cette dynamique de vie consommatrice d’objets en vrac, centrée
sur la réalisation individuelle, suppose qu’on ait des
projets personnels. Or, le temps de l’humanisme et des grandes
questions existentielles étant révolu, s’installe
alors un nouveau mode de vie : "la vie en séquence-flash"
centrée sur le présent, au jour le jour, et que caractériseraient
l’héphémérité et l’éclectisme
des projets, des engagements. Il n’est plus nécessaire
de donner un sens profond à sa vie, il suffit de la vivre comme
une succession de "présents" : "dorénavant,
la vie s’épuise dans le présent" (Maffesoli,
1988). C’est la "no future generation", "l’ère
du vide" selon l’expression de Lipovetsky (1983). (Comment
ne pas penser, à ce propos, à la "maladie d’idéalité",
c’est-à-dire au manque d’idéaux qui accompagne
la souffrance de certaines problématiques narcissiques ?) L’intérêt
de ce style de vie, centré sur le matériel et le familier,
est qu’il recherche un sens léger à la vie et n’exige
pas d’investissement profond : cette légèreté
permet de donner une signification à sa vie sans se soumettre
aux exigences d’un diktat venu de l’extérieur. On
pense ici au succès immédiat qu’a connu le roman
de Milan Kundera L’insoutenable légèreté
de l’être paru en 1984. Mais "l’insoutenable"
dans le titre de cette oeuvre ne renvoie-t-il pas aussi à certains
itinéraires individuels vers la mélancolie, ou vers l’alexthymie
liée aux somatisations et aux passages à l’acte,
que contient potentiellement cette légèreté de
l’être et qu’on retrouve plus fréquemment,
ces temps-ci, dans la clinique psychanalytique?
On retrouve cette recherche de légèreté dans les
engagements à l’égard d’autrui. C’est,
en effet, le "contractualisme éphémère"
qui dominerait maintenant les relations interpersonnelles, permettant
à l’individu de se désengager rapidement dès
que la relation ne convient plus à sa disponibilité émotive
et quotidienne. Notons que cet engagement superficiel peut être
vécu de façon très intense. On assiste donc ainsi
à l’effritement de la famille nucléaire sur laquelle
Freud s’était appuyé pour développer sa théorie
oedipienne. Dans la mesure où le "contractualisme éphémère"
permet aux couples de se dénouer quand leurs rejetons sont encore
en bas âge et sans qu’une vie communautaire stable vienne
pallier cette discontinuité, on peut présumer que les
enfants apprennent tôt, par mimétisme, l’attachement
affectif "éphémère", mais on peut se
demander à quelles nouvelles stratégies identitaires ce
style de vie leur donne accès.
Le néotribalisme
La deuxième stratégie privilégiée par l’homme
postmoderne pour échapper à la déstabilisation
de son "moi" résiderait dans le "néotribalisme"
(Maffesoli, 1988), soit une forme souple de tribalisme -une autre forme
de légèreté de l’être ? Elle consiste
dans l’adhésion de l’individu à un groupe
de personnes qui partage ses valeurs. Cette inscription n’est
cependant pas totale ni définitive; elle peut, en effet, être
facilement révoquée si elle ne convient plus et peut,
de plus, coexister avec l’appartenance à d’autres
groupes. Par ailleurs, la prolifération de ces groupes serait
telle qu’elle obligerait, en fait, l’individu à se
redéfinir régulièrement pour choisir dans cet "hypermarché",
l’amenant ainsi à demeurer sujet tout en étant grégaire.
Le choix se ferait selon les intérêts du moment, les goûts,
les occurrences, les investissements passionnels passagers. La prolifération
même de ces groupes indiquerait qu’ils ont su s’adapter
au besoin de "zappage" de l’individu postmoderne et
s’ajuster aux normes de sélection individuelle.
Ainsi, selon les penseurs postmodernistes consultés, l’homme
d’aujourd’hui serait déstabilisé dans son
identité par la perte des grands discours et de la notion de
vérité absolue. Ne faut-il pas, d’ailleurs, ajouter
à cette perte celle des idéaux collectifs, ces systèmes
sociaux qui permettaient une fusion plus facile entre l’idéal-du-moi
des individus et leur moi-idéal ? Pour tromper son désespoir,
l’homme contemporain aurait recours, d’une part, à
un individualisme marqué affirmant le pouvoir de sa subjectivité
et, d’autre part, à un style de vie centré sur le
présent et sur un parti-pris de légèreté
de l’être. Celui-ci se manifesterait dans un nomadisme social,
soit dans un engagement superficiel, discontinu, mais présent
avec des individus et de groupes de semblables.
Les neurosciences
Mentionnons en terminant qu’il est étonnant que les postmodernistes
passent sous silence une troisième solution que la société
postmoderne offre à l’homme souffrant, soit les produits
chimiques créés par le progrès des neurosciences.
