Origine : http://www.afrik.com/article8789.html
Le documentaire, Les filières africaines de la prostitution
sera diffusé en exclusivité vendredi prochain au cinéma
Images d’Ailleurs à Paris. Une enquête de 9 mois
aura été nécessaire pour réaliser cette
œuvre d’investigation et de sensibilisation. Olivier
Enogo, producteur du film, nous explique les difficultés
qu’il a rencontrées et répond aux critiques
dont il commence à faire l’objet.
Six mois d’infiltration et un an de tournage en France et
en Afrique, le documentaire Les filières africaines de la
prostitution, décortique en 52 minutes les arcanes d’un
système violent et méconnu où les responsabilités
sont à la fois africaines et françaises. C’est
au Forum des images, qu’aura lieu vendredi à Paris
la première projection publique. Olivier Enogo, producteur
et réalisateur de ce travail, revient sur la genèse
et les conditions dans lesquelles il a opéré avec
le journaliste Romaric Atchourou.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous décidé de faire
un documentaire sur ce thème ?
Olivier Enogo : Tout c’est décidé au cours
d’une réunion à Africagora, le club des entrepreneurs
de la diaspora en France. L’écrivain Gaston Kelman
(auteur du livre Je suis noir et je n’aime pas le manioc,
ndlr), qui se trouvait parmi nous, nous a lancé un défi.
« Puisque vous avez tous fréquenté des écoles
de Blancs, que vous avez la même culture qu’eux, que
vous avez les mêmes armes, faites donc un sujet sur les Noirs
avec les techniques des Blancs. » Romaric Atchourou nous a
alors parlé d’Amély-James Koh Bela, une militante
qui se bat pour dénoncer le fléau de la prostitution
africaine en Europe et qui était sur le point de sortir un
livre sur ce thème... Quelque temps après la réunion,
Romaric et moi-même avons commencé notre enquête
en nous appuyant sur le travail d’Amély-James.
Afrik.com : Quel est le but du documentaire ?
Olivier Enogo : Notre objectif n’est pas d’arrêter
le phénomène de la prostitution, mais faire une action
de sensibilisation. Dans les pays africains où nous nous
sommes rendus, 100% des utilisatrices des cybercafés que
nous avons rencontrés rêvent de venir en Europe. Et
pour cela, beaucoup sont prêtes à tout, même
à se prostituer. C’est à leurs yeux un moyen
très facile de se faire de l’argent. Or s’il
y en a une qui réussit, et qui commence à construire
des villas au bout de 2 ou 3 mois en Afrique, 999 autres auront
un autre destin. Et c’est ce destin que nous souhaitons montrer
et sur lequel nous voulons sensibiliser le public.
Afrik.com : Avant de commencer le travail avec Amély-James
Koh Bela, vous rendiez-vous compte de l’ampleur et des spécificités
de la prostitution africaine ?
Olivier Enogo : Nous savions que cela existait, mais nous ne savions
pas qu’elle était si insidieuse. Contrairement à
la prostitution plus classique, la prostitution africaine résulte
parfois des tantes ou d’oncles directs. Certains hommes prostituent
leur propre femme pour de l’argent. Il existe également
des femmes qui prostituent leurs propres enfants à domicile...
Afrik.com : A-t-il été difficile, au niveau humain
et journalistique, de réaliser cette enquête ?
Olivier Enogo : Nous avons vu des scènes que nous avons
choisi de ne pas filmer, car notre but n’était pas
de faire un reportage racoleur, mais de dénoncer les failles
du système aussi bien côté français que
côté africain, parce que nous aussi nous avons beaucoup
à nous reprocher.
Afrik.com : Quel moment vous a le plus marqué pendant
votre enquête ?
Olivier Enogo : La mort d’Adèle, une Ivoirienne de
21 ans, qui a été tuée au cours de notre reportage.
J’ai tendance à dire que c’est à cause
de nous. Adèle, une des nombreuses prostituées que
nous avons rencontrées, voulait vraiment s’en sortir.
