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Origine : http://www.psychasoc.com/article.php?ID=85
Dans son écrit sur le transfert (au sens psychanalytique
du terme) en institution, Rémi Sainterose conclut sa réflexion
en affirmant que « le transfert en institution, en dehors
de la cure analytique, c’est de l’amour tout court »
(In Découverte Freudienne, Avril 1993).%a% A la lecture de
ces mots c’est l’audace de l’auteur qui me frappe.
L’audace et le courage d’avoir prononcé et écrit
ce mot : « amour ». Ce mot que je pense si fort et qui
se dit pourtant si bas. Derrière ce terme, si peu utilisé
dans notre vocabulaire et dans notre culture professionnelle d’éducateurs
spécialisés, flotte une espèce d’interdit,
une sorte de honte coupable. De quelles dérives les premiers
éducateurs ont-ils bien pu faire l’objet pour que le
sentiment d’amour se retrouve du côté des tabous
?
Tout au plus, on se permet de laisser le terme « affectif
» pénétrer dans nos discours. Celui d’
« affection » n’ayant peut être pas une
connotation suffisamment professionnelle. Celui qui vient de plus
en plus, à mon avis, faire l’unanimité dans
notre savoir professionnel (pour peu qu’il soit empreint d’une
pointe de psychanalyse), c’est le mot « transfert ».
Celui là semble faire toute la différence. C’est
vrai, c’est différent…l’amour on s’en
défend, on le refuse, « on n’est pas là
pour les aimer » entend-on souvent dans les institutions;
alors que le transfert, on le « déplace », on
le « manie », on le « liquide »…Pourtant,
celui qui a légèrement poussé sa réflexion
sur la question du transfert sait que malgré le mécanisme
complexe qui s’opère, le transfert n’en demeure
pas moins un amour véritable.
Aussi loin que je me souvienne de mes motivations quant à
ce métier pour lequel je suis une formation, le même
terme, parmi d’autres, ré-apparaît de manière
redondante : l’amour. Amour du métier, amour des autres,
amour des enfants, amour de mes semblables, amour de la relation
d’aide, amour du contact, amour de la communication…
Exposer ces motivations lors de la sélection au concours
d’entrée ne m’a pas empêché d’être
admise à l’école. Peut–être justement
me leurrai-je et ce serait alors dans un souci de déconstruction
de mes représentations que l’on m’a admise. Mais
si c’est le cas, au travers de cet écrit, je souhaiterais
comprendre si la nature de mes motivations pourrait m ‘empêcher
d’exercer mon métier dans une éthique professionnelle
acceptable.
UNE VIGNETTE CLINIQUE
Afin de préciser le thème de cet écrit, permettez
moi de relater une expérience vécue l’été
dernier. Permettez-moi également de vous la livrer dans la
plus grande honnêteté afin de pouvoir l’utiliser
dans l’étayage de la présente réflexion.
Il ne s’agit donc pas de faire l’analyse de cette situation
mais plutôt d’illustrer la complexité des sentiments
inhérents au transfert et au contre-transfert dans la realtion
éducative, bref à la Rencontre.
J’étais animatrice pour un mois dans un centre de
vacances pour adultes handicapés mentaux et/ou physiques.
Parmi eux G. Il a 37 ans, sur son dossier il est décrit comme
psychotique présentant des troubles autistiques. Les premiers
jours du séjour, je le rencontre ainsi : du haut de ces 90
kg G. passe son temps à manger, à engouffrer tout
ce qui a l’aspect de la nourriture, il boit de la peinture,
il dort, il urine contre les arbres, se masturbe en public et se
présente dans une grande violence envers lui même et
envers les autres. Tout animateur qui décide de l’aider
à attacher ses lacets de chaussures prend le risque de se
retrouver une touffe de cheveux en moins sur la tête.
C’est une nuit que je l’ai réellement Rencontré
alors que je faisais fonction de veilleuse. Une nuit sans sommeil,
une nuit de violence et d’agitation incontrôlables accompagnées
de toutes les déjections corporelles imaginables. Peur et
souffrance de son côté. Peur et étonnement du
mien. Peur de sa violence, peur pour lui, peur qu’il ne parvienne
pas à trouver le sommeil, peur qu’il passe de mauvaises
vacances. Etonnée par cet adulte psychotique qui malgré
ses accès de violence me fait l’effet d’un nourrisson
perdu, désolé et apeuré. Etonnée également
par cet autiste qui ne parle pas mais qui comprend et exécute
aussi sec toutes les consignes orales qu’on lui donne (va
te coucher, habille-toi…)
Désespérée, je cherchais le moyen de capter
son attention, de lui signifier qu’il n’était
pas seul, bref de communiquer… C’est dans ses yeux qu’il
m’a semblé trouver tout ce qu’il ne pouvait dire.
Cette nuit là, ainsi que tous les moments que nous avons
passés ensemble par la suite, il est resté le regard
pendu au mien comme un nouveau-né. Moi qui pensait que les
autistes fuyaient le regard…
Excédée par son comportement qui réveillait
toute la chambrée, la directrice me propose de le faire dormir
dans ma chambre de veille. « C’est hors de question
» ai-je répondu devant G. Résultat : nous avons
passés, par la suite, G. et moi même, une grande partie
du séjour à faire des siestes dans l’herbe au
soleil. En psychanalyse on dit que, chez les autistes, le rejet
crée la demande…Cette nuit là, j’ai suivi
son regard intriguée, cela semblait l’apaiser. Et ce
n’est que lorsque, ne tenant plus, j’ai enfin trouvé
le sommeil, qu’il l’a trouvé également.
Cette nuit-là j’ai fait une hypothèse : c’est
l’insécurité qui le rend si agité. Peut
être que si quelqu’un acceptait de prendre soin de lui
de manière « suffisamment bonne » (cf. l’expression
de Winnicott), il pourrait passer de meilleures vacances.
Comment prendre soin d’un autiste sans s’en approcher
? Personnellement, je ne sais pas faire autrement. Et comment s’approcher
de quelqu’un sans prendre le risque d’y engager ses
affects, ses sentiments ?
Les jours qui ont suivi j’ai continué à coller
mon regard à celui de G. Pas seulement mon regard mais aussi
mes mimiques, mes gestes, ma voix. Bref, miroir visuel et acoustique
cherchant à étayer mes actes par de la théorie,
je me disais qu’en adaptant au mieux mon attitude à
la sienne (telle la mère dans les premiers moments après
la naissance de l’enfant), il atteindrait peut être
une sécurité suffisante pour passer de bonnes vacances.
Puis, au fur et à mesure je me désadapterai afin d’envisager
une séparation.
Outre l’ambition prétentieuse et les risques que comportaient
une telle attitude, j’oubliais un paramètre : le cadre
temporel dans lequel se déroulait la situation (1 mois).
Les repas avec G. étaient un vrai calvaire pour les animateurs
et les autres vacanciers qui partageaient sa table. En voleur très
futé de pain et de café , G. était imprévisible.
Si l’attente se faisait trop longue entre les plats, il arrachait
les cheveux de son voisin. La façon dont il se nourrissait
et dont il se saisissait des aliments me faisait l’effet d’un
immense gouffre qui ne demandait qu’à se remplir après
une longue période de privation. Devant cette sensation insupportable,
j’entrepris de passer quelques repas à ses côtés
en conservant l’attitude « contenante et adaptée
» que je cherchais à avoir le reste du temps. Les repas
se passèrent légèrement mieux. G. volait moins
et n’utilisait pratiquement plus la violence. Le reste du
temps il nous montrait à quel point il prenait plaisir à
« méditer » au soleil près des arbres,
à quel point il était capable de rire et de sourire
et incapable de s ‘inscrire dans une quelconque activité….
Au quatrième ou cinquième repas, alors que beaucoup
de sourires s’étaient échangés et que
le repas s’était bien passé pour tous, G. me
fixa droit dans les yeux et approcha ses deux mains de mon visage,
signe habituel d’arrêt de mort pour quelques uns de
mes cheveux. Je ne sais pourquoi je n’ai pas eu peur ni pourquoi
j’ai légèrement incliné ma tête
en avant à son contact, mais c’est avec une grande
surprise que je l’ai senti déposer un baiser délicat
au sommet de mon crâne. Devant ce geste qui représentait
une première pour G. depuis le début du séjour,
je n’ai pas su mettre mon affectivité de côté.
Même le fait de me dire que j’étais prise pour
une autre, que ce baiser se trompait d’adresse comme c’est
le cas dans le transfert (mais nous y reviendrons) n’y a pas
fait grand chose.
A partir de ce moment, l’affection s’est faite grandissante
entre nous. Ses régulières effusions de tendresse
à « mon » égard m’ont toujours beaucoup
étonnée. Pour exemple : un soir, suite à un
coup de téléphone personnel m’annonçant
une mauvaise nouvelle, je décidais en réaction d’aller
m’aérer dans le parc du site qui nous était
alloué. Quelle ne fut pas ma surprise de sentir, dans ma
lancée, la main de G. attraper mon bras pour le retenir.
