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Origine : http://www.psychasoc.com/article.php?ID=78
Dans cet ouvrage, il est question de violence, violence du sujet
et violence subie, violence réelle et violence symbolique.
Comment fut pensée la jeunesse en difficulté au cours
de l’histoire ? Il était question d’enfance coupable,
de déficience, d’enfant malsain, dégénéré.
Plus tard, les mots sont plutôt enfant perturbé, caractériel,
une certaine humanisation se fait jour. C’est oublier que
l’enfant, l’adolescent est un être de désir,
hors, c’est ce qui fonde la complexité de l’éducation
spécialisée…
Qui pourrait nier qu’une violence fondamentale est au cœur
de l’humain ? Freud a du s’y résoudre en inventant
la pulsion de mort. Ainsi, le mot d’ordre d’avoir tout
tout de suite par l’accumulation des objets, n’est il
pas une forme de violence ? Violence économique qui tient
dans la promesse tous « comme un ».
Dans ce contexte, le travailleur social est souvent mis à
mal, la violence est parfois son lieu de travail en prise aux agressions
diverses, la relation se joue et se noue dans son corps. Que laisse
comme trace à élaborer le mutisme d’un enfant
autiste, la violence d’un délinquant, l’abandonisme
d’un SDF ? Le chemin de la relation est souvent long, tortueux
et ne laisse jamais indemne. Il lui faut alors « les mots
pour le dire » mais aussi une certaine implication clinique
et politique pour pouvoir rester innovant.
Peut-il opérer des manifestations symboliques qui lui redonnent
une dynamique de vie pour faire écran à l’usure,
la dépression, le désengagement ?
Il s’agit pour l’éducateur dans ce parcours
éprouvant de réinventer des espaces de dire pour affirmer
et réaffirmer le désir qui fonde sa fonction.
Le travailleur social n’est pas là pour contenir des
populations mais pour accompagner celui qui souffre.
Il s’agit ici de mesurer la cohésion personnelle et
pluridisciplinaire dans les réponses apportées à
la violence.
C’est dans Totem et Tabou que Freud [1] repère l’hypothèse
de la Horde paternelle comme l’inceste du père dictateur,
Père, mythique, père originaire qui réalise
l’appropriation impossible de toute jouissance, cet au-moins-un
à jouir de toutes les femmes fonde (pour tous) moyennant
la négation du meurtre, l’universel et non l’uni-vers-celle
du renoncement. Hypothèse d’un réel du père
et de sa dictature toute puissante. Tuer et manger le père
dans un repas totémique se fait dans l’illusion de
s’identifier ainsi en incorporant la puissance paternelle.
N’y a-t-il pas, pour Freud, une volonté de forçage
à universaliser le complexe d’Œdipe ?
Cet acte criminel inscrit la trace mnésique dans l’inconscient
car c’est le droit maternel et son accord qui signe l’acceptation
de ce meurtre du père.
Freud nous dit : « Il en résulte une restriction tabou,
en vertu de laquelle les membres du même clan totémique
ne doivent pas contracter mariage entre eux et doivent en général,
s’abstenir de relations nouvelles entre hommes et femmes appartenant
au même clan. Mais l’autre tabou, l’interdiction
de l’inceste, avait aussi une grande importance pratique.
Le besoin sexuel, loin d’unir les hommes les divise. Si les
frères étaient associés tant qu’il s’agissait
de supprimer le père, ils devenaient rivaux dès qu’il
s’agissait de s’emparer des femmes. Chacun aurait voulu,
à l’exemple du père, les avoir toutes à
lui et la lutte générale qui en serait résultée
aurait amené la ruine de la société. Il n’y
avait plus d’homme qui, dépassant tous les autres par
sa puissance, aurait pu assumer le rôle du père. Aussi
les frères, s’ils voulaient vivre ensemble, n’avaient-ils
qu’un seul parti à prendre : après avoir peut-être
surmonté de graves discordes, instituer l’interdiction
de l’inceste, par laquelle ils renonçaient tous à
la possession des femmes convoitées alors que c’était
principalement pour s’assurer cette possession qu’ils
avaient tué le père. » [2]
C’est ce que Lévi-Strauss démontrera comme
étant le passage de la nature à la culture.