Au départ, elle ne souhaitait pas témoigner, mais
nous avons insisté. Un jour, elle s’est décidée
à nous parler et, à notre grande surprise, à
visage découvert. Parce qu’elle n’avait plus
rien à perdre et que c’était aussi une façon
pour elle, peut être, de se laver de tout ce qu’elle
avait pu subir. Elle nous à donc donné rendez-vous
à Château Rouge à Paris. Elle est arrivée
avec une de ses copines, elle aussi prostituée. Un homme
de type européen nous a rejoint. Nous pensions qu’il
s’agissait de son proxénète, il ne voulait pas
du tout que les filles témoignent. Il a pris Adèle
en aparté. Quelques minutes plus tard, nous avons entendu
un cri strident, nous avons rejoint Adèle et nous l’avons
trouvée étendue sur le sol. Elle saignait, l’homme
avait un couteau à la main. Il n’y avait personnes
d’autres que lui dans la rue, mais il nous a affirmé
que ce n’était pas lui. Nous avons appelé les
pompiers qui nous ont indiqué les démarches à
suivre. L’homme au couteau a proféré des menaces
contre nous. Il connaissait mon nom, mes coordonnées...je
ne sais pas comment il les a eues. Toujours est-il qu’il a
disparu dans la foule quand la police est arrivée. Quand
nous sommes retournés au commissariat le lendemain pour témoigner,
il n’y avait aucune trace du meurtre dans les régistres.
Les pompiers nous avaient pourtant confirmé la mort d’Adèle.
L’officier de police, dont je tairais le nom, a été
honnête. Il nous a simplement dit qu’il s’agissait
« d’une pute noire sans papier et que la police n’avait
pas que ça à faire ».
Afrik.com : L’enquête, on l’a vu, comportait
des dangers. Avez-vous pris des précautions particulières
pour travailler ?
Olivier Enogo : Des amis nous servaient de temps à autre
de garde du corps. Oui nous avons eu peur. On nous a même
menacé d’un pistolet. Nous recevons toujours des menaces.
Il s’agit aussi de menaces émanant de la communauté
noire qui nous accuse de salir l’image des Noirs. Je tiens
à dire que ce reportage n’est pas là pour rajouter
de l’eau au moulin de ceux qui peuvent avoir une image caricaturale
des immigrés africains en France. Nous l’avons fait
avant tout pour dénoncer la prostitution.
Afrik.com : Vous révélez une certaine hypocrisie
des autorités françaises par rapport à la prostitution
africaine. Il semblerait que les autorités fassent semblant
de ne pas voir certaines réalités ?
Olivier Enogo : Ce qui étonnant c’est qu’ils
disent n’avoir aucune preuve des complicités internes
au niveau consulaire pour l’obtention de visas. Or on ne peut
pas déverser des milliers de jeunes filles dans les rues
de France s’il n’y a pas de complicité au sein
des ambassades. Surtout quand on sait toute la difficulté
d’avoir un visa français en Afrique. Je prends juste
un exemple, dont je ne citerais pas le pays pour protéger
ma source, où une seule femme a fait venir 14 filles d’un
coup, 14 filles nées le même jour et dont la femme
prétendait être la mère naturelle. Le fonctionnaire
à qui nous sommes allés demander des explications
nous a dit que « le dossier était complet » et
que « la femme était de bonne foi ». Cette femme,
que nous avons retrouvée, nous a simplement dit qu’elle
avait payé pour les papiers et que c’était assez
courant.
Afrik.com : Dans le documentaire, vous avez clairement réussi
à mettre les institutions face à leurs contradictions.
Comment avez-vous fait ?
Olivier Enogo : On les a eu. Car je crois qu’on a été
pris un peu de haut, surtout du côté du Quai d’Orsay
(ministère des Affaires étrangères, ndlr).
Or nous avions tous les éléments en main. Nous avions
des éléments de preuves par rapport à toutes
les questions que nous allions leur poser.
Afrik.com : Le documentaire est une œuvre de sensibilisation.
Quelle est votre stratégie pour qu’il puisse être
largement diffusé ?
Olivier Enogo : Nous avons contacté plusieurs chaînes,
aucune n’a voulu nous suivre, à part 3A Télésud.
Nous avons contacté des médias et des institutions,
sans succès. Quand nous avons essayé de contacter
des télévisions, on s’entendait dire qu’ils
avaient des équipes et qu’ils n’avaient jamais
réussi à traiter le sujet, surtout au niveau des témoignages.
