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Origine : http://www.afrik.com/article7958.html
Les Africaines prostituées en Europe font couramment l’objet
d’une cérémonie de sorcellerie. Elle est destinée
à dissuader les femmes de fuir, sous peine de mort, de folie
ou de maladie. Pour elles ou pour leurs proches. Le pouvoir de ces
rituels n’est pour certains pas avéré. Mais
les filles sont persuadées de risquer gros si elles s’en
vont ou déplaisent à leur « mama ». La
prison mentale est si efficace que celles qui osent s’enfuir
ne dénoncent que rarement les acteurs de la filière.
Les témoignages des prostituées et de la « mama
» ont été recueillis par Amely-James Koh Bela,
auteur du livre "La prostitution africaine en Occident."
« On nous prend des ongles, des cheveux, du sang. [On y ajoute]
des os de volaille ou d’animaux. Les mêmes prélèvements
sont réalisés sur une personne qui nous est très
chère. Souvent, c’est la mère ou une sœur.
[Dans mon cas], après une longue série d’incantations,
la sorcière a tout réduit en poudre et m’a demandé
de sauter dessus en promettant d’être fidèle,
reconnaissante et obéissante ; sans quoi il arriverait un
malheur à ma mère ». Nathalie, une jeune Nigériane,
raconte comment elle a été mise en condition avant
qu’elle ne quitte son pays pour se prostituer, volontairement,
en Europe. Une mise en condition par laquelle passent la majorité
des Africaines recrutées pour satisfaire des clients européens.
Ces cérémonies rituelles, parfois fictives, sont un
gage de sécurité pour les « mamas » (femmes
proxénètes africaines), qui ont avancé de grosses
sommes d’argent pour faire venir les filles en Occident. De
cette façon, elles sont en effet pratiquement sûres
que les prostituées ne partiront pas, craignant trop de lourdes
représailles.
Cérémonies réelles et fictives
La cérémonie se passe le plus souvent dans le pays
d’origine de la fille, après qu’elle ait été
repérée et achetée par les « mamas »
ou des intermédiaires, qui sont parfois des membres de sa
famille. Tout y est : les chants, incantations et collecte d’éléments
corporels. Mais elles ne se ressemblent pas. « Le marabout
a fait des incantations et des chants en trempant un balai dans
du sang de mouton, dans lequel macéraient des herbes différentes.
Il me donnait des petits coups de ce balai dégoulinant de
sang sur tout le corps. Au bout d’un long moment, on m’a
rincé le corps avec une eau spéciale et j’ai
couru sans regarder derrière jusqu’à la maison
avec pour ordre de ne pas me laver pendant cinq jours. J’avais
juste le droit de faire une petite toilette intime », raconte
Anita, une jeune Ivoirienne, à qui ont a aussi pris des poils,
des cheveux, des ongles et une serviette hygiénique souillée,
en plus des ongles et du sang de sa mère. Un rituel en bonne
et due forme pour laquelle le marabout est rémunéré,
dans certains cas « 100 euros », selon l’Office
central pour la répression de la traite des êtres humains.
Il se ferait souvent avec l’accord des femmes désireuses
de quitter leur pays pour se prostituer en Europe. « Ce sont
elles qui parfois demandent des cérémonies pour prouver
leur bonne foi... », estime une « mama » congolaise
de Bruxelles (Belgique), réputée pour les belles filles
qui servent dans son restaurant et se prostituent pour elle. Mais
d’aucuns estiment que, la plupart du temps, les filles ne
savent pas ce qui se passe ou se dit lors de la cérémonie
et qu’elles ne l’apprennent que lorsque tout est fini.
La « mama » d’Anita, par exemple, lui a expliqué
que la cérémonie visait à protéger «
contre les mauvais sorts que des jaloux peuvent lancer ».
Toutes les cérémonies ne sont pas réelles.
Certaines « mamas » mettent parfois en place des rituels
factices. Mais parce qu’ils sont très bien mis en scène,
par souci de crédibilité, les filles ne font pas la
différence et sont terrifiées. Terrifiées par
la mort, la folie ou encore la maladie qui leur a été
promise en cas de faux pas. Des sanctions qui peuvent tomber sur
elles ou sur leurs proches. Anita raconte que sa « mama »
lui a dit qu’il lui « arriverait des bricoles ainsi
qu’à [sa] mère, qui avait donné son sang
et ses ongles », si elle désobéissait à
ses ordres. Le risque est donc trop grand pour tenter quoi que ce
soit. Ce qui les rend mentalement prisonnières. Le conditionement
est par ailleurs si poussé que certaines, comme Nathalie,
estiment que ces pratiques sont faites pour leur bien. « Elles
(les ‘mamas’) ne veulent pas nous faire du mal. Elles
veulent juste se protéger contre les méchantes filles
incapables et jalouses qui les trahissent et réduisant à
néant leurs efforts et nos chances de surcroît »,
explique-t-elle.
Les filles condamnées à rester prostituées
Le rituel de sorcellerie est un contrat entre les deux parties,
un engagement de fidélité et de loyauté dont
l’objectif est de protéger les « mamas »
d’éventuels problèmes que pourraient leur causer
les filles. « Certaines se prennent pour des chefs et montent
les autres filles contre nous. D’autres essaient de tricher
en volant une partie des recettes, nous trahissent en tombant dans
les pièges de certaines associations qui prétendent
les aider, mais leur volent des informations pour les faire expulser.