L’hypothèse de Freud est que ce meurtre du père
serait à l’origine de l’organisation du monde,
nous introduisant à la science, à la religion, à
la politique, à l’art ou à l’éducation.
Remonter le temps pour interroger son origine et sa disparition.
Que pèse une vie humaine ? Comment affiner notre passage
? Quelle histoire de trace et quelles traces d’histoires pouvons
nous laisser au travers de choses infiniment infimes ? Bref, une
question qui n’en finit pas de faire retour dans les métiers
dits du social… Qu’est ce qu’on fout là
?
Cet être là signe la dimension de l’éthique,
c’est à dire de notre être au monde.
Ceci est un mythe qui, bien que discutable a le mérite de
poser la question de l’origine.
L’adversaire « immortel » d’Eros n’est
autre que la pulsion de mort dont Freud avait révélé
l’existence dès la sexualité infantile, il eut
le plus grand mal à convaincre jusqu’à ses élèves.
Elle travaille « silencieusement » cette pulsion, elle
vise à détruire l’autre et soi-même dans
un mouvement d’agression et d’autopunition. Elle garde
la trace du meurtre originaire du père par les fils qui est
le fondement de toute société humaine. La culture
engendre le refus de savoir d’où elle vient. La culture
visant à l’utilité, à l’ordre,
doit procéder à l’inhibition de l’individualité.
Dans ce contexte, la dimension de l’amour devient chose rare.
Survint par-ci par-là comme l’a nommé le père
de la psychanalyse un ‘malaise dans la civilisation’
[3] . Il y a, à la base des pulsions une violence irréductible,
l’être humain est violence. La violence relève
parfois d’un sentiment d’opacité, nous projetons
sur l’autre des sentiments, des affects, des pulsions que
nous dénonçons et qui ne font que nous énoncer.
De fait, «L’homme n’est point cet être
débonnaire au cœur assoiffé d’amour dont
on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais
un être au contraire qui doit porter au compte de ses données
instinctives une bonne somme d’agressivité… L’homme
est en effet tenté de satisfaire son besoin d’agression,
d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser
sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens,
de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser
et de le tuer » [4] . Voilà ce qu’affirme en
1929 Freud, dix ans plus tard, les camps de la mort lui donneront
raison. Le malaise dans la civilisation scientifique et technique
fait que personne ne peut échapper à son emprise.
Est-ce la faute à la science s’il y a du malaise ?
Avec la science moderne, s’instaure et s’établit
un rapport au savoir qui entoure et supplante le règne de
la co-naissance. Ce savoir qui prend le pas repose sur un acte fondateur
: rupture avec la connaissance. La science se rend indépendante,
en donnant lieu au savoir objectivé, indifférent,
déshumanisé, désintéressé de
la jouissance. La science dure et son savoir se renouvelle parce
que l’exclusion du sujet perdure. Pour qu’il y ait exclusion
du sujet, il faut qu’il y ait peut être deux éléments
qui l’accompagnent : impossibilité d’accès
à l’histoire et impossibilité d’accès
au lien social. Gardons, du moins, ces deux hypothèses comme
question.
La science dure, la science est pure, voilà ce que le sujet
endure ! Mais, le sujet n’étant pas aux ordres, il
persévère dans sa position et la jouissance ne cesse
de faire retour dans la répétition. Simplement, ce
qui est refusé au sujet, c’est de pouvoir voir que
cette répétition, c’est lui !
C’est en ce point que nous pouvons mesurer le discours scientiste
sur le sujet. Quand le maître «vrai » se réduit
à l’un du signifiant à l’arbitraire de
l’un, lequel est infléchi par le capitalisme qui fait
de la plus value la cause de son désir, taraudé par
les effets de la science qui se vouant à la seule production
du savoir s’impose comme «idéologie de la suppression
du sujet ».
