Une analyse qui utilise la psychohistoire
le lien d'origine : http://www.motus.ch/dossiers/psychohistoire/petain.html
POURQUOI PÉTAIN RENVERSA LA RÉPUBLIQUE
Le 10 juillet 1940, l'Assemblée nationale donnait tous pouvoirs
au maréchal Philippe Pétain pour promulguer la nouvelle
Constitution de l'État français. Le lendemain, ce dernier
mettait fin à la IIIe République et la remplaçait
par un gouvernement de collaboration avec l'Allemagne nazie, le "
régime de Vichy ". Le présent essai cherche à
mettre en évidence les motivations inconscientes qui - au cours
des années précédant la guerre - conduisirent une
partie de la nation française à envisager favorablement
un rapprochement avec Hitler et à accepter les conditions d'un
armistice humilant. Il s'attache notamment à préciser
en quoi la personnalité du Maréchal le prédisposait
à son rôle et dans quel rejouement collectif la nation
se trouvait embarquée.
Le discours du 17 juin.
Pour l'opinion publique, les événements tragiques de mai-juin
1940 apparaissaient à peu près ainsi : sous la terrible
attaque des forces allemandes, le front français avait cédé
et le gouvernement avait fait appel à deux grands chefs militaires
- dont le maréchal Pétain lui-même - pour tenter
de sauver ce qui pouvait l'être. Hélas, le " vainqueur
de Verdun " avait dû reconnaître que la partie était
perdue et déclarer aux Français le 17 juin, " sûr
de la confiance du peuple tout entier ", qu'il avait demandé
l'armistice. " Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de
mal ", leur disait-il encore le 25, avant d'ajouter : " un
ordre nouveau commence. "
Mais voyons quels sentiments refoulés s'exprimaient à
travers ces paroles. Sa courte allocution radiodiffusée du 17
juin 1940 contient les termes émotionnels suivants:
Sûr - affection - admirable - héroïsme - ennemi -
sûr - magnifique - devoir - sûr - fierté - sûr
- confiance - don - malheur - douloureuse - malheureux - dénument
- extrême - coeur serré - dures - fassent taire - angoisse
- écouter - foi - Patrie.
Dans la première partie de son discours, Pétain s'emploie
à souligner l'héroïsme des militaires et le don qu'il
fait désormais de sa personne à la France. Dans la seconde,
il évoque le malheur des réfugiés et informe qu'il
s'est adressé dans la nuit " à l'adversaire "
pour demander de rechercher - " entre soldats, après la
lutte et dans l'honneur " - les moyens de mettre fin aux hostilités.
Voici une traduction plausible du contenu émotionnel de ces deux
parties, mise en relation avec le vécu refoulé de l'enfant
: " Mon affection va à l'admirable héroïsme
ennemi [l'enfant vit sous la terreur de l'autorité du père].
C'est un magnifique devoir de confiance que de faire don de soi dans
le malheur [il s'offre en sacrifice aux rejouements parentaux]. "
Et puis, dans la seconde partie : " Un dénument extrême
me serre le coeur [l'enfant vit une détresse profonde]. Comme
c'est dur de faire taire mon angoisse pour t'écouter, père
[il utilise sa force et son amour pour refouler ses sentiments]. "
L'octogénaire qui vient d'être propulsé à
la tête de l'État est revêtu d'un prestige sans égal.
Pourtant, il s'incline lui-même devant la figure paternelle d'un
Hitler, auquel il semble faire don de sa personne. Telle apparaît
tout au moins la signification inconsciente de sa résignation
: derrière la façade patriotique se cache une admiration
sans bornes pour les idées d'ordre que symbolise le chancelier
allemand. De leur côté, des commentateurs de l'époques
saluèrent " le grand chef militaire qui, appelé trop
tard au secours d'irrémédiables faiblesses, sut néanmoins
donner à l'armée l'armistice, à la flotte, à
l'Empire, au pays, le salut " ou encore " l'homme providentiel,
désigné pour le salut de notre pays, avec cette sorte
de puissance et de majesté que Michel-Ange prête à
sa Pieta portant sur ses genoux le Christ destiné à la
résurrection ; ainsi le maréchal Pétain a-t-il
soutenu la France blessée qui ressuscitera elle aussi. "
Une bourgeoisie " capitularde ".