Le regard attendri et le sourire entendu, il a enveloppé
ma main dans les deux siennes et m’a invité à
m’asseoir sur l’herbe près de lui. A ce moment-là
je n’ai pas trouvé l’intérêt de
poursuivre ma « promenade cathartique » et je suis restée
là. Cependant je ne savais plus de quel côté
se trouvait l’empathie, le soin et le transfert. Serait-ce
possible, comme le dit Lacan que le contre-transfert soit simplement
une autre façon de désigner le transfert ?
Quelques jours plus tard, suivant mon idée et les conseils
de la Directrice je décidais de commencer à préparer
la-dite séparation. Mes tentatives d’approche de discussion
concernant la fin du séjour se sont soldées par de
la violence de sa part. Alors j’accompagnais mes mots par
une distance physique plus importante tout en respectant la sienne.
L’avant veille du départ G. a passé la journée
collé à moi, grandes embrassades et éclats
de rire étaient au programme. Je n’ai pas pu, pas su
m’éloigner, me déplacer. Le lendemain matin
jour du départ, G. s’est levé, m’a accueilli
avec un petit sourire et m’a serré fort contre lui
puis je suis partie m’occuper d’autres vacanciers. Une
demi heure plus tard, je l’ai vu qui était toujours
assis sur le banc sur lequel je l’avais laissé. Pour
un agité permanent cela m’a semblé étrange.
Je me suis approchée de lui et pour la première fois
depuis le début du séjour je l’ai vu pleurer.
Tristesse, déchirement et culpabilité se sont mêlés
en moi. En fin de journée, nous avons accompagnés
les vacanciers à la gare. G. est monté dans le train.
A partir de ce moment là, je n’ai aucune idée
de ce qui s’est passé pour lui. Mais je sais que, pour
ma part, je suis restée sur le quai douleur poignante et
sensation d’arrachement passif dans le corps.
Au terme de cette expérience, outre la souffrance et ce
que cette situation m’avait révélé de
mes propres problématiques qui restaient à gérer,
je me suis fait la réflexion suivante : le transfert (au
sens analytique) je sais à peu près ce que c’est,
j’ai même une petite idée de ce qu’il est
recommandé d’en faire, mais en ce qui concerne le contre-transfert,
il y a quelque chose qui me dépasse…
Vous l’avez peut être compris, la réflexion
que je mène ici concerne davantage la question de ce que
l’on appelle en psychanalyse le « contre-transfert »
plutôt que celle du transfert. (Nous reviendrons plus tard
sur une définition plus détaillée de ce concept).
Je désire donc travailler ici la question des affects positifs(l’amour
particulièrement) qui sont en jeu dans la relation éducative
et ce en tant que personnes accompagnant d’autres personnes.
La position que j’adopterai tout au long de cet écrit
concerne l’intérêt que nous avons à donner
à la reconnaissance et au plein emploi de la dynamique transférentielle
et contre-transférentielle car ce sont des points d’ancrage
précieux dans toute prise en charge visant le soin et l’éducation
de personnes en difficultés. Mais pour cela, il faut savoir
de quoi l’on parle. Dans cette perspective, j’aborderai
les questions du transfert, du contre-transfert, de la rencontre,
du cadre de cette dernière, de la « bonne distance
» à adopter au sein de celle-ci et enfin j’en
viendrai à une re-formulation de la problématique
de cet écrit en exposant la position qui est :
L’amour dans la relation éducative, une question …
…De transfert
1). Définition et conception
Bien que souvent considéré comme un moment capital
dans la prise en charge de personnes en difficultés (nous
verrons pourquoi), la question du transfert reste un terrain collant
et glissant sur lequel on hésite parfois à s’aventurer.
En effet, c’est justement parce que le transfert peut potentiellement
exister dans toute relation et que l’on ne peut jamais s’en
débarrasser qu’il peut devenir embarrassant. Cependant,
Rémi Sainterose, cité plus haut, insiste particulièrement
sur le fait que la référence au transfert est ce qui
peut se faire de mieux dans le type de prises en charge qui nous
concernent. En effet, selon ce même auteur, une grande partie
de notre travail serait réalisé si nous accordions
davantage d’attention à l’élucidation
des aspects transférentiels générés
par les prises en charge d’enfants en difficulté. Ce
concept psychanalytique mérite donc que l’on s’y
intéresse particulièrement afin de comprendre de quoi
il s’agit réellement.
Le transfert désigne généralement le processus
psychologique par lequel des désirs inconscients et infantiles
viennent s’actualiser dans une relation présente. Par
cette définition, nous comprenons qu’en psychanalyse
le sujet accorde une importance éminente à son thérapeute.
Dans cette perspective, le transfert relève d’une double
erreur : erreur sur la personne et erreur sur le temps.
Nous allons voir comment ces éléments se déclinent
d’une part dans la cure analytique (puisque c’est dans
ce contexte particulier que la notion de transfert a été
conceptualisée), et de quelle manière il entre en
jeu dans la relation éducative, d’autre part.
2). Le transfert dans la cure analytique
*. La découverte du transfert
C’est Freud le premier qui a conceptualisé le phénomène
transférentiel. Son humilité lui a permis de comprendre
que les élans amoureux manifestées par ses patientes
hystériques ne lui étaient pas destinés. Néanmoins;
auparavant, sa formation initiale de biologiste l’avait amené
a évoquer la question du transfert sur le plan neurologique.
Ainsi, dans « L’Esquisse », il explique que le
processus de remémoration dépendrait d’un transfert
de quantité d’un neurone à l’autre. Puis,
dans ses travaux sur le rêve Freud précise que le rêve
ne serait que le « substitut d’une scène infantile
modifiée par le transfert dans un domaine récent »
(in « l’interprétation des rêves »
). De la même manière, dans la cure, Freud va s’apercevoir
que ses patients s’adressent à lui comme ils auraient
pu le faire avec leurs objets d’investissement infantiles
(en général, les parents) et que les affects associés
(de l’ordre de l’amour et de la haine) restés
inconscients vont devenir conscients. C’est sa patiente Dora
qui va le mettre sur cette voie de réflexion. Par cette expérience
Freud va énoncer qu’un des objectifs de la cure est
de « démasquer » le transfert au même titre
que les autres phénomènes psychiques inconscients.
Ainsi, le transfert serait une copie des tendances et des fantasmes
dont la caractéristique est de remplacer une personne connue
antérieurement par la personne de l’analyste. Cette
nouvelle édition fantasmatique est éveillée
et rendue consciente par les progrès de la cure.
Par cette conceptualisation du transfert, Freud met en lumière
d’une part le caractère répétitif du
transfert ainsi que son caractère paradoxal.
*. Le caractère paradoxal du transfert
Le paradoxe du transfert réside, selon Freud, dans le fait
qu’il est à la fois inévitable et qu’il
s ‘oppose comme résistance au progrès de la
cure. Transfert comme résistance donc, mais si l’analyste
parvient à faire découvrir au patient le sens de son
transfert, il devient le plus puissant auxiliaire de la cure.
Puisque le transfert implique des affects liés aux objets
d’investissement infantiles, il peut se manifester de deux
manières :
• Le transfert négatif qui engage des sentiments hostiles
à l’égard de l’analyste, constitue une
résistance de fait.
• Le transfert positif qui engage des sentiments amoureux
à l’égard de l’analyste, constitue une
résistance composée d’éléments
érotiques refoulés.
Nous en revenons ici à la question de l’amour à
proprement parlé. En effet, comme cela a déjà
été évoqué dans l’introduction,
Rémi Sainterose ainsi que nombre d’auteurs tel le Dr
Sicsic nous rappellent, à l’instar de Freud, que, bien
que l’amour (ou la haine) qui se manifeste dans le transfert
soit une réédition des réactions infantiles,
il reste néanmoins un amour véritable. Par conséquent,
l’amour favorise l’action de l’analyse en facilitant
les relations mais il est aussi un obstacle. Déjà
nous comprenons que c’est le refoulement du sens que le transfert
prend pour le patient qui fonde, en partie, la résistance
dont il est question. Mais nous verrons, plus loin, en quoi l’amour
est également un obstacle à la cure.
*. Le transfert : une répétition (mais pas seulement…)
Nous avons vu que le transfert a une tendance spontanée
à se réaliser à partir des imagos parentaux.
Dans son écrit sur la dynamique du transfert, Freud précise
que cette dynamique implique largement les parties inconscientes
des complexes infantiles. En effet, la vie sexuelle infantile est
organisée par le complexe d’Œdipe et nous savons
a quel point ce complexe revêt une fatalité insatisfaisante
pour l’enfant. Ce sont les modalités sur lesquelles
se termine cet amour caractéristique de la période
infantile qui tendent à se répéter régulièrement.
Freud compare ces modalités à des clichés d’imprimerie.
Ainsi, toute relation affective ultérieure tendra à
reproduire toujours et encore un des clichés acquis au cours
de l’enfance. En bref, nous sommes marqués à
tout jamais par nos premiers objets d’amour et c’est
parce que nous avons dû y renoncer qu’inconsciemment
nous désirons les retrouver. Dans cette perspective, nous
comprenons que si les enfants d’institution sont concernés
par le transfert c’est parce que ce dernier est lié
au fonctionnement même du psychisme. Par exemple, l’étude
du transfert chez les enfants en état d’abandon que
nous recevons en CMPP fait régulièrement apparaître
l’existence d’une vie affective perturbée durant
la petite enfance. Je comprends également ce sentiment de
tendresse maternelle que je ressens régulièrement
face à ces enfants, adolescents, adultes avec qui je travaille
et qui insistent dans leur rapprochement à mon égard.
