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Prostituées africaines maraboutées
Des cérémonies organisées pour fidéliser les femmes aux « mamas »
Dossier Prostitution
mardi 14 décembre 2004, par Habibou Bangré

Origine : http://www.afrik.com/article7958.html

Les Africaines prostituées en Europe font couramment l’objet d’une cérémonie de sorcellerie. Elle est destinée à dissuader les femmes de fuir, sous peine de mort, de folie ou de maladie. Pour elles ou pour leurs proches. Le pouvoir de ces rituels n’est pour certains pas avéré. Mais les filles sont persuadées de risquer gros si elles s’en vont ou déplaisent à leur « mama ». La prison mentale est si efficace que celles qui osent s’enfuir ne dénoncent que rarement les acteurs de la filière.


Les témoignages des prostituées et de la « mama » ont été recueillis par Amely-James Koh Bela, auteur du livre "La prostitution africaine en Occident."

« On nous prend des ongles, des cheveux, du sang. [On y ajoute] des os de volaille ou d’animaux. Les mêmes prélèvements sont réalisés sur une personne qui nous est très chère. Souvent, c’est la mère ou une sœur. [Dans mon cas], après une longue série d’incantations, la sorcière a tout réduit en poudre et m’a demandé de sauter dessus en promettant d’être fidèle, reconnaissante et obéissante ; sans quoi il arriverait un malheur à ma mère ». Nathalie, une jeune Nigériane, raconte comment elle a été mise en condition avant qu’elle ne quitte son pays pour se prostituer, volontairement, en Europe. Une mise en condition par laquelle passent la majorité des Africaines recrutées pour satisfaire des clients européens. Ces cérémonies rituelles, parfois fictives, sont un gage de sécurité pour les « mamas » (femmes proxénètes africaines), qui ont avancé de grosses sommes d’argent pour faire venir les filles en Occident. De cette façon, elles sont en effet pratiquement sûres que les prostituées ne partiront pas, craignant trop de lourdes représailles.

Cérémonies réelles et fictives

La cérémonie se passe le plus souvent dans le pays d’origine de la fille, après qu’elle ait été repérée et achetée par les « mamas » ou des intermédiaires, qui sont parfois des membres de sa famille. Tout y est : les chants, incantations et collecte d’éléments corporels. Mais elles ne se ressemblent pas. « Le marabout a fait des incantations et des chants en trempant un balai dans du sang de mouton, dans lequel macéraient des herbes différentes. Il me donnait des petits coups de ce balai dégoulinant de sang sur tout le corps. Au bout d’un long moment, on m’a rincé le corps avec une eau spéciale et j’ai couru sans regarder derrière jusqu’à la maison avec pour ordre de ne pas me laver pendant cinq jours. J’avais juste le droit de faire une petite toilette intime », raconte Anita, une jeune Ivoirienne, à qui ont a aussi pris des poils, des cheveux, des ongles et une serviette hygiénique souillée, en plus des ongles et du sang de sa mère. Un rituel en bonne et due forme pour laquelle le marabout est rémunéré, dans certains cas « 100 euros », selon l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains.

Il se ferait souvent avec l’accord des femmes désireuses de quitter leur pays pour se prostituer en Europe. « Ce sont elles qui parfois demandent des cérémonies pour prouver leur bonne foi... », estime une « mama » congolaise de Bruxelles (Belgique), réputée pour les belles filles qui servent dans son restaurant et se prostituent pour elle. Mais d’aucuns estiment que, la plupart du temps, les filles ne savent pas ce qui se passe ou se dit lors de la cérémonie et qu’elles ne l’apprennent que lorsque tout est fini. La « mama » d’Anita, par exemple, lui a expliqué que la cérémonie visait à protéger « contre les mauvais sorts que des jaloux peuvent lancer ».

Toutes les cérémonies ne sont pas réelles. Certaines « mamas » mettent parfois en place des rituels factices. Mais parce qu’ils sont très bien mis en scène, par souci de crédibilité, les filles ne font pas la différence et sont terrifiées. Terrifiées par la mort, la folie ou encore la maladie qui leur a été promise en cas de faux pas. Des sanctions qui peuvent tomber sur elles ou sur leurs proches. Anita raconte que sa « mama » lui a dit qu’il lui « arriverait des bricoles ainsi qu’à [sa] mère, qui avait donné son sang et ses ongles », si elle désobéissait à ses ordres. Le risque est donc trop grand pour tenter quoi que ce soit. Ce qui les rend mentalement prisonnières. Le conditionement est par ailleurs si poussé que certaines, comme Nathalie, estiment que ces pratiques sont faites pour leur bien. « Elles (les ‘mamas’) ne veulent pas nous faire du mal. Elles veulent juste se protéger contre les méchantes filles incapables et jalouses qui les trahissent et réduisant à néant leurs efforts et nos chances de surcroît », explique-t-elle.