Pour comprendre un tel enthousiasme, une telle admiration, il faut remonter
quelques années en arrière. La France de l'entre-deux-guerres
connaît le même drame social qui domina le 19e siècle
: quelques puissantes familles accaparent les forces et les richesses
de la nation. Mais un nombre croissant de citoyens ouvrent les yeux
sur la réalité de leur condition, sur le système
qui les enveloppe et qui les tient. En 1936, la victoire électorale
du Front populaire provoque un formidable espoir de changements sociaux
mais elle accroît aussi les angoisses et la colère des
possédants. Pour ces derniers, l'Allemagne - l'ancien ennemi
- prend un visage amical pour avoir su repousser le bolchévisme.
Ils trouvent auprès du maréchal Pétain une figure
paternelle rassurante parce que lui aussi aime l'ordre et sera - selon
ses propres termes - l'homme qui " expie les péchés
du Front populaire ".
Le rejouement qui s'installe et culmine avec l'occupation de la France
par l'Allemagne peut se résumer ainsi : " Vous, le peuple,
avez poussé trop loin le goût de la liberté. Il
faut maintenant vous attendre à un retour de bâton. "
Inconsciemment, nombreux sont ceux qui comptent sur la punition paternelle
et présentent déjà leur derrière pour recevoir
la raclée. Pour des raisons que nous allons voir maintenant,
Philippe Pétain se révèle être le leader
idéal de cette mise en scène collective parce qu'il saura
livrer son pays à la furie allemande tout en donnant l'apparence
du contraire.
Le chancelier Hitler a de puissantes raisons pour souhaiter voir la
France aux mains de cet homme. Le Maréchal est une figure humiliée
de la première guerre mondiale et cache ses ressentiments derrière
un prestige de façade, conféré par son âge.
Contrairement à une légende populaire, il n'est pas "
le vainqueur de Verdun " mais bien celui qui - en 1916 - conseilla
l'abandon de la rive droite de la Meuse. Le Maréchal Joffre lui
interdit par deux fois ce repli désastreux et notera plus tard
dans ses Mémoires : " […] je tiens à affirmer
que le vrai sauveur de Verdun fut Nivelle. " En 1918, le général
Pétain s'emploie à contrecarrer les dessins offensifs
du général Foch et prépare un vaste repli des armées
françaises vers le sud. Il estime la victoire impossible et fait
donner l'ordre d'évacuer Reims. Foch doit rattrapper ces interventions
déplorables.
L'incurable pessimisme de Pétain était connu de tous les
chefs, civils et militaires, au point que le général anglais
Wilson en parlait comme d'un " général pacifiste
". Selon Paul Valéry, sa gloire majeure ne serait pas d'avoir
" sauvé Verdun " mais d'avoir rétabli l'ordre
dans l'armée après les mutineries du désespoir
qui marquèrent la dure année 1917. On sait en effet que
Pétain fit fusiller un certain nombre de soldats. Au fond, ces
derniers étaient coupables d'exprimer ouvertement le défaitisme
que lui-même refoulait. Convaincu jusqu'au bout de la supériorité
allemande, Pétain fut nommé maréchal dans l'euphorie
de la victoire, pour éviter des discriminations fâcheuses
et ne pas aigrir davantage un tempérament rancunier, capable
de nourrir de très longues haines.
Une défaite préméditée.
La suite des événements montre comment le Maréchal
travailla en sous-main pour miner les intérêts de la République
face à la montée de la puissance allemande. En 1934, alors
ministre de la guerre, le maréchal Pétain réduit
lui-même de 603 millions à 470 les crédits militaires
que le Parlement avait votés. Il se bornera à n'en utiliser
que 403, tandis que l'Allemagne porte à un milliard et demi son
budget de la guerre. La même année, devant la Commission
de l'armée du Sénat, il déclare : " Les forêts
des Ardennes sont impénétrables. Ce secteur n'est pas
dangereux. " En conséquence, les crédits nécessaires
à la fortification de la frontière nord ne sont pas débloqués,
laissant dans cette région une faille par laquelle les blindés
allemands opéreront leur percée. En mai 1940, cinq jours
suffisent aux armées d'Hitler pour percer le front français
à Sedan. Loin de s'en inquiéter, le Maréchal laisse
entendre que cette défaite est imputable au gouvernement du Front
populaire qui aurait laissé la France désarmée
face à l'Allemagne. Pourtant, une analyse détaillée
des forces en présence démontre que les Allemands mirent
en ligne un peu moins de 4'000 chars, tandis que l'on en possédait
au moins 4'600 du côté français. Selon un général,
la portion du programme d'armement exécutée à la
déclaration de guerre était largement conforme aux prévisions
et la France parfaitement capable de tenir tête à l'ennemi.
