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Origine : http://www.psychasoc.com/article.php?ID=105
Les éducateurs sont souvent dans la plainte. Plainte justifié
ou injustifié là n'est pas la question. Se plaindre
de son chef de service, du directeur, des enfants, des parents,
des conditions de travail, du manque de personnel, des R.T.T. ,
des pas R.T.T., etc.... Il y a toujours matière (et manière)
à se plaindre. Au risque parfois d'en oublier l'autre...
Il est évident que la plainte de l'éducateur est un
obstacle au travail éducatif. Se plaindre ou ne pas se plaindre
là n'est toujours pas la question. Mais pourquoi se plaint-on
? Benjamin Jacobi (les mots et la plainte) rappelle que la plainte
occupe une place prépondérante dans tout discours
de souffrance. Il ajoute qu'elle se fonde initialement sur la reconnaissance
d'un objet : la mère et le constat, toujours récusé,
de sa nécessaire distance. Ce qui constituerait la plainte
n'est pas fondamentalement le statut de l'objet, mais l'expérience
d'un sujet qui se confronte à la différence, à
la distance, à l'altérité de l'objet. Jacobi
évoque également la plainte du médecin, du
travailleur social, du psychologue qui ne peuvent être indifférents
à la souffrance psychique ou physique. Il souligne que chaque
professionnel aspire, en partie, à traiter sa propre souffrance
en s'occupant de la souffrance de l'autre. Il se peut alors que
la représentation d'une plainte en forme de reproche s'articule
au sentiment qu'on ne peut rien ou pas grand chose à la douleur
des autres et du même coup revient ce constat éprouvant
que personne ne pourra apaiser la souffrance qui a présidé
à un choix professionnel de spécialiste de la souffrance
des autres. Dans les centres de formations, les futurs éducateurs
sont souvent dans l'expression d'une plainte où le contact
avec la réalité du terrain de stage les confronte
à cette vérité du terrain.
François Roustang (La fin de la plainte) pense que la plainte
à travers ses dires s'écarte de ce qui est ressenti
pour y être infidèle, y ajoutant du coup quelque chose
de son cru. La Fontaine dit que la douleur est toujours moins forte
que la plainte. Diderot estime que la plainte surfait toujours les
afflictions. Roustang rajoute qu'au lieu d'être une pure transposition
vers le dehors, à la manière d'un abcès qui
cherche à se vider, elle exagère et se détache
de son origine. Elle devient un artifice. Roustang pense que l'on
se plaint pour laisser intact son chagrin, pour n'avoir pas à
y toucher, à l'absorber ou à l'affronter. Elle devient
bientôt, parce qu'elle dure, une fixation répétitive
qui aliment le chagrin au lieu de l'épuiser. La plainte est
pour lui un refus de la réalité qui s'impose. Un événement
qui est venu rompre le cours d'une existence et d'un système
relationnel présent, exigerait tant de modifications et de
fatigues que l'individu ne pourrait s'y résoudre. La personne
préfère nier que quelque chose ait eu lieu. Rien n'est
arrivé et il préfère laisser dans l'état
ses habitudes de penser, de sentir, d'agir. Le regard qui était
posé sur le monde environnant se fige. Mais puisque l'événement
insiste, il doit trouver un autre moyen d'y échapper. Il
regrette son apparition, déplore les faits, espère
et revendique un temps autre et un autre espace qui pèse
sur lui désormais. Je ne peux me les approprier et m'en rendre
responsable de quelque manière donc c'est à l'autre
que doit en être attribué la faute : l'institution,
l'équipe, les intervenants...
La plainte en vient à porter plainte et à se répandre
en accusations. Les travaux de Bion montrent que cette perte n'est
rien d’autre que la perte du sein. Une des façons de
ne pas perdre ou re-perdre ce sein consiste à s'attacher
"à des petits riens" à "pas grand chose"
seul moyen pour éviter de reconnaître l'essentiel.
Sans oublier Freud évoquant également le sujet de
la perte qui rappelle que le mélancolique sait qui il perdu
mais non ce qu'il a perdu On ne peut éviter de parler de
la castration qui est forcément en jeu dans la plainte. Celui
qui se plaint s'imagine non castrable. S'accepter limité
dans son emprise sur le désir de l'autre peut être
compris comme épreuve de castration. Il existe de nombreux
outils pour réduire ou sortir de la plainte : l'analyse des
pratiques, l'activité, le projet, la formation continue,....
De nombreux outils pour éviter l'épuisement professionnel
et donc... la plainte.
Pour élargir le sujet tout cela n'est finalement que de la
parole et comme le souligne Rouzel (Le travail d'éducateur
spécialisée) la parole suit une trajectoire qui contourne
l'objet perdu et à jamais perdu. Rouzel rajoute que les paroles
qu'un sujet prononce sont les déchets, les ruines, les miettes
de cette perte fondamentale. Pour résumer, un sujet annonce
qu'il est manquant et que c'est ce manque qui le fait parler. Si
un sujet s'avance comme manquant face à un autre, c'est qu'il
espère que cet autre aura ce qu'il lui, manque. Ce manque
va s'exprimer dans la parole soit pour en parler encore et toujours
ou pour s'en plaindre ou encore pour le réclamer. J'évoque
uniquement la plainte de l'éducateur car cette parole qu'elle
soit d'un éducateur, d'un enfant ou un adolescent reste la
parole d'un être manquant. A la différence que l'éducateur
est là pour répondre de cette parole (sans répondre
à cette parole) et que son intérêt personnel
doit passer après son objectif professionnel. La question
du narcissisme de l'éducateur peut également se poser.
En faisant la distinction comme Eiguer (Du bon usage du narcissisme)
avec le "bon" et le mauvais". On pourrait également
évoquer ce sujet inépuisable de ce qui conduit au
choix d'éduquer et aux intentions inavouables que développe
Philipe Meirieu dans son livre Le choix d'éduquer.
Un vaste sujet qui conduit à un mot devenu presque banal
: l'éthique.
Viudes Jean-Luc
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