Le discours de la science infiltrant le lien social ne met-il pas
gravement en cause les modes de traitement de la violence ?
Le capitalisme libéral va de pair avec la démocratie.
La démocratie essaye de réguler le réel à
partir de la loi, mais comme elle n’est plus garante d’un
facteur de régulation, elle génère la crainte
de la répétition de l’histoire, le totalitarisme
du passé. [5] L’exception se développe sur le
lieu religieu. L’être exceptionnel agit au nom de l’exception
: « Je suis l’élu qui agit pour le bien de tous
», politique du tyran qui sait, plus que tout autre, ce qui
est bon pour l’autre.
Freud a toujours lié les problèmes de la civilisation
et du malaise, l’irréductible de la pulsion dans la
nature humaine. La névrose, la bonne éducation, conditionnent
le déterminisme social : « Tu es cela »…
Les liens sociaux sont en cause, Lacan les a nommés discours
au sens ou le discours est un lien social ordonné par le
langage ce que Freud appelle la civilisation.
Le symptôme est lié à la pulsion, il se met
en travers. « Je n’y arrive pas », impuissance
à parler, « je ne peux pas m’empêcher de
taper, de voler… ». Cette jouissance là met du
sable dans la machine du discours commun et va à l’encontre
du signifiant maître.
Comment a-t-on affaire à la violence ? Par le biais des
symptômes. Si on ne peut relier les éléments
de son histoire, on fait des histoires. L’amour n’est
pas structurant, il est insuffisant. Avoir été trop
aimé et accompagné par la haine qui est la sœur
de lait de l’amour. L’amour c’est l’assujettissement
à l’autre car il y manque le principe de séparation,
se séparer pour créer du lien. La séparation
permet au sujet de développer une autonomie morale et subjective.
Il est primordial dans les métiers du social d’entendre
la violence comme une tentative avortée de séparation,
de les repérer. La drogue, la violence, les fugues, ne sont-elles
pas des tentatives de séparation ? Accompagner l’autre
à se séparer pour grandir tout en restant relié,
n’est-ce pas là la fonction éducative ?
Le déclin du père
Le père pose question et l’époque actuelle
ne désigne-t-elle pas son déclin ? Du père
au pire, disait Lacan, c’est à dire le déferlement
de la jouissance… Vers un déclin de son image [6] .
Le père est-il mort et allons-nous vers ‘une société
sans père’ [7] .
P. Legendre parle de pratiques symboliques sociales permettant
au sujet d’opérer une permutation symbolique, c’est
à dire passer d’une nomination par exemple ‘fils
de’ à une autre place symbolique dans le réseau
de la parenté et de l’alliance.
J. Lacan avait annoncé en 1963 la pluralisation des noms-du-père.
N’avons nous pas affaire dans notre travail à des individus
qui en tant que sujets témoignent à leur niveau de
problématiques paternelles singulières ?
L’usage des pratiques du langage dans le travail social
Trouvons-nous une autre satisfaction par la parole ? Tout psychanalyste
est bien placé pour savoir que les mots peuvent rendre malade.
Triangulez ! Triangulez ! Qu’est-ce à dire ? Transformer
le passage à l’acte en acte de passage. Les médiations,
mettre au milieu, mettre entre deux pour exprimer la violence sur
un mode constructif et valorisant. Cela procède toujours
d’opérations langagières affinant ainsi ce que
parler veut dire. Il est une instance dont on ne parle pas, c’est
la loi. Hors la loi, c’est l’envers de la violence,
le respect du désir et du corps. Redonner le droit de cité
à ceux qui ont juste le droit d’être cités
en parallèle, juste le droit de cécité, au
travers d’un atelier d’écriture, n’est-ce
pas une position politique ? Mais également réintroduire
la question du sujet ?
J’ai travaillé pendant deux ans comme animateur d’atelier
d’écriture, dans une structure accueillant des personnes
qui souffrent de pauvreté endémique, d’isolement
chronique ou d’errance absolue, autrement dit, des SDF et
pour les plus chanceux des RMIstes.