L'armée française était à même d'établir
un barrage comportant dix canons antichars au kilomètre. Mais
les divisions françaises présentes sur le front de Sedan
en sont étonnamment dépourvues.
Pour les Français ignorant dans l'ensemble ses desseins secrets,
la gloire du Marchal demeure entière ; tout le personnel militaire
est maintenant associé à la lutte ou du moins le croit-on.
Le président du Conseil Paul Reynaud connaît l'histoire
et les fâcheux comportements de Pétain, mais il sait également
l'immense prestige de ce nom sur la foule. Le 18 mai 1940, il le fait
entrer au gouvernement et déclare : " Le maréchal
Pétain est désormais à mes côtés,
mettant toute sa sagesse et toute sa force au service du pays ; il y
restera jusqu' à la victoire. "
A ce stade du rejouement collectif, la figure emblématique du
vieux militaire galvanise la stupeur nationale. Mais le double objectif
de Pétain est déjà clairement défini : a)
provoquer rapidement la cessation des hostilités par une demande
d'armistice et b) s'emparer du pouvoir absolu en liquidant la République.
De son côté, le président Reynaud est toujours décidé
à poursuivre la guerre et à transférer le gouvernement
en Afrique du Nord. Pendant plusieurs semaines, les partisans de l'armistice
travaillent à miner le gouvernement Reynaud, lui ôtant,
à l'aide de promesses, autant de ministres qu'ils le peuvent.
Le 16 juin à vingt heures, découragé, Paul Reynaud
démissionne et Philippe Pétain devient président
du Conseil.
Livrer le peuple à l'ennemi.
Le soir même, le Maréchal adresse au Führer une note
lui demandant de faire connaître les conditions d'un armistice.
Et sans attendre la réponse allemande, il annonce aux Français
sa décision le lendemain, d'une voix qu'un laudateur qualifiera
de " pathétique, véridique, poignante comme la prière
des agonisants. " Mais la capitulation n'est pas encore signée.
Le Président de la République, les présidents de
la Chambre et du Sénat s'accrochent encore à l'idée
d'un transfert du gouvernement à Alger, que Pétain feint
d'asssimiler à une désertion. Les militaires dicteront
désormais leur conduite aux élus : le 22 juin, le Maréchal
donne l'ordre de signer l'armistice, puis fait entrer Pierre Laval dans
son cabinet, en qualité de ministre d'État. Il n'y a plus
alors qu'à renverser la République.
Dans les discours qu'il a déjà tenu aux Français,
Philippe Pétain s'est soigneusement abstenu d'indiquer les "
réformes constitutionnelles " qu'il prépare. Il n'a
parlé qu'en termes vagues de " redressement intellectuel
et moral ". Début juillet, M. Laval déploie un effort
incessant pour convaincre les parlementaires - convoqués à
Vichy - qu'un changement profond des institutions est nécessaire.
Le 10, après un discours persuasif devant l'Assemblée,
il fait voter cet article unique: " L'Assemblée nationale
donne tous pouvoirs au gouvernement de la République, sous la
signature et l'autorité du maréchal Pétain, à
l'effet de promulger, par un ou plusieurs actes, la nouvelle Constitution
de l'État français. " Le lendemain, en vertu de ces
pouvoirs, le Maréchal se proclame chef de l'État et met
fin à la IIIe République. Alors qu'il déclarait
agir dans l'ordre et la légalité républicaine,
son premier acte est d'abroger l'article 2 de la loi constitutionnelle
du 25 février 1875 qui, précisément instituait
en France la République. Philippe Pétain allait pouvoir
désormais imposer à la France ce qu'il nomma plus tard
" la politique pour laquelle j'ai demandé l'armistice. "
Une nation coupée en deux.
