Origine : http://www.afrik.com/article7959.html
Des cérémonies de sorcellerie sont presque toujours
utilisées pour effrayer les prostituées africaines
et les obliger à rester dans le milieu. Amely-James Koh Bela
a recueilli plusieurs témoignages lors de ses années
de travail sur le terrain. Elle a livré à Afrik.com
trois d’entre eux pour illustrer le rôle et le pouvoir
de ces rituels dans la prostitution africaine en Europe.
Propos recueillis par Amely-James Koh Bela
« Nathalie », 22 ans, Nigériane
- « Si je suis dans la merde, c’est parce que je n’ai
pas respecté le pacte »
« [...] Pour venir en Europe, ma famille m’a aidé
pendant deux ans à réunir la somme de 15 000 dollars
pour payer un monsieur qui faisait passer les filles. Nous étions
récupérées par une femme qui nous hébergeait
et nous trouvait du travail.
Tu veux dire qu’elle vous trouvait des clients ?
Oui, ce ne sont pas des femmes méchantes. Ce n’est
pas gentil de dire du mal d’elles. Ce que les filles racontent,
ce sont des mensonges.
Si elle est aussi gentille, que fais-tu alors dans ce squat
?
C’est ma faute, je n’ai pas respecté «
le pacte »
Quel pacte ?
Avant de venir, le passeur nous a emmené chez une femme
sorcière pour faire deux cérémonies. Une pour
nous rendre attirantes, irrésistibles et performantes. L’autre
pour s’assurer que nous serons obéissantes.
Peux-tu me donner des détails sur ces cérémonies
?
La première est une succession de bains dits « sacrés
», avec des huiles préparées par la sorcière,
à base de plusieurs plantes macérées, pour
nous purifier. Pendant de longues heures, je répète
comme une perroquet tout ce qu’on me dit sans comprendre un
seul mot de ce que je dis. Elles nous rendent tellement désirables
que tous les hommes qui nous approchent tombent sous notre charme
et veulent tous être nos clients. Sous l’influence de
ces huiles, nous avons beaucoup de clients et nous rapportons beaucoup
d’argent. Nous avons des tubes d’huiles pour mettre
sur notre peau et c’est la « mama » qui se sacrifie
en allant se ravitailler au village quand la réserve est
finie.
Tu es en train de me dire qu’il y a des marabouts qui
envoûtent des clients à 10 000 km d’ici et que
ça marche !
Oui, et c’est très efficace. Il ne faut pas jouer
avec ces choses-là même si des gens comme toi se moquent
de ces pratiques pour plaire aux Blancs. [...]
Peux-tu me parler de l’autre cérémonie
?
La deuxième cérémonie est un « contrat
» avec nos bienfaitrices. On nous prend des ongles, des cheveux
et du sang. [On y ajoute] des os de volaille ou d’animaux.
Les mêmes prélèvements sont réalisés
sur une personne qui nous est très chère. Souvent,
c’est la mère ou une sœur. Après une longue
séries d’incantations, la sorcière a tout réduit
en poudre et m’a demandé de sauter dessus en promettant
d’être fidèle, reconnaissante et obéissante
; sans quoi il arriverait un malheur à ma mère Elles
ne veulent pas nous faire du mal. Elles veulent juste se protéger
contre les méchantes filles incapables et jalouses qui les
trahissent et réduisant à néant leurs efforts
et nos chances de surcroît. Quand on arrête une maman,
nous tombons toutes. Nous sommes rapatriées et nous perdons
tout. Nous revenons souvent sans problèmes, mais il faut
tout recommencer. Et c’est cruel de faire ça à
quelqu’un qui vous aide. Ce sont ces filles qui parlent aux
gens comme toi et te disent ce que tu v eux entendre
Tu veux dire que les souffrances, les menaces, les punitions,
le maraboutage et la prostitution forcée, elles l’inventent
?