Paradoxalement, si l’on posait un diagnostic politique, je
dirais que plus il y a d’exclus plus le capitalisme croit.
Le problème réside dans le fait que si les rapports
de production restent analysables, les rapports de consommation
posent une énigme : « Dis moi ce que tu consommes,
je te dirais qui tu es (qui tuer) ? »
Comment ne pas voir le discours de la science dans toute son abjection.
Un SDF mort sur un banc, ce n’est plus un homme qui meurt
!
De cette population a qui on donne l’injonction aux psy,
aux travailleurs sociaux de les contenir, parce qu’ils font
désordre avec ordre d’objectiver le sujet pour le ravaler
au rang d’objet. « Il est certain que se coltiner la
misère, … c’est entrer dans le discours qui la
conditionne, ne serait-ce qu’au titre d’y protester.
Au reste les psycho quels qu’ils soient qui s’emploient
à votre supposé coltinage, n’ont pas à
protester mais à collaborer » [8] . C’est dans
cet entre-deux, protester et collaborer, que se situe le malaise
du travail social.
J’allais deux fois par mois animer des ateliers d’écriture,
nous commencions par une partie lecture car j’ai toujours
fait le pari que mettre des auteurs comme Cendrars, Becket, Duras,
Beaudelaire, Lautréamont, Rimbaud dans l’oreille d’un
public défavorisé, c’est y mettre des choses
qui ne devaient pas y entrer. Est cela la citoyenneté ?
J’ai décidé de reprendre la question de l’errance
sur les lieux d’écriture, écrire dans des espaces
ouverts ou fermés autour de Montauban, libérer, comme
l’a fait toute sa vie Armand Guatti au travers du théâtre
et de l’écriture une parole errante, une parole déjouée
du pouvoir et qui peut circuler dans l’enceinte d’un
collectif. Trois écrivans ont été écrivains,
ils ont été publiés dans des revues, l’un
d’entre eux ne savait ni lire ni écrire graphiquement.
Nous nous éloignons peut-être du père, quoi
que ?
S’agit-il de faire lien social pour que ‘je’
advienne et devienne un parmi d’autres.
Masud Khan, à propos de la science analytique emploi le
terme de ‘jachère’ sur le plan collectif, avec
les exigences administratives, les préjugés, c’est
très difficile à obtenir de tels lieux : des lieux
de tranquillité vivante, des lieux ou ‘on vous fout
la paix’, des lieux sans intentions thérapeutiques
officielles.
La jachère ou espace du dire, Lacan parlait dans un autre
contexte du «y a de l’un ».
La mélancolie
Je voudrais maintenant présenter un adolescent et sa violence
de sujet mélancolique.
M. ne faisait rien, mais ne posait, en apparence, aucun problème.
Il accentuait l’importance de la scolarité ce qui ne
l’empêchait pas d’être exclu de tous les
établissements scolaires qu’il fréquentait.
On le scolarisa à l’intérieur d’un I.R.
avec alternance classe – atelier. Pour si étonnant
que cela paraisse, il ne manifestait aucune angoisse malgré
les difficultés des situations dans la réalité,
tout semblé colmaté.
Au début il me faisait penser à une catégorie
clinique qui nous échappe souvent : l’obsessionnel.
Il se contentait de duper les autres en feignant la bonne volonté.
En quatre ans, M. avait été assigné à
trois places différentes par son père, sa mère,
sa fratrie : il est petit, il est irresponsable, il est fou. Il
ne s’agit pas pourtant d’un glissement mais d’un
même signifiant pour le représenter au sein de la famille.
Un jour, il se mit au travail, il voulait être boulanger,
horaires éprouvants, mais il travaillait dur, son employeur
me dit qu’il était le meilleur ouvrier qu’il
ait jamais eu. A ce point là, son image commença à
s’effriter : « je ne sais pas ou je suis, je suis nul,
est-ce que je vais rester comme ça », puis il semblait
ne plus entendre, il mena sa destruction jusqu’à l’hospitalisation.