Ces médicaments, de plus en plus efficaces, agissent sur la partie
du psychisme se situant à la limite du somatique et modifient
le comportement. Leur action opère cependant en-decà des
activités de représentation psychique, de sorte que l’individu
subit les changements qui surviennent en lui mais a beaucoup de mal
à les symboliser, les subjectiver et à se les approprier.
Selon Kristeva (1993), cette caractéristique irait de pair avec
la désaffection de la parole et les difficultés de représentation
psychique qu’elle remarque dans "les nouvelles maladies de
l’âme". Bien que la solution offerte par les neurosciences
semble aux antipodes de celle proposée par la psychanalyse -axée
sur l’appropriation subjectivante par l’individu de son
histoire, de son destin- elle a toutefois le mérite de ramener
l’attention des psychanalystes sur la puissance du pôle
bio-pulsionnel du psychisme humain.
De cette incursion dans la vision sociologique et philosophique du
monde contemporain, retenons que si l’homme moderne, tel que Freud
le concevait, affichait les traits d’un Oedipe en proie à
des tourments pulsionnels et moraux, tel n’est plus le cas de
l’homme postmoderne qui semble davantage aux prises avec un dilemme
narcissique identitaire semblable à celui de Hamlet. Autrement
dit, pour paraphraser Shakespeare, "To be or not to be, is it not
the question now ?" Retenons aussi que si les solutions sociales
actuellement apportées au mal de vivre individuel diffèrent
beaucoup de celles proposées par la psychanalyse, par contre,
le portrait brossé par les postmodernistes de l’homme d’aujourd’hui
ressemble étrangement à la vision qu’en a la psychanalyse
contemporaine.
UN CERTAIN PORTRAIT DE L’HOMME POSTMODERNE
Avant d’aborder les travaux de la clinique psychanalytique contemporaine,
voici une certaine illustration de l’homme postmoderne qui me
semble faire le pont entre les théories postmodernistes et la
psychanalyse. Il s’agit d’une histoire de cas n’émanant
pas de l’intimité d’un bureau de psychanalyste, mais
de la place publique, soit d’une oeuvre théâtrale
créée en 1996 : "Les gagnants" du dramaturge
québécois François Archambault. J’ai fait
ce choix parce que, depuis toujours, le théâtre se donne
pour mission de contribuer à l’amélioration de la
société dont il fait partie en lui présentant certaines
images d’elle-même, en représentant sur scène
une certaine interprétation du monde environnant.
Le texte, un peu éclaté, est structuré en treize
tableaux. À travers les propos du gérant d’un magasin
de meubles modernes -dont la vitrine sert de décor au déroulement
de la pièce- et de trois jeunes couples, on assiste à
une percutante charge par l’absurde contre la société
postmoderne. Les individus n’y ont plus aucune intériorité
et sont réduits à l’image sociale qu’ils projettent
: celle de "gagnants" dont la vie professionnelle et amoureuse
est couronnée d’un succès qui donne sens à
leur vie. La vitrine de magasin est donc plus qu’un décor,
elle est le symbole du mode de fonctionnement de ces individus. Leur
vie est, en effet, une perpétuelle exhibition de succès
et de bonheur définis par les critères de la société
de consommation et du cocooning : le chacun pour soi de l’hédoniste
désengagement social. Dans ce système compétitif,
l’atteinte de la réussite est déterminée
par l’admiration d’autrui, de sorte que l’autre, dans
les relations intimes ou sociales, est absolument nécessaire,
mais comme admirateur ou faire-valoir personnel.
Sylvio, le gérant du magasin, fait figure de philosophe ou de
prêcheur, selon l’humeur du spectateur. Dans des monologues
pervers composés de lieux communs absurdes, de dictons, et de
psychologie à deux sous, il explique comment l’homme postmoderne
se doit de vivre son destin de "gagnant" sans culpabilité
: "Travailler douze heures par jour, ça ne me dérange
pas parce que c’est le prix de la liberté" (...) "Je
mets une chemise et cette chemise séduit une femme; alors tout
est possible..." (...) "La vie, c’t’une joke de
New Fee; c’est juste si t’es en mesure de la comprendre
que tu peux souffrir." (...) "C’est quand j’ai
planté quelqu’un que je me sens bien; ce sont mes succès
qui me font me sentir bien".