Non. Ce milieu est dur pour tout le monde. Mais elles sortent les
choses de leur contexte et les transforment. Je ne te comprends
pas, le maraboutage, c’est comme manger du fromage ici. C’est
à toutes les sauces. On va les consulter (les marabouts,
ndlr) pour avoir des enfants, trouver un mari, réussir à
un examen, soigner une maladie, être riche ou pour des choses
plus graves et méchantes comme jeter de mauvais sorts aux
gens et leur faire du mal. Alors pourquoi ça choque qu’on
les utilise pour « rentabiliser nos affaires » ? Que
des Blancs ne comprennent rien à nos pratiques, je comprends.
Mais que toi l’Africaine tu fasses comme si c’était
du chinois, je suis choquée. Reste avec eux car tu n’es
plus des nôtres si tu ignores la coutume. [...]
Pourquoi as-tu rompu le pacte ?
Je rapportais tellement d’argent que j’ai commencé
à ne pas lui donner (à la « mama », ndlr)
toute la recette. Elle ne s’en rendait pas compte. Ce sont
les filles jalouses qui m’ont trahi à cause de ma superbe
garde robe et surtout pour les clients qui ne voulaient que moi...
Elle m’a mise dehors et, je ne sais pas si c’était
une coïncidence, mais ma mère est gravement tombée
malade. Je suis allée lui demander pardon (à la «
mama », ndlr), mais elle avait trop mal au cœur et n’a
pas trouvé la force de ma pardonner. Depuis j’erre
de squat en squat. Je suis l’unique responsable. J’ai
triché et j’en paie le prix ... Tant qu’elle
n’a pas pardonné, tant qu’elle détient
mes ongles et autres, je lui appartiens. Le pire pour moi est que
par ce comportement irresponsable, j’ai fermé la porte
de l’Europe aux autres filles de la famille. j’espère
que ma famille comprendra et pardonnera... »
« Anita », jeune Ivoirienne rencontrée
dans un bar-restaurant à Strasbourg-Saint-Denis. Elle dit
avoir 21 ans, mais paraît bien moins.
- « Personne n’a demandé mon avis, j’ai
été piégée. »
« Quand et comment es-tu arrivée en France ?
Je suis en France depuis huit mois, mais j’ai passé
deux ans en Hollande. C’est la meilleure amie de ma mère
qui vit en Hollande qui est venue me chercher à Abidjan.
Elle a dit à mes parents que j’étais une fille
belle volontaire et qu’en m’aidant un peu, elle pouvait
m’aider à réussir en Europe. Elle a dit qu’elle
allait m’aider à trouver du ménage à
faire car c’est très bien payé et que je pourrais
aussi trouver un mari blanc comme sa fille, qui est un modèle
de réussite pour toutes les filles du quartier. C’était
un honneur d’être choisie car j’allais ouvrir
le chemin aux autres filles de la famille. J’en étais
fière.
Comment s’est passé ton départ ?
Ma famille a organisé une grande cérémonie
pour dire au revoir. Tout le monde m’enviait. Ma tante a reçu
des tonnes de bénédictions pour cette générosité
dont elle faisait preuve. Elle nous a montré les photos de
sa fille qui a épousé un Hollandais, leur belle maison...
Elle a promis aux sages qu’elle ferait tout ce qu’elle
pourrait pour que le rêve de sa fille soit celui des autres
filles du quartier et que c’était sa façon de
dire merci à Dieu. Après une prière, elle a
fait venir un marabout pour des cérémonies de protection
contre les mauvais sorts que des jaloux peuvent lancer. Madame,
c’était des mensonges, des mensonges ! Un piège
pour endormir les parents afin d’éviter la méfiance...
Peux-tu me parler de la cérémonie avec le marabout
?
Elle s’est déroulée deux jours plus tard en
pleine nuit. J’étais toute nue. On m’a coupé
une touffe de cheveux et des poils pubiens et coupé les ongles.