Néanmoins, considérer le transfert comme une simple
répétition du passé n’est pas suffisant
et serait bien restrictif. C’est Lacan qui, de par son apport
linguistique à la psychanalyse, a introduit du nouveau dans
la question du transfert tout en restant au plus prés de
la conception freudienne. Il a pu dégager la notion de transfert
de la simple relation duelle et d’une pure et simple répétition
du passé. Dans son séminaire sur le transfert, il
énonce le fait que : « la voie de l’analyse ne
peut jamais répéter le mouvement de développement
de la névrose ». En effet, le maniement du transfert
implique que l’on résolve les choses dans le mode d’organisation
où elles sont actuellement. Pour envisager ce maniement il
faut s’arrêter un bref moment sur la question du langage
et du signifiant.
Pour Lacan, c’est le langage qui fait qu’un sujet peut
exister en tant que tel. Le sujet n’existe qu’à
la condition de se représenter entre deux signifiants. Par
conséquent, il se réduit lui-même à n’être
qu’un signifiant au milieu des autres. Cette conception de
lui-même constitue pour le sujet un « manque à
être » qui le laisse divisé, séparé
d’une partie de lui même qui lui échappe en permanence.
Cette partie de lui même c’est l’inconscient,
c’est la cause de son désir. C’est pourquoi l’inscription
dans le langage (condition essentielle à la venue du sujet
selon Lacan) s’accompagne d’une perte qui fait que le
sujet ne sera plus jamais « un ». Ainsi, on a longtemps
pensé que les psychotiques et les jeunes enfants étaient
inaptes au transfert du fait de leur non-inscription dans le langage.
Aujourd’hui, la plus grande suspicion quant à l’inaptitude
au transfert se porte sur les structures perverses.
Ce qui se transfert alors dans la relation ce sont avant tout des
mots, des signifiants. Les affects se déplacent d’une
représentation à l’autre du fait même
de la structure signifiante et c’est parce que le passé
peut se répéter dans n’importe quel signifiant
qu’il s’agit de parler du transfert comme la «
répétition d’un même ratage au cœur
même de la condition du sujet (…), ce n’est rien
d’autre que la mise en acte de la réalité de
l’inconscient, réalité sexuelle puisque c’est
dans cette mauvaise rencontre de départ que se trouve la
cause du désir du sujet » (Rémi Sainterose,
« Le transfert en institution », in Découverte
Freudienne, Avril, 1993).
Le désir et l’éthique de l’analyste vont
permettre au transfert de se « liquider » selon des
modalités différentes de celles qu’il a connu
enfant. Il y a un moment où le transfert va laisser la place
à une interprétation, source de renouvellement. Pour
que ce renouvellement soit possible, il faut d’abord interroger
la demande du patient envers son analyste.
*. « Le transfert c’est de l’amour qui s’adresse
au savoir » (Lacan)
Nous avons pu voir, grâce aux apports de Lacan que le transfert
en analyse se fonde sur la parole mais également sur le fait
que cette parole trouve une adresse. En fait, au début de
la cure, il s’établit chez le patient une sorte de
croyance en un savoir différent de celui qui était
attaché jusqu’alors a ses symptômes. Ce savoir,
l’analysant fait l’hypothèse que c’est
l’analyste qui le possède. La demande d’analyse
s’effectue à partir de la souffrance du sujet. Ce dernier
ne sait plus où il en est et l’analyste lui fait l’offre
d’un « tu peux savoir ». Lacan nomme cette position
de l’analyste : le « Sujet Supposé Savoir ».C’est
sur cette base que reposerait l’amour adressé à
l’analyste. Cet aspect est qualifié par R.Sainterose
comme l’aspect « positif » du transfert. L’amour
de transfert c’est donc le patient qui suppose à son
analyste un savoir le concernant, ce savoir qui lui manque et qui
peut le compléter.
Ce serait donc cela l’amour, le transfert comme résistance
: persuader l’autre qu’il a ce qui nous manque. De la
même manière que je me suis persuadée qu’en
étant si proche de G, ses symptômes s’apaiseraient.
Mais dans l’amour, il y a une part de tromperie car ce qui
manque au sujet, ça lui manque réellement de structure
et rien ne pourra venir combler ce manque inhérent à
sa rencontre de départ.
Ici, nous entendons l’intérêt de gérer
le transfert non comme une répétition pathogène,
mais comme une occasion de résilience, une source de «
re-vie ».
*.Déplacement, sublimation et renouvellement
Dans son écrit intitulé : « Remémoration,
répétition et élaboration », Freud va
introduire la notion de « perlaboration » de la résistance
manifestée dans le transfert. Autrement dit, l’analysant
va devoir effectuer un travail psychique de manière à
percevoir et à élaborer quelque chose du sens de sa
résistance, de son transfert. En institution, on peut comparer
la notion de perlaboration de Freud aux supervisions dans lesquelles
on entreprend d’élucider les mouvements transférentiels
qui opèrent en son sein.
Il s’agira donc, pour le soignant, en prenant appui sur la
dynamique transférentiel, de créer des nouvelles éditions
des anciens conflits mais, cette fois, en mettant en œuvre
toutes les forces psychiques disponibles pour aboutir à une
solution différente. Selon R.Sainterose, cette « mise
en scène » permet d’échapper à
la répétition qui met le symptôme à l’œuvre.
De plus, par l’interprétation du transfert, le sujet
va être amené à comprendre quelque chose de
son manque. C’est le désir de l’analyste qui
va faire en sorte que l’amour de transfert se porte au crédit
de la psychanalyse, travail de sublimation pour passer de l’amour
adressé à une personne au partage d’un amour
adressé à la recherche d’une certaine vérité
du sujet. Selon Daniel Sibony, l’aboutissement du transfert
passe par ce qu’il appelle le « transfert du transfert
», autrement dit, le détachement du transfert de son
objet (l’analyste) pour le diriger vers d’autres objets.
Destitution (et non substitution) du Sujet Supposé Savoir
pour laisser le patient libre de s‘accommoder comme il l’entend
de sa position de sujet. Il ne saurait donc y avoir de fin de traitement
sans liquidation du transfert, sans détachement progressif.
Ceci pourrait expliquer pourquoi, sans réelle liquidation
du transfert, la séparation entre G. et moi-même a
été si douloureuse. Nous allons donc voir ce qu’il
en est de la question du transfert dans la clinique éducative.
3). Le transfert dans la relation éducative
En clinique éducative, le transfert se manifeste au quotidien
lorsque l’on évoque « l’accrochage »
d’un enfant avec tel ou tel éducateur. Selon J.Rouzel
(dans» « Le travail de l’éducateur spécialisé
»), la clinique éducative opère sous transfert
au même titre que la clinique psychanalytique. Comme toute
relation humaine, la relation éducative s’inscrit sur
un fond d’affectivité dont l’amour fait partie.
J.Rouzel rajoute même que ce qui fait la spécialité
de l’éducateur spécialisé c’est
sa compétence à mettre au travail des « aménagements
favorisant le transfert ». Ces aménagements sont constitués
par tous les tiers intervenant dans la relation. Autrement dit,
l’espace des médiations, les autres membres de l’équipe,
l’institution elle-même mais aussi les parents. En effet,
la parole des parents et leur vœu inconscient vont être
déterminants au préalable de la mise en place du transfert
de l’enfant. De fait, les parents sont impliqués dans
le dispositif de soin de l’enfant puisque ses symptômes,
fantasmes et désirs sont en lien étroits avec ceux
des parents. Travailler avec l’inconscient de l’enfant
c’est, selon R.Sainterose, travailler avec l’inconscient
des parents. Et cela n’implique pas la même chose pour
l’enfant d’avoir été amené à
l’institution pour être soigné, aidé,
grondé ou assisté.
De la même manière qu’en psychanalyse mais
à un autre degré, le sujet va être amené
devant son manque. Le dispositif dont dispose l’équipe
éducative pour vivre cette question ne lui permet pas de
parler de travail sur la castration comme en psychanalyse mais de
travail sur l’autonomie.
Dans la clinique éducative, l’amour qui se joue dans
la rencontre est également un amour adressé au savoir.
Cependant selon Rouzel, il n’est plus question de Sujet Supposé
Savoir, mais de « sujet supposé savoir-faire ».
Savoir-faire avec ce qu’il est, savoir-faire dans les relations,
savoir-faire dans la société, dans les démarches
administratives etc…De la même façon que l’analysant,
l’enfant suppose à l’éducateur qui l’accompagne
un savoir sur lui, la vie et le monde qui l’entoure. C’est
au titre de ce savoir que l’enfant, le jeune, l’adulte
va « accrocher ». Son transfert va consister à
adresser à l’éducateur les signifiants relatifs
à son manque. Ce savoir supposé de l’éducateur
il s’agit de le transmettre. En effet, en psychanalyse le
transfert sert à interpréter le fantasme, dans la
clinique éducative le transfert va être utilisé
pour donner lieu à une transmission de savoir. Pour ce faire,
l’éducateur prend appui sur ce que transfère
le sujet pour l’amener à s’approprier son propre
savoir, celui que le sujet avait d’abord prêté
à l’éducateur. La même dimension de déplacement
qu’en psychanalyse est en jeu dans la relation éducative.