Ils considéraient le documentaire comme impossible à
faire. Alors nous avons travaillé à compte d’auteur.
Aujourd’hui ceux qui nous décriaient hier viennent
désormais vers nous. Nous allons envoyer un DVD au ministère
de la Cohésion sociale pour voir ce qu’il peut, cette
fois-ci, faire pour nous. Car je le rappelle une fois de plus, nous
fonctionnons à compte d’auteur. S’ils nous suivent,
très bien, car nous fonctionnerons par des réseaux
officiels, sinon nous continuerons comme nous avons commencé,
quitte à financer des locations de salle un peu partout en
France, même si c’est pour des projections uniques.
Afrik.com : Même en Afrique ?
Olivier Enogo : Nous avons commencé un travail pour approcher
les ambassades africaines en France pour qu’on nous mette
en relation avec les ministères de tutelle là bas.
Nous sommes prêts à leur donner le film gratuitement.
Nous sommes en train de discuter avec Western Union pour nous aider
à diffuser notre travail. Si ça ne marche pas, ce
n’est pas grave, on en fera cadeau, via Canal France International,
à toutes les chaînes africaines partenaires du projet.
Parce que le but du jeu n’est pas une opération commerciale,
mais un devoir de sensibilisation. Si on peut sauver ne serait-ce
qu’une seule autre Adèle, j’estimerais avoir
été largement payé.
Afrik.com : Ce documentaire aura-t-il une suite ?
Olivier Enogo : Nous sommes des journalistes qui sommes venus suivre
des acteurs du milieu. Des personnes qui sont là chaque jour
sur le terrain à lutter contre le phénomène.
Je pense notamment à Amély-James Koh Bela, qui a entièrement
voué sa vie à ce combat. Il est impossible que nous
ne suivions pas l’évolution de leur travail. Et je
pense qu’il serait intéressant de partir un Afrique
pour effectuer le même travail.
Afrik.com : Dans le documentaire, on ne voit pas l’une
des spécificités de la prostitution africaine en Occident,
révélée justement par Amély-James Koh
Bela : la prostitution familiale. Le fait qu’à l’intérieur
des maisons certaines mamans prostituent leur propre progéniture
ou des neveux et nièces.
Olivier Enogo : Nous avons rencontré des familles où
c’était le cas. Un pasteur africain que nous avons
rencontré nous a dit que même si nous étions
journalistes et qu’il y avait un travail à faire, ce
travail n’était pas forcément de tout montrer
du doigt. Toute boue n’est pas bonne à remuer à
n’importe quel moment. La prostitution familiale est très
insidieuse et elle reste très difficile à illustrer
en images, mais je pense que nous y reviendrons.
Afrik.com : N’avez-vous pas peur que le documentaire
stigmatise un peu plus encore les Africains en France ?
Olivier Enogo : C’est le risque et c’est ce qui nous
est d’ailleurs reproché. Mais faut-il fermer les yeux
par rapport à une certaine réalité ? Des membres
de ma propre famille nourrissent une fausse image de l’Occident
et veulent absolument y aller par n’importe quel moyen. J’ai
fait ce film, comme si je m’adressais à des gens de
ma propre famille. L’avocat des femmes proxénètes
africaines interrogé dans le documentaire, Me Bongo, dit
lui-même, que les trois quarts des filles ne veulent plus
aller à l’école parce qu’elles estiment
que c’est une boîte à chômage. Alors elles
vont sur Internet à la recherche du ’Blanc’ qui
pourra les faire venir en France ou en Occident. Quitte à
ce qu’il les mette dans la rue. Car s’il leur arrive
de se prostituer occasionnellement en Afrique, elles préfèrent
le faire en France ou ailleurs, car trois ou quatre passes représentent
le salaire d’un haut cadre chez elles.
Afrik.com : Avec un tel discours, n’avez-vous pas peur
de généraliser, ce qui peut-être dangereux ?
Olivier Enogo : C’est vrai qu’il y aura des sœurs qui ne se
sentiront absolument pas concernées par cela et qui seront
choquées par mes propos, mais je les invite à venir
regarder le documentaire. Et elles se rendront compte que le phénomène,
contrairement à ce qu’on pourrait penser, n’est
pas si marginal que cela.
|