Bien que le Maréchal ait intrigué pour affaiblir la France
et parvenir au pouvoir, il est clair qu'il se présente en leader
d'une nation partiellement acquise à l'esprit de collaboration
avec l'Allemagne nazie. Les " pacifistes " de cette époque
ne sont pas les gens de gauche mais bien les " nationaux ",
dont les porte-parole se vanteront d'avoir combattu l'idée même
d'une guerre contre l'Allemagne, au nom du " réalisme ".
Ils expriment les convictions d'une psycho-classe particulière
qui, depuis la Révolution française, a toujours craint
le " virus démocratique " comme la peste. Mais que
dire de ceux qui - ayant soutenu le Front populaire - se laissèrent
trop facilement duper par la propagande insidieuse des défaitistes
? Que dire de l'attitude du gouvernement lui-même, lorsqu'en 1937
il décide d'étouffer l'affaire du Comité secret
d'action révolutionnaire, un groupe de " nationaux "
armé par l'ennemi et responsable de deux attentats à la
bombe destinés à déstabiliser la République
?
Désormais, la France est coupée en deux.
D'un côté ceux qui s'en remettent - bon gré mal
gré - à l'autoritarisme paternaliste de Pétain
: pour eux, la République a dépassé les bornes
(les quarante heures, les congés payés) et la punition
n'était que prévisible.
De l'autre, ceux qui se décident à combattre et se rallient
peu à peu autour d'une autre figure paternelle : le général
de Gaulle. Dans son allocution du 22 juin 1940, le jour même de
la signature de l'armistice franco-allemand, ce dernier fait état
des " ressources immenses " des alliés et des "
gigantesques possibilités de l'industrie américaine. "
Il va désormais incarner l'espoir d'une douloureuse renaissance.
Voici une analyse fantasmatique de cette intervention radiodiffusée
depuis Londres:
Démobilisées - livrées - asservissement - absurde
- abandon - vaste Empire - immense - gigantesques - triomphent - servitude.
Une traduction du contenu émotionnel pourrait être : "
Je suis démobilisé, livré à l'asservissement,
à un absurde abandon [l'enfant est le jouet des rejouements parentaux].
Mais un vaste Empire, immense et gigantesque, me permet de triompher
de la servitude [mais il a reçu assez d'amour pour avoir la force
de s'individuer]. "
Si l'on compare cette analyse à celle du discours de Pétain,
le 17 juin, il apparaît vite que les deux hommes n'ont pas le
même mode de rejouement. L'un est envahi par des sentiments d'impuissance,
l'autre est confiant dans ses ressources et invite ses compatriotes
à s'identifier à son combat. Psychiquement, l'un fusionne
avec son père tout puissant tandis que l'autre s'en différencie.
Leurs choix politiques en découlent : le premier se porte à
la tête d'un régime autoritaire auquel il prête une
vertu civilisatrice, le second oeuvrera pour rétablir un régime
démocratique qui implique un partage du pouvoir.
Marc-André Cotton
Sources historiques:
Henri Guillemin, La vérité sur l'affaire Pétain,Éditions
Utovie, Diffusion Différente, F-40320 BATS, 1996
QU'EST-CE QUE LA PSYCHOHISTOIRE ?
La théorie psychogénique élaborée par la
psychohistoire considère que les faits historiques doivent être
mis en relation étroite avec la manière dont les adultes
qui y participent ont été élevés en tant
qu'enfants. Là où d'autres théories mettent l'accent
sur les conditions économiques ou sociales, cette approche apporte
une compréhension plus profonde: les hommes ne sont pas les victimes
des destins imprévisibles de l'Histoire, mais recréent
inconsciemment, à travers des mises en actes personnelles et
collectives, le drame de leur propre enfance.
Un secret bien gardé.
Jusqu'à très récemment, les conditions historiques
dans lesquelles les enfants étaient élevés relevaient
d'un secret bien gardé. Cette question a même été
écartée de la plupart des débats sur les origines
possibles des comportements destructeurs, parce qu'elle ravive en chacun
les réminiscences intolérables de l'enfance, enfouies
à un niveau inconscient. Nous sommes en présence d'un
tabou quasi universel.
M. Co.
Le lien d'origine : http://www.motus.ch/dossiers/psychohistoire/petain.html