D’autres vont raconter des mensonges à la police pour
avoir des papiers », souligne la « mama » de Bruxelles.
Les cérémonies servent aussi de récupérer
l’argent de la dette contractée par la fille lors de
son passage en Europe. « Le coût est colossal et peut
osciller entre 20 000 et 30 000 dollars, qui comprend notamment
le voyage, les faux papiers et les intermédiaires. Le rituel
permet aux ‘mama’ de s’assurer que les filles
leur rembourseront les sommes investies », Constant Roger
Mbongo, avocat à la cour qui a déjà défendu
quatre « mamas » et une prostituée africaines.
Les cérémonies servent également de garde-fou
pour les « mamas ». « Elles n’ont pas le
temps de rester derrière les filles pour vérifier
si elles travaillent correctement ou ne leur volent pas de l’argent.
Les cérémonies servent donc à exercer une pression
sur le mental des prostituées pour les soumettre »,
poursuit Constant Roger Mbongo.
La méthode est efficace, car les filles restent dans la
prostitution, même si elles veulent arrêter. Et elles
n’osent que rarement dire à la police ou à la
justice qui sont les cerveaux de la filière lorsqu’elles
s’enfuient. Et si elles le font, elles risquent l’expulsion.
« Un jour, je me suis enfuie et je suis allée à
la police leur raconter mon histoire. J’ai été
expulsée et elle n’a jamais été inquiétée.
Même pas arrêtée », raconte Anita en parlant
de sa « mama ». Autant de paramètres qui garantissent
de fait une protection et une immunité quasiment incassables
aux membres d’un réseau.
« Une sorcellerie de façade »
Pour Constant Roger Mbongo, les cérémonies des «
mamas » ne représentent aucun danger. « Je suis
Africain et j’ai la certitude qu’on ne peut pas faire
du mal comme ça, par delà des milliers de kilomètres
qui plus est. On plante un décor pour faire peur à
des Africaines qui bien souvent ont peu d’éducation,
croient en ces rituels et qui n’ont pas connu autre chose
que cela. Mais il n’y aura pas de suite. Il n’y en a
jamais eu dans tous les dossiers que j’ai traités.
Les ‘mamas’ que j’ai défendu ont toutes
avoué des rituels, expliquant que cela fait partie du conditionnement.
Mais elles n’ont pas dit si, à terme, elles se seraient
servies de la cérémonie à des fins mauvaises.
C’est une sorcellerie de façade et de pression »,
commente-t-il. Et de citer l’histoire d’une prostituée
nigériane qui a dénoncé la filière et
à qui il n’est rien arrivé, même si elle
vit aujourd’hui cachée par crainte des représailles.
Elle aurait même menacé sa « mama » de
laisser sa famille tranquille si elle ne voulait pas avoir de problèmes
avec la police.
Il souligne par ailleurs que « dans la prostitution des filles
de l’Est, on voit tout le temps des personnes qui meurent
par suite de représailles. Mais en ce qui concerne la prostitution
africaine, il n’y a pas de décès ». Pas
de décès, mais des événements qui, pour
certains, peuvent laisser planer le doute sur le pouvoir de ces
cérémonies. Nathalie a été « mise
dehors » pour avoir volé sa « mama ». Ce
qui s’est passé par la suite, bien que peut-être
le fruit du hasard, lui a fait regretter son geste. « Je ne
sais pas si c’était une coïncidence, mais ma mère
est gravement tombée malade. Je suis allée lui (à
la « mama ») demander pardon, mais elle avait trop mal
au cœur et n’a pas trouvé la force de me pardonner.
Depuis j’erre de squat en squat. Je suis l’unique responsable
: j’ai triché et j’en paie le prix », conclut-elle.
Un esprit qui hante la nuit
Certaines sont hantées dans leurs nuits par des esprits.
C’est notamment le cas d’une jeune fille prise en charge
par l’association Volte-Face, qui aide les femmes à
quitter la prostitution. « Dans son rêve, elle voyait
une femme géante qui voulait l’étrangler. (...)
Cet esprit lui disait qu’elle était faite pour être
dans la rue à se prostituer plutôt qu’à
dormir la nuit et à se donner du repos. Il la menaçait
en lui disant que d’obéir sinon elle serait jetée
du neuvième étage », raconte Danielle Babin
Kololo, présidente de Volte-Face.
Nathalie, vit une autre sorte de cauchemar. Bien que sa «
mama » l’ait « mise de dehors », elle n’est
toujours pas libre et est rongée par le remords. Résignée,
elle explique : « Tant qu’elle ne m’a pas pardonné,
tant qu’elle détient mes ongles et autres, je lui appartiens.
Le pire pour moi est que, par ce comportement irresponsable, j’ai
fermé la porte de l’Europe aux autres filles de la
famille. J’espère que ma famille comprendra et me pardonnera...
». Même hors d’atteinte de la « mama »,
la prison mentale n’en finit pas de faire des ravages.
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