Mireille et David, le couple traditionnel, ont besoin de savoir que
leurs amis apprécient leurs succès ou sont moins heureux
qu’eux pour s’assurer qu’ils ont choisi le bon style
de vie : "À quoi ça me sert d’être heureuse
si les autres pensent que je ne le suis pas !". Véronique
et Étienne ont choisi l’amour libre. Bien que Véronique
souhaite secrètement une consécration de leur union, elle
pousse Étienne à raconter ses théories nihilistes
sur le couple pour épater ses amis, l’utilisant ainsi comme
faire-valoir. Sa mine perplexe durant ces discours nous montre cependant
qu’elle se rend compte confusément qu’elle confirme
ainsi son conjoint dans une voie qui dessert ses projets secrets. Il
n’y a cependant aucune place pour l’échec et la souffrance
dans le style de vie de ces deux couples. Pourtant, d’une part,
Mireille doit avoir recours à une banque de spermes pour produire
un bébé-fétiche. Son mari est, en effet, devenu
impuissant dès la première année de leur mariage,
privé qu’il était, par la fidélité
conjugale, de la stimulation nécessaire que lui procurait auparavant
le visionnement de films pornographiques, et en dépit de sa tentative
de remplacer ceux-ci par l’enregistrement sur vidéo de
leur nuit de noces. D’autre part, Véronique se laisse aller
à une aventure extra maritale devant le désaveu de toute
jalousie par son conjoint, prévenu de ses tentations.
Sébastien, lui, est un "perdant" sans ambition qui
sert d’admirateur à ses deux couples d’amis; en retour,
ceux-ci s’occupent distraitement de sa dépression qu’ils
jugent secrètement répugnante. Il vit une brève
liaison avec une amie de CÉGEP, Caroline, en rupture temporaire
de ménage, qui accepte que celui-ci l’héberge à
la condition expresse qu’il ne devienne pas amoureux d’elle.
En fait, Sébastien représente la partie clivée
de ces "gagnants" qui iront, à la fin, jusqu’à
nier son suicide, le déguisant à leurs yeux en un accident
malchanceux. Il faut voir la mine atterrée des deux couples quand,
au salon funéraire, devant l’annonce triomphale par Mireille
de sa fécondation enfin réussie, Caroline propose aux
futurs parents de donner le prénom de leur ami défunt
à leur fils à naître, pour comprendre l’envergure
du mensonge qui a présidé à cette amitié.
Ce texte pourrait être plein de cynisme et d’amertume,
mais non. Ce qui frappe le plus chez ces jeunes gens "plaqués
or", c’est leur difficulté à penser, à
réfléchir sur eux-mêmes, ne serait-ce que pour nommer
leur désir ou leur souffrance. Leur discours est plat, stéréotypé,
plein de déni; leurs valeurs sont matérialistes, leur
intelligence, concrète et toute en surface : "Dans la vie,
faut pas s’arrêter à penser, parce qu’on rate
la course" (...) "Si tu veux goûter au bonheur, il faut
que t’acceptes de manger la merde qui va avec, sinon dans la vie,
t’auras que des miettes". C’est avec enthousiasme qu’ils
adhèrent à des règles de vie aliénantes
et leur carapace mentale est telle que tout au long de la pièce,
ils mentent et se mentent avec conviction, prennent au sérieux
de petits détails matériels pour rester indifférents
aux signaux de détresse de leur entourage. Cette carapace est
d’ailleurs là pour ignorer non seulement la souffrance
du compétiteur mais aussi leur propre peur : "Le monde est
une jungle. Faut pas montrer que t’as peur parce que les autres
vont te sauter dessus. Si je montre à ma blonde que j’ai
peur, elle n’aura plus confiance en moi, elle va douter de moi,
pis elle va avoir peur de moi." "Oui, je vais douter de lui".
Dans cet univers froid, les murs ont des oreilles et les oreilles ont
des murs...
On ne saurait, en ce moment, produire une pièce d’une
plus grande pertinence sociale -non qu’elle prétende être
en résonance avec toute l’actualité sociale. En
effet, certaines caractéristiques de la société
postmoderne sont clairement esquissées, par exemple : le credo
de la réussite, produit du pragmatisme mis de l’avant par
les technosciences, la réduction de l’individu à
son image sociale, la carapace narcissique, le vide intérieur,
l’aplatissement des émotions. On y retrouve aussi les indices
d’un certain fonctionnement psychique lié à l’appauvrissement
de la capacité de représentation psychique décrit
par la psychanalyse contemporaine et que nous aborderons maintenant.
L’HOMME POSTMODERNE ET LA PSYCHANALYSE D’AUJOURD’HUI
Tel que mentionné plus haut, la psychanalyse, en tant qu’institution,
est traversée par la culture dont font partie ses membres et
ne peut prétendre à un regard extérieur sur les
phénomènes postmodernes. Elle essaie cependant d’en
comprendre le sens et ce, d’un point de vue qui lui est particulier
en cette ère d’impersonnalité, soit celui de l’intimité,
de la vie psychique avec et pour quelqu’un d’autre.