D’ou vient l’éclosion de cette mélancolie,
ce bouleversement de la structure de son existence ? Ce changement
d’image le coupait-il de sa famille ?
Je pense à Dionysos qui est l’image la plus proche
de la psychose maniaco-dépressive. Freud [9] souligne bien
la perte, pas forcément la perte d’un être cher,
mais la perte d’une autorité, d’un objet, au
sens fort du terme. Quelque chose de l’ordre d’une sorte
de référent permanent va se démolir progressivement.
La mélancolie est un lieu ou le sujet va se repérer,
un lieu à partir duquel il pourra se reconnaître, un
lieu qui organise son histoire, sa présence et la possibilité
qu’il a de faire des projets. La crise de M. c’était
ne plus pouvoir dire… ne plus pouvoir choisir…
Cette ruine qui lui tombait dessus, le renvoyait au niveau de la
phase du miroir, l’imaginaire défaille, c’est
le point d’horreur, une sorte de traversée du miroir.
Cette impuissance à se tenir est à la base de la mélancolie,
il s’ensuit l’ambivalence et puis l’angoisse et
la vie se vide de sens.
Pourtant, il est totalement injuste d’assimiler la mélancolie,
le deuil et son contraire la manie, le déni du deuil, a une
psychose. Comme chez tout sujet, le nom du père opère,
il n’est pas forclos. Il n’y a pas perte de la réalité.
Il faut alors envisager des séances analytiques en face à
face ou côte à côte. L’analyste doit tenir
une image de neutralité pour que le patient puisse reconstruire
l’image du miroir. Le sujet accède alors au semblant
et retrouve l’imaginaire comme tout un chacun.
Je vais essayer maintenant de décrire, plutôt que
d’écrire une micro société que représente
une cour de récréation, on y assiste au jeu mais aussi
à la déferlante de la jouissance des enfants. On voit
bien que la violence est inhérente à l’humain.
« Il n’est besoin que d’écouter la fabulation
des enfants, isolés ou entre eux entre deux et cinq ans pour
savoir qu’arracher la tête et crever le ventre sont
des thèmes spontanés de leur imagination que l’expérience
de la poupée démantibulée ne fait que combler
» signale J. Lacan [10] dans l’agressivité en
psychanalyse.
Cour de récré
Comme tous les jeudis, je regarde les enfants de sept à
treize ans. Un véritable scénario politico social
se déroule sous mes yeux. Il y a déjà toute
la civilisation, la structuration de l’être dans sa
forme la plus élaborée, de déboires, de soumissions,
de pouvoirs, de partages de territoire.
Là, tout se crée, se recrée à la récré.
On est rien, on naît rien, on sait rien... Nous ne sommes
que des poussières d’étoiles qui tombent sur
les montagnes ou les rochers de l’océan, en Afrique,
en Asie, au Soudan, en Laponie, en Europe, dans tous les coins du
monde et cette bribe de Cosmos, cette poussière d’étoiles
possède la parole et dit «je ».
Que dis-je ? … Curieuse histoire quand même.
Là, je suis obligé d’arrêter mes diversions
pour mettre Bébé requin sur le banc, Bébé
requin mange les autres, les baffres, les baffe, les tyrannise,
Bébé requin est sans loi, peut être est-il moins
fou que nous ? Mais je me dois de faire mon boulot, Bébé
requin restera sur le banc pour le protéger de lui-même
et protéger les autres.
Instantanément, je siffle un coup franc à des adeptes
du vélo qui veulent absolument faire le tour de la cour au
milieu des terroristes du bac à sable et des adeptes du football,
tiens, R. vient de prendre le ballon en pleine figure. En cinq secondes
un syndicat autonome et parfaitement illégal constitué
de cinq membres vient revendiquer la légalité du vélo
dans la cour de récré. Je ne peux expliquer mon acte,
me voilà gendarme appliquant bêtement la loi sans avoir
le temps de l’expliquer. Serai ce un zeste de morale judéo-crétine
ou un relent surmoïque qui s’empare de moi ? C’est
l’envers de la loi, je ne peux accompagner ma sanction par
les mots, cela me déprime, les autonomes s’effilochent
dans la cour en quête d’adeptes susceptibles de pouvoir
grossir le syndicat.
