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Origine : http://www.afrik.com/article7466.html
Amely-James Koh Bela, présidente de la Commission de l’information
et de la formation à la Fédération des agences
internationales pour le développement (Aide Fédération),
est celle qui a permis à la rédaction d’Afrik
de se pencher sur le fléau de la prostitution dans les milieux
africains en Europe. Ce phénomène est traité
dans un livre à paraître. A cette occasion, Amely-James
Koh Bela, revient pour nous sur son action.
Amely-James Koh Bela est présidente de la Commission de
l’information et de la formation à la Fédération
des agences internationales pour le développement (Aide Fédération),
une organisation non gouvernementale dotée d’un statut
consultatif auprès du Conseil économique et social
des Nations Unies. Diplômée d’une école
de commerce et de gestion et déjà fortement impliquée
dans le milieu associatif, elle est interpellée, à
la fin des années 90, par la prostitution dans les milieux
africains lors d’une enquête qu’elle souhaite
réaliser sur la vie des immigrés (« Sans-papiers
») africains. Elle découvre alors la prostitution «
familiale ». Aussi, depuis une dizaine d’années,
celle qui se définit comme une « Africaine qui se donne
le temps d’aider les autres », se mobilise contre le
fléau de la prostitution des Africains en Europe. Elle est
l’auteur d’un livre, intitulé Prostitution Africaine
: Vérités - Mensonges - Esclavage qui paraîtra
fin septembre.
Afrik.com : Les colonnes d’Afrik ont évoqué,
grâce à vous, la dure réalité de la prostitution
chez les Africains, et plus particulièrement en Europe. Selon
vous, cette énième médiatisation a-t-elle permis
d’alerter un peu plus l’opinion publique sur le sujet
?
Amély-James Koh Bela : Je suis très satisfaite qu’on
ait pu, grâce à Afrik, informer le maximum de personnes
sur la prostitution dans les milieux africains en France, et plus
largement en Europe. J’ai reçu des dizaines et des
dizaines d’e-mails. Pour beaucoup de gens, ce phénomène
reste encore inimaginable. C’est un peu normal. Ce n’est
qu’un début, mais j’espère que mon livre,
les conférences et autre finiront par les convaincre de la
réalité de ce fléau.
Afrik.com : De quoi sera-t-il question dans votre livre ?
Amély-James Koh Bela : Le livre fait, entre autres, un tour
d’horizon des causes de la prostitution et de la misère.
Dans le cas de l’Afrique, il s’agit plutôt parfois
d’une misère psychologique car les pays impliqués
dans les réseaux africains de la prostitution ne sont pas
les plus pauvres. J’ai également essayé de montrer
les dessous de la prostitution africaine en Europe. Car c’est
une prostitution hors norme dans une Europe où la perversité
ne semble pas avoir de limites. Dans cette optique, certaines parties
du livre sont volontairement choquantes. J’évoque également
la responsabilité des Occidentaux quant à leur politique
économique, en Afrique, qui sacrifie notre continent sur
l’autel du profit au détriment des hommes. Je parle
aussi de ces innombrables guerres, qui rapportent à ses «
amis » des milliards. En effet, la vente d’armes dans
cette partie du monde est responsable de multiples désastres.
Des armes mises entre les mains d’enfants qui sont à
jamais détruits par cette violence. L’Afrique est un
vaste terrain d’entraînement pour ces outils de mort.
Afrik.com : L’occident n’est pas la seule responsable
de nos maux...
Amély-James Koh Bela : Je dénonce aussi les dirigeants
africains qui portent leur part de responsabilité dans ce
fléau. Rien n’est concrètement fait pour retenir
ces centaines de milliers de jeunes qui partent jouer les boniches
de l’autre côté de la mer. Au contraire, on a
l’impression qu’ils le cautionnent, ne serait-ce que
par leur silence et le fait que les trafiquants d’êtres
humains ne sont pas réprimés. Ils ont d’ailleurs
donné à certains pays une très honteuse renommée.
Cependant les parents africains doivent prendre leurs responsabilités
et reprendre leur rôle d’éducateurs afin que
les vraies valeurs soient rétablies. La solution pour les
jeunes n’est pas de partir. Car ils partent à l’aventure
et deviennent des proies faciles, notamment pour les proxénètes.
Par ailleurs, il faut que les Africains soient plus solidaires entre
eux car certaines attitudes nous coûtent parfois très
chères.
Afrik.com : Le terrain de choix pour mener votre action de
sensibilisation reste l’Afrique. Que comptez vous y faire
concrètement ?