Le jeune s’appuie sur son amour pour l’éducateur
pour investir d’autres types de relation et d’objets
d’amour. Par ce déplacement il peut, selon Rouzel,
expérimenter une « marge de manœuvre dans laquelle
il s’éprouve comme sujet responsable ».
Il s’agit donc, pour l’éducateur d’être
au fait de ces mécanismes transférentiels car, nous
dit Rouzel, c’est à cette condition qu’il peut
permettre la fin de l’état d’abandon de l’enfant
et contribuer à la fin de la répétition pathogène.
En déplaçant la charge affective qu’il supporte
sur d’autres objets d’investissement il ouvre des possibilités
nouvelles à l’enfant.
C’est ainsi qu’au CMPP, l’éducateur qui
accueille les enfants sur la demi-journée ne pose pas d’avance
les activités. Les possibilités existent de fait puisque
des vélos sont disponibles ainsi qu’une cuisine, des
jeux de société et un atelier bricolage. Mais pour
commencer, la relation et les désirs manifestés par
les enfants seront ses seules médiations. Puis, en apprenant
à bricoler sans mise en danger de lui-même et des autres,
en apprenant à faire du vélo tout en respectant le
code de la route…l’enfant pourra éventuellement
accéder aux apprentissages scolaires et aux codes sociaux
qui, du fait qu’ils soient symptômes, signent l’existence
de sa problématique.
A la lumière de ce qui vient d’être énoncé
nous pouvons conclure que, bien que la théorie freudienne
du transfert soit une riche description et explication du mécanisme
qui se joue, elle n’intègre que très partiellement
la dimension interpersonnelle de la rencontre pouvant même
aller jusqu’à une objectivation des éléments
qu’elle énonce. La communication et la vie relationnelle
affective sont mises à l’écart. Or, travailler
avec le transfert, ne doit pas être, à mon sens, réduire
la relation au transfert. En effet, à la composante transférentielle
répétitive la rencontre peut ajouter une dimension
possible d’innovation et de renouvellement. Ainsi, peut-être,
pourrions-nous considérer que le transfert ce n’est
pas se tromper d’adresse, comme l’indique la théorie
freudienne, mais justement l’occasion de trouver la bonne
adresse en ce qui concerne l’accession à la position
de sujet et à son épanouissement.
Afin d’aborder l’intéressante question de la
rencontre, nous allons donc nous pencher sur la question du contre-transfert
et de l’amour, puisque c’est justement l’objet
de cet écrit, et d’en énoncer les conséquences
dans la relation éducative.
…De Contre-transfert
1). Définition et conception
Si le transfert est une demande de savoir adressée, il
paraît tout naturel que cette demande soit gratifiante pour
celui qui la reçoit. La question est donc de savoir comment
l’on réagit à cette gratification, à
cette demande d’amour et de savoir que l’autre nous
adresse. Ainsi , le contre-transfert désigne « l’ensemble
des réactions affectives conscientes ou inconscientes de
l’analyste envers son patient » (Dictionnaire de psychanalyse,
R.Chemama et B.Vandermersch, Larouuse). On peut donc entendre sous
le terme de contre-transfert tout ce qui, dans la personnalité
du soignant, peut intervenir dans le soin et plus précisément
ses réactions inconscientes vis-à-vis du patient,
affects et sentiments compris. Dans cette optique de définition,
on peut entendre la position de R.Sainterose lorsqu’il nous
dit que la notion de contre-transfert est une façon de désigner
professionnellement quelque chose qui implique tout autre chose
que du professionnel.
Comme nous l’avons vu concernant le transfert, les affects
sont inhérents à toute rencontre et à toute
relation humaine, l’éducateur n’en est donc pas
exempt et nous verrons plus tard que c’est tant mieux. L’analyste
peut avoir une attitude passive dans sa participation à l’expérience
affective du patient dans la cure. Les éléments de
participation active du soignant qui peuvent se traduire par de
l’acceptation ou du refus par exemple, sont parfois regroupés
sous l’expression de « réactions contre - transférentielles
». Or, il me semble que c’est justement une spécificité
de l’éducateur que d’être actif (au sens
d’intervenir) dans les expériences de ceux qui l’accompagnent
et il ne peut s’y soustraire. Le contre-transfert existe donc
chez les éducateurs de la même manière que le
transfert concerne ceux que nous accompagnons.
Pour explorer cette question, nous allons commencer par envisager
ce que peut en dire la psychanalyse car contrairement au transfert
qui, lui, peut faire l’unanimité, le contre-transfert
a donné lieu à des interprétations variables
et ambiguës selon les auteurs.
*Limites du contre-transfert selon la psychanalyse
Après avoir longuement étudié la question
du transfert, Freud ne nous a offert qu’une réflexion
ponctuelle sur le phénomène contre- transférentiel
et ce en termes globalement négatifs. En effet, Freud n’a
considéré le contre-transfert que comme quelque chose
venant perturber la cure. C’est une des raisons pour laquelle
on a ensuite exigé que les futurs psychanalystes aient suivi
préalablement une analyse. Dans sa « lettre à
Biswanger » (in « Discours Parcours et Freud »,
Paris, Gallimard), il indique que le contre-transfert « compte
parmi les problèmes techniques les plus complexes de la psychanalyse
». Le contre-transfert est donc considéré comme
une gêne dans l’analyse, dans le sens où il peut
entraver l’attention flottante et la neutralité bienveillante
de l’analyste freudien.
Lacan, également, a donné une acception essentiellement
négative du contre-transfert car il se fonderait sur des
poussées des pulsions du ça qui doivent être
étouffées afin d’éviter le passage à
l’acte. Bien qu’il admette qu’il n’est pas
impossible pour l’analyste d’avoir quelques sentiments
à l’égard de son patient, il pose le problème
du contre-transfert comme résidant dans le fait qu’il
implique une symétrie entre l’analyste et le patient
et qu’en psychanalyse, le thérapeute n’est pas
un sujet.
Concernant les éducateurs, Deligny nous dira plus tard dans
« Graines de crapules », qu’il ne s’agit
pas d’aimer mais d’aider et que l’affection ne
dois jamais être utilisé comme moyen éducatif.
Ainsi, Anzieu, lors des IV° Journées Occitanes de Psychanalyse
(1982), dira des thérapeutes qu’ils vivent souvent
leurs réactions sur un mode « honteux par rapport à
l’idéal psychanalytique ».
*Intérêts du contre-transfert selon la psychanalyse
Un mouvement psychanalytique moins radical serait de considérer
le contre-transfert comme un instrument favorisant le travail analytique
dans la mesure où l’analyste y est attentif. Ce mouvement
est issu de réflexions d’analystes ente 1950 et 1960.
En effet, P.Heimann, M.Little, A.Reich et L.Tower (qui, au passage,
sont toutes des femmes) ont été les premières
à ne pas réduire le contre-transfert à un phénomène
pouvant engluer la cure dans des schémas répétitifs
et venant contrarier le travail analytique. Selon P.Heimann la réponse
émotionnelle immédiate de l’analyste est un
signe de son approche des processus inconscients du patient. Le
contre-transfert aiderait donc l’analyste à focaliser
son attention sur les éléments les plus urgents des
associations du patient, voire permettrait même d’anticiper
quelque chose du déroulement de la cure. A.Delourme (dans
« Distance intime, tendresse et relation d’aide »,
Desclée de Brouwer, 1997) ira dans le même sens en
affirmant qu’un vécu contre-transférentiel peut
venir conforter une hypothèse de soin et de diagnostic. Dans
son écrit « The nonhuman environnment in normal developement
and in schizophrenia » en 1960, H.Searles énoncera
qu’il est impossible pour lui de concevoir que l’analyste
puisse mettre de côté ses sentiments réels et
fonctionner encore efficacement.
Freud admettra dans sa « lettre à Biswanger »
que chacun doit posséder dans son inconscient un instrument
avec lequel il peut interpréter les expressions de l’inconscient
des autres. Ainsi, pour lui, ce que l’on donne au patient
ne doit jamais être « affect direct mais affect toujours
consciemment accordé et cela plus ou moins selon les nécessités
du moment ». On comprend alors la nécessité
de reconnaître à chaque fois son contre-transfert pour
le surmonter et être soi-même libre.
Quelles conclusions peut-on tirer de ces conceptions psychanalytiques
dans notre pratique professionnelle d’éducateurs spécialisés
sensibilisés à la psychanalyse et aux mouvements transférentiels
? Certes, la dynamique de la rencontre, comme nous l’avons
déjà évoqué, ne peut être réduite
à une relation d’objet dans le transfert ou à
une mauvaise gestion pour l’éducateur de son contre-transfert.