Je reprends mes dérives, je vois toute la société
qui se crée, se recrée, dans cette création
cette récréation.
Il y a un obsessionnel qui rentre dans mon atelier chant en se
bouchant les oreilles alors qu’il crie comme un malade…
nous lui donnons des stylos qui vont avec son obsession, les bleus
avec les bleus, les rouges avec les rouges, les verts avec les verts.
Les goûts et les couleurs, les coups et les douleurs…
Il y a quelques gamines hystériques qui foutent le bordel
entre les mecs et qui changent d’idée comme moi de
pull-over. Elles élisent des messies qu’elles prennent
après pour des gens ternes.
Il y a C., un pervers qui, passant outre la loi, ne trouve pas
son inscription de sujet, il n’y est pour rien, le déni
de la castration, il joue avec l’autre, il jouit de l’autre.
Il est tellement mignon… c’est moi son référent.
Tout le territoire est partagé entre deux leaders qui s’évitent
et se rencontrent deux fois l’année pour se repartager
la cour de récréé, T. et C.. Quand ça
a lieu ça fait mal, j’ai été témoin,
ils se giflent, ils se gigotent, ils se turbulent, se dévissent
la tête dans la flaque d’eau, se roulent dans la fange.
« Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur leur tête
» Dans le match un round suffit à chaque fois nous
ne voyons que la fin car ils profitent d’un laps de temps
sans adultes ; le temps qu’un humaniste actif vienne chercher
l’éduc. « Mon Dieu ! » s’écrit
Suzanne, l’infirmière, et là, ensanglantés,
ils attaquent la source du langage ou cesse même un nom :
« fils de pute, nique ta mère ! » enfin personne
ne fait jamais ça ! et l’autre de répondre :
« si j’avais couru plus vite que le chien je serais
ton père », voyez toujours des familles à histoires…
Ils sont entrés dans le cœur du langage et ne parlent
enfin plus pour ne «rien dire ». Rendez-vous dans six
mois, deux fois par an vous dis-je. En attendant, ils ne se verront
pas. L’un pour l’autre ils sont redevenus transparents,
juste la moitié du territoire, pas question d’empiéter
chez le voisin…
Tout, il y a tout dans la cour de récréé,
il y a les fayos a qui on casse la gueule car ils ont été
bassement lâches en classe.
Il y a des insignifiants qui veulent pas d’histoires.
Tout est en place pour ce «livre de la jungle » qui
s’appelle la vie.
Que me veut cet autre qui est à la fois mon double, mon
frère, mon semblable, mon rival, mon ami et mon pire ennemi.
Il y a le meilleur et le pire avant qu’il fasse rire.
Nous sommes des particules du cosmos, ensemble, séparés,
qui s’éteindront un jour.
Mais la nuit n’est pas toujours bordée d’étoiles
pour ce style d’enfants.
A la fin de la récré, une pause de vingt minutes
m’est donnée et parfois, le vieil enfant qui dort en
moi se réveille.
Jacques LOUBET loubet.j at wanadoo.fr
[1] S. Freud Totem et Tabou, Petite Bibliothèque Payot,
1986
[2] S. Freud Totem et Tabou, Petite Bibliothèque Payot,
1986
[3] S. Freud, Le malaise dans la culture, Quadrige, PUF, 1995
[4] Op cit, S. Freud , Le malaise dans la culture
[5] C. Soler, Violences et pouvoirs, Conférence du 5 avril
2003, Centre Universitaire de l’Ariège, Foix
[6] J. Lacan, Les complexes familiaux, 1938
[7] Mitsherlick 1969
[8] J. Lacan Télévision, Le Champ freudien, Seuil,
1974
[9] S. Freud, Métapsychologie, Deuil et mélancolie,
Folio Essais, 1993
[10] J. Lacan Les écrits, Ed du Seuil, 1966
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