Qu’est-ce que les psychanalystes contemporains ont donc à
dire sur l’homme postmoderne qui vient les consulter pour soulager
sa souffrance psychique ? Plusieurs (entre autres : Green, 1990; Kristeva,
1993; McDougall, 1996; Roussillon, 1995a, 1995b) rapportent avoir remarqué
dans leur pratique clinique la présence de "nouvelles maladies
de l’âme", selon l’expression de Kristeva (1993),
se caractérisant par un mode de fonctionnement psychique privilégiant
les agirs et les somatisations. Il est cependant important de mentionner
ici qu’on ne sait pas encore si ces maladies sont vraiment "nouvelles",
c’est-à-dire d’apparition récente et en lien
avec l’évolution du contexte sociétal, ou si elles
sont "nouvelles" pour ces cliniciens qui peuvent maintenant
les apercevoir, grâce à l’accroissement de leur fréquence
et aux nouvelles lunettes fournies par l’avancement des connaissances
théoriques et techniques en psychanalyse. D’après
ces auteurs contemporains, les blessures narcissiques et les risques
de psychose favorisant ces agirs, de même que les symptômes
psychosomatiques, semblent témoigner d’une difficulté
de représentation psychique qui exige une adaptation du cadre
psychanalytique classique. Sans du tout renier la position freudienne,
ils tentent, dans la foulée de cliniciens tels que, par exemple,
Balint, Fairbairn, Ferenczi, Khan, Klein et Winnicott, de l’adapter
aux besoins psychiques de l’homme contemporain et ont élaboré
des ajustements techniques qui, à ce jour, se sont avérés
efficaces. Ils adhèrent à une conception de la psychanalyse
qui, en tant que thérapeutique, et au-delà des divergences
d’écoles, se donne pour mission d’optimiser les capacités
de symbolisation de l’individu, c’est-à-dire ses
possibilités de donner un sens à sa réalité
intérieure, à sa perception de l’univers extérieur,
et de se représenter ce sens.
Notons que dans la vision psychanalytique du patient postmoderne, il
est fait référence à des problèmes reliés
à un certain mode de représentation psychique. En effet,
est désignée et priorisée là, de façon
implicite, la représentation de mots appartenant au système
conscient-préconcient de l’appareil psychique, système
gouverné par les processus secondaires et que favorise la théorie
freudienne de la symbolisation sous-jacente à l’élaboration
du cadre classique. Or, les agirs et les somatisations sont aussi des
modes de symbolisation, mais ils sont gouvernés par les processus
primaires et, à ce titre, découragés par le cadre
psychanalytique traditionnel. L’afflux actuel de ces modes de
fonctionnement psychique confrontent donc le cadre freudien et c’est
ce qui a amené les psychanalystes contemporains à procéder
à des ajustements techniques.
Le cadre freudien
Le cadre freudien évoque de près un modèle particulier
de symbolisation, celui du travail du rêve. En effet, la position
allongée sur le divan inhibe la motricité; le décor
physique, neutre et constant, décourage la stimulation perceptuelle
et sensorielle; la position effacée de l’analyste, installé
derrière le divan, rappelle l’absence de l’objet.
Tout est en place pour que les activités motrices soient transformées
en images visuelles (en représentations de chose, selon le modèle
du rêve rêvé), puis que ces images visuelles soient
traduites en mots (en représentations de mots, selon le modèle
du rêve narré); en fait, tout est en place pour favoriser
le retour du refoulé, pour que, selon l’expression freudienne,
"où était le Ça, le Moi advienne".
Le cadre freudien prend donc pour acquis -et c’est là
un inconvénient- que le patient souffre uniquement de traumatismes
liés à des conflits qui ont été symbolisés,
puis refoulés, donc qui sont survenus à un âge -ou
dans un état psychique- où ils pouvaient être transformés
en symboles et se retrouver dans l’inconscient sous forme de représentations
de chose. Le patient souffrirait donc, par le refoulement, de ne pas
pouvoir se formuler à lui-même ce qu’il veut, ce
qui l’habite, et qu’il avait déjà symbolisé.
Notons que cette position repose sur une vision du fonctionnement psychique
basée uniquement sur le primat du principe de plaisir selon lequel
le patient se serait déjà fait une représentation
de son désir conflictuel et l’aurait refoulée pour
la mieux conserver (Roussillon, 1994). D’autre part, autre inconvénient,
le cadre freudien impose au patient le transfert de son fonctionnement
psychique dans le seul appareil du langage. Or, cette restriction est
contraire à la vie quotidienne où, pour fonctionner, nous
avons recours à différents canaux d’expression :
moteur, visuel, vocal, en plus du langage. Elle est contraire, aussi,
aux racines du travail de symbolisation qui provient du jeu moteur,
vocal et visuel effectué en présence de l’objet
et non en son absence.