C’est alors que j’ai vu ma mère sortir d’un
morceau de tissus une serviette souillée qu’elle m’avait
demandée pour faire une cérémonie. Le but était
que ce soit moi que son amie choisisse entre les dizaines de filles.
Ma mère a donné au marabout la serviette. Lui a aussi
coupé les ongles de ma mère et pris une goutte de
son sang. Je n’ai pas vu la suite car j’étais
sous un pagne, mais le marabout a fait des incantations et des chants
en trempant un balai dans du sang de mouton, dans lequel macéraient
des herbes différentes. Il me donnait des petits coups de
ce balai dégoulinant de sang sur tout le corps. Au bout d’un
long moment, on m’a rincé le corps avec une eau spéciale
et j’ai couru sans regarder derrière jusqu’à
la maison avec pour ordre de ne pas me laver pendant cinq jours.
J’avais juste le droit de faire une petite toilette intime.
C’est quand nous avons eu des problèmes que j’ai
découvert la vérité.
Quelle vérité ?
En fait, cette cérémonie était faite pour
me rendre docile. Et si n’obéissais pas à ses
ordres (de la « mama », ndlr), il m’arriverait
des bricoles ainsi qu’à ma mère, qui avait donné
son sang et ses ongles. Rien de tout ce qu’elle avait promis
à ma famille ne s’est réalisé. Je n’ai
fait aucun ménage, aucune scolarité. J’ai commencé
à me rebeller, ce qui l’a énervé. Elle
m’a menacé en me disant que (...) tant qu’elle
possédait mes ongles et cheveux, je lui appartenais. Elle
écrivait des fausses lettres à ma famille qui pensait
que tout allait bien... Un jour, sa fille est venue me demander
d’obéir, et c’est comme ça que je me suis
retrouvée dans une cage en verre en train de me prostituer
dans les quartiers chauds, à moitié nue et livrée
aux regards voyeurs des passants. Quelles humiliations !! Un jour,
je me suis enfuie et je suis allée voir la police pour leur
raconter mon histoire. J’ai été expulsée
et elle (la « mama », ndlr) n’a jamais été
inquiétée, même pas arrêtée...
Je suis venue par mes propres moyens avec une autre « mama
» qui m’a emmené en France. J’ai subi les
mêmes cérémonies, mais cette fois en sachant
de quoi il s’agissait. Cette nouvelle « mama »
va négocier l’achat de ma dette à l’autre
« mama ». Elle récupérera mes ongles et
me les rendra quand j’aurais payer ma dette. En attendant,
je travaille avec trois autres filles qui appartiennent à
la nouvelle « mama ». Nous travaillons dans un camion
que nous louons à notre « mama », en plus de
l’argent que nous lui reversons. Le peu qui nous reste permet
d’aider nos familles. Comme il reste très peu d’argent,
nous nous sommes arrangées entre nous pour donner à
tour de rôle à chaque fille la totalité de la
somme pour que cela représente quelque chose quand les parents
la reçoivent... Voilà ma vie et celles de plusieurs
filles venues chercher une vie meilleure... »
**************
« Mama » M., 55 ans est une Congolaise assez
connue du milieu à Bruxelles (Belgique), où
elle possède un harem de filles magnifiques qui servent dans
son restaurant et qui sont aussi à consommer. Elle réfute
le terme de « proxénète » et préfère
celui de « bienfaitrice » car elle estime rendre un
service aux filles et à leurs familles.
- « Pour ma sécurité, nous faisons un pacte.
Nous signons un contrat... En cas de non respect les sanctions vont
tomber. »
« [...] Toutes les filles ne sont pas malheureuses. Certaines,
très ambitieuses viennent nous trouver pour nous supplier
de les prendre. Elles sont prêtes à tout pour aller
en Europe. Mais nous ne pouvons pas prendre tout le monde. Je ne
veux pas de filles égoïstes, têtues et ingrates
qui crachent dans la soupe. Au lieu d’obéir, elles
se rebellent, se mesurent à nous et nous causent des problèmes.