Amély-James Koh Bela : Nous allons mener en Afrique un vaste
programme de sensibilisation qui devrait être mis en œuvre
courant 2005. Ceci en partenariat avec les gouvernements locaux,
les ministères de la Santé, de l’Education et
de la Promotion de la femme. Mais aussi avec la Croix Rouge, l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) et les Nations Unies. Nous allons
aller vers la jeunesse pour leur expliquer les pièges qui
peuvent se refermer sur eux s’ils décident, coûte
que coûte, d’immigrer en Occident. La première
étape sera le Cameroun (six pays africains ont déjà
donné leur accord de principe, ndlr) parce que c’est
un pays que je connais bien. Dans une dizaine de collèges
et de lycées, nous allons informer les jeunes sur les mirages
de l’Europe, et plus particulièrement de celui de l’enfer
de la prostitution. Il sera également question des dangers
de l’Internet. Surfer sur le Net à la recherche du
« prince charmant européen » est en effet devenu
depuis quelques années l’activité favorite de
certaines jeunes filles africaines. Des projets seront également
initiés dans le sens de la réinsertion sociale des
anciennes prostituées : prévoir des formations ou
assurer leur reconversion selon leurs compétences. La priorité
sera, en outre, donnée à la scolarisation de leurs
enfants.
Afrik.com : Mais d’ici 2005, qu’allez vous faire
?
Amély-James Koh Bela : La sortie prochaine du livre va donner
une nouvelle impulsion à notre action. Nous comptons ainsi
nous rendre dans les lycées des régions où
une forte population d’origine africaine réside - 18ème,
20ème arrondissements, le département de la Seine-Saint-Denis
et sa région - pour mener cette action de sensibilisation.
A l’image de celle que nous mènerons prochainement
en Afrique.
Afrik.com : Vous avez récemment rencontré plusieurs
acteurs clés de la lutte contre la prostitution en France.
Qu’allez-vous faire ensemble ?
Amély-James Koh Bela : Ils m’ont tous reçue
à bras ouverts à l’OCRTEH (l’Office central
pour la répression du trafic des êtres humains, ndlr),
à la fondation Scelles, au Mouvement du Nid... Partout. J’ai
eu l’occasion de m’entretenir avec eux notamment quant
à certaines formes de prostitution dont ils ne soupçonnaient
même pas l’existence. Nous allons travailler ensemble,
M. Colombani, le chef de l’OCRTEH, m’a félicitée
pour mon action et m’a demandée de lui remettre un
rapport écrit sur la situation. Il faut dire que depuis le
début, Madame Hidalgo la première adjointe de la Mairie
de Paris, m’a soutenue et continue de me soutenir dans ma
démarche. Elle sera d’ailleurs la marraine du programme
en Afrique dont je vous parlais tantôt.
Afrik.com : Vous travaillez depuis près d’une
dizaine d’années dans les milieux de la prostitution
africaine. Vous ne craignez pas quelque fois pour votre sécurité
?
Amély-James Koh Bela : Je ne représente pas une menace
pour les proxénètes. Au contraire, ils s’amusent
plutôt de tout le tapage que je fais autour de la prostitution.
Les complicités dont ils bénéficient sont très
influentes. Contre eux, je ne fais pas le poids. Je ne m’inscris
pas dans une action répressive, j’essaie d’aider
tout simplement ces femmes. Et ils le savent. De plus, je ne dénonce
personne. J’ai noué des relations de confiance avec
les prostituées même si je suis de moins en moins liée
à la nouvelle génération. Le danger est plutôt
ailleurs. Avec toutes les mises en garde qui ont été
lancées, je reçois encore des mails où des
femmes me demandent de leur trouver de « bons maris »
puisque je semble avoir l’expérience pour distinguer
les bons des mauvais. Mon but est d’informer mais je ne peux
pas faire plus qu’il n’est possible.
Afrik.com : Plusieurs associations africaines militent comme
vous dans le domaine de la protection de la femme et de la lutte
contre du sida. N’avez-vous pas pensé joindre vos efforts
?
Amély-James Koh Bela : J’ai déjà tenté
de le faire. Rien qu’en France, on compte près de 1
000 associations qui travaillent dans le seul domaine du sida. Au
sein d’Aide fédération, nous avons pris le parti
de fédérer les associations afin de créer des
synergies. Quand Aide mène une action, c’est celle
de près de 1 500 associations. Mais c’est très
dur, entre nous Africains, d’être solidaires car chacun
semble vouloir défendre ses propres intérêts.
J’espère que ces fils d’Afrique finiront par
comprendre que notre force réside dans l’union de nos
forces. Il faudra aussi que les Africains arrêtent de pleurnicher
et qu’ils se réveillent. Qu’ils arrêtent
de se demander ce que leur pays fait pour eux. Car eux, que font-ils
pour leur pays ? Nous allons dans leurs écoles, nous avons
leurs diplômes, nous disposons de plus possibilités
que nos ancêtres, mais nous sommes toujours aussi stupides.
Prompts à copier bêtement des vies qui ne sont les
nôtres ; à renier nos coutumes qui sont pourtant le
socle sur lequel est bâtie notre identité. Nous n’avons
pas besoin de renier nos coutumes pour nous intégrer dans
des sociétés où nous sommes souvent victimes
de toutes sortes de discrimination. Respecter les droits des pays
d’accueil ne veut pas dire se « prostituer » le
cerveau. L’année 2005 sera, dit-on, celle de la renaissance
de l’Afrique. Cela ne sera possible que si ses enfants arrêtent
d’être complexés et essaient de porter fièrement
le digne héritage que sont nos coutumes, nos cheveux crépus
et cette merveilleuse couleur noire qui est la seule à aller
avec tout.
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