Bref, le modèle freudien, pour cohérent qu’il soit,
repose sur une conception particulière de la psychopathologie
et de la symbolisation : il suppose que le patient a pu faire un "assez
bon" travail préalable de symbolisation primaire -de représentation
de chose- sur ses expériences personnelles. Or, les patients
ne fonctionnent pas tous selon ce modèle de symbolisation. Au
contraire, -et ce, en accord avec les données ci-haut citées
sur la culture et le fonctionnement individuel postmodernes- de plus
en plus de personnes fonctionnent, de façon prévalante,
selon d’autres modes de symbolisation, ou selon le primat, non
du principe de plaisir, mais de la compulsion de répétition.
La clinique des traumatismes primaires
On retrouve de plus en plus souvent, dans la clinique contemporaine,
des patients souffrant de ce que Roussillon (1995b, 1996a) nomme des
traumatismes primaires, soit des "éprouvés traumatiques"
qui n’ont pu être symbolisés et qui ont laissé
des traces profondes dans le fonctionnement psychique du patient. Il
s’agit, d’une part, d’expériences précoces,
survenues à un âge où l’enfant n’avait
pas encore l’appareil psychique nécessaire pour se représenter
ce qui lui arrivait. Il s’agit, d’autre part, d’expériences
survenues dans des situations extrêmes : (violence d’état,
violence criminelle, cataclysme naturel, etc.) qui détruisent
la capacité de représentation. Ces traumatismes primaires
présentent les caractéristiques suivantes. Ils sont sans
représentation psychique : le sujet ne comprend pas ce qui lui
arrive, ne peut le signifier, le symboliser. Ils sont aussi, d’une
part, vécus comme étant sans fin : soit parce que le sujet
est trop jeune pour avoir la notion du temps qui passe, soit parce qu’il
ne peut imaginer lui-même une issue à la situation traumatique;
d’autre part, ils sont ressentis comme une effraction de la subjectivité,
de l’identité. La composante affective qui accompagne ce
type d’éprouvé est de l’ordre de la sidération,
de la "terreur sans nom", selon l’expression de Bion
(1991), du "vécu agonistique", selon celle de Winnicott
(1974).
Le traumatisme primaire est une expérience non symbolisable,
donc non refoulable. Les lois de l’économie psychique voulant
que le sujet soit porté à répéter ce qu’il
ne peut symboliser, le traumatisme primaire a pour destin de se répéter,
d’être inoubliable. Pour se protéger de ce harcèlement
intérieur, le sujet alors se clive, se coupe d’une partie
de lui-même, déchire une partie de son Moi. Il ne se construit
donc pas psychiquement en se représentant ce qui s’est
passé, mais se construit plutôt contre ce qui lui est arrivé.
C’est dire qu’il déploie ses défenses non
contre une partie de ses désirs, ses conflits, mais contre une
partie de son expérience vécue parce qu’elle le
désorganise. Le sujet se défend contre ce qu’il
n’a pu symboliser de son expérience traumatique -du retour
du clivé- par une glaciation des affects, une tentative de ne
rien ressentir -le "faux self" de Winnicott- qui s’avère
coûteuse pour lui car elle induit un sentiment d’ennui,
de futilité de l’existence qui envahit son quotidien et
les séances psychothérapiques. Sans cette couche de glaciation
affective, le sujet risque de se retrouver plongé dans une crainte
répétitive d’effondrement psychique, du type crise
de panique, qui est liée à la menace du retour du clivé.
Par ailleurs, le sujet peut arriver à cicatriser la déchirure
de son Moi causée par le clivage. Ces cicatrices moïques
sont du type soit psychotique, soit pervers, soit psychosomatique. C’est
dire, de façon plus traditionnelle, que le patient se défend
du traumatisme primaire par des défenses de type psychotique,
pervers ou, plus généralement, narcissique.
D’autres auteurs viennent corroborer la présence, actuellement
plus fréquente, de ce type de défenses narcissiques. Ainsi,
Kristeva (1993) souligne l’obstacle à la parole thérapeutique
que constituent, d’une part, la désaffectation du langage
retrouvée dans les problématiques mélancoliques
et, d’autre part, la survalorisation défensive de la parole
présente dans les défenses perverses. Dans ce dernier
cas :
"La satisfaction narcissique par un objet partiel comporte comme
équivalent un discours fétiche. Exhibitionniste, ce discours
connaît tout et ne veut rien savoir. [...] La survalorisation
de la parole fonctionne comme une résistance à la psychanalyse
: les affects sont clivés du discours qui relate le fantasme
pervers, même quand l’intention inconsciente est d’inclure
l’analyste dans l’économie sadomasochiste du patient.
