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Origine : http://www.psychasoc.com/article.php?ID=222
La logique de la « problématique » a eu de beaux
jours. Cette manière de travailler venait après une
période où le travail éducatif se caractérisait
par l’importance de l’engagement personnel. Seulement
il apparaissait que la bonne volonté de chacun ne suffisait
pas et qu’il fallait « techniciser » la profession.
Jeune éducateur, on me demandait de commencer mes synthèses
par la problématique de l’enfant. Il s’agissait
pour l’équipe éducative de concevoir une représentation
des difficultés rencontrées par l’enfant. Dès
lors, des stratégies d’actions pouvaient êtres
construites pour répondre au mieux à ce que nous imaginions
de ses problèmes.
Mais cette manière de travailler à laissé
apparaître ses limites lorsqu’on s’est aperçu
que les droits les plus élémentaires des personnes
qui fréquentaient ces établissements n’étaient
pas toujours respectés. Ainsi, il est devenu de moins en
moins défendable que la seule instance de décision
soit la synthèse. La parole des usagers y était soumise
à la bonne volonté des éducateurs et lorsqu’il
y avait désaccord, la famille, l’enfant ne pouvait
pas véritablement faire valoir son point de vue par elle-même.
Nous pouvions débattre longtemps de la problématique
d’un enfant, en déconnectant la question de la qualité
de son accueil de nos réflexions ou alors en n’ayant
pas recueilli les préoccupations des parents et enfants.
Ainsi cet enfant confié à un établissement
médico-social et à qui l’équipe répondait
à la mère qui voulait savoir si son enfant allait
continuer à bénéficier d’un suivi orthophonique
: « chère madame, nous avons une prise en charge institutionnelle
globale ».
Evidemment, la plupart des éducateurs ne se comportaient
pas de cette manière et cherchaient à intégrer
au mieux les besoins des usagers, mais cette attitude était
possible. Enfin, quelques affaires médiatisée «
cheval pour tous… » ont jetées une ombre sur
le travail éducatif et le législateur s’est
dit qu’il fallait mieux garantir les droits élémentaires
des personnes accueillies
Quelques lois (2 janvier 2002, 12 février 2005) ont fait
apparaître la notion de bénéficiaire et font
passer de la logique de la problématique à celle du
besoin. Dès lors, ce n’est plus la représentation
des professionnels qui prime, mais les besoins exprimés par
les bénéficiaires.
L’action éducative devient contractuelle et se fonde
sur le projet personnalisé qui intègre à part
égale les préoccupations des professionnels, du bénéficiaire
et de ses représentants (parents tuteurs). Cette évolution
qui débute seulement est, il faut le dire, une véritable
amélioration pour les personnes accueillies.
Ainsi la loi du 2 janvier 2002 affirme dans son 2°article :
« L’action sociale et médico-sociale, tend à
promouvoir // l’autonomie et la protection des personnes//
Elle repose sur une évaluation continue des besoins et attentes
des membres de tous les groupes sociaux… » La dialectique
entre le repérage des besoins et l’évaluation
des réponses apportées est inscrite dans la loi et
oblige les établissements à questionner les bénéficiaires,
les représentants légaux et les professionnels pour
cerner ces fameux besoins. L’avantage est d’ailleurs
partagé car si les usagers peuvent voir ainsi leur situation
s’améliorer, les institutions ont aussi beaucoup à
gagner. Elles ont enfin un outil fiable pour faire ressortir leurs
propres besoins. Elles peuvent se présenter au devant de
leurs financeurs avec des éléments chiffrés,
précis faisant ressortir leur action, ainsi que leurs propres
besoins : « 80% des familles de nos bénéficiaires
réclament un ascenseur pour changer de niveau, elles déclarent
toutes qu’il y a un danger à passer par les escaliers
»
Toutefois, cette évolution verra rapidement ses limites
dans la mesure où les personnes qui fréquentent des
établissements éducatifs, n’y viennent pas pour
combler un quelconque besoin. Allez demander à un ado placé
dans un centre éducatif ce qu’il a à faire de
son confort, sa demande, c’est, le plus souvent, de rencontrer
quelqu’un.
Car la demande, ce n’est pas les besoins ! Il ne faut pas
confondre ! Les besoins sont de l’ordre du matériel,
du confort. La demande se situe à un autre niveau, plus intime
comme la recherche d’une autorité, adressée
à soi et qui contienne vraiement. Ce travail, salutaire sur
les besoins des usagers, ne pourra avoir un véritable avenir
que s’il s’associe à une réflexion sur
la demande des « bénéficiaires ».
