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Origine http://www.liberation.fr/page.php?Article=324408
frédéric Bieth, 35 ans, philosophe de formation,
est un psychanalyste membre des Cartels constituants de l'analyse
freudienne de Paris. Alors Freud, menteur, escroc, cocaïnomane,
etc. Comment réagissez-vous ?
J'ai davantage une réaction de philosophe. Avec Freud, on
n'est pas dans le cas d'une théorie qui vérifie une
pratique. On est dans une pratique qui construit chaque jour une
théorie. Aussi, le qualifier de menteur, de traître,
ce n'est rien d'autre que n'avoir pas compris comment fonctionne
le travail scientifique. Cela montre également à quel
point il est nécessaire de se décaler dans la lecture
de Freud. Du moins de se décaler d'une étude pleinement
érudite qui n'aurait pas d'autre portée que le mot
à mot.
En même temps, il est nécessaire de comprendre que
c'est la pratique, la clinique, qui est centrale dans la psychanalyse.
Freud a travaillé avec des patients, il a construit peu à
peu une théorie, il a écrit pour tenter de sortir
d'impasses. Ses écrits ont cette fonction, celle d'avancer,
faire travailler l'inconscient. On n'est nullement dans quelque
chose de figé et de dogmatique. Lorsque je lis Freud, je
ne recherche pas une théorie ou une référence
idéologique. Mais je note à quel point l'écriture
des cas cliniques freudiens est une invention à laquelle
ma pratique donne corps autant qu'elle continue de la construire.
C'est-à-dire...
Dans l'analyse, j'ai affaire à un être humain, qui,
dans sa singularité, exprime quelque chose d'universel. Ce
sujet, cette subjectivité particulière, dit quelque
chose de la condition humaine. Et, ce qui nous intéresse
sur le divan, ce n'est pas que leur symptôme puisse être
catalogué symptôme d'Anna ou de Dora, mais leur singularité.
Je pense qu'il y a là comme une libération, soutenue
par une parole vraie. Il y a, de ce point de vue, un écart
fondamental avec les thérapies comportementales et cognitives
(TCC).
Certains reprochent aux psychanalystes leur refus d'aborder la
question de l'évaluation. Qu'en pensez-vous ?
Il ne me choque pas qu'on s'interroge sur l'effectivité
de la psychanalyse. On ne peut pas l'évacuer tel quel. Pour
autant, on ne peut pas poser cette question de la même manière
qu'on la pose pour un médicament dans un protocole scientifique.
Car c'est une chose que de pouvoir évaluer un médicament
en comparant des populations standard, ou la diminution des symptômes
de patients à court terme. C'en est une autre que de vouloir
évaluer de façon quantifiable ce qu'il en est d'une
parole d'un sujet, parole qui lui permet de sortir de sa souffrance.
Une personne peut avoir moins de TOC (trouble obsessionnel compulsif)
ou de crises de boulimies avec les TCC, mais d'autres symptômes
peuvent apparaître que camouflaient les précédents,
comme de l'agressivité. Les TOC et la boulimie ont une raison
d'être dans l'histoire de la personne ; c'est à cela
que s'intéresse l'analyse. Le terme d'évaluation ne
convient pas.
Les querelles ou conflits actuels vous paraissent démodés
et dépassés ?
Je suis très inquiet, car tout cela aura un impact sur le
public. Je suis inquiet car cela renvoie à une tendance dramatique,
celle d'une hygiène du corps, d'un corps social propre. On
est dans une normativité qui entre dans le même cadre
que les règlements à tous vents qui envahissent nos
sociétés. On légifère, on réglemente
lorsqu'on ne peut penser.
Est-ce difficile d'être un jeune analyste ?
D'abord, je ne vis pas économiquement de l'analyse, c'est
pourquoi j'ai une deuxième casquette, la philosophie. C'est
aussi une manière de ne pas être attaché à
ses patients, de garder sa liberté dont l'acte analytique
s'autorise. Tout autant que le psychanalyste n'est pas dans un métier
mais dans une fonction. Ni hier ni aujourd'hui, l'analyste n'élabore
d'étude marketing, pas plus qu'il ne donne à voir
une quelconque plaque sur sa porte. Cela étant, le moment
que l'on traverse est particulier. Avant, lorsque l'on entamait
une analyse, le patient cherchait à «éprouver»
sa subjectivité. Aujourd'hui, les subjectivités arrivent
souvent déconstruites, et sont dans des souffrances profondes.
Ce que nous demande un patient, c'est davantage de l'aider à
construire sa subjectivité. La psychanalyse trouve plus que
jamais sa nécessité, devant le défi et l'urgence
que lui impose la question du sujet.
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