[...] Le comblement narcissique qui accompagne la crise moderne des
valeurs semble aller à l’encontre de la curiosité
psychique pour l’autre et la vérité sans laquelle
aucune mutation psychique n’est envisageable. La technique psychanalytique
se doit de reconnaître ce repli narcissique et ce déclin
du désir de savoir. Elle se doit de les reconnaître et
de les accompagner et, ensuite seulement, d’essayer de les dépasser
pour en faire une nouvelle forme de connaissance de soi" (Kristeva,
1993, 71).
Pour sa part, McDougall signale l’origine archaïque de beaucoup
de symptômes psychosomatiques agissant comme défenses contre
des angoisses de nature psychotique :
"Les avatars de la sexualité archaïque créent
des relations fortement chargées d’affects qui provoquent
des angoisses psychotiques et l’obligation d’établir
un clivage entre les représentations de mot et les représentations
de chose. Les maladies psychosomatiques représentent alors une
défense contre ces désirs sexuels archaïques. [...]
Ces conflits archaïques ne sont pas refoulés, ils sont inconscients
parce que jamais symbolisés. Le sujet n’est donc pas protégé
et est menacé d’éclosion psychosomatique chaque
fois que la vie le met en situation de transgresser par ses désirs
incestueux. [...] Le langage n’exprime pas ce que le sujet ressent.
Il est terrorisé par ses sentiments et craint de se laisser aller
à les exprimer sous peine de devenir fou. [...] Au lieu de décrire
des sentiments et des affects, il décrit des sensations physiques."
(McDougall, 1996, 156)
"Les symptômes psychosomatiques peuvent être compris
comme une forme primitive de communication, une langue archaïque,
un protolangage qui, très tôt dans l’histoire de
l’homme, était peut-être destiné à
attirer l’attention de l’autre." (McDougall, 1996,
191)
Revenons maintenant à la conceptualisation des traumatismes primaires
élaborée par Roussillon (!995a, 1995b, !996a). Quand les
défenses narcissiques du patient sont suffisamment assouplies,
on assiste au retour du clivé qui se manifeste habituellement
sous forme, non symbolisée, de perceptions (physiologiques, motrices
et/ou hallucinatoires) et d’agirs. -C’est aussi ce que souligne
McDougall dans la citation qui précède. Vient ainsi se
transférer dans la situation thérapeutique ce qui n’a
pas été symbolisé et qui donc la désymbolise.
Ce retour s’accompagne souvent d’une réaction thérapeutique
négative; le patient est plus souffrant car il est en train de
revivre, pour l’intégrer, le traumatisme sous sa forme
non encore transformée. Il fait donc face à un matériel
désorganisant et la situation thérapeutique se transforme
alors pour devenir elle-même traumatique : elle se met à
"symboliser la désymbolisation, la non symbolisation".
"On ne sait plus pourquoi on est là ni quel sens prend la
situation, menacée de perversion ou d’absurdité"
(Roussillon, 1996a). C’est alors qu’Il faut changer le cadre
thérapeutique pour permettre une métaphorisation des agirs,
des perceptions, seules traces accessibles dans le transfert du vécu
traumatique. Notons que cette description recoupe certaines observations
faites par Balint (1977) sur le changement d’ambiance au moment
de l’entrée du patient dans la zone du "défaut
fondamental".
Aménagements techniques
D’après ce qui précède, les aménagements
techniques sont rendus nécessaires par le fonctionnement psychique
d’un plus en plus grand nombre de patients présentant soit
des clivages entre les représentations de chose et les représentations
de mot (McDougall, 1996; Kristeva, 1993), soit une absence de représentations
de chose concernant certains événements traumatiques (Roussillon,
1994, 1995a, 1996a). On ne saurait cependant mettre en place des aménagements
techniques sans d’abord les théoriser, sous peine de glisser
vers un type d’agir contretransférentiel qui, systématisé,
pourrait devenir non une technique mais une idéologie. Les travaux
déjà connus de Winnicott (1975) sur les phénomènes
transitionnels et sur l’utilisation de l’objet, de même
que ceux de Green (1972, 1990) sur les processus tertiaires servent
de cadre théorique à ces aménagements.
Green défend l’idée de la nécessité
conceptuelle de créer, à côté des processus
primaires et secondaires, un troisième type de processus qu’il
nomme tertiaires et qu’il définit de la façon suivante
: "Par processus tertiaires j’entends les processus qui mettent
en relation les processus primaires et secondaires de telle façon
que les processus primaires limitent la saturation des processus secondaires
et les processus secondaires celle des processus primaires" (Green,
1972). Ils ont donc pour fonction de régulariser la coexistence
des processus primaires et secondaires. Leur malfonctionnement serait
alors responsable, d’une part, de la stagnation de l’énergie
liée des processus secondaires : "l’immobilisme",
"le définitivement figé" que l’on voit
à l’oeuvre dans ce que, par exemple, Kristeva décrit,
dans la citation ci-haut, comme une survalorisation de la parole servant
de résistance au travail thérapeutique. D’autre
part, ce malfonctionnement serait aussi responsable de la trop grande
labilité de l’énergie non liée des processus
primaires : le "chaotique", le "sans cesse mouvant"
qui préside à ce que, par exemple, McDougall dépeint
comme l’envahissement par une angoisse psychotique que provoquent
les relations chargées d’affect liées aux avatars
de la sexualité archaïque.