Quels genres de problèmes ?
Certaines se prennent pour des chefs et montent les autres filles
contre nous. D’autres essaient de tricher en volant une partie
des recettes. D’autres nous trahissent en tombant dans les
pièges de certaines associations, qui prétendent les
aider, mais leur volent des informations et les font expulser. D’autres
vont raconter des mensonges à la police pour avoir des papiers.
C’est peut-être à cause des mauvais traitements
que vous leur infligez ?
Ça c’est faux. Je suis une mère pour elles
et elles sont comme mes propres filles. Je prends des responsabilités
et des risques énormes en les faisant venir ici. C’est
pour les aider. Et si elles se débrouillent bien, elles peuvent
mettre de l’argent de côté et aider leurs familles.
Avec un peu de chance et d’audace, certaines peuvent épouser
des Occidentaux, ce qui facilitera plus tard l’arrivée
d’une autre (fille, ndlr). Mais ma fille, tu sais comment
ça se passe, c’est la solidarité : quand tu
réussis, tu tires quelqu’un d’autre. Je n’ai
aucun remords. Je ne prostitue pas des enfants, mais seulement des
femmes majeures, volontaires et consentantes. Mais pour que tout
se passe bien, je dois prendre des précautions...
Lesquelles ?
Avant le départ, je réunis la famille de la fille
et les sages pour qu’elle promette solennellement de bien
se tenir et d’obéir. Après avoir obtenu la bénédiction
de la famille, nous nous rendons au village pour une cérémonie
avec le marabout. Cela a pour but de protéger tout le monde.
Si la fille est sincère, pas de problèmes. Si elle
est méchante, elle sera victime des mauvais sorts.
Lesquels ?
La folie, une maladie grave et parfois des maladies inconnues chez
les blancs. (Ou encore) la perte d’un être cher, mais
ça c’est plus rare. C’est une amie qui vient
du Nigeria qui m’a donné l’idée de faire
ces cérémonies car ça permet aux filles de
bien travailler. Ça évite de payer quelqu’un
pour les surveiller. Elles savent que l’avenir de leurs familles
dépend de leur comportement. Quand nous les laissons tomber,
elles nous supplient de les garder car leurs familles les rejettent
si elles ne réussissent pas. Par pitié, on leur trouve
du travail. Nous ne sommes aussi diaboliques que vos associations
le disent.
Est-ce que les filles acceptent facilement ces cérémonies
de sorcellerie ?
Mais oui. Elles réalisent la chance qu’elles ont d’être
choisies, ce sont elles qui parfois demandent des cérémonies
pour prouver leur bonne foi...
Pardon « mère », mais en plus de dix ans de
travail sur le terrain, je n’ai jamais rencontré une
fille qui a volontairement demandé ces cérémonies
de maraboutage. Etant africaine, je sais que nous craignons la magie
noire !
C’est parce que tu ne poses tes questions qu’à
des méchantes filles ingrates qui te disent ce que tu veux
entendre. Viens voir mes filles et pose toutes les questions que
tu veux. Tu verras.
Ce n’est pas la peine, elles diront ce que vous leur direz
de dire. Leurs témoignages ne sont pas crédibles et
ils vont me gâter mon travail...
Ma fille il y a tellement de candidates que je n’ai pas besoin
de forcer qui que ce soit. Mais pour ma sécurité,
je dois faire attention. Nous faisons un pacte, nous signons un
contrat. Et c’est comme dans la vie : si le contrat n’est
pas respecté, les sanctions vont tomber. Je suis choquée
par cette mauvaise image que vous donnez de nous. Nous ne sommes
pas des criminelles, nous apportons de l’aide...
Vous savez qu’il y a des « mères »
qui prostituent des enfants à la maison ?
Tout le monde le sait. Ce n’est pas nouveau. Nous avons des amis qui
le font, mais ce pas pour moi. Jamais des enfants...
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