Pour une fois, il faudrait éviter de réfléchir
en réaction, en opposition avec la période précédente,
et chercher à intégrer ce qui existe pour le compléter.
Il est parfaitement légitime de mettre en avant les besoins
des usagers, à condition de ne pas être dupe, de bien
savoir que ce n’est pas ça qu’ils demandent.
Une ado fugueuse, qui fera son projet ? Il faudra lui demander :
« Alors, comment trouve-tu ta chambre ? Est-elle confortable
? … »
Ces questions sont importantes, mais qui peut croire qu’elles
soient centrales pour elle ? Sa demande, c’est, peut être,
que quelqu’un se fasse authentiquement et très sincèrement
du souci pour elle lorsqu’elle est en fugue. Et cette personne
ce peut être un éducateur, le cuisiner, la femme de
ménage… le directeur, cela ne se décrète
pas !
Evidemment, il serait parfaitement cynique de la loger dans un
taudis sous prétexte qu’elle fugue et que sa demande
ne se situe pas la! Son bien être, son confort, doivent rester
des préoccupations premières. De même, les éducateurs
doivent énoncer leur projet en matière d’intégration
sociale, pour elle. Mais la question centrale de cette jeune fille,
la difficulté à vivre qui la conduit à être
placée dans un établissement éducatif et non
dans un internat scolaire, ne peut être éludée.
En plus de ses besoins, elle a une demande.
La demande, a pour principale caractéristique de ne pas
être explicite, de rester obscure. Un enfant qui pourrait
énoncer le plus clairement du monde sa difficulté,
n’a pas besoin d’être placé en institut
éducatif. Le plus souvent, il arrive en se plaignant, avec
pas mal de besoins et une demande confuse, qui ne pourra s’élaborer
que dans l’après coup. Pour reprendre l’exemple
de cette jeune fille, ce ne peut être qu’après
un long compagnonnage qu’il est possible de repérer,
ensemble, ce qui était important pour elle lors de son placement.
Du reste, à ce moment là cela n’a plus vraiment
d’importance pour elle car elle est passée à
autre chose.
L’éducatif est totalement étranger à
la notion de contrat, c’est un pari. On espère que
pour cet enfant confié à tel ou tel établissement,
« ça va coller ». C’est à dire qu’il
y trouvera des personnes avec lesquelles il pourra établir
une relation d’une autre nature que celles qu’il avait
connues jusqu'à présent. On espère que de cette
nouveauté, il pourra établir un nouveau rapport au
monde, plus apaisé et plus vivant. Lorsqu’on ouvre
un CER, on fait le pari que les jeunes trouveront là un autre
type de relations, plus structurantes, moins mortifères.
Mais rien ne garantit que la demande de ces ados trouvera là
une réponse même partielle !
Concrètement cela veut dire qu’il est difficile de
tout mettre dans un projet. L’autorité, en particulier
ne s’écrit pas, elle ne se décrète pas.
Elle aussi relève de l’alchimie de la relation éducative
et ne peut être décidée comme l’une des
conditions d’un accueil : ici on est autoritaire ! Ce serait
le meilleur moyen d’obtenir une résistance forcenée
à toute tentative d’autorité ! C’est d’ailleurs
un peu ce qui s’est passé lors de la création
des centres éducatifs fermés.
Miser sur la demande, cela relève de la chasse aux papillons
comme le chantait Brassens, on part et on espère que ça
aura lieu… Rien n’est donc plus éloigné
de la notion de projet, lui-même émanation de la démarche
évaluative. Pour lier l’un à l’autre,
il faut être habitué des paradoxes. L’un n’exclue
pas l’autre. Il faut arriver à penser des projets personnalisés,
tout en ayant à l’esprit la question de la demande
des bénéficiaires. L’un relève de l’institutionnel
et l’autre de la relation éducative. L’un s’évalue
au travers des projets personnalisés et du projet d’établissement,
l’autre peut être réajustée lors de séances
d’analyse de la pratique. L’un ne doit pas exclure l’autre
au risque de la perte du sens, et l’autre ne doit pas exclure
le premier au risque de la perte de toute crédibilité..
En effet, le risque réside dans le caractère extrêmement
séduisant du projet et de la mise sous le boisseau de toute
démarche dissidente. La demande et le besoin sont indissolublement
liés dans la recherche d’une action éducative.
Il nous reste encore à en prendre conscience.
jean marie VAUCHEZ, éducateur
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