Cette notion de processus tertiaires est sous-jacente à l’aménagement
technique consistant à utiliser temporairement entre thérapeute
et patient un médium de communication autre que la parole quand
celle-ci s’avère non thérapeutiquement féconde.
Kristeva (1993) donne un exemple d’un tel aménagement dans
une vignette clinique où elle invite son patient à apporter
dans les séances les toiles qu’il peint parce qu’elle
s’est rendue compte que ces dernières témoignaient
d’un investissement libidinal authentique de la part du patient,
ce dont sa parole était dépourvue parce qu’au service
d’un faux self et saturée par les processus secondaires.
La peinture -surtout celle que pratique le patient : de nature abstraite
et éclatée, avec un effet plus autoréférentiel
que de communication- est un médium proche des représentations
de chose. Afin d’encourager une secondarisation des processus
primaires à l’oeuvre dans ces créations picturales,
Kristeva commente les toiles devant le patient, l’informant des
associations qu’elles suscitent en elle. Petit à petit,
ils parviendront à aborder par la parole seulement le matériel
contenu dans les toiles et dont l’existence a été
reconnue par l’analyste et verbalisée au patient.
Un autre exemple de ce type d’aménagement technique est
fourni par l’utilisation que McDougall (1996) fait des symptômes
somatiques. Pour elle, les traumatismes survenus avant l’avènement
de la parole créent des "terreurs sans nom", c’est-à-dire
envahies par les processus primaires, face auxquelles l’analyste,
par son cadre et son écoute, doit fournir la sécurité
nécessaire pour que ces terreurs deviennent nommables, puis narrables
à l’aide de l’utilisation des processus secondaires.
Durant les périodes de malaises physiques, McDougall met sur
le même pied les symptômes purement hystériques et
purement somatiques en tant que communications sous l’égide
des processus primaires. Elle encourage le patient à considérer
ses symptômes physiques comme un langage symbolique. Ce dernier
"en vient à considérer ses malaises comme une communication;
il les écoute pour essayer de comprendre les tensions qui l’assaillent,
puis les investit d’un sens métaphorique pour enfin leur
assigner une signification symbolique".
Un deuxième type d’aménagement technique, que Roussillon
(1995a, 1995b, 1996a) a élaboré sous le concept de "médium
malléable" (en référence à l’utilisation
qui est faite de la pâte à modeler dans les thérapies
par le jeu), s’inspire des travaux de Winnicott sur l’utilisation
de l’objet et sur les phénomènes transitionnels.
Il vise à ce que le clinicien se fasse "bonne pâte"
et s’adapte aux modes de communication du patient autres que le
langage secondarisé, afin d’établir un contact avec
le vrai self et favoriser la reprise du travail de symbolisation primaire
-créant des représentations de choses- là où
il a été interrompu par des traumatismes primaires. On
a vu plus haut que le retour du non symbolisé se fait par agirs
et perceptions. "L’agir a pour fonction de décharger
la tension, de parer, contrer, se protéger, éviter, donc
de passer précipitamment à l’action pour court-circuiter
la réalité psychique. Les réactions somatiques
et les mises en acte servent la même fonction : effectuer une
décharge court-circuitant la réalité psychique"
(Green, 1990). Dans le cas des agirs, la technique du médium
malléable a pour objectif d’amener le patient, puisque
son économie psychique l’entraîne à la décharge,
à décharger, non à l’extérieur ou
dans le vide, mais dans l’objet, ici l’analyste, sur le
modèle bionien de l’identification projective utilisée
comme mode primitif de communication entre le nourrisson et sa mère,
mode de communication aussi décrit par McDougall (1978) mais
dans un contexte clinique. C’est ce que Roussillon, reprenant
un concept freudien, nomme transfert par retournement. Ce dernier favorise
la reprise du travail de symbolisation là où les défaillances
de l’objet originel l’avaient interrompu, puisque c’est
en présence de l’objet maternel que s’effectue ce
type de travail psychique chez l’enfant. Dans cette communication
primitive, la parole du patient devient performative et celui-ci fait
éprouver à l’analyste ce qu’on lui a fait
subir dans le passé et qu’il n’a pu symboliser. L’analyste
est donc appelé à éprouver consciemment à
la place du patient. Cela suppose de la part du clinicien un "assez
bon masochisme" pour, à la fois, "survivre comme bon
objet qui n’exerce pas de représailles", selon l’expression
de Winnicott, et éviter que la relation ne s’enlise dans
une impasse sadomasochiste. L’analyste -et c’est là
l’objectif de la technique- peut ensuite formuler au patient,
en des termes secondarisés, métaphorisés, ce qui
vient de se passer dans la relation transféro-contretransférentielle
et permet ainsi que le patient commence à donner sens à
ce qui n’en avait pas. Ce qui était un agir devient progressivement
un jeu entre thérapeute et patient se figurant en représentations
de chose. Puis graduellement des mots y sont accolés, décrivant
cette expérience de jeu qui ainsi se secondarise. Le patient
devient sujet de son expérience.