Les filles condamnées à rester prostituées

Le rituel de sorcellerie est un contrat entre les deux parties, un engagement de fidélité et de loyauté dont l’objectif est de protéger les « mamas » d’éventuels problèmes que pourraient leur causer les filles. « Certaines se prennent pour des chefs et montent les autres filles contre nous. D’autres essaient de tricher en volant une partie des recettes, nous trahissent en tombant dans les pièges de certaines associations qui prétendent les aider, mais leur volent des informations pour les faire expulser. D’autres vont raconter des mensonges à la police pour avoir des papiers », souligne la « mama » de Bruxelles.

Les cérémonies servent aussi de récupérer l’argent de la dette contractée par la fille lors de son passage en Europe. « Le coût est colossal et peut osciller entre 20 000 et 30 000 dollars, qui comprend notamment le voyage, les faux papiers et les intermédiaires. Le rituel permet aux ‘mama’ de s’assurer que les filles leur rembourseront les sommes investies », Constant Roger Mbongo, avocat à la cour qui a déjà défendu quatre « mamas » et une prostituée africaines. Les cérémonies servent également de garde-fou pour les « mamas ». « Elles n’ont pas le temps de rester derrière les filles pour vérifier si elles travaillent correctement ou ne leur volent pas de l’argent. Les cérémonies servent donc à exercer une pression sur le mental des prostituées pour les soumettre », poursuit Constant Roger Mbongo.

La méthode est efficace, car les filles restent dans la prostitution, même si elles veulent arrêter. Et elles n’osent que rarement dire à la police ou à la justice qui sont les cerveaux de la filière lorsqu’elles s’enfuient. Et si elles le font, elles risquent l’expulsion. « Un jour, je me suis enfuie et je suis allée à la police leur raconter mon histoire. J’ai été expulsée et elle n’a jamais été inquiétée. Même pas arrêtée », raconte Anita en parlant de sa « mama ». Autant de paramètres qui garantissent de fait une protection et une immunité quasiment incassables aux membres d’un réseau.

« Une sorcellerie de façade »

Pour Constant Roger Mbongo, les cérémonies des « mamas » ne représentent aucun danger. « Je suis Africain et j’ai la certitude qu’on ne peut pas faire du mal comme ça, par delà des milliers de kilomètres qui plus est. On plante un décor pour faire peur à des Africaines qui bien souvent ont peu d’éducation, croient en ces rituels et qui n’ont pas connu autre chose que cela. Mais il n’y aura pas de suite. Il n’y en a jamais eu dans tous les dossiers que j’ai traités. Les ‘mamas’ que j’ai défendu ont toutes avoué des rituels, expliquant que cela fait partie du conditionnement. Mais elles n’ont pas dit si, à terme, elles se seraient servies de la cérémonie à des fins mauvaises. C’est une sorcellerie de façade et de pression », commente-t-il. Et de citer l’histoire d’une prostituée nigériane qui a dénoncé la filière et à qui il n’est rien arrivé, même si elle vit aujourd’hui cachée par crainte des représailles. Elle aurait même menacé sa « mama » de laisser sa famille tranquille si elle ne voulait pas avoir de problèmes avec la police.

Il souligne par ailleurs que « dans la prostitution des filles de l’Est, on voit tout le temps des personnes qui meurent par suite de représailles. Mais en ce qui concerne la prostitution africaine, il n’y a pas de décès ». Pas de décès, mais des événements qui, pour certains, peuvent laisser planer le doute sur le pouvoir de ces cérémonies. Nathalie a été « mise dehors » pour avoir volé sa « mama ». Ce qui s’est passé par la suite, bien que peut-être le fruit du hasard, lui a fait regretter son geste. « Je ne sais pas si c’était une coïncidence, mais ma mère est gravement tombée malade. Je suis allée lui (à la « mama ») demander pardon, mais elle avait trop mal au cœur et n’a pas trouvé la force de me pardonner. Depuis j’erre de squat en squat. Je suis l’unique responsable : j’ai triché et j’en paie le prix », conclut-elle.

Un esprit qui hante la nuit

Certaines sont hantées dans leurs nuits par des esprits. C’est notamment le cas d’une jeune fille prise en charge par l’association Volte-Face, qui aide les femmes à quitter la prostitution. « Dans son rêve, elle voyait une femme géante qui voulait l’étrangler. (...) Cet esprit lui disait qu’elle était faite pour être dans la rue à se prostituer plutôt qu’à dormir la nuit et à se donner du repos. Il la menaçait en lui disant que d’obéir sinon elle serait jetée du neuvième étage », raconte Danielle Babin Kololo, présidente de Volte-Face.

Nathalie, vit une autre sorte de cauchemar. Bien que sa « mama » l’ait « mise de dehors », elle n’est toujours pas libre et est rongée par le remords. Résignée, elle explique : « Tant qu’elle ne m’a pas pardonné, tant qu’elle détient mes ongles et autres, je lui appartiens. Le pire pour moi est que, par ce comportement irresponsable, j’ai fermé la porte de l’Europe aux autres filles de la famille. J’espère que ma famille comprendra et me pardonnera... ». Même hors d’atteinte de la « mama », la prison mentale n’en finit pas de faire des ravages.