Cette acception engage le soignant à une position de grande
vigilance vis-à-vis de ce qu’il fait. Il est important
de comprendre à quelle place on est mis lorsque ça
« accroche » et pourquoi. Une telle mise en garde est
d’autant plus importante lorsque l’on travaille avec
des personnes présentant des pathologies dites de «
personnalités limites ». Concernant le personnel qui
les accompagne, Bergeret, dans « Narcissisme et états
limites », expose la notion de « dépression contre-transférentielle
», dépression inélaborable car elle ne nous
appartient pas, on nous la donne en « dépôt-vente
» . En tant qu’éducateurs auprès de ces
populations, il est possible que nous soyons mis à la place
d’objet anaclitique dont la fonction est de venir en substitution
de l’objet à jamais perdu. Pour eux, nous représentons
potentiellement la mère dépressive qu’ils ont
connu au début de leur vie. On ne peut se remettre à
penser qu’à la condition de prendre conscience de cela.
Dans le cas contraire, notre culpabilité, notre inquiétude
et l’urgence des situations peuvent nous amener à agir
de manière anti-thérapeutique en nous faisant sortir
du cadre jusqu’à parler de faute professionnelle. Devant
un tel phénomène, on peut se poser la question de
savoir qu’est ce qui se passe dans la relation pour qu’adviennent
de telles mises en acte et de quoi il faut rester conscient pour
ne pas que le contre-transfert, devienne, selon l’expression
d’Anzieu, une « folie à deux ». Pour répondre
à cette question, il me paraît nécessaire de
s’arrêter un instant sur la question de l’angoisse.
2). L’angoisse
Certains affects que nous ressentons à l’égard
des sujets que nous aidons sont facilement identifiables comme ceux
que nous pouvons ressentir face à une personne déprimée
ou psychotique. Ce qui fait lien chez ces personnes et chez nous
c’est cette question de l’angoisse.
Notre métier fréquente l’angoisse et s’y
confronte au quotidien. M.Cifali, dans son ouvrage sur le lien éducatif,
indique que l’angoisse est sûrement la seule chose qui
se partage le plus facilement entre humains. Les personnes que nous
accompagnons semblent avoir une tendance particulière à
nous « refiler » leur angoisse et à s’en
débarrasser ainsi. Alors, on ne sait plus si c’est
la leur ou la nôtre, elle nous contamine. Elle se rajoute
à la nôtre ou la provoque et il est difficile d’y
rester extérieur. Françoise Dolto conseille aux soignants
d’être des « éponges d’angoisse ».
Mais comment être ces éponges d’angoisse sans
se perdre en elle ? Pour revenir à la vignette clinique exposée
plus tôt, il me semble que, malgré tout ce qui peut
être remis en question dans la pratique que j’ai adoptée,
je ne me suis jamais sentie envahie par l’angoisse de G. Il
me semble effectivement l’avoir perçue, c’est
d’ailleurs ce qui m’a permis de formuler des hypothèses
de travail, mais elle ne s’est pas ajoutée à
la mienne et ne l’a pas provoqué non plus. Certes,
au début j’ai eu peur pour lui mais je ne me suis pas
sentie en danger. C’est donc que l’angoisse a ceci de
particulier : elle se libère à condition de ne pas
la fuir. M.Cifali rajoute même que « les métiers
qui côtoient l’angoisse sans chercher à y échapper
ou à s’en garder sont ceux où une libération
d’angoisse peut être espérée ».
Question d’engagement, d’implication, d’éthique
et, à mon sens, d’affects positifs permettant à
l’éducateur de s’approcher de cette angoisse,
condition nécessaire à l’empathie.
3). Empathie et contagion affective
Ces deux notions me semblent importantes à définir
dans notre travail. En 1961, Greenson, dans un article intitulé
« L’empathie et ses phases diverses » (Revue Française
de psychanalyse), nous indique que pour venir en aide à l’autre
il faut le connaître d’une manière affective
afin de saisir au mieux ses sentiments complexes. L’empathie
et la contagion affective désignent deux phénomènes
différents. En effet, la contagion affective relève
davantage de ce qui n’est pas volontaire. H.Wallon, dans son
article « Le rôle de l’autre dans la conscience
du moi » (revue « Enfances ») en donne la définition
suivante : « il y a une sorte de mimétisme émotionnel
qui explique combien les émotions sont contagieuses et comment
elles se traduisent (…) par l’abolition, en chaque individu,
de son point de vue personnel ». Abolition du sujet donc.
Nous comprenons alors qu’il ne peut s’agir de cela dans
notre travail qui, lui, consiste à faire la promotion du
sujet.
L’empathie, quant à elle, relèverait d’une
acceptation, d’une attitude délibérée.
Les définitions que l’en on trouve sont les suivantes
: - « Faculté de s’identifier à quelqu’un,
de sentir ce qu’il ressent ». Petit Robert
- « Transfert psychologique direct ». Freud
Si une part, au moins, de l’empathie repose sur une perception
directe des affects de l’autre, je lui préférerai
la définition de Freedman et Kaplan ainsi que celle de Rogers.
- « Capacité à pénétrer dans
le cadre de référence de l’autre ». Freedman
et Kaplan (in “ Comprehensive textbook of Psychiatry”,
1976).
- « Percevoir l’Autre de l’intérieur »
Rogers (in « Le développement de la personne »,
Paris, Dunod, 1966).
Ainsi, l’empathie reste un cadre de référence
général pour désigner les partages d’expériences
affectives entre un sujet et celui qui l’accompagne. Certains
auteurs iront même jusqu’à affirmer que l’aptitude
à l’empathie serait la condition essentielle de tout
succès en thérapie psychanalytique. Néanmoins,
la littérature psychanalytique demeure pauvre sur la question
de l’empathie et l’on n’y trouve que de brèves
allusions. Ceci illustre, d’une part, une certaine idée
selon laquelle l’empathie irait de soi et, d’autre part,
une certaine retenue à aborder ce sujet car il représente
un terrain peu sûr. En effet, cette empathie si nécessaire
peut devenir la proie facile des affects projetés sur l’autre
en-deçà du langage et du raisonnement intelligible.
En conclusion, comme nous l’avons expliquer plus haut, le
fait de repérer à quelle place on est mis par l’autre
permet à l’éducateur de se détacher de
la part d’affect qui l’empêche dans l’action
éducative et de créer une ouverture dans le scénario
répétitif du sujet. Plus l’on reste conscient
de ces processus, moins une mise en acte risque de se produire.
Ainsi, il doit être, en permanence, attentif à son
contre-transfert sans bloquer toute expression personnelle. Un simple
exemple de l’expression personnelle des éducateurs
dans les institutions sont les médiations qu’ils organisent
souvent selon leurs propres goûts et compétences. Ainsi,
selon A.Delourme, l’éducateur peut intervenir physiquement,
verbalement et émotionnellement en ayant conscience de ses
propres affects, voire en les verbalisant. Dans cette perspective,
si l’éducateur s’emploie à désencombrer
l’espace de la relation de ses propres projections et fantasmes,
si il sait se déplacer, le sujet en souffrance peut trouver
quelqu’un à qui parler, élément essentiel
pour relancer son désir.
Après avoir exploré les phénomènes
transférentiels et contre-transférentiels, nous pouvons
nous engager dans une réflexion de ce point crucial dont
parle, entre autres, la psychothérapie institutionnelle,
à savoir : la Rencontre.
…De Rencontre
1). La première rencontre
La première rencontre que chacun d’entre nous expérimente,
c’est celle d’avec notre premier objet d’amour,
celle/celui qui nous prodigue les soins dans les premiers moments
de la vie, l’imago maternel. Cette première rencontre
affective va être tellement déterminante qu’elle
va conditionner un certain nombre de choses dont notre façon
d’aimer les autres et de s’aimer soi-même. C’est
sur ce point de détermination qu’il convient de s’arrêter
pour continuer à parler du sujet qui nous intéresse
: l’amour dans la relation éducative.
Sans réellement entrer dans les détails : au tout
début de la vie du nourrisson, mère et enfant sont
indifférenciés dans un état dit de fusion initiale.
L’enfant va devoir passer de cette fusion à un état
d’être séparé, entier pouvant aimer et
être aimé par des sujets également entiers et
indépendants de lui. C’est la condition nécessaire
à sa naissance psychique. Le chemin qui mène à
cette naissance psychique et à la différenciation
passe d’abord par l’étape où la distinction
entre ce qui est lui et ce qui ne l’est pas reste suspendu
dans un statut d’indécision. La frontière du
moi de la mère et celle de l’enfant sont ainsi confondues.
La réalité ainsi que la désadaptation progressive
de la mère aux besoins de l’enfant feront perdre cette
illusion à l’enfant. Mais pour connaître et traverser
la désillusion il faudra d’abord avoir vécu
l’illusion.
Selon le Dr Sicsic, dans son écrit sur l’amour et
la psychanalyse, quand ce processus du début de la vie se
passe à peu près bien, le résultat positif
est le suivant : de la désillusion, l’enfant peut envisager
la séparation psychique. Ce renoncement va créer en
lui, un désir inconscient de retrouvailles. Ce désir
sera toujours insatisfait du fait de ne pouvoir trouver qu’un
objet de substitution et non l’objet originaire. L’intériorisation
du monde extérieur va constituer l’enfant en tant que
sujet fait d’altérité, aliéné
à l’autre. Nous entendons donc ainsi que la formation,
la durée ainsi que la disparition des liens affectifs d’un
enfant à l’intérieur de sa famille ont sur lui
un très fort retentissement jusqu’à déterminer
les modalités de toute relation affective à venir.