Il en va de même avec les retours du clivé sous forme
de perceptions. Ici encore, le médium malléable accepte
les règles de communication du patient. Ce qui surgit à
l’improviste, image ou sensation physique dénuées
de toute signification, fait l’objet d’un travail de construction
de la part de l’analyste. Il essaie, compte tenu de ce qu’il
sait de l’histoire du patient de lui accoler un sens, de lui reconstituer
un contexte historique, quitte à se tromper; ce sont les associations
du patient qui le guident dans ce travail. Puis, graduellement, cette
signification historique peut devenir symbolique et qualifier, à
l’intérieur de la relation transféro-contretransférentielle,
un pan de vécu qui autrefois ne se manifestait que sous forme
de perception dénué de sens et de pertinence. Le sujet
s’approprie son expérience.
J’ai tenté de présenter ici une vision psychanalytique
de certaines maladies de l’âme apparaissant plus fréquemment
à l’époque postmoderne. Elles obligent à
des adaptations techniques du cadre freudien dont j’ai décrit
deux versions. Précisons, en terminant, que tous les auteurs
cités insistent sur l’importance primordiale d’installer
ces aménagements à l’intérieur de la relation
transféro-contretransférentielle. Cette spécification
sert de balises au thérapeute, garantissant la nature psychanalytique
des modifications qu’il apporte à son travail clinique.
CONCLUSION : LA PSYCHANALYSE OU LES PSYCHANALYSTES EN PROCES
?
Est-ce la psychanalyse ou les psychanalystes qui sont mis en procès
? La présentation ci-haut des écrits cliniques suffit
à innocenter la première, à démontrer son
actualité en tant que corpus de théorie clinique. Par
ailleurs, plusieurs d’entre nous pourrions tirer de notre pratique
clinique -ou des témoignages de nos collègues- des exemples
de modification du cadre freudien. Me semble, en effet, relativement
fréquente l’utilisation -initiée par le patient
ou encouragée par le clinicien- de l’écriture, de
la sculpture, du dessin, ou d’objets tels que des bibelots, des
morceaux d’étoffe, des animaux en peluche, des coquillages,
etc., comme support à la communication et à la symbolisation
pendant certaines périodes du travail clinique avec des patients
adultes dits difficiles. Le problème réside dans le fait
que ces aménagements techniques s’avèrent partiellement
des transgressions dans la mesure où ils ne sont pas suffisamment
théorisés comme changement de cadre, mais sont le fruit
d’une improvisation qui pourrait bien parfois tenir lieu de passage
à l’acte contre-transférentiel de la part du clinicien
face à la souffrance de son patient.
En effet, le choix du cadre à l’intérieur duquel
il effectue son travail quotidien fait partie du contre-transfert du
clinicien. Or, les aménagements techniques présentés
plus haut ont le désavantage d’être moins confortables
pour le psy parce qu’ils le placent dans une position plus vulnérable,
plus exposée, que ne le fait le cadre freudien. Le clinicien
pourrait alors être tenté de maintenir un cadre qui lui
est confortable -aveugle qu’il serait au fait que ce dernier convient
mal à un nombre grandissant de patients- et de se permettre occasionnellement
des transgressions techniques. Pourtant, faut-il le préciser,
les observations postmodernistes qui ont servi de contexte sociétal
à la présentation des travaux de la clinique psychanalytique
contemporaine indiquent que les aménagements techniques du cadre
freudien sont appelés à devenir de plus en plus nécessaires
dans la mesure où, la société postmoderne offrant
moins de systèmes sociaux pour symboliser les problèmes
identitaires (Roussillon, 1996b), le fonctionnement psychique caractérisé
par le clivage et les difficultés de représentation sera
dans l’avenir encore plus répandu qu’il ne l’est
aujourd’hui . D’où l’importance pour la psychanalyse,
à cette période particulière de son histoire, de
se faire plus présente et d’offrir aux cliniciens des balises
telles que, par exemple, une plus large diffusion des théorisations
présidant à son évolution technique.
Hélène Richard
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