2). La rencontre en éducation spécialisée
Dans « Le travail de l’éducateur spécialisé
», J.Rouzel nous dit que « pour que la rencontre ait
lieu en clinique éducative, il faut qu’elle soit repérée
dans un cadre particulier et qu’elle s’étaye
sur les concepts de transfert et d’acte ». De plus,
comme nous l’avons déjà dit, il y a de l’affect
en jeu dans la relation éducative ainsi que dans toute relation
humaine. Selon D.Sibony « dés que deux êtres
humains se mettent à parler, le fait seul que leurs paroles
met en présence des bribes de leur mémoire déclenche
des poussées de leur passé vers leur présent
ou leur avenir » (in « Entre dire et faire »,
1989).
Dans cette partie de la réflexion, je suivrai la position
d’Alain Delourme selon laquelle la rencontre n’est pas
réductible au couple transfert/contre-transfert. Elle doit
également concerner une relation authentique de sujet à
sujet avec leurs lumières et leurs chaleurs particulières.
Les sentiments que l’on peut ressentir dans une telle situation
relèvent aussi du lien inter-humain et l’on n’y
gagne pas forcement à systématiquement les reléguer
au niveau des phénomènes transférentiels. Néanmoins,
s’investir dans une relation, quelle qu’elle soit, comporte
un risque, un double danger : danger d’intrusion et danger
d’abandon. Ce double danger, nous le reconnaissons souvent
chez les personnes que nous accompagnons, notamment chez les enfants
abandonniques ou présentant des failles narcissiques importantes.
Dans ce cas, nous dit A.Delourme, la première étape,
pour eux, sera de s’assurer qu’il s’agit d’une
relation sans risque. Dans une telle démarche, ce ne sera
pas le plaisir qui va primer mais « l’évitement
du déplaisir et la quête anxieuse de la sécurité
».
Dans cette perspective, nous allons nous poser la question de
l’intérêt, pour nous éducateurs de s’impliquer
dans cette rencontre.
3). De l’intérêt de s’impliquer dans la
rencontre
Toutes les techniques, qu’elles soient analytiques, thérapeutiques
ou éducatives, doivent aller dans le même sens : celui
de l’aide à la séparation psychique et de la
promotion de l’individuation du sujet. Or, souvent, il arrive
que la relation verbale ne suffise pas et ce surtout avec des sujets
en résistance ou en inhibition névrotique comme nous
les rencontrons en CMPP. Le niveau réel de la relation, les
manières concrètes de communiquer avec ces enfants
peuvent ainsi avoir une grande influence soignante. De l’enfant
mutique nous allons respecter le silence et continuer, nous adultes,
à lui parler. A celui qui demandera pourquoi X ne dit jamais
rien, nous répondrons que, comme lui, si X est ici, c’est
qu’il souffre et que son silence est la manière qu’il
a choisi pour dire sa souffrance. Par cette position de minimisation
des risques que la prise que parole pourra comporter pour X, il
pourra peut-être commencer par dire quelques mots à
l’éducateur, puis aux autres enfants. Pour tenir une
position de soignant impliqué dans la rencontre, il faut
selon R.Searles, qu’une réduction de l’anonymat
des intervenants soit opératoire. En effet, la position orthodoxe
préconisée par la psychanalyse dans laquelle l’analyste
n’est pas une personne réelle ne peut être suffisante
dans beaucoup de cas. A ce sujet, nous pouvons rappeler le paradoxe
déjà évoqué au sujet de l’angoisse
: « Libération pour qui ne fuit pas » (M.Cifali,
« Le lien éducatif : contre-jour psychanalytique »,PUF,
Paris, 1994). Par conséquent, il me semble que la notion
de neutralité bienveillante ne peut constituer un cadre figé
à la rencontre car si cette notion ne se retrouve pas dans
le vécu de l’enfant, il peut, au contraire, percevoir
dans cette attitude comme une marque de désintérêt
ou d’une hypocrisie professionnelle. Or, il n’est pas
question d’en rajouter au niveau des blessures narcissiques
et de la répétition pathogène. L’implication
relationnelle des participants à la rencontre a pour objectif
le vécu par l’enfant, qui devient alors agent, d’expériences
d’échanges et de communications dans un cadre protégé.
L’échange donne une nouvelle dynamique à la
rencontre, d’où la fécondité de s’engager
avec les personnes et de considérer l’acte soignant
dans une coopération, une création en commun dans
laquelle chacun s’implique. Si, ce qui va fonder le travail
de l’éducateur c’est sa capacité à
faire quelque chose d’une rencontre avec quelqu’un,
il s’agit donc également de réciprocité.
4). La réciprocité
Si la prise en charge éducative constitue pour l’enfant,
l’adolescent, l’adulte une occasion de résilience,
elle représente pour nous une occasion d’élucidation
sur la question de la condition humaine. La relation éducative
est une approche d’un sujet qui va se trouver confronter à
des modalités particulières de la relation humaine
qui en en font justement une relation éducative. Mais c’est
aussi pour nous une expérience en miroir de ces modalités
relationnelles. Dans cette perspective, si l’on ne peut pas
poser la réciprocité dans la relation éducative
comme faisant pleinement partie d’un projet, on peut tout
de même avoir en tête que chaque rencontre avec «
l’usager » constitue pour nous l’occasion d’une
nouvelle découverte de nous-mêmes et du monde dans
le reflet que nous renvoie cette rencontre. Toutefois, il ne s’agit
pas d’éducation mutuelle au sens de l’analyse
mutuelle comme l’avait tenté Ferenczi en son temps.
La réciprocité peut être envisagée comme
un outil dans la relation éducative. Le sujet en question
fait l’expérience de recevoir (et ce n’est pas
rien) mais également de donner. Donner de lui pour lui-même,
pour son épanouissement. De notre côté, il m’
apparaît que l’intérêt n’est pas
simplement de faire part à l’autre de la façon
dont il nous apparaît objectivement (comme objet de mécanismes
psychologiques) car il n’est pas qu’une pathologie et
cela reviendrait à l’exclure comme l’a fait la
société avant nous. Au contraire, nous lui communiquons
également le sens que son existence particulière revêt
pour nous : provocation, enrichissement, étonnement, réflexion
etc…Il me semble que ceci nous parvenons à le faire
lorsqu’il s’agit de nos limites, de ce que nous ne pouvons
souffrir. Nous n’hésitons pas à faire part de
ce qui nous est insupportable pour que l’autre « s’arrête
». Pourquoi ne pas, également, lui faire part de ce
qui agit sur nous de manière positive ? Cela a toujours été
ma position (notamment avec G.) : trouver dans les prises en charge
un moment opportun pour signifier à l’autre ce que
je perçois de positif et d’évolutif en lui et
que, pour ces raisons, j’ai confiance en son potentiel de
résilience.
De plus nous savons que, parfois, être soi en présence
de l’autre peut être difficile mais cela peut être
aussi parce que l’éducateur montre qu’il fait
cet effort qu’il peut aider le sujet à faire une action
analogue pour lui-même. Ainsi (et afin de ne pas générer
une idéalisation de l’éducateur par le sujet),
de la même façon que la « bonne mère »
sait être manquante, l’éducateur qui se veut
« bon » doit aussi montrer qu’il n’est pas
que cela.
Pour moi, le caractère de réciprocité est
indispensable à la relation car c’est justement cette
capacité à nous laisser imprégner et transformer
qui agit sur l’autre.
5). S’approcher plus prés encore : l’expérience
contre-transférentielle avec les sujets psychotiques
Ce qui vient d’être énoncé précédemment
me semble d’autant plus véridique lorsqu’il s’agit
de prendre en charge des sujets psychotiques. En effet, personne
autant qu’eux n’a été déçu
par toutes les formules sociales qui lui ont été présenté
au fur et à mesure du temps. Ainsi, ce qui va être
significatif pour lui c’est la possibilité de faire
l’expérience de ce que lui peut encore induire chez
les autres. Dans cette optique, il ne supporte pas le retrait du
soignant derrière sa neutralité qui ne peut donc se
soustraire à intervenir dans la relation.
En fait, il me semble que ce qu’il y a de dramatique dans
la psychose c’est une conscience de la mort. Selon G.Benedetti
(dans « Le sujet emprunté. Le vécu psychotique
du patient et du thérapeute », Eres, toulouse, 1998),
« percevoir cette mort psychique comme un défi à
l’existence est le risque et le privilège de notre
métier ». Si une angoisse contre-transférentielle
surgit face à ces situations de mort psychique, il semblerait
qu’il ne faille pas seulement considérer cela comme
une copie réduite de l’angoisse psychotique mais plutôt
comme une spécification de cette angoisse, du fait que le
moi du soignant n’est, à priori, pas psychotique.
La particularité de la relation éducative avec les
sujets psychotiques réside dans le fait que non seulement
nous lui pointons du doigt les aspects psycho-dynamiques de sa personnalité
mais surtout nous le mettons face à « l’image
projetée » que nous avons de lui : « image de
beauté, d’intérêt dans le morcellement,
de transparence dans l’autisme, de force dans le délire
». Cette image, qui vient prendre le contre-pied de la maladie,
n’existe pas dans le moi du psychotique, pour cette raison
le sujet doit d’abord la trouver dans le moi du soignant.
Or, une telle image ne peut être que sous-tendue par des affects
positifs et dans la mesure où le soignant accepte de se rapprocher
de l’autre pour la lui transmettre. Ainsi, c’est lui
donner la possibilité de dépasser les limites du délire,
de l’autisme et de la scission. Il me semble que c’est
cette image particulière que j’avais de G., c’est
cette image que j’ai tentée de lui transmettre. C’est
cette image qui, j’ose penser, faisait que nous nous «
ad-mirions » (dans le sens de la faculté à regarder
ailleurs, autrement).
C’est en ces points successivement énoncés
(implication, réciprocité, rapprochement) et qui doivent
être mis en lien avec l’existence d’affects positifs
chez les éducateurs, que la rencontre peut constituer une
possibilité de remaniement, une occasion de résilience
et entraîner ainsi une évolution, un changement. L’éducateur,
dans sa fonction, peut alors être envisagé comme impliqué
et animant sans pour autant être excitant. Car l’excitation
est un des risques, parmi d’autres déjà évoqués,
qu’une telle position comporte. Pour éviter ces risques,
un seul garant : l’ailleurs, le cadre, le tiers.
…De cadre
Selon Lacan le monde c’est « la chose et les bords
». En effet, le cadre est un bord qui nous sert à limiter
le monde dans lequel on travaille avec les personnes. Et quand ce
bord est menacé ou débordé, on ne peut plus
travailler tranquillement.
Les choix de position décrits plus haut sont rendus possibles
du fait de la double facette de l’éducateur : à
la fois sa présence est chaleureuse et accueillante, à
la fois il pose des lois cadrantes et rigoureuses. De la même
manière que c’est le désir de l’analyste
qui va insister pour que l’amour manifesté par son
patient à son égard soit de transfert, c’est
le désir du soignant qui va trancher entre une simple relation
intersubjective de la vie quotidienne et le travail de soin et d’éducation
qui est un travail sur le désir. Selon R.Sainterose, sans
l’existence de ce désir, « on en reste au niveau
de la relation duelle dont un des aspects est de maintenir le sujet
dans l’ignorance de savoir que c’est dans l’aliénation
à l’autre que se trouve sa condition de sujet »
(in « Le transfert en institution »).
Concernant le transfert et sa prise en compte dans le cadre, il
s’agit de le spécifier comme transfert institué.
Il est donc important que la psychanalyse tienne une place particulière
dans le projet de l’institution et puisse émerger dans
son discours pour qu’un travail autour des dynamiques transférentielles
existe. Un travail institutionnel préalable sur les demandes,
besoins et désirs de chacun semble donc important si l’institution
propose un traitement impliquant la dimension du transfert. Ainsi,
c’est l’institution tout entière qui sera «
le théâtre du transfert ». De plus, selon D.Sibony
(« Entre dire et faire») le transfert est le «
tiers dispositif qui entre en jeu dans tout type de relation ».
D’où l’intérêt de maintenir un réseau
symbolique dans lequel raisonnement et intelligible ont leur place
autour de la prise en charge. Cette idée de réseau
peut éventuellement être rapprochée de celle
de Deligny : la préconisation du contrôle permanent
de l’affectivité par l’éducateur l’amène
à parler de réseau où les humains se rencontrent,
se croisent mais ne s’entourent pas.
Rappelons le : « pour que la rencontre ait lieu en clinique
éducative, il faut qu’elle soit repérée
dans un cadre particulier » (J.Rouzel). Cependant les limites
d’une prise en charge sont aussi celles des professionnels
et ces limites peuvent influencer les aménagements du cadre.
Question d’éthique donc. Selon A.Delourme («
La distance intime : tendresse et relation d’aide »),
la saine articulation à trouver est la suivante : «
entre l’humanité du soignant impliqué dans son
travail et l’obligation de recul et de réflexion distanciée
qu’impose ce même travail ». On entend ici l’intérêt
d’une implication claire et réfléchie sans confusion
avec un quelconque copinage ou désir amoureux, ce qui impose
vigilance et respect de la part du professionnel. Dans le cas d’une
confusion, le cadre est également là pour resituer
le contexte et prendre de la distance.
Ainsi, c’est le respect d’autrui qui permet d’arracher
à l’affect sa tendance à annexer autrui.
Après avoir parler de proximité, nous pouvons maintenant
explorer la question de la mesure de la distance car, à mon
avis on ne peut le faire qu’à cette condition. Et ce
de la même manière que pour se déplacer il faut
que l’autre ait transféré ou que pour traverser
la désillusion, il faut d’abord avoir vécu l’illusion.
En effet, comme le souligne Deligny : « Il faut être
proche dans la présence à l’autre, omniprésent
dans l’ouverture, il faut être dans le fait de produire
et être pris dans ce que l’on fait ». («
Graines de crapules »)
…De bonne distance
Selon Mireille Cifali il existerait trois types de position face
à un être en détresse : la position «
naturelle », la positon « défensive » et
la position « psychanalytique ».
* La position « naturelle »
Dans cette position la souffrance de l’autre nous envahit..
Il n’y a aucune distance et on vit ses sentiments comme s’ils
étaient les nôtres. En proximité qui se veut
aidante (et qui l’est toutefois), nous sommes sans protection
par rapport à lui et à ses angoisses. Les frontières
du moi sont confondues comme dans la symbiose affective. Selon M.Cifali
une telle position peut être louable dans des moments ou circonstances
particulières. C’est un peu ce que j’ai tenté
de réaliser avec G. dans les premiers temps de notre rencontre.
Mais je ne sais pas si l’on peut nommer cette position naturelle
car c’est sciemment que je l’ai adoptée. Sorte
de « préoccupation maternelle primaire » conservée
diront Capul et Lemay (in « Le travail de l’éducateur
spécialisé »).. C’est une position témoignant
de générosité, d’ouverture, de dévouement
voire de sacrifice. Si l’on dit d’une telle attitude
qu’elle ne peut être louable que dans des circonstances
particulières c’est parce que dans une telle position,
personne ne peut tenir indéfiniment. Un des risques de cette
attitude serait de laisser faire les errements dans une sorte de
complicité amusée où « le libéralisme
affirmé n’est qu’un alibi pour regarder en voyeur
sa quête non-apaisée d’une toute puissance agie
» (ibid.). L’éducateur peut ainsi tenter de soigner
ses propres blessures narcissiques en protégeant par dessus
tout l’enfant de la désillusion et de la séparation.
Et les angoissent s’augmentent entre elles…
* La position « défensive »
La position défensive est la position inverse de la position
naturelle. Elle peut d’ailleurs être prise successivement
à la position naturelle.
Dans cette position, on se sent attaqué par l’autre.
La réaction est se protéger. C’est une question
de survie. Alors on élève les barrières de
protection, on refuse tout apport individualisé, on met à
distance au maximum. Et l’on n’a plus d’éprouvés…L’autre
nous est indifférent et sa souffrance aussi. Il n’a
plus le pouvoir de nous atteindre. Cette position, sous sa forme
exacerbée, peut même se retrouver au plan institutionnel
dans lequel les organisations peuvent se rigidifier en rituels obsessionnels.
J’ai ici en tête un lieu de vie et d’animation
dans lequel le cadre et le règlement intérieur occupait
une place très importante. Moi-même gênée
par une telle rigidité, j’interrogeai ses créateurs.
La réponse que j’obtint peut se reformuler ainsi :
« au début nous étions trop gentils, nous acceptions
de négocier les règles, nous étions dans une
écoute permanente des difficultés de chaque enfant.
Aujourd’hui la rigidité du cadre est là pour
les protéger ». Protéger qui exactement ? Ce
cadre, en général, on ne supporte pas qu’il
soit touché, mis en question. La technique et la théorie
peuvent être utilisées comme outils de protection derrière
lesquels on se blinde. Cette incapacité à accueillir
l’autre a pour effet d’augmenter son angoisse ,et, pour
briser le carcan du cercle infernal, il n’a plus que la violence
ou l’agressivité.
*La position psychanalytique de l’éducateur
Ce qui est demandé au professionnel dans cette position
c’est de s’y repérer dans sa propre angoisse,
de ne pas en avoir peur, de ne pas la nier pour pouvoir l’apprivoiser.
Ce travail a pour objectif de ne plus projeter son angoisse à
l’extérieur, pour ne pas l’ ajouter à
celle de celui qui souffre car c’est un piège que la
fréquentation de l’angoisse met en place. Ainsi dans
le contact avec l’autre on ne sera ni dans une trop grande
distance, ni dans une trop grande proximité. La position
psychanalytique exige donc que l’on vive ses propres angoisses
afin de pouvoir les travailler.
En ce qui concerne la souffrance d’autrui, elle peut être
éprouvée par l’éducateur à condition
qu’il puisse l’introduire dans une élaboration.
C’est un travail constant de mise à distance et selon
M.Cifali c’est la seule manière d’être
ne présence de la souffrance de l’autre. Des repères
doivent sans cesse être élaborés. « Mettre
des mots sur ce qui lui arrive, accompagner, partager, tout cela
est possible pour qui n’a pas nié ses propres angoisses
». Pour répondre à la question de la page 10
sur l’angoisse, autrement dit, comment être des éponges
d’angoisse sans se perdre en elle ? Il s’agira d’être
par moment des « pare-angoisse » : savoir accueillir,
entendre les peurs et l’irrationnel, sécuriser et surtout
ne pas utiliser l’angoisse de l’autre pour se l’attacher.
A un moment donné de l’histoire avec G., j’ai
craint qu’un mouvement naturel me l’attache quand j’ai
vu les autres animateurs procéder avec moi comme si j’étais
l’unique référente de ses faits et gestes. Il
a fallu élaborer un repère de plus pour que ce qu’il
vivait sans moi ne soit pas systématiquement retourné
vers moi.
Deligny (dans « Graines de crapules ») parle également
de présence « non défensive ». Il préconise
à l’éducateur de se tenir auprès de l’autre
sans défense ni cuirasse, sans punition ni récompense.
Il ira même plus loin en disant : « Repousse ceux qui
viennent s’offrir. Ne va pas chercher ceux qui s’éloignent
et compte ceux qui restent. S’il n’en reste qu’un
commence avec celui-là ». En fait il me semble qu’ici
Deligny évoque à sa façon (extrême dit-on
parfois) le maniement du transfert et le respect de la distance
de l’autre.
La position psychanalytique est, d’après M.Cifali
, la seule manière d’être en présence
de la souffrance sans être dans la dénégation
ou dans un sacrifice de soi. « Trop se pencher sur eux, c’est
la meilleure position pour recevoir un coup de pied au derrière
» disait Deligny.
« Je reste autre que lui, sans me défendre de lui
; sur l’angoisse éprouvée je mets des mots,
elle n’augmente pas la mienne et ne m’effraie pas. J’éprouve
son angoisse sans être à mon tour angoissée
d’elle. Je ne mets pas en place des défenses et mon
calme n’est pas de l’indifférence : il est accueil
de l’intolérable ».
Octave Mannoni, « Le moi et l’Autre », Denoël,
Paris, 1985
…De Tendresse
(Conclusion)
A la suite de tout ce qui vient d’être dit, réfléchi
et mis en question, il me semble que la problématique posée
au départ nécessite d’être reformulée.
Je m’aperçois ici que le mot amour n’est peut-être
pas celui que je décris dans ma position. Le terme de tendresse
à été utilisé à quelques reprises
dans cet écrit. Et je me rends compte que le lien particulier
dont je fais part comprend fréquemment de la tendresse. J’entends
ici que le mot amour et les sentiments qu’il désigne
ne semblent pouvoir être utilisés pour qualifier la
relation éducative. Peut-être est-ce la tendresse qui
m’incite à me rapprocher affectivement de l’autre
pour mieux le comprendre et l’aider. Peut-être est-ce
cet aspect délicat du lien professionnel que je discute ici.
Pour éviter les équivoques je vais donc préférer
parler de tendresse concernant ma position. Il ne s’agit pas
d’un compromis car au sens phénoménologique
l’affect de tendresse correspond davantage à ce que
j’éprouve. Je me souviens alors des objets de réflexion
choisis dans mon étude de cas et dans ma monographie. Ils
étaient clairement motivés par la tendresse éprouvée
à un moment donné à l’égard d’un
sujet.
Ainsi, dans la perspective que le rôle de l’éducateur
est d’être présent en tant que personne dans
la communication avec les autres tout en refusant de les objectiver,
il me semble que c’est la tendresse qui serait l’étayage
affectif de ce lien spécifique.
1). De quoi s’agit-il ?
« Sentiment affectueux qui présente un caractère
de douceur et de délicatesse » ou encore « une
tendance altruiste fondamentale » nous dit le Petit Robert.
La tendresse est donc un état personnel, une disposition
intérieure. Selon Freud (dans « Malaise dans la civilisation
»), la tendresse est un érotisme détourné
de ses buts sexuels. C’est un lien désexualisé
et déplacé, issu d’une éventuelle mise
au travail du sujet. D’après A.Delourme dans son ouvrage
sur la tendresse et la relation d’aide, la tendresse ne doit
pas être pour autant envisagée comme visant une satisfaction
libidinale ratée ou pauvre. Il conviendrait, au contraire
de la considérer comme « la recherche constante de
contacts doux, harmonieux et rassurants » ayant pour fonction
d’unifier et de sécuriser.
Ainsi, l’importance de la tendresse n’est niée
ni dans l’accueil du nourrisson, ni dans son développement
d’enfant, ni dans l’épanouissement de l’adulte.
Devrait-elle l’être concernant l’accompagnement
des personnes en difficultés ? Mais dans un tel lien, la
tendresse comme sentiment exprimé demeure de l’ordre
du tabou. De plus, à la complexité qu’elle engage
s’ajoute la difficulté de lui trouver une place dans
la théorie déjà existante. « Entre un
désintéressement vaguement méprisant lié
à une sorte de pudeur moraliste et la complaisance sentimentaliste
» (A.Delourme), il s’agit de trouver l’attitude
adéquate.
2). Du sens dans les échanges
Ici, nous soutenons que la tendresse fait lien entre relation
et signification. En effet, à la sensibilité subjective
de l’éducateur, la tendresse peut ajouter une «
intelligence intuitive » qui va donner du sens aux échanges.
Ainsi les réactions psychiques du sujet dans l’après-coup
vont donner aux évènements plus de valeur, de poids,
bref de sens. La tendresse nous incite de fait à l’échange
et à sa réussite. Les échanges se nourrissent
alors des « éléments stabilisants et liants
de l’affectivité assumée ». Je n’ai,
par exemple, jamais perçu d’ambiguïté ou
de défaut d’assomption dans le lien qui me rapprochait
de G. (et inversement). Je me suis toujours dit qu’il était
question de transfert et de connivence et j’assumais cette
tendresse partagée qui ne semblait pas lui porter préjudice.
Il peut également s’agir pour le sujet de faire l’expérience
de la différence entre l’amour et la tendresse, entre
tendresse et désir sexuel. Beaucoup d’enfants dont
il est question dans nos institutions ont connu des relations ambiguës
avec un proche de l’entourage (qu’il s’agisse
d’inceste ou de climat incestuel). Ce type de relation peut
cristalliser une confusion entre tendresse et désir sexuel.
Il s’agit également, pour l’enfant pris dans
sa problématique oedipienne de comprendre l’intérêt
de passer par la séparation psychique et de vivre avec ses
parents une relation d’amour et non une relation amoureuse.
Le vécu et l’expression de la tendresse peuvent donc
s’avérer primordiaux dans le travail avec des personnes
ayant souffert d’un amour maladroit, insuffisant ou passionnel
de la part de l’entourage.
3). Rencontre et réciprocité
En cherchant à passer par la question du sens, la tendresse
(entre autres) va permettre de transformer la neutralité
du lien qui peut être douloureuse pour le sujet en alliance
mutuelle favorable au changement. Cependant il n’est pas question
d’acceptation inconditionnelle mais de recherche de respect
réciproque et de vérité exprimée. En
effet, du fait que la tendresse prenne appui sur l’intériorité
de celui qui l’exprime, elle mène vers autrui avec
l’intention de le rencontrer et d’en faire un alter-égo
du point de vue de sa subjectivation. Ainsi, en envisageant la tendresse
comme l’expression réfléchie d’une relation
de qualité à autrui, elle fait fonction de «
confirmation existentielle réciproque » (A.Delourme)
et en ce sens elle mérite d’être manifestée
sans trop de pingrerie. Elle peut constituer un étayage de
poids dans le processus de renarcissisation et de dégagement
de la répétition pathogène
Une relation nourrie par la tendresse mais réfléchie,
telle est la position que je me préfère. Une telle
position implique obligatoirement un travail constant de mentalisation
et de clarification en maintenant le cadre arbitral de l’intelligible
et du raisonnement. Une relation de ce type peut faire la différence
avec les relations familiales qui sont, en général,
saturées d’affects.
Alexandra HADJADJ.
Travail de réflexion mené en 2003 dans le cadre d’une
UF8 (dite de « spécialisation ») de la formation
d’E.S. à l’IRFCES de Toulouse.
Bibliographie
• R.Chemama et B.Vandermersch : « Dictionnaire de psychanalyse
», Larousse
• G.Benedetti : « Le sujet emprunté. Le vécu
psychotique du patient et du thérapeute », Toulouse,
Eres, 1998
• B.Bettelheim et A.Rosenfeld : « Dans les chaussures
d’un autre. La psychothérapie : art de l’évidence
», Paris, Robert Laffont, 1995
• M.Cifali : « Le lien éducatif : contre-jour
psychanalytique », Paris, PUF, 1994
• O.Mannoni : « Le moi et l’autre », Paris,
Denoël, 1985
• Ph.Wallon : « La relation thérapeutique et
le développement de l’enfant », Toulouse, Privat,
1991
• A.Delourme : « La distance intime. Tendresse et relation
d’aide », Paris, Desclée de Brouwer, 1997
• J.Rouzel : « Le travail de l’éducateur
spécialisé. Ethique et pratique » Paris